UNIVERSITE PROTESTANTE PROTESTANT UNIVERSITY
D'AFRIQUE CENTRALE OF CENTRAL AFRICA
(UPAC)
(PUCA)
Foi- Témoignage-Science Faith- Witness-Science
Faculté des Sciences Sociales Faculty of
Social Sciences
et des Relations Internationales and International
Relations
(FSSRI) (FSSIR) B.P. 4011 Yaoundé -
Cameroun
Tel : +237 22 21 26 90, Fax : +237 22 20 53 24 Site :
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E-mail:
rectorat@upac-edu.org
Department of Peace and Development Studies
LA MOBILISATION DE LA DEMARCHE JUDICIAIRE
DANS LE PROCESSUS DE JUSTICE TRANSITIONNELLE EN SOCIETES POST-CONFLIT :
LE CAS DU RWANDA.
Mémoire soutenu et présenté en vue
de l'obtention du Master of Arts in Peace
and Development
Par
Marie-Paule Chancelle Claudette MOUTSATSI
BILAMPASSI
Maîtrise ès Littérature et
Civilisations Africaines
Sous la direction de Professeur Alain
Didier OLINGA Maître de Conférences en Droit
Public Examinateur : Jr Prof. Célestin
TAGOU Président : Prof. Jean-Emmanuel PONDI
2012
A
~~ mémoire de mon gra-ndidre
C),ILAMPASSI 6hrilia-n, qui na jamais connu *justice
tranritionnele, execute on 1998 lidg-e de 19 arts pendant & guerre
cirri° au 6onyo Ir($za#ile~(leirse commune de it
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grace a-ux recherches de la fa-m/1e mazy_ n'ajamair
étéfa7te.
REMERCIEMENTS
Nous voudrons exprimer notre très vive reconnaissance
à tous ceux qui nous ont aidé et soutenu dans
l'élaboration de ce mémoire :
Au Professeur, Alain Didier OLINGA, directeur de
mémoire, nous adressons nos remerciements les plus sincères pour
la participation efficace à l'aboutissement de ce travail. Sa
disponibilité et sa rigueur nous ont ouvert l'esprit à la
recherche. Qu'il trouve ici la marque de notre infini respect et de notre
gratitude.
Au Jr. Professeur Célestin TAGOU, Doyen de la
Faculté des Sciences Sociales et des Relations Internationales de
l'Université Protestante d'Afrique Centrale, nous disons infiniment
merci pour avoir inspiré à ses étudiant(e)s la
nécessité de la quête inestimable de l'excellence. Nous
voudrons également lui exprimer notre reconnaissance pour ses conseils
et pour la disponibilité dont il a fait preuve tout au long de notre
parcours à l'UPAC.
Aux enseignants de la Faculté des Sciences Sociales et
des Relations Internationales de l'UPAC, pour leur contribution à notre
formation. Ils ont suscité en nous l'engouement pour la recherche.
Nous remercions également tous ceux que nous avons
approchés au cours de notre voyage au Rwanda et qui ont bien voulu nous
faire entendre leurs voix.
Pour la documentation, nous sommes redevables au Centre des
Nations Unies pour les Droits de l'Homme et la Démocratie en Afrique
centrale et au Centre d'information et de documentation du Tribunal
Pénal International pour le Rwanda sis à Kigali.
A u membre de la famille en particulier Serge BOUNDA,
Arsène BOUNDA et notre maman Pauline MIDOU, à notre tutrice
Josette KADJI, à nos amis Henri NGANGA, Hervé TCHUMKAM, Ludovic
ITSOUA-MADZOUS, Halachi MAVOUNGOU, Son Excellence Monsieur le Ministre Moussa
SINKO COULIBALY, Bekaye COULIBALY, Josué MIHAMBANOU, Souleymane BAMBA,
Kabiru MUKTHAR, Serge MOURATH, Céline JAATSA, Paule NTAMACK, Pierre MBA,
au Professeur Ambroise KOM, à nos camarades de la troisième
promotion de `Masters of Peace and Development studies' : nous exprimons notre
gratitude pour les encouragements et les aides diverses que les uns et les
autres nous ont apportées.
Nous remercions également toutes celles et tous ceux
qui ont contribué de près ou de loin, à
l'élaboration de ce travail et dont nous n'avons pas mentionné
les noms ici.
Enfin, au bon Dieu d'avoir guidé notre choix vers cette
formation ainsi que pour sa miséricorde et son immense amour à
notre endroit.
L'UNIVERSITE PROTESTANTE D'AFRIQUE CENTRALE (UPAC)
N'ENTEND DONNER AUCUNE APPROBATION OU IMPROBATION AUX OPINIONS
EMISES DANS CE MEMOIRE. LESDITES OPINIONS DOIVENT ETRE CONSIDEREES COMME
PROPRES A LEURS AUTEURS.
SOMMAIRE
DEDICACE iREMERCIEMENTS iiSOMMAIRE iv
RESUME v
ABSTRACT viABBREVIATIONS, ACCRONYMES ET SIGLES
viiINTRODUCTION 1
I. Importance et intérêt du sujet 3
II. Limitation du sujet ou champ d'analyse 6
III. Revue de la littérature (Etat de la question) 7
IV. Question de recherche 14
V. Hypothèses 15
VI. Aspects méthodologiques 15
VII. Définition ou discussion théorique autour des
concepts clés 20
VIII. Organisation du travail 22
PREMIERE PARTIE : LE DEPLOIEMENT DE L'INSTITUTION
JUDICIAIRE DANS LE
CONTEXTE POST-GENOCIDE AU RWANDA 23 CHAPITRE
PREMIER : LA DEMARCHE JUDICIAIRE DANS LE PROCESSUS DE JUSTICE TRANSITIONNELLE
AU PLAN NATIONAL 25 CHAPITRE DEUXIEME : LA MOBILISATION DE LA DEMARCHE
JUDICIAIRE INTERNATIONALE : LE TRIBUNAL PENAL INTERNATIONAL POUR LE RWANDA
58
DEUXIEME PARTIE : BILAN MITIGE DE LA DEMARCHE JUDICIAIRE
DANS LE
PROCESSUS DE JUSTICE TRANSITIONNELLE AU RWANDA
80 CHAPITRE TROISIEME : LA DEMARCHE JUDICIAIRE DANS
LE PROCESSUS DE JUSTICE TRANSITIONNELLE : UNE CONTRIBUTION SIGNIFICATIVE A LA
CONSOLIDATION DE LA PAIX ET AU DEVELOPPEMENT 82 CHAPITRE QUATRIEME :
LA DEMARCHE JUDICIAIRE DANS LE PROCESSUS DE JUSTICE TRANSITIONNELLE :
UNE CONTRIBUTION INSUFISANTE A LA DYNAMIQUE
DE RETOUR A LA PAIX 106
CONCLUSION 130
BIBLIOGRAPHIE 142
GLOSSAIRE 149
ANNEXES ix
TABLE DE MATIERE xxii
RESUME
La présente étude qui porte sur La
mobilisation de la démarche judiciaire dans le processus de justice
transitionnelle en sociétés post-conflit : le cas du Rwanda,
s'attèle à montrer comment la démarche judiciaire se
mobilise dans le processus de justice transitionnelle. Elle analyse les
institutions de la justice transitionnelle au Rwanda, met en relief les
succès enregistrés et les sujets de préoccupation et
formule des recommandations visant à renforcer les institutions de la
justice transitionnelle. En effet, le Rwanda a eu recours aux mécanismes
de justice transitionnelle, inspirés d'une part du droit pénal
international et de l'autre, de la tradition africaine, dans le but de
redresser des situations exceptionnelles où des crimes d'une
gravité inouïe ont été commis. Notre objectif dans le
présent travail est de savoir si les institutions de la justice
transitionnelle ont réellement contribué à consolider et
à assurer une paix durable au Rwanda. Nous nous sommes servis du
fonctionnalisme et des approches socio-historique, juridique et holistique.
Dans la première partie de l'étude intitulée « le
déploiement de l'institution judiciaire dans le contexte
post-génocide au Rwanda » nous avons tout d'abord
étudié la démarche judiciaire dans le processus de justice
transitionnelle au plan national. L'accent a été mis sur le
génocide à la mise en place des institutions de la justice
transitionnelle. Nous avons ensuite analysé les juridictions classiques
ainsi que les juridictions Gacaca qui sont les institutions de la
justice transitionnelle au plan national. Ensuite, nous avons analysé la
mobilisation de la démarche judiciaire internationale à travers
le Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR) notamment son
apport dans la lutte contre l'impunité. La deuxième partie de
l'étude s'est quant à elle focalisée sur « le bilan
mitigé de la démarche judiciaire dans le processus de justice
transitionnelle au Rwanda ». A travers le droit aux garanties de
non-répétition : soutien au rétablissement et au
renforcement de l'Etat de droit, à travers la réconciliation, la
promotion de la gouvernance inclusive et la réforme du secteur de
sécurité, nous avons ressorti comment la démarche
judiciaire dans le processus de justice transitionnelle a contribué de
façon significative à la consolidation de la paix : au
renforcement des droits de l'homme et à la promotion de la
réconciliation au Rwanda. Après cela, l'étude a
analysé la contribution insuffisante à la dynamique de la paix de
la démarche judiciaire dans le processus de justice transitionnelle.
L'accent a été mis sur les obstacles qui entravent la bonne
réalisation de la justice transitionnelle. Au terme de ces analyses, il
ressort que la justice transitionnelle relève d'une importance
particulière au Rwanda en ce sens qu'elle punit les criminels mais aussi
établit une paix durable en faisant la lumière sur ce qui s'est
passé et en permettant une réconciliation pour les
sociétés divisées et meurtries par des abus et violations
massives de droits humains lors d'un conflit ou d'un génocide. A travers
les Juridictions Gacaca, le Rwanda constitue un modèle
d'implication communautaire dans l'administration de la justice pénale
internationale. Même si les Gacaca n'ont pas été
très efficaces, les pays qui doivent gérer un lourd passé
peuvent s'en inspirés. Ce mécanisme produirait de bons
résultats, à condition qu'il ne soit ni manipulé par les
autorités politiques ni dénaturé, notamment en lui
octroyant une compétence exorbitante qui dépasse ses
capacités. En effet le travail des Juridictions Gacaca est
remarquable sur le plan qualitatif et quantitatif en dépit de quelques
limites. Les tribunaux Gacaca sont les plus efficaces et les plus
dynamiques des initiatives lancées après le génocide
à des fins de justice et de réconciliation. A l'issue de cette
étude, il convient également de remarquer que malgré les
vicissitudes du système judiciaire international qui
émaillèrent sa création, le TPIR constitue un outil de
premier plan dans la reconnaissance juridique internationale du génocide
perpétré contre les Tutsi. En somme, malgré les
imperfections du TPIR et des tribunaux Gacaca, on peut estimer et
souligner qu'un effort de justice a été effectué au Rwanda
ce qui a abouti à une société plus respectueuse du droit.
En dépit de quelques petites imperfections, du reste mineures, nous
soulignons que la justice transitionnelle constitue une importante contribution
à la paix, à la reconstruction post-conflit dans l'histoire du
Rwanda.
ABSTRACT
This study entitled mobilisation of the judicial procedure
in the transitional justice process in post-conflict societies: the case study
of Rwanda, aims at demonstrating how the judicial procedure is mobilised
in the transitional justice process. It makes an analysis of the institutions
involved in transitional justice in Rwanda, exposes its breakthroughs and
bottlenecks, and finally makes some recommendations in order to strengthen the
transitional justice institutions. In fact, Rwanda used transitional justice
mechanisms, inspired by international criminal law and African tradition, in a
bid to find solutions to the traumatic situations where serious crimes had been
perpetrated. Our goal in this study is to find out whether the transitional
justice institutions really contributed to consolidate and ensure sustainable
peace in Rwanda. We used the functionalist theory as well as socio-historic,
legal and holistic approaches. In the first part of the study entitled
«The judicial institution in action in the Rwanda post-genocide
context», we first analysed the judicial procedure in the transitional
justice process at the national level. We laid emphasis on the genocide and the
creation of the transitional justice institutions thereof. We further analysed
the classic jurisdictions and the Gacaca jurisdictions, which are transitional
justice institutions at the national level. Thereafter, we analysed the
mobilisation of the international judicial approach through the International
Criminal Tribunal for Rwanda (ICTR) notably, its contribution to the fight
against impunity. The second part of the study focused on the «mixed
results of the judicial procedure in the transitional justice process in
Rwanda». Through the right to guarantees of non-repetition: support to the
restoration and building of rule of law, reconciliation, promotion of inclusive
governance and reform of security sector, we brought out the way the judicial
procedure in the transitional justice process significantly contributed to the
promotion of peace consolidation: building of human rights and promotion of
reconciliation in Rwanda. Secondly, the study analysed the perfectible
contribution to the peace dynamic of the judicial procedure in the transitional
justice process. We laid emphasis on the obstacles that hinder the smooth
achievement of transitional justice. At the end of the analyses, it appears
that transitional justice is very important for Rwanda in the sense that it
punishes the criminals but also establishes sustainable peace by revealing the
truth on the events that happened and by enabling reconciliation among the
societies divided and traumatised by human right abuses and violations during a
conflict or genocide. Through the Gacaca jurisdictions, Rwanda constitutes a
model of community involvement in the administration of international criminal
justice. Even though the Gacaca have not been quite efficient, countries which
are to manage a difficult past may thereof draw their inspiration. This
mechanism would produce good results, provided it is not instrumented by
political authorities nor distorted, notably by assigning it a complex mandate
which goes beyond its capacities. In fact, the mandate of the Gacaca
jurisdictions is noteworthy both in quality and quantity despite some
bottlenecks. The Gacaca are the most efficient and dynamic initiatives launched
after the genocide for justice and reconciliation. At the end of this study, it
is also worth mentioning that in spite of the difficulties of the international
criminal system during its creation, the ICTR is a key instrument in the
international legal acknowledgment of the genocide perpetrated against Tutsis.
In a nutshell, in spite of the imperfections of the ICTR and the Gacaca
tribunals, it can be said and underlined that an effort towards justice has
been made in Rwanda, which led to the edification of a society more respectful
of the law; In spite of some imperfections, quite little actually, we strongly
emphasized that transitional justice is a main contribution to peace and
post-conflict reconstruction in Rwanda history.
ABBREVIATIONS, ACCRONYMES ET SIGLES
APR : Armée Patriotique Rwandaise.
CDR : Coalition pour la Défense de la République.
CEA : Communauté Est Africaine.
CPI : Cour Pénale Internationale.
DAM : Département de l'Appui aux Missions.
DDR : Désarmement, Démobilisation et
Réintégration des ex-combattants. DOMP : Département des
Opérations de Maintien de Paix.
FAR : Forces Armées Rwandaises.
FINUL : Force Intérimaire des Nations Unies au Liban.
FMI : Fond Monétaire International.
FPR : Front Patriotique Rwandais.
Ibid. : Ibidem.
Ibidem : Au même endroit dans l'ouvrage déjà
cité.
Idem. : Même chose.
ICG : International Crisis Group.
MINUAD : Mission des Nations Unies et de l'Union Africaine au
Darfour. MINUAR : Mission des Nations Unies pour l'Assistance au Rwanda. MONUC
: Mission de l'Organisation des Nations Unies au Congo.
MONUSCO : Mission de l'Organisation des Nations Unies pour la
Stabilisation au Congo. MRND(D) : Mouvement Révolutionnaire National
pour le Développement (et la Démocratie). NU : Nations Unies.
OCDE : Organisation de Coopération et de
Développement Economique. OMD : Objectifs du Millénaire pour le
Développement.
ONG : Organisation non gouvernementale.
ONU : Organisation des Nations Unies.
Op. Cit. : (Opera Citato) dans l'ouvrage cité avant.
PNUD : Programme des Nations Unies pour le
Développement.
RDB : Rwanda Development Board.
PDD : `Directive de Décision Présidentielle'.
RDF : Rwanda Defence Force.
RSS : Réforme du Secteur de la Sécurité.
RTLM(C) : Radio télévision libre des Mille
collines.
TPIR : Tribunal Pénal International pour le Rwanda,
basé à Arusha en Tanzanie TPIY : Tribunal Pénal
International pour l'ex-Yougoslavie
UPAC : Université Protestante d'Afrique Centrale à
Yaoundé au Cameroun
VIH/SIDA : Virus de l'Immunodéficience Humaine/Syndrome
Immunodéficitaire Acquis
INTRODUCTION
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
La nouvelle nature des conflits post-guerre froide a aussi
inspiré de nouvelles approches de consolidation de la paix. Ces
approches sont génératrices de nouvelles dynamiques sociales
politiques, juridiques, de réconciliation ou de reconstruction. La
consolidation de la paix a lieu généralement après la
série d'activité de paix et de sécurité telles que
la diplomatie préventive1, le rétablissement de la
paix2, l'imposition de la paix3, et le maintien de la
paix4. La consolidation de la paix est en fait un processus à
long terme des conditions préalables à une paix durable qui
englobe un certain nombre d'activités notamment : la
démobilisation, le désarmement et la réintégration
(DDR); les efforts pour renforcer le rôle des femmes dans toutes les
prises de décisions (Résolution 1325 du Conseil de
Sécurité des Nations Unies); la réforme du secteur de la
sécurité (RSS); l'assistance technique à l'appui du
développement économique; la protection et la promotion des
droits de l'homme et la justice transitionnelle. Nous nous intéressons
à la justice transitionnelle. En effet, depuis la fin des années
1980, plusieurs sociétés sorties de conflits violents ou d'un
pouvoir autoritaire décident de faire face aux legs de graves abus et
violations des droits humains et du droit international humanitaire, en
adoptant des mesures de justice transitionnelle. Les processus de paix doivent
tenir compte du sort des groupes les plus marginalisés dans une
société affectée par le conflit. La recherche de la
justice, l'octroi de réparations ou de dédommagement peuvent
être un important moyen de trouver des solutions au malheur des
communautés et des individus affectés par le conflit. Les pays
d'Afrique connaissant des situations de post-conflit ont ainsi
été témoins de certaines des initiatives les plus connues
dans le domaine de la justice transitionnelle5. De manière
générale, la justice transitionnelle fait écho à
l'intérêt grandissant des questions liées à la
consolidation de la paix et à l'Etat de droit dans des
sociétés sortant d'un conflit. Le processus de
rétablissement de l'Etat de droit dans une société en
1 Selon le module Introduction au Maintien de
la Paix des Nations Unies, la prévention des conflits renvoie au
recours à des mesures diplomatiques ou à d'autres instruments
pour empêcher les tensions inter-ou intra-Etat de
dégénérer en conflit violent.
2 Ce sont des mesures pour résoudre des
conflits existants. Le rétablissement de la paix fait souvent intervenir
des initiatives diplomatiques dont l'objectif est d'amener les parties adverses
à négocier un accord.
3 Ce sont des mesures coercitives, y compris
l'emploi de la force militaire, qui servent à rétablir la paix et
la sécurité internationales. Ces mesures ont lieu uniquement avec
l'autorisation du Conseil de sécurité. Elles peuvent être
autorisées sans le consentement des parties au conflit s'il y a une
menace pour la paix et la sécurité internationales ou à
des fins humanitaires et de protection. On y trouve des différences
importantes entre le maintien de la paix `robuste' et l'imposition de la
paix.
4 Le maintien de la paix est conçu pour
préserver la paix lorsque les combats ont cessé, et concourt
à mettre en oeuvre les accords de paix. Il peut comprendre : des
techniques principalement militaires d'observation des cessez -le-feu ou des
modèles complexes et multidimensionnels, faisant intervenir des
militaires, des civils et la police.
5 Nous citons ici la Commission sud-africaine de
Vérité et de Réconciliation, le Tribunal Pénal
Internationale pour le Rwanda, la Cour spéciale pour la Sierra Leone, la
Commission Vérité et Réconciliation de la Sierra Leone et
le processus de Gacaca au Rwanda.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
reconstruction post conflictuelle est gouverné
essentiellement par le principe de justice. Justice pénale pour les
victimes et contre les criminels, justice réparatrice pour l'ensemble de
la communauté.
I. Importance et intérêt du sujet
Une principale raison motive et sous-tend le choix du
présent sujet
La justice transitionnelle est apparue ces vingt
dernières années comme une discipline en plein essor des champs
plus vastes des droits de l'homme et de résolution de
conflits6. Elle est axée sur la manière dont les
sociétés en transition de la guerre à la paix ou d'un
régime autoritaire à la démocratie abordent le legs des
exactions passées. Dans son rapport relatif au «
rétablissement de l'Etat de droit et administration de la justice
pendant la période de transition dans les sociétés en
proie à un conflit ou sortant d'un conflit », l'ancien
Secrétaire Général des Nations Unies, Kofi Annan,
présente la justice transitionnelle comme un moyen de consolidation de
la paix. Il affirme :
il ressort clairement de notre expérience de ces
dernières années qu'il n'est pas possible de consolider la paix
dans la période qui suit immédiatement la fin du conflit et de la
préserver durablement, que si la population est assurée d'obtenir
réparation à travers un système légitime de
règlement des différends et l'administration équitable de
la justice 7.
De cette déclaration, il apparaît clairement que
pour sortir durablement de la violence, et mettre en place une paix durable, il
est judicieux de recourir à des mesures de réparation
réellement adaptées : celle de justice transitionnelle qui prend
en compte les commissions de vérité et réconciliation, les
programmes de réparations, les poursuites pénales8 et
de nos jours, les besoins sexospécifiques9. La justice
transitionnelle lutte en effet contre l'impunité pour des crimes
effectués durant la période de conflit ; c'est ainsi que Ban
Ki-Moon, Secrétaire
6 Depuis la fin de la guerre froide, la justice
transitionnelle est devenue le nouveau mantra des relations internationales. En
effet, en l'espace de deux décennies, la justice pénale
internationale a connu un développement sans précédent,
les commissions vérité se sont multipliées aux quatre
coins du monde, les paroles de repentir et l'octroi de réparations aux
victimes de violations des droits humains se sont multipliés.
7 Rapport du Secrétaire
Général des Nations Unies devant le Conseil de
sécurité, « Rétablissement de l'Etat de droit et
administration de la justice pendant la période de transition dans les
sociétés en proie à un conflit ou sortant d'un conflit
», Doc. S/2004/616, 23 août 2004, p. 7, paragraphe 8.
8 Les poursuites pénales des crimes les plus
graves sont des outils essentiels dans l'établissement d'un Etat de
droit et d'une paix durable dans les sociétés sortant d'un
conflit.
9 Il est en fait impératif de bien
comprendre comment la guerre, le conflit ou la dictature affectent de
manière différenciée les femmes, les hommes, les enfants
et les personnes âgées. Sans mesures spécifiques pour les
uns et les autres, on pourra difficilement mener à bien la
réhabilitation des victimes. Il faudrait tenir compte des nouveaux
rôles et fonctions assumées par les uns et les autres pendant de
longues années de conflit, notamment en matière de division des
rôles entre femmes et hommes peut s'avérer être une nouvelle
épreuve douloureuse.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
général des Nations Unies réaffirme avec
vigueur « le refus collectif de l'impunité pour les auteurs de
crimes contre l'humanité »10. A cet outil de nature
répressive fondée sur les poursuites des auteurs d'exactions
massives, s'ajoute la justice restauratrice qui vise davantage la
réconciliation nationale.
La justice transitionnelle relève donc d'une importance
particulière en ce sens qu'elle punit les criminels mais aussi
établit une paix durable en faisant la lumière sur ce qui s'est
passé et en permettant une réconciliation pour les
sociétés divisées et meurtries par des abus et violations
massives de droits humains lors d'un conflit. Selon les Normes de formation
aux opérations ONU de maintien de la paix préalable au
déploiement, modules pour la formation obligatoire préalable au
déploiement, la violation des droits de l'homme est un terme qui
indique que « les droits de l'homme ont été
violés par l'action (ou l'omission) d'un responsable ou agent de l'Etat,
par exemple un agent de police, un soldat, un juge, un administrateur local ou
un parlementaire dans l'exercice réel ou présumé de ses
fonctions »11. L'abus des droits de l'homme pour sa part
est un terme général qui englobe « les abus des droits
de l'homme commis par des acteurs non affiliés à l'Etat tels que
les groupes rebelles, les personnes morales etc. »12.
Sujet d'actualité, la justice transitionnelle devient
un moyen de consolidation de la paix qui attire notre attention d'où
l'importance de cette étude qui s'attèle à montrer comment
la démarche judiciaire se mobilise dans le processus de justice
transitionnelle. Il s'agit de voir à travers un cas de figure si les
institutions de la justice transitionnelle ont aidé et servi à la
consolidation de la paix et à la réconciliation en situation post
génocide.
L'importance scientifique et
académique de ce sujet est d'enrichir des travaux
académiques portant sur la justice transitionnelle et notamment sur le
Rwanda. En effet, il sied de souligner que la justice transitionnelle est une
discipline relativement récente ; ce n'est qu'à partir des
années 2000 qu'elle est désormais enseignée dans certaines
universités de par le monde. C'est aussi dans cette logique que
s'inscrit notre recherche puisque la justice transitionnelle occupe maintenant
une place considérable dans le milieu universitaire; elle affirme les
nouvelles valeurs des sociétés et de la communauté
internationale13. Il est donc
10 BAN KI-Moon, « L'ère de
l'impunité des bourreaux doit se clore », Le Monde,
1er juin 2010.
11 Normes de formation aux opérations ONU
de maintien de la paix préalables au déploiement, modules pour la
formation obligatoire préalable au déploiement, DOMP et DAM
des Nations Unies, 1e éd., 2009.
12 Idem.
13 Il ressort de nos différentes lectures que
la communauté internationale a investi financièrement,
politiquement et symboliquement dans les programmes de DDR ainsi que dans les
politiques de pardon et de châtiment
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
nécessaire pour nous de faire une étude
approfondie afin que les politiques à venir en matière de justice
transitionnelle aient les meilleures chances d'atteindre les buts
immédiats tels que mettre fin à l'impunité et restaurer la
dignité des victimes, ainsi que les buts à plus long terme de
stabilisation, prévention des conflits, réconciliation et
restauration de la confiance au sein des populations. Cette étude permet
de comprendre comment les expériences de la justice transitionnelle
contribuent au renforcement des droits de l'homme et à la promotion de
la réconciliation au Rwanda. Elle permet également de voir la
manière dont l'ONU14, à travers les mécanismes
judicaires tels que les tribunaux pénaux internationaux s'y prend pour
résoudre les conflits et consolider la paix. Ce travail met en exergue
les forces et les faiblesses de la justice transitionnelle au Rwanda et
précise à travers nos recommandations quelles mesures devraient
être préconisées pour atteindre l'objectif de
reconstruction d'une paix durable.
Intérêt de l'étude :
cette étude revêt pour nous un double intérêt : d'un
côté, un intérêt personnel et de l'autre, un
intérêt théorique et pratique. Au plan personnel, ayant
perdu un grand frère qui a été exécuté et
enterré dans une fosse commune lors de la guerre civile de 1997-1998 au
Congo Brazzaville, ce dernier comme beaucoup d'autres congolais n'ont jamais
connu de justice transitionnelle qui a pour but de s'attaquer à des
évènements survenus en contexte de crise, afin de concilier les
impératifs de justice (lutte contre l'impunité) et de
réconciliation, seule garantie de paix et de protection des droits de
l'homme (droit à la vérité, réparation dues aux
victimes etc.). Suite à cet évènement tragique que nous
avions vécu, il nous apparaît clairement qu'en situation
post-conflit, la justice transitionnelle est l'unique voie pour panser les
blessures et les rancoeurs du passé, pour surmonter les traumatismes
physiques et psychiques survenus lors des événements
tragiques.
Au niveau théorique, cette étude présente
la justice transitionnelle comme l'ensemble des mécanismes mis en place
par une société donnée pour faire face à un
passé marqué par des abus et des violations graves des droits de
l'homme et /ou du droit international humanitaire. Dans la présente
analyse, ce passé est caractérisé par le génocide
et la guerre civile. De façon globale, trois types de mécanismes
de justice transitionnelle ont souvent été mis en place : des
mécanismes de justice pénale qui consistent à créer
des juridictions
14 Les Nations Unies sont les acteurs essentiels de
la justice transitionnelle. En effet, sous l'égide du Chapitre VII de la
Charte des Nations Unies, le Conseil de Sécurité des Nations
Unies a crée des instruments de la justice pénale internationale
à l'instar du tribunal ad hoc du Rwanda.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
pénales- internationales15,
hybrides16 ou nationales17 pour poursuivre
pénalement ceux qui sont soupçonnés d'avoir commis des
abus ; des institutions de justice réparatrice ou de
réconciliation comme des commissions vérité et
réconciliation18, et des programmes des réformes des
institutions19. Dans nombre de sociétés qui sont
sorties d'une période de conflits meurtriers, on a assisté au
déploiement de toute une gamme de mesures visant à faire face au
lourd héritage d'un passé de violations massives et
systématique des droits de l'homme. Il s'agit d'efforts pour engager des
poursuites judiciaires contre les auteurs des plus graves violations, de
commissions de vérité et réconciliation qui sont mises en
place pour rapprocher les communautés, d'efforts visant à
indemniser les victimes ou leurs survivants et à honorer la
mémoire des personnes tuées et des disparus. L'on est en droit de
constater que la justice transitionnelle occupe désormais une place de
plus en plus importante dans les analyses sur les mécanismes de
résolution de conflits et d'instauration d'une paix durable ; elle a
influencé la dynamique de résolution des conflits.
II. Limitation du sujet ou champ d'analyse
La présente étude analyse les institutions de la
justice transitionnelle au Rwanda. En relation avec la consolidation de la
paix, elle ressort leurs effets et leur portée sur les plans
théoriques et pratiques. Elle fournit à la fois une étude
des objectifs et des mécanismes principaux de la justice transitionnelle
et une évaluation de certaines contraintes et certains dilemmes
entravant l'accomplissement de ces objectifs. Notre délimitation est
spatiale et temporelle.
S'agissant de la dimension spatiale, nous avons porté
notre choix sur le Rwanda. Ce choix est motivé par le fait que ce pays a
eu recours aux mécanismes de justice transitionnelle, inspirés
d'une part du droit pénal international et de l'autre, de la tradition
africaine, dans le but de redresser des situations exceptionnelles où
des crimes d'une gravité inouïe ont été commis.
15 Les tribunaux militaires de Tokyo et de Nuremberg,
les tribunaux pénaux internationaux pour le Rwanda et l'ex-Yougoslavie
et la Cour Pénale Internationale.
16 La Cour spéciale pour la Sierra Leone, les
chambres spéciales des cours serbes et kosovar ainsi que les chambres
extraordinaires des cours cambodgiennes.
17 Les poursuites devant les juridictions nationales
au Rwanda, au Chili et en Argentine, le procès Papon et Touvier en
France.
18 Les plus remarquées ont été
créées en Afrique du sud, en Sierra Leone, au Liberia, au Chili
et au Maroc
19 Les réformes du secteur de la
sécurité, les programmes DDR etc.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
Pour ce qui est de la dimension temporelle, au Rwanda, la
justice transitionnelle est axée presque exclusivement sur les
poursuites pénales du génocide de 1994. Nous nous situons donc
dans la période allant d'après le génocide où les
mécanismes de justice transitionnelle ont été mis en place
jusqu'à l'année 2012. Mais, nous restons attentives à
l'ère du génocide au cours de laquelle les violations massives
des droits de l'homme ont été commises. L'analyse
présentera la structuration de la justice transitionnelle dans ce pays,
son évolution et son dynamisme.
III. Revue de la littérature (Etat de la
question)
Cette étude s'inscrit dans la filiation d'autres
travaux qui ont déjà été faits par le passé
sur la justice transitionnelle. Elle soulève certains problèmes
qui ont déjà été documentés par d'autres,
mais s'efforce d'analyser spécifiquement la mobilisation de la
démarche judiciaire dans le processus de justice transitionnelle dans sa
globalité dans le contexte post-génocide rwandais. La
présente étude met en relief les réalisations, les
succès enregistrés et les sujets de préoccupations et
formule des recommandations spécifiques visant à renforcer les
institutions de la justice transitionnelle au Rwanda. En effet, quelques
études ont été faites sur la justice transitionnelle en
Afrique20 mais nous prenons appui aux actes de la première et
la deuxième conférence sur la justice transitionnelle
organisées par Le Centre des Nations Unies pour les Droits de l'Homme et
la Démocratie en Afrique centrale, respectivement en 2007 et en 2009
ainsi qu'aux textes précis de quelques auteurs.
La première conférence internationale a
porté sur l'état des lieux de la justice transitionnelle dans
le monde francophone21. La spécificité des actes
de cette conférence réside dans le fait qu'ils font l'état
des lieux des initiatives de justice transitionnelle dans les
sociétés du monde francophone notamment africain. Il s'agissait
au cours de ce séminaire international entre autres de
réfléchir aux modalités pratiques d'application de la
justice
20 Citons notamment David Hazan, Juger la
guerre, juger l'histoire. Du bon usage des commissions Vérité et
de la justice internationale, Paris, PUF, 2007 ; Claire Auzias, Odile
Belinga et al., Crimes de masse au XXe siècle :
Génocides, Crimes contre l'humanité, Lyon, Aléas,
2008 ; Pierre Hazan, « Measuring the impact of punishment and forgiveness
: a framework for evaluating transitional justice » dans le volume 88,
N° 861, mars 2006, pp. 343-365, de la International Review of the Red
Cross; Christian Nadeau, « Responsabilité collective, justice
réparatrice et droit pénal international » in Revue
française de science politique, juin 2008, Volume 58, p. 915- 931 ;
Eric Brahm, « Getting to the Bottom of Truth : Evaluating the Contribution
of Truth Commissions to Post-Conflict Societies », paper presented at the
International Studies Association Annual Meeting, Honolulu, Hawaï, March
1-5, 2005; International for Transitional Justice, « Etude de cas de
tribunaux hybrides : le tribunal spéciale pour la Sierra Leone sur la
sellette », ICTJ, 5 mars 2006. Nous ajouterons de même les
Conventions de Genève, les principes du droit international, le Statut
de Rome et la création de la Cour pénal internationale qui ont
permis de faire un pas en avant sur la justice transitionnelle.
21 Ce séminaire a eu lieu du 4 au 6
décembre 2006 au Mont Fébé à Yaoundé au
Cameroun.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
transitionnelle dans les régimes de tradition
française et dans les différents contextes juridiques, culturels
et politiques africains. Les actes de ce colloque identifient ainsi les
concepts, les leçons apprises et les bonnes pratiques en matière
de justice transitionnelle ; identifient les principaux défis qui se
sont posés aux initiatives prises en matière de justice
transitionnelle dans les sociétés du monde francophone, comme les
mécanismes de recherche de la vérité dans plusieurs pays
africains, les efforts engagés dans la lutte contre l'impunité et
les tensions entre la paix et la justice qu'elle engendre dans certains pays en
transition. Ils identifient également un certain nombre de
stratégies à mettre en oeuvre à court et à moyen
terme, qui permettent de développer de meilleures pratiques sur le
terrain, des échanges d'expériences, le renforcement des
capacités et des connaissances des acteurs, des praticiens et des
décideurs politiques, ainsi que la recherche dans le domaine de la
justice transitionnelle. Après lecture de ces actes, il ressort que les
experts et praticiens de la justice transitionnelle ont approfondi la
réflexion sur les exigences de la paix, de la réconciliation et
de la justice, qui sont de grande actualité dans de nombreux pays du
continent africain et dans le monde francophone en général.
La deuxième conférence régionale quant
à elle a porté sur La justice transitionnelle : une voie vers
la réconciliation et la construction d'une paix
durable22. Les actes de cette conférence
présentent de manière diversifiée et cohérente, les
expériences faites dans l'application des mécanismes de justice
transitionnelle dans l'espace francophone, en référence aux
quatre volets principaux de la justice transitionnelle. Subdivisé en
deux parties, la première partie des actes du colloque fait office
d'introduction et elle est consacrée à des clarifications
conceptuelles tandis que la deuxième partie, s'intéresse aux
expériences de la mise en oeuvre des `piliers' de la justice
transitionnelle en Afrique francophone. Yaoundé II23 a
abordé des questions telles que : comment traiter du passé ?
Comment réconcilier les acteurs de conflits ? Comment développer
des mécanismes efficaces de promotion et de consolidation de la paix ?
Sur ce, les acteurs impliqués ont dégagé une
stratégie adapté à l'analyse et aux réalités
de terrain en vue de renforcer l'engagement des processus de paix et leur
impact. De façon générale, les actes de la deuxième
conférence se focalisent sur comment les pays tentant d'avancer vers la
démocratie et l'état de droit après un régime
autoritaire ou un conflit violent règlent concrètement
l'héritage des anciennes violations des droits de l'homme. Les
travaux
22 Cette conférence a été
organisée du 17 au 19 novembre 2009 au Mont Fébé à
Yaoundé au Cameroun par le Centre des Nations Unies pour les Droits de
l'Homme et la Démocratie en Afrique Centrale.
23 Yaoundé II en références
à la première conférence sur la justice transitionnelle
qui a eu lieu du 4 au 6 décembre 2006 à Yaoundé au
Cameroun.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
de Yaoundé II ont été abordés dans
le cadre de l'examen des enjeux de la justice et de la paix dans les situations
de conflit et post-conflit. Les travaux de Jean-Emmanuel Pondi24,
d'Alain Didier Olinga25 et de Carol Mottet26 pour ne
citer que ceux-ci ont été d'une grande richesse. En effet, dans
son article intitulé « Traitement du passé : quels
défis et quelles opportunités pour une paix durable ?
»27, Carol Mottet a légitimé la prise en compte
des leçons apprises de la justice transitionnelle notamment dans trois
directions. Il s'est agi d'abord de s'interroger, du point de vue de la
participation, des consultations et de l'appropriation, sur les raisons qui
fondent le succès de certains processus. Ensuite, de faire le point sur
la justice transitionnelle dans sa relation avec les droits économiques,
sociaux et culturels. Enfin, l'urgence de la détermination et de
l'intégration des critères de la justice transitionnelle dans
tous les processus de désarmement, démobilisation et
réintégration. Jean-Emmanuel Pondi dans « Contexte moderne
de la justice transitionnelle », quant à lui dégage tour
à tour le poids du contexte, des acteurs et des enjeux dans le processus
de recherche d'une paix durable dans le cadre d'une justice transitionnelle.
Pour Pondi, la justice transitionnelle peut être définie de
façon succincte et sommaire comme un mécanisme qui accompagne le
passage d'une société donnée, vivant dans un espace temps
quelconque, d'un ordre chaotique vers un ordre apaisé. Elle est donc
l'outil et la modalité par lesquels la phase du consensus doit
succéder à la phase de l'affrontement. Et, comme telle, elle
appelle une étude extrêmement serrée du contexte, des
acteurs au conflit et des enjeux. Jean-Emmanuel Pondi parle ainsi d'une justice
particularisée et préconise qu'il ne s'agit guère
d'appliquer à l'aveuglette des concepts globaux et classiques du droit,
mais au contraire, de tenir compte, de façon systématique, des
enseignements que procure la culture, la sociologie et le droit coutumier du
lieu où elle s'applique. Alain Didier Olinga dans « Justice et paix
: comment se combinent-elles et s'enrichissent-elles mutuellement dans les
processus de paix ? » a proposé l'image tirée de la Sainte
Bible, de la justice et de la paix qui s'embrassent pour aiguiller l'analyse,
inviter à une attention particulière et à la prudence,
suggère fortement qu'il n'y a « ni schéma, ni mode
d'emboîtement, ni prêt-à-penser passe partout et
généralisable de la justice et de la paix
»28. Alain Didier Olinga a recommandé que la paix
soit abordée comme étant la permanence de la
24 Voir la contribution de Jean-Emmanuel Pondi,
« Contexte moderne de la justice transitionnelle » in La justice
transitionnelle : une voie vers la réconciliation et la construction
d'une paix durable, Saint-Paul, Yaoundé 2011, pp. 27 à
29.
25 Voir la contribution d'Alain Didier Olinga, «
Justice et paix : comment se combinent-elles et s'enrichissentelles
mutuellement dans les processus de paix ?, Ibid., pp. 31 à
35.
26 Voir la contribution de Carol Mottet, «
Traitement du passé : quels défis et quelles opportunités
pour une paix durable ? », Ibid., pp. 43 à 55.
27 Idem.
28 Alain Didier Olinga, Op. cit., p. 35.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
justice dans une société
réconciliée. Selon Alain Didier Olinga, il convient
d'appréhender la justice transitionnelle comme « une
boîte à outils dans laquelle il faut puiser lucidement pour
constituer un cocktail opérationnel, en vue d'affronter chaque contexte
de transition vers la paix en fonction de sa configuration, de ses
réalités et de la pertinence opératoire de tel ou tel
outil »29.
Pour baliser notre étude, nous avons fait recours aux
travaux de Louis Joinet notamment dans son rapport Question de
l'impunité des auteurs des violations des droits de l'homme (civils et
politiques)30. En effet, à sa quarante-troisième
session (août 1991), la SousCommission31 a demandé
à l'auteur du présent rapport d'entreprendre une étude sur
la question de l'impunité des auteurs de violations des droits de
l'homme. Au fil des ans, l'étude a permis de constater que l'on peut
ramener à quatre les étapes qui ont jalonné
l'évolution de la prise de conscience, par la communauté
internationale, des impératifs de la lutte contre l'impunité.
L'ensemble de principes pour la protection et la promotion des droits de
l'homme par la lutte contre l'impunité de Louis Joinet se résume
ainsi en quatre éléments : le droit de savoir de la victime ; le
droit de la victime à la justice ; le droit à la
réparation de la victime et une série de mesures destinées
à garantir le non- renouvellement des violations. Pour ce qui est du
droit de savoir de la victime, il ne s'agit pas seulement du droit individuel
qu'a toute victime, ou ses proches, de savoir ce qui s'est passé en tant
que droit à la vérité. Le droit de savoir est aussi un
droit collectif qui trouve son origine dans l'histoire pour éviter
qu'à l'avenir les violations ne se reproduisent. Il a pour contrepartie,
à la charge de l'Etat, le "devoir de mémoire" afin de se
prémunir contre ces détournements de l'histoire qui ont pour nom
révisionnisme et négationnisme; en effet, la connaissance, par un
peuple, de l'histoire de son oppression appartient à son patrimoine et
comme telle doit être préservée. Telles sont les
finalités principales du droit de savoir en tant que droit collectif.
Deux séries de mesures sont proposées à cet effet. La
première concerne la mise en place, en principe à bref
délai, de commissions non judiciaires d'enquête car - sauf
à rendre une justice sommaire, et ce fut trop souvent le cas dans
l'histoire - les tribunaux ne peuvent sanctionner rapidement les bourreaux et
leurs commanditaires. La deuxième série de mesures vise à
préserver les archives liées aux
29 Idem.
30 Louis Joinet, Question de l'impunité des auteurs
des violations des droits de l'homme (civils et politiques), Rapport final
révisé établi par Louis Joinet, en application de la
décision 1996/119 de la Sous Commission, Nations Unies,
E/CN.4/Sub.2/1997/20 et E/CN.4/Sub.2/1997.20/Rev.1.
31 Il s'agit de la Sous-Commission de la lutte contre les mesures
discriminatoires et de la protection des minorités de la Commission des
droits de l'homme de l'ONU.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
violations des droits de l'homme. Le droit de la victime
à la justice pour sa part implique que toute victime ait la
possibilité de faire valoir ses droits en bénéficiant d'un
recours équitable et efficace, notamment pour obtenir que soit
jugé son oppresseur et obtenir réparation. Ainsi que le souligne
le préambule de « l'ensemble de principes », il n'est pas de
réconciliation juste et durable sans que soit apportée une
réponse effective au besoin de justice; le pardon, acte privé,
suppose en tant que facteur de réconciliation que soit connu de la
victime l'auteur des violations et que ce dernier ait été en
mesure de manifester son repentir : en effet, pour que le pardon puisse
être accordé, il faut qu'il ait été demandé.
S'agissant du droit à réparation pour la victime, il comporte
tant des mesures individuelles que des mesures de portée
générale et collective notamment, des mesures de restitution
(tendant à ce que la victime se retrouve dans la situation qui
prévalait auparavant); des mesures d'indemnisation (préjudice
physique et moral, ainsi que perte d'une chance, dommages matériels,
atteintes à la réputation et frais d'assistance juridique); et
des mesures de réadaptation (suivis médicaux y compris
psychologiques et psychiatriques). Au plan collectif, des mesures de
portée symbolique, à titre de réparation morale, telles
que la reconnaissance publique et solennelle par l'Etat de sa
responsabilité, les déclarations officielles rétablissant
les victimes dans leur dignité, les cérémonies
commémoratives, les dénominations de voies publiques, les
érections de monuments, permettent de mieux assumer le devoir de
mémoire. Louis Joinet est ainsi l'un des piliers de la justice
transitionnelle dans l'univers francophone. Son rapport s'inscrit donc dans la
mise en oeuvre du Programme d'action de Vienne et recommande, dans ce but,
l'adoption par l'Assemblée générale des Nations Unies d'un
ensemble de principes pour la protection et la promotion des droits de l'homme
par la lutte contre l'impunité.
Le rapport de Human Rights Watch intitulé Justice
compromise : l'héritage des tribunaux communautaires gacaca du
Rwanda32 nous a été d'une utilité en ce
sens que sous un angle, ce rapport aborde la question de la justice
transitionnelle au Rwanda. Le rapport est basé sur l'observation par
Human Rights Watch de plus de 2000 jours de procès devant les
Juridictions Gacaca, sur l'examen de plus de 350 affaires, et sur des
entretiens avec des centaines de participants de toutes les parties prenantes
du processus Gacaca, notamment des accusés, des rescapés
du génocide, des témoins, d'autres membres de la
communauté, des juges, ainsi que des autorités locales et
nationales. Le rapport souligne que de 2005 jusqu'en 2009, un peu plus de 12
000 tribunaux Gacaca communautaires ont jugé environ 1,2
million
32 Human Rights Watch, Justice compromise :
l'héritage des tribunaux communautaires gacaca au Rwanda, New York,
ISBN 1-56432-758-2, mai 2011.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
d'affaires liées au génocide de 1994. Les
violences ont fait plus d'un demi-million de morts, appartenant principalement
à la population minoritaire tutsi du pays. Les Juridictions
Gacaca ont été créées en 2001 pour
répondre à la surcharge d'affaires dans le système
judiciaire classique et à une crise carcérale. Le gouvernement
rwandais a été confronté à des défis
énormes dans la création d'un système qui pourrait traiter
rapidement des dizaines de milliers d'affaires d'une manière qui serait
largement acceptée par la population. En effet, le rapport évalue
les réussites des tribunaux et souligne un certain nombre de graves
lacunes dans leur travail, notamment la corruption et des
irrégularités de procédure. Il s'agit surtout des erreurs
judiciaires dues à l'utilisation de juges n'ayant en grande partie pas
bénéficié de la formation nécessaire ; de fausses
accusations, dont certaines basées sur la volonté du gouvernement
rwandais de faire taire les critiques ; du détournement du
système Gacaca pour régler des comptes personnels ;
d'intimidation de témoins à décharge par des juges ou par
des autorités ; et de corruption par des juges et des parties aux
affaires. Le rapport examine la décision du gouvernement de
transférer les affaires de viols liées au génocide devant
les tribunaux Gacaca et d'exclure de leur compétence les crimes
commis par des militaires du Front patriotique rwandais (FPR). Dans le rapport,
Human Rights Watch souligne que des militaires du FPR qui ont mis fin au
génocide en juillet 1994 et ont formé ensuite le gouvernement
actuel, ont tué des dizaines de milliers de personnes entre avril et
décembre 1994. En 2004, la loi Gacaca a été
modifiée afin d'exclure de tels crimes, et le gouvernement a
veillé à ce que ces crimes ne soient pas abordés devant
les Gacaca. Ce rapport aborde ainsi la problématique de la
justice transitionnelle au Rwanda. Cependant, il se limite juste aux
Juridictions Gacaca.
Christian Nadeau dans « Quelle justice après la
guerre ? Eléments pour une théorie de la justice transitionnelle
»33 se penche sur les enjeux normatifs de la justice
transitionnelle, sur la justice pénale internationale, la justice
réparatrice et la délibération et la formation des
institutions. Dans ce texte, Nadeau se demande tout d'abord s'il est possible
après un conflit ou un génocide, de rendre justice et de
construire un nouvel ordre politique acceptable par ceux qui viennent de se
déchirer ou de s'entretuer. Prenant appui sur l'exemple de conflits du
Rwanda et de l'ex-Yougoslavie, Nadeau pose les fondements d'une théorie
de la justice transitionnelle : la réparation et la
délibération démocratique lui paraissent essentielles
à la réussite des processus de démocratisation. Pour
Nadeau, la justice transitionnelle est
33 Christian Nadeau, « Quelle justice
après la guerre ? Eléments pour une théorie de la justice
transitionnelle », in La vie des idées, édition
électronique, bibliothèque numérique les classiques des
sciences sociales, 23 mars 2009, voir : http://classiques.uqac.ca/
(consulté le 25 septembre 2011).
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
généralement entendue comme la réponse
légitime aux violations systématiques des droits humains. Sans
représenter en elle-même une forme particulière des droits
et libertés de base, elle correspond aux efforts de justice- sur le plan
pénal ou sur le plan de la redistribution équitable des
ressources- et de démocratisation à la suite de crises politiques
majeures. La thèse de Nadeau repose sur trois principaux arguments. En
premier lieu, les crimes commis au cours des guerres relèvent à
la fois de la responsabilité du groupe, en tant que groupe, et des
individus. Il s'agit de comprendre l'interrelation des individus au sein d'un
groupe donné, ou de groupes entre eux. En second lieu, la notion
complexe de responsabilité apparaît plus clairement si l'on se
réfère aux théories de la justice réparatrice.
Enfin, la délibération démocratique est l'articulation
essentielle entre les processus de démocratisation et de justice. Un
dialogue critique entre les parties touchées par le conflit est la
pierre de touche de la justice transitionnelle. Si ce dialogue est bien
encadré, il assure une coordination adéquate entre les objectifs
politiques et les obligations juridiques de la justice transitionnelle. Par
conséquent, il faudra faire appel à la délibération
au moment de la justice réparatrice et au moment des processus de
démocratisation à proprement parler. Il faut toutefois prendre
garde au fait qu'il n'y a pas antériorité chronologique, ni
primauté, de la réparation sur la démocratisation :
chacune se prolonge dans l'autre. En somme, le but de l'article de Nadeau est
de présenter un ensemble cohérent d'arguments moraux propres
à s'inscrire dans une théorie de la justice transitionnelle en
tant qu'elle s'applique aux contextes d'après-guerre.
L'article « La Chambre d'Appel du TPIR acquitte un
planificateur de premier rang du génocide Tutsi »34 de
Bideri Diogène a quant à lui un rapport avec la justice du TPIR.
Bideri, remet en cause la justice de l'après génocide telle que
faite par le Tribunal Pénal International pour le Rwanda. Il
soulève le problème sérieux du dysfonctionnement de la
justice d'Arusha. En effet, l'auteur repasse en revue les arguments de la
Chambre d'Appel du TPIR et notamment dans le procès de Protais
Zigiranyirazo. La Chambre d'Appel, en cassant le jugement de la Chambre de
Première Instance commet, selon Bideri, une erreur judiciaire
d'appréciation en donnant plus d'importance à l'alibi de
Zigiranyirazo et en négligeant les témoignages de l'accusation.
Il est donc d'avis que la Chambre d'Appel a commis des erreurs
d'appréciation de droit et de fait en ce qui concerne ce
génocidaire, par conséquent, on voit la lutte contre
l'impunité s'éloigner. Il affirme que la décision de la
Chambre est arbitraire et
34 Diogène Bideri, « La Chambre d'Appel
du TPIR acquitte un planificateur de premier rang du génocide des Tutsi
», in Dialogue : 16ème Commémoration du
génocide contre les Tutsi, mars 2010, N°190, Kigali, Minespoc,
PP. 86-93.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
qu'elle a pris fait et cause pour Zigiranyirazo qu'elle a
épargné. L'auteur est d'avis que la décision de la Chambre
a été prise à la légère et que la Chambre
avait dans ce cas bien précis un comportement inhabituel. Et pour toutes
ces raisons, l'auteur pense que « l'arrêt de la Chambre d'Appel
constitue un déni de justice ce d'autant plus qu'il s'agit d'une
juridiction de dernier recours »35. Il est même
catégorique : « la Chambre d'Appel joue le jeu des
génocidaires »36.
Nous avons également fait recours aux travaux de
recherche d'Arnaud Meffre menés dans le cadre d'une note de recherche au
Centre d'études sur le droit international et la mondialisation. En
effet, dans son article intitulé « La Justice Transitionnelle
à l'épreuve de la Sierra Leone : analyse critique
»37, Meffre s'évertue à tester le concept de
justice transitionnelle à la lumière de l'un de ces
systèmes de justice post-conflit. Il y fait un bilan sur la pratique de
la justice transitionnelle en Sierra Leone et se contente de voir si les deux
institutions de la justice transitionnelle mis en place dans ce pays ont
connues une coordination ou une coopération.
La présente étude trouve son originalité
dans le fait que nous essayons de déterminer si toutes les institutions
de la justice transitionnelle mises en place dans le processus de justice
transitionnelle au Rwanda ont contribué à consolider et à
assurer une paix durable au pays des mille collines où il y a eu par le
passé, la perpétration des crimes odieux, les violations à
grande échelle ou systématique des droits de l'homme.
Après la revue de littérature, il est utile de
présenter nos questions de recherche ainsi que les hypothèses.
IV. Question de recherche
Une question principale balise notre champ d'étude :
- Les institutions de la justice transitionnelle ont-elles
effectivement contribué à consolider et à assurer une paix
durable au Rwanda ?
35 Ibid., p. 92.
36 Idem.
37 Arnaud Meffre, « La justice transitionnelle
à l'épreuve de la Sierra Leone : analyse critique » in
Cédim, Montréal, mars 2005,
www.cedim.uqam.ca.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
V. Hypothèses
Dans notre travail, nous adoptons la démarche
hypothético-déductive38 qui implique la formulation
des réponses provisoires aux questions principales de la recherche
devant être éprouvées empiriquement pour la
vérification de leur véracité39. Nous pourrons
alors soit les infirmer, soit les confirmer. Dans cette logique, deux
hypothèses sous-tendent notre recherche : une hypothèse
principale et une hypothèse secondaire.
- Les institutions de la justice transitionnelle au Rwanda
seraient un mécanisme qui donne des résultats qui permettent de
consolider le processus de paix, de sécurité et de relance
économique pour le développement.
- Les institutions de la justice transitionnelle au Rwanda
présenteraient encore des lacunes au vu des critiques nombreuses et
récurrentes sur l'aide apportées aux victimes du génocide
par les Juridictions Gacaca ou le TPIR.
S'il est admis que dans un travail scientifique tel que le
nôtre, l'hypothèse de travail s'avère fondamentale, il est
également reconnu que les moyens de les valider ou non sont une
donnée de même nature ; d'où, les aspects
méthodologiques qui sont un ensemble d'idées directrices qui
orientent l'investigation scientifique et met à la disposition du
chercheur des dispositifs d'observation très
diversifiés40.
VI . Aspects méthodologiques
A- La collecte des données
Elle consiste d'une part à la recherche documentaire et
d'autre part aux entrevues de recherche en passant par
l'observation41. En tant que collecte des données, notre
recherche est
38 Selon Grawitz (1993 : 20), la démarche
hypothético-déductive « est avant tout un moyen de
démonstration consistant à partir de prémisses
supposées assurées, d'où les conséquences tirent
leur certitude ». Il s'agit en fait d'une « opération
mentale consistant avant tout à prendre pour point de départ une
proposition ou un ensemble de propositions de portée universelle (ou du
moins générale) dont on tire une hypothèse ou un ensemble
d'hypothèses portant sur des cas particuliers » (Gauthier,
cité par Comeau, 1994 : 4).
39 L'hypothèse donne à la recherche
un fil conducteur très efficace et assure la cohérence entre les
différentes parties de celle-ci. L'hypothèse vise à
répondre à la question de recherche. Pour ce faire, le chercheur
doit déterminer ce qu'il aimerait trouver à la fin de la
recherche (Boudreault, 2004). L'hypothèse est alors une proposition
provisoire qui doit être soumise à l'épreuve des faits.
Elle peut être confirmée ou infirmée, ou encore
nuancée.
40 Voir Karsenti, Thierry, Savoie-Zajc, Lorraine, La
recherche en éducation : étapes et approches. Sherbrooke :
Éditions du CRP, 2004.
41 S'agissant de la collecte des informations, bon
nombre de chercheurs qualitatifs identifient trois principaux instruments
généralement utilisés dans la cueillette d'information,
à savoir l'entrevue, l'observation participante et l'histoire de vie. Il
existe aussi d'autres sources de données que l'on peut utiliser dans le
cadre d'une recherche qualitative et leur emploi dépend surtout du type
de recherche qui est initiée. Parmi eux, nous citons les
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
fondée sur des corpus variés constitués
d'ouvrages de sources diverses : livres, thèses et mémoires,
articles de revues spécialisées et documents divers des
Nations-Unies se rapportant à la justice transitionnelle. Nous
privilégions cette méthode comme mode d'élaboration des
connaissances dont les données nous permettent de comprendre, de
décrire et d'expliquer les institutions de la justice transitionnelle.
Toutes les sources documentaires que nous avons utilisées sont
confrontées aux vérifications à l'aide de grilles
théoriques suggérées par l'objet de notre étude.
Comme techniques vivantes, nous avons rencontré des
personnes concernées par les juridictions
particulières42. Nous nous sommes rendus au Rwanda, pour
rencontrer les acteurs principaux du processus de justice transitionnelle,
à savoir la population rwandaise dans ses différentes composantes
: des personnes travaillant au sein des institutions de la justice
transitionnelle43, des personnes ressources émanant de
diverses ONG44, les rescapés dont les familles
entières ont été décimées45, les
familles des détenus et les prisonniers
libérés46 après les aveux. Ces entrevues nous
ont permis de pénétrer un peu plus au coeur du problème de
la justice transitionnelle. Nous sommes restés plus près des
populations concernées avec ces différentes entrevues. En effet,
l'entrevue de recherche peut être définie comme « une
interaction verbale entre les personnes qui s'engagent volontairement dans
pareille relation afin de partager un savoir, et ce, pour mieux dégager
conjointement une compréhension d'un phénomène
d'intérêt pour les personnes en présence
»47. Elle permet au chercheur d'entrer en contact direct
avec son interlocuteur pour mieux identifier et comprendre ses
perspectives48. L'interprétation de ces données
requiert les approches et grilles théoriques.
documents d'archives ou matériel écrit, la
photographie, la vidéo, etc. Par ailleurs, le chercheur doit donner une
attention particulière à la qualité des informations qu'il
recueille en les vérifiant et en les comparant constamment pour une
meilleure interprétation.
42 Voir grille d'entretiens.
43 Madame Jeannette Ebouea, enquêtrice du
Tribunal Pénal International pour le Rwanda, Monsieur Jonas SEBAGAZI et
Monsieur Matthias RUNEZERWA documentalistes au Centre, d'information et de
documentation du TPIR à Kigali et un juge de la Juridiction
Gacaca.
44 ONG Ibuka, l'association des veuves du
génocide (Avega), une association des femmes et une ONG locale.
45 Voir grille d'entretiens (Annexes).
46 Voir grille d'entretiens (Annexes).
47 Lorraine Savoie-Zajc, « La recherche
qualitative/interprétative en éducation » in La
recherche en éducation : étapes et approches, Sherbrooke :
Éditions du CRP, 2004, p. 133.
48 Différents types d'entrevues existent : l'entrevue
non dirigée, l'entrevue semi-dirigée, l'entrevue dirigée.
L'entrevue peut être menée par une ou plusieurs personnes
auprès d'un seul individu ou d'un groupe d'individus. Elle peut donc
être individuelle ou collective. Selon Savoie-Zajc (2004), ce mode de
cueillette de données comporte des limites à cause de
comportements imprévisibles des individus interviewés. Pour
éviter tout biais, ils recommandent d'associer l'observation à
l'entrevue.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
B- Les approches et grilles théoriques
1- Les approches
Il s'agit de la démarche intellectuelle globale
utilisée pour parvenir à l'élucidation du réel. En
effet, «plutôt qu'une fin en soi, les approches
méthodologiques, constituent des plans d'observations, des moyens
d'investigations auxquels est subordonné l'objet étudié,
pour atteindre une finalité qui est le début de la recherche
»49. Selon Madeleine Grawitz, l'approche
méthodologique est « un moyen de parvenir à un aspect de
la vérité recherchée »50. Grawitz
poursuit en soulignant que « la méthode est constituée
par l'ensemble des opérations intellectuelles par lesquelles une
discipline cherche à atteindre les vérités qu'elle
poursuit, les démontre et les vérifie »51.
Notre étude qui porte sur les institutions de la justice transitionnelle
au Rwanda fait appel à trois approches : l'approche socio-historique,
juridique et holistique.
Comme le souligne Raymond Aron « toute étude
concrète des Relations Internationales est une étude
socio-historique »52. L'approche historique permet de
comprendre les origines, les faits qui ont abouti à la création
des institutions de la justice transitionnelle. Cette approche est utile en ce
sens que « le savoir historique permet de relier les
évènements en apparence isolée dans le temps
»53. Autrement dit, l'approche historique qui selon
Dieudonné Oyono est « la pierre angulaire
»54 de l'étude de la politique internationale sert
d'arrière plan historique nécessaire à la
compréhension de la justice transitionnelle. En réalité,
on ne peut comprendre un phénomène sans en comprendre les
origines, les causes et la nature.
Pour élucider la justice transitionnelle, l'approche
sociologique55 sert quant à elle à mettre en
lumière les différentes dynamiques sociales. Notre approche est
qualifiée de
49 Ntunda Ebode, Les Etats-Unis, les associations
occidentales de science politique et question soviétique : sens et
puissance à l'aube de la guerre froide, Villeneuve, Presse
Universitaire du Septentrion, 1998, p. 5
50 Madeleine Grawitz, Méthodes des sciences
sociales, Paris, Dalloz, 1993, p. 363.
51 Ibidem., p. 384.
52 Raymond Aron, Théories des Relations
Internationales, Paris, PUF, 1977, p. 109.
53 Dieudonné Oyono, « L'apport de
l'histoire dans l'enseignement des relations internationales » in
Revue Camerounaise des Relations Internationales, octobre-novembre,
1983, n°1, p. 24.
54 Ibidem, p. 113.
55 Max Weber définit la sociologie comme « une
science qui se propose de comprendre par interprétation
l'activité sociale et, par là, expliquer causalement son
déroulement et ses effets. Nous entendons par « activité
» un comportement humain (...) quand, et pour autant que, l'agent ou les
agents lui communiquent un sens subjectif. Et par activité «
sociale », l'activité qui, d'après son sens visé par
l'agent ou les agents, se rapporte au comportement d'autrui, par rapport auquel
s'oriente son déroulement » (Weber, cité par Berthelot, 1990
: 29). Mais, les différentes méthodes d'investigation et «
d'administration de la preuve », selon les termes de Durkheim (1992 :
124), utilisées en sociologie ont été polarisées
par l'approche quantitative et l'approche qualitative.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
sociologique au sens où elle tente de cerner les
attentes des uns et des autres sur la question de la justice transitionnelle,
à partir de leur vécu quotidien et de leurs
expériences.
Le recours à la méthode juridique se justifie en
se sens que les institutions de la justice transitionnelle sont soumises d'un
côté au droit pénal international pour réprimer les
crimes internationaux à l'exemple du Tribunal Pénal International
pour le Rwanda et de l'autre, aux tribunaux traditionnels ou communautaires
à l'instar des `Gacaca' qui sont des mécanismes
sémi-judiciaires.
L'approche holistique56 quant à elle nous
permet d'aborder la justice transitionnelle dans toute sa globalité
c'est-à-dire à impliquer tous ceux qui sont concernés par
le conflit.
De manière générale, la démarche
adoptée ici est à la fois descriptive, pour rendre compte de
l'importance de la justice transitionnelle et de son contenu ; analytique, pour
la remettre en cause au vu de ses insuffisances et des enjeux qui la rendent
incertaine et enfin, prospective, pour s'interroger sur l'avenir de la justice
transitionnelle et présenter des perspectives de solutions. Les grilles
théoriques permettent une lecture et une interprétation plus
spécifiques du sujet.
2- Les grilles théoriques
Il s'agit d'un ensemble de modèles
paradigmatiques57 favorisant le classement des faits sociaux
internationalisés dans un registre théorique bien précis.
Dans le cadre de notre travail, nous utilisons une grille théorique
fondamentale : le fonctionnalisme qui constitue le cadre d'analyse de la
justice transitionnelle.
a- La théorie fonctionnaliste :
La théorie fonctionnaliste est un courant de
pensée en théorie des relations internationales,
représenté en particulier par David Mitrany58, qui
étudie le processus d'intégration de l'espace politique. Cette
théorie apparaît lors de l'entre-guerre et s'inscrit globalement
dans le cadre du courant libéral et idéaliste qui va de Kant
à Wilson et s'opère
56 L'approche holistique fait partie de la macro
sociologie qui consiste à étudier les phénomènes
sociaux à l'échelle globale, d'un groupe entier ou de la
société dans sa globalité. Le courant holiste
privilégie ainsi l'approche globale. Les tenants de l'approche
méthodologique holistique sont : Edgar Morin, Karl Marx, Emile Durkheim
et Pierre Bourdieu.
57 Le paradigme est un « terme rigoureux
utilisé par Kuhn (1962) dans le sens de théorie dominante, ou
employé également comme explication généralement
accepté, ou modèle d'approche théorique de la
réalisation sociale et politique » Cf. Madeleine Grawitz,
Lexique des sciences sociales, Paris, Dalloz, 4 éd. 1988, p.
280.
58 David Mitrany, A Working Peace System,
Chicago, Quadrangle Books, 1966.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
dans le cadre de l'Organisation des Nations Unies dont la
Charte fixe les principaux objectifs : le maintien de la paix et de la
sécurité internationale assurée par les grandes
puissances.
Le fonctionnalisme a pour objectif de mettre en place un
système international pacifique, par le biais d'institutions qui
transcendent l'Etat-nation. Autrement dit, le fonctionnalisme dans les
relations internationales est un effort de mettre à jour la contribution
des organisations internationales à la paix. Dans cette théorie,
ce sont les nécessités techniques (et non politique) d'une
société complexe qui fournissent la coopération. En
d'autres termes, les problèmes qui dépassent les
frontières d'un Etat-nation, ou ses capacités, entraînent
mécaniquement la création d'institutions internationales ou
supranationales appropriées. Le fonctionnalisme fait appel à
l'école institutionnelle qui prône une évolution positive
contribuant à la paix et au progrès économique et social.
En effet, la misère et la violence qui affectent certains pays ou la
désintégration de leurs institutions nationales, les guerres
civiles et les crises humanitaires qui s'ensuivent mobilisent à des
titres divers l'Organisation des Nations Unies (ONU). La justice pénale
internationale est née dans ce contexte. Elle aspire à
l'institutionnalisation, à la mise en place des tribunaux pénaux
internationaux, comme une garantie contre la défaillance des Etats dans
la poursuite des auteurs des plus graves violations du droit humanitaire.
La théorie fonctionnaliste est pertinente dans le cadre
de notre analyse en ce sens qu'elle adopte une perspective dite
bottom-up (du bas vers le haut) : cela signifie que les
nécessités de la base entraînent la création
d'institutions au sommet pour satisfaire ces nécessités. En
matière de justice transitionnelle, l'Etat est supposé au sortir
de la guerre, mener des poursuites criminelles qui contribuent à
l'adhésion de la population à des valeurs démocratiques et
démontrent la désapprobation de l'Etat envers de telles
violations des droits humains. La responsabilité criminelle doit
être établie au niveau national. Or, au sein des
sociétés sortant d'un conflit à l'instar du Rwanda, les
institutions judiciaires sont, pour la plupart, complètement
anéanties. De même, le pouvoir instauré n'a toujours pas
très souvent la capacité ou la volonté de mener à
terme les poursuites par ce que les autorités de l'Etat
elles-mêmes ont été souvent impliquées dans la
perpétration de ces crimes; c'est dans ce contexte que la
communauté internationale joue un rôle dans la mise en place de la
justice transitionnelle par le biais des poursuites pénales au plan
international. Le Tribunal pénal international pour le Rwanda constitue
un outil à la disposition de la société internationale
institutionnelle. Le fonctionnalisme aborde le Tribunal pénal
international pour le Rwanda de
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
par sa fonction. En effet, ce tribunal propose tout un
régime de normes aux enquêtes, aux poursuites et à la
conduite du procès international pénal. On y retrouve une
collaboration entre la politique nationale et la communauté
internationale. Cette grille de lecture aide enfin à rendre compte de la
justice transitionnelle et de son impact au Rwanda.
Avant d'entamer l'analyse de la mobilisation de la
démarche judiciaire dans le processus de justice transitionnelle en
sociétés post-conflits : cas du Rwanda, il paraît opportun
de définir certains concepts. A cela, nous nous pencherons sur le groupe
de mots : mobilisation de la démarche judiciaire et justice
transitionnelle.
VII. Définition ou discussion théorique
autour des concepts clés
· Mobilisation de la démarche
judiciaire
Selon le Dictionnaire du vocabulaire
juridique59, la démarche judiciaire renvoie aux organes
de l'Etat chargés de dire le droit pour trancher le litige à
l'aide d'un raisonnement juridictionnel et avec autorité de la chose
jugée. Ici, on a affaire à une justice
traditionnelleinstitutionnelle, régulatrice et sanctionnatrice du
quotidien. Seulement, dans la présente analyse, cette justice se
mobilise ; elle reçoit une compétence spéciale pour
traiter de crimes de génocide commis en 1994 au Rwanda. Elle intervient
en période transitionnelle et elle est rendue non seulement par des
mécanismes judiciaires mais également non judiciaires. La
démarche judiciaire se mobilise ainsi dans le processus de justice
transitionnelle en s'attaquant à des événements survenus
en contexte de génocide, afin de concilier les impératifs de
justice et de réconciliation.
· Justice Transitionnelle
La justice transitionnelle est communément
définie comme un ensemble de mesures qui tente de répondre
à une demande de justice après des situations de conflits et de
violations massives des droits de l'Homme. Elle vise à affronter le legs
d'exactions graves en vue de prévenir une réémergence des
conflits, d'éviter l'impunité et de soutenir le
rétablissement de l'Etat de droit et la réconciliation nationale.
Le rapport du Secrétaire général des Nations Unies du mois
d'août 2004 propose une définition claire de la justice
transitionnelle :
Les divers processus et mécanismes mis en oeuvre
par une société pour tenter de faire face à des exactions
massives commises dans le passé, en vue d'établir les
responsabilités, de rendre justice et de permettre la
réconciliation. Peuvent figurer au nombre de ces processus des
mécanismes
59 Remy Cabrillac, Dictionnaire du Vocabulaire
Juridique, Edition revue et augmentée, Paris, Lexis Nexis, 2012.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
tant judiciaires que non judiciaires, avec (le cas
échéant) une intervention plus ou moins importante de la
communauté internationale, des mesures pénales contre des
individus, des indemnisations, des enquêtes, visant à
établir la vérité, une réforme des institutions,
des mesures d'épuration, ou une combinaison de ces
mesures60.
Dans notre étude, nous donnons au terme justice le sens
des actions punitives, de guérison, de réconciliation, de
rétablissement de l'état de droit, de la lutte contre
l'impunité. Par justice, nous entendons justice pénale et justice
sociale, c'est-à-dire l'équité, l'état de droit. Le
terme transitionnel61 recouvre quant à lui des situations
telles que le passage du postapartheid, post-dictature, post-génocide,
post-guerre à une autre situation qui se réfère à
l'état de droit, à la démocratie et à la bonne
gouvernance. La justice transitionnelle doit déboucher sur le passage
d'une gestion violente des conflits à la gestion non violente, le
passage de la méfiance à la confiance citoyenne. Elle doit avoir
pour ambition de soutenir la transformation des sociétés
opprimées en sociétés libres, en réglant les
injustices du passé par des mesures qui permettront un avenir
équitable pour tous.
La justice transitionnelle peut ainsi se réaliser
à travers cinq axes majeurs : poursuite en justice des auteurs des
crimes ; initiatives en faveur de la recherche de la vérité en
vue d'appréhender les violations commises par le passé ;
réconciliation ; octroi de réparation aux victimes de violations
des droits de l'homme ; et reformes des institutions judiciaires et politiques.
Les poursuites judiciaires sont au fondement du processus de justice et de
surcroît de justice transitionnelle. Il n'y a pas de réparation ni
de réconciliation sans poursuites. Mais celles-ci marquent aussi la
limite de l'action de la justice `ordinaire' et justifient l'instauration de la
phase transitionnelle. D'où l'exigence de recherche de la
vérité. Là encore, la quête de la
vérité est au coeur du fonctionnement de la justice
traditionnelle ; mais elle prend une importance toute particulière dans
la justice transitionnelle au regard des violations massives des droits de
l'homme qui ont été commises. Les Commissions
Vérité et réconciliation participent de cette
démarche. L'expression de la vérité doit aboutir à
la réconciliation ; le droit de savoir conduit au pardon possible. Les
réparations accordées aux victimes arrivent en quatrième
temps du processus de justice transitionnelle et se présentent comme la
conséquence mécanique de la démarche de
vérité et réconciliation. Enfin, si la justice
60 Rapport du Secrétaire
général des Nations Unies au Conseil de sécurité
sur le Rétablissement de l'état de droit et l'administration de
la justice pendant la période de transition dans les
sociétés en proie à un conflit ou sortant d'un conflit,
S/2004/616, 23 août 2004, para. 8, p. 7.
61 Nous soulignons ici que la justice
transitionnelle n'est que transitionnelle et qu'elle ne doit pas devenir
permanente. Donc par essence, la transition ne peut être permanente, elle
est nécessairement temporaire. Elle vise malgré tout à
déboucher sur l'état de droit et la promotion d'une paix
durable.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
transitionnelle place les individus au centre du processus, les
institutions de l'Etat sont aussi les sujets, par ricochet, de la
démarche.
VIII. Organisation du travail
Ce travail s'articule autour de deux principales parties
divisées en deux chapitres chacune. La première partie porte sur
le déploiement de l'institution judiciaire dans le contexte
postgénocide au Rwanda. Elle se focalise sur le fonctionnement et le
déploiement de l'institution judiciaire au Rwanda après le
génocide tandis que la deuxième partie porte sur le bilan
mitigé de la démarche judiciaire dans le processus de justice
transitionnelle au Rwanda. Chaque partie comporte deux chapitres
subdivisés en sections et paragraphes.
PREMIERE PARTIE :
LE DEPLOIEMENT DE L'INSTITUTION JUDICIAIRE DANS LE
CONTEXTE POST-GENOCIDE AU RWANDA
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
Au cours des dernières décennies une
série de processus de justice transitionnelle a été
observée dans la gestion du post-conflit des sociétés
sortant de crise. La justice transitionnelle s'est imposée dans
plusieurs pays comme une étape nécessaire pour passer
«d'un passé divisé à un avenir
partagé»62. Cette première partie s'appuie
sur notre observation sur le terrain notamment notre séjour à
Kigali au Rwanda, notre passage au TPIR à Arusha en Tanzanie et notre
stage au sein du Bureau du Représentant spécial du
Secrétaire général pour la Région des Grands Lacs
à Nairobi au Kenya. Mais, elle s'inspire surtout de nos
différentes lectures sur les expériences de la justice
transitionnelle ainsi que des entretiens menés auprès des
rwandais, des partenaires et experts en justice transitionnelle au Rwanda.
Notre objectif est de mener une analyse opérationnelle de la
démarche judiciaire dans la gestion du post-génocide. En clair,
il s'agira pour nous d'étudier le rôle que jouent les
mécanismes de justice transitionnelle dans la gestion de
l'héritage de conflits violents au Rwanda.
Nous soulignons que le Rwanda a subi une guerre civile et le
génocide dans les années 1990. La plus grande partie de ces
violences découlait de la manipulation politique de différences
ethniques, entre la majorité Hutue et la minorité Tutsie. En
1990, le Front patriotique rwandais (FPR), mouvement rebelle dominé par
des exilés tutsi, a envahi le Rwanda depuis l'Ouganda pour appuyer leurs
demandes de partage du pouvoir et du droit de retour des réfugiés
tutsis exilés de leur pays lors des pogroms
antérieurs63. La guerre civile qui s'est suivie a abouti, en
1994, au génocide de 800 000 Tutsis. Le FPR a mis fin au génocide
et a porté au pouvoir un nouveau gouvernement et de nouvelles forces
militaires, alors que le gouvernement et les forces militaires vaincus se
retiraient au Congo oriental, d'où ils ont lancé des attaques
contre le Rwanda.
62 Centre international pour la justice
transitionnelle (CIJT),
www.ictj.org/en/tj/,
(consulté le 20 juillet 2011). En effet, basé à New York,
ce centre est une organisation non gouvernementale (ONG) qui se propose
d'apporter une aide technique aux pays en transition.
63 1959, 1963, 1967, 1973.
CHAPITRE PREMIER :
LA DEMARCHE JUDICIAIRE DANS LE PROCESSUS DE JUSTICE
TRANSITIONNELLE AU PLAN NATIONAL
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
SECTION I : DU GENOCIDE A LA MISE EN PLACE DES
INSTITUTIONS DE LA JUSTICE TRANSITIONNELLE AU RWANDA
Paragraphe I : Des divisions ethniques aux massacres
multiples
Le génocide au Rwanda s'est déroulé dans
un contexte de guerre civile et de tentative d'introduction d'une
démocratie multipartite. Il constitue le point culminant de la violence
dans une histoire nationale marquée par des épisodes sporadiques
de massacres (195964, 196365, 196766,
197367), conséquence d'une lutte incessante pour le pouvoir
(et les richesses), greffée sur la bipolarité ethnique hutu-tutsi
qui a caractérisé le paysage socio-politique rwandais. Selon nos
différentes lectures68, le Rwanda fut d'abord occupé
par des pygmées troglodytes ; leurs descendants, les Twa, forment
aujourd'hui un groupe marginalisé qui représente moins de un pour
cent de la population. Hutu et Tutsi arrivèrent ensuite, mais on ne sait
pas précisément d'où ni dans quel ordre. Si l'histoire
souligne que les Hutu sont des Bantous qui s'établirent les premiers au
Rwanda depuis le sud et l'ouest, et les Tutsi des Nilotiques venus du nord et
de l'est, ces théories historiques reposent plus sur la légende
que sur des faits documentés. Le temps passant, Hutu et Tutsi finirent
par parler la même langue, pratiquer la même religion, se marier
ensemble et vivre sans distinctions territoriales, sur les mêmes
collines, en partageant la même culture sociale et politique, au sein de
petits royaumes. Les chefs, les mwamis, étaient tantôt hutu,
tantôt tutsi ; Hutu et Tutsi combattaient côte à côte
dans leurs armées ; par le mariage et le patronage, un Hutu pouvait
devenir héréditairement tutsi et vice versa. En raison de tous
ces mélanges, ethnographes et historiens ont fini par conclure qu'on ne
pouvait à proprement parler considérer les Hutu et les Tutsi
comme des groupes ethniques distincts. Mais, les noms hutu et tutsi sont
restés. Ils signifient quelque chose, et bien que ce qu'ils recouvrent
précisément ne fasse pas l'unanimité, classes, castes et
rangs sont les plus souvent évoqués, nul ne conteste la
distinction : les Hutu étaient des cultivateurs et les Tutsi les
éleveurs. Telle était l'inégalité primitive : le
bétail est un bien plus précieux que les produits du sol, et
quoique certains Hutu aient possédé des vaches tandis que
certains Tutsi cultivaient la terre, le mot tutsi devint synonyme
d'élite politique et
64 Révolution sociale. Une classe sociale
contre une autre ; les Tutsi ont dominé le Rwanda pendant quatre
siècles. C'est cette révolution qui porta Grégroire
Kayibanda au pouvoir.
65 Tueries massives à Bufundu Gikongoro.
66 Massacres incessants à Bugesera.
67 Massacres dans tout le pays.
68 Nous pensons notamment aux ouvrages de
Gérard Prunier : Rwanda, 1959- 1996 : Histoire d'un
génocide, Paris, Dagorno, 1997 et Philip Gourevitch, Nous avons
le plaisir de vous informer que, demain, nous serons tués avec nos
familles, Paris, Denoël, 2002.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
économique. Dans la diversité des
caractéristiques rwandaises, la question des apparences est d'autant
plus délicate qu'elle a souvent signifié la vie ou la mort :
trapus, les Hutu ont la peau sombre, le visage rond, le nez plat et les
lèvres épaisses ; tandis que les Tutsi, élancés,
ont la peau plus claire, le visage allongé, les lèvres minces, le
nez et le menton étroits. A ce propos, dans une partie de son
Journal intitulée « La Faune », Speke notera par
exemple qu'il trouva « une race supérieure d'hommes aussi
différents que possible de la classe ordinaire des indigènes dont
le beau visage ovale, les grands yeux et le nez haut dénotent le
meilleur sang de l'Abyssinie »69. D'après les
termes de Philip Gourevitch70, cette race comprenait nombre de
tribus, et notamment les Watutsi- les Tutsi-, qui toutes élevaient du
bétail et dominaient généralement les masses
négroïdes. Selon une classification, un recensement des Belges fait
en 1933- 1934, dans le but de délivrer des cartes d'identités
ethniques, les Bahutu, groupe ethnique majoritaire, représentent environ
84 % de la population, les Batutsi 14 % et les Batwa 1 %. En
réalité, ces cartes d'identités rendaient virtuellement
impossible aux Hutu de devenir Tutsi, et permirent aux Belges de parfaire un
système d'apartheid sur le mythe de la supériorité
tutsie.
A. La colonisation et le principe de « diviser
pour mieux régner »
Le Rwanda fut d'abord colonisé par l'Allemagne
(1897-1916), avant de devenir officiellement une colonie belge en 1919.
Plusieurs réformes de fond, et notamment la méthode «
d'indirect rule » (domination indirecte) employée par les colons
belges, allaient transformer la société rwandaise.
Conformément aux idées anthropologiques de l'époque
coloniale71, les Belges croyaient en une classification des races
selon des critères de supériorité et
d'infériorité des êtres. Ils sont parvenus à la
conclusion que la « race » tutsie était mieux adaptée
pour régner, que les Bahutu étaient des créatures
inférieures uniquement aptes à être gouvernées et
à effectuer des travaux manuels. En réalité, les
colonisateurs adoptèrent l'absurde prétexte
hamitique72 pour diviser la société rwandaise. La
colonisation
69 John Hanning Speke, Journal de la
découverte de la source du Nil, cité par Philip Gourevitch,
Nous avons le plaisir de vous informer que, demain, nous serons tués
avec nos familles, Paris, Denoël, 2002, p. 70-71.
70 Voir Philip Gourevitch, Nous avons le
plaisir de vous informer que, demain, nous serons tués avec nos
familles, Paris, Denoël, 2002.
71 Lorsqu'ils arrivaient au Rwanda à la fin
du XIXe siècle, les Européens découvrirent une race
majestueuse de rois guerriers, au milieu de troupeaux de bovins aux longues
cornes, et une race subordonnée de paysans petits et sombres, cultivant
des tubercules à la houe et cueillant des bananes. Les Européens
en déduisirent que telle était la tradition du pays et ils y
virent une situation naturelle. Voir Philip Gourevitch, Op. cit., p.
69-70.
72 Le prétexte hamitique est ce mythe qui
préconise que la formation du Rwanda s'est réalisée
grâce aux qualités guerrières supérieurs de la
dynastie tutsie ayant conquis les états primitifs des Hutu.
L'hypothèse hamitique a été proposée en 1863 par
l'anglais John Hanning Speke, surtout connu pour avoir `découvert' le
grand lac africain qu'il baptisa Victoria et qu'il considéra comme la
source du Nil. L'essentiel de sa théorie anthropologique, qu'il
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
est violence, et il y a bien des manières d'appliquer
cette violence. Outre des cadres militaires et administratifs, et une
véritable armée de missionnaires, les Belges
expédièrent des scientifiques au Rwanda. Dûment
équipés de balances, mètres à ruban et compas, ces
derniers entreprirent de peser les Rwandais, de mesurer leur capacité
crânienne et de comparer le relief de leur nez. Ainsi, les Tutsi avaient
des caractéristiques plus nobles, plus naturellement aristocratiques que
les Hutu grossiers et bestiaux. Les Belges utilisèrent alors les
dirigeants tutsis, les chefs tutsis qu'ils qualifiaient plus intelligents, plus
actifs, plus capables d'apprécier le progrès pour mettre en
oeuvre leurs politiques coloniales. C'est ainsi que les structures
administratives villageoises traditionnelles, qui offraient aux Hutu leur
autonomie locale, furent systématiquement démantelées,
tandis que les élites tutsies obtenaient le pouvoir presque
illimité d'exploiter le travail des Hutu et de lever l'impôt sur
eux.
De plus, les écoles catholiques, qui dominaient le
système éducatif colonial, pratiquaient une discrimination
flagrante en faveur des Tutsi, lesquels disposaient du monopole des emplois
administratifs et politiques, tandis que les Hutu voyaient se réduire
toujours davantage leurs espérances de promotion déjà
limitées. Rien ne marquait la différence de manière plus
éclatante que le régime belge du travail forcé, où
des armées de Hutu trimaient en masse dans les plantations,
construisaient les routes et abattaient les arbres, sous la surveillance de
contremaîtres tutsi. Chaque écolier étant
élevé dans la doctrine de la supériorité et de
l'infériorité raciales, l'idée d'une identité
collective nationale se dissolvait peu à peu, et de part et d'autre de
la ligne de partage, Hutu et Tutsi prônaient l'exclusion mutuelle.
B. L'ethnicité, définition de l'existence
au Rwanda
Dans son ouvrage intitulé La mort ne veut pas de
moi, Yolande Mukagasana souligne : « Les Belges, ils nous ont
appris à nous haïr les uns les autres, appuyés en cela par
l'église. Les Tutsi sont la race dominante, disaient les colonisateurs.
Les Hutu, qui représentent quatre vingt dix pour cent de la population
sont des paysans bantous, à l'âme lourde et passive,
forgea, était que toute la culture et la civilisation
de l'Afrique centrale avaient été introduites par le peuple
élancé aux traits plus fins, au beau visage ovale, aux grands
yeux et le nez haut qui dénotent le meilleur sang de l'Abyssinie. Speke
voyait en cette race une tribu caucasoïde d'origine éthiopienne,
descendant du roi David- race par conséquent supérieure aux
négroïdes indigènes. Pour Speke, cette classe ordinaire des
indigènes conservait une forte emprunte asiatique, dont une
caractéristique marqué est un nez busqué et non
épaté. En effet selon Gourevitch, Speke concluait ses
élucubrations pseudo-scientifiques en invoquant l'autorité
historique des Ecritures : cette race des seigneurs `à
demi-sémitique-hamitique' descendait d'une tribu chrétienne
perdue et, avec un peu d'éducation britannique, pourrait se
révéler presque aussi `supérieure à tous
égards' qu'un Anglais comme moi. Voir Gourevitch, Op. cit., p.
72.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
ignorant tout souci du lendemain »73.
En effet, les explorateurs, les administrateurs coloniaux et même les
missionnaires ont trouvés dans l'ensemble de la population rwandaise,
une race supérieure, de « vrais » Nègres dit les Tutsi
soit disant apparentés aux peuls, Galas, Somalis et Bahima. Ces Tutsi
ont été longtemps considérés comme auteurs de tout
ce qui est de la civilisation avancée du Rwanda. Mukagasana note :
A l'école, les Blancs m'ont appris que le Hutu
était un homme champêtre, sédentaire... le Tutsi en
revanche était venu d'Abyssinie, l'ancienne Ethiopie, et peut être
même de plus loin. Du Tibet, disaient certains. Le Tutsi, il suffisait de
le regarder, ressemblait, par sa noblesse, comme deux gouttes d'eau à
l'Ethiopien. Il avait colonisé le Hutu en lui offrant le lait de ses
troupeaux. C'est ce qu'on appelait la thèse hamitique. C'est faux,
hurlait mon père, lorsque je lui racontais ce qu'on m'avait dit à
l'école. Le Tutsi est rwandais. Sa langue est le kinyarwanda, la
même que celle du Hutu74.
En réalité, la thèse hamitique est un
mythe qui préconise que la formation du Rwanda s'est
réalisée grâce aux qualités guerrières
supérieures de la dynastie tutsie, des Banyiginya, ayant conquis les
états primitifs des Hutu75. Ce mythe, présente tout ce
qui est en état avancé de civilisation comme ayant
été introduit par les Tutsi. « Tout ce qui est de
l'intelligence ne pouvait être que d'eux »76. Les
détenteurs du pouvoir tutsi s'adaptèrent ainsi facilement
à cette division, non seulement car il fallait s'aligner sur la
puissance coloniale pour rester au pouvoir, mais parce qu'elle
renforçait fortement leur pouvoir, leur contrôle de la population
(hutue) et, par conséquent, leur richesse. L'identité raciale
(l'ethnicité) s'est institutionnalisée avec la mise en place, par
exemple, de la carte d'identité ethnique.
Cependant, la thèse hamitique, utilisée jadis
par les Belges pour protéger les Tutsi, serait ensuite exploitée,
par les même Belges, pour promouvoir et appuyer la révolution
hutue. Ce mythe entrera ainsi en concurrence avec le mythe bantou. En effet, le
tribalisme engendre le tribalisme. La Belgique était elle-même une
nation ethniquement divisée, où la minorité wallonne
francophone dominait depuis des siècles sur la majorité flamande.
Au terme d'une longue révolution sociale la Belgique entrait dans une
époque de plus grande égalité
73 Yolande Mukagasana, La mort ne veut pas de
moi, Paris, Fixot, 1997, p. 33
74 Ibid., p. 114-115.
75 Des Européens auraient fait venir des
Tutsis de l'Asie pour s'approprier du Rwanda afin d'assujettir des populations
trouvées sur place. C'est dans cette optique d'ailleurs que les Tutsis
ont acquis le nom de Hamites et les premiers écrits sur le Rwanda
comportèrent ce terme dans plusieurs pages, si bien que même la
première synthèse sur le Rwanda d'Albert Pagès,
publié à Bruxelles en 1933, porte le titre d'Un royaume
hamite au centre de l'Afrique.
76 Kayihura, « Composantes et relations sociales
au Rwanda pré-colonial, colonial et post- colonial », p. 163,
in Byanafashe, Les défis de l'historiographie rwandaise. TI : les
faits controversés, Butare, Editions de l'Université
Nationale du Rwanda.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
démographique. Les prêtres flamands qui
commencèrent à arriver au Rwanda après la Seconde Guerre
mondiale s'identifièrent aux Hutu et encouragèrent leurs
aspirations au changement politique. Entre temps, l'administration coloniale
belge avait été placée sous la tutelle des Nations Unies
et se devait donc de préparer l'indépendance du Rwanda. Les
activistes politiques hutu en profitèrent pour réclamer le
gouvernement de la majorité et une révolution sociale en leur
faveur. Au début de 1960, le colonel belge, Guy Logiest procéda
à un véritable coup d'Etat en décrétant le
remplacement des chefs tutsi par des dirigeants hutu, si bien qu'aux
élections locales organisées l'été suivant les
Hutu, qui contrôlaient la plupart des bureaux de vote, conquièrent
au moins quatre vingt dix pour cent des principaux postes à pourvoir.
Plus de vingt mille Tutsi avaient alors été chassés de
chez eux, nombre qui s'accrut rapidement à mesure que les nouveaux Hutu
organisaient les violences contre les Tutsi, ou simplement les arrêtaient
arbitrairement pour affirmer leur autorité ou s'emparer de leurs biens.
Parmi le flot de réfugiés tutsi qui prirent le chemin de l'exil
figurait le mwami. « La révolution est terminée
»77 annonça le colonel Logiest en proclamant en
octobre un gouvernement provisoire dirigé par Grégoire
Kayibanda.
Depuis des années 1960 jusqu'au génocide en
1994, l'idéologie politique s'est en effet servie du mythe bantou pour
arriver au pouvoir au Rwanda et s'y maintenir. Selon cette idéologie,
les Tutsi sont des étrangers du fait qu'ils sont venus plus tard au
Rwanda. Ainsi le mythe bantou préconise que le Rwanda appartient aux
Hutu qui ont défriché les forêts mettant le Rwanda en
valeur. En conséquence, ce sont eux les véritables citoyens du
pays. Les partisans de cette idéologie au pouvoir au Rwanda à
cette époque affirmaient que par le fait que les Hutus sont plus
nombreux, ils doivent bénéficier de tous les avantages
politiques, sociaux et économiques. Le mythe qui avait fait des Tutsi
les grands introducteurs de la civilisation fit place au mythe bantou. Ainsi,
l'année 1959 fut marquée par une révolution sociale,
inimaginable, la « révolution hutue ». Entre 1959 et 1962, une
vague d'événements vit les dirigeants locaux tutsis
expulsés de leur communauté (sur les collines) et
remplacés par des « bourgmestres » élus, d'origine
majoritairement hutue. Grégoire Kayibanda, un Muhutu, devint le premier
président du Rwanda. Ces événements
s'accompagnèrent d'actes de violence contre les dirigeants tutsis et
leurs familles, et une première vague de Batutsi chercha refuge dans les
pays voisins. Une deuxième vague, plus importante, suivit en 1963-1964,
lorsque les Batutsi de la première vague se regroupèrent pour
attaquer le Rwanda depuis le Burundi et la Tanzanie. Un grand nombre de Batutsi
furent tués dans les attaques de
77 Philip Gourevitch, Op. cit., p. 84.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
représailles, et ils furent plus nombreux encore
à quitter le pays en tant que réfugiés. Ces agressions et
la violente réaction du régime rwandais préfiguraient ce
qui allait se produire trente ans plus tard. Les descendants de ces
réfugiés allaient former la base du Front patriotique rwandais
(FPR) et de son bras militaire, l'Armée patriotique rwandaise (APR), qui
ont attaqué le Rwanda en octobre 199078 dans le but de
revenir au pays par les armes. C'est ainsi qu'il eut une guerre
civile79 en 1990. Si l'insécurité causée par
les partis politiques toucha tous les citoyens ordinaires pendant ces
années agitées, la cible la plus fréquente était
les Batutsi. On les traitait d'ibiyitso (complices des forces
rebelles) à cause de leur lien supposé avec la conspiration du
FPR, pour une seule raison : ils étaient de l'identité ethnique
majoritaire dans le groupe rebelle. Aussitôt après le début
de la guerre, en octobre 1990, un grand nombre de Batutsi furent
arrêtés dans tout le pays et emprisonnés pendant quelque
temps. À intervalles réguliers, et souvent en représailles
aux attaques ou aux avancées du FPR, on perpétra des massacres de
civils tutsis. Nous soulignons qu'en vue de régler cette guerre civile,
les accords de paix d'Arusha furent signés le 4 août 1993,
après un an de négociations. Les réformes
intérieures étaient complétées par un accord
négocié sur le partage du pouvoir entre les différents
courants politiques et sur l'intégration des forces rebelles dans
l'armée nationale. Cependant, les accords d'Arusha ne furent jamais
appliqués80. En dépit des
78 Plusieurs facteurs amorcèrent une transition
politique au Rwanda : une vague de démocratisation accompagna la fin de
la guerre froide ; le président français François
Mitterrand obligea l'Afrique francophone à se démocratiser pour
s'assurer le maintien de l'assistance économique ; la chute du prix du
café sur le marché mondial et l'introduction d'un programme
d'ajustement structurel entraînèrent une crise
socio-économique ; et en 1990, le Rwanda fut attaqué par les
forces rebelles du FPR, basées en Ouganda et dominées par les
Batutsi, qui exigeaient de pouvoir rentrer au pays et de recevoir une part du
pouvoir. Ces circonstances poussèrent le régime d'Habyarimana
à lancer des réformes libérales.
79 Bien qu'une révision de la Constitution de 1978 ait
annoncé l'arrivée d'un changement radical : le multipartisme
politique étant approuvé. Les partis politiques se
multiplièrent. Mais, en même temps, un mouvement
politico-militaire extérieur, le FPR, s'introduisait par la force au
Rwanda, réclamant le partage du pouvoir et obligeant les
autorités à entamer des négociations. Se convertir au
multipartisme politique après des décennies de règne d'un
parti unique et entreprendre des réformes institutionnelles tout en
faisant la guerre dans un pays surpeuplé s'est vite
révélé décourageant. Trois acteurs ou courants
politiques menaient la partie pendant cette période de transition : le
mouvement du président, qui était l'élite au pouvoir ;
l'opposition « démocratique » intérieure,
composée des partis politiques récemment créés ; et
le FPR et ses partisans, formant l'opposition armée. La violence
était devenue une méthode d'action politique, non seulement sur
les champs de bataille, mais également dans les rues de Kigali et dans
les collines de la campagne. Avec l'ouverture de l'arène politique, les
partis politiques nouvellement institués commencèrent à
recruter des membres. Des rassemblements furent organisés dans la
campagne, où les discours inspirés et les boissons gratuites
avaient pour but de convaincre les paysans d'adhérer à telle ou
telle « famille » politique. Dans cette atmosphère, l'appareil
de l'État autrefois bien huilé mais totalitaire ne tarda pas
à s'effondrer.
80 Le Rwanda devait mettre en place un gouvernement
de transition menant à un gouvernement démocratiquement
élu. Une force neutre devait être déployée. Les
troupes françaises devaient laisser la place à la MINUAR. Le FPR
et l'armée rwandaise devaient être intégrés,
démobilisés et désarmés. Les réfugiés
devaient rentrer et un bataillon de FPR devait être à Kigali. Le
président Habyarimana et ses alliés politiques ne souhaitent en
tout cas pas que ces Accords se réalisent. Le gouvernement de transition
n'avait pas eu lieu. Habyarimana et ses alliés extrémistes le
considéraient comme une soumission au FPR. Pendant ce temps, le
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
pourparlers de paix et de l'accord, le Rwanda s'était
« installé dans une culture de guerre »81.
Selon certaines sources, même si l'accord de paix était
signé, le président Habyarimana, par exemple, qui subissait de
fortes pressions de sa ligne dure, n'avait aucune intention de l'appliquer.
Dans un discours, il parla de l'accord comme d'un vulgaire « bout de
papier »82. On se préparait également
à la reprise de la guerre du côté du FPR. Les deux parties
pratiquaient des actes de déstabilisation et recouraient aux assassinats
politiques. Début 1994, l'ennemi avait été
identifié. Grâce à une propagande intensive des
médias et du gouvernement, l'ennemi qui menaçait le pouvoir de la
rubanda nyamwinshi (la grande majorité) devint une menace pour
le pouvoir de la majorité ethnique hutue. Le danger (perçu) ne
venait donc pas seulement de l'extérieur, par le biais d'invasions, mais
aussi de l'intérieur, de chaque citoyen tutsi vivant au Rwanda, et par
extension de chaque Muhutu défavorable au statu quo de la rubanda
nyamwinshi au pouvoir. Dans un article apparu en janvier 1994 dans le journal
Kangura- « Réveillez-le », se proclamant « la
voix qui cherche à réveiller et à guider le peuple
majoritaire », Hassan Ngeze, éditeur de ce journal mentionne par
exemple: « Nous... disons aux Inyenzi (cafards) que s'ils
lèvent leurs têtes encore, il ne sera plus nécessaire
d'aller combattre l'ennemi dans la brousse. Nous... commencerons par
éliminer à l'intérieur... ils disparaitront i3.
De plus, les récits et les rapports du FPR massacrant les Bahutu
sur leur route vers le Rwanda frappaient l'imagination et renforçaient
la peur. On en venait ainsi à percevoir qu'il fallait supprimer cette
menace. Le slogan « Hutu Power » (Hutu pawa, le pouvoir aux
Bahutu)84 se propagea dans les collines ; stigmatisés, les
Batutsi devinrent des inyenzi (cafards). C'est dans cette
atmosphère hautement explosive que l'avion d'Habyarimana fut abattu
alors qu'il s'apprêtait à atterrir à l'aéroport de
Kigali, à son retour d'un sommet régional en Tanzanie et c'est
ainsi que débuta une campagne d'extermination massive. Les
événements évoluèrent rapidement dans la capitale.
Certaines régions rurales réagirent spontanément à
l'appel à l'action ; d'autres résistèrent longtemps. Mais
en réalité, tuer les Tutsi était une tradition politique
dans le Rwanda postcolonial, un moyen d'unir la population.
régime en place concluait l'affaire la plus importante en
matière d'armement avec une société française pour
12 millions US $ avec un prêt garanti par le gouvernement
français.
81 Gérard Prunier, Rwanda 1959-1995 :
Histoire d'un génocide, Paris, Dagorno, 1997, p. 199 ; 234.
82 Nous tirons ce fragment de la fresque du
mémorial de Gigozi, site du génocide que nous avions
visité à deux reprises en février 2012 à Kigali.
Les autres références extraites de ce mémorial se feront
dans le texte avec le titre Fresque Gigozi, 2012.
83 Fresque Gigozi, 2012.
84 Gérard Prunier, Ibid., p. 227.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
Paragraphe II : Des massacres multiples au génocide
de 1994
Le 6 avril 1994, le Président du Rwanda, Juvénal
Habyarimana et le président burundais Melchior Ndadaye, sont
assassinés lors de l'explosion de leur avion, touché en vol par
un missile. Ce fut le point de départ d'une campagne de violence
génocidaire contre le groupe ethnique minoritaire des Batutsi et les
Bahutu dits « modérés », membres du groupe ethnique
majoritaire mais opposés au régime en place. Un effroyable bain
de sang à huis clos s'est ainsi organisé sur le modèle de
la solution finale marquant le dernier génocide du XXe
siècle avec pour intention d'exterminer tous les Tutsi. En
effet, consciencieusement planifié par le régime de
l'époque, des hommes de la Garde présidentielle, des
personnalités politiques Hutu, les milices populaires
interahamwe85 - « ceux qui attaquent ensemble »-,
et la Radio Mille Collines appelèrent tous les Hutu à
« travailler », c'est-à-dire à tuer les Tutsi
: « Vengeons l'immonde assassinat par les cancrelats du
bien-aimé Juvénal Habyarimana et de Melchior Ndadaye, le
regretté président du Burundi. Traquez partout le serpent et
tuez-le. Que le monde, par votre magnifique travail, soit à jamais
libéré du mal »86. Par contre, si l'on a
attendu l'assassinat de Habyarimana pour exécuter le génocide,
néanmoins, cette campagne datait de novembre 1992 : « Nous le
peuple, nous sommes obligés d'assumer nous-mêmes la
responsabilité de liquider cette racaille »87
expliquait par exemple Léon Mugesera, médecin,
vice-président du Mouvement révolutionnaire national pour le
développement et la démocratie (MNRD), ami intime et conseiller
d'Habyarimana, exhortant même les Hutu à renvoyer les Tutsi en
Ethiopie par la rivière Nyabarongo. En avril 1994, la rivière
débordait de Tutsi morts, et par dizaines de milliers les cadavres
s'échouaient sur les rives du lac Victoria. Mugesera était la
voix du pouvoir et la plupart des Rwandais sont encore capables de citer
très précisément son célèbre discours. En
effet, la loi, proclamait Mugesera, stipulait la mort pour les complices des
cafards : « Qu'attendons-nous pour exécuter la sentence ?
» demandait-il. Les membres des partis d'opposition « n'ont aucun
droit à vivre parmi nous »88, et, en tant que
dirigeant du Parti, il avait le devoir de sonner l'alarme et d'engager le
peuple à
85 C'est le MRND d'Habyarimana qui fut responsable
de l'établissement de l'Interahamwe, une milice voyante et
potentiellement dangereuse de jeunes Hutus, qui devint extrêmement
populaire. Soulignant le pouvoir Hutu et la qualité Hutu au
détriment des vies des Tutsis, leur message était renforcé
et répandu par un média extrémiste, la Radio des Milles
Collines. Nous soulignons ici que les interahamwe passèrent
pour la première fois du jeu au travail en mars 1992, lorsque Radio
Rwanda, organisme public, annonça les « découvertes »
d'un plan tutsi visant à massacrer les Hutu. C'était de la pure
désinformation, mais invoquant l' « autodéfense »
préventive, des miliciens et des villageois de la région de
Bugesera, au sud de Kigali, exterminèrent trois cent Tutsi en trois
jours. Voir image des Interahamwe à l'annexe.
86 Fresque Gigozi, 2012.
87 Fresque Gigozi, 2012. Voir également
Gérard Prunier, Op. cit., p. 209.
88 Fresque Gigozi, 2012.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
« se défendre ». Quant aux « cafards
», « Qu'attendons-nous pour décimer ces familles ?...
C'avait été une terrible erreur de laisser survivre des Tutsi en
1959 : Détruisez-les ! Quoi que vous fassiez, ne les laisser pas s'en
tirer. Souvenez-vous que la personne à qui vous sauverez la vie ne
sauvera certainement pas la vôtre »89.
A. La montée de l'extrémisme
Pendant le génocide, la Radio Télévision
Libre des Milles Collines a été utilisée pour inciter
à la haine, donner des instructions et légitimer des tueries :
Combattez ! Ecrasez-les ! Debout ! Avec vos lances, vos
bâtons, vos fusils, vos épées, des pierres, tout,
transpercez-les, ces cafards, ces ennemis de la démocratie, montrez que
vous savez vous défendre, encouragez vos soldats. Si tu es fermier et
que tu entends des tirs, cesse ton travail et va te battre. Tu dois cultiver et
combattre en même temps !90
Avant le génocide, c'est la radio nationale qui
véhiculait ce genre de message : « nous contre eux ; tué
ou être tué »91. Suite au message
véhiculé par la Radio des Milles Collines, des dizaines de
milliers de Hutu se sentant entraînés, intimidés ou
inquiétés par cette situation infiniment chaotique,
répondirent à l'appel et s'engagèrent ainsi dans les
tueries. Tout au début du génocide, des listes avaient
déjà été établies : il s'agissait
d'arrêter pour commencer les Tutsi instruits, les Tutsi prospères,
et ceux qui voyageaient à l'étranger, ainsi que les Hutu
importants qui, pour une raison ou pour une autre, passaient pour être en
désaccord avec le régime. De même, ils avaient le
numéro de chaque maison et où ils marquaient à la peinture
rouge le domicile de tous les Tutsi et des modérés hutu ainsi,
ils pouvaient massacrer plus de six cent quarante-sept personnes dans des
quartiers92.
Dans l'ouvrage intitulé L'ombre d'Imana : Voyages
jusqu'au bout du Rwanda de Véronique Tadjo, l'auteure rapporte par
exemple les propos d'un prisonnier en ces termes :
De son temps, le président avait dit qu'on se
débarrasse des traîtres qui sont allés à
l'extérieur du pays pour apprendre à manier le fusil. Et puis
quand le président est mort, on nous a dit que les Tutsis l'avaient
tué mais que s'ils voulaient venir ici, ils ne trouveraient plus aucun
de leurs complices vivant. Ils ne trouveraient plus personne pour les aider
à tuer les Hutus. Il fallait riposter, se défendre. Il fallait
faire échouer le complot tutsi. Il fallait aussi se débarrasser
des Hutus qui parlaient comme des Tutsis, les amoureux du FPR. Dans les
meetings, les conseillers disaient : « Ou bien vous les tuez ou
bien
89Fresque Gigozi, 2012.
90 Idem.
91 Ibid.
92 Ibid.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
c'est vous qui serez tués ». C'était
facile parce que nous connaissions tous la liste des gens à tuer dans
les zones qu'il fallait. Dans les collines tout le monde se connait, tu ne
pouvais pas cacher ton identité93.
Elle poursuit :
Chaque nuit, quand on repérait des complices, des
ennemis, la consigne passait aux barrages routiers et quand ils essayaient de
passer pour se sauver avec leur famille, ils étaient découverts
et tués tout de suite. Il fallait qu'ils soient tous tués parce
que si l'un d'eux s'échappait, il pouvait aller rejoindre les rebelles
de l'armée du FPR et revenir nous attaquer. Il fallait aussi tuer les
enfants car beaucoup des chefs du FPR étaient des enfants
eux-mêmes quand ils se sont sauvés du pays. Le nettoyage devait
être absolument total. A la radio on entendait que la tombe
n'était pas encore remplie, qu'il fallait aider à la remplir
(...) Oui, sans aucun doute, les ennemis devaient disparaitre du pays. Ils
croyaient qu'ils allaient ressusciter et revenir occuper le Rwanda mais
grâce aux armes nous pouvions les tuer. Il fallait fouiller chaque
secteur, chaque colline, chaque quartier et c'est ce que nous avons fait
»94.
On comprend aisément qu'il y a eu l'incitation directe
et publique à commettre le génocide et des tels actes sont punis
selon l'article III de la Convention pour la prévention et la
répression du crime du génocide. C'est donc ainsi que
d'avril à juin 1994, le génocide rwandais a fait, selon une
estimation de l'ONU, environ 800 000 morts, surtout parmi les Tutsis, mais
aussi parmi les opposants hutus. Il ne prit fin qu'au moment de la victoire du
Front Patriotique Rwandais (FPR) proclamée le 18 juillet 1994.
B. Les violations du droit international humanitaire et
des droits de l'homme
Les abus et les violations du droit international humanitaire
sont au coeur du génocide rwandais et en constituent la
conséquence. Suite à la description ci-dessus concernant le
génocide au Rwanda, on pourrait simplement constater que le droit
international humanitaire, droit qui s'applique dans des situations de conflit
armé international ou non international et contenu dans les quatre
Conventions de Genève de 194995 et les deux
protocoles additionnels de 197796 n'a pas été
respecté lors de la guerre civile et du génocide au Rwanda. Le
droit
93 Véronique Tadjo, L'ombre d'Imana :
Voyages jusqu'au bout du Rwanda, Paris, Actes du Sud, 2000, p. 124
94 Ibidem.
95 Les blessés et malades dans les forces
armées en campagne (1ère Convention), les
blessés, malades et naufragés des forces armées sur mer
(2ème Convention), les prisonniers de guerre
(3ème Convention) et les personnes civiles en temps de guerre
(4ème Convention). Pour le génocide au Rwanda c'est la
quatrième convention qui nous intéresse.
96 En 1977, les Conventions de Genève de
1949 ont été complétées par deux protocoles
additionnels sur la protection des victimes de conflits armés
internationaux et non internationaux. Toutefois, nous soulignons qu'en 2005, un
troisième protocole consacré à la question de
l'emblème s'est ajouté. Nous rappelons que le conflit rwandais
est non international ; c'est un méso conflit complexe.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
international humanitaire est conçu pour
protéger ceux qui ne participent pas ou ne participent plus aux actions
hostiles et pour garantir les droits fondamentaux des civils, les victimes et
les non-combattants dans un conflit armé.
Au Rwanda, les femmes et les enfants étaient une cible
directe des génocidaires pour le meurtre, le viol et la mutilation. Les
femmes Tutsis étaient violées systématiquement et
mutilées sexuellement comme une arme de génocide. « Dans
les camps par exemple, 500 000 femmes victimes ont été
violées ; beaucoup furent violées brutalement et à
plusieurs reprises, souvent par des hommes qui étaient connus comme
séropositifs »97. Ici, l'article 3 commun
aux quatre Conventions de Genève applicable aux conflits
armés non internationaux qui énonce en quoi consiste un minimum
de traitement humain a été violé. En effet, selon cet
article, sont et demeurent prohibés, en tout temps et en tout lieu : les
atteintes portées à la vie et à l'intégrité
corporelle, notamment le meurtre sous toutes ses formes, les mutilations, les
traitements cruels, tortures et supplices etc. Malheureusement, les
génocidaires torturaient à morts les victimes. La torture et les
autres traitements cruels inhumains ou dégradants sont interdits en tout
temps et en toutes circonstances, à la fois par le droit international
coutumier et par les conventions internationales comme la Convention contre
la torture de 1984, les Conventions de Genève et les
Protocoles additionnels qui s'y rapportent. Pendant les conflits
armés, la torture est considérée comme un crime de guerre,
et si elle a lieu dans le cadre d'une attaque généralisée
ou systématique contre la population civile, à l'instar du
Rwanda, elle est considérée comme un crime contre
l'humanité98.
Pendant le génocide au Rwanda, l'un des supplices
préférés infligés aux Tutsi était les pieds
et les mains coupées. On coupait les tendons des victimes pour les
empêcher de s'enfuir ; on les attachait et on les frappait. Elles
devaient attendre, sans secours, d'être frappées avec une massue,
violées ou tailladées à la machette. Dans le site de
génocide de l'Eglise de Nyamata par exemple, se trouve Mukandori, la
femme âgée de vingt-cinq ans ligotée et exhumée en
1997. On lui avait ligoté les poignets et on les avait attachés
à ses chevilles. Elle a les jambes largement écartées. Son
corps est penché sur le côté. On dirait un énorme
foetus fossilisé. Elle a été violée. Un pic fut
enfoncé dans son vagin. Elle est morte d'un coup de machette à la
nuque. Parfois, les victimes étaient jetées vivantes au fond de
profondes latrines et des rochers lancés les uns après les autres
jusqu'à ce que le silence de la
97 Fresque Gigozi, 2012.
98 Voir la Convention contre la torture de
1984, les Conventions de Genève et les protocoles
additionnels qui s'y rapportent.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
mort recouvre enfin leurs cris déchirants. La mort
était devenue une fin douloureuse, agonisante, effrayante et humiliante.
Les femmes et les enfants n'étaient pas seulement des victimes du
génocide mais ils en étaient également des auteurs. Les
enfants étaient fréquemment forcés à participer
souvent en tuant leurs amis ou leurs voisins. Or l'enrôlement des enfants
dans de tels actes est considéré comme crime de guerre.
De plus, parmi tant d'autres éléments, le Droit
International Humanitaire fait une distinction entre biens civils et objectifs
militaires. Au Rwanda, les actes de violences ont été
dirigés contre des biens civils. Les écoles, les églises
ont été attaquées ; les populations qui avaient
trouvé refuge en ces lieux ont toutes été
massacrées ; pourtant elles faisaient partie des personnes qui ne
participaient pas aux hostilités : des civils. A Nyarubuye, Kibungo par
exemple, l'église, le couvent et l'école de Nyarubuye furent
transformés en un lieu de massacre. A peu près 20 000 personnes y
ont été tuées99. A Nyamata, Bugesera, 10 000
personnes ont été tuées dans l'église et ses
alentours100. Les femmes étaient systématiquement
violées et abusées dans l'église pendant le massacre. A
Nyangue, 2000 fidèles avaient trouvé abri dans l'église
quand l'abbé Seromba donna l'ordre de démolir le bâtiment
au bulldozer ; il tua ses propres fidèles dans sa propre
église101. A Ntarama, Bugesera, des grenades furent
jetées dans l'église102. Les victimes
stupéfiées furent taillées en pièce ou
fusillées. Ici, les interahamwe n'ont pas pu
différencier les populations civiles des combattants du FPR afin
d'épargner les civils et leurs biens ce d'autant plus que l'objectif
était la destruction totale d'une ethnie. Or, ni la population civile
dans son ensemble ni des civils pris individuellement ne doivent faire l'objet
d'attaques. Les attaques ne peuvent viser que des objectifs militaires. En
gros, la protection des femmes et des enfants qui est un thème relatif
aux droits de l'homme n'a pas été respectée de même
que la Convention sur la prévention et la répression du crime
de génocide adoptée en 1948103 et signé
par le Rwanda le 16 avril 1975, entrée en vigueur le 15 juillet 1975
pour le Rwanda.
De même, dans le contexte rwandais, si l'on se
réfère à la Déclaration universelle des droits
de l'homme, pierre angulaire des normes internationales en matière
de droits de
99 Fresque Gigozi, 2012.
100 Idem.
101 Idem.
102 Idem.
103 Après l'Holocauste (1939-1945), les Nations Unies
ont introduit une Convention sur la prévention et la
répression du crime de Génocide. L'intention était
d'empêcher la continuation du génocide, mais la Convention
était d'application difficile et elle est restée en grande partie
inefficace. L'échec de la communauté internationale d'agir d'une
façon opportune et efficace au Rwanda et dans les Balkans doit
nécessiter à jamais le renouvellement des efforts pour trouver
des mesures préventives plus agissantes.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
l'homme, texte fondateur qui stipule que les droits de l'homme
et les libertés fondamentales sont universels et garantis par tous, lors
du génocide, ce sont les droits civiques et politiques qui ont
été le plus bafoués notamment : le droit à la vie,
le droit de ne pas être torturé et surtout le droit d'être
protégé de la discrimination. Environ 800 000 personnes
trouvèrent la mort dont une majorité de tutsis.
Au sortir du génocide, il fallait à tout prix
éradiquer la culture de l'impunité, permettre la poursuite et le
jugement des auteurs de génocide et autres crimes contre
l'humanité, distinguer dans cet immense chaos les innocents des
coupables, rendre justice aux victimes et reconnaître leurs droits, tout
en tenant compte de la nécessité de reconstruire la
société et de rétablir le dialogue social. Il fallait donc
reconnaître le mal, l'exorciser par la justice, par une tentative de
justice réelle car, tout crime non puni engendrera d'autres crimes.
Après la victoire du Front patriotique rwandais (FPR), le gouvernement a
inscrit dans ses priorités la réconciliation et la lutte contre
l'impunité, conditions sine qua non de la reconstitution du tissu social
déchiré. Le gouvernement s'est demandé quel processus
mettre en oeuvre pour reconstruire la société et fonder les bases
d'un nouveau vivre ensemble. Ainsi, la démarche judiciaire a joué
un rôle important dans le processus de justice transitionnelle au Rwanda
en vue de la consolidation et du rétablissement de l'unité des
Rwandais qui va de pair avec l'éradication de l'idéologie du
génocide. Cette démarche s'est opérée sur trois
modèles notamment, les juridictions nationales, les Juridictions
Gacaca104 et le Tribunal Pénal International pour le
Rwanda.
SECTION II : LA JUSTICE TRANSITIONNELLE A TRAVERS LE
RECOURS AUX JURIDICTIONS NATIONALES
Paragraphe I : Le système judiciaire
Dans le cadre de la justice transitionnelle, le droit à
la justice s'analyse tout d'abord comme l'obligation qu'ont les Etats de mener
rapidement des enquêtes judiciaires approfondies, indépendantes et
impartiales sur les violations des droits de l'homme et du droit international
humanitaire. C'est dans ce contexte que lorsqu'une guerre civile, un
génocide ou une dictature brutale s'achève, la question se pose
inévitablement de savoir comment traiter les auteurs de graves
violations des droits humains. De fait, une société sortant d'un
conflit a
104 Gacaca : terme en « Kinyrwanda »
désignant les cours de justice traditionnelles. Actuellement, ce terme
fait référence aux tribunaux populaires supplétifs
prévus par le gouvernement du Rwanda pour rendre la justice sur les
collines.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
l'obligation morale de juger et de punir les coupables, car
c'est précisément une réparation qu'attendent les
victimes. Celle-ci les aide à guérir leurs blessures et à
reprendre confiance en elles. La quête de la justice est ainsi
nécessaire après le génocide, pour mettre fin à
l'impunité, pour s'assurer qui a été directement
responsable et honorer les rescapés avant la dignité de voir un
jugement juste et équitable.
Dans le contexte rwandais, en vue de régler le
contentieux généré par le génocide, les
autorités rwandaises ont opté dans un premier temps pour les
poursuites pénales qui contribuent à l'adhésion de la
population à des valeurs démocratiques et démontrent la
désapprobation du gouvernement envers des violations et abus de droits
humains. Au Rwanda, la responsabilité criminelle a donc d'abord
été établie au niveau national en ce sens que les
poursuites pénales représentent une des premières
catégories de la démarche judiciaire dans le processus de justice
transitionnelle.
A. Le système juridique classique : la justice
pénale rwandaise
Le recours aux juridictions nationales est régi par la
conception actuelle du droit pénal international qui habilite, voire
oblige, les Etats à traduire en justice devant leurs tribunaux les
personnes suspectées d'avoir commis les crimes internationaux les plus
graves. En guise d'illustration, en matière de génocide par
exemple, l'article V de la Convention sur le génocide prescrit
que les personnes accusées de génocide ou de quelconque des
autres actes énumérés à l'article III seront
traduites devant les tribunaux compétents de l'Etat sur le territoire
où l'acte a été commis. En outre, le Statut de
Rome instituant la Cour pénale internationale (CPI) accorde une
priorité juridictionnelle aux Etats dans la répression des crimes
qu'il prohibe.105 A travers donc ces instruments internationaux, on
se rend aisément compte que les tribunaux étatiques ont un
fondement juridique solide en droit international pour réprimer les
crimes internationaux tel que le génocide. Cela étant,
l'obligation de l'Etat rwandais d'enquêter sur les atteintes aux droits
de l'homme et de prendre des sanctions contre les personnes responsables
découle du droit international des traités et Conventions de
Genève de 1949. Les personnes jugées par les tribunaux
ordinaires au Rwanda font partie de la Catégorie 1 qui
mentionne ce qui suit :
- La personne que les actes criminels ou de participation
criminelle
rangent parmi les planificateurs, les organisateurs, les
incitateurs, les
105 Ici, c'est le sens qu'il convient de donner au principe
fondamental de la complémentarité de la CPI par rapport aux
juridictions étatiques. Voir Statut de la Cour pénale
internationale du 17 juillet 1998 et le Statut de Rome de 2002.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
superviseurs et les encadreurs du crime de génocide ou
des crimes contre l'humanité, ainsi que ses complices ;
- La personne qui, agissant en position d'autorité
au niveau national, au niveau de la Préfecture, au niveau de la Sous-
Préfecture ou de la Commune, au sein des partis politiques, de
l'armée, de la gendarmerie, de la police communale, des confessions
religieuses ou des milices, a commis ces infractions ou a encouragé les
autres à les commettre, ainsi que ses complices ;
- Le meurtrier de grand renom qui s'est distingué
dans le milieu où il résidait ou partout où il est
passé, à cause du zèle qui l'a caractérisé
dans les tueries ou de la méchanceté excessive avec laquelle
elles ont été exécutées, ainsi que ses complices
;
- La personne qui a commis les actes de torture quand bien
même les victimes n'en seraient pas succombées, ainsi que ses
complices ;
- La personne qui a commis l'infraction de viol ou les actes
de tortures sexuelles ainsi que ses complices ;
- La personne qui a commis les actes dégradants sur le
cadavre ainsi que ses complices106.
Le Parlement rwandais avait adopté une loi
spéciale sur le génocide qui classait la responsabilité
selon la position du coupable dans la hiérarchie homicide, et offrait
des réductions de peine aux moindres criminels qui avouaient leur faute.
Bien que tous les meurtriers soient passibles de la peine de mort, selon le
code pénal du pays, la loi sur le génocide ne réservait
l'exécution qu'aux élites appartenant à la
catégorie numéro un : planificateurs, organisateurs,
instigateurs, contrôleurs et dirigeants au niveau de la nation, de la
préfecture, de la commune, du secteur ou de la cellule, ainsi que les
meurtriers notoires qui se sont distingués par l'ardeur ou la
cruauté excessive avec laquelle ils ont commis des atrocités, et
les auteurs d'actes de torture sexuelle. Pour les innombrables tueurs
ordinaires et leurs complices- les suiveurs-, la peine maximum de prison
à vie pourrait, après avoir fait une confession valide et
plaidé coupable, être diminuée jusqu'à sept ans. Les
condamnations pour attaques non mortelle et crimes contre les biens
étaient pareillement réductibles.
Le recours aux juridictions nationales par le gouvernement
rwandais a eu pour but l'instauration et le maintien de la paix et de la
stabilité politique ce d'autant plus que dans cette optique, les
poursuites judiciaires évitent les vengeances privées
effrénées. Sans cela, les victimes pourraient être
tentées de rendre elles-mêmes justice. Les risques seraient alors
une justice de légitime défense, des exécutions sommaires
et une spirale de vengeances. De plus, cette « justice
d'autodéfense » peut encore déclencher des troubles sociaux
et politiques. La survie du régime nouvellement établi
dépend d'actions judiciaires promptes et fermes à
106 Voir la Loi organique n° 8/96 du 30 août 1996 sur
l'organisation des poursuites des infractions constitutives du crime de
génocide ou de crimes contre l'humanité à partir du
1er octobre 1990.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
l'encontre des responsables des violations des droits humains les
plus graves. Ce point est considéré comme un moyen d'obtenir une
sécurité physique minimale.
B. La paralysie des juridictions classiques
L'après génocide au Rwanda a
révélé que les institutions chargées de respecter
la loi, de rendre et d'appliquer les décisions de justice avaient
cessé de fonctionner, que les bâtiments des tribunaux
étaient saccagés, et que le pays ne comptait plus qu'une
vingtaine de magistrats tutsi107 pour juger plus de cent vingt mille
personnes arrêtées et détenus, dans des conditions
inacceptables, pour crime de génocide, alors que la capacité des
prisons avant les événements n'était que d'environ
dix-huit mille places.
Le système judiciaire classique après le
génocide était à la fois décimé du fait du
conflit et n'offrait plus de garantie aussi bien pour les détenus que
pour les victimes qui devraient attendre un délai non défini
avant d'être fixées sur leur sort. En effet, c'est en
décembre 1996 que les tribunaux classiques ont commencé à
juger des affaires de génocide. En 1998, ils avaient seulement
réussi à juger 1292 suspects de génocide. Or, il faut des
institutions fortes pour que justice soit faite. Le gouvernement attribuait la
paralysie judiciaire au manque de ressources financières et humaines.
S'il ne cessait de recruter et de former des inspecteurs de police, pour qu'ils
constituent les dossiers d'accusation, c'étaient néanmoins pour
la plupart des amateurs qui devaient élucider des centaines d'affaires
compliquées, sans moyens de transport, sans collaborateurs, et
très souvent sous la menace à la fois des accusateurs et des
accusés.
En somme, le Rwanda a fait recours à des poursuites
pénales au niveau national pour contribuer à dissuader de
commettre de nouveaux actes de génocide ; exprimer la condamnation
publique de la conduite criminelle ; fournir une forme directe de
responsabilité pour les auteurs de crimes et de justice pour les
victimes ; symboliser le soutien par l'Etat d'un certain nombre de valeurs
démocratiques et enfin contribuer à la reconstruction de la
107 Le génocide avait tué un grand nombre de
juges et autres membres du personnel judiciaire tutsis. Selon le bureau de
terrain du Haut commissariat aux droits de l'homme pour le Rwanda, la guerre et
le génocide avaient dévasté le système judiciaire,
avec seulement 237 juges en mesure de reprendre le travail en août 1994
sur plus de 600 juges en service avant le génocide. Voir « The
Administration of Justice in Post-Genocide Rwanda », HRFOR/Justice/June
1996/E,
http://repository.forcedmigration.org/show
metadata.jsp?pid=fmo:3105. (consulté le 15 mars 2011).
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
confiance publique de l'Etat. Autrement dit, le recours aux
juridictions nationales via les poursuites pénales permettent de
réitérer des valeurs fondamentales qui sont essentielles au
fonctionnement pacifique de chaque société, de rétablir la
confiance dans les institutions, et d'adresser un signal préventif clair
selon lequel l'impunité pour les crimes graves n'est plus de mise.
Toutefois, atteindre ces objectifs a été si difficile pour le
gouvernement rwandais.
Paragraphe II : Le système pénitentiaire
rwandais après le génocide
A. Etat des lieux et détenus accusés
d'avoir participé au génocide
L'une des rares choses que les vandales
épargnèrent au Rwanda fut le système pénitentiaire
: treize enceintes fortifiées de brique rouge, conçues pour
abriter un total de douze mille personnes. Pendant le génocide, les
détenus avaient été libérés pour qu'ils
puissent participer aux tueries et ramasser les cadavres, mais les prisons ne
restèrent pas longtemps vides. « En avril 1995, un an
après les massacres, au moins trente-mille hommes, femmes et enfants,
accusés d'avoir participé au génocide, avaient
été arrêtés. A la fin de l'année, leur nombre
atteignait soixante mille »108. On agrandit certaines
prisons et on en construisit de nouvelles, tandis que des centaines de petits
dépôts locaux étaient bourrés à craquer,
« mais l'espace disponible restait toujours très insuffisant :
à la fin de 1997, au moins cent vingt-cinq mille Hutu inculpés de
crimes pendant le génocide étaient incarcérés dans
les geôles rwandaises »109. En effet, les
hiérarchies rwandaises habituelles s'étaient reconstituées
derrière les murs de la prison : « intellectuels »,
fonctionnaires, membres des professions libérales,
ecclésiastiques et commerçants s'étaient attribué
les cellules les moins inconfortables, tandis que dans les cours la grande
masse des paysans et ouvriers, emboîtés les uns dans les autres,
étaient accroupis en plein air à même le sol. « On
y retrouvait souvent quatre détenus au mètre carré, si
bien que nuit et jour les prisonniers devaient rester debout, et même
pendant la saison sèche une épaisse couche de condensation,
d'urine et de débris de nourriture tapissait le sol
»110. Dans la même veine, Philip Gourevitch souligne :
« Les détenus ainsi encaqués voyaient leurs pieds, leurs
chevilles et parfois leurs jambes entières doubler ou tripler de volume,
puis s'atrophier, pourrir et souvent s'infecter ; on amputait des centaines.
Ils supportaient leur situation ; personne ne se révoltait, des
tentatives d'évasion étaient rares alors que les prisons
étaient si mal gardées »111. Il était
difficile d'expliquer
108 Philip Gourevitch, Op. cit., p. 335.
109 Ibid. p. 337.
110 Notre entretien avec un ancien prisonnier, Kigali, 23
février 2012.
111 Ibid., p. 342.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
cette passivité des détenus. Mais, selon nos
différents entretiens avec la population rwandaise, l'hypothèse
la plus vraisemblable était que, au lieu d'avoir été
massacrés par le FPR comme ils s'y attendaient et recevant au contraire
des visites régulières d'humanitaires, de reporters et de
diplomates étrangers bienveillants, ils étaient simplement
stupéfaits d'être encore vivants et ne tenaient pas à
courir de risques inutiles. Seulement, personne de ces détenus ne
reconnaissait avoir pris part aux tueries, personne ne voulût seulement
admettre qu'il y avait eu un génocide. Une guerre civile et quelques
massacres, sans doute, mais personne n'avait rien vu. Des dizaines de
détenus prétendaient avoir été arbitrairement et
injustement arrêtés.
Pour le gouvernement, ce nombre des détenus ne leur
disait rien car, s'il y avait eu un million de morts au Rwanda c'est que ces
morts ont été tués par des tas de gens. Ainsi, pour eux,
si remplies à craquer qu'elles fussent, les prisons rwandaises
étaient loin de contenir tous les coupables. Parfois une personne
pouvait tuer six victimes et parfois ils se mettaient à trois pour en
tuer une. Dusaidi, Conseiller de Kagamé note à ce propos : «
Prenez n'importe quel film du génocide et regardez comment ils
tuent. Vous verrez toujours un groupe massacrer une personne. Il y a donc
beaucoup de tueurs qui se promènent encore dans les rues que nous n'en
avons en prison. Le nombre des prisonniers n'est qu'une miette
»112. Cependant, que des coupables restent en
liberté ne signifie nullement que tous les détenus soient
coupables. Mais, pour le gouvernement, c'était la meilleure
manière de faire face à la situation car, si ces prisonniers
avaient subi des actes de vengeance, ça aurait été encore
plus grave. Leur détention en prison était vraiment la meilleure
façon de procéder en attendant que la justice se prononce ;
dehors, ils risquaient fort de se faire tuer. Seulement, les tribunaux rwandais
étaient fermés et pendant plus de deux ans et demi personne ne
fut jugé.
B. Une surpopulation pénitentiaire
Comme nous venons de le souligner, au début du
processus judiciaire rwandais pour les affaires découlant des
atrocités de 1994, les prisons étaient surpeuplées des
personnes soupçonnées de génocide. En 1995, le nombre de
détenus était de 61 210113. A la fin de l'année
1996, il était de 120 000114 pour atteindre plus de 150 440
en 1999, dont faisaient
112 Cité par Philip Gourevitch, Op. cit., p.
339.
113 Rapport sur la situation des droits de l'homme au Rwanda
soumis par René Degni-Ségui, Rapporteur spécial de la
Commission des droits de l'homme, en application du paragraphe 20 de la
résolution S-3/1 du 25 mai 1994, Doc. NU E/CN.4/1996/68, 29 janvier 1996
à la p. 27 au par. 89.
114 Nzirabatinyi, « Poursuites des infractions :
détention préventive face à la présomption
d'innocence : contradiction ou complémentarité ? » (15 mars
1999), dans Le Verdict n°2, p.19.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
partie au moins 135 000 personnes accusées de
génocide (soit 89, 7 % des accusés)115. Vers la fin de
l'année 1999, quelque 2500 personnes avaient été
jugées par les chambres spécialisées créées
par la Loi organique n° 08/96 du 30 août 1996116 au sein
des tribunaux de première instance. Au même moment cependant, 120
000 détenus attendaient leurs procès, alors que la justice
rwandaise était complètement paralysée. C'est au regard de
ces chiffres auxquels il fallait ajouter des suspects et des accusés non
détenus, qu'il est apparu clairement que les chambres
spécialisées117 que le Rwanda avait mises en place
pour juger les génocidaires étaient incapables de liquider toutes
ces affaires dans les délais raisonnables. Pour Human Rights
Watch118, en 1998, 130 000 suspects de génocide
étaient entassés dans un espace carcéral conçu pour
accueillir 12 000 personnes, aboutissant à des conditions inhumaines et
des milliers de morts. Entre décembre 1996 et le début de 1998,
les tribunaux classiques avaient jugé seulement 1 292 personnes
soupçonnées de génocide, ce qui a conduit à
l'assentiment général qu'une nouvelle approche était
nécessaire pour accélérer les procès.
C'est dans ce contexte, caractérisé par un
système judiciaire quasi en ruine et une surpopulation
pénitentiaire sans précédent, que la loi organique sur
l'organisation des poursuites des infractions constitutives du crime de
génocide ou de crimes contre l'humanité, commises à partir
du 1er octobre 1990 fut adoptée le 30 août 1996 par
l'Assemblée Nationale de Transition. Cette loi faisait état de
nombreuses particularités par rapport au droit commun de la
procédure pénale car la situation exceptionnelle
nécessitait l'adoption de mesures pour le besoin de justice du peuple
rwandais. Les procès ont débuté en décembre 1996,
sitôt après l'adoption du texte. Cependant, assez rapidement, il
est apparu clairement que le système judiciaire classique, en
dépit des aménagements apportés par la première loi
organique, ne serait pas en mesure d'absorber, dans les délais
raisonnables, l'immense contentieux qui se présenterait à lui. La
lenteur des procédures et le retard marqué dans le jugement de
ces affaires, risquaient d'entraver les efforts engagés pour la
réconciliation des Rwandais. Sur cent trente mille détenus, si on
calcule que mille prisonniers, au maximum, pouvait être jugés par
an, cela prendrait plusieurs années. Des procès interminables au
mépris des droits des accusés et des victimes, et des
détentions préventives toujours prolongées, risquaient
d'égarer
115 Kamashabi, « Avancement des procès de
génocide » (15 mars 1999), Le Verdict, p. 3.
116 Loi organique n° 08/96 du 30 août 1996 sur
l'organisation des poursuites des infractions constitutives du crime de
génocide ou de crimes contre l'humanité, commise à partir
du 1er octobre 1990.
117 Loi organique n° 8/96 du 30 août 1996 sur
l'organisation des poursuites des infractions constitutives du crime de
génocide ou de crimes contre l'humanité à partir du
1er octobre 1990, Journal Officiel n° 17 du
01/09/1996.
118 Human Rights Watch dans « Justice compromise :
l'héritage des tribunaux communautaires Gacaca du Rwanda
», op. cit.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
la justice sur le chemin espéré de la
réconciliation. Il n'était pas non plus envisageable de se
résoudre à des mesures d'amnistie, lesquelles auraient
consacré une nouvelle victoire d'impunité. A ce sujet, Charles
Murigande, président de la commission sur la responsabilité du
génocide note « Actuellement, accorder une amnistie
générale déclencherait le chaos. Mais si nous pouvions
mettre la main sur les principaux responsables, une amnistie serait très
bien accueillie »119. C'était là une
condition bien difficile à remplir. De même que son assassinat
avait fait d'Habyarimana un martyr du Pouvoir hutu, il avait aussi permis que
les massacres prétendument engagés pour le venger ne soient
jamais comptés. La liste des Rwandais les plus recherchés
regroupait un mélange hétéroclite de membres de
l'akazu120, d'officiers de l'armée, de journalistes,
politiciens, hommes d'affaires, maires, fonctionnaires, ecclésiastiques,
instituteurs, chauffeurs de taxi, commerçants et hommes de main dont il
était difficile de suivre les traces et impossible d'établir une
hiérarchie précise de responsabilité. Certains auraient
donné les ordres, clairement ou indirectement, que d'autres auraient
transmis ou exécutés ; mais le plan de sa mise en oeuvre avait
été ingénieusement conçu pour paraître non
planifié. Au-delà de tout, le FPR estimait le pardon tout aussi
impossible, à moins que, au minimum, les auteurs du génocide ne
reconnaissent leurs torts. Toutefois, le gouvernement envisagea
d'alléger la tâche des tribunaux en définissant des
degrés de criminalité chez les génocidaires, et en
infligeant aux moindres criminels des tâches d'intérêt
public ou des programmes de rééducation. Alors, le temps passant,
la demande de justice se transforma, largement, en demande de repentir. En
fait, la seule réponse correcte au génocide était une
vraie justice ; seulement, le Rwanda avait la peine de mort, et cela
impliquerait par conséquent de tuer davantage de monde. C'est donc ainsi
qu'il s'était avéré nécessaire de rectifier le tir
en cherchant d'autres voies de solution au problème121.
119 Cité par Philip Gourevitch, Op. cit., p.
349.
120 L'akazu `la petite maison', dans le Rwanda
précolonial, c'était le nom donné au premier cercle
à la cour du roi. Sous le régime de Habyarimana, l'akazu
était l'un des principaux clans politiques du régime
appelé d'abord le `Clan de Madame', puis l'akazu. En effet, ce
clan comprenait les membres de la belle-famille du Président,
principalement trois des frères de Madame et des proches. Il y avait
aussi un nombre d'affilés moins important mais dévoués,
parmi lesquels le colonel Théoneste Bagosora devait jouer plus tard un
rôle essentiel. L'akazu a joué un grand rôle dans
le génocide.
121 Nous notons qu'en janvier 1998, le vice-président
Paul Kagamé a annoncé que le Rwanda ne pouvait plus payer les 20
millions de dollars par an nécessaires pour subvenir à
l'énorme population carcérale. Le gouvernement a proposé
que les criminels les plus notoires soient exécutés (la peine de
mort étant la peine maximale pour génocide à
l'époque) et que d'autres soient jugés par un mécanisme
judiciaire coutumier, certains étant condamnés à des
peines de prison et d'autres purgeant des peines de travail forcé dans
le cadre de projets de travaux d'intérêt général. Le
22 avril 1998, 22 personnes reconnues coupables de génocide ont
été exécutées ; il s'agissait des premières
et uniques exécutions formelles effectuées en lien avec le
génocide. La plupart de ces personnes avaient été
condamnées dans des procès sommaires et inéquitables. Voir
« HRW and FIDH Condemn planned Execution of 23 in Rwanda »,
Communiqué de presse de Human Rights Watch, 23 avril 1998.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
De fait, le Rwanda allait instituer les nouvelles instances de
jugements, les Juridictions Gacaca, dispositif judiciaire particulier
pour tenter de rendre la justice, dans le contexte extraordinairement complexe
qui suit le génocide et les massacres collectifs. Il s'agissait donc
d'une tentative de réponse à l'immense défi que
représentait l'arriéré judiciaire lié au
contentieux du génocide et des massacres. Face donc au problème
des délais de poursuites judiciaires, au système juridique
faible, au problème quantitatif (le nombre de victimes et d'auteurs de
crimes s'élève à des centaines ou des milliers) qui
risquait de compromettre une paix, une sortie de crise122, le
gouvernement y avait promu l'instauration d'une solution alternative, les
tribunaux Gacaca, cours populaires et décentralisées
inspirées de certains principes de fonctionnement de la justice
traditionnelle rwandaise.
Paragraphe III: L'insertion des Gacaca dans le
système judiciaire
Face à la tentative de réponse à
l'immense défi que représentait l'arriéré
judiciaire lié au contentieux du génocide et les massacres, le
Rwanda a institué de nouvelles instances de jugements, les Juridictions
Gacaca123. Ce faisant, le pays espérait augmenter le
rendement en ce qui concerne les poursuites124, et permettre une
plus grande appropriation, par les citoyens, de la justice du génocide
et des crimes contre l'humanité. Les Juridictions Gacaca
présentent un caractère singulier et une nouveauté
incontestable en matière de justice transitionnelle : pour la
première fois, à travers une justice proche du peuple et qui
requiert le concours de tous, une population se voit dotée de la
responsabilité extrêmement délicate de juger des personnes
poursuivies pour crime de génocide et crimes contre l'humanité.
Les Rwandais ont donc exploré la possibilité de recourir aux
Gacaca dans le cadre de leur politique de justice transitionnelle en
adoptant un système de justice participative qui s'inspire d'un
processus traditionnel de résolution des conflits125. En
effet, les juridictions Gacaca constituent un système hybride,
fondé sur une institution de droit coutumier, qui intègre
simultanément des
122 En effet, le rythme des procès pour génocide
se seraient poursuivi pendant plusieurs siècles, laissant de nombreux
suspects derrière les barreaux dans l'attente de leur procès
pendant des années et même des décennies.
123 Loi organique n°40/2000 du 26/01/2001 portant
création des « Juridictions Gacaca » et organisation
des poursuites des infractions constitutives du crime de génocide ou de
crimes contre l'humanité, commises entre le 1er octobre 1990 et le 31
décembre 1994, Journal Officiel n°6 du 15 mars 2001. Nous
notons qu'à ce jour, trois lois organiques se sont succédé
pour régir le contentieux du génocide (1996, 2001 et 2004). Mais,
désormais, seule la loi organique adoptée le 19 juin 2004 est en
vigueur.
124 Nous soulignons que lorsque les Juridictions
Gacaca ont été crées en 2001, seules 6000
personnes avaient été jugées par les tribunaux classiques
après cinq années de procès ininterrompus. Environ 110 000
personnes étaient toujours détenues en attente de jugement.
125 Le Président rwandais Paul Kagamé à
décrit l'initiative comme une « solution africaine aux
problèmes africains » (voir remarques du président Paul
Kagamé à l'Institut International pour la Paix à New York,
le 21 septembre 2009).
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
concepts propres au droit écrit dans le code
pénal et la procédure pénale126. Tout en
s'appuyant sur les vertus de la mise en débat d'une affaire qui
déchire la communauté, le système prévoit des
jugements et des sanctions127.
Les Juridictions Gacaca ont de vastes
compétences, proches de celles réservées aux juridictions
ordinaires, réunissant des attributions d'instruction et de jugement.
L'insertion des Gacaca dans le système judiciaire permet de
percevoir la différence entre la forme traditionnelle des
Gacaca, à savoir une assemblée communautaire investie
d'une mission d'arbitrage et au fonctionnement librement fixé au niveau
local, et le système actuel, véritable juridiction pénale
à vocation rétributive dont le fonctionnement et le régime
des sanctions sont fixés par la loi organique n°8/96 du 30
août 1996. L'implication des institutions de justice traditionnelle dans
la répression des crimes graves est bénéfique pour tous
les intervenants et pour tous les intéressés, y compris la
communauté internationale. De ce fait, on a constaté que les
Juridictions Gacaca interviennent dans l'administration de la justice
pénale internationale bien que le schéma de justice
internationale privilégie la voie des poursuites pénales devant
des tribunaux pénaux internationaux ou nationaux. L'attrait qu'inspire
le système traditionnel est justifié par sa proximité, la
sensibilité socioculturelle des intervenants, la
célérité des procédures, la préoccupation de
protéger les intérêts de la communauté, la
participation active des victimes ainsi que la complémentarité
des mécanismes aux efforts nationaux et internationaux. D'ailleurs,
c'est avec succès que les Gacaca ont identifié et
jugé un grand nombre d'hommes et de femmes suspectés d'avoir
participé aux événements d'avril à juin
1994128. Le monde entier a observé avec attention les actions
de justice et de réconciliation de ces juridictions qui ont
été officiellement clôturées le 18 juin 2012.
A. Vue d'ensemble des Juridictions Gacaca
L'un des principes de Gacaca est de réunir sur
les lieux mêmes des crimes et/ou massacres, tous les protagonistes du
drame : rescapés, témoins et criminels
présumés129. Tous devront ensemble reconstituer les
événements du génocide, établir la
vérité pour démontrer la
126 Le système Gacaca puise son inspiration
dans les tentatives passées des communautés locales pour
régler des différends. Toutefois, dans sa conception du
système Gacaca pour les affaires liées au
génocide, le gouvernement rwandais a apporté des changements
importants au modèle traditionnel, le transformant en un
mécanisme judiciaire plus formel et administré par
l'État.
127 Avocats Sans Frontières, Vade- mecum : les
crimes de génocide et les crimes contre l'humanité devant les
juridictions ordinaires du Rwanda, Kigali et Bruxelles, 2004, p. 68.
128 Les tribunaux Gacaca contemporains ont
été lancés le 18 juin 2002 dans 12 secteurs pilotes
à travers le pays. Le gouvernement a autorisé les juridictions
pilotes à commencer les procès le 10 mars 2005. Les premiers
procès Gacaca ont ainsi commencé en 2005. Nous
soulignons que les Gacaca ont été clôturées
le 18 juin 2012.
129 Voir photo des Juridictions Gacaca à
l'annexe.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
préparation et l'exécution du génocide,
ainsi que l'identification des auteurs, co-auteurs, complices du
génocide et l'établissement de la responsabilité
individuelle. Les juges130 (personnes intègres élues
parmi la population) pourront ensuite s'appuyer sur la Loi organique pour juger
ces crimes. De fait, la justice de proximité, les mécanismes
extrajudiciaires et les juridictions traditionnelles, ont ainsi l'avantage de
siéger près des victimes et du lieu où les crimes ont
été perpétrés. En effet, dans le contexte des
tribunaux traditionnels, les accusés comparaissent dans leur milieu et,
le cas échéant, sont jugés par des juges auxquels ils sont
habitués et qui parlent un langage qu'ils comprennent. Dans le contexte
du Tribunal Pénal International pour le Rwanda, les victimes de la
tragédie rwandaise doivent voyager à l'étranger pour
comparaître devant le tribunal d'Arusha. La proximité des
juridictions traditionnelles est un avantage comparatif qui contribue à
réduire la distance entre l'endroit où les crimes sont commis et
celui où ils sont jugés si l'on regarde bien sûr le
tribunal d'Arusha qui siège à l'étranger, en Tanzanie,
loin du lieu de la commission des crimes. Parlant de Gacaca,
Wierzynska soutient qu'il sert à rappeler à «Those
involved in this continuing international effort that the primary recipient of
transitional justice is not the international community, but the post-conflict
society comprised of both victims and the perpetrators- that suffered during
mass atrocities»131. Cela étant, la justice doit
être enracinée localement et socialement acceptable.
De même, on retrouve une célérité
des procédures dans les juridictions Gacaca. Les
procédures sont assez rapides et simplifiées dans ces instances ;
elles sont caractérisées par l'absence de confrontation et la
non-implication d'avocats, qui souvent s'embourbent dans des arcanes
procéduraux ralentissant ainsi le cours normal des procédures. La
célérité procédurale a des retombées
positives sur l'avenir de la société en ce sens qu'on
règle les contentieux en quelques jours et à l'avantage de tous
les intervenants, accusés, victimes et le reste de la communauté.
Les pages horribles de l'histoire sont ainsi tournées rapidement, ce qui
permet à la société de passer à autre chose,
notamment aux travaux de reconstruction et de développement. On
apprécie l'importance de la célérité
procédurale qu'en analysant la lenteur extraordinaire de la justice
pénale internationale où un procès international peut
durer cinq
130 Ces juges sont traditionnellement des chefs tribaux,
ethniques, religieux ou des personnes adultes d'un certain âge et des
jeunes d'une bonne moralité qui connaissent les us et coutumes de la
communauté et qui ont été initiés aux techniques de
règlement des différends. La justice est ainsi rendue par des
juges `naturels' ; ils sont généralement des élus locaux.
Au sein des institutions Gacaca figurent également des femmes
juges. Le rôle de ces femmes justifie leur association dans le
processus.
131 Aneta Wierzynska, « Consolidating Democracy Through
Transitional Justice : Rwanda's Gacaca Courts », N.Y Law
Review, 2004, p. 1966.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
ans. Cette longue durée selon nous, porte un grave
préjudice à la réconciliation et à la
reconstruction sociale en ce sens que l'épée de Damoclès
reste éternellement suspendue audessus des individus les empêchant
de penser au futur et d'adopter une attitude positive perspective et non
rétrospective.
Dans les Gacaca, figurent également les
programmes de réparation matérielle et symbolique. De
façon générale, les réparations peuvent être
classées selon deux critères : selon leur nature et selon
l'identité de leurs bénéficiaires. Dans la distinction
selon l'identité des bénéficiaires, les réparations
sont tantôt individuelles, tantôt collectives. Individuelles, les
réparations visent des particuliers et ont pour objectif de redresser
les torts qu'ils ont personnellement subis. Elles sont collectives lorsqu'elles
sont accordées aux groupes ou aux collectivités
lésées, des groupes entiers, ethniques, religieux ou autres qui
souffrent collectivement. Selon leur nature, on distingue les
réparations matérielles et les réparations symboliques.
Les réparations peuvent revêtir un caractère
symbolique132 lorsqu'elles se manifestent par une reconnaissance
solennelle ou des excuses officielles, par des gestes tels que l'attribution de
nouveaux noms de victimes à des rues ou des parcs, la construction de
monuments commémoratifs, les mémoriaux, la délivrance de
certificat de décès pour les personnes `disparues', l'exhumation
des corps des victimes de meurtre ou d'assassinat pour leur offrir une
sépulture décente, etc. Par ailleurs, les réparations
peuvent être d'ordre matériel et prendre la forme
d'indemnisations, de dédommagements ou d'autres mesures concrètes
pour réparer les torts causés aux personnes et rétablir
l'harmonie des collectivités. Il s'agit souvent de paiement de sommes
d'argent, de prestations diverses ou d'allocations (santé,
éducation, emploi, etc.).
Au Rwanda, la législation des Gacaca
prévoit deux types de réparation. La première action
concerne la constitution d'un fonds pour dédommager les personnes, leur
famille ou leur clan, mais il n'a pas vraiment été
opérationnel. La seconde mesure est de nature collective et
prévoit des travaux d'intérêt général. Elle
aussi a rencontré des difficultés. Les infractions contre les
biens sont gérées par les juridictions Gacaca des
cellules. Il existe deux possibilités à ce niveau : soit les
parties au contentieux (la victime et l'agresseur parviennent à un
arrangement à l'amiable concernant le type et le montant de la
réparation. Les juges n'ont plus alors qu'à superviser et
à ratifier l'accord. Soit l'incompréhension mutuelle persiste, et
dans ce cas un procès a lieu selon les procédures
identifiées plus haut. Les juges prennent
132 Nous expliquons ici que les réparations symboliques
n'exigent pas toujours la mobilisation d'importantes ressources
financières et sont le plus souvent un compliment nécessaire aux
réparations financières.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
alors leur décision sur la nature de la
réparation. Il est important de noter que pour ces infractions la
réparation n'est pas individualisée ; c'est une affaire de
famille. Le principe n'est pas juridique, mais coutumier.
Nous ajouterons que dans le cadre des réparations, il y
a eu au Rwanda le dénombrement des victimes du génocide
effectué en juillet 2000 par le Ministère de l'Administration
Locale et des Affaires Sociales ; ce dénombrement s'est passé
presque en même temps que la sensibilisation des Gacaca. Le
dénombrement a permis de connaître les familles et les noms des
victimes et des massacres ; de connaître le nombre133 des
victimes du génocide et des massacres à travers tout le pays en
vue de faciliter la mise en place de mémoriaux des victimes du
génocide. Et enfin d'identifier les sites les plus affectés par
le génocide pour permettre au gouvernement d'y concentrer les efforts
requis dans le cadre du processus de réconciliation. C'est dans cette
optique que plusieurs mémoriaux du génocide ont été
construits pour enterrer de manière digne les victimes, documenter et
archiver le génocide de même que lutter contre le
génocide134. Cela fait partie des déclinaisons du
droit de savoir notamment le devoir de mémoire qui consiste en la
connaissance par un peuple de l'histoire de son oppression. Une telle
connaissance appartient à son patrimoine et, comme telle, doit
être préservée par des mesures appropriées.
Conserver les archives et les autres éléments de preuve se
rapportant aux violations des droits de l'homme et du droit international
humanitaire et contribuer à faire connaître ces violations est un
devoir qui incombe à l'Etat. Par ailleurs, de nos jours, des
journées de commémoration sont devenues une partie du calendrier
national rwandais. Pendant ces jours (d'avril à juillet) il y a une
période de deuil et de réflexion nationale.
Pour Amnesty International, le gouvernement rwandais justifie
la mise en place de Gacaca en ces termes :
Le gouvernement rwandais défend cette juridiction en
mettant en cause le TPIR et les chambres spécialisées qui
n'apportent pas de réponse adéquate aux questions cruciales.
Il pense qu'il s'agit de la participation
133 En 2000, le Ministère de l'Administration Locale et
des Affaires Sociales a pu enregistrer 1.074.017 victimes du génocide
déclarés et 934.218 effectivement dénombrés.
134 Voir à l'annexe la photo du mémorial de Kigali
(Gigozi). Ce mémorial a documenté et archivé le
génocide, il abrite également plusieurs fosses communes où
les victimes ont été enterrées de manière digne
.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
populaire à la recherche de la vérité,
la création d'un registre officiel
relatif au génocide et la promotion de la
réconciliation nationale135.
Les Gacaca sont donc conçues comme une justice
participative devant permettre d'établir la vérité sur ce
qui s'est passé lors du génocide ; d'accélérer le
cours de la justice ; de mettre un terme à la culture de
l'impunité et de réconcilier les Rwandais. Les tribunaux
Gacaca accordent aux victimes l'attention à laquelle elles ont
droit afin de pouvoir guérir des injustices qu'elles ont subies. Les
objectifs des Juridictions Gacaca sont les suivants :
- Faire connaître la vérité sur ce qui s'est
passé car le système recourt aux habitants qui ont
été des témoins oculaires ;
- Accélérer les procès des personnes
accusées de génocide ;
- Eradiquer la culture de l'impunité ;
- Réconcilier les Rwandais et renforcer leur unité
car le système offre un cadre de collaboration pour la recherche de la
justice ;
- Affermir et conserver la culture de la mémoire ;
- Faire preuve de la capacité de la société
rwandaise à régler ses propres problèmes à travers
une justice basée sur la coutume rwandaise136.
Elles sont compétentes pour juger les personnes
accusées, que les faits à charge rangent dans les
catégories 2137 et 3138 prévues par la loi
organique de 2004. La devise des Juridictions Gacaca est : «
Vérité, justice et réconciliation ».
Dans cette étude, comme souligné à
l'introduction notre question de recherche est de savoir si les institutions de
la justice transitionnelle ont-elles réellement contribué
à consolider et à assurer une paix durable au Rwanda. Pour
apporter un élément de réponse à cette question
135 Amnesty International, Rwanda : Amnesty International
dénonce les violations massives des Droits de l'Homme, Londres,
2007.
136 « Discours de Paul Kagamé à l'occasion
du lancement officiel des travaux des juridictions Gacaca »,
Kigali, 18 juin 2002, reproduit dans Penal Reform International (PRI), «
Rapport de la Recherche sur la Gacaca : PRI Rapport III, Avril - Juin
2002 »,
http://www.penalreform.org/publications/gacaca-research-report-no3-
jurisdictions-pilot-phase-0 (consulté le 2 septembre 2011).
137 Catégorie 2 : la personne que les actes
criminels ou de participation criminelle rangent parmi les acteurs, coauteurs
ou complices d'homicides volontaires ou d'atteintes graves contre les personnes
ayant entraîné la mort, ainsi que ses complices.
-La personne qui dans l'intention de donner la mort, a
causé des blessures ou commis d'autres violences graves mais auxquelles
les victimes n'ont pas succombé, ainsi que ses complices ;
-La personne ayant commis d'autres actes criminels ou de
participation criminelle à la personne sans l'intention de donner la
mort, ainsi que ses complices.
138 Catégorie 3 : la personne ayant seulement
commis des infractions contre les biens. Toutefois, l'auteur desdites
infractions qui, à la date d'entrée en vigueur de la
présente organique, a convenu soit avec la victime, soit devant
l'autorité publique ou en arbitrage, d'un règlement à
l'amiable, ne peut être poursuivi pour les mêmes faits
(Article 51 de la loi organique du 19 juin 2004).
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
principale, dans cette partie de l'analyse, nous nous attelons
à voir si les Juridictions Gacaca sont vraiment un vecteur de
justice et de réconciliation pour la société rwandaise. La
devise « Vérité, Justice et Réconciliation » des
Juridictions Gacaca correspond elle à la réalité
vécue par la population rwandaise ? Dans les tribunaux Gacaca,
on parle par exemple du caractère neutre de ces juridictions
vis-à-vis des appartenances Hutu ou Tutsi ; ces juridictions jugentelles
des criminels et défendent-elles des victimes quelle que soit leur
appartenance ethnique ou stigmatisent-elles les Hutu criminels et les Tutsi
victimes ? Ces interrogations suscitent au sein de la population rwandaise
quelques sentiments contradictoires. Suite à nos différents
entretiens, nous ferons apparaître les différents points de vue
afin de montrer la perception positive ou négative des Juridictions
Gacaca. Néanmoins, nous soulignons que des thèmes
liés au contexte prévu par la loi organique de 2004 laissent
entrevoir des réponses suites à nos interrogations. En guise
d'exemple :
- La légitimité des juges
intègres139.
- La participation de la population140;
- Les conditions favorables à un témoignage
complet et véridique141; - Les conditions favorables
à un aveu complet et sincère142.
B. Les perceptions des Juridictions Gacaca dans la
société rwandaise
La question de la neutralité ethnique est au centre des
Juridictions Gacaca et à ce propos, nos interlocuteurs se sont
exprimés avec des mots forts, sans trop de réserve. Pour
commencer, les mots `Hutu' et `Tutsi' bien que désormais rayés
des cartes d'identités143, - l'une des premières
décisions du nouveau gouvernement fut d'abolir le système des
cartes d'identité ethniques, qui avaient été le passeport
pour la mort de tant de Tutsi pendant le génocide quand bien même
que sans ces papiers, tout le monde savait qui étaient ses voisins-,
139 La compétence des juges, leur impartialité,
leur capacité à comprendre et appliquer les principes directeurs
régissant les juridictions Gacaca, leur indépendance
vis-à-vis du politique et de toute autorité, leur
représentativité apparaissent comme des facteurs important pour
la crédibilité du système, sans laquelle les
représentations des Juridictions Gacaca sont
fragilisées.
140 Les Juridictions Gacaca ont été
présentées comme une alternative aux juridictions classiques,
plus proches du citoyen, plus rapides et plus efficaces. Le bon
déroulement des séances, la présence de tout le monde, le
respect des échéances qui en découle seront
déterminants pour la vraisemblance du système,
l'expérience de leur localité aura un impact direct sur la
représentation des acteurs.
141 Le bon déroulement du témoignage, la prise
en compte des traumatismes et des blessures des témoins, leur
sécurité avant, pendant et après les témoignages,
la capacité d'identifier et punir les faux témoignages
apparaissent aussi comme des facteurs importants.
142 Le bon déroulement des aveux, la dignité du
traitement des prévenus, leur sécurité avant, pendant et
après les aveux, la capacité d'identifier et punir les aveux
partiels ou complètement mensongers semblent également être
des facteurs importants nous permettons de répondre à notre
question).
143 L'inscription de l'appartenance ethnique sur les cartes
d'identité avait été rendue obligatoire lors de la
colonisation belge.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
remplacés par le mot `Rwandais' dans les écoles,
ces mots font un peu figure de tabou dans le Rwanda de l'après
génocide. A ce propos, cité par un rapport de recherche sur la
Gacaca, Ervin Staub, spécialiste en psychologie du
génocide souligne :
Les facteurs qui ont contribué à
l'émergence du génocide n'ont pas disparu. Travailler sur les
changements psychologiques constitue un besoin urgent, au moment où la
notion problématique d'unité nie l'existence de Hutu et de Tutsi.
Mon hypothèse est que cela n'aide pas (...). Le problème avec
cette notion du `Tous Rwandais', c'est qu'elle étouffe
l'expression144.
En effet, l'argument, aussi important soit-il, selon lequel il
faut combattre les idées divisionnistes au profit d'une politique
d'unité et de réconciliation, risque de conduire, de
manière générale, et plus particulièrement dans le
processus Gacaca, à prohiber toute discussion sur la
façon dont la population perçoit la question de l'identité
ethnique. Or, un tel environnement est susceptible de créer un frein
à la mise en oeuvre d'une justice participative qui suppose une
reconnaissance de la liberté d'expression. Bien que la variable ethnique
soit occultée dans le processus des Juridictions Gacaca, notre
expérience sur le terrain, nous a permis d'intégrer celle-ci dans
notre analyse pour appréhender et comprendre les craintes, les besoins,
intérêts, espoirs, etc. des différents rwandais. Ce qui est
vrai c'est que la réalité sociale rwandaise est encore
aujourd'hui tributaire de son histoire et par conséquent, d'un
vécu relatif à ce clivage Hutu/Tutsi. L'association Hutu
égal criminel potentiel reste dans certains esprits. Une rescapée
du génocide nous souligne :
Parmi mes enfants, il y en a qui connaissent la
vérité, je ne leur cache pas ce que ces gens-là ont fait.
Je leur dis ouvertement qu'ils sont mauvais, qu'ils ont tué les leurs,
qu'il faut faire attention. Je prends tous les groupes de ces gens-là de
malfaiteurs. Nos enfants se mélangent entre groupes, mais se
méfient. A l'extérieur, ça ne se voit pas, mais au fond
des choses, nos enfants grandissent dans un climat de conflit et c'est
inévitable pour moi. C'est la conséquence du génocide. Je
ne sais pas si les générations futures pourront s'entendre comme
dans le passé. Peut être qu'une fois que la
génération qui a connu le génocide sera
dépassée, cela pourra aller avec le temps et les nouveaux
enfants. Mais le problème, c'est que les histoires de vie se
transmettent.145
Cette rescapée met en exergue le premier pilier de la
justice transitionnelle : le droit de savoir. D'après les actes de la
Deuxième conférence sur la justice transitionnelle, La
Justice transitionnelle : une voie vers la réconciliation et la
construction d'une paix durable, le droit de savoir se décline
selon trois axes : le droit inaliénable à la
vérité, le devoir de mémoire et le
144 Rapport de recherche sur la Gacaca. Rapport V., sd.,
p. 40.
145 Entretien à Kigali, 27 février 2012.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
droit de savoir des victimes. Les propos de la rescapée
s'inscrivent plus sur le droit inaliénable à la
vérité qui traduit le droit pour chaque peuple ou personne de
connaitre la vérité sur les événements
passés relatifs à la perpétration des crimes odieux. C'est
aussi le droit de connaître la vérité sur les circonstances
et les raisons qui ont conduit à la perpétration de ces
crimes.
De plus, lorsqu'on aborde la question des Juridictions
Gacaca, il est clair que, dans l'esprit général, ces
juridictions sont destinées principalement aux crimes commis en 1994.
Elles sont liées a priori aux crimes des Hutus contre les
Tutsis. Dès lors, les Juridictions Gacaca ne sont elles pas
perçues par les Tutsis comme un instrument de revanche et par les Hutus
comme un instrument de vengeance à leur égard ? Le statut
d'instrument neutre et impartial est-il vraiment exact ? Pour répondre
à ces interrogations, nous soulignons tout d'abord que les Juridictions
Gacaca sont compétentes pour juger uniquement les crimes de
génocide dont la minorité tutsie et des opposants hutus ont
été la cible. Les crimes de guerre commis par les soldats tutsis
du Front Patriotique Rwandais (FPR) et les actes de vengeance, relèvent
des tribunaux militaires ou des juridictions classiques. Force est de constater
cependant que si les autorités reconnaissent les violations du FPR et
les actes de vengeance, elles ne se donnent cependant pas les moyens de les
juger. Parmi les victimes du génocide figurent des centaines de milliers
de Tutsis mais aussi des Hutus qui ont voulu se démarquer des
génocidaires. Ces derniers, comme nous venons de le préciser,
sont destinés à être défendus par les Juridictions
Gacaca au même titre que les premiers. En d'autres termes,
même s'il n'y a pas de mention explicite sur le fait que les poursuites
et les jugements des crimes se feront au bénéfice de toutes les
victimes, indépendamment de leur appartenance ethnique, la
neutralité et l'impartialité des Juridictions Gacaca
concernant les victimes du génocide sont implicitement
instituées.
Toutefois, certaines rescapées mettent leur espoir dans
les Gacaca. Pour elles, ces juridictions sont un vecteur de paix et de
réconciliation. Une rescapée souligne : « Aux
réunions, j'ai pu connaître à travers les
témoignages des prisonniers, les lieux où on a mis les membres de
ma famille. J'ai pu en ré-enterrer quatre au mémorial de Gigosi.
C'est peu mais grâce aux aveux, je sais quand même pour quatre
»146.
Mais, bien de nos entretiens avec la population rwandaise
fondent plus d'espoir sur les Juridictions Gacaca comme instrument de
réconciliation entre les Hutus et les Tutsis. Bien
146 Entretien à Kigali, 22 février 2012.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
que de façon générale, les Hutu
perçoivent les Juridictions Gacaca soit comme un instrument de
vengeance à leur égard, soit comme une opportunité de se
faire pardonner, la libération de prisonniers innocentés semble
être perçue comme une démonstration de rigueur et
d'équité. Un prisonnier bien âgé souligne avec
émotion : « Après ces événements
horribles, c'était nécessaire qu'on puisse entreprendre quelque
chose comme Gacaca pour juger. J'ai été innocenté
grâce à la Gacaca et c'est pour cette raison que je pense que
Gacaca est importante car cela peut rendre justice. Gacaca favorise la justice
et pourra aider les gens à vivre ensemble »147. De
plus, les Gacaca sont fortement orientés vers les principes de
vérité, de pardon et de réconciliation.
C. Les principes de vérité, de pardon et
de réconciliation
Les juridictions Gacaca sont également
fondées sur le principe de l'aveu, du plaidoyer de culpabilité,
du repentir et des excuses de la part des accusés ainsi que le pardon
offert par les rescapées, qui constituent un pas vers la
`réconciliation'. Sans justice ni vérité, les
déchirures profondes du tissu social rwandais ne guériront pas et
par conséquent, il n'y aura pas de paix. Les Gacaca penchent
donc pour un souci permanent de protéger les intérêts de la
société. En effet, les structures traditionnelles de
règlement des conflits favorisent la réconciliation et
privilégient les intérêts du groupe et la conciliation au
conflit. On vise l'harmonie sociale tout en réglant les
différends qui opposent des membres d'une communauté
donnée. Les mécanismes de juridiction envisagent des solutions
dans une perspective futuriste et transformative en insistant sur les valeurs
auxquelles devraient désormais adhérer les membres de la
communauté où les crimes ont été
perpétrés. La loi organique établissant ces juridictions
instaure une procédure d'aveu et de plaidoyer de culpabilité. Au
cas où les aveux de l'accusé corroborent les
éléments de l'accusation, il y a réduction de peine, dont
l'importance dépend du moment où il est passé aux aveux
c'est-à-dire avant ou après le début du procès. Par
ailleurs, les personnes faisant ces aveux renoncent à leur droit
d'appel. L'accusé devait donner autant de détails que possible
sur l'infraction (comment, où, quand, victimes, complices,
dégâts causés, etc.) et présenter des excuses
publiques afin que ses aveux soient acceptés et sa peine
diminuée. Grâce à un décret présidentiel de
2003, on pouvait en principe bénéficier d'une réduction de
peine en révélant des informations sur les crimes commis. Des
aveux jugés complets et sincères, accompagnés d'une
demande de pardon, étaient une condition sine qua non de mise en
liberté provisoire.
147 Entretien à Kigali, 23 février 2012.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
Cela encouragea les aveux dans les Gacaca dès
1998. À l'origine, les aveux étaient motivés par la
pression de l'État, via des campagnes de sensibilisation ; les membres
du nouveau gouvernement sillonnaient le pays pour répandre
l'évangile de la réconciliation par l'aveu de sa
responsabilité. Mais les aveux avaient aussi une forte connotation
religieuse. Si un grand nombre de détenus ont fait des aveux «
complets », on estime généralement que ces
témoignages ne sont en fait que partiels, reconnaissant des crimes
mineurs et accusant de complicité certaines personnes (pour la plupart
défuntes ou « disparues » après le génocide)
tout en gardant le silence sur d'autres participations. Ces deux pierres
angulaires facilitent la découverte de la vérité, qui
fonctionne par la suite comme base du cadre intégral de la justice
transitionnelle dans le Rwanda post-génocide.
Parlant de la vérité, ce sont des informations
qui permettent en clair, d'établir la culpabilité ou l'innocence,
d'organiser le procès des prévenus, de révéler les
lieux où l'on peut exhumer les victimes, d'identifier les
modalités de réparation, de générer des
connaissances sur le passé en général et de reconfigurer
et rétablir les relations sociales. Ces éléments
caractérisant la vérité se rapportent ici au droit de
savoir des victimes : dernier axe du droit de savoir, premier principe de la
justice transitionnelle. En effet, le droit de savoir des victimes est
spécialement reconnu aux victimes, à leurs familles ou à
leurs proches a été formulé en vue de leur permettre de
connaître la vérité sur les circonstances dans lesquelles
ont été commises les violations. En vertu de ce droit, les
familles et les proches doivent connaître le sort qui a été
réservé à la victime.
De plus, l'institution des juridictions Gacaca
répond à l'impératif de réconciliation nationale en
impliquant activement dans le processus judiciaire la population qui a
été témoin des évènements. Toutefois, la
Gacaca n'est pas un tribunal à proprement parler, il est un
forum de résolution des conflits par voie de conciliation. C'est ce que
le Lawyers Committee on Human Rights (actuellement Human Rights First) confirme
dans un de ses rapports sur le Rwanda : «A traditionnal system of
justice known as Gacaca covers land dispute, family matters and small
disagreements; its purpose is to resolve problems while promoting
reconciliation148». Dans la même lancée,
Rusagara estime que « Gacaca se présente comme
148 Lawyers Committee for Human Rights, Prosecuting Genocide
in Rwanda : the ICTR and national trials, July 1997.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
stratégie de gestion de conflits par le biais de sa
justice restauratrice, tout en jouant son rôle historique de lubrifiant
assurant l'unité et la cohésion dans la société
»149.
On pourrait ainsi remarquer que les Juridictions
Gacaca sont très productives comparativement au système
de tribunaux classiques étatiques qui se sont
révélés ineffectifs. De nombreux Rwandais sont d'accord
pour dire que la justice communautaire a fait connaître ce qui s'est
passé dans leurs communautés locales pendant les 100 jours de
génocide en 1994, même si toute la vérité n'a pas
été révélée150. Ils disent que
cette expérience a aidé certaines familles à retrouver les
corps de parents assassinés qu'elles ont pu enfin enterrer avec une
certaine dignité. Elle a également veillé à ce que
des dizaines de milliers de criminels soient traduits en justice. Certains
Rwandais disent que le processus a aidé à mettre en mouvement la
réconciliation au sein de leurs communautés151. En
plus des Gacaca, le Tribunal pénal international pour le Rwanda
a été l'un des mécanismes clés du processus de
justice transitionnelle au Rwanda. Ce tribunal a-t-il pour sa part permis de
consolider la paix et de réconcilier les rwandais ?
.
149 Frank Rusagara, « Gacaca, stratégie de
réconciliation et de développement national au Rwanda
d'après le génocide » (2005) 2 Conflict Trends
Magazine, p. 20 : http://www.accord.org.za/ ct/2005-2FR.htm.
150 L'expérience du Rwanda en justice communautaire de
masse a été un succès mitigé nous y reviendrons
dans la deuxième partie de l'étude.
151 Nous ajouterons que dans un communiqué de presse
à l'occasion de la cérémonie de clôture des
Juridictions Gacaca, le Président Kagamé a
déclaré : « la date d'aujourd'hui ne marque pas
seulement la clôture des tribunaux Gacaca, mais reconnait
également la valeur, sur le long terme, du processus, c'est la
célébration du rétablissement de l'unité et de la
confiance parmi les Rwandais et la réaffirmation de notre
capacité à trouver nos propres réponses à des
questions apparemment insolubles ». « Nous avions trois
choix : le premier, le plus dangereux, était le chemin de la revanche,
et le deuxième celui d'une amnistie générale mais nous
avons choisi la troisième voie, la plus difficile celle consistant
à traiter la question une fois pour toute et de rétablir
l'unité et l'intégrité de la nation » a
précisé Paul Kagamé. Voir : http//
fr.ighe.com/politique/les-juridictions-gacaca-ontété-clôturées.html
(consulté le 24 juin 2012).
CHAPITRE DEUXIEME : LA MOBILISATION DE LA DEMARCHE
JUDICIAIRE INTERNATIONALE : LE TRIBUNAL PENAL INTERNATIONAL POUR LE
RWANDA
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
SECTION I : LA JUSTICE TRANSITIONNELLE AU RWANDA A
TRAVERS LE RECOURS A LA JUSTICE INTERNATIONALE
Paragraphe I : Le Tribunal Pénal International pour
le Rwanda : reconnaissance du génocide de 1994 et justice
rétributive
La justice internationale fait partie intégrante d'un
plus large processus de construction de la paix ; elle contribue à la
lutte contre l'impunité et à la réconciliation. Les
sorties de guerre sont toujours difficiles ; non seulement la paix repose sur
un équilibre précaire entre les parties, mais les anciennes
institutions demandent à être révisées de fond en
comble, voire à être entièrement remplacées. En
fait, après un conflit, les instituions juridiques et pénales
sont généralement trop instables pour assurer une
véritable justice. De manière historique, très peu de
crimes de nature systémique ont été poursuivis au niveau
national, le plus souvent parce que au sortir d'un conflit, ces pays se
caractérisent par un fort besoin de justice, alors même que leurs
capacités de rendre justice sont au plus bas : faiblesse des moyens
financiers, de l'administration, obstacles juridiques, ampleur du nombre de
victimes et responsables mais aussi, parfois les autorités de l'Etat
elles-mêmes ont parfois été impliquées dans la
commission de ces crimes.
Les procès de Nuremberg152 ont marqué
la légitimation de la justice internationale, renforcée dans les
années 1990 par la mise en place par le Conseil de
Sécurité des Nations Unies des tribunaux ad hoc. Sous
l'égide du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies, le Conseil de
sécurité a crée des instruments de justice internationale
tel que la Cour Internationale de Justice, les tribunaux pénaux et les
tribunaux hybrides. La compétence des tribunaux pénaux
internationaux et spéciaux peut être retenue, en fonction de leur
mandat, lorsque les tribunaux nationaux ne présentent pas de garanties
suffisantes d'impartialité et d'indépendance ou lorsqu'ils sont
dans l'impossibilité matérielle de mener des enquêtes ou
des poursuites efficaces ou n'en ont pas la volonté. C'est à
cette fin que le Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR) de
même que le Tribunal Pénal International pour l'ExYougoslavie
(TPIY) ont été mis en place.
152 A Nuremberg, du 20 novembre 1945 au 15 octobre 1946, pour
la première fois dans l'histoire, des responsables politiques, des chefs
militaires ou policiers furent jugés par un Tribunal Militaire
International, à la suite d'un accord signé à Londres le 8
août 1945 par les Alliés. En effet, par l'accord de Londres, les
vainqueurs décidèrent d'organiser le châtiment des
criminels nazis, d'où la création du Tribunal de Nuremberg. A la
suite de Nuremberg, le Tribunal de Tokyo a été mis en place pour
juger les criminels japonais.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
A. Le tribunal ad hoc et la reconnaissance du
génocide de 1994
Derrière l'apparente nécessité
judiciaire, la raison principale qui poussa à la création
relativement rapide du TPIR, fut sans doute, la volonté de l'ONU,
particulièrement celle des Etats-Unis d'Amérique
d'atténuer le choc des Rwandais et de camoufler ainsi leur
passivité dans la perpétration du génocide qu'ils
n'avaient pas voulu prévenir ni arrêter malgré la
connaissance de sa préparation et de son exécution :
Le génocide et les crimes contre l'humanité
commis au Rwanda en 1994- qui figurent parmi les plus graves violations du
droit international humanitaire connues à ce jour- n'étaient ni
imprévisibles, ni inévitables et ne constituaient sûrement
pas ce que certains ont qualifié à l'époque de violences
tribales spontanées et incontrôlables. Pour l'ONU, la
création du Tribunal pénal international pour le Rwanda devait
répondre aux multiples hésitations, tergiversations et
manquements de la communauté internationale face aux pires violations du
droit international humanitaire à l'encontre du peuple rwandais :
incapacité à prévenir et à stopper l'horreur, voire
au tout début, incapacité d'admettre, de reconnaitre l'existence
même du génocide et de le dénoncer. Dans ce contexte, on
comprend aisément le scepticisme et une certaine hostilité que
devait surmonter le TPIR de la part de beaucoup de Rwandais (et d'autres
Africains) qui n'y voyaient qu'une tentative de la communauté
internationale de se donner bonne conscience après les avoir
abandonnés au moment où ils en avaient le plus
besoin153.
En effet, pendant que le génocide suivait son cours au
Rwanda, en Afrique du Sud, Nelson Mandela se faisait élire à la
magistrature suprême. Le monde préférait plus tourner les
yeux vers lui pour célébrer ce moment historique qui marquait la
véritable fin de l'apartheid. Les gouvernements des grandes puissances
savaient que des massacres étaient perpétrés au Rwanda,
mais ils furent lents à réagir et à admettre qu'il
s'agissait d'un génocide. Une force militaire d'intervention de modeste
envergure aurait pourtant pu arrêter les extrémistes et mettre
rapidement fin à leurs plans. Mais, les Nations Unies
rechignèrent à jouer leur rôle. Or, après
l'Holocauste, les Nations Unies ont adopté en 1948 une Convention
sur la Prévention et la Répression du crime de
génocide. L'intention était clairement d'empêcher la
continuation du génocide, mais la convention a été
malheureusement difficile à appliquer ; elle est restée en grande
partie inefficace vu l'échec de la communauté internationale
d'agir d'une façon opportune et efficace au Rwanda et même dans
les Balkans. Le 11 décembre 1946, l'Assemblée
générale des Nations Unies faisait du génocide un crime
selon le droit international. Le 9 décembre 1948, elle allait plus loin
avec la résolution 260A(III),
153 Lemkin, cité par Yves Ternon, L'Etat criminel. Les
génocides au XXème Siècle, Paris, Seuil, 1995, P.
17.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
Convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide, qui contraignait les
`contractants' à « entreprendre de prévenir et
réprimer (...) les actes commis dans l'intention de détruire,
totalement ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux
»154. De même que la police nationale s'engage
à prévenir et réprimer le meurtre, de même les
signataires de la convention sur le génocide juraient de faire respecter
l'ordre du nouveau meilleur des mondes. Le Rwanda est peuplé
d'êtres humains, et lorsqu'un génocide s'y déroula, les
grandes puissances mondiales laissèrent presque le pays se
débrouiller tout seul.
Ainsi, la communauté internationale s'est
retrouvée dans l'incapacité de prévenir le génocide
au Rwanda pourtant, le 10 janvier 1994, un informateur dont le nom de code est
Jean Pierre, qui était un ancien membre de la garde
présidentielle, s'était présenté avec une
information. Il raconta au colonel Luc Marchal des Nations Unies que 1700
Interahamwe avaient été entraînés dans les
camps de l'Armée rwandaise à raison de 300 personnes par semaine.
Il informa Marchal que son supérieur politique était Mathieu
Nginempatse, qui était le président du MRND, parti du
président Habyarimana. Il informa que « les Interahamwe
enregistraient tous les Tutsi de Kigali pour un plan d'extermination qui
tuerait 1000 personnes toutes les 20 minutes »155. Jean
Pierre estimait que le président avait perdu le contrôle des
extrémistes. Il était disposé à prévenir des
dangers du pouvoir Hutu et à le déclarer à la presse s'il
pouvait avoir un échange de sa sécurité garantie. La
MINUAR n'a pas été en mesure de garantir sa protection, Jean
Pierre a disparu, son sort reste inconnu.
Le 11 janvier 1994, le Général Roméo
Dallaire, chargé de la Mission des Nations Unies d'Assistance pour le
Rwanda (MINUAR) avait écrit un fax à New York, pour informer le
Conseiller militaire du Secrétaire général et les membres
du Bureau de Maintien de la paix de la présence de l'informateur et de
l'information qu'il avait reçu. Le fax avait causé l'alarme mais,
aucune réaction n'a été prise en réponse au
fax156. Dallaire avait une fois de plus
télégraphié à New York peu après l'accident
de l'avion du président Habyarimana et avait déclaré :
« Donnez-moi les moyens et je peux faire mieux
»157. En effet, Dallaire, commandant de force de l'ONU estimait
qu'il suffisait de 5000 troupes avec pour mandat l'usage de la force pour
assurer la paix et arrêter le génocide. Au lieu de cela, la
Mission de l'ONU a été rappelée. Le personnel diplomatique
et les employés internationaux quittèrent le pays. Beaucoup
abandonnèrent leurs collègues, leurs employés et amis
à la merci des tueurs. Les
154 Voir Convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide de 1948.
155 Fresque Gigozi, 2012.
156 Fresque Gigozi, 2012. Voir aussi Philip Gourevitch, Op.
cit. p. 145.
157 Fresque Gigozi, 2012.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
dignitaires du régime Habyarimana, auteurs du
génocide furent évacués. Le nombre des troupes
étrangères pour l'évacuation aurait été
suffisant pour arrêter le génocide. Le monde se retira et observa
en silence alors que se déroulait le massacre de 800 000 personnes. Pas
un seul soldat supplémentaire pour le maintien de la paix, ni un seul
véhicule blindé de transport de troupes n'arrivèrent au
Rwanda avant la victoire du FPR en juillet 1994. C'est le 17 mai que le Conseil
de sécurité accepta d'établir la MINUAR II avec 5000
hommes et l'autorité d'employer la force. Les Etats-Unis devaient
fournir 50 véhicules blindés de transport de troupes aux nations
africaines volontaires pour soutenir le Rwanda, mais ces véhicules
prirent plus d'un mois pour arriver en Ouganda.
Nous soulignons que les opérations de maintien de la
paix des Nations Unies se déploient sur la base d'un mandat du Conseil
de sécurité des Nations Unies. Ce mandat détaille les
tâches précises qu'une opération de maintien de la paix des
Nations Unies doit accomplir. Les mandats du Conseil de sécurité
varient selon la situation, la nature du conflit et les défis
particuliers qu'il présente. Puisque les opérations de maintien
de la paix des Nations Unies sont déployées, en
général, pour appuyer l'application d'un cessez-le-feu ou d'un
accord de paix à l'instar des Accords de paix d'Arusha au Rwanda, les
mandats du Conseil de sécurité sont influencés par la
nature et le contenu des accords conclus entre les parties. La MINUAR avait un
mandat bien restreint : il lui était interdit de recourir à la
force sauf uniquement pour se défendre. Ce mandat restreint a
forcé les casques bleus à l'impuissance devant les massacres
perpétrés sous leur nez158. Les miliciens avaient vite
compris qu'ils n'avaient rien à craindre de ces soldats
d'opérette et que les pires atrocités peuvent être
158 Depuis le début des années 2000, un nombre
croissant d'opérations de paix ont vu inclure dans leurs mandats des
clauses relatives à la protection des civils en situation de conflit
armé. Dès 2000, le Conseil de sécurité
établissait dans sa résolution 1296 que les pratiques qui
consistent à prendre délibérément pour cible des
civils, à commettre des violations systématiques, flagrantes et
généralisées du droit international humanitaire, ainsi
qu'à refuser au personnel humanitaire l'accès aux civils durant
un conflit armé, pouvaient constituer une menace contre la paix et la
sécurité internationales. Le Conseil de sécurité
affirmait être disposé, le cas échéant, à
prendre les mesures appropriées - et à veiller à ce que
les opérations de maintien de la paix se chargent, si possible, de la
protection des civils en cas de menace imminente contre leur
intégrité physique. Cet engagement a été
honoré à l'occasion de nombreuses opérations de paix et
conformément aux recommandations du rapport Brahimi, la protection
humaine - dimension désormais primordiale du maintien de la paix - s'est
reflétée dans les mandats, les règles d'engagement et dans
les effectifs des missions. La notion de sécurité élargie
ou globale, défendue par de nombreux Etats, est à cet
égard venue appuyer les politiques de sécurité humaine
mises en oeuvre au sein des opérations complexes. Plusieurs
opérations casques bleus ont ainsi été chargées de
protéger des civils - notamment la MONUC, la MINUAD, la FINUL II - tout
comme d'autres, menées par des organisations régionales.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
commises en leur présence, en toute liberté et
sans risque d'interférence. Le 14 avril, une semaine après le
meurtre de ses dix casques bleus, la Belgique se retira de la MINUAR. «
Affligés par la lâcheté de ce massacre et par le
gaspillage de leur mission, les soldats belges déchirèrent leurs
bérets des Nations Unies sur la piste de l'aéroport de Kigali
»159. Une semaine plus tard, le 21 avril, le
général Dallaire, déclarait qu'avec simplement cinq mille
hommes bien équipés et toute liberté de combattre le
Pouvoir hutu, il mettrait fin au génocide. Beaucoup d'analystes ont
confirmé cette allégation. Mais, le même jour, le Conseil
de sécurité de l'ONU adoptait une résolution qui
réduisait de quatre-vingt-dix pour cent les forces de la MINUAR, en ne
laissant sur place que deux cent soixante-dix casques bleus avec un mandat qui
ne leur permettait guère que de regarder les massacres160.
Gourevitch souligne que « la désertion du Rwanda par les forces
des Nations Unies fut la plus grande victoire diplomatique jusqu'alors du
Pouvoir hutu, et on pourrait l'attribuer presque exclusivement aux Etats-Unis
»161. Symboliquement, le retrait de l'ONU est
désastreux car les tueurs comprennent clairement que la
communauté internationale se désintéresse de la situation
et qu'ils peuvent continuer leur oeuvre de mort sans risque d'intervention ni
même de désapprobation. La France, en dépit de la bonne
conscience qu'elle va éprouver plus tard en lançant
l'opération Turquoise, vote, le 21 avril, avec les autres pays de
l'OCDE, la réduction des effectifs de la MINUAR162. Le
souvenir de la débâcle somalienne encore très frais, la
Maison Blanche venait de rédiger un document intitulé Directive
de décision présidentielle n°25 (PDD 25), qui se
résumait à une liste de raisons d'éviter une participation
des Etats-Unis dans les missions de maintien de l'ordre de l'ONU. Peu importait
que les renforts et le mandat élargi que demandait Dallaire n'aient pas
exigé l'envoi de troupes américaines, ou qu'il ne s'agit pas
précisément de maintien de la paix mais de la prévention
du génocide. Le `langage' -ainsi que l'appellent les stratèges de
Washington- de la PDD 25 prévoyait que les Etats-Unis engagent les
autres pays à ne pas entreprendre les missions que les Américains
souhaitaient éviter. En fait, l'ambassadeur de l'administration Clinton
auprès des Nations Unies, Madeleine Albright163, s'opposa au
maintien de la troupe squelettique de deux cent soixantedix casques bleus au
Rwanda ; « elle ferma les yeux et incita les autres pays à en
faire autant,
159 Philip Gourevitch, Op. cit., p. 209.
160 Idem.
161 Philip Gourevitch, Ibid.
162 Ibid.
163 Le 9 février 1993, Madeleine Albright est
nommée ambassadrice américaine aux Nations unies par le
président Bill Clinton (avec rang au Cabinet présidentiel).
À ce poste, il lui est reproché d'avoir tardé à
intervenir lors du génocide au Rwanda en 1994. Autrement dit, Madeleine
Albright sera sujette à de nombreuses critiques, notamment à
cause de son intervention jugée trop tardive au moment du
génocide rwandais en 1994.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
alors que le bilan des massacres passait de quelques
milliers à des dizaines puis à des centaines de milliers
»164.
Une semaine après l'amputation de la MINUAR, lorsque
les ambassadeurs de Tchécoslovaquie, de Nouvelle-Zélande et
d'Espagne, écoeurés par les multiples témoignages du
génocide en cours au Rwanda, commencèrent à
réclamer le retour des casques bleus, les Etats-Unis exigèrent de
prendre la mission en main. Le Conseil de sécurité, où le
Rwanda occupait commodément alors un siège non permanent, ne put
même pas se résoudre à adopter une résolution
contenant le mot `génocide'. Le Sous-secrétaire
général des Nations Unies chargé des opérations de
maintien de la paix, Kofi Annan, avait déploré amèrement
la passivité de l'ONU : « Personne ne devrait avoir la
conscience tranquille dans cette affaire. Si les images de dizaines de milliers
de cadavres pourrissant et dévorés par les animaux... ne nous
font pas sortir de notre apathie, je ne sais ce qui peut le faire
»165. Tout comme Kofi Annan, le Secrétaire
général Boutros-Boutros Ghali, mais dans une autre veine souligne
: « Nous sommes tous responsables de cet échec, non seulement
les grandes puissances, mais aussi les pays africains, les ONG, toute la
communauté internationale. C'est un génocide... J'ai
échoué... C'est un scandale »166. Le FPR
était tout de même enragé de voir des milliers de personnes
massacrées malgré la `présence' de la MINUAR.
Théogène Rudasingwa, membre du FPR demande la démission du
représentant de l'ONU au Rwanda, Jacques-Roger Booh-Booh, pour
incompétence167, et Jacques Bihozangara, représentant
du FPR en Europe, déclare que son mouvement ne veut plus des troupes de
l'ONU, car « elles ont donné à la population un faux
sentiment de sécurité »168. Suite à
cela, le Secrétaire général BoutrosBoutros Ghali lance
l'idée d'une nouvelle intervention armée de l'ONU, et sa
proposition reçoit le soutien des Etats-Unis le 5 mai. Le 6 mai,
après force marchandages, le Conseil de sécurité adopte la
résolution 918 en faveur d'un déploiement de cinq mille cinq
cents hommes sous le Chapitre VII, c'est-à-dire un cran plus haut, en
termes d'utilisation potentielle de la force, que la MINUAR du
général Dallaire. Mais, satisfait de cet accès
d'énergie inhabituelle, le contributeur principal et l'institution se
mettaient au point mort. La nouvelle force internationale ne sera finalement
déployée que trois mois plus tard. Ainsi, juin succéda
à mai. A ce moment là, un groupe de huit nations africaines
excédées avaient proclamé leur intention
164 Fresque de Gigozi, 2012.
165 Le Monde (25 mai 1994). Voir également
à l'annexe, le message de Kofi Annan exprimant son regret sur la
passivité de l'ONU face au génocide.
166 Le Monde (27 mai 1994).
167 Le Soir (30 avril 1994).
168 SWB/Radio France Internationale (30 avril 1994).
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
de dépêcher une force d'intervention au Rwanda,
à condition que Washington fournît cinquante transports de troupes
blindés. Le gouvernement Clinton accepta, mais au lieu de prêter
les véhicules aux courageux Africains, il décida de les louer
quinze millions de dollars- frais de transport et pièces
détachées compris- l'ONU, à qui les Etats-Unis devaient
pourtant des milliards de dollars en arriérés de contribution.
Au même moment, la France cherchait impatiemment une
occasion de sauvegarder son prestige militaire et politique au Rwanda. Paris et
Kigali maintenaient des relations constantes, cordiales. Les diplomates
français et certains africains adoptaient généralement la
position officielle du gouvernement du génocide rwandais : loin
d'être le fruit d'une décision politique, les massacres de Tutsi
traduisaient la colère du peuple après l'assassinat d'Habyarimana
; la `population' s'était soulevée comme un seul homme pour se
défendre ; le gouvernement et l'armée ne voulaient que
rétablir l'ordre ; les tueries étaient un prolongement de la
guerre contre le FPR ; le FPR avait déclenché le conflit et il en
était le principal coupable. La MINUAR était au Rwanda pendant le
génocide ; avec des armes, des transports de troupes blindés, des
chars, toute sorte d'armement, et des populations se sont fait tuer sous leurs
yeux parce qu'ils servaient sous les ordres de l'ONU et devaient par
conséquent respecter le mandat plutôt que de protéger les
victimes169. A ce sujet, voilà ce qu'a annoncé
169 Suite aux actes de génocide, aux crime contre
l'humanité et aux crimes de guerre commis au Rwanda, dans les Balkans et
ailleurs, l'ancien Secrétaire général Kofi Annan avait
préconisé l'adoption par la communauté internationale de
principes fondés en droit et universels, s'inscrivant dans le cadre du
droit international, afin de protéger les civils des violations massives
et systématiques des droits de l'homme. Vu l'expérience tragique
du Rwanda, plusieurs pays avait soutenu qu'en cas de violations massives des
droits de l'homme et des crimes contre l'humanité, la communauté
internationale avait le devoir d'intervenir. Ainsi, en dernier ressort, les
droits de l'homme pourraient être protégés en toute
légitimité grâce au recours à la force
autorisé par le Conseil de sécurité. Ainsi, en 2005, lors
du plus grand rassemblement de Chefs d'Etats et de gouvernement de l'histoire,
les Etats membres de l'ONU ont adopté un document qui énonce
clairement la " responsabilité de protéger " de la
communauté internationale, en particulier du Conseil de
sécurité, lorsqu'un Etat se montre incapable ou non
désireux de protéger sa population face aux crimes les plus
graves (paragraphes 138 et 139 du document final du Sommet mondial de 2005).
Les membres de l'ONU ont reconnu que c'est à chaque Etat qu'incombe ce
devoir de protéger sa population contre les cas de génocides,
crimes de guerre, nettoyages ethniques et crimes contre l'humanité ;
mais c'est à la communauté internationale, dans le cadre de
l'ONU, que revient la responsabilité subsidiaire d'assurer la protection
contre ces quatre crimes. La responsabilité de protéger est un
concept large, qui repose sur la responsabilité des Etats en
matière de protection de leurs propres populations, dresse la liste des
actions possibles de la communauté internationale en matière
d'assistance et de renforcement des capacités des Etats, et pose les
principes d'une réaction résolue de la communauté
internationale en cas de crise. La stratégie met l'accent sur la valeur
de la prévention, tout en rappelant que dans les cas les plus graves, la
responsabilité de protéger de la communauté internationale
peut prendre la forme d'une intervention militaire coercitive,
décidée par le Conseil de sécurité, sous chapitre
VII de la Charte des Nations Unies. Nous soulignons que le concept de la
Responsabilité de protéger (« RTP » ou « R2P
» en anglais) est apparu en 2002, dans le sillage du rapport Brahimi sur
les opérations de paix. La Commission internationale de l'intervention
et de la souveraineté des Etats (CIISE), créée à
l'initiative du Canada et d'un groupe de grandes fondations, délivre
alors un rapport sur le principe et les modalités de la
Responsabilité de protéger (rapport Evans-Sahnoun). Les
conclusions de cette réflexion majeure seront reprises, en 2005, par le
rapport du Groupe de Haut Niveau sur les menaces, les défis et le
changement, ainsi que par le Secrétaire général, dans le
contexte de la réforme des Nations Unies - avant
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
Dallaire deux ans après le génocide : «
Le jour où j'ôterai définitivement mon uniforme sera
aussi celui où je répondrai devant mon âme de mes actes, et
des traumatismes (...) en particulier de millions de Rwandais
»170. De plus, en septembre 1997, peu avant que Kofi Annan
lui interdit de témoigner devant le Sénat belge, le
général Dallaire fit cette déclaration solennelle à
la télévision canadienne :
Je suis pleinement responsable de la mort des dix soldats
belges, d'autres morts, des blessures et des maladies de plusieurs de mes
hommes parce que nous nous sommes retrouvés à court de
fournitures médicales, du meurtre de cinquante six membres de la Croix
Rouge, du déplacement de deux millions de personnes qui sont devenues
ainsi des réfugiés, et du massacre d'environ un million de
Rwandais- parce que la mission a échoué et que je m'en juge
profondément coupable171.
Refusant de se `défausser' sur le système des
Nations Unies, Dallaire accusait les Etats membres du Conseil de
sécurité et de l'Assemblée générale de ne
pas avoir pris leurs responsabilités. Si, face à un
génocide, les gouvernements craignent de faire courir un risque à
leurs soldats, alors, dit-il,
N'envoyez pas des soldats mais des boys-scouts... Je n'ai
même pas encore commencé à réellement exorciser
l'apathie et l'absolu détachement de la communauté
internationale, et particulièrement du monde occidental envers
l'épouvantable sort des Rwandais. Parce que, fondamentalement, pour le
dire avec la franchise d'un soldat, tout le monde se fout du
Rwanda172.
Ainsi, se déclarant alarmé par les informations
selon lesquelles des actes de génocide et d'autres violations
flagrantes, généralisées et systématiques du droit
international humanitaire ont été commises au Rwanda, constatant
que cette situation fait peser une menace sur la paix et la
sécurité internationales, résolu à mettre fin
à de tels crimes et à prendre des mesures efficaces pour que les
personnes qui en sont responsables soient traduites en justice, convaincu que,
dans les circonstances particulières qui règnent au Rwanda, des
poursuites contre les personnes présumées responsables d'actes de
génocide ou d'autres violations graves du droit international
humanitaire permettraient d'atteindre cet objectif et contribueraient au
processus de réconciliation nationale ainsi qu'au rétablissement
et au maintien de la paix, le 08 novembre 1994, moins de quatre mois
après la fin du génocide et
d'aboutir à la déclaration finale de
l'Assemblée générale en octobre de la même
année. Par ailleurs, en 2006, la résolution 1674 du 28 avril
concernant la protection des civils en situation de conflit formule la
première référence « historique » du Conseil
à la RTP.
170 Philip Gourevitch, Op. cit., p. 224.
171 Philip Gourevitch, Op. cit., p. 235.
172 Idem.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
des massacres qui ont coûté la vie à
environ un million de Rwandais en à peine cent jours, le Conseil de
sécurité des Nations Unies crée le TPIR, dont le
siège est ultérieurement fixé à Arusha en Tanzanie.
Partageant la même chambre d'appel et le même procureur
général que le Tribunal pénal international pour
l'ex-Yougoslavie (TPIY) créé un an et demi plus tôt et
basé à la Haye, le TPIR reçoit comme mandat de
Juger les personnes présumées responsables
d'actes de génocide ou d'autres violations graves du droit international
humanitaire commis sur le territoire du Rwanda et les citoyens rwandais
présumés responsables de tels actes ou violations commis sur le
territoire d'Etats voisins entre le 1er janvier et le 31 décembre
1994173.
La compétence du TPIR est donc restreinte dans le temps
à la différence de celles du TPIY, dont la juridiction n'a pas de
date limite.
Dans la résolution 955 établissant le Tribunal,
le Conseil de sécurité précise notamment que les
poursuites ainsi entamées « contribueraient au processus de
réconciliation nationale ainsi qu'au rétablissement et au
maintien de la paix » et contribueraient aussi à «
faire cesser » les crimes « et à en
réparer dûment les effets ». Il souligne
Qu'une coopération internationale est
nécessaire pour renforcer les tribunaux et l'appareil judiciaire
rwandais » et décide « que tous les Etats apporteront leur
pleine coopération au Tribunal international et à ses organes,
(...) y compris l'obligation faite aux Etats de donner suite aux demandes
d'assistance ou aux ordonnances émanant d'une Chambre de première
instance174.
Toutefois, notons que c'est à la demande du Front
patriotique rwandais (FPR) et tenant compte du TPIY, que le Conseil de
sécurité créait en novembre 1994, une seconde juridiction
spécifique (TPIR) qui a primauté sur les instances locales,
composée de juges internationaux et appelée à fonctionner
selon les règles de droit international pénal175. Le
TPIR émane ainsi, à l'origine, d'une demande rwandaise mais,
plusieurs des conditions ont été imposées par le Conseil
de sécurité : refus de la peine de mort, siège hors du
Rwanda, juges et procureurs étrangers, mandat excluant l'avant 1994,
procureur commun au TPIY, etc.
173 Statut du TPIR annexé à la résolution
955 du Conseil de sécurité portant création du
Tribunal.
174 Résolution 955 du Conseil de sécurité
des Nations Unies.
175 A la différence des tribunaux spéciaux pour
l'ex- Yougoslavie et le Rwanda, la CPI ne prime pas sur les systèmes
nationaux. Elle n'a pas vocation à se substituer aux tribunaux
nationaux, mais bien a agir lorsque les structures et les instances judiciaires
nationales n'ont pas la volonté ou la capacité de mener des
enquêtes et des poursuites. La CPI assume dès lors un rôle
complémentaire à celui des systèmes nationaux.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
La création du TPIR par la Résolution 955 du 8
novembre 1994 du Conseil de Sécurité constitue une
consécration internationale importante du désastre de 1994. Cette
Résolution, fit directement entrer le génocide commis contre les
Tutsi dans l'arène des génocides reconnus sur le plan
international à la fois juridique et politique. Il s'agit pour l'heure
du génocide perpétré contre les juifs entre 1939 et 1945,
du génocide perpétré contre les musulmans serbes en Bosnie
entre 1991 et 1993 et du génocide perpétré contre les
Tutsi176 au Rwanda en 1994. Sachant qu'une pareille reconnaissance
ne s'acquiert pas aisément177, la venue du TPIR doit
être saluée pour son rôle symbolique et historique pour
l'avenir de la lutte contre l'impunité.
B. Le Tribunal Pénal International pour le
Rwanda et la justice rétributive
Dans le cadre de la justice transitionnelle, la justice
internationale fait partie de la justice rétributive qui se focalise sur
les poursuites judiciaires visant à rendre justice aux victimes et
à les aider à reconstruire leur vie. Ici, intervient le
deuxième pilier de la justice transitionnelle notamment le droit
à la justice et plus précisément la compétence
subsidiaire des tribunaux pénaux internationaux. Le TPIR établit
les responsabilités individuelles. Cet aspect est essentiel pour
éradiquer la perception dangereuse selon laquelle une communauté
tout entière (« les Hutus » ou « les Tutsis », par
exemple) est responsable de la violence et des atrocités. L'idée
de culpabilité collective est souvent à l'origine de
stéréotypes négatifs, qui provoquent ensuite un regain de
violence. Les poursuites judiciaires au sein du TPIR sont
considérées comme le moyen de persuasion le plus efficace contre
les futures violations des droits humains. Les actions pénales à
l'encontre des auteurs de crimes de guerre, de génocide et de crimes
contre l'humanité sont rendues obligatoires par le droit
international.
L'institution la plus importante de la justice
rétributive au Rwanda reste sans conteste le TPIR, qui introduit un
facteur explosif dans un système international fondé sur les
Etats. En poursuivant le crime contre l'humanité, elle donne à
cette dernière une signification tangible qui transcende les nations. En
clair, l'action du tribunal, voire sa raison d'être, dépasse la
dimension strictement judiciaire de la poursuite des auteurs du
génocide. Les objectifs édictés par la résolution
955 du Conseil de sécurité de l'ONU, réconciliation
nationale, maintien de la paix, lutte contre l'impunité et appui aux
tribunaux et l'appareil judiciaire rwandais
176 Le génocide commis en 1994 est appelé
`génocide perpétré contre les Tutsi' parce que le groupe
cible était individualisé et identifié comme un groupe
ethnique et sa destruction fut massive. De plus, les criminels se percevaient
et s'identifiaient comme Hutu et ciblaient leurs victimes en raison de leur
appartenance au groupe présenté et perçu comme
étant Tutsi. Cette qualification n'exclut toutefois pas la bravoure de
certains hutu tués ; des hutu modérés.
177 Ce fut sans doute l'une des raisons qui poussèrent le
Rwanda, alors membre du Conseil de Sécurité, à s'abstenir
de voter en faveur de la Résolution créa le TPIR qu'il avait
lui-même ardemment réclamé.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
démontrent une volonté internationale d'apporter
une réponse pénale et symbolique forte à ce
génocide. Par Ailleurs, c'est aussi au TPIR que le viol a
été reconnu comme véritable arme de guerre ; en donnant
une définition du viol comme crime contre l'humanité et crime de
génocide. Le TPIR a jugé que le discours raciste à
l'encontre des femmes tutsi constituait une incitation criminelle : dans une
certaine mesure, cette idéologie sous-jacente a rendu les femmes tutsies
« disponibles » au viol. En conséquence, le tribunal a tenu
pour responsable les personnes impliquées dans la propagation d'un tel
discours. Dans « l'affaire Akayezu », par exemple, premier
jugement sur le génocide, la Chambre établit une
définition qui exclut l'alibi du consentement et qui fait entrer le viol
dans les actes constitutifs même du génocide
perpétré contre les Tutsi :
Une invasion physique de nature sexuelle commise sur la
personne d'autrui sous l'empire de la contrainte. L'agression sexuelle, dont le
viol est une manifestation, est considérée comme tout acte de
nature sexuelle, commis sur la personne sous l'empire de la contrainte. Cet
acte doit être commis : a) dans le cadre d'une attaque
généralisée ou systématique ; b) sur une population
civile ; c) pour certains motifs discriminatoires, notamment en raison de
l'appartenance nationale, ethnique, raciale ou religieuse de la
victime178.
S'agissant du viol constitutif de génocide, dans la
même « affaire Akayezu », la Chambre a fixé,
à la lumière du génocide perpétré contre les
Tutsi, pour de bon des limites infranchissables. Les viols et violences
sexuelles sont constitutifs de génocide, au même titre que
d'autres actes, s'ils ont été commis dans l'intention
spécifique de détruire, en tout ou en partie, un groupe
spécifique, ciblé en tant que tel :
En effet, les viols et violences sexuelles constituent
certainement des atteintes graves à l'intégrité physique
et mentale des victimes et sont même, selon la Chambre, l'un des pires
moyens d'atteinte à l'intégrité de la victime, puisque
cette dernière est doublement attaquée : dans son
intégrité physique et dans son intégrité mentale.
Au vu de l'ensemble des éléments de preuve qui lui ont
été présentés, la Chambre a constaté que les
actes de viols et de violences sexuelles décrits ci-dessus
étaient exclusivement dirigés contre les femmes tutsies, qui ont
été très nombreuses à être soumises
publiquement aux pires humiliations, mutilées et violées. La
finalité de ces viols était très clairement
d'anéantir non seulement les victimes directes, mais également de
porter atteinte aux proches des victimes, leurs familles et leur
communauté, en les soumettant à une telle humiliation. Ainsi
donc, pardelà les femmes victimes, c'est tout le groupe Tutsi qui
faisait l'objet de ces crimes. En ce sens, il apparaît clairement
à la Chambre que les viols et violences sexuelles correspondraient, au
même titre que d'autres atteintes
178 Voir Tribunal Pénal International pour le Rwanda,
résumé du jugement d'Akayezu.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
graves à l'intégrité physique et
mentale commises à l'encontre de Tutsi, à la volonté de
faire souffrir et mutiler les Tutsi avant même de les tuer, dans le
dessein de détruire le groupe Tutsi tout en faisant
terriblement179.
De même, depuis fin 2000, le Tribunal avait lancé
le démarrage de nouveaux procès, l'annonce des poursuites
entamées contre des éléments de l'Armée patriotique
rwandaise (APR) bien que celles-ci sont restées presque sans suite. Le
TPIR a également permis par ailleurs que soient traduits en justice des
individus qui y aurait échappé si la juridiction internationale
n'avait pas existé. En cela, le TPIR a rempli l'une des tâches de
la justice transitionnelle notamment le droit à la justice. Dans ce qui
suit, sans prétendre à l'exhaustivité, nous
évoquerons quelques procès phares.
Paragraphe II : Le Tribunal Pénal International pour
le Rwanda et les poursuites pénales
Notre passage de juillet à septembre 2002 au TPIR en
tant que stagiaire au sein de la bibliothèque du TPIR, nos
différentes lectures et entretiens nous ont permis de mieux
appréhender quelques résultats symboliques du Tribunal à
l'instar des procès qui ont véhiculé un message contre
l'impunité. Par ses poursuites, le TPIR a jeté le
discrédit sur les dirigeants hutu au pouvoir pendant le génocide
de 1994.
A. Le TPIR et la neutralisation politique du `Hutu
Power'
De manière générale, après la mise
en place et le fonctionnement du TPIR, les dirigeants hutu au pouvoir au Rwanda
pendant le génocide se sont retrouvés soit traînés
en justice, soit identifiés et traqués comme des criminels en
fuite, soit réduits au silence. Ainsi, le TPIR a contribué de
manière déterminante à la neutralisation sur
l'échiquier politique de l'extrémisme hutu et de
l'idéologie radicale dite `hutu power' qu'il véhiculait. Certes,
il n'a pas anéanti la survivance de cette idéologie ce d'autant
plus, qu'elle s'est propagée et diffusée en République
démocratique du Congo et au Burundi. En clair, le TPIR a beaucoup
contribué à renforcer l'autorité du pouvoir de Kigali en
traquant les têtes du régime déchu. Son action avait
provisoirement contribué à éliminer de l'échiquier
politique une bonne partie des anciens leaders de l'extrémisme hutu.
179 Idem.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
B. Des procès pour l'exemple : un message contre
l'impunité
Les procès devant le TPIR ont commencé le 9
janvier 1997. De 1997 à 2000, environ huit individus ont
été jugés par les chambres de première instance.
Cinq d'entre eux : Jean-Paul Akayezu180 (L'affaire Akayezu,
premier jugement sur le génocide), Clément Kayishema et Obed
Ruzindana181 (L'affaire Kayishema/Ruzindana : le génocide
de Kibuye), Georges Rutaganda182 (L'affaire Rutaganda, au
nom des Interahamwe) et Alfred Musema183 (L'affaire Musema,
preuve orale contre preuve écrite), l'ont été
à l'issue d'un procès à fond. Les trois autres : Jean
Kambanda, Omar Serushago et Georges Ruggui184, avaient plaidé
coupable.
En plus de ces quatre jugements à fond, il y a eu trois
aveux de culpabilité. Parlant de Kambanda, dans L'affaire Kambanda,
aveu et désaveu, Jean Kambanda, ancien Premier ministre du
gouvernement intérimaire entre avril et juillet 1994, est le plus haut
responsable jugé à ce jour devant le TPIR. Il est aussi le
premier repenti de l'histoire de la justice internationale puisque l'ancien
Premier ministre a plaidé coupable de génocide. Coopérant
avec le procureur, l'accusé avait alors décidé de
témoigner à charge dans d'autres procès. Reconnu coupable,
le 1er mai 1998, sur la base de ses aveux, il est condamné
quatre mois plus tard à la peine maximale de la prison à vie. Les
aveux de Jean Kambanda sont présentés par le TPIR comme son plus
grand succès. Cependant, selon un rapport de International Crisis Group,
« Bien que Kambanda soit le plus haut responsable jugé par le
TPIR, il n'est pas un planificateur du génocide, et son procès ne
peut pas avoir la valeur d'exemple qu'on a voulu
180 Reconnu coupable de génocide et de crimes contre
l'humanité pour extermination, assassinats et viols, Jean-Paul Akayezu a
été condamné à l'emprisonnement à vie.
181 Clément Kayishema, ancien préfet de Kibuye a
été jugé, entre avril 1997 et novembre 1998, aux
côtés d'Obed Ruzindana, commerçant de la même
région. En mai 1999, les deux hommes étaient tous deux reconnus
coupables de génocide et respectivement condamnés à la
prison à vie et à 25 d'emprisonnement. La région de Kibuye
fut celle où se commirent parmi les plus grands massacres de Tutsi,
notamment dans la ville de Kibuye (commune de Gitesi) et la région
montagneuse de Bisesero où plusieurs dizaines de milliers de personnes
s'étaient réfugiées et furent exterminées. Plus de
cinquante témoins de l'accusation sont venus déposer à la
barre. Obed Ruzindana était le seul accusé à ne pas avoir
témoigné pour lui-même. Le 1er juin, la chambre
d'appel avait confirmé intégralement et définitivement le
jugement et les peines rendus par la chambre de première instance.
182 Rutaganda, l'un des cinq membres du comité national
des Interahamwe, il a été le seul être poursuivi
par le TPIR. Le procès de l'ancien deuxième vice-président
des Interahamwe a été le plus long et le plus discontinu
de ceux s'étant tenus depuis 1997 à Arusha. Entamé en mars
1997, il ne s'est achevé qu'en juin 1999. En décembre 1999,
Rutaganda était reconnu coupable de génocide et de crimes contre
l'humanité et condamné à la prison à
perpétuité pour des actes commis à Kigali.
183 Alfred Musema fut le premier accusé à
reconnaitre d'emblée l'existence du génocide. En janvier 2000, il
fut condamné pour génocide et crimes contre l'humanité,
dont un viol direct. Constituant le jugement le plus discuté entre les
trois juges l'ayant prononcé.
184 Un Européen dans les médias de la
haine, Georges Ruggui était jusqu'en 2000, le seul accusé
non-Rwandais devant le TPIR. Ancien employé de la sécurité
sociale belge, devenus trois mois avant le début du génocide
animateur de la radio extrémiste hutu RTLM, il était
arrêté au Kenya le 23 juillet 1997. Il plaida alors non coupable.
Après presque deux ans de prison, il passa aux aveux et accepta de
coopérer avec le procureur. Le 1er juin 2000, Ruggui, de
nationalité belge et italienne a été condamné
à 12 ans de prison pour incitation à commettre le génocide
et crime contre l'humanité pour persécution.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
lui attribuer »185. Mais, de nos
jours, Théoneste Bagosora s'est retrouvé de même à
Arusha et a été envoyé purger sa peine au Mali mercredi le
4 juillet 2012. Le colonel Bagosora était le chef de cabinet au
Ministère de la défense au début du génocide.
Cerveau présumé du génocide selon certaines sources, il a
fourni les armes et coordonné les interahamwe186.
Pour ces trois condamnés qui avaient plaidé
coupable, on peut dire que leurs aveux de culpabilité avaient permis de
fournir, a priori, une information nouvelle quant à
l'établissement des faits et la recherche de la vérité sur
le génocide, le rôle des acteurs et les moyens utilisés.
Les arrestations ont permis on peut dire d'adresser un message important
à tous ceux qui tentent d'accéder au pouvoir ou de s'y maintenir
en ordonnant et en planifiant des attaques contre les civils ; à tous
ceux qui, sous le coup d'un mandat d'arrêt de la justice pénale
internationale, pour des crimes de guerre, des crimes contre l'humanité
ou le crime de génocide, et pensent pouvoir miser sur la lassitude ou
l'inaction du Conseil de sécurité. A travers le TPIR, le Conseil
de sécurité démontre sa détermination à
lutter contre l'impunité.
En début juin 2001, pour soixante-cinq mises en
accusation, le TPIR avait déjà mis sous les verrous quarante-cinq
accusés représentés des cercles de pouvoir divers-
gouvernement, pouvoirs locaux, armée, médias, milices,
clergé et avait permis l'arrestation de personnalités de haut
rang187. Le Tribunal offre en fait une panoplie assez
complète des groupes et organisations impliqués dans le
génocide. Bien que très peu de cerveaux du génocide se
trouvent dans les prisons du Tribunal. Les jugements qu'il avait rendus avaient
néanmoins assuré une reconnaissance judiciaire du génocide
perpétré contre les Tutsi. Mais, jusqu'à notre
départ du Tribunal en octobre 2002, le TPIR n'avait pu juger que huit
individus. Entre juillet 1999 et octobre 2000, son activité judiciaire
au fond a été constituée par le procès d'un seul
accusé Ignace Bagilishema, ancien maire de la commune de Mabandza (de
la
185International Crisis Group, « Tribunal
pénal international pour le Rwanda : l'urgence de juger »,
Rapport Afrique, N° 30, 7 juin 2001, p. 6.
186 En effet, le plus en vue des responsables rwandais
condamné par le TPIR pour sa participation au génocide de 1994,
le Colonel Bagosora avait été arrêté au Cameroun le
09 mars 1996. Condamné à la perpétuité en
première instance, celui qui avait été
présenté comme le `cerveau' du génocide a vu sa peine
réduite de 35 ans de prison par la chambre d'appel le 14 décembre
2011. Les juges d'appel du TPIR avaient en décembre dernier
confirmé la responsabilité de Théoneste Bagosora pour
génocide, crimes contre l'humanité et crimes de guerre, mais ils
avaient annulé plusieurs conclusions factuelles de la chambre de
première instance. In fine, sa responsabilité n'a
été retenue que pour n'avoir pas prévenu les crimes commis
par des militaires et pour n'avoir pas puni les auteurs, alors que les juges de
premier degré avaient conclu qu'il a ordonné les crimes.
Toutefois, la chambre d'appel a maintenu une conclusion de jugement de
première instance selon laquelle Bagosora était la plus haute
autorité militaire du Rwanda entre le 6 et le 9 avril 1994.
187 Le gouvernement en charge du pouvoir au lendemain de
l'attentat contre l'avion présidentiel du 6 avril 1994, dans lequel
périt le président Juvénal Habyarimana. Les anciens
membres de ce gouvernement ont été accusés devant le TPIR
d'avoir conçu et supervisé le génocide contre les membres
de la communauté tutsi.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
préfecture occidentale de Kibuye). Ainsi, pour beaucoup
de rwandais, en réalité, la création du TPIR est une
marque de la mauvaise conscience internationale. Ayant tragiquement failli
à son devoir d'intervention pour arrêter le génocide de
1994, la communauté internationale a voulu aider à sanctionner le
crime une fois celui-ci commis. Le TPIR a aussi fait l'objet de plusieurs
polémiques sur sa vérité judiciaire.
SECTION II : LE TRIBUNAL PENAL INTERNATIONAL POUR LE
RWANDA ET LA VERITE JUDICIAIRE
L'urgence de la création du TPIR résultait au
premier chef du souci de combattre l'impunité au Rwanda et à ce
titre, d'utiliser l'instrument judiciaire au service de la
réconciliation afin de contribuer au rétablissement et au
maintien de la paix ainsi qu'à la réconciliation. De ce fait, le
gouvernement rwandais collabore avec le TPIR dans la période initiale
pour prouver la réalité du génocide face aux thèses
négationnistes et à ceux qui doutaient. Une fois cet objectif
rempli et lorsqu'il voit que certaines personnalités du régime
sont menacées d'inculpation pour les crimes qu'elles auraient commis, il
mène une politique d'obstruction active envers le TPIR. Cette politique
réussit : plus de dix ans après la création du TPIR,
celui-ci n'a pas émis un seul acte d'accusation pour les crimes commis
en représailles au génocide. Autrement dit, les criminels de
guerre et autres criminels contre l'humanité d'origine ethnique tutsie
restent impunis ; le TPIR n'a presque jamais poursuivi un Tutsi malgré
l'existence d'éléments des preuves qui auraient fondé ce
genre de poursuites188. Or, pour effectivement lutter contre
l'impunité au Rwanda, le Tribunal avait jugé nécessaire
d'ouvrir des poursuites contre le Front patriotique rwandais, pour les crimes
de guerre ou contre l'humanité commis lors de son avancée vers
Kigali en 1994 ; seulement, sous pression du gouvernement rwandais, la
diplomatie a ralentit l'action du TPIR pour des crimes du FPR. Cette situation
crée des ressentiments envers les victimes non reconnues ; elle
présente potentiellement un risque pour la paix, la
réconciliation et la stabilité de la société.
188 Rapport sur la situation des droits de l'homme au Rwanda
soumis par M. René Degni-Ségui, Rapporteur spécial de la
Commission des droits de l'homme, en application du paragraphe 20 de la
résolution S-3/1 du 25 mai 1994, Doc. NU E/CN.4/1996/68, 29 janvier 1996
: Tumba-De-Mukose, « Génocide rwandais : pourquoi Carla Del Ponte
été jetée du TPIR par l'ONU ? », Afrique Education,
Bimensuel International Indépendant, n°195-196 du 1er au
30 janvier 2006 ; voir en ligne : Bimensuel International Indépendant
http://www.afriqueeducation.com/archive/sommaire/article.php?=298&version=195-196
.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
Paragraphe I : Le Tribunal Pénal International pour
le Rwanda et les crimes du FPR
A. L'obligation d'établir la
vérité sur les crimes du FPR
Le 13 décembre 2000 la procureur du TPIR, Carla del
Ponte, avait annoncé publiquement, au cours d'une conférence de
presse, son intention d'inculper des gens proches du régime ; des
dossiers d'enquête avaient été constitués contre des
membres du FPR189. Quelques jours avant la déclaration
publique du procureur général, les autorités rwandaises
définissaient ainsi leur position : « Quelle est la mission du
TPIR ? Si cela tombe dans sa mission, il doit poursuivre. Si Carla del Ponte le
demande, nous collaborerons »190, soulignait le ministre
de la Justice. Le procureur général du Rwanda, dont les services
avaient déjà été mis au courant des poursuites
à venir, affirmait : « Le FPR a commis des violations des
droits de l'homme. Des crimes de guerre, des crimes contre l'humanité,
mais pas de génocide. La cour internationale devrait traiter des gens se
trouvant à l'extérieur. On ne peut pas poursuivre tout le
monde »191.
Nous notons que certes, il y a la difficulté
d'évoquer en même temps et le génocide et les crimes de
guerre ; car on serait tenté de dire qu'il n'y a pas eu de
génocide, ou qu'il y a eu un double génocide. Notre position est
qu'il faut tout de même oser parler des actes qu'il y a eu en
représailles du génocide, tout en précisant qu'il n'y a
bien eu qu'un génocide. Ces actes de représailles doivent
être jugés, ceux qui les ont subis doivent pouvoir parler et ils
sont certes à différencier de tous les génocidaires. C'est
ainsi qu'on avancera dans le processus de justice et de réconciliation.
Le procureur général du Rwanda à l'époque semble
ignorer que le TPIR a également compétence à juger des
crimes de guerre et crimes contre l'humanité en plus du génocide.
L'enquête sur les crimes du FPR s'est annoncée
particulièrement difficile de même que sur l'attentat contre
l'avion présidentiel d'Habyarimana. Par la suite, le gouvernement de
Kigali avait cherché la démission de la procureur, et avait fini
par l'obtenir même si les formes diplomatiques du départ de Carla
del Ponte étaient respectées. De fait, les relations entre le
TPIR et le gouvernement rwandais ont été difficiles,
essentiellement en raison du fait que le Tribunal pouvait également
enquêter sur les crimes de guerre commis par les soldats du FPR et leurs
chefs. On peut souligner en fin de compte que le gouvernement rwandais a un
intérêt inévitablement ambigu dans le Tribunal et tout
particulièrement dans le
189 Dès octobre 2000, le procureur général
avait déjà discrètement déposé ses demandes
d'enquêtes auprès de la justice rwandaise.
190 Entretien mené par International Crisis Group avec
Jean de Dieu Mucyo à Kigali le 2 décembre 2000, ICG, op.
cit., p. 10.
191 Entretien entre International Crisis Group et Gérald
Gahima le 5 décembre 2000, ICG, op. cit., p. 10.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
parquet. Car, en même temps que le TPIR lui sert
politiquement en réduisant les anciens dirigeants hutu rwandais à
des criminels poursuivis pour génocide, il représente une menace,
du fait des mises en accusation qu'il peut et devra émettre contre des
militaires du Front patriotique rwandais, désormais au pouvoir. L'actuel
régime rwandais porte d'ailleurs l'incontestable
légitimité d'avoir arrêté la poursuite des massacres
à grande échelle au Rwanda et d'avoir secouru les quelques
dizaines de milliers de Tutsi menacés de mort en avril 1994. Plus de
deux ans plus tard192, la même armée a mené au
Kivu des offensives contre les camps de réfugiés parmi lesquels
se trouvaient des milliers de hutus rwandais exécuteurs du
génocide et qui menaçaient d'envahir le Rwanda et de le
reconquérir193. Les succès de cette offensive ont
permis le rapatriement de centaines de milliers d'hutu civils et militaires,
entraînant aussi l'arrestation de nombreux suspects de génocide.
Une enquête sérieuse sur les responsabilités de hauts
officiers du FPR dans les massacres de populations qui ont accompagné sa
campagne militaire en 1994 pourrait entacher l'image du régime de
manière significative. De même, la portée des crimes
présumés du FPR a été atténuée avant
même qu'ils soient précisément identifiés. Les
massacres des populations civiles perpétrés en 1994 par le FPR
sont présentés par les autorités de Kigali comme relevant
de bavures militaires mais en aucun cas comme ayant été commis de
façon délibérée et systématique. Il est donc
peu probable qu'un gouvernement en exercice acceptera de lever
l'impunité de ses officiers supérieurs. Il est clair que le
gouvernement du Rwanda cherchera par tous les moyens à diminuer l'impact
d'une telle annonce sur sa propre base politique, le FPR, mais surtout
l'armée. La capacité d'obstruction de la justice internationale
par le gouvernement du Rwanda a fonctionné d'autant mieux que les graves
dysfonctionnements qui ont entaché les premières années du
TPIR avaient affecté sa crédibilité. Dans cette optique,
la vérité produite ne peut satisfaire l'objectif de
réconciliation nationale en ce sens que seule une partie des crimes
internationaux a fait l'objet de poursuites judiciaires.
B. Le TPIR : l'obligation de juger et de sanctionner
les membres du FPR
Au Rwanda, nous nous sommes entretenues avec l'un des proches du
FPR, partisan du régime en place et travaillant aujourd'hui pour les
Nations Unis. Ayant posé à ce dernier que
192 Depuis le génocide, le nouveau gouvernement du
Rwanda, dominé par le FPR, a continué à faire la guerre
à ses anciens ennemis sur le territoire de la RDC voisine. En 1996, la
première guerre était motivée par la destruction des camps
de réfugiés, dans lesquels se réorganisaient,
s'entrainaient les anciennes FAR.
193 En 1998, la seconde guerre était
présentée par le gouvernement rwandais comme une guerre «
préventive » contre Laurent Désiré Kabila, ancien
allié de l'APR, qui avait pris parti de réarmer les ex FAR contre
le Rwanda. Le Rwanda a donc considéré que la présence des
criminels dans le pays environnants lui donnait obligation d'intervenir
militairement.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
selon une étude de Human Rights Watch, le FPR est
soupçonné du massacre de 25 000 à 45 000 civils en 1994 et
ces meurtres n'ont jamais été traités. En premier lieu, il
nous a signifié qu'il fallait absolument se méfier des organismes
tels que Human Rights Watch qui est contre le régime de Kagamé et
qui est manipulé par les Occidentaux. Ensuite, il a affirmé que
certes les éléments du FPR ont commis des actes meurtriers ; il
en sait quelque chose parce qu'il était très proche d'eux mais,
ces actes relevaient tout simplement de la vengeance. Ils ont commis des crimes
de guerre mais pas des actes de génocide. Cependant, notre informateur
ignore lui aussi que justement, le TPIR a compétence de poursuivre les
actes de génocide, crimes de guerre et crimes contre l'humanité.
Une enquêtrice au TPIR depuis déjà 15 ans nous a
révélé que le TPIR possède bien des preuves
concernant les meurtres commis par le FPR mais c'est dommage que jusque
là, seul ont été jugés des actes de
génocide. A notre niveau, on se demande est ce qu'il ne faudra justement
pas une action concernant les gens qui ont subi des actes de vengeance ? Car,
peut-on arriver à une réconciliation si on punit uniquement les
crimes de génocide qui ont été commis, en passant sous
silence ce que certains ont subi en termes de vengeance ? Evidemment non !
C'est vrai, nous sommes tout à fait d'accord qu'il faut éviter
tout amalgame. La première chose claire est qu'il y a eu un
génocide qui à visé un groupe, même si d'autres ont
été tués dans la foulée comme opposants, cela doit
être puni.
Paragraphe II : Le TPIR et la connaissance de l'histoire du
génocide
A. L'existence de planification sans planificateur du
génocide contre les Tutsi
A l'aune de la fermeture du TPIR, on remarque encore le timide
établissement de l'existence d'un plan visant à l'extermination
des Tutsi. Dans divers procès, les Chambres du TPIR reconnaissent certes
que certains faits peuvent être interprétés comme
établissant l'existence d'un plan visant à commettre le
génocide notamment en tenant compte de la rapidité avec laquelle
les meurtres ciblés ont été perpétrés
immédiatement après que l'avion du Président eut
été abattu.
Dans le premier procès historique du TPIR contre
Akayesu, la Chambre conclut que le génocide commis contre les Tutsi au
Rwanda en 1994 parait avoir été méticuleusement
organisé. Un certain nombre d'indices plaident en effet en faveur de
cette préparation du génocide. Il y a d'abord l'existence de
listes de Tutsi à éliminer, étayée par de nombreux
témoignages. Selon la Chambre, le génocide aurait
été organisé et planifié non seulement par
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
des membres des FAR, mais aussi par des forces politiques
regroupés autour du « Hutu power », aurait été
ensuite exécuté pour l'essentiel par des civils, dont notamment
des citoyens ordinaires, les voisins tuant leurs voisins mais aussi par des
miliciens armés. S'y ajoute, surtout, que les victimes tutsies furent en
grande majorité des non combattants, dont des milliers de femmes et
d'enfants.
Ernest Mutwarasibo, dans son article intitulé «
L'héritage du TPIR dans la connaissance de l'histoire du génocide
perpétré contre les Tutsi »194, remarque que
malgré les vicissitudes du système judiciaire international qui
émaillèrent sa création, le TPIR constitue un outil de
premier plan dans la reconnaissance juridique internationale du génocide
perpétré contre les Tutsi. Mais, l'auteur y relève aussi
des contradictions. Selon lui, après le procès historique
d'Akayesu qui montre clairement la planification du génocide rwandais,
cette affirmation, loin d'être renforcée par d'innombrables
preuves apportées par le Procureur, l'idée de la planification
allait en s'étiolant. Il relève par exemple que dans les affaires
Kayishema, Ruzindana, Bagosora et autres, le TPIR part de la gravité des
faits allégués pour conclure timidement en une possible
planification du génocide contre les Tutsi. La conséquence de
cette impasse est qu'aucun accusé n'a jusqu'à présent
été reconnu vraiment coupable de cet acte, malgré la
constitution des preuves variées.
Mutwarasibo note :
Aussi étrange que cela puisse paraître,
même le Colonel Bagosora, qui est considéré par plusieurs
personnes comme `le cerveau' du génocide perpétré contre
les Tutsi- qui était surtout accusé d'avoir participé
à la planification, à la préparation et à
l'exécution d'un plan permettant de perpétrer ledit
génocide- n'a pas été qualifié coupable de ce
crime. Dans son arrêt contre Bagosora et ses co-accusés, la
Chambre déclare que le Procureur n'a pas pu établir des preuves
irréfutables de l'entente entre eux, condition indispensable à la
planification, en vue de commettre le génocide195.
Il poursuit :
La Chambre a conclu que certains des accusés ont
joué un rôle dans la création de milices civiles ainsi que
dans la distribution d'armes à leurs éléments et dans les
actions de formation militaire organisées à leur intention, tout
aussi bien que dans la tenue de listes de personnes soupçonnées
d'être de complices du FPR, ou d'autres opposées au régime
en place (...). Par contre, la Chambre n'est pas convaincu que le
Procureur
194 Ernest Mutwarasibo, « L'héritage du TPIR dans
la connaissance de l'histoire du génocide perpétré contre
les Tutsi », in Dialogue : 16ème
Commémoration du Génocide contre les Tutsi, mars 2010,
N°190, Kigali, Minespoc, PP. 65-85.
195 Ernest Mutwarasibo, Op. cit., PP. 77- 78.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
a établi au-delà du doute raisonnable que la
seule conclusion raisonnable qui se puisse tirer des éléments de
preuve produits est que les quatre accusés se sont entendus entre eux,
ou avec d'autres, pour commettre le génocide avant qu'il ne
s'étende à partir du 7 avril 1994196.
Pour Mutwarasibo, il est ainsi scientifiquement regrettable
que malgré les preuves fournies, aucune Chambre du TPIR ne soit
arrivée à établir pour irréfutable le fait que le
génocide perpétré au Rwanda ait fait objet d'une
planification à l'avance. Comment peut-on en effet commettre un
génocide sans l'avoir planifié ? Telle est peut être la
question lancinante qui découle du TPIR de n'être en mesure
d'établir des preuves inébranlables pour la planification et les
planificateurs du génocide. D'après Mutwarasibo,
Il est inconcevable, comme l'affirme ironiquement la
Chambre qui statua sur l'Affaire Bagosora et ses coaccusés, que des
actes d'assassinats ciblés se soient systématiquement
été méthodiquement produits dans divers endroits du pays,
dans les mêmes circonstances et souvent par des mêmes personnes,
sans que ces actes ne soient inscrits dans une planification préalable
de destruction197.
B. Le TPIR : vérité judiciaire versus
vérité historique
Dans son article, « L'héritage du TPIR dans la
connaissance de l'histoire du génocide contre les Tutsi »
Mutwarasibo souligne que la vérité judiciaire du TPIR se trouve
en décalage avec la vérité historique, compromettant
même la mémoire du génocide. En effet, si le
génocide a été commis par tel ou tel, il doit l'être
aussi dans sa planification. La planification est incarnée dans la
commande. Nous soulignons tout de même qu'il est en effet assez
incompréhensible que des actes d'une pareille ampleur soient largement
exécutés sans qu'ils ne relèvent d'un plan conçu en
l'avance par des autorités supérieures. Toutefois, nous
mentionnons que la difficulté du TPIR à pouvoir établir
l'existence de la planification et des planificateurs du génocide
découlerait certainement entre autres du fait que le Tribunal n'a de
compétence198 que sur une période très
limitée du 1er janvier au 31 décembre 1994. Il lui
est
196 Ibid., p. 78.
197 Idem.
198 D'après Mutwarasibo, les statuts du TPIR furent
l'objet des calculs de la France qui usait de tous les moyens dont son droit de
veto au Conseil de Sécurité de l'ONU à
rétrécir la compétence temporelle et territoriale du
Tribunal. Le motif était manifestement de s'esquiver des poursuites
judiciaires. Pour d'amples détails sur le rôle et les motifs de la
France dans la restriction de la compétence temporelle et territoriale,
Mutwarasibo recommande de lire la présentation du Dr. Charles
Muringande, Ministre rwandais de l'Education, lors de la de la
Conférence organisée par la Commission Nationale de Lutte contre
le Génocide le 8 décembre 2009 en l'occasion du 61e
anniversaire de l'adoption de la Convention sur le génocide. En clair,
le rôle considérable de la France dans la préparation et
l'exécution du Génocide au Rwanda a été largement
mis en relief. Entre 1990 et 1994, elle a aidé à la mise en place
des centres d'instruction et d'entraînement militaire dans lesquels les
soldats français ont entraînés les escadrons de la mort. La
commission Mucyo montre par exemple qu'au-delà de
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
légalement difficile et pratiquement inutile d'aller en
profondeur jusqu'à établir les faits d'entre 1990 et 1994 en vue
d'établir irréversiblement l'existence et les responsables du
plan d'extermination des Tutsi.
En définitive, le TPIR a toutefois connu des
résultats symboliques et a réussi à imposer la
reconnaissance juridique du génocide ; il a permis que soient traduits
en justice des individus qui y auraient échappé si la juridiction
internationale n'avait pas existé ; ils étaient tous en exil,
hors d'atteinte des autorités rwandaises. Les procès, l'annonce
des poursuites entamées contre les éléments du FPR combien
même cela n'a jamais fonctionné, les programmes rapprochant le
TPIR de la société rwandaise sont autant de signes positifs.
Ainsi, l'institution judiciaire en société post-génocide
au Rwanda a joué un rôle fondamental dans la société
rwandaise en ce sens qu'entre autres, elle a aidé les Rwandais à
mieux comprendre ce qui s'est passé en 1994 et à panser leurs
blessures. Toutefois, la justice transitionnelle au Rwanda relève d'un
héritage mitigé dont l'objet de la deuxième partie de
cette étude.
l'assistance aux auteurs du génocide, les militaires
français en mission officielle (Opération Noroit, Turquoise), ont
eux-mêmes participé dans les actes de contrôle des cartes
d'identités, d'arrestation, de torture et d'assassinat des Tutsi.
DEUXIEME PARTIE : BILAN MITIGE DE LA DEMARCHE
JUDICIAIRE DANS LE PROCESSUS DE JUSTICE TRANSITIONNELLE AU RWANDA
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
Après le génocide de 1994 pendant lequel ont
péri 800 000 Tutsi et Hutu modérés rwandais sur une
période de 100 jours, le pays a dû faire face à un
défi sans précédent pour reconstruire la
société dévastée et divisée. Au sortir du
génocide, les priorités ont été la justice
transitionnelle par le biais de la réconciliation et des poursuites,
l'aide aux survivants, la réinsertion des rapatriés et la
reconstruction. La démarche judiciaire dans le processus de justice
transitionnelle est un élément essentiel de la construction de la
paix sans laquelle il ne peut y avoir de développement durable. Les
processus de reconstruction, de réconciliation et de
développement économique du Rwanda après le
génocide ont été ancrés à un changement
radical de la gouvernance et à des mesures destinées à
améliorer les performances au sein de l'économie. La justice
transitionnelle est ainsi perçue comme une formidable opportunité
d'aller de l'avant, de panser les plaies du passé, d'être le
moteur de paix et du développement et beaucoup de progrès ont
été faits dans ce sens. Cependant, cette même justice
transitionnelle a souligné un certain nombre de lacunes également
que nous mettons en lumière en vue d'apporter des suggestions et de se
pencher à un avenir meilleur de la justice transitionnelle. Cette
deuxième partie de l'étude est ainsi subdivisée en deux
grands chapitres : notamment la justice transitionnelle vue comme une
contribution significative à la consolidation de la paix et du
développement au Rwanda et la justice transitionnelle comme contribution
insuffisante à la dynamique de retour à la paix au Rwanda.
CHAPITRE TROISIEME : LA DEMARCHE JUDICIAIRE DANS LE
PROCESSUS DE JUSTICE TRANSITIONNELLE : UNE CONTRIBUTION SIGNIFICATIVE A
LA CONSOLIDATION DE LA PAIX ET AU
DEVELOPPEMENT
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
SECTION I : L'MPACT POSITIF DE LA JUSTICE
TRANSITIONNELLE SUR LE RWANDA : ETAT DE DROIT ET RECONCILIATION NATIONALE
Paragraphe I : Le droit aux garanties de
non-répétition à travers le respect de l'Etat de droit
De façon globale, le droit aux garanties de non
répétition des violations graves des droits de l'homme traduit
l'obligation pour les Etats de veiller à ce que les victimes ne puissent
de nouveau subir une violation de leurs droits. Ce droit à la
non-répétition implique un ensemble de réformes
institutionnelles et de mesures qui sont à même de garantir le
respect de l'état de droit, de susciter et d'entretenir une culture du
respect des droits de l'homme, et de rétablir ou de restaurer la
confiance de la population dans ses institutions publiques. Nous nous
intéressons dans ce paragraphe au respect de l'état de droit.
A. Justice transitionnelle : soutien au
rétablissement de l'Etat de droit
La justice transitionnelle vise à affronter le legs
d'exactions graves en vue de soutenir le rétablissement de l'Etat de
droit et la réconciliation nationale. Lorsque l'on parle de l'Etat de
droit, il se trouve que le public ait confiance dans les règles de la
société et les respecte, le public a confiance à
l'efficacité et à la prévisibilité du
système judiciaire. L'Etat de droit se réfère
également à l'ampleur des crimes, à leur niveau et
à leur incidence dans la société ainsi qu'à la
capacité du système judiciaire à gérer ces crimes.
Au Rwanda, la mobilisation de la démarche judiciaire dans le processus
de justice transitionnelle a permis en partie l'égalité et
l'efficacité de l'accès des citoyens à la justice, y
compris aux systèmes judiciaires traditionnels ; elle s'est
penchée en particulier sur les Juridictions Gacaca. Ainsi, au
regard du retard dans les dossiers de crimes de génocide à
traiter, les Juridictions Gacaca ont joué un rôle
prépondérant dans l'administration de l'Etat de droit.
Lorsque la confiance a été gravement
érodée au sein d'une société, la reconstruire et
résoudre les conflits demande l'application juste et équitable de
règles par une tierce partie impartiale. Au Rwanda, comme dans d'autres
pays qui se remettent d'un conflit, le capital social et la confiance ont
été gravement détériorés. Dans ce contexte,
il a été essentiel d'appliquer la règle de droit de
manière juste et équitable afin de surmonter la méfiance
et les divisions et d'administrer rapidement la justice pour tous les auteurs
et les victimes du génocide et d'autres crimes, restaurant ainsi la
confiance dans l'avenir.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
Il est crucial que les organismes assurant le respect de la
loi et le système judiciaire disposent d'un haut degré
d'indépendance et d'intégrité afin d'assurer
impartialité et non ingérence dans les dossiers. L'accès
à la justice constituant l'un des piliers de la justice transitionnelle
est un objectif vital mais qui reste difficile dans le contexte de pays
à faible revenu qui ne disposent pas d'une infrastructure et d'un
système d'aide judiciaire très développés.
L'efficacité et l'efficience sont également des
éléments essentiels pour que la justice puisse être rendue
dans un laps de temps raisonnable. Pour ce faire, il est nécessaire que
les effectifs et les ressources financières soient suffisants afin de
disposer de la capacité voulue en matière d'application de la
loi, d'enquête et de procédures judiciaires.
Avant 1994, le Rwanda n'avait pas l'expérience
véritable d'un système judiciaire professionnel et
indépendant. Par ailleurs, ce qui était en place avait
virtuellement été détruit durant le génocide au
cours duquel beaucoup de juges et d'avocats ont été tués
alors que d'autres fuyaient le pays. Les moyens juridiques ont dû
être totalement reconstruits alors même que le pays devait
gérer un nombre considérable de dossiers de suspects du
génocide en attente de procès. En 2000-2001 le Rwanda a
entamé un programme de grandes réformes judiciaires dans le but
de renforcer l'indépendance du système judiciaire, d'en
améliorer le professionnalisme, de réduire le nombre des cas en
souffrance et de veiller à la bonne qualification des juges et des
avocats. Parallèlement à l'instauration de ces réformes,
le Rwanda a modernisé son cadre de lois, notamment avec une
révision en profondeur du Code pénal en 2004. Progressivement, le
pays a développé les capacités du personnel du secteur
juridique.
B. Justice transitionnelle : soutien au renforcement de
l'Etat de droit
Les réformes du secteur juridique au Rwanda ont
renforcé l'indépendance formelle du système judiciaire et
en ont amélioré la qualité. Le public semble tenir le
système judiciaire en haute estime. Le Rapport sur
l'évaluation conjointe de la gouvernance au Rwanda, stipule par
exemple qu' « au Rwanda, en 2007, 78,6% des personnes
interrogées exprimaient une grande confiance ou une assez grande
confiance dans les tribunaux »199. Bien que beaucoup reste
à faire, le Rwanda a pu relever le défi en renforçant les
organismes d'application de la loi et le système judiciaire, en
respectant les principes d'indépendance et d'impartialité, et en
investissant dans les capacités d'enquête ainsi que dans les
moyens judiciaires et d'application de la loi.
199 Rapport sur le Rwanda : Evaluation conjointe de la
Gouvernance, 12-09-08, p. 29.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
En somme, compte tenu de son passé traumatique, au
Rwanda, les progrès réalisés en matière de
renforcement de l'état de droit ont été impressionnants.
En effet, le Rwanda a révisé et modernisé le cadre de ses
lois, a entrepris des réformes en profondeur pour augmenter
l'efficacité et l'indépendance du judiciaire, a renforcé
les services de police et a terminé le processus de procès
communautaires pour certaines catégories de crimes de génocide
(Juridictions Gacaca). Suite à notre étude sur le
terrain, au Rwanda, la police et les services judiciaires ont acquis un niveau
de respect et de confiance élevé auprès du public.
Toutefois, il reste d'importants défis à relever ; défis
liés à l'administration rapide de la justice, et à la
capacité de faire pleinement appliquer la loi et exécuter les
jugements. Les institutions rwandaises opèrent
généralement dans les règles mais il restera toujours
nécessaire de chercher des moyens pour renforcer la gouvernance
fondée sur les règles, d'accroître la résilience des
institutions chargées de confirmer les principes juridiques.
Paragraphe II : Réconciliation nationale et justice
transitionnelle.
Comme souligné tout au long de cette étude, le
génocide de 1994 a fait environ 800 000 morts de Tutsi et de Hutu
modérés rwandais en trois mois. Lorsque le FPR a
libéré le pays, le gouvernement en place et la milice ont
repoussé jusqu'à deux millions de personnes hors du Rwanda dans
des camps de réfugiés des pays voisins. Dans bien des cas, «
des villages entiers furent poussés sur la route et durent marcher
sous la menace des armes, le maire et les conseillers municipaux en tête
du groupe, tandis qu'à l'arrière, soldats et interahamwe les
pressaient d'avancer »200. Le Rwanda a dû faire face
à un défi sans précédent pour reconstruire une
société dévastée et divisée. L'approche
adoptée par le Rwanda a pour l'essentiel été mise au point
dans le pays et s'était appuyée sur des institutions
traditionnelles. Les priorités ont été la
réconciliation, la justice transitionnelle, l'aide aux survivants, la
réinsertion des rapatriés et la reconstruction de l'unité
et de la confiance.
A. Le retour des réfugiés : facteur de
réconciliation
La réconciliation nationale étant un processus
à long terme, beaucoup de progrès ont été faits au
pays des milles collines dans ce sens et l'un des indicateurs de succès
a été le retour des réfugiés dont la
majorité étaient rentrés au Rwanda dès le
début des années 2000201. S'il y
200 Philip Gourevitch, Op. cit., p. 226.
201 D'après la Commission rwandaise de rapatriement, entre
1994 et 2002, 3 261 218 réfugiés sont rentrés, du Burundi
(16,4%), de Tanzanie (26%, 9), d'Ouganda (10,2%), de RDC (46,2%) et de
plusieurs autres pays.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
a eu d'inévitables différends fonciers et
problèmes de réinstallation, de manière
générale, ces difficultés ont été
gérées sans heurts.
En effet, « l'exode massif de juillet/août 1994
tramé par les idéologues du génocide avait chassé
environ deux millions de Rwandais sur une population d'environs sept
millions »202 souligne Gourevitch. Les
réfugiés sont partis du Rwanda dans des circonstances très
particulières ; ils étaient regroupés, bon gré mal
gré, par les FAR et les autorités civiles. Les autorités
administratives s'étaient efforcées de faire partir tout le monde
avant l'arrivée du FPR qui allait « régner sur un
désert »203 d'après le général
Augustin Bizimungu, chef d'étatmajor des FAR replié à
Goma. Le fait que ces réfugiés soient retournés au Rwanda
a été un grand espoir de paix et de réconciliation car, au
départ, pour ces réfugiés, un tel retour était
synonyme d'extermination.
B. La justice pour les crimes de génocide :
facteur de réconciliation
Pour conduire à la réconciliation nationale
après le génocide, le problème le plus immédiat
consistait à lancer un processus de justice transitionnelle permettant
d'étudier les demandes des survivants et de traiter le nombre
considérable des suspects de génocide. Comme nous l'avons vu, les
individus accusés d'avoir ourdi le génocide et capturés
à l'étranger ont été transférés au
TPIR. Le mandat du Tribunal expirant déjà, quelques demandes
seront et sont déjà transférées au Rwanda où
le pays jugera le restant des suspects. Nous soulignons que le Rwanda a
satisfait à plusieurs des conditions de tels transferts, notamment avec
l'abolition de la peine de mort en 2007, l'adoption d'une loi sur le transfert
des prisonniers du TPIR, l'amélioration des installations
carcérales et l'autorisation des visites au Rwanda effectuées par
le TPIR. En plus, des tribunaux classiques qui ont montré leurs limites,
le système judiciaire transitionnel mis en place par le Rwanda, connu
sous le nom de Gacaca, lequel est fondé sur les
mécanismes communautaires traditionnels de résolution des
conflits, est largement perçu comme un pas en avant vers la
réconciliation nationale et semble jouir de la légitimité
populaire malgré quelques inconvénients.
Par ailleurs, un autre instrument qui a joué un
rôle important pour instaurer et favoriser unité et
réconciliation a été la constitution de la Commission
nationale pour l'unité et la réconciliation (CNUR) en 1999. La
Commission a un mandat constitutionnel pour
202 Philip Gourevitch, Op. cit., p. 227.
203 Idem.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
promouvoir, coordonner et surveiller tous les projets
nationaux et régionaux destinés à favoriser l'unité
et la réconciliation.
D'autres initiatives méritent également
d'être signalées pour leur impact positif sur l'unité et la
réconciliation nationales. Il s'agit notamment de la planification
participative au niveau local, des programmes de démocratisation, de
transparence et de responsabilisation, des dispositions de la constitution
contre la discrimination, de l'élimination de la mention de l'ethnie sur
les cartes d'identité204, de l'intégration des forces
armées dans la `Rwanda Defence Force' (RDF) la Force rwandaise de
défense, des progrès enregistrés en matière de
règlement d'un grand nombre de différends fonciers et de
réinstallation ainsi que de la semaine annuelle de deuil national pour
les victimes du génocide de 1994.
Soulignons pour finir que toutes ces activités sont le
signe d'un programme fort et propre au Rwanda destiné à favoriser
la réconciliation. Toutefois, nous reconnaissons que le processus de
réconciliation au Rwanda doit encore aller plus loin. Si beaucoup de
terrain a déjà été fait, un défi
considérable reste à relever pour restaurer la confiance au sein
de la société.
SECTION II : LES EFFETS BENEFIQUES DE LA JUSTICE
TRANSITIONNELLE AU RWANDA : PROMOTION DE LA GOUVERNANCE INCLUSIVE ET REFORMES
INSTITUTIONNELLES
Paragraphe I : La promotion de la gouvernance inclusive
Le PNUD définit la gouvernance comme « l'exercice
de l'autorité politique, économique et administrative dans le
cadre de la gestion des affaires d'un pays à tous les niveaux. La
gouvernance comprend les mécanismes, les processus, les relations et les
institutions complexes au moyen desquels les citoyens et les groupes articulent
leurs intérêts, exercent leurs droits et assument leurs
obligations et auxquels ils s'adressent pour régler leurs
différends ». Par gouvernance inclusive, nous entendons
premièrement une gouvernance qui promeut d'une part l'accès de
tous les groupes, sans discrimination, aux emplois gouvernementaux, aux
institutions et aux services ainsi qu'à d'autres opportunités et
d'autre part, une gouvernance qui est essentielle à la
réconciliation nationale et à l'instauration d'une paix et d'une
stabilité durables. Le Gouvernement rwandais a insisté sur
l'importance de cette inclusion, condition indispensable pour surmonter le
passé de discrimination ethnique et de génocide ainsi que les
divisions profondes et la méfiance que celui-ci a engendrées au
sein de
204 Voir aux annexes un modèle des anciennes cartes
d'identité rwandaise.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
la société rwandaise. En effet, la gouvernance
inclusive doit tenir compte de la diversité et reconnaître que le
génocide a affecté les uns et les autres de manière
différente- survivants, auteurs, réfugiés ou
rapatriés. Eu égard aux aspects positifs de la démarche
judiciaire dans le processus de justice transitionnelle, le présent
paragraphe met en exergue quelques éléments de la gouvernance qui
ont pu promouvoir le développement, la justice et la paix.
Le Rwanda a accompli d'importants progrès dans la
promotion d'une gouvernance inclusive. L'un des éléments a
été le choix fait par le pays de rejeter toute forme
d'étiquetage, de discrimination et de représentation ethnique au
niveau politique et gouvernemental. La constitution de 2003, approuvée
par référendum, prohibe toute forme de discrimination, y compris
la discrimination ethnique (article 11), et aspire à «
l'éradication des divisions ethniques, régionales et autres
et à la promotion de l'unité nationale » (article 9).
Des signes encourageants montrent que le Rwanda a progressé vers ces
objectifs. Le gouvernement a pris des mesures positives, notamment en
démontrant son engagement vis-à-vis de la-non discrimination et
du recrutement au mérite (avec toutes des mesures particulières
destinées à offrir des opportunités aux groupes
défavorisés).
La promotion de l'inclusion reste une priorité
élevée, fondée sur des mesures dans la durée
destinées à institutionnaliser la non-discrimination et la
méritocratie, notamment en veillant à davantage de transparence
et de contrôle dans le recrutement, les achats publics et d'autres
aspects de la politique gouvernementale. En outre, d'autres mesures positives
ont été adoptées afin de permettre une plus large
représentation des groupes économiquement
défavorisés et marginalisés, notamment par des efforts
proactifs en vue de surmonter les obstacles à l'éducation
auxquels se heurtent les populations pauvres. La constitution inclut plusieurs
mesures dans ce sens, prévoyant par exemple l'attribution d'au moins
trente pour cent des postes aux femmes dans les instances de prise de
décision. La politique gouvernementale soutient également le
principe d'un appui aux franges les plus pauvres de la société,
par exemple le programme vision 2020, qui vise à apporter une assistance
aux populations les plus pauvres205. Le programme de
décentralisation étendu au Rwanda, représente le
rapprochement du gouvernement de la base et l'implication des groupes qui ont
éventuellement été exclus jusque là de la vie
politique. Cette gouvernance est inclusive, réactive et accessible.
205 Pour plus de détails concernant le programme Vision
2020, voir infra. p. 99.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
A. Les droits des femmes et les droits des enfants
Le Rwanda connaît une transformation considérable
en matière de gouvernance. Pour ce qui est des droits des femmes par
exemple, le Rwanda a fait des progrès en ce qui concerne la cause de la
femme et le pays s'est classé au troisième rang du Gender
Equity Index publié par Social Watch pour 2007,
derrière la Suède et la Finlande206. Depuis 2007,
jusqu'en 2012, le Rwanda, figure parmi les meilleurs pays dans la promotion de
la femme dans le gouvernement. Un Conseil national des femmes, organisme
constitutionnel, a été constitué pour promouvoir
l'égalité des chances. En outre, un Gender Issues Monitoring
Office (Observatoire du `Gender') est en place pour faciliter la
participation des femmes dans la vie publique et veiller à ce que les
initiatives de développement soient égalitaires et
génèrent des avantages pour les deux sexes. Un Ministère
du genre et de la promotion de la famille a été constitué
au sein du Cabinet du Premier ministre. Le Rwanda s'est engagé à
veiller à ce que les femmes jouent leur rôle plein et entier et de
manière responsable dans tous les domaines de la société.
La Constitution (Art. 9) prévoit l'attribution d'au moins trente pour
cent des postes aux femmes dans les organes de prise de décision. Du
fait de ces changements, de nombreuses femmes sont entrées dans la vie
publique en tant que leaders politiques ainsi qu'à d'autres postes de
responsabilité. Ce faisant, le Rwanda a mis en oeuvre la
Résolution 1325 du Conseil de Sécurité des Nations Unies,
adoptée en 2000. Au Rwanda, la participation des femmes aux
activités économiques est relativement également
importante, notamment dans les petites entreprises. Le Rapport Doing
Business 2009 relève que 41% des petites entreprises sont
dirigées par des femmes, proportion plus élevée que dans
les pays voisins207. En 2011, l'Assemblée nationale rwandaise
compte 53,6% de femmes, un record mondial et africain. Toutefois, en
dépit de ces avancées majeures au niveau politique, le cas de
discrimination sociétale et de violences domestiques et sexuelles contre
des femmes restent encore courants au Rwanda. De même, la loi
successorale a été réformée pour permettre aux
femmes d'hériter des biens de leurs pères et de leurs maris mais,
les femmes auraient en pratique plus de mal que les hommes à exercer ces
droits, en partie par une méconnaissance de leurs droits ainsi qu'en
raison d'inhibitions culturelles208.
206 Gender Equity Index 2007 : Progress or Regression
(indice d'équité entre les sexes), rapport de Social Watch
présenté lors de la 51ème Session de la
Commission du Statut des femmes de l'Organisation des Nations unies, en mars
2007.
207 Banque mondiale (2008), Doing Business in 2009, p.
7.
208 Country Reports on Human Rights Practices du
Département d'état des Etats Unis, Rwanda, 2007.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
Dans la même lancée, le Rwanda signataire de la
Convention aux droits de l'enfant209 insiste depuis 2003 sur la
protection de l'enfant, l'accès aux soins de santé,
l'enseignement primaire gratuit, le soutien psychosocial, le soutien aux
familles s'occupant d'enfants vulnérables et des programmes
socio-économiques pour les orphelins. Le Rwanda présente de ce
fait une stratégie d'assistance destinée à quinze
catégories d'enfants vulnérables. Il sied de souligner
qu'enrôlés par les forces et les groupes armés, les enfants
sont aussi violés, torturés et maintenus dans des conditions
relevant quasiment de l'esclavage. Dans certains cas, ils sont victimes de
violations systématiques et généralisées, telles
que le génocide, les crimes contre l'humanité et les crimes de
guerre. Le génocide a tué et blessé les enfants mais un
nombre important a subit des effets indirects des conflits (malnutrition et
maladie et effondrement général des systèmes de protection
sociale). La perturbation du développement physique, émotionnel,
moral, cognitif et social des enfants a des conséquences à long
terme pour leurs sociétés et pour eux-mêmes. Le Rwanda
s'est donc engagé a assuré la protection de l'enfance.
En ce qui concerne les enfants de la rue, le pays des milles
collines a mis en place une stratégie qui vise à favoriser leur
réinsertion par le biais de centres de rééducation, de
recherche des familles et de réunification ainsi que de familles
d'accueil. Les principales préoccupations concernent la mise en oeuvre
de cette politique dans la pratique et la nécessité d'assurer des
conditions adéquates dans les centres de rééducation. Par
ailleurs, la gouvernance inclusive mène à une politique de bonne
gouvernance qui lutte contre la corruption.
B. La Politique de bonne gouvernance : lutte contre la
corruption
Un système national d'intégrité solide se
compose de nombreux éléments qui recouvrent le secteur public et
le secteur privé. Le principe général doit consister
à renforcer le cadre institutionnel pour s'assurer que les actes de
corruption ont plus de chance d'être découverts et traités
et pour sensibiliser davantage les citoyens aux questions de corruption et de
supervision indépendante des organes publics. Avant 1994,
l'administration rwandaise avait la réputation d'être
profondément corrompue. A l'heure actuelle, tous les
éléments indiquent que le degré de corruption est bien
inférieur à celui des pays voisins et le Rwanda
209 Nous notons tout d'abord que signer une convention c'est
faire une déclaration d'intention. La ratifier, par un vote du
parlement, c'est proclamer son adhésion, sa volonté d'appliquer
le texte en mettant en conformité ses lois avec la convention. Ainsi, le
24 janvier 1991, le Rwanda a ratifié la Convention internationale des
droits de l'enfant. Le Rwanda a également ratifié la Charte
africaine des droits et du bien être de l'enfant le 11 mai 2001.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
compte parmi les pays les moins corrompus
d'Afrique210. Cette amélioration reflète la vigueur
avec laquelle le Président Kagamé a mené la lutte contre
la corruption et la fermeté avec laquelle la politique de
tolérance zéro est appliquée. Les fonctionnaires du
gouvernement jugés coupables de corruption sont renvoyés et ce
principe s'applique à tous les niveaux de la fonction publique. En 2007,
par exemple, soixante deux fonctionnaires de police ont été
renvoyés pour avoir sollicité des pots-de-vin211.
La poursuite des progrès enregistrés
dépendra du maintien de la volonté politique, de la
sensibilisation du public et du renforcement des institutions publiques qui
mènent le combat contre la corruption. Beaucoup d'institutions publiques
sont désormais plus attentives à la corruption interne, y compris
le système judiciaire, le Parlement. Toutes ces institutions sont tenues
de mettre en place un règlement intérieur afin de se
protéger contre les fautes professionnelles. Un Code de conduite du
leadership a été adopté en 2008.
La principale structure de coordination est l'Office de
l'Ombudsman, crée en 2004 pour lutter contre l'injustice et la
corruption. Les fonctions de l'Office de l'Ombudsman sont les suivantes : 1)
Recevoir, examiner et résoudre les plaintes des particuliers et des
associations privées contre les actes des agents ou des services publics
et privés. 2) Sensibiliser la population à la lutte contre la
corruption. 3) Prévenir et combattre l'injustice, la corruption et
d'autres infractions connexes dans les services publics et privés. 4)
Recevoir les déclarations de biens et patrimoine des personnes tenues de
par la loi à présenter de telles déclarations et 5) Donner
des conseils en vue d'améliorer la qualité des services rendus
à la population. A bien des égards, l'Office de l'Ombudsman
fonctionne selon le modèle d'un Office anti-corruption, excepté
que son mandat est plus large et qu'il ne dispose pas de pouvoir de poursuite
qui lui soit propre. L'Ombudsman et ses deux adjoints sont
désignés par arrêté présidentiel pour une
période de quatre ans renouvelable, sur proposition du Gouvernement et
après approbation du Sénat. Ce processus s'appuie sur la pratique
internationale habituelle de désignation et de confirmation par le
pouvoir législatif212. L'étape initiale de recherche
de candidats offre l'occasion d'accroître encore la transparence et
210 Les progrès du Rwanda sont démontrés
par une nette amélioration de l'indicateur de « lutte contre la
corruption » dans les indicateurs mondiaux de la gouvernance sur la
période 1996-2010. En 2007, parmi l'ensemble des pays, cet indice
(indice composite établi à partir de 7 sources) plaçait le
Rwanda à 58,5 sur 100 (0= moins bon score, 100= score maximal).
L'indicateur sur la lutte contre la corruption s'est
révélé le plus fort des six indicateurs inclus dans les
indicateurs mondiaux de la gouvernance. Cf.
www.govindicators.org .
211 Country Reports on Human Rights Practices du
Département d'Etat des Etats-Unis d'Amérique, Rwanda 2007.
212 Pour une étude complète des pratiques
internationales, voir, Gregory et Giddings, Righting Wrongs. The Ombudsman
in Six Continents, International Institute of Administrative Sciences, IOS
Press, 2000.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
d'augmenter la participation du public, par exemple en
annonçant publiquement la vacance de poste, en invitant les
organisations indépendantes à proposer des candidats en invitant
le public à formuler des observations sur les candidats proposés.
Cependant, il serait toutefois nécessaire de renforcer l'orientation
anti-corruption de l'Office de l'Ombudsman ; il importe d'augmenter par exemple
les moyens dont il dispose, notamment en ce qui concerne les enquêtes sur
les cas de corruption et son rôle de décentraliser les services de
l'Office afin d'accroître sa portée hors de capitale.
Le rôle de la société civile
indépendante dans la lutte anti-corruption en tant que chien de garde,
défenseur, vigie et participant à l'élaboration des
politiques doit être renforcé, notamment en appuyant le
journalisme d'investigation, en éduquant le public et en formant les
fonctionnaires à la nécessité de lutter contre la
corruption213. A l'heure actuelle, l'organisation qui s'occupe
vraiment de la lutte contre la corruption est Transparency Rwanda qui
a publié une étude sur le système national
d'intégrité du Rwanda et a présenté un certain
nombre de conclusions et de recommandations utiles214.
En définitive, le Rwanda fait preuve de bonne
gouvernance. Les niveaux de corruption du pays sont nettement plus bas que dans
les pays voisins. Il existe une volonté politique forte de poursuivre la
politique de tolérance zéro. Toutefois, bien que cette
volonté politique soit forte, il est nécessaire de renforcer le
cadre institutionnel pour garantir la poursuite des progrès de la lutte
contre la corruption. De même, la bonne gouvernance doit être
étayée par des organes de sécurité susceptibles de
protéger la population des violences émanant de forces
intérieures et extérieures et de faire appliquer les lois du
pays. Ainsi, il est essentiel de s'assurer que le secteur de la
sécurité est correctement dirigé, qu'il respecte
l'état de droit et les droits humains ne représentent pas une
menace pour la gouvernance inclusive et que des mécanismes effectifs de
supervision civile sont en place.
213 L'Office de l'Ombudsman assure déjà tous les
six mois une formation à l'intention des journalistes sur la lutte
contre la corruption.
214 Ces recommandations comprennent notamment les
éléments suivants : 1) Le cadre juridique de la corruption
devrait être renforcé par l'adoption d'une loi sur la
liberté d'information et l'introduction de codes de conduite et de
chartes du citoyen dans tous les services publics. 2) Le processus
législatifs devrait être professionnalisé afin
d'éviter les incohérences et d'assurer la clarté des lois.
3) Les activités anti-corruption devraient être coordonnées
de manière plus efficace et des sanctions imposées lorsque cela
se justifie. 4) Toutes les nominations publiques, y compris celles des
Secrétaire généraux, devraient se faire sur concours. 5)
Le Parlement devrait disposer d'un système permettant d'inscrire les
lobbyistes et signaler leurs contacts avec les lobbies et les groupes
d'intérêt et 6) L'Office de l'Ombudsman devrait être
représenté dans chaque district. Source : Rwanda : Etude du
système nationale d'intégrité, Transparency
Rwanda, Janvier 2008.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
Paragraphe II : Les réformes institutionnelles au
coeur de la réforme du système de sécurité :
garanties de non répétition
Nous rappelons que la réforme institutionnelle fait
partie du dernier pilier, le dernier instrument légal de la justice
transitionnelle après les procès, l'enquête et la
réparation. Autrement dit, les principales approches de la justice
transitionnelle comprennent les poursuites pénales engagées
contre les auteurs des violations des droits de l'homme, les efforts de la
vérité pour déterminer et reconnaître l'ampleur et
la nature des violations, les réparations accordées aux victimes
et la réforme des institutions215. La réforme
institutionnelle pour prévenir la récurrence des violations
graves constitue un élément important de la justice
transitionnelle. Ces réformes visent à prévenir les
conflits violents et les crimes contre les droits humains en éliminant
ou en transformant les conditions structurelles qui leur ont donné lieu.
Etant donné que les violations flagrantes, graves et
systématiques de droits humains sont principalement le fait des forces
de sécurité des Etats, ou de groupes armés
non-étatiques, la réforme du secteur de sécurité
(RSS) reste d'un intérêt particulier pour la présente
étude.
Le concept de "réforme du secteur de la
sécurité" (RSS), apparu vers la fin des années 1990, vise
à créer un lien direct entre développement et
sécurité. L'élément fondateur repose sur le fait
qu'il ne peut y avoir de développement économique et de
réduction de la pauvreté sans sécurité, et
inversement. Plusieurs organisations internationales, liées au
développement, ont ainsi lancé le débat, comme le PNUD en
1994, la Commission pour le Développement humain en 2003 ou encore
l'Organisation de coopération et de développement
économiques (OCDE) en 2004. Dans ce contexte, la RSS concerne surtout
les Etats en sortie de conflit ou en transition démocratique, et
constitue un élément central des réformes à mettre
en oeuvre en matière de démocratisation, bonne gouvernance,
développement économique et transformation pacifique des
sociétés. Les définitions du secteur de la
sécurité restent cependant nombreuses, en fonction des
compétences et des intérêts de l'organisation
internationale qui souhaite s'impliquer dans la réforme. Chaque
intervenant a sa propre conception - plus ou moins large - de la RSS, et les
expressions utilisées sont synonymes et interchangeables :
réforme du secteur de la sécurité, réforme du
système de la sécurité, modernisation du secteur de la
sécurité, transformation du secteur de la sécurité,
reconstruction du secteur de la sécurité, etc.
215 Louis Joinet, Question de l'impunité des auteurs
des violations des droits de l'homme civils et politiques, Rapport final
révisé, E/CN.4/Sub.2/1997/20/Rev.1, p.10.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
Les Nations Unies ont, par exemple, proposé la
définition suivante du secteur de la sécurité en 2008,
dans le rapport du Secrétaire général intitulé
« Assurer la paix et le développement : le rôle des Nations
Unies dans l'appui à la réforme du secteur de la
sécurité » :
les termes "secteur de la sécurité"
désignent, d'une manière générale, les structures,
les institutions, et le personnel chargés de la gestion, de la
prestation et de la supervision des services de sécurité dans un
pays. L'on s'accorde habituellement à inclure dans ce secteur la
défense, la police, l'administration pénitentiaire, les services
de renseignement, les organismes chargés du contrôle des
frontières, la douane et la protection civile. Y figurent aussi les
services judiciaires chargés de statuer sur les allégations
d'actes délictueux et d'abus de pouvoir. Le secteur de la
sécurité comprend aussi les acteurs qui gèrent et
supervisent l'élaboration et l'application des mesures de
sécurité, tels que les ministères, les organes
législatifs et certains groupes de la société civile. On
compte aussi, parmi les acteurs non étatiques du secteur de la
sécurité, les autorités coutumières ou informelles
et les services de sécurité privés.216
Koffi Annan estime que la RSS « s'entend d'un
processus d'analyse, d'examen et d'application, aussi bien que de suivi et
d'évaluation mené par les autorités nationales et visant
à instaurer un système efficace et responsable pour l'Etat et les
citoyens, sans discrimination et dans le plein respect des droits de l'homme et
de l'état de droit »217.
Selon les directives du Comité d'aide au
développement (CAD) de l'OCDE sur les directives concernant la RSS, il
s'agit « de la transformation du système sécuritaire,
qui inclut tous les protagonistes, leurs rôles, responsabilités et
actions, de concert pour gérer et exploiter le système dans le
droit fil des normes démocratiques et des principes solides de bonne
gouvernance »218. Ces protagonistes comprennent les forces
de sécurité nationales, les instances de direction et de
supervisions sécuritaires, les institutions de justice et d'application
des lois, ainsi que les groupes armés non étatiques, les
armées de libération, les guérilleros, les milices des
partis politiques et les organisations de sécurité
privées. Ainsi, d'après l'OCDE, « les forces de
sécurité responsables et devant rendre des comptes
réduisent les risques de conflit, assurent la sécurité des
citoyens et créent un environnement favorable au
216 ONU, Rapport A/62/659-S/2008/39 du 23 janvier 2008.
217 Idem.
218 OCDE/CAD, « Réforme du secteur sécuritaire
» (2007).
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
développement durable. L'objectif en
général de la RSS est d'établir un environnement
sécurisé qui stimule le développement
»219.
Les opérations de soutien à la réforme du
secteur de la sécurité se sont en fait multipliées depuis
le début des années 2000, lorsque la nécessité
d'appuyer la RSS dans le cadre d'une démarche plus globale (accord de
paix, transition démocratique) a été comprise. Le
Département des Affaires politiques du Secrétariat des Nations
Unies220 a ainsi aidé les parties au Guatemala et au Salvador
à intégrer, dans leurs accords de paix respectifs, des
dispositions relatives au rôle et aux responsabilités des forces
de sécurité. Il a également encouragé les parties
au Népal à prendre en compte les questions relatives au secteur
de la sécurité dans le processus de paix. Sur le plan des
opérations de maintien de la paix, l'ONU s'est impliquée dans le
domaine de la RSS en Sierra Leone dès 2002, mais également au
Timor-Leste, en Côte d'Ivoire, au Liberia, et en République
démocratique du Congo dans les années suivantes. La
nécessité d'établir un secteur de la
sécurité efficace, responsable et respectueux des droits de
l'homme tend à devenir une partie intégrante des
stratégies de sortie des opérations de maintien de la paix.
Le Rwanda a connu des réformes institutionnelles qui
ont permis à la sécurité de nettement s'améliorer
entre 2001 et 2012 c'est ainsi que la gouvernance des services de
sécurité a connu des améliorations significatives. Le
Rwanda a mis en place la réforme du secteur de la sécurité
qui incite à adopter une approche globale et coordonnée de
l'ensemble des réformes engagées dans différents secteurs
(défense, police, contrôle parlementaire et public des acteurs de
sécurité, gestion transparente des budgets alloués,
respects des droits de l'homme dans l'exercice des fonctions), ce faisant, la
réforme du système de sécurité s'est imposée
comme l'une des principales activités vouées à promouvoir
la paix et la stabilité en ce sens qu'elle vise à fournir une
sécurité humaine et publique efficace et efficiente dans un cadre
de gouvernance démocratique. Elle vise à rétablir le
contrôle légitime de l'Etat du recours à la force et
à régler les déficits sécuritaires matériels
et humains. Du point de vue de la justice, la RSS vise à renforcer
l'intégrité du système sécuritaire, promouvoir sa
légitimité
219 Idem.
220 Nous mentionnons que d'autres institutions du
système onusien, tels que le Bureau d'appui à la consolidation de
la paix, du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), le
Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme (HCDH), le Fonds de
développement des Nations Unies pour la femme (UNIFEM), l'Office des
Nations Unies contre la drogue et le crime, ou encore le Fonds des Nations
Unies pour l'Enfance (UNICEF) sont engagées dans des actions de soutien
à la RSS dans des pays aussi variés que le Kosovo (Serbie), le
Népal ou Haïti ou encore l'Ouganda.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
et habiliter les citoyens, afin de transformer un
système d'abus en un système respectueux et protecteur des droits
humains.
En somme, la réforme du secteur de
sécurité vise à améliorer la capacité des
pays à répondre à tout l'éventail des besoins de la
société nationale en matière de sécurité,
d'une manière qui soit compatible avec les normes démocratiques
et les principes de bonne gestion des affaires publiques, de transparence et de
respect de la règle du droit. En 1998, de vastes parties du pays des
milles collines étaient toujours affectées par
l'insécurité, et notamment le nord-ouest qui subissait de
fréquentes incursions transfrontalières depuis la RD Congo de la
part des interahamwe. Afin de contrer cette menace, les forces
rwandaises ont pénétré en RD Congo en août 1998 et y
sont restées durant quatre ans. Depuis 2001, la situation au Rwanda en
matière de sécurité s'est améliorée.
Plusieurs miliciens et combattants ont quitté la RD Congo pour le Rwanda
et ont fait l'objet d'un programme de désarmement, démobilisation
et réintégration (DDR) par lequel à ce jour sont
passés un peu plus de 6000 rapatriés221. Mais,
certains miliciens originaires du Rwanda se trouvent encore à l'est de
la RD Congo. De façon générale, le secteur de la
sécurité regroupe l'armée et les forces de l'ordre, ainsi
que les instances de gouvernance, législatives et de supervision. La
réforme de ces structures doit comprendre entre autres des mesures
visant à mettre fin aux abus et à la violence de la
société. Pour ce qui est des éléments constituant
la réforme du secteur de la sécurité, nous nous
intéressons aux organes de sécurité du Rwanda que sont :
la Force rwandaise de défense, la police nationale rwandaise (PNR), la
Local Defence (Défense locale) et le service national de
sécurité responsable du renseignement intérieur et
extérieur, ainsi que des questions d'immigration et d'émigration.
Mais, l'accent sera uniquement mis sur la réforme de l'armée et
de la police.
A. La réforme de l'armée
Les violations les plus massives et les plus
systématiques sont généralement commises par des
organismes et des groupes qui ont les moyens d'exercer une force
coercitive222 dont les forces armées. Il s'agit très
souvent de dissoudre les groupes armés non étatiques, dont les
221 Chiffre fourni par le Programme de démobilisation
et de réintégration du Rwanda. Au total, 6059 membres d'autres
groupes armés opérant hors du Rwanda ont été
démobilisés entre 2001 et décembre 2007. Par ailleurs, 21
706 ex- FAR (anciennes Forces armées rwandaises) sont passés par
le processus de démobilisation national entre avril 2002 et
décembre 2007. Les anciens rebelles rentrant au Rwanda suivent des cours
d'éducation civique, d'alphabétisation et de formation
professionnelle et reçoivent un paquet de retour.
222 La force coercitive prend en compte les forces
armées, les organismes chargés de l'application des lois et
autres organes de sécurité intérieure, ainsi que les
groupes armés non étatiques. Une stratégie efficace de
prévention des violations ou de leur résurgence devrait donc
viser, en priorité, ces organismes et ces groupes.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
membres doivent être démobilisés ou
intégrés dans des institutions régulières de
l'Etat. Généralement, la réforme des forces armées
est axée, en particulier, sur le désarmement, la
démobilisation et la réintégration du personnel
excédentaire dans la vie civile, la démilitarisation du secteur
chargé de l'application des lois, et la limitation du rôle des
forces armées à des fonctions de défense
extérieure. Au cours de la dernière décennie, la Force
rwandaise de défense (RDF) a subi d'importantes restructurations, y
compris une démobilisation de grande échelle et un renforcement
des capacités pour les soldats restants. Plus de 40 000 soldats de la
RDF ont été démobilisés de sorte qu'environ 20 000
hommes sont restés sous les armes223. L'un des indicateurs
clés de cette tendance est la réduction des dépenses
militaires qui sont passées du chiffre estimatif de 4,3% du PNB en 1998
à 1,6% du PNB en 2007224. L'importante réduction de la
masse salariale de la RDF a permis à l'armée d'investir dans la
formation et dans l'équipement. La RDF est largement
considérée comme l'une des forces armées les mieux
formées et les plus efficaces d'Afrique. Elle a développé
des compétences de maintien de la paix et 3000 de ses soldats ont
beaucoup servis au Soudan en 2008.
B. La réforme de la police
La police nationale rwandaise a été
créée en 2000, par la fusion des organes anciennement en charge
de la sécurité intérieure comme la gendarmerie, la police
communale et divers services de police relevant du Ministère de la
justice et du Ministère de l'intérieur. Actuellement, la police
dispose d'un effectif de plus de 6 000 personnes, dont environ 2 000
travaillant auparavant pour ces anciens organes et dont quelques 4 000 ont
été de nouvelles recrues. Seuls 8% environ des forces de police
sont des femmes. Il est prévu d'accroître encore les forces de
police et une nouvelle approche de la police communautaire est
déployée. D'après quelques sources des enquêtes, il
semblerait que la police a acquis un degré de confiance
élevé auprès du public. Sur les 1 507 personnes
interrogées dans le cadre de la World Values Survey (Enquête
mondiale sur les valeurs) au Rwanda, 85,6% ont exprimé une grande
confiance dans la police, soit le score le plus élevé parmi les
organismes publics figurant dans le questionnaire225. Cependant, il
reste encore quelques problèmes à régler au
223 Chiffre fourni par le Ministère de la défense,
12 septembre 2008.
224 Pour 1998, chiffre de l'annexe technique de la Banque
mondiale 1998 concernant un crédit de 20 millions de DTS proposé
à la République du Rwanda pour un Programme de
démobilisation et de réintégration d'urgence.
Numéro de rapport T7498-RW. Chiffre de 2007 tiré du rapport du
FMI sur les opérations du Gouvernement central du Rwanda 2005-2009
(IMF Operations of Central Government of Rwanda 2005-2006) fourni par
MINECOFIN.
225 World Values Survey, Rwanda, 2008.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
sein de la Police nationale rwandaise, dont la
nécessité de professionnaliser davantage la force,
d'améliorer les capacités en matière de reporting.
En fin de compte, la réforme des institutions a permis
l'amélioration considérable des conditions de
sécurité. Une bonne gouvernance et l'instauration et le maintien
de la sécurité renforcent la paix ce d'autant plus qu'on retrouve
au Rwanda des mesures telles que : recrutement adéquat pour les services
de sécurité, les lois appropriées et bien définies
contre les actes d'incitation à la haine et à la violence, des
mécanismes efficaces de résolution des conflits au sein de la
société et des larges série de programmes destinés
à encourager l'état de droit, la justice, la
réconciliation et l'unité. Avec toutes ces mesures, le Rwanda est
désormais un pays stable, sécurisé, un pays de croissance
soutenue et d'opportunités de développement d'où la
section qui suit.
SECTION III : UNE CONTRIBUTION SIGNIFICATIVE DE LA
JUSTICE TRANSITIONNELLE AU DEVELOPPEMENT
Paragraphe I : Le Rwanda et les Objectifs du
Millénaire pour le Développement
Le redressement et le développement
socioéconomiques sont indispensables au succès d'une paix
durable. En effet, le processus de justice transitionnelle a peu de chances de
réussir en l'absence de systèmes efficaces de gestion
économique. Les efforts de DDR risquent par exemple d'échouer si
l'on ne propose pas des modes de vie alternatifs et durables aux anciens
combattants. De même, le retour des réfugiés et des
populations déplacées sera d'autant plus aisé et durable
que les besoins de ces personnes seront pris en compte par des programmes
favorisant le redressement économique. Selon les Nations Unies, le
développement, la sécurité et les droits de l'homme sont
interdépendants. En effet, à l'occasion du
60ème anniversaire de l'ONU, devant l'Assemblée
générale, l'ancien Secrétaire général, Kofi
Annan déclare : « Nous ne jouirons pas du développement
sans sécurité, nous ne jouirons pas de la sécurité
sans développement et nous n'aurons ni l'un ni l'autre sans respect des
droits de l'homme »226. La position de l'ONU est donc
claire que le développement, la sécurité et les droits de
l'homme sont interdépendants. C'est dans cette vision qu'en plus de la
justice transitionnelle, le Rwanda a mis en place une plateforme pour trouver
des solutions aux multiples aspects de l'extrême pauvreté,
à savoir la faim, le chômage, la maladie, l'absence de logement,
les inégalités entre les sexes et la dégradation de
l'environnement. Ainsi, le
226 Voir le rapport intitulé « Dans une
liberté plus grande » (A/59/2005), à l'occasion du
60ème anniversaire des Nations Unies.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
Rwanda a adopté une approche du développement
fondée sur les droits de l'homme, qui attache une attention
particulière à l'égalité et à la
non-discrimination.
Les Objectifs du Millénaire pour le
Développement (OMD) sont des objectifs quantifiables et assortis de
délai, qui ont pour but de changer la vie de milliards d'êtres
humains. Les gouvernements des pays tant développés qu'en
développement se sont conjointement engagés à fournir les
ressources nécessaires et à mettre en oeuvre les politiques
appropriées en vue de la réalisation de ces objectifs. Les
dirigeants africains ont adopté les OMD comme un outil qui, dans le
cadre de leur programme de développement général, doit
servir à mettre un terme à la situation tragique dans laquelle
tant d'Africains sont privés de leurs droits fondamentaux que sont la
santé, le logement, l'éducation et la sécurité.
A. Des progrès accomplis en matière des
OMD au Rwanda
Le recours aux OMD pour coordonner les stratégies de
développement dans le cadre de priorités de développement
plus larges a permis au Rwanda de lutter contre l'extrême pauvreté
dont sont victimes les populations et de rendre le pays plus productifs et de
limiter les risques de conflits. Les OMD au Rwanda ont été
intégrés comme cibles dans un document de stratégie pour
la réduction de la pauvreté (DSRP) intérimaire. En outre,
le gouvernement et les groupes de la société civile, se servant
des OMD comme point de convergence, ont examiné des questions
liées au relèvement post-conflit.
De fait, le Rwanda a franchi un pas satisfaisant dans
l'accomplissement des Objectifs du Millénaire pour le
Développement (OMD). De façon générale, au Rwanda,
on retrouve une Afrique où il n'y a ni toits de chaume, ni mendiants, ni
sandales aux pieds ; un pays où l'on se promène en toute
sécurité au coeur de la nuit, où les délestages
d'électricité sont rares dans la capitale de même que les
coupures d'eau, où les rendez-vous s'honorent à l'heure,
où les journées de travail sont des journées de travail,
où les policiers n'exigent rien d'autres que vos papiers. Un pays
où le taux de croissance est de 8% avec une autosuffisance alimentaire
désormais assurée ; le Rwanda connait également un
impressionnant boom immobilier et ambitionne de devenir une ville de
progrès.
Le Rwanda s'est servi de l'OMD 1 : « Réduire
l'extrême pauvreté et la faim » pour mettre en place le
programme Vision 2020 Umurenge. En effet, conçu pour s'attaquer à
l'extrême pauvreté, Vision 2020 Umurenge est l'un des trois
programmes phare de l'Economic Development and Poverty Reduction
Strategy (EDPRS).
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
Pour ce qui est de l'OMD 2 : « Assurer à tous
l'éducation primaire », 100% des enfants sont scolarisés au
Rwanda. Le nombre des écoles primaires a été
multiplié par trois en treize ans. Chaque année, des milliers de
salles de classe sont construites et le taux de scolarité, qui
était de 74,5% en 2002, est par exemple passé à 97% en
2009. Grâce au programme « Education pour tous », qui
établit la gratuité des neuf années d'enseignement
primaire et secondaire, le nombre d'enfants intégrant le secondaire
à la fin du primaire est passé de 20 000 élèves en
2008 à plus de 38 000 en 2009. Le gouvernement mise en fait sur le
développement des capacités et des compétences pour
réaliser ses objectifs de développement économique. Ainsi,
l'éducation, la formation professionnelle et la santé sont les
trois priorités absolues, la première se voyant octroyer le plus
important de tous les postes budgétaires.
S'agissant de l'OMD 3 : « Promouvoir
l'égalité des genres et l'autonomisation des femmes »,
dès 2008, le Rwanda a élu une majorité de 56% de femmes
à la chambre basse du parlement, soit le taux de représentantes
féminines les plus élevé au monde. Le pays est en fait
champion du monde de la parité. En effet, dès le début de
la reconstruction du pays, après le génocide de 1994, la
décision a été prise de ne pas laisser
sous-exploitée le potentiel que les femmes représentaient
à tous les niveaux du pays.
Les OMD 4 : « Réduire la mortalité
infantile », 5 : « Améliorer la santé maternelle »
et 6 : « Combattre le VIH/SIDA, le paludisme et les autres maladies »
sont plus qu'un slogan au Rwanda regroupé sous le label : la
santé pour tous. En effet, entre 2003 et 2010 ont été
construits quatre hôpitaux de référence et 41
hôpitaux de district, ainsi que plus de 400 centres de santé. Le
nombre de médecins a progressé de 100%. La proportion de
personnes ayant accès aux médicaments essentiels est de 96% en
2011. La mortalité due au paludisme et à la tuberculose est
combattue et les campagnes de vaccination ou de sensibilisation ont abouti, par
exemple, à l'éradication de la poliomyélite. On y trouve
des résultats probants contre le VIH. Le pourcentage d'enfants
infectés in utero par le VIH sida est passé, entre 2006 et 2010
de 11,2% à 4,1%. Selon le Ministre de la santé, « Ce
taux doit encore diminuer jusqu'au niveau de celui des pays
développés (moins de 2%) en 2012, puis disparaître
complètement en 2013 »227. Le dépistage
touche plus de 74% des femmes en 2010. Elles ont été 63% à
accoucher en dispensaire (20% en 2005). La quasi-totalité des malades du
sida a accès aux traitements antirétroviraux. Ainsi, le
gouvernement a fait de la santé publique un facteur essentiel de
progrès. En un an par exemple, entre 2009 et 2010, le taux
d'accès de la
227 Rapport Doing Business in Africa, 2011, p. 64.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
population rwandaise à l'eau potable est passé
de 76% à 80% (moyenne Afrique subsaharienne : 60%). Il doit atteindre
100% en 2015. En mars 2010, une politique nationale de l'eau et de
l'assainissement a été adoptée par le gouvernement. La
mise à disposition de conditions sanitaires satisfaisantes, qui concerne
56% de la population, doit aussi atteindre 100% en 2015.
Avec ses importantes réussites, on comprend
aisément que le Rwanda a presque accompli ou est sur le point
d'accomplir, les huit Objectifs du Millénaire pour le
Développement228. Le point qui suit, est consacré
essentiellement à l'OMD 7 : « assurer un environnement humain
durable » en ce sens que le Rwanda fait partie des pays les plus
sensibilisés aux questions d'environnement de par le monde.
B. Développement durable : Politique nationale
de sauvegarde et de promotion de l'environnement au Rwanda
Une définition très répandue du
développement durable et de ses principes provient du rapport
Brundtland, Notre avenir à tous, publié en 1987. En
effet, le rapport de la Commission mondiale sur l'environnement et le
développement que présidait Mme Gro Harlem Brundtland, à
l'époque premier ministre de Norvège, établissait
clairement que « Le développement durable exige que les effets
nuisibles sur l'air, sur l'eau et sur les autres éléments communs
à l'humanité soient réduits au minimum, de façon
à préserver l'intégrité
du système »229. Ainsi, selon
le rapport, « Le développement durable est un
développement quirépond aux besoins du présent
sans compromettre la capacité des générations futures
à
répondre aux leurs »230. Parmi
tant d'autres, l'un des résultats de la Commission que présidait
Brundtland ait été de poser une série d'actions communes
afin de faire face à l'ensemble des problématiques liées
au développement. C'est dans ce contexte que s'est tenue en 1992 la
Conférence des Nations Unies sur l'environnement et le
développement, 20 ans après celle de Stockholm. Du sommet de la
Terre, à Rio, est sortie une déclaration commune dont les
principes devaient normalement guider chaque pays signataire vers des actions
permettant de concrétiser le développement durable. C'est
également à Rio qu'a été consacrée la
formule
228 1. Réduire l'extrême pauvreté et la
faim. 2. Assurer à tous l'éducation primaire. 3. Promouvoir
l'égalité des genres et l'autonomisation des femmes. 4.
Réduire la mortalité infantile. 5. Améliorer la
santé maternelle. 6. Combattre le VIH/SIDA, le Paludisme et les autres
maladies. 7. Assurer un environnement humain durable. 8. Construire un
partenariat mondial pour le développement.
229 Notre avenir à tous, rapport de la Commission
mondiale sur l'environnement et le développement (Commission
Brundtland), Montréal, les Editions du Fleuve, 1988, traduction
française de Our Common Future paru en 1987.
230 Idem.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
définissant le développement durable comme
simplement : un développement où chaque être humain a droit
à une vie saine et productive, en harmonie avec la nature et qui
satisfait équitablement ses besoins immédiats, tout en permettant
également aux générations futures de répondre aux
leurs.
Ensemble avec les processus de justice transitionnelle, le
gouvernement rwandais s'est préoccupé du développement de
l'ensemble de la société, d'équité sociale, de
protection de l'environnement local, régional et global, de protection
du patrimoine planétaire et de solidarité vis-à-vis des
générations futures. Autrement dit, le Rwanda a mis en place des
politiques et stratégies visant à assurer la continuité
dans le temps du développement économique et social, dans le
respect de l'environnement, et sans compromettre les ressources naturelles
indispensables à l'activité humaine. Ainsi, le Gouvernement
rwandais a mis sur pied la politique nationale de protection de sauvegarde et
de promotion de l'environnement en élaborant des stratégies, des
plans et programmes nationaux relatifs à la conservation et
l'utilisation rationnelle des ressources de l'environnement. En effet, toute
personne physique ou morale se trouvant sur le territoire rwandais a le plein
droit de vivre dans un environnement sain ; elle a aussi le devoir de
contribuer individuellement ou collectivement à la sauvegarde du
patrimoine naturel.
Au Rwanda, nul ne peut déposer les déchets dans
un endroit autre qu'un lieu d'entreposage, d'élimination ou une usine de
traitement des déchets dont les caractéristiques ont
été approuvées par les autorités. On n'utilise pas
de sacs en plastique dans les bagages lorsqu'on se rend à Kigali ; ils
sont confisqués dès l'aéroport car leur usage est interdit
au Rwanda. A l'arrivée à l'aéroport, très souvent,
les bagages sont fouillés et leurs sachets échangés contre
des sacs périssables. On doit tout transporter dans des paniers ou dans
des sacs fabriqués localement, plus écologiques. C'est une
opération communément appelée « La chasse aux sachets
» lancée par le Ministère de l'Environnement pour
dépolluer le pays. Pour le Ministère, les plastiques handicapent
la collecte et l'assainissement par le sol des eaux pluviales et des eaux
usées. Toutefois, les sacs prohibés ne sont pas les seuls
responsables de la pollution : flacons de médicaments, bouteilles en
plastiques. Au Rwanda, on ne laisse pas traîner dans la nature les
déchets, de même que brûler des ordures
ménagères, des pneumatiques ou des plastiques. Enfin,
l'environnement est protégé comme un trésor national ; il
n'y a ni décharges publiques ni trous béants dans l'asphalte. En
outre, le pays
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
possède le potentiel lui permettant d'atteindre un rythme
de croissance économique beaucoup plus soutenu.
Paragraphe II : Le Rwanda : un pays en plein essor
Grâce en partie à une justice transitionnelle
plus ou moins réussi, le Rwanda est désormais un pays stable,
sécurisé et où il est facile à vivre et le pays
tend vers un climat favorable aux investissements. En effet, le Rwanda a
été reconstruit après les événements
tragiques de 1994 et représente de nos jours un pays stable et en plein
essor. Kigali représente ce changement : une ville propre et verte, un
taux de criminalité le plus bas de toutes les capitales de la
région. Cette stabilité est due en partie à une bonne
gouvernance. Un leadership affirmé au Rwanda a en fait crée un
pays favorable aux affaires, un pays presque sans corruption et un
environnement macro-économique favorable et stable.
A. Un gouvernement engagé à faciliter les
affaires
Le Rwanda est l'un des pays- réformateurs les plus
avancés selon le classement du rapport de la Banque Mondiale «
Doing Business 2010 ». En effet, le Rwanda a haussé d'un record de
76 places selon le Rapport de la Banque Mondiale de 2009/2010 et de 12 places
encore en 2010/2011. Il est 10ème rang mondial en
matière de création d'entreprise et 2ème
économie la plus performante au Monde par train de réformes au
cours des 5 dernières années. Le Rwanda est désormais
reconnu comme l'endroit le plus favorable aux affaires en Afrique de l'Est et
6ème en Afrique selon le rapport du Forum Economique Mondial sur la
compétitivité mondiale.
En 2009, le Rwanda a adopté quatre nouvelles lois y
compris les lois en matière de commerce et d'insolvabilité ; a
effectué d'autres changements administratifs facilitant le
démarrage d'une entreprise, le recrutement des travailleurs,
l'enregistrement des propriétés, l'obtention de crédit et
la protection des investisseurs.
En 2010, le pays a focalisé ses efforts sur la
facilitation du commerce en mettant en place des postes frontalières
uniques avec les pays voisins, en réduisant le coût et la
durée d'obtention de l'autorisation de bâtir, en améliorant
l'accès au crédit et en mettant en place un nouveau bureau de
crédit privé.
S'agissant du classement moyen sur la facilitation des
affaires 2011, le Rwanda est premier en Afrique de l'Est,
4ème en Afrique sub-saharienne et 58ème au
niveau mondial.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
L'Office Rwandais de Développement (RDB) constitue la
preuve que le Rwanda est ouvert au business. RDB est une institution
gouvernementale chargé du développement économique
accéléré au Rwanda. Indépendante, influente et
construite sur une expertise mondiale, RDB est une institution publique avec
une mentalité du secteur privé. Pour mettre ensemble
l'expérience des investisseurs sous un même toit, RDB est
là pour montrer que le Rwanda est ouvert au business. De fait, le Rwanda
met en oeuvre l'OMD 8 : « Construire un partenariat pour le
développement ».
B. Le Rwanda : un partenariat pour le
développement
De façon globale, il existe cinq raisons pour investir
au Rwanda. Tout d'abord, le Rwanda a une croissance forte et soutenue. En
effet, 8.8% de croissance moyenne annuelle du PIB depuis 2005 ; une inflation
et un taux de change stables. Taux de croissance du PIB le plus haut pour les
trois années consécutives passées parmi les plus grandes
économies africaines et de la région en particulier.
Ensuite, le Rwanda, comme nous l'avons souligné plus
haut fait preuve de bonne gouvernance avec une vision claire de croissance
à travers l'investissement privé, établie par le
président Kagamé (vision 2020) et une gouvernance politiquement
stable avec des institutions performantes ; Etat de droit et tolérance
zéro à la corruption.
Par ailleurs, le Rwanda est caractérisé par un
climat d'affaires favorables aux investissements en ce sens qu'il est le
premier réformateur mondial de règlementation des affaires selon
le rapport « Doing Business 2010 et 2011 » de la Banque Mondiale.
C'est l'endroit le plus compétitif pour les Affaires en Afrique de l'Est
et sixième en Afrique (selon le Global Competitiveness Report du FEM).
Notation de crédit du pays élevé au B par Fitch. Le Rwanda
se trouve parmi les trois premiers pays africains en termes de
connectivité internet (Ookla) et constitue une destination de plus en
plus attrayante pour les IDE-500 millions de dollars en 2009, une hausse 14
fois supérieure depuis 2004.
En plus, l'accès au marché est également
un domaine contributeur au développement au Rwanda. On y trouve un
marché de plus de 10 millions de personnes avec une croissance rapide de
la classe moyenne de même qu'un pôle d'intégration rapide de
l'Afrique de l'Est : situé au coeur des trois pays limitrophes en
Afrique de l'Est, membre de l'Union Douanière et du Marché Commun
de la Communauté Est Africaine (CEA), avec un marché potentiel de
plus de 125 millions de personnes.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
Enfin, le Rwanda est caractérisé par des
opportunités d'investissements inexploitées. Des
opportunités d'investissements sont multiples, et
particulièrement dans les secteurs suivants : infrastructure :
opportunité dans le secteur ferroviaire ainsi que dans le transport
aérien afin de développer davantage le Rwanda en tant que
pôle de la CEA. Agriculture : pilier de l'économie. Le potentiel
de croissance à travers la productivité et la valeur
ajoutée. Energie : production d'électricité, production
hors réseau et opportunités importantes liées au gaz
méthane. Tourisme : des atouts uniques créant un secteur en plein
essor ; potentiel de croissance dans le tourisme d'observation des oiseaux,
d'affaires/conférences. Technologies de l'information et de
communication : secteur prioritaire pour la vision 2020, un nouveau Parc des
TIC à mettre en place. Autres secteurs attrayants comprennent :
l'immobilier et la construction, les services financiers et l'exploitation
minière. Tous les éléments suscités sont une
contribution de la justice transitionnelle au développement.
CHAPITRE QUATRIEME : LA DEMARCHE JUDICIAIRE DANS LE
PROCESSUS DE JUSTICE TRANSITIONNELLE : UNE CONTRIBUTION INSUFISANTE A LA
DYNAMIQUE DE RETOUR A LA PAIX
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
SECTION I : LES OBSTACLES QUI ENTRAVENT LA BONNE
REALISATION DE LA JUSTICE TRANSITIONNELLE AU RWANDA
Paragraphe I : Les limites des Juridictions Gacaca
De façon globale, le système Gacaca a
souffert de multiples lacunes et échecs : des violations fondamentales
du droit à un procès équitable et des limitations de la
capacité des accusés à se défendre efficacement ;
des prises de décision pouvant être biaisées (souvent
causées par les liens des juges avec les parties dans une affaire ou par
des vues préconçues de ce qui s'est passé pendant le
génocide) conduisant à des allégations d'erreurs
judiciaires ; des affaires fondées sur ce qui s'est avéré
de fausses accusations, liées, dans certains cas, au désir du
gouvernement de faire taire les critiques (journalistes, militants des droits
humains et agents de l'État) ou à des différends entre
voisins et même entre membres de famille ; l'intimidation par les juges
ou les autorités de témoins à décharge ; les
tentatives de corruption visant certains juges pour obtenir le verdict
désiré ; ainsi que d'autres graves irrégularités de
procédure. L'une des graves lacunes du processus Gacaca a
été son incapacité à assurer une justice
égale pour toutes les victimes de crimes graves commis en 1994. Entre
avril et août 1994, des militaires du Front patriotique rwandais (FPR),
qui a mis fin au génocide en juillet 1994 et a formé ensuite le
gouvernement actuel, ont tué des dizaines de milliers de personnes. Ils
ont également commis d'autres meurtres plus tard dans l'année,
après que le FPR ait obtenu le contrôle total du pays. Les
tribunaux Gacaca n'ont pas poursuivi les crimes du FPR. Initialement,
en 2001, les tribunaux Gacaca avaient compétence sur les crimes
contre l'humanité et les crimes de guerre, en plus du génocide.
Mais l'année suivante, alors que les tribunaux Gacaca
commençaient leur travail, le président Paul Kagamé a
mis en garde contre la confusion entre les crimes commis par les militaires du
FPR et le génocide et a expliqué que les crimes du FPR
étaient simplement des incidents isolés de vengeance,
malgré les preuves du contraire. Des modifications apportées aux
lois Gacaca en 2004 ont retiré aux tribunaux leur
compétence sur les crimes de guerre et une campagne nationale du
gouvernement a suivi pour s'assurer que ces crimes ne soient pas abordés
dans les Gacaca231.
231 En effet, on peut souligner que la décision du
gouvernement de retirer les crimes commis par le FPR en 1994 de la
compétence des tribunaux Gacaca - ce qui signifiait que
certaines victimes n'obtiendraient jamais justice par le biais des tribunaux
communautaires ou ne seraient même pas reconnues en tant que victimes - a
également limité le potentiel du système Gacaca
de favoriser la réconciliation à long terme.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
Dix-huit ans après le génocide, les Rwandais qui
ont souffert ou ont perdu des membres de famille aux mains du FPR sont toujours
en attente de justice.
A. Gacaca et les éléments qui
compromettent le retour à la paix
Dans les Gacaca, on y note la non-participation
effective de la population qui prive les tribunaux de certains
témoignages substantiels de la part des gens qui étaient
physiquement présent aux lieux des crimes en 1994232. Le gros
des éléments de preuve provient des aveux des accusés. Or,
au regard des conditions dramatiques de détentions dans les prisons
rwandaises, la plupart des aveux ne sont pas sincères. Les
détenus recourent à la procédure de plaidoyer de
culpabilité dans le but d'obtenir une réduction substantielle de
leur peine. On procédait souvent au recours à la coercition pour
contraindre la population à participer aux audiences, alors que cela
devrait normalement être facile. Ainsi, selon les autorités
locales des associations des victimes à Munyaga, commune Rwamagana
(province de l'Est) :
Certains survivants du génocide qui allaient
témoigner devant un tribunal Gacaca avaient été soumis
à des actes d'intimidation, de harcèlement et de violence.
Fréderic Musarira, un rescapé du génocide, aurait
été assassiné en novembre à Rukemberi, dans la
commune de Ngoma (province de l'Est). Le meurtrier serait un homme qui avait
été libéré de prison peu de temps auparavant,
après avoir reconnu sa participation au génocide. Des survivants
du génocide auraient tué au moins huit personnes en
représailles. Tout au long de l'année, des Rwandais ont
tenté d'échapper à la justice Gacaca en se
réfugiant dans les pays voisins. Certains craignaient que ces tribunaux
ne révèlent au grand jour leur rôle dans le
génocide. D'autres redoutaient d'être victimes d'accusations
mensongères233.
Dans la même lancée, l'Agence d'information Grands
Lacs Lamuka souligne que
Le système Gacaca institué en 2002 semble
manquer d'impartialité. Les accusés ne sont pas
autorisés à se défendre que ce soit dans la
procédure
232 La campagne du gouvernement contre le « divisionnisme
» et l'« idéologie génocidaire » a eu un effet
paralysant sur la capacité et la volonté des Rwandais à
s'exprimer. Particulièrement préjudiciable dans le contexte du
système Gacaca, cet effet a parfois empêché les
membres des communautés locales de s'exprimer librement sur ce qu'ils
ont vu en 1994 et leur a fait craindre des répercussions
négatives s'ils témoignaient pour la défense de personnes
accusées de génocide. Les Rwandais se sont rendu compte que toute
déclaration faite dans le cadre des juridictions Gacaca pouvait
avoir des répercussions négatives pour eux, et de nombreuses
personnes en possession d'informations pertinentes ont choisi de garder le
silence. Bien que seulement une poignée d'individus qui ont
témoigné devant les juridictions Gacaca aient ensuite
été formellement inculpés d'« idéologie
génocidaire », de « divisionnisme » ou de minimisation du
génocide bien d'autres ont été accusés de parjure
ou de complicité dans le génocide à la suite de leur
témoignage - le plus souvent lorsqu'ils ont défendu des personnes
accusées.
233 Cité par Pierre Célestin Bakunda in
« Les mécanismes de résolution de conflits au Rwanda: le cas
de `Gacaca' », Leiden, 2007, p.4.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
d'investigations précédant le procès
ou au cours de celui-ci à proprement parler. La phase initiale de
collecte d'informations est apparemment contrôlée par les
autorités locales (nyumba kumi234) alors qu'au regard de la
loi la responsabilité revient directement aux juges Gacaca. Le manque de
qualification et de formation de ces juges, tout comme la pratique de
corruption constatée dans certaines communes alimentent une
méfiance généralisée à l'égard de ce
système235.
Par ailleurs, on peut aussi noter comme limite le fait que le
système n'a pas été en mesure par exemple de constituer un
fonds d'indemnisation des victimes. Un certain nombre de rescapés du
génocide se sont également plaints que les juridictions
Gacaca n'ont accordé aucune indemnisation financière aux
victimes qui avaient perdu des proches ou qui ont été
elles-mêmes blessées ou violées : seuls les victimes dont
les biens ont été pillés ou détruits ont
reçu des dédommagements. Dans la plupart des cas, les
décisions judiciaires ordonnent aux condamnés de restituer les
biens des victimes, mais dans plusieurs cas, cette restitution est
matériellement impossible. Dans ce genre de situations, le
mécanisme des travaux d'intérêt général est
perçu comme le seul moyen de compensation à défaut d'une
autre forme de réparation possible. Toutefois, ce moyen est
controversé surtout lorsqu'il aboutit à des travaux
exécutés pour le compte de victimes236.
B. Gacaca : outil qui divise au lieu d'unir
De plus, la réconciliation entre les Hutus et les
Tutsis n'est pas vraiment très perceptible. La plupart des Hutus
perçoivent les Gacaca comme un instrument d'injustice et
d'oppression. Pour certains rwandais, la façon de fonctionner des
mécanismes judiciaires traditionnels est très critique pour leur
légitimité ainsi que leur crédibilité. En effet, si
les citoyens-juges exercent un large pouvoir discrétionnaire à la
manière d'un procureur international en opérant une distinction
nette entre le groupe des victimes et le groupe d'auteurs alors que les
suspects criminels et les victimes se comptent de part et d'autre, cela risque
de perpétuer le conflit et la violence tandis que les procédures
ont pour but d'y mettre fin. Au Rwanda, les juridictions jugent uniquement les
suspects `génocidaires'. Ceux-ci s'identifient clairement aux membres du
groupe ethnique hutu tandis que les victimes
234 Responsable de quartier dont le pouvoir se limite à 10
familles.
235 Agence d'Information Grands Lacs Lamuka, Règlement
de compte judiciaire au Rwanda, Droits de l'Homme au Rwanda, Kigali,
AGIIL, 2007.
236 Pour Lars Waldorf «such a policy could exacerbate
ethnic tensions as it could be seen as a return to the colonial-era forced
labor system under which Hutu clients worked for Tutsi patrons», «
Mass Justice for Mass Atrocity : Rethinking Local Justice as Transitional
Justice » in Temp, 2006, 79: 1, p. 59.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
s'identifient au groupe ethnique tutsi. Cette justice
sélective porte alors un coup dur à la légitimité
du mécanisme puisqu'on observe un niveau élevé de
stigmatisation ethnique hutu relativement aux crimes commis en 1994 qui fait
songer à une sorte de « collective hutu guilt ».
Pour Pierre Célestin Bakunda dans « Les
mécanismes de résolution de conflits au Rwanda : le cas de
Gacaca », « le recours à Gacaca par les
autorités rwandaises semble un subterfuge afin de juger une population
initialement acquise à la cause du gouvernement
déchu237 ». Il poursuit en soulignant que «
cette dynamique doit humilier non seulement les présumés
génocidaires mais contribue aussi à perpétuer une haine
inter-ethnique. On passe de la phase d'emprisonnements sans dossier à
charge à celle de l'aveu où l'accusé reconnaissant ses
torts à la promesse de bénéficier d'une réduction
de la peine238 ».
Pour emprunter à Pierre Célestin Bakunda, la
population n'était pas préparée à l'introduction de
la Juridiction Gacaca comme solution ultime pour juger les hommes et
les femmes incarcérés sans trace de charge. Voici comment cela a
été vécu par un citoyen rwandais souligne Bakunda :
Depuis mai 2002 nous avons entendu les autorités
rwandaises sensibiliser la population au sujet des tribunaux Gacaca. A cette
époque, puisqu'on parlait de l'éligibilité des anciens
réfugiés de 1959 rapatriés comme juges Gacaca, il
était très difficile pour le citoyen de s'imaginer quel serait le
jugement ou le témoignage de la part d'une personne qui n'était
pas au Rwanda en 1994. Le moment est venu, et les élections des juges
Gacaca ont eu lieu. La première phase de ses élections consistait
à choisir au moins une trentaine de personnes intègres
élues par la population : ces 30 personnes intègres ou plus
devaient élire parmi elles celles qui travailleront au niveau communal
(district), au niveau du secteur et au niveau de la cellule. Pour
l'élection de ces personnes intègres, l'on croyait qu'il
s'agissait d'élire vraiment des personnes intègres ; ce qui veut
dire : une personne qui défend la vérité, qui refuse toute
malhonnêteté239.
A la lumière de l'analyse de Pierre Célestin
Bakunda, ce qui est ressorti de ces élections c'est que ce ne sont pas
vraiment les personnes intègres qui y ont été élues
comme cela avait été prévu. Ces élections ont
été à plusieurs endroits supervisées par les
conseillers et
237 Pierre Célestin Bakunda, op. cit., p.7.
238 Idem.
239 Ibid.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
les responsables des cellules. Bakunda souligne que continuant
son témoignage, le citoyen déclare qu':
Il était prévu que c'étaient les
citoyens qui fourniraient les candidats, mais nous avons vu le conseiller de
secteur donner des injonctions à quelqu'un en disant : `toi tu peux
passer devant, n'estu pas intègre' ? Selon leur arrangement, le
conseiller s'adressait à la population en soulignant : `Telle personne
est intègre et nous devons l'élire'. Il est compréhensible
que personne ne pouvait risquer de contredire le conseiller. (...) Pour chaque
candidat, la population était invitée à apprécier
et à émettre des critiques afin que le candidat puisse être
qualifié d'intègre ou non. Ici le constat est que ni
l'appréciation ni les critiques n'ont été tenues en
considération, parce que seul le candidat favori des autorités
locales était applaudi malgré les critiques de la population qui
étaient ignorées.
Par ailleurs, le gouvernement n'a pas fourni aux juges
Gacaca une formation et des conseils juridiques suffisants, en
dépit de la complexité des concepts pénaux auxquels ils
allaient être confrontés. Il ne les a pas non plus payés
pour leur travail. Avec des juges élus par leurs communautés
locales, il était éminemment prévisible qu'il serait
difficile, voire impossible, pour nombre d'entre eux d'empêcher leur
propre point de vue sur le génocide, leurs relations avec les membres de
la communauté et leurs propres intérêts économiques
d'interférer avec leur prise de décisions. Un cadre juridique
plus solide et plus robuste était nécessaire pour assurer
l'impartialité des juges et pour insister sur des jugements
motivés et basés sur des faits.
Selon les propos recueillis auprès d'un chauffeur de
taxi au Rwanda, « Gacaca est un outil qui divise au lieu d'unir les
Rwandais »240. De plus, au Rwanda, les tribunaux ont
garanti l'anonymat des témoins victimes. Malheureusement, certaines
d'entre elles, ont vu leur identité dévoilée et ont subies
des menaces de mort sur eux-mêmes et leur famille, les contraignant
parfois à la fuite. Cette mise en danger affecte la dimension
thérapeutique, car elle participe à déstabiliser le
témoin et le replonge dans sa souffrance passée.
Dans cette optique, il nous est difficile de conclure que les
Juridictions Gacaca ont bien atteint leurs objectifs ; qu'elles ont
été une vraie réussite en ce sens que la manière de
faire des juridictions présente un risque pour la paix, la
réconciliation et la stabilité de la
240 Entretien avec un chauffeur de taxi, Kigali, 25
février 2012.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
société241. Le système
Gacaca peut avoir placé les Rwandais sur la voie de la
réconciliation, au moins superficiellement, en leur permettant de vivre
ensemble dans une paix relative et de se saluer les uns les autres ou
d'échanger quelques mots, mais on constate que 18 ans
après le génocide il existe encore de la
méfiance au sein des communautés entre les deux principaux
groupes ethniques. Toutefois, les Gacaca ont joué un rôle
prépondérant qu'il faut reconnaitre dans la société
rwandaise. A juste titre, à l'occasion de la cérémonie de
clôture des juridictions Gacaca, le 18 juin 2012, le
Président Kagamé a reconnu la valeur, sur le long terme, du
processus, le rétablissement de l'unité et de la confiance parmi
les rwandais et la capacité du Rwanda à trouver ses propres
réponses à des questions apparemment insolubles. En comparaison
avec le TPIR, il a rappelé que le TPIR n'a jugé que 60
procès dont le coût a été exorbitant alors que les
Gacaca ont au total jugé près de deux millions de
personnes pour un taux de condamnation de 85%242.
Paragraphe II : L'impact minimal du Tribunal Pénal
International pour le Rwanda
Bien que le TPIR constitue un outil de premier plan dans la
reconnaissance juridique internationale du génocide
perpétré contre les Tutsi, on serait toutefois tenté de
souligner que le TPIR n'a pas vraiment unifié les Rwandais. Pour le
gouvernement rwandais, le Tribunal représente une arme politique de
légitimation morale de sa position et de neutralisation de ses ennemis.
Pour certains Rwandais, le Tribunal a représenté une attente
déçue, marquée par la frustration et le scepticisme.
A. Le TPIR un tribunal isolé de la
société rwandaise
Du fait que les séances du TPIR soient
organisées à l'extérieur du Rwanda, à Arusha, en
Tanzanie voisine, beaucoup de Rwandais ont estimé que le TPIR
n'appartenait pas au Rwandais ; le Tribunal est juste une façon pour la
communauté internationale de se dédouaner de son inaction en
1994. L'institution judiciaire internationale fonctionne à distance ;
elle est très éloignée des victimes qui ne la voient pas
et de la société rwandaise affectée par les crimes
internationaux. La majorité des rwandais n'y est pas associée,
sauf en tant que témoins pour une poignée d'entre eux. A titre
d'illustration, International Crisis Group (ICG) rapporte les propos de Judith
Kanakuzen coordonnatrice nationale du Réseau des femmes:
241 Dans un de ses rapports, le Service national chargé
des juridictions Gacaca conclut qu'au nombre des obstacles se trouvent
la persistance de l'idéologie génocidaire, l'intimidation et le
terrorisme à l'encontre des rescapés du génocide et des
témoins ; voir
http://www.inkikogacaca.gov.rw/Ppt/Realisation
et perspective.ppt.
242 Voir http//
fr.igihe.com/politique/Les-juridictions-gacaca-ont
-été-clôturées.html (consulté le 24 juin
2012).
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
Au juste, quelle était la mission ? Pourquoi
ailleurs ? (...) Ici, quand les innocents sont libérés, je sens
que quelque chose est fait. Là-bas, à Arusha, je ne sais pas.
Vous voulez reconstituer l'histoire de notre pays ? Qu'ils viennent nous
raconter ce qui s'est passé et que nos enfants puissent reconstruire
leur histoire243.
Dans la même lancée, toujours selon ICG, pour
Protais Mutembe, l'un des avocats de la défense de l'évêque
Augustin Misago, un des procès phares ayant eu lieu au Rwanda, «
Cela aurait été beaucoup plus éducatif s'il
travaillait ici. La Tanzanie, c'est loin. On ne le voit pas. L'éducation
au droit s'est faite sur place. C'est une culture qui s'installe par la force
des choses mais pas à cause du TPIR »244. Toujours
à ce sujet, Gerald Gahima, procureur général du Rwanda, en
1998 a exprimé sa défiance vis-à-vis de l'idée
même d'une justice internationale : « Cela mène à
une situation où les sociétés contre lesquelles les crimes
ont été commis savent peu de choses sur le travail de ces
tribunaux et s'en soucient encore moins. Tout tribunal qui n'est pas en contact
avec les victimes des crimes qu'il juge manquera toujours de
légitimité »245. En l'an 2000, Gahima
relève l'absence de l'impact du travail du TPIR
... Même s'il est plus efficace, je n'ai pas
changé d'avis sur la justice internationale car on ne fait pas le pont
avec la société où se sont commis ces crimes. Même
si l'on fait mieux, ce seront deux ou trois procès par an pour plusieurs
millions de dollars. Le tribunal international c'est symbolique. L'impact est
minimal. Si on décidait de le fermer, il n'y aurait pas de
réaction. C'est fait pour la communauté
internationale246.
Abordant dans le même sens que Gahima, Twagiramungu,
secrétaire exécutif de la Ligue des droits de l'homme des Grands
Lacs, souligne que
Dans l'ensemble, les Rwandais attachent très peu
d'intérêt au TPIR. On se rend compte qu'il ne peut pas faire
beaucoup. Etant donné son rythme de travail, il ne peut connaître
de beaucoup d'affaires. Du côté des rescapés, comme il
n'est pas prévu de parties civiles et de dommages et
intérêts, ils n'attendent presque rien du TPIR. Pour eux, Arusha
est un endroit où l'on héberge les criminels pour qu'ils ne
viennent pas ici répondre de leurs actes247.
243 Entretien à Kigali, 4 décembre 2000 par
International Crisis Group, op. cit., p. 29.
244 Entretien à Kigali, 7 décembre 2000 par
International Crisis Group, idem.
245 Propos, recueillis le 5 février 1998 à Dakar,
confère International Crisis Group, ibid.
246 Entretien à Kigali, 5 décembre 2000, op.
cit.
247 Idem.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
L'une des personnes avec lesquelles nous nous sommes
entretenues au sujet du TPIR, nous a souligné : « Quand un haut
responsable est arrêté, au tribunal international d'Arusha, il n'y
a pas de peine de mort. Ce sont les petites gens qui sont
exécutées »248.
De toutes ces allégations, nous pouvons souligner que
les résultats du Tribunal seraient ainsi loin d'être parfaits en
ce sens que le TPIR n'a virtuellement aucun contact avec les Rwandais
ordinaires. Toutefois, le TPIR a fourni des efforts considérables pour
remédier à cela à travers notamment la mise en place en
2000 du Centre d'informations et de documentation du TPIR à Kigali,
centre que nous avions visité et qui nous a permis de consulter
plusieurs ouvrages relatifs à cette étude249, de
même qu'une branche du TPIR à Kigali a servi à rapprocher
les Rwandais du TPIR d'Arusha. Le Centre d'information et de documentation au
centre de la capitale rwandaise offre désormais une réponse au
problème de la visibilité et de l'impact du TPIR au Rwanda.
Grâce au Centre, le travail du TPIR et ses résultats sont
communiqués à la population rwandaise. Par ailleurs, à
l'aune de la fermeture du TPIR, quelques procès, sont
transférés et jugés au Rwanda250.
B. Le TPIR et l'oubli des victimes
Au Rwanda, depuis la création du Tribunal, la
frustration des victimes est massive et participe de façon cruciale au
sentiment selon lequel le TPIR ne leur appartient pas, n'est fait ni par elles
ni pour elles. De nos jours, la question n'a toujours pas connu
d'évolution notable. Le 26 septembre 2000, l'ancien greffier du TPIR
Agwu Okali lançait officiellement au Rwanda un « programme
d'assistance aux témoins et témoins potentiels ». Il
comprend plusieurs volets : l'assistance médicale psychologique ; la
sécurité physique des personnes et
248 Notre entretien mené auprès d'un ancien
prisonnier, Kigali, le 23 février 2012.
249 Voir la photo aux annexes.
250 Nous faisons recours au procès du premier
accusé transféré par le TPIR. En effet, pour la
première fois, un accusé, Jean Uwinkindi transféré
par le TPIR, a comparu jeudi 26 avril 2012 devant un tribunal au Rwanda qui
doit le juger pour génocide et crime contre l'humanité.
Après en fait une série de réformes judiciaires, le TPIR
accepte de transférer les dossiers vers le Rwanda. Deux autres dossiers
ont été également déjà renvoyés
à Kigali : ceux d'un ex-inspecteur de police judiciaire, Fulgence
Kayishema, et d'un ancien maire Charles Sikubwabo, tous les deux en fuite. Le
Rwanda a adressé des demandes de renvoi à plusieurs pays
occidentaux, parmi lesquels la France, la Grande Bretagne, les Pays-Bas, les
Etats-Unis et le Canada. Ce dernier a expulsé en janvier Léon
Mugusera, inculpé depuis pour planification du génocide,
incitation à participer au génocide et distribution d'armes. Les
Etats-Unis ont eux aussi procédé à l'extradition de deux
personnes, tandis que, fin mars, la justice française a, pour la
première fois rendu un avis favorable à l'extradition de Claude
Muhayimana, soupçonné d'avoir pris part au génocide. Le
transfert de dossiers vers les juridictions nationales fait partie de la
stratégie de fin de mandat du TPIR dont les procès de
première instance doivent prendre fin en juillet 2012. De plus,
l'arrivée (mardi 3 juillet 2012) d'une mission officielle de la justice
française concernant les poursuites contre les Rwandais vivant en France
et suspectés d'être impliqués dans le génocide de
1994, a été saluée vendredi 6 juillet par la justice
rwandaise. En clair, une quinzaine de Rwandais, installés en France en
1994, sont visés par des enquêtes de la justice française
ou inculpés par leur participation présumée au
génocide, aucun n'a encore été jugé.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
des biens ; le conseil psychologique ; la
sécurité physique des personnes et des biens ; le conseil
juridique ; l'assistance financière après procès, la
réinstallation et le relogement. Dans une note du 22 juin 1998, Agwu
Okali soulignait qu' :
Il s'agissait d'une assistance spécifiquement
orientée, par différents moyens, afin de permettre au groupe
ciblé- les victimes et les rescapés, notamment les veuves et les
orphelins- de participer de façon plus effective au travail du TPIR
d'enquêter, de poursuivre et de juger les auteurs présumés
du génocide. Ce n'est pas un programme d'aide économique et
sociale généralisée pour le peuple du Rwanda et ce n'est
pas non plus un programme d'indemnisation251.
Ce programme est présenté comme une
manifestation de la nécessité de développer une justice
réparatrice, parallèlement à la fonction de
rétribution que représentent les procès. Mais il a fait
l'objet d'une ancienne et grave controverse. Trois années ont
été nécessaires pour que ce programme voie le jour ; cette
initiative a soulevé et continue d'ailleurs de soulever de lourdes
craintes. Ces préoccupations sont diverses. Il s'agit du risque de
subordination de témoins, de l'impression donnée que le programme
ne bénéficie qu'aux témoins de la poursuite, de la
dilution de la confidentialité sur l'identité des témoins
protégés et, au-delà, d'un éclatement un peu plus
prononcé encore de la responsabilité concernant la protection des
témoins. Brièvement, le grief contre ce programme est
particulièrement sérieux puisque, en apportant une réponse
qui n'est pas judiciaire, l'administration onusienne serait sortie du mandat du
Tribunal, provoquant une dérive dangereuse de l'institution. «
Il n'y a aucun mal pour un tel organe à être associé ou
à fournir de l'aide à un tiers, comme une organisation non
gouvernementale, dans l'assistance à ses victimes, surtout lorsque ces
activités sont menées par l'intermédiaire d'un organe
neutre comme le Greffe », s'était défendu Agwu
Okali252. Le gouvernement rwandais avait approuvé clairement
cette initiative du greffe du Tribunal. Ce programme a aussi reçu le
soutien de plusieurs organisations internationales de défense des droits
des femmes.
Cependant, plusieurs critiques ont été faites :
J'ai été surpris qu'il soit ouvert aux
collectifs des femmes plutôt qu'au collectif des victimes du
génocide... Il y a risque de confusion. Il faut différencier
l'assistance et la réparation. L'assistance est un acte volontaire et
louable. La réparation, c'est autre chose : on donne un dû. Ce que
nous
251 En effet, le budget total de ce programme s'élevait
à 300 000 dollars tirés du Fonds de contribution (Trust Fund) du
TPIR et le restant d'autres donateurs.
252 Réponse du greffier aux avocats de Jean-Paul Akayesu,
le 5 octobre 2000.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
attendions du tribunal ce n'était pas une assistance.
Il devrait davantage nous aider à recouvrir nos créances en nous
associant aux jugements253.
Telle est la réaction d'Anastase Nabahire, membre de
l'association Ibuka, nous avions eu le privilège de la
rencontrer. Pour certains, ce programme ne répond en fait pas à
la question de fond des victimes. Si tout les rwandais militent pour que le
droit des victimes ne soit plus ignoré, le problème est de mieux
y répondre. Donc, le Tribunal devrait étudier concrètement
et sérieusement les choix en matière d'aide aux victimes.
C. Le TPIR : manque de crédibilité
Le TPIR pourrait à jamais perdre sa
crédibilité s'il ne met pas en accusation et ne juge pas les
officiers du FPR soupçonnés d'avoir commis des crimes de guerre
au Rwanda en 1994. En effet, selon Kenneth Roth, le directeur exécutif
de Human Rights Watch,
Le fait que le procureur ne se soit pas engagé
à poursuivre des officiers supérieurs du FPR a entamé sa
crédibilité et celle du TPIR. Il ne lui reste que peu de temps
pour remplir son mandat et pour défendre l'héritage du tribunal
en tant que champion de la justice et du devoir de rendre des comptes pour
toutes les victimes du Rwanda.
Ainsi, dans une lettre publique, Human Rights Watch fait
remarquer que le Tribunal a traduit en justice des personnalités de
premier plan impliquées dans le génocide mais qu'il n'a pas
engagé de poursuites contre des officiers du FPR, le groupe rebelle qui
a mis fin au génocide et qui est devenu depuis le parti au pouvoir au
Rwanda. Selon Human Rights Watch, le FPR est soupçonné du
massacre de 25 000 à 45 000 civils au cours de trois mois en 1994 et ces
meurtres n'ont jamais été traités. Ainsi, « les
criminels de guerre et autres criminels contre l'humanité d'origine
ethnique tutsi restent impunis ce d'autant plus que le TPIR n'a,
jusqu'aujourd'hui, poursuivi aucun Tutsi malgré l'existence
d'éléments de preuve qui auraient fondé ce genre de
poursuites »254. En réalité, bien que le
tribunal ait enquêté sur les crimes du FPR depuis plus de 10 ans
et qu'il ait rassemblé des déclarations de témoins et des
preuves matérielles, Hassan Jallow, procureur général du
TPIR a cependant déclaré au Conseil de sécurité de
l'ONU le 4 juin 2009, dans un rapport sur l'avancement des travaux du Tribunal,
qu'il n'avait « pas de mise en accusation qui soit prête
relativement à ces
253 Entretien à Kigali, 25 février 2012.
254 Rapport sur la situation des droits de l'homme au Rwanda
soumis par M. René Degni-Ségui, Rapporteur spécial de la
Commission des droits de l'homme, en application du paragraphe 20 de la
résolution S-3/1 du 25 mai 1994, Doc. NU E/CN.4/1996/68, 29 janvier 1996
; Tumba Tutu-De-Mukose, « Génocide rwandais : pourquoi Carla Del
Ponte été jetée du TPIR par l'ONU ? », Afrique
Education, Bimensuel International Indépendant, n° 195-196 du
1er au 30 janvier 2006 ; voir en ligne : Bimensuel International
Independant
http://www.afriqueeducation.com/archive/sommaire/article.php?id=298&version=195-196
.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
allégations ». Human Rights Watch a pour
sa part insisté à plusieurs reprises auprès de Jallow pour
qu'il définisse ses projets de poursuites judiciaires
consécutives aux crimes commis par le FPR avant que le mandat du
tribunal n'expire. Dans une lettre répondant aux
précédentes demandes de Human Rights Wacth, le procureur a
soutenu que son bureau ne disposait pas de preuves suffisantes pour entamer des
poursuites contre des officiers du FPR. Le procureur a défendu sa
décision de juin 2008 de transférer au Rwanda une affaire
concernant le FPR pour qu'elle y soit jugée. Il a
réitéré sa position selon laquelle la tentative du Rwanda
pour exiger des comptes aux officiers du FPR lors du procès qui s'est
déroulé devant un tribunal rwandais- connu sous le nom d'affaire
Kabgayi- avait respecté les normes internationales de procès
équitable. Les observateurs de Human Rights Watch lors du procès
ont conclu que la procédure judiciaire équivalait à un
blanchiment politique et un simulacre de justice. En fin de compte, si l'on
s'en tient aux allégations de Human Rights Watch, les victimes hutues de
la tragédie rwandaise n'ont vraiment pas encore eu de justice ni devant
l'instance internationale ni devant les instances locales.
On pourrait également citer l'aspect financier, le
coût de la justice internationale qui est de longue date une source
inextinguible d'incompréhension ou d'amertume de la part des Rwandais
qui ne manquent pas de soulever la question en termes de « rendement
». Depuis 1994, le TPIR avait acquis, à bien des égards, les
moyens de son existence. Avec plus de 800 employés et des budgets
annuels qui dépassent, il s'est pourtant développé en une
institution conséquente sur le plan matériel et humain, capable,
théoriquement, de mener à bien sa tâche. Depuis sa
création jusqu'en 2000, le TPIR avait par exemple englouti plus de 270
millions de dollars. De nos jours, le budget du Tribunal s'élève
à plus de 700 millions de dollars. L'on est tenté de souligner
que le TPIR consomme plus qu'il ne produit, si l'on tient compte du nombre de
détenus jugés en comparaison avec les moyens. Souvent, à
peine huit détenus jugés en cinq ans. C'est vue comme une sorte
de gaspillage et cela pourrait s'apparenter comme une « industrie de la
tragédie ».
Paragraphe III : L'effacement des preuves du
génocide de 1994
Dix-huit ans viennent de passer après le
génocide perpétré contre les tutsi. Malgré l'action
de mémoire des tutsi tués pendant ce temps, il est toujours
difficile de savoir comment et dans quels endroits, au niveau des collines, ces
innocents ont été tués, pour les rescapés qui
veulent savoir comment les leurs ont été tués, et les
responsables de tels actes. Plusieurs pratiques illustrent cependant
l'effacement des traces du génocide qui entravent le processus de
justice
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
transitionnelle et un retour à la paix. D'après
nos différentes lectures par exemple, la façon fréquente
d'effacement des traces du génocide se remarque dans la fuite des
informations recueillies au cours de la période de collectes
d'informations au niveau des cellules, de telle sorte que les informations
qu'on donne après, au cours des procès, sont loin de celles dont
ont disposait avant. Ceci a d'ailleurs eu des conséquences
négatives.
A. Les responsables des massacres, les lieux ou les
Tutsi ont été tués et le patrimoine pillé
Il est difficile de connaitre les responsables des massacres
parce que leur objectif est de continuer d'effacer les traces. Un rwandais nous
affirme que « la responsabilité de chacun ne peut être
connue. Si X est accusée par exemple d'avoir tué quelqu'un, et
que dans le cadre des processus Gacaca c'est sa soeur ou un membre de famille
qui est élue comme personne intègre des Juridictions Gacaca, le
témoignage précédent sera confisqué...
»255.
De plus, à l'heure actuelle, certains rescapés
du génocide ne savent toujours pas les lieux où les corps des
leurs ont été jetés. Avant le génocide, les
relations entre les hutu et les tutsi étaient bonnes, mais après
le génocide, il est difficile qu'un voisin dise la vérité
sur ce qu'il a vécu et sa responsabilité. Le constat c'est que de
façon générale, personne ne veut révéler
l'endroit où les gens ont été jetés, à moins
qu'il y ait d'autres efforts pour servir de base dans la recherche des
données.
S'agissant du patrimoine pillé, pour le moment, il est
encore très difficile d'identifier le patrimoine pillé pendant le
génocide. Les rescapés du génocide ne cessent de demander
au Gouvernement du Rwanda d'aider dans le remboursement de leurs biens
pillés, et les rescapés ont souvent un problème à
localiser leurs biens si ce n'est avec l'assistance des responsables des
massacres. Concernant l'effacement des preuves sur le patrimoine pillé,
ceux qui ont plaidé coupables acceptent leur participation aux attaques
et précisent souvent leur compagnie mais refusent de parler du
patrimoine pillé. On remarque ainsi une différence dans
l'effacement des traces du génocide. Certains disent qu'ils ont
pillé peu de choses et de moindre importance. Ce fait, entrave tout
simplement le processus de réparation de la justice transitionnelle.
255 Entretien mené auprès d'un Rwandais, Kigali, 24
février 2012.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
B. Les violences sexuelles, la collaboration des
prisonniers et la corruption
Les femmes violées éprouvent toujours des
difficultés pour expliquer ce qui leur est arrivée : le stigma,
la discrimination et le mal traitement de leurs conjoints constituent quelques
obstacles quand elles expliquent la situation qu'elles ont vécue. L'une
des victimes du viol que nous avions rencontré à Kigali
témoigne : « Il est extrêmement difficile de savoir
comment telle ou telle a été violée. Ce crime n'est
passible d'aucune amende et on ne trouve pas d'intérêt à
accuser quelqu'un qui vous a `connue'. On rigole sur vous et des fois c'est
déshonorant devant ceux qui auraient besoin de toi, tes connaissances et
tous les participants »256.
Suite à nos entretiens menés avec l'ONG
Ibuka257, la principale organisation des rescapés du
génocide, il nous a été révélé que
les suspects génocidaires détenus dans différentes prisons
collaborent étroitement entre eux dans l'effacement des traces du
génocide. L'un des moyens utilisés par ces prisonniers dans
l'effacement des traces du génocide c'est qu'ils encouragent «
les membres de leurs familles à participer activement aux
Juridictions Gacaca, avec l'objectif de donner les témoignages à
décharge et de dominés les rescapés » ; un autre
moyen se manifeste « à travers un accord à se faire
mutuellement des témoins à décharge, certains acceptent la
responsabilité des autres, ou encore jeter la faute à ceux qui
sont morts ou fui pour ainsi rester comme des innocents
»258.
La corruption est aussi un moyen utilisé dans
l'effacement du génocide. Même s'il est difficile de connaitre le
corrupteur et les conditions y relatives, suite à notre passage sur le
terrain, il ne nous est pas interdit de souligner que la corruption se
manifeste du côté des responsables du génocide et celui des
rescapés du génocide. Même si le Gouvernement du Rwanda ne
cesse de lutter contre la corruption, cette dernière compte parmi les
moyens importants dans l'effacement des traces du génocide contre les
tutsi. Selon le recueillement des informations sur le terrain, la corruption
est associée à la pauvreté. Par exemple, une femme avait
raconté comment son oncle a été tué. Par la suite,
lorsqu'on a voulu mettre l'affaire devant les Juridictions Gacaca, les
Inyangamugayo de Gacaca (les juges) avaient
256 Entretien à Kigali, 22 février 2012.
257 Ibuka, qui signifie « souviens-toi » en
kinyarwanda, a été créé fin 1994 pour traiter les
questions de « justice, mémoire, problèmes sociaux et
économiques rencontrés par les rescapés».
Ibuka est une organisation qui recouvre des associations de
rescapés du génocide au Rwanda et agit souvent comme le principal
porte-parole des rescapés du génocide dans le pays. Elle a
souvent joué un rôle fortement politisé. L'organisation a
des antennes dans plusieurs autres pays où résident des
rescapés du génocide, notamment la Belgique et la France.
258 Notre entretien avec un membre de Ibuka, Nyanza, le
25 février 2012.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
exigé de préciser l'auteur de l'information.
Elle n'avait plus voulu témoigner car, ayant été
corrompue, elle était obligée de changer d'avis et de devenir un
témoin à décharge en plaidant pour leur innocence, nous
révèle Macika259.
En fin de compte, pour un impact positif de la justice
transitionnelle, nous suggérons la dénonciation constante de ceux
qui veulent effacer les traces de génocide ; c'est le seul moyen
d'accéder à l'unité solide en tant que rwandais.
SECTION II : LE NEGATIONNISME ET LA THEORIE DU DOUBLE
GENOCIDE
Paragraphe I : La dissimulation, le détournement ou
la destruction d'informations corroborant l'existence du génocide
De prime abord, au sens de la Convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide
à l'article 2 que l'on retrouve à l'article 6 du Statut de Rome,
le crime de génocide se définit « comme l'un quelconque
des actes ci-après commis dans l'intention de détruire, en tout
ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel
». Cette définition est suivie d'une série d'actes qui
représentent de graves violations du droit à la vie et à
l'intégrité physique ou mentale des membres du groupe.
La Convention prévoit également que sont
punissables non seulement l'exécution en tant que telle, mais aussi
l'entente en vue de commettre le génocide, l'incitation directe et
publique, la tentative et la complicité. C'est l'intention
spécifique de détruire un groupe mentionné en tout ou en
partie qui distingue le crime de génocide du crime contre
l'humanité. Le négationnisme du génocide commis en 1994
à l'égard des Tutsi au Rwanda désigne sa négation,
sa contestation ou sa minimisation.
A. Le négationnisme et le crime de
génocide
Le négationnisme a pour but de transformer le
génocide de 1994 à l'égard des Tutsi au Rwanda en un
massacre interethnique pour disculper le gouvernement intérimaire
rwandais de 1994 dont les membres sont poursuivis par le TPIR. Elle a aussi
pour objectif de disculper les autorités occidentales accusées de
l'avoir soutenu passivement ou activement260. Ce
négationnisme est par conséquent exprimé par le pluriel :
les génocides au Rwanda. Philip
259 Notre entretien avec Macika, une habitante de la ville de
Nyanza, le 25 février 2012.
260 En effet, pour Marie Fierens, les acteurs du
génocide sont au nombre de sept notamment : « les
génocidaires, la communauté internationale, les medias (au Rwanda
et à l'étranger), l'Eglise, les intellectuels, les sympathisants
et la diaspora rwandaise », p. 194.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
Gourevitch souligne que selon les diplomates français et
les vieux routiers de l'Afrique qui adoptaient la position officielle du
gouvernement du génocide rwandais :
Loin d'être le fruit d'une décision
politique, les massacres de Tutsi traduisaient la colère du peuple
après l'assassinat d'Habyarimana ; la `population' s'était
soulevé comme un seul homme pour se défendre ; le gouvernement et
l'armée ne voulaient que rétablir l'ordre ; les tueries
étaient un prolongement de la guerre contre le FPR ; le FPR avait
déclenché le conflit et était le principal coupable- en
bref, les Rwandais ne faisaient que s'entre-tuer comme ils en avaient
l'habitude, pour des raison tribales primordiales, depuis la nuit des
temps261
La constitution de la République du Rwanda interdit
désormais les actes de négationnisme, d'idéologie de
génocide et de divisionnisme. Le négationnisme est interdit
et sanctionné par la loi N°33 Bis du 6/9/2003 réprimant
le crime de génocide, les crimes contre l'humanité et les
crimes de guerre. Son article 4 édicte que sera poursuivie toute
personne qui « aura publiquement manifesté, dans ses
paroles, écrits, images ou de quelque manière que ce soit,
qu'il a nié le génocide survenu, l'a minimisé
grossièrement, cherche à le justifier ou à approuver
son fondement ou celui qui en aura dissimulé ou détruit les
preuves ». Les peines prévues vont d'un «
emprisonnement de dix à vingt ans et les associations ou les
partis politiques qui seront reconnus coupables de cette infraction sont
passibles de la dissolution ». En conformité donc avec la
Constitution, le législateur rwandais a adopté des textes
qui érigent ces actes en infractions punissables. Une partie de
l'opinion rwandaise et étrangère, composée d'opposants
politiques et de quelques ONG, critique sévèrement ces textes, en
les accusant d'être des instruments répressifs qui seraient
conçus pour limiter la liberté d'opinion et d'expression des
journalistes critiques et des opposants au régime rwandais. Ainsi,
selon par exemple Human Rights Watch, « le FPR a intensifié
la répression des opposants politiques et de la société
civile indépendante, en invoquant la nécessité de
combattre le négationnisme et le divisionnisme ethnique et plus
récemment, `l'idéologie génocidaire
»'262. Pour Madame X que nous avions rencontré,
« Le Gouvernement rwandais se sert de la loi sur le divisionnisme
et le négationnisme pour manipuler les questions d'ethnicité
à des fins politiques, afin de taxer les politiciens hutus comme
tutsis ne faisant pas partie du FPR de divisionnisme
»263. Reporters Sans Frontières exige à la
justice rwandaise « de cesser de
261 Philip Gourevitch, op. cit., p. 215.
262 Human Rights Watch, « La Loi et la
réalité. Les progrès de la réforme judiciaire au
Rwanda », juillet, 2008.
263 Entretien avec Madame X, travaillant pour le TPIR, Kigali, 22
février 2012.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
s'appuyer sur des lois comme celle de l'idéologie du
génocide afin de réprimer la libre expression des
opinions264 ».
B. Le génocide commis en 1994 à
l'égard des Tutsi au Rwanda : un fait incontestable
Plusieurs décisions judiciaires tant sur le plan
national qu'international, basées sur des preuves ne laissant subsister
aucun doute raisonnable ont montré qu'un génocide a
été préparé et exécuté par l'Etat
rwandais à l'encontre des Tutsi. Par ailleurs, des rapports de
l'Organisation des Nations Unies ont confirmé qu'un génocide a
été commis en 1994 à l'égard des Tutsi au
Rwanda265.
Au moment du génocide, les Tutsi au Rwanda
constituaient un groupe ethnique au sens de la Convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide. Les
massacres commis durant le génocide visaient les Tutsi comme tel. La
nature systématique, méthodologique et
préméditée des massacres commis à l'égard
des Tutsi a été également prouvée devant le TPIR.
Conformément à la jurisprudence des Tribunaux internationaux et
nationaux, l'intention de détruire le groupe Tutsi a été
confirmée.
Paragraphe II : La théorie du double
génocide
La théorie du double génocide n'est rien d'autre
qu'une façon de nier le génocide commis en 1994 à
l'égard des Tutsi au Rwanda. Ainsi, le négationnisme se structure
autour de quelques affirmations266 qui permettent de dissimuler
l'intention criminelle- constitutive du crime de génocide- sans nier la
réalité des massacres et de soutenir la thèse du double
génocide. En effet, avant même que la France ait commencé
à parler d'une expédition humanitaire au Rwanda, à la
mi-mai, le FPR contrôlait l'est du Rwanda et ses forces avançaient
inexorablement vers l'ouest dans un large mouvement de tenailles au nord et au
sud de Kigali. Le monde entier découvrait ainsi toute l'ampleur de
l'extermination des Tutsi dans les régions libérées. Le
gouvernement rwandais et la RTLM prétendaient que les troupes
264 Communiqué de Reporters Sans Frontières du 06
Janvier 2011.
265 Degni- Segui, 1er rapport du 28 juin 1994, ONU
A/49/508.S/1994/1157. Commission des Droits de l'Homme de l'ONU.
E/CN.4/1995/7.
266 Selon Marie Fierens, auteure du livre Le
négationnisme du génocide des Tutsi au Rwanda, paru en 2009
aux éditions Golias, les arguments du négationnisme sont au
nombre de dix. Il s'agit des arguments parlant de la « colère
spontanée, de la guerre civile, de l'autodéfense, des haines
ethniques ancestrales, du double génocide, les massacres
perpétrés par le FPR, des massacres de 1996 dans les forêts
de Kivu, des tueries commises par les génocidaires à l'encontre
des opposants Hutu, de l'accusation en miroir, de la réconciliation et
du devoir de l'oubli ». (p. 194-195).
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
du FPR tuaient tous les Hutu qu'elles trouvaient vivants. Les
porte-parole de l'armée française parlaient de `génocide
à double sens' en qualifiant le FPR de Khmers noirs mais, selon nos
différentes lectures, la presse internationale avait dans l'ensemble
l'impression d'une armée rebelle étonnement disciplinée et
correcte, déterminée à rétablir l'ordre. Et pour
les Tutsi et les Hutu à la conscience tranquille, le meilleur espoir de
salut était de rejoindre la zone du FPR, ou d'être rejoints par
celle-ci.
A. Une manipulation savamment entretenue
La confusion autour du génocide commis en 1994 à
l'égard des Tutsi au Rwanda n'est pas née du hasard. L'opinion
publique a été manipulée d'abord par les auteurs du
génocide, par certains milieux étrangers et les organisations
internationales267. Dire qu'il y a deux génocides signifie
que les Tutsi sont coupables au même titre que leurs bourreaux. Cette
confusion a été largement propagée.
Cette attitude confirme ce que certaines recherches sur le
génocide ont montré. En effet, selon plusieurs études, la
négation du génocide lui est consubstantielle268. Elle
fait partie du génocide par le fait qu'elle assassine sa mémoire,
oblitère ses preuves269. La négation du
génocide est la dernière étape du processus
génocidaire270.
Les négationnistes se comportent donc comme ceux qui
ont commis matériellement le génocide du fait qu'ils rendent
présentes les blessures occasionnées par le génocide. La
perversion du négationnisme consiste à créer une confusion
entre le rôle des victimes et celui des bourreaux271. La
démarche négationniste a ceci de particulier qu'elle use une
méthodologie partiale, opérant la sélection, la
dissimulation, le détournement ou la destruction d'informations
corroborant l'existence du génocide commis à l'égard des
Tutsi.
267 Rapport du Projet Mapping concernant les violations les
plus graves des droits de l'homme et du droit international humanitaire
commises entre mars 1993 et juin 2003 sur le territoire de la République
Démocratique du Congo, publié le 1er octobre 2010.
Faisant silence sur la responsabilité pendant et après le
génocide commis à l'égard des Tutsi, l'ONU accuse les
forces de l'AFDL/APR, et en particulier l'armée rwandaise, d'avoir
procédé au « massacre systématique des Hutu qui
restaient au Zaïre » à partir de 1996, donc d'avoir commis un
génocide. (Rapport Mapping, p. 287).
268 Denis Salas, « Le Droit peut-il contribuer au travail de
Mémoire ? » In La Lutte contre le négationniste. Bilan
et perspectives de la loi du 13 Juillet 1990 tendant à réprimer
tout acte raciste, antisémite ou xénophobe, Paris, La
Documentation française, 2003.
269 Vidal- Naquet, Les Assassins de la mémoire,
Paris, La Découverte, 2005.
270 Ibid.
271 Marc Nichanian, La perversion historiographique. Une
réflexion arménienne, Lignes, 2006.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
B. Occulter le génocide commis à
l'égard des Tutsi
Il sied de rappeler que c'est l'offensive militaire de
l'armée rwandaise qui a permis de rapatrier la majorité des
réfugiés hutu retenus en otage par les forces génocidaires
qui contrôlaient ces camps, sous le haut patronage du Haut commissariat
aux refugiés de l'ONU (HCR). Les génocidaires avaient usé
et abusé de la tactique des boucliers humains. De fait, en 1994, des
civils n'ayant pas participé au génocide ont été
emmenés en otage au Zaïre. Le fait que des présumés
génocidaires aient été jugés, et pour certains
libérés démontre l'inanité de l'accusation de
génocide commis à l'égard des Hutu.
La théorie du double génocide tend à
assimiler le génocide commis à l'égard des Tutsi en 1994
avec des prétendus crimes qui auraient été
perpétrés à l'égard des Hutu. Ces prétendus
crimes restent largement à caractériser et dans l'état
actuel des connaissances, rien ne permet en rien d'affirmer qu'ils ont
été commis et relèvent d'un plan similaire à celui
qui a conduit à l'extermination de près d'un million de Tutsi.
Selon les tenants de la théorie du double
génocide, les Hutus auraient tués les Tutsi et les Tutsi, les
Hutu. Ceci relève d'une construction négationniste qui vise
à justifier les propos des auteurs du génocide commis à
l'égard des Tutsi au Rwanda qui faisaient croire par leur propagande que
ces derniers voulaient commettre le génocide contre les Hutu, c'est
pourquoi il fallait « tuer pour ne pas être tué ». La
théorie du double génocide vise donc à justifier les
auteurs du génocide et ceux qui les soutiennent.
L'ONU qui disposait d'une mission de casques bleus au Rwanda,
la MINUAR était plus ou moins informée de la préparation
du génocide à l'égard des Tutsi du Rwanda et n'a pu
réagir pour stopper cela. Seule l'APR s'est opposée aux
génocidaires et a mis un terme au génocide en les mettant en
déroute. L'APR pourrait-on dire est la seule organisation à avoir
respecté la Convention de l'ONU sur la prévention et la
répression du crime de génocide.
En somme, le génocide commis à l'égard
des Tutsi au Rwanda est un fait historique reconnu comme avéré.
La théorie du double génocide vise à absoudre les auteurs
du génocide commis en 1994 à l'égard des Tutsi au Rwanda
et ceux qui les soutiennent. Cette démarche a pour but de transformer le
génocide commis à l'égard des Tutsi du Rwanda en 1994 en
un massacre `interethnique' pour disculper le gouvernement intérimaire
rwandais de 1994, dont les membres sont poursuivis par le TPIR. Elle a aussi
pour objectif de disculper les autorités occidentales accusées de
l'avoir soutenu passivement ou activement.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
SECTION III : LES LECONS TIREES, LES DEFIS ET LES
RECOMMANDATIONS
Paragraphe I : Appropriation nationale des Juridictions
Gacaca
A. Les leçons tirées :
Au-delà des aspects positifs des Juridictions
Gacaca, entre autres, ce que l'on a pu remarquer comme manquement
c'est le fait qu'on ait demandé aux citoyens-juges d'agir comme un
véritable tribunal appliquant des concepts de droits pénal
international ; cela s'est avéré inefficaces. En effet, les
Juridictions Gacaca fonctionnent comme des tribunaux répressifs
qui visent essentiellement la détermination de la culpabilité et
l'imposition de peines classiques. Néanmoins, n'ayant pas de formation
juridique, les juges Inyangamugayo n'ont pas été en
mesure d'interpréter et d'appliquer correctement le complexe droit
relatif au génocide et aux crimes contre l'humanité.
B. Les Défis
Même si les Juridictions Gacaca interviennent
dans le contexte des crimes de droit international, il a été
inconcevable, voir illogique, de leur avoir demandé d'appliquer le droit
pénal international. Non seulement cela a un peu risqué de
compromettre leur mission et d'altérer leur nature, mais aussi les
intervenants ont été plus ou moins incapables de comprendre le
sens et la portée de ses règles.
En réalité, il faudrait éviter de
transformer les institutions communautaires de justice transitionnelle en une
sorte de justice formelle appliquant un droit écrit et prononçant
des sanctions pénales classiques. Une telle tentative de
dénaturation désorienterait les intervenants au point de miner la
crédibilité ainsi que la réputation des mécanismes
locaux chargés d'administrer une justice pénale post
conflictuelle. L'application du droit pénal international devrait rester
l'apanage des tribunaux étatiques classiques et internationaux qui
comprennent des juges professionnels dotés d'une solide formation et
d'une expérience juridique. Les Gacaca auraient peut être
mieux fait de s'assimiler aux Commissions de Vérités et de
Réconciliation à l'instar de celle de la Sierra Leone ou de
l'Afrique du Sud.
C. Les Recommandations sur l'appropriation nationale des
Gacaca
Malgré la nature internationale des crimes qu'ils
connaissent, les citoyens-juges ne devraient pas appliquer le droit
pénal international qui régit ces incriminations. Ce droit
leur
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
est inaccessible car ils n'ont même pas une formation
juridique de base. Il n'est pas non plus conçu pour atteindre les
objectifs globaux d'une justice postconflictuelle de type africain. Il revient
au droit international de s'adapter aux réalités locales et
économiques de chaque Etat affecté. Les mécanismes
communautaires devraient également s'ajuster pour tenir compte de
l'évolution de la société et du monde.
Les procès Gacaca devraient en principe avoir
des juges qualifiés et bien formés afin que leur travail soit
fait conformément aux principes visant l'impartialité. Dans ce
sens, ces procès contribueraient à reconstituer les tissus
sociaux au travers d'une justice saine et dans le respect mutuel des individus.
Favoriser un environnement respectueux des droits humains, c'est instaurer un
climat de franchise pour un témoignage ouvert. Il convient
également d'éviter par exemple des arrestations arbitraires et
des détentions illégales si un tel processus était
à reproduire et mettre en avant l'indépendance et
l'impartialité des tribunaux Gacaca.
Afin de permettre un dialogue inter rwandais, il est
nécessaire d'opter pour une forme de réconciliation basée
sur un débat démocratique axé sur une analyse profonde des
origines du conflit. Ceci contribuerait à éradiquer une fois pour
toute la gangrène qui ronge la société rwandaise. Il est
également recommandable d'éviter que les membres d'une
communauté éprouvée soient juge et partie car ils
éprouvent les séquelles de la tragédie de 1994.
Paragraphe II : Recommandations générales
sur la justice transitionnelle au Rwanda
A. Recommandations spécifiques sur les
Juridictions Gacaca
· Au gouvernement du Rwanda
- Demander au ministère de la Justice, en consultation
avec le Service National des Juridictions Gacaca (SNJG), de
créer un mécanisme au sein des tribunaux classiques pour examiner
les cas graves d'injustice qui se seraient produits dans le système
Gacaca.
- Indemniser les personnes arrêtées et
détenues de façon illégale.
- Bien que les Gacaca aient été
clôturé, fournir aux victimes de violences sexuelles une aide
psychologique pour traiter les traumatismes, ainsi que d'autres programmes
d'assistance.
- Ordonner l'ouverture d'enquêtes sérieuses et
autoriser les poursuites judiciaires contre les membres du FPR auteurs de
crimes de guerre et de crimes contre l'humanité au sein des juridictions
classiques puisque les Gacaca ont été
clôturées.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
· Aux autorités judiciaires
rwandaises
- Examiner tous les procès au cours desquels les
tribunaux Gacaca ont condamné des personnes uniquement pour
leur présence à des barrières pendant le génocide ;
confirmer que chaque dossier comporte des preuves suffisantes de l'intention et
de la conduite criminelle pour soutenir la condamnation.
- Engager des poursuites contre les personnes qui ont
accusé d'autres à tort.
- Mener des enquêtes et des poursuites contre les membres
du FPR auteurs de crimes de
guerre et crimes contre l'humanité, et les sanctionner de
façon appropriée.
- Surveiller l'exécution des règles et
réglementations carcérales relatives à la peine de
«
réclusion criminelle à
perpétuité» afin de garantir que la peine est conforme
aux
normes nationales et internationales.
· Au pouvoir législatif rwandais
- Amender les lois sur le divisionnisme et l'idéologie
du génocide afin de les mettre en conformité avec les normes
internationales, en limitant l'étendue des comportements interdits et en
exigeant une intention spécifique de la part de l'auteur, afin de
garantir la liberté de parole et d'encourager les personnes à
témoigner librement dans les procédures judiciaires.
- Inclure dans le projet de code pénal une disposition
prévoyant des sanctions pour les agents de l'État qui intimident
ou bien soudoient des témoins ou des juges, s'abstiennent
d'exécuter des ordres judiciaires ou bien obtiennent des
déclarations ou des aveux sous la menace ou la contrainte.
· Aux bailleurs de fonds
- Fournir au système judiciaire rwandais des fonds et
une assistance technique supplémentaires afin de renforcer
l'Unité d'assistance aux victimes et aux témoins, et de garantir
aux témoins à charge et à décharge une
égalité d'accès aux services de cette unité.
· Aux pays envisageant de recourir à des
mécanismes de résolution des conflits similaires au
système Gacaca pour juger des crimes graves
- Veiller à ce que les droits à un procès
équitable soient garantis.
- Garantir un accès égal à la justice pour
toutes les victimes de crimes commis par tous les camps durant la
période de conflit concernée.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
- Fournir une protection suffisante aux témoins, aux
rescapés et aux juges, et veiller à ce que la police et le
ministère public enquêtent immédiatement sur les
allégations d'intimidation ou de corruption.
B. Recommandations spécifiques sur Le TPIR
- Il est essentiel que des processus d'évaluation
soient mis en place pour, à la fois, mieux déterminer le
rôle de la communauté internationale, saisir les raisons des
dysfonctionnements des institutions de la justice transitionnelle lorsqu'elles
surviennent et identifier les potentialités de transformation et de
démocratisation.
- Pour 2012-2013 et 2013-2014, dans la mesure du possible,
revoir à la baisse le budget du TPIR au profit du système
judiciaire rwandais actuel ; afin de le consolider sur le long terme.
· Au gouvernement du Rwanda
Accepter et faciliter le travail du TPIR en ce qui concerne
les crimes commis par des éléments du FPR en 1994, en suspendant
immédiatement les suspects de leurs fonctions, en les
démobilisant et en les mettant en réserve de la justice
internationale ; cela éviterait la justice des vainqueurs.
· Au Procureur et la présidente du
TPIR
- Sur la coopération judiciaire avec le Rwanda :
toujours renforcer ses initiatives en matière de coopération
judiciaire avec les juridictions nationales rwandaises. Les missions de jeunes
juristes ou de représentants des milieux judiciaires rwandais à
Arusha devraient être développées. Fort heureusement que
des procès sont désormais transférés à
Kigali ; cela a un impact positif sur la population rwandaise.
· Sur les retards et le fonctionnement du
Tribunal
- Désormais, il faut mettre fin aux retards
injustifiables qui ont caractérisé l'activité du Tribunal
et remplir le mandat avec célérité. A cela, le respect de
la résolution 1966, adopté en 2010 par le Conseil de
sécurité, invitant instamment le TPIR à faire tout son
possible pour achever ses travaux rapidement.
- S'assurer du recrutement d'enquêteurs et de juristes
suffisants, compétents et efficace au bureau du Procureur pour achever
rapidement ses travaux, au plus tard le 31 décembre 2014 selon la
résolution 1966.
· Au Conseil de sécurité et au
Secrétariat de l'Organisation des Nations Unies
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
- Demander au Procureur Jallow et à la nouvelle
Présidente du Tribunal de présenter un échéancier
pour la fin des enquêtes des officiers du FPR et s'assurer que pour le
peu de temps qui reste avant la fermeture du Tribunal prévue en
décembre 2014 que l'arrestation des planificateurs du génocide
reste une priorité.
- Dans sa résolution 2029 adopté en 2011, le
Conseil de sécurité prie instamment tous les Etats, en
particulier ceux sur le territoire desquels des fugitifs sont
soupçonnés d'être en liberté, de renforcer encore
leur coopération avec le Tribunal et de lui fournir toute l'assistance
dont il a besoin, notamment pour appréhender et lui remettre le plus
rapidement possible tous les fugitifs restants. Nous suggérons sur ce
point, que le Conseil de sécurité passe une résolution
obligeant plutôt ces Etats qui tolèrent des fugitifs sur leur
territoire de mettre en oeuvre pour arrêter et transférer ces
personnes à Arusha, sous peine de sanctions. En effet, selon Beatrice Le
Fraper, conseillère juridique à la représentation
permanente de la France auprès des Nations Unies, neuf accusés
dont trois fugitifs de haut rang, Félicien Kabuga, Augustin Bizimana et
Protais Mpiranya sont encore en fuite. Kabuga se trouverait au Kenya tandis que
Mpiranya serait entre la RD Congo et le Zimbabwe.
- De plus, avec l'échec de la MINUAR, il incombe
désormais au personnel d'une opération de maintien de la paix des
Nations Unies de tout faire pour éviter les violations des droits de
l'homme. Mais tout cela revient de la responsabilité du Conseil de
sécurité qui doit inclure cela dans le mandat. Le personnel de
maintien de la paix doit être en mesure de reconnaitre les abus et les
violations des droits de l'homme et se tenir prêt à intervenir de
manière appropriée, tout en restant bien sûre dans les
limites de son mandat et de sa compétence.
CONCLUSION
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
Cette étude s'est attelée à montrer
comment la démarche judiciaire s'est mobilisée dans le processus
de justice transitionnelle au Rwanda. Au pays de milles collines, la justice
transitionnelle a émergé de la nécessité de
confronter les legs des abus sérieux de droits de l'homme avec des
mesures judiciaires telles que des poursuites criminelles, des
réparations pour des victimes et des reformes institutionnelles. Les
abus les plus graves et les violations des droits de l'homme ont
été au coeur du génocide rwandais et en ont
constitué la conséquence. Le génocide au Rwanda fut
certainement le plus rapide de l'Histoire : 800 000 rwandais, essentiellement
des tutsi, ont été tués en cent jours ainsi que des hutu
modérés considérés comme traitres à la cause
du `Hutu Power'. En plus du génocide, environ plus d'un million et demi
de morts ont été déploré au Rwanda, plus de deux
millions de réfugiés, des centaines de milliers de malades, de
blessés, la guerre civile, des massacres, la famine, les
épidémies et tout ceci sur une population estimée à
7, 5 millions de personnes. Le Rwanda a ainsi eu recours à une gamme des
approches pour contribuer à un sens holistique de justice pour tous les
citoyens, d'établir ou remplacer la confiance citoyenne, pour
réconcilier des personnes et des communautés, et pour
empêcher de futurs abus. La mobilisation de la démarche judiciaire
dans le processus de justice transitionnelle s'est située au centre des
actions entreprises pour les gérer. Répondre aux dilemmes et
contradictions que représentent les caractéristiques d'une
société en fin de conflit nécessite la prise en compte de
la démarche judiciaire dans le processus de justice transitionnelle pour
harmoniser et arbitrer les intérêts de toutes les couches
sociales. On a vu que la justice transitionnelle permet de mettre en place un
certain nombre de mécanismes répressifs et préventifs dans
le domaine du droit et de la sécurité de l'Etat et des personnes.
La répression, les réparations et la réconciliation sont
les maîtres mots de cette entreprise, la consolidation de ces acquis et
leur pérennité appelant un certain nombre de réformes dans
les appareils de l'Etat.
Le Rwanda s'est inspiré de deux modèles de
justice transitionnelle : d'une part la justice restaurative et de l'autre, la
justice retributive. Autrement dit, suite au génocide de 1994, un
tribunal ad hoc chargé de juger les responsables des massacres
et des violations graves perpétrés dans le contexte du
génocide a été mis en place. Le Rwanda a également
recouru aux tribunaux locaux traditionnels pour juger les personnes ayant de
près ou de loin pris part au génocide. Ces tribunaux ont fait
naître une forme de justice qui a marié la rétribution et
la reconstruction des liens sociaux.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
L'analyse de la présente étude est
divisée en deux grandes parties égales et quatre chapitres au
total. La première partie a mis en exergue le déploiement de
l'institution judiciaire dans le contexte post-génocide au Rwanda. Elle
a porté d'une part sur la démarche judiciaire dans le processus
de justice transitionnelle dans la société rwandaise et d'autre
part, sur la mobilisation de la démarche judiciaire centrée sur
la justice internationale notamment le Tribunal pénal international pour
le Rwanda. De façon générale, dans cette première
partie de l'étude, l'accent a tout d'abord été mis sur la
mise à l'écriture de l'histoire du génocide de 1994
à la mise en place des institutions de la justice transitionnelle. Nous
avons évoqué la société rwandaise et l'impact de la
colonisation ou la construction d'une mythologie culturelle ; le mythe
hamitique et le mythe bantou ont été mis en lumière.
Ainsi, nous avons parlé de la dynamique de l'histoire de la
société rwandaise ; de l'impact de la colonisation notamment avec
les allemands et les belges ; de l'idéologie rwandaise après la
colonisation, de la république hutue et ses conséquences. Nous
avons évoqué en passant, les années Kayibanda, les
réfugiés, le régime Habyarimana, la crise et les
préparatifs du FPR, en Ouganda ; la guerre civile et l'offensive du FPR
; les négociations de paix ; la montée de l'extrémisme, la
MINUAR ; la mort énigmatique du président Habyarimana ; le
génocide ; ses organisateurs ; ses assassins ; ses victimes ; la
victoire du FPR ; la multiplication des réfugiés ; le nouveau
gouvernement et enfin les institutions de la justice transitionnelle : les
juridictions nationales ou classiques ; les Juridictions Gacaca et le
Tribunal Pénal International pour le Rwanda.
En fait, pour arriver au processus de justice transitionnelle,
nous nous sommes bien servi de l'approche historique en montrant comment la
colonisation avait renforcé les clivages ethniques, la puissance
coloniale s'étant très longtemps appuyé sur la monarchie
tutsi pour faire fonctionner son administration puis fit un revirement de
dernière minute pour soutenir le parti principalement hutu et
représentant la majorité de la population. Mais, plus qu'une
histoire ethnique, le génocide a été le fruit des
profondeurs du mal être de ceux qui luttent pour le pouvoir et profitent
des vieux démons tribaux pour monter aux cieux. Le problème de
clivage ethnique avait abouti au génocide puis le génocide a
abouti à la mise en place des institutions de la justice
transitionnelle. La démarche historique s'est
révélée nécessaire ici dans la mesure où
elle a permis de montrer comment le Rwanda est marqué par la
répétition des crimes graves depuis 1959, couronné par le
génocide de 1994 pour arriver aux institutions de la justice
transitionnelle.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
S'agissant des juridictions classiques, nous en avons
montré l'impuissance et les limites qui ont débouché sur
la mise en place des Juridictions Gacaca. Face à
l'incapacité des tribunaux ordinaires, il fallait continuer à
chercher dans le passé des solutions pour le présent. Avec la
justice officielle, il aurait peut être fallu attendre plus de cent ans
pour juger tous les prisonniers. Les Gacaca ont eu pour but d'ouvrir
une partie de la justice à la population, rendre aux citoyens le
privilège de juger. On a vu que ces juridictions comportaient en
même temps la justice rétributive et la justice restaurative. Nous
avons analysé l'insertion du système hybride dans le
système judiciaire comme facteur de vérité, de justice, de
pardon et de réconciliation. L'étude a porté de même
sur les perceptions des Juridictions Gacaca dans la
société rwandaise. Nous avons analysé les avantages et les
limites du recours aux mécanismes de la justice traditionnelle dans la
démarche judiciaire. Après l'analyse des Juridictions
Gacaca, nous notons que de par le monde, le mécanisme de
justice transitionnelle locale le plus ambitieux a été les
Gacaca, où 11 000 tribunaux communautaires ont
été lancés pour juger les suspects de moindre niveau pour
leurs actes génocidaires. Par opposition aux stratégies
d'amnistie ou de poursuites sélectives choisies par d'autres pays
africains faisant face à de nombreux coupables, le gouvernement rwandais
a choisi de chercher la responsabilisation par le biais de tribunaux
Gacaca, avant de transmettre les dossiers aux tribunaux nationaux aux
fins de procès. Toutefois, les Gacaca gratifient ceux qui
plaident coupables de peines réduites, notamment des peines de travail
d'intérêt général au lieu de peines de prison. La
justice transitionnelle au Rwanda s'est uniquement axée sur la
responsabilisation du génocide de 1994 et non pas sur les accusations de
crimes de guerre pendant la guerre civile de 1990-1994. De plus, les tribunaux
communautaires ont certes aidé la population rwandaise à faire
face au génocide de 1994 mais n'ont pas réussi à fournir
des décisions et une justice crédibles dans certaines
affaires.
Pour ce qui est du TPIR, nous avons montré la
passivité de la communauté internationale face au génocide
de 1994, la négligence de l'ONU, le mandat restreint de la MINUAR pour
aboutir à l'établissement du TPIR. En analysant la justice
transitionnelle au Rwanda à travers le recours à la justice
internationale, l'objet d'étude a tout d'abord porté sur le TPIR
comme élément de la justice rétributive et facteur de
reconnaissance du génocide de 1994. Nous avons étudié le
TPIR et les poursuites pénales ; l'accent a été mis sur
quelques procès phares qui ont constitué un message contre
l'impunité.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
En fait, les procès devant le TPIR et devant les
Gacaca sont des procès qui poursuivent plusieurs objectifs :
juger et punir les crimes de génocides pour bannir à jamais le
génocide. Ils se fixent un objectif, celui de donner une leçon de
justice à l'humanité. Certains procès d'Arusha marquent un
tournant dans l'émergence de la mémoire du génocide. Ces
procès montrent que le génocide est un crime de l'Etat qui
suppose une politique étatique d'extermination. La décision du
Conseil de sécurité de se focaliser par exemple sur les
responsables de l'Etat montre que l'Etat rwandais a voulu détruire un
groupe, les Tutsi. Les procès devant les Gacaca visent quant
à eux toutes les personnes subalternes présumées d'avoir
participé au génocide des Tutsi. Ces procès
obéissent à des impératifs de politique intérieure
et de politique extérieure. Il s'agit de montrer que l'Etat rwandais est
en mesure de se reconstruire sur de nouvelles bases de la justice et de la
réconciliation. Les procès dévoile au monde, jusqu'au plus
petit détail le crime de génocide, afin de rendre présent
dans les esprits la présence du passé. Dans ce sens, le seul
moyen de montrer la vérité des faits est d'appeler les
témoins, survivants et bourreaux à la barre. Le procès
fait accoucher de la mémoire du témoin les détails de ce
qu'il a vu et de ce qu'il a entendu. Toutes les dépositions de
témoins mises ensemble donnent ainsi l'image réelle du crime de
génocide. Il s'agit de faire visualiser le crime de génocide au
moyen de la parole des témoins. Avec donc les différents
procès du crime de génocide, et la parole du témoin, le
génocide devient une succession d'expériences individuelles. Un
éclairage est mis sur les responsables du génocide, et sur les
mécanismes qui ont permis le génocide.
La deuxième partie de l'étude à quant
à elle porté sur le bilan mitigé de la démarche
judiciaire dans le processus de justice transitionnelle au Rwanda. Cette partie
s'est focalisée d'une part sur la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle : une contribution significative à
la consolidation de la paix et au développement, et d'autre part, sur la
démarche judiciaire dans le processus de justice transitionnelle : une
contribution insuffisante à la dynamique de retour à la paix.
Nous avons tout d'abord montré l'impact positif de la justice
transitionnelle sur le Rwanda à travers l'état de droit et la
réconciliation nationale où les progrès
réalisés ont été impressionnants. Ensuite, nous
avons étudié les effets bénéfiques de la justice
transitionnelle au Rwanda à travers la promotion de la gouvernance
inclusive et les reformes institutionnelles. Les droits des femmes et des
enfants ainsi que la lutte contre la corruption ont été mis en
exergue. La réforme du secteur de sécurité a
été au coeur des réformes institutionnelles. Nous avons vu
que la réforme du secteur de sécurité constitue une
composante essentielle des efforts visant à rétablir et à
renforcer l'Etat de droit.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
Des progrès dans le domaine de la réforme du
secteur de sécurité sont une condition essentielle pour le
succès d'une sortie de crise, qui dépend largement de la
capacité des acteurs et des institutions chargées de la
sécurité nationale à fonctionner de manière
efficace. Après, nous nous sommes penchés sur la justice
transitionnelle comme contribution significative au développement. On a
réalisé que la bonne application des OMD a augmenté le
taux de confiance de la population et que le développement
socioéconomique est indispensable au succès d'une paix durable.
Cette deuxième partie de l'étude a aussi abordé les
obstacles qui entravent la bonne réalisation de la justice
transitionnelle au Rwanda, notamment, les faiblesses de Gacaca, le
manque de crédibilité et le coût élevé du
TPIR, le problème de l'existence de planification sans planificateur du
génocide contre les tutsi, l'effacement des preuves de génocide
ainsi que le négationnisme et la théorie du double
génocide, l'impact minimal du TPIR. Il a été
démontré au long de cette partie que le TPIR est un tribunal
isolé de la société rwandaise et oubliait les victimes
dans ses programmes. L'obligation d'établir la vérité sur
les crimes du FPR ainsi que l'obligation de juger et de sanctionner les membres
du FPR responsables de crimes de guerre et les crimes contre l'humanité
est nécessaire pour réduire l'impact minimal du TPIR. Toutefois,
nous avons souligné qu'au-delà de quelques limites, le TPIR a
connu des résultats symboliques en ce sens qu'elle a réussi
à imposer la reconnaissance juridique du génocide.
S'agissant des faiblesses des tribunaux Gacaca, il
ressort par exemple que certaines personnes avaient avoué leurs crimes,
mais, elles ont quand même été condamnées à
mort. Les témoins à charge ont occupé les maisons des
rescapés et ont pris leurs biens. Dans ces tribunaux, il y a
également eu des graves lacunes, notamment l'intimidation de
témoins à décharge par des juges ou par des
autorités, la corruption par des juges et des parties aux affaires et
enfin les irrégularités de procédure dues à
l'utilisation de juges n'ayant en grande partie pas
bénéficié de la formation nécessaire. Certains
témoins potentiels ne se sont pas exprimés pour la défense
de suspects du génocide parce qu'ils craignaient des poursuites pour
parjure, complicité dans le génocide ; d'autres craignaient de
subir l'ostracisme social pour avoir aidé des suspects à se
défendre. Des crimes commis par des militaires du FPR, parti au pouvoir
depuis que le génocide a pris fin sont également exclus de la
compétence des Gacaca, ce fait a laissé les victimes de
ces crimes en attente de justice.
Parlant de l'effacement des preuves de génocide, la
mémoire, le témoignage, l'enseignement, l'histoire ont
été assumés par les survivants du génocide
perpétré contre les
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
Tutsi. Ce génocide ne devait certainement avoir ni
témoin, ni histoire, ni mémoire ce d'autant plus que le projet
des concepteurs et planificateurs de ce génocide consistait à
effacer les tutsi de l'histoire du Rwanda. Le fait de noyer par exemple les
victimes tutsi dans les lacs et les rivières constituait des avantages
pour les génocidaires : on tue d'abord le Tutsi- ce qui est le principal
objectif- puis, en deuxième lieu, on se débarrasse
commodément de son cadavre emporté par le courant d'eau, ce qui
revient à effacer les traces du crime. La plupart des corps ont
été charriés par les eaux vers le lac victoria. Y
arrivées, certaines victimes ont été pêchées
et enterrées dans des sites mémoriaux construits à cet
effet en Ouganda. Certains de ces noyés, hommes, femmes et enfants,
reposent, si l'on peut dire ainsi, en terre étrangère : ils ont
à la fois perdu le droit à la vie et à la patrie. Pour
d'autres, l'eau restera pour l'éternité leur simple tombe fluide
: ils sont condamnés à n'avoir jamais une pierre tombale.
Pour ce qui est du négationnisme et de la
théorie du double génocide, on a vu que les massacres des
populations tutsi sont présentés comme simplement des actes de
légitime défense dans le contexte de la guerre menée par
le FPR. Le FPR est identifié très souvent comme l'auteur de
l'attentat de l'avion du Président Juvénal Habyarimana et
emporte, par là, la responsabilité du déclenchement des
massacres des Tutsi. En définitive, c'est l'attentat suite aux
enquêtes du juge Bruguière et l'interprétation pour le
moins partielle du travail du TPIR concernant les planificateurs du
génocide qui deviennent les deux clefs de voûte argumentatives de
la rhétorique négationniste.
En fin de compte, dans cette étude, en
générale, il est ressorti que dans une pratique de la justice
restaurative, il faut faire participer toutes les parties
intéressées par le règlement du conflit : la victime, le
contrevenant et la collectivité ; tous doivent intervenir dans le
processus et être habilités à y contribuer pleinement ;
c'est ce qui a justifié d'ailleurs le choix de l'approche holistique
dans le cadre de cette étude. Seulement, la participation ne doit pas
être le résultat de la coercition, de la crainte, de menaces ou de
manipulation, que ce soit à l'égard de la victime ou de l'auteur
du délit. Une pratique de justice restaurative doit exiger qu'on dise la
vérité. L'énoncé de la vérité sous
forme d'admission de responsabilité de la part du contrevenant est la
condition préalable à tout processus de réparation ; sous
forme de narration franche de l'expérience de chacun. Il faut
prévoir une rencontre (face à face, avec récit des
expériences mutuelles) entre la victime et l'auteur du délit
ainsi que la collectivité.
L'évaluation des pratiques qui se prétendent de
nature réparatrice doit se faire au cas par cas, en prêtant
attention à la structure et à son contexte. Cela étant, il
n'existe pas de modèle
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
de justice restaurative idéal, transportable dans
toutes les sociétés. Concept et pratique en construction, la
justice restaurative doit s'adapter aux différentes cultures et
être appropriées par elles : elle n'est pas une carte mais une
boussole. Cela étant, dans la pratique, une formule à
succès unique pour rétablir la paix et un Etat de droit dans les
zones post-conflits ou postgénocide n'est pas vraiment utile puisque
chacune des situations pose ses propres contraintes et balises. Le processus
des Juridictions Gacaca renvoie par exemple à une
réalité quotidienne qui ne cesse d'évoluer, et que nul ne
peut prédire de ce qui adviendra dans les années à venir.
Toutefois, on peut s'inspirer des expériences passées ; ce qu'il
faut éviter c'est de faire du copier coller.
A travers les juridictions Gacaca, le Rwanda
constitue un modèle d'implication communautaire dans l'administration de
la justice pénale internationale. Même si les juridictions
Gacaca n'ont pas été très efficaces, le concept
est en soi séduisant et les pays qui doivent gérer un lourd
passé peuvent s'en inspirés. Ce mécanisme produirait de
bons résultats, à condition qu'il ne soit ni manipulé par
les autorités politiques ni dénaturé, notamment en lui
octroyant une compétence exorbitante qui dépasse ses
capacités.
A l'issue de cette étude, il convient de remarquer que
malgré les vicissitudes du système judiciaire international qui
émaillèrent sa création, le TPIR constitue un outil de
premier plan dans la reconnaissance juridique internationale du génocide
perpétré contre les Tutsi. Depuis sa création, le TPIR a
permis l'évolution de la responsabilité pénale
individuelle, ce qui est une bonne chose pour le droit international
pénal. Cette évolution a aussi permis de `décollectiviser'
le génocide perpétré au Rwanda en définissant ses
identifiants, ses victimes et en identifiant les responsabilités de ses
acteurs. En s'appuyant sur la Convention de 1948, le TPIR a permis de qualifier
et de réprimer de manière inégalée les actes de
génocide perpétré au Rwanda. La qualification de ces actes
de génocide permet de barrer la route au négationnisme. La
punition constitue quant à elle un outil de lutte contre
l'impunité et d'assurer la prévention contre la
répétition du crime.
Le travail des Juridictions Gacaca est remarquable
sur le plan qualitatif et quantitatif en dépit de quelques limites. Les
tribunaux Gacaca sont les plus efficaces et les plus dynamiques des
initiatives lancées après le génocide à des fins de
justice et de réconciliation. Ce système a obtenu beaucoup de
réussites, notamment la tenue de procès rapides avec la
participation populaire, une réduction de la population
carcérale, une meilleure compréhension de ce qui
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
s'est passé en 1994, la localisation et
l'identification des corps des victimes et un éventuel assouplissement
des tensions ethniques entre le groupe majoritaire hutu et la minorité
tutsie.
S'agissant des techniques d'observation, dans cette
étude, nous avons utilisé deux techniques de collecte de
données : les techniques dites vivantes et les techniques dites
documentaires ou non vivantes. La classification de ces techniques a
été essentiellement qualitative. Les techniques qualitatives ont
pour ambition l'étude en profondeur des faits pour en dégager les
propriétés, les caractères et la nature. Nous nous sommes
servis de l'entretien individuel (interview) qui est un échange entre
nous chercheur et les personnes ressources. Il a fallu qu'on aille en
profondeur dans les échanges pour que l'enquête puisse fournir un
maximum d'information. Pour conduire ces entretiens, nous avions tout d'abord
procédé à l'identification des personnes ressources ; nous
avions pris les contacts nécessaires et enfin préparer un
protocole d'entretien. Etant donné que rien ne peut remplacer un contact
direct de
l'enquêteur avec son terrain et qu'il est difficile
d'imaginer une étude sérieuse oül'observation
directe ne jouerait aucun rôle, nous nous sommes rendus au Rwanda pour
toucher du doigt le processus de justice transitionnelle et
voir si réellement elle a contribué à une paix durable.
Nous avons adopté la démarche hypothético-déductive
qui a impliqué au départ, la formulation des réponses
provisoires à la question principale de la recherche qui consistait
à savoir si les institutions de la justice transitionnelle ont-elles
réellement contribué à consolider et assurer une paix
durable au Rwanda. Eprouvées empiriquement pour la vérification
de leurs véracités et validées à partir de la
technique de collecte des données, des approches et grilles
théoriques, nous confirmons nos hypothèses de départ selon
lesquelles :
- Les institutions de la justice transitionnelle au Rwanda
seraient un mécanisme qui donne des résultats qui permettent de
consolider le processus de paix, de sécurité et de relance
économique pour le développement.
- Les institutions de la justice transitionnelle au Rwanda
présenteraient encore des échecs au vu des programmes
inefficaces.
Suite à notre question de recherche et
hypothèses, on pourrait donc conclure que les institutions de la justice
transitionnelle ont assuré une paix durable au Rwanda en ce sens
qu'elles ont très bien réussi à établir la
vérité sur certains faits, elles ont traités de la
rétribution et de la punition des auteurs de l'infraction et ont
noblement essayé, mais échoué à court terme, dans
leur ambition plus large de la réconciliation. Ainsi, à cause de
quelques échecs de ces institutions, ce sont les années qui
viennent qui jugeront vraiment si ces
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
institutions ont réellement contribué à
consolider une paix durable au Rwanda ce d'autant plus que la justice n'a pas
été encore rendue pour les crimes du FPR actuellement au pouvoir.
Que ce soit le TPIR ou les Juridictions Gacaca ; le défi majeur
revient à lutter efficacement contre l'impunité pour
développer la culture de la responsabilité. Malgré tous
ces mécanismes de justice transitionnelle déployés au
Rwanda, la réussite totale d'une justice transitionnelle demeure
excessivement complexe ; les problèmes sont multiples et les besoins
sont immenses. Ainsi, l'impact de la réconciliation n'est pas facile
à mesurer aujourd'hui. En somme, l'une des graves lacunes de la justice
transitionnelle au Rwanda est l'incapacité à assurer une justice
égale pour toutes les victimes de crimes graves commis en 1994 et cela
ne peut en aucun cas favoriser la réconciliation à long terme au
Rwanda et de fait, la réconciliation mise en avant par le gouvernement
rwandais et la communauté internationale a encore de longues
années devant elle.
Néanmoins, la justice transitionnelle aide, tout de
même, à analyser les situations et à préciser quelle
approche devrait être préconisée pour atteindre l'objectif
de reconstruire une paix durable et mettre en place un Etat de droit. Cela
étant, malgré les imperfections du TPIR et des tribunaux
Gacaca, on peut estimer et souligner qu'un effort de justice a
été effectué au Rwanda ce qui a abouti à une
société plus respectueuse du droit. Au Rwanda, depuis leurs mises
en place à nos jours, les institutions de la justice transitionnelle ont
assuré la paix, la sécurité et la relance
économique pour le développement ; la justice transitionnelle est
sans conteste un nouveau mécanisme de consolidation de la paix ; un
outil de résolutions de conflits et d'instauration d'une paix durable ;
un moyen de sortie de crise et de rétablissement de l'équilibre
social et sociologique de l'Etat.
L'unité nationale a grandi au Rwanda de nos jours par
la cohésion de tous Hutu, Tutsi. Les textes légaux, les
attributions de postes politiques et administratifs traduisent sans limitation
aucune cette avancée notoire de la conscience nationale. Nous croyons
vivement que les crimes graves ne se reproduiront plus aussi facilement,
à cause de la mise en place des institutions fortes, la justice et la
réconciliation nationale. Au Rwanda, on retrouve désormais une
justice assez crédible où les Rwandais se reconnaissent dans
cette justice. C'est vrai quand même que selon nos interlocuteurs, les
Hutu ne sont pas libres au Rwanda ; ils ont peur des Tutsi parce qu'ils sont au
pouvoir et les Tutsi ont peur des Hutu parce qu'ils peuvent s'emparer du
pouvoir. Les Rwandais cohabitent ensemble mais la plupart regardent encore dans
des directions opposées, la division est encore présente, aussi
bien que l'amalgame des
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
coupables et de tout leur `groupe'. Il faut donc faire en
sorte que la haine ne possède plus les coeurs à travers une
justice crédible et équitable. Il faut désamorcer le cycle
de la violence. Continuer à dénoncer toute forme de
discriminations s'ils ont lieu. Bien qu'il serait faux de dire que les
souffrances sont vraiment éteintes au Rwanda ; mais, en aucun moment,
lors de notre passage au Rwanda, nous avons détecté un souci de
vengeance personnelle. Nous avons juste ressenti un besoin de justice
teinté de modération pour ne pas envenimer la situation.
Malgré quelques petites imperfections, du reste
mineures, nous soulignons avec force que la justice transitionnelle constitue
une importante contribution à la paix, à la reconstruction
post-conflit dans l'histoire du Rwanda. Les réformes institutionnelles
ont défini un cadre institutionnel clair pour assurer la
sécurité, qui permette d'intégrer la politique de
sécurité et celle du développement qui fasse appel
à tous les acteurs concernés et soit centré sur les
groupes vulnérables tels que les femmes, les enfants et les
minorités. Ces réformes institutionnelles ont renforcé la
gestion et la supervision des institutions chargées de la
sécurité ; elles ont constitué des forces de
sécurité compétentes et professionnalisées qui
soient responsables devant les instances civiles et ouvertes au dialogue avec
les organisations de la société civile. En gros, les
réformes institutionnelles au Rwanda sont désormais
centrées sur l'être humain, sont appropriées localement, et
se fondent sur les normes démocratiques, le respect des droits de
l'homme. Les réformes offrent désormais l'opportunité
à l'Etat rwandais de réfléchir aux moyens de régler
les divers problèmes de sécurité auxquels leur population
et eux-mêmes sont confrontés, grâce à une
intégration plus étroite des politiques de développement
et de sécurité ainsi qu'à un renforcement de la
participation des civils et de leur pouvoir de contrôle.
De plus, chaque année, les Rwandais rendent visite
à des sites de mémoire pour rendre hommage aux victimes. C'est
à travers ces sites mémoriaux que la mémoire du
génocide a été préservée. Ainsi, il faut
bien préserver tous les sites du génocide qui en constituent la
mémoire afin de le prévenir. La fonction de la mémoire est
d'éviter en fait aux générations présentes et
futures la répétition du mal commis dans le passé. Elle
reprend le passé pour corriger le présent et assurer un avenir
meilleur. La mémoire doit constituer pour les générations
successives un rappel permanent de ce qu'il ne faut plus jamais faire. En
effet, la mémoire à conserver est destinée à
remplir diverses fonctions salutaires pour la société, notamment
la conservation des souvenirs, la reconnaissance morale et la justice aux
victimes, la contribution à la repentance et au pardon aboutissant
à la réconciliation nationale. La
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
mémoire du génocide touche ainsi à
plusieurs domaines tels qu' : une bonne politique de la mémoire, la
réhabilitation (morale, juridique et matérielle) des victimes,
l'éducation de la population aux valeurs de tolérance, la
solidarité, le respect des droits et des libertés
fondamentaux.
En définitive, nous réitérons encore
quelques imperfections de la mobilisation de la justice transitionnelle dans le
processus de justice transitionnelle au Rwanda. Qui punira par exemple les
crimes de guerre commis pendant la prise de Kigali ? Le TPIR tend à sa
fermeture et les Juridictions Gacaca ont été
clôturées le 18 juin 2012, alors, qu'adviendra t-il des meurtres
perpétrés en signe de représailles ? Toutes les personnes
qui ont participé à des massacres avant le génocide de
1994, vont-elles aussi être punies ? Suite à ces interrogations,
nous soulignons que cette étude s'inscrit dans une problématique
encore inépuisée, qu'il ne peut en cerner toutes les dimensions,
mais tout au plus faire le point à un moment donné, sur un
processus en cours de réalisation. Toutefois, nous nous
attèlerons à répondre à ces questions dans des
travaux ultérieurs où nous nous pencherons non plus uniquement
sur le Rwanda mais, sur une étude comparative des institutions de
justice transitionnelle en Afrique.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
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combinent-elles et s'enrichissent-elles mutuellement dans le processus de paix
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réconciliation et la construction d'une paix durable, Saint-Paul,
Yaoundé, 2011
OYONO, Dieudonné : « L'apport de l'histoire dans
l'enseignement des relations internationales » in Revue Camerounaise
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PONDI, Jean-Emmanuel : « Contexte moderne de la justice
transitionnelle », in La justice transitionnelle : une voie vers la
réconciliation et la construction d'une paix durable, Saint-Paul,
Yaoundé, 2011
REPUBLIQUE DU RWANDA : Rapport sur l'évaluation
conjointe de la gouvernance, 12 septembre 2008
RUSAGARA, Franck : « Gacaca, stratégie de
réconciliation et de développement national au Rwanda
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SALAS, Denis : « Le droit peut-il contribuer au travail
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réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe,
Paris, La Documentation française, 2003
SAVOIE-ZAJC, Lorraine (2004), « La recherche
qualitative/interprétative en éducation », La recherche en
éducation : étapes et approches, pp. 123-150. Sherbrooke :
Éditions du CRP. SOCIAL WATCH: Gender Equity Index 2007: Progression
or Regression, mars 2007
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
TUMBA TUTU-DE-MUKOSE : « Génocide rwandais:
pourquoi Carla Del Ponte été jetée du TPIR par l'ONU ?
», Afrique Education, Bimensuel International Indépendant,
N° 195-196 du 1er au 30 janvier 2006
NZIRABATINYI, Patrick : « Poursuites des infractions :
détentions préventive face à la présomption
d'innocence : contradiction ou complémentarité ? Le
Verdict, n°2, 15 mars 1999
WALDORF, Lars: «Mass Justice for Mass Atrocity: Rethinking
Local Justice as Transitional Justice» in Temp, 2006
WIERZYNSKA, Aneta: «Consolidating Democracy through
Transitional Justice: Rwanda's Gacaca Courts», New York, Law
Review, 2004
V. INSTRUMENTS INTERNATIONAUX CLES
Charte Africaine des droits de l'Homme et des peuples du 27 juin
1981
Charte des Nations Unies, 1945
Conventions de Genève du 12 août 1949
Convention relative aux droits de l'enfant de 1989
Convention pour la prévention et la répression du
crime du génocide de 1948
Convention sur l'élimination de toutes les formes de
discriminations à l'égard des femmes de 1979
Déclaration universelle des droits de l'Homme du 10
décembre 1948
Pacte international relatif aux droits civils et politiques de
1966
Pacte international relatif aux droits économiques,
sociaux et culturels de 1966
Protocoles additionnelles aux Conventions de Genève de
1977
Rapport du Secrétaire général des Nations
Unies sur l'établissement de la Cour Spéciale UN Doc. S/2000/915,
4 octobre 2000
Rapport du Secrétaire général des Nations
Unies : « Dans une liberté plus grande : développement,
sécurité et respect des droits de l'homme pour tous »
(A/59/2005)
Rapport du Secrétaire général des Nations
Unies : « Rétablissement de l'état de droit et
administration de la justice pendant la période de transition dans les
sociétés en proie à un conflit ou sortant d'un conflit
» (S/2004/616)
Règles de Procédures et de Preuves de la Cour
spéciale pour la Sierra Leone amendée le 29 mai 2004 et le 24
novembre 2006
Règles de Procédures et Preuves du TPIR et du
TPIY
Résolution 955 du Conseil de Sécurité des
Nations Unies de 1994 établissant le TPIR Résolution 1325 du
Conseil de Sécurité de l'ONU, 2000
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
Résolution du Conseil de Sécurité
demandant au Secrétaire Général de négocier un
accord avec le gouvernement de Sierra Leone pour l'établissement d'une
Cour Spéciale : S/2002/246, 8 mars 2002
Résolution 1820 du Conseil de Sécurité des
Nations Unies, 2008
Statut de la Cour pénale internationale du 17 juillet
1998
Statut de Rome de 2002
VI. INSTRUMENTS NATIONAUX CLES
Constitution rwandaise de 2003
Loi organique n° 8/96 du 30 août 1996 sur
l'organisation des poursuites des infractions constitutives du crime de
génocide ou de crimes contre l'humanité à partir du
1er octobre 1990
Loi organique n°40/2000 du 26/01/2001 portant
création des Juridictions Gacaca et organisation des poursuites
des infractions constitutives du crime de génocide ou de crimes contre
l'humanité, commises entre le 1er octobre et le 31
décembre 1994
Loi n°33 Bis du 6/9/2003 réprimant le crime de
génocide, les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre
Loi organique n°16/2004 du 19/06/2004 portant
organisation, compétence et fonctionnement des Juridictions
Gacaca chargées de poursuites et du jugement des infractions
constitutives du crime de génocide et d'autres crimes contre
l'humanité commis entre le 1er octobre et le 31
décembre 1994
Loi organique n°10/2007 du 1er mars 2007
modifiant et complétant la Loi organique n°16/2004 du 19 juin 2004
sur l'organisation des poursuites des infractions constitutives du crime de
génocide ou de crimes contre l'humanité, commises à partir
du 1er octobre 1990, telle que modifiée et
complétée.
VII. THESE ET MEMOIRES
BILAMPASSI MOUTSATSI, Claudette Chancelle Marie-Paule :
Migrations et représentations dans Bleu-Blanc-Rouge d'Alain
Mabanckou, Mémoire de Maîtrise, Université de
Yaoundé I, direction : Ambroise KOM, 2009
NNANGA NDJIE, Joséphine : Micro- projets
d'hydraulique villageoise et développement local au Cameroun : cas de la
commune de Mfou dans le département de la Mefou Afamba (Région du
Centre), Mémoire de Master, Université Protestante d'Afrique
Centrale, direction : Valentin NGA NDONGO, 2012
SANGALE MEBBELA, Jules A. : Mutations du système
international et résolution du conflit de l'Erythrée, Institut
des Relations Internationales du Cameroun, Thèse de 3e cycle,
1999
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
TANGHA KOUADJO, Omer T. : Mal gouvernance et
prolifération des mouvements politicomilitaires : le cas du Tchad,
Mémoire de Master, Université Protestante d'Afrique
Centrale, direction : Cage BANSEKA, 2012
VIII. VIDEOGRAPHIE
MEDIAW-4 PEACE : Justice Transitionnelle en Afrique : enjeux
et perspectives, DVD Vidéodisque Magazine TV: (26 minutes), 2010
IX. WEBOGRAPHIE
Actualité et Droit International :
www.ridi.org/adi/
Amnesty international :
www.amnesty.org
Bimensuel International Indépendant :
http://www.afriqueeducation.com/archive/sommaire/article.php?id=298&version=195-196
Centre international pour la Justice Transitionnelle :
www.ictj.org
Cour pénale international : www.icc-cpi.int.
Fédération international des ligues des droits de
l'homme : http://www.fidh.org/ Haut- Commissariat aux droits de l'homme
:
http://www.ohchr.org
Human Rights Watch:
www.hrw.org
L'encyclopédie Universelle des Droits de l'homme :
http://www.eudh.org/fr/
No Peace Without Justice:
http://www.specialcourt.org
Réseau des femmes de Médias pour la Paix en
Afrique Centrale :
www.mediaw-4peace.org
Sierra Leone web :
www.sierra-leone.org
Service national chargé des juridictions Gacaca
:
http://www.inkikogacaca.gov.rw/Ppt/Realisation
et perspective.ppt.
X. DICTIONNAIRES
CABRILLAC, Rémy : Dictionnaire du Vocabulaire
Juridique, Edition revue et augmentée, Paris, Lexis Nexis, 2012
CORNU, Gérard : Vocabulaire Juridique,
Quadrige/PUF, 2011
WILLIS, Roy : Mythologies du monde entier, Paris,
Larousse, 2002
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
GLOSSAIRE
Akazu : `La petite maison'. Dans le Rwanda
précolonial, c'était l'appellation du premier cercle de la cour
royale. Après 1985, le surnom est donné au noyau central du
régime Habyarimana, avec une connotation très négative
d'abus de pouvoir et d'enrichissement illicite.
Gacaca : tribunaux communautaires
qui tirent leur nom du mot kinyarwanda qui signifie « gazon » (le
lieu où les communautés se réunissent pour régler
les différends). Les Gacaca sont l'une des expériences
de justice transitionnelle les plus ambitieuses de l'histoire, mêlant les
traditions locales de résolution des conflits avec un système
juridique moderne punitif de manière à rendre la justice pour le
génocide de 1994 au Rwanda.
Ibuka : « souviens-toi » en kinyarwanda, a
été créé fin 1994 pour traiter les questions de
« justice, mémoire, problèmes sociaux et économiques
rencontrés par les rescapés». Ibuka est une
organisation qui recouvre des associations de rescapés du
génocide au Rwanda et agit souvent comme le principal porte-parole des
rescapés du génocide dans le pays.
Ibyitso : `complice'. Nom donné par les
partisans extrémistes du régime aux Tutsi vivant au Rwanda
après l'invasion du 1er octobre 1990. Au début du
mouvement de démocratisation, les Hutu qui soutenaient les partis
d'opposition sont aussi devenus des Ibyitso, c'est-à-dire des
`traîtres' à l'idéologie de la supériorité
`raciale' hutu. Le génocide d'avril-mai 1994 voulait les massacrer
tous.
Imana : `L'Etre suprême', `Dieu'.
Interahamwe : ou `Ceux qui travaillent ensemble',
regroupement décrit par le gouvernement comme le `Mouvement de jeunesse
du MRND'. Première milice civile, officiellement créée
pour des tâches d'intérêt général, elle a
participé à des tueries dès 1992 avant de jouer l'un des
rôles principaux dans le génocide.
Inyenzi : `les cancrelats'. Nom donné aux
rebelles tutsi de 1960 à 1963, en partie par mépris et en partie
parce que, comme les cancrelats, ils se déplaçaient plutôt
de nuit. Après 1992, les extrémistes du CDR et leurs
alliés ont baptisé de ce nom les combattants du FPR.
Kinyarwanda : langue parlée par la tribu
banyarwanda, exactement la même pour les Hutu et les Tutsi. Et même
leurs noms propres ne les différencient pas.
Umurenge : une colline, non pas dans son sens
géographique mais comme division administrative et fiscale.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
ANNEXES
ANNEXE I : Listes des personnes interviewées,
leur groupe et responsabilité Personnel du Tribunal Pénal
International pour le Rwanda
· Madame Jeannette Ebouea, enquêtrice du Tribunal
Pénal International pour le Rwanda (Branche de Kigali). Date et lieu
d'interview : Kigali, 22 février 2012
· Matthias RUNEZERWA, documentaliste au Centre de
d'information et de documentation du TPIR à Kigali. Date et lieu
d'interview : Kigali, 22-24 février 2012
· Maître Josette KADJI, avocate au TPIR. Date et lieu
d'interview : Douala, 15 mars 2012
· Madame Angeline DJAMPOU, ancienne chef de la
Bibliothèque du TPIR à Arusha. Actuellement en service à
la Bibliothèque des Nations Unies à Nairobi. Entretien
téléphonique, 22 février 2012
Personnel des Juridictions Gacaca
· Une juge des Gacaca (elle n'a pas voulu qu'on
publie son nom). Date et lieu d'interview : Kigali, 26 février 2012
Personnel de la société civile
· Membres de l'ONG IBUKA. Date et lieu d'interview : 19, 21
et 25 février 2012, Nyanza, Kucikoro et Kigali le 25 février
2012.
· Membres de l'association des veuves du génocide
(AVEGA). Date et lieu d'interview : Kigali, 20 février 2012
· Membre d'une association des femmes à Kigali (par
souci de confidentialité, l'intéressée nous a
demandé de ne pas publier son nom de même que le nom de
l'association). Date et lieu d'interview : Kigali, 19 février 2012.
· Membre d'une ONG locale (l'intéressé a
préféré qu'on garde secret son nom et celui de l'ONG).
Date et lieu d'interview : Kigali, 19 février 2012
· MUGIRANEZA Jean-Paul, Etudiant en Relations
Internationales à l'Université Libre de Kigali (ULK). Date et
lieu d'interview : Mémorial Gigozi, Kigali 20 février 2012
Force armée rwandaise
· Jean-Paul RUHORAHOZA, capitaine de la Force rwandaise de
défense, juriste et ancien rebelle du FPR. Date et lieu d'interview :
Kigali, 21 février 2012
La population rwandaise
· Un ancien prisonnier (refus d'identification). Entretien
à Kigali, 23 février 2012.
· Une victime de viol lors du génocide de 1994.
Entretien à Kigali, 22 février 2012
· Une rescapée du génocide ayant perdue
plusieurs membres de sa famille. Entretien à Kigali, 27 février
2012
· Une rescapée du génocide ayant perdue tous
les membres de sa famille. Entretien à Kigali, 22 février 2012
· Macika Pauline, habitante de la ville de Nyanza.
Entretien à Nyanza, le 25 février 2012
· Un chauffeur de taxi (refus d'identification). Entretien
à Kigali, 25 février 2012.
· Un Rwandais ordinaire (refus d'identification). Entretien
à Kigali, 24 février 2012
ANNEXE II : Guides d'entretien avec diverses
catégories d'acteurs impliqués dans le processus de justice
transitionnel en vue de : recueillir leurs opinions sur les institutions de la
justice transitionnelle au Rwanda.
Guide d'entretien N° 1 : adressé
au personnel du Tribunal Pénal International pour le Rwanda
Bonjour Monsieur/Madame,
Je suis BILAMPASSI MOUTSATSI Claudette Chancelle Marie-Paule,
étudiante en 2ème année de Master en Sciences Sociales et
Relations Internationales, spécialisation Paix et Développement
à l'Université Protestante d'Afrique Centrale à
Yaoundé au Cameroun. Dans le cadre de mon mémoire
académique portant sur La mobilisation de la démarche
judiciaire dans le processus de justice transitionnelle en
sociétés post-conflit : le cas du Rwanda, je réalise
des entretiens portant sur les institutions de la justice transitionnelle au
Rwanda, plus particulièrement, savoir si ces institutions ont
réellement contribué à consolider et à assurer une
paix durable au Rwanda. Je tiens à vous assurer de la
confidentialité de vos réponses. Pour des raisons pratiques et
dans le but de transcrire fidèlement vos propos, je vais prendre des
notes. Les informations recueillies ne seront utilisées que dans le
cadre de cette recherche.
1) De sa création à nos jours, le TPIR a
réussi a jugé combien d'individus ? Quelle est la
différence entre les personnes jugées au TPIR et dans les
juridictions nationales à Kigali, est-ce pas tour pour des crimes de
génocide ? Les planificateurs du génocide ont-ils tous
été arrêtés ?
2) Un rapport de ICG nous a laissé comprendre que pour
la plupart des rwandais, le TPIR est isolé de la société
rwandaise, il est décrit et perçu comme un exemple de la justice
à l'occidentale hautement inefficace, prenant beaucoup de temps,
onéreux et inadapté aux coutumes locales, qu'en dites-vous ?
3) Un grand fossé sépare le TPIR de la
société rwandaise, est-ce à dire que le Centre de
documentation et d'information du TPIR mis en place en 2000 à Kigali
sert désormais à rapprocher le TPIR de la société
rwandaise ? Le TPIR a-t-il vraiment renforcé sa coopération
judiciaire avec le Rwanda ?
4) Selon une étude de Human Rights Watch, le FPR est
soupçonné du massacre de 25 000 à 45 000 civils au cours
de trois mois en 1994, ces meurtres n'ont jamais été
traités, qu'en dites-vous ?
5) Les victimes hutues de la tragédie rwandaise n'ont
vraiment pas encore eu de justice ni devant l'institution internationale, ni
devant les instances locales, pensez-vous donc que les expériences de la
justice transitionnelle contribuent réellement au renforcement des
droits de l'homme, à la promotion de la réconciliation ?
6) Qu'en est-il donc exactement des poursuites contre le FPR
pour les crimes de guerre ou crimes contre l'humanité commis lors de son
avancée à Kigali en 1994 ?
7) En 2000, l'ancien greffier du TPIR avait lancé un
programme d'assistance aux témoins et victimes du génocide, ce
programme a-t-il réussi ?
Je vous remercie d'avoir pris le temps de me répondre et
pour les informations que vous avez pu me fournir.
Guide d'entretien N° 2 : adressé
à Monsieur AHISHAKIYE Naphtal, Coordinateur du Département de
Mémoire et de Documentation au sein de l'ONG IBUKA (Souviens-toi)
Bonjour Monsieur,
Je suis Mlle BILAMPASSI MOUTSATSI Claudette Chancelle
Marie-Paule, étudiante en Master II à l'Université
Protestante d'Afrique Centrale (UPAC) à Yaoundé au Cameroun. Dans
le cadre de ma formation, je réalise une enquête sur : la
mobilisation de la démarche judiciaire dans le processus de justice
transitionnelle en sociétés post-conflits : le cas du
Rwanda.
Je vous prie de m'accorder un entretien de quelques minutes tout
en vous assurant la confidentialité de vos réponses.
1) Votre ONG IBUKA a été créée en
1995 par les survivants du génocide, organisation à vocation
nationale et internationale de référence dans la
préservation du mémoire, vous luttez pour les
intérêts des rescapés entre autres, la lutte contre
l'impunité et la promotion de l'esprit de réconciliation,
obtenez-vous des résultats positifs sur ces deux aspects ?
2) Les institutions de la justice transitionnelle ont-elles
examiné avec une attention particulière les questions relatives
aux violations des droits humains ? Ces institutions ont-elles restauré
la dignité humaine des victimes ?
3) Pensez-vous que les institutions de la justice
transitionnelles ont-elles réellement contribué à
consolider et à assurer une paix durable au Rwanda ?
4) Selon vous, depuis leur création qui du TPIR ou de
Gacaca a plus contribué à lutter contre
l'impunité et à réconcilier les Rwanda ? Des deux,
laquelle est plus efficace aux yeux de la population rwandaise ?
5) Les rescapés sont-ils satisfaits du fonctionnement des
institutions de la justice transitionnelle ?
6) Y a-t-il eu des condamnés à mort ?
7) Comment les Hutu perçoivent-ils ces institutions ?
8) Quels sont les limites et les faiblesses de ces institutions
?
9) Quel avenir pour la justice transitionnelle ?
Je tiens à vous remercier d'avoir accepté de
partager avec moi votre point de vue sur les institutions de la justice
transitionnelle au Rwanda.
Guide d'entretien N° 3 : adressé
à une juge Gacaca Bonjour Mme,
Je m'appelle BILAMPASSI MOUTSATSI Claudette Chancelle
Marie-Paule, je suis étudiante en Master II en Sciences Sociales et
Relations Internationales, option Paix et Développement. Dans le cadre
de mes recherches pour la rédaction de mon mémoire, je
désire m'entretenir avec vous sur une série de questions sur les
institutions de la justice transitionnelle au Rwanda. Aussi, je tiens à
vous assurer que les informations dont vous souhaiterez garder l'anonymat,
resteront confidentielles.
1) Les Gacaca sont des véritables juridictions
pénales à caractère rétributive, quel type de crime
juge-t-on là-bas ?
2) Quelle différence existe-t-il entre les
Gacaca et le TPIR ?
3) Quels sont les avantages et les limites des Gacaca
?
4) Environ combien de tribunaux Gacaca ont
été mis en place sur l'étendue du territoire ?
5) Comment les Hutu jugent-ils les Hutu ? Quel genre de justice
? Parviens-t-on à juger son parent ?
6) Les juridictions Gacaca sont-elles vraiment un outil
de résolution des conflits ?
7) Les Juridictions Gacaca ont-elles atteints leurs
objectifs de justice et de réconciliation ? Je vous remercie de m'avoir
consacré un peu de votre temps pour m'accorder cet entretien. Soyez
remercié.
Guide d'entretien N° 4 : question
posée à la population rwandaise Bonjour Madame/Monsieur,
Je suis BILAMPASSI MOUTSATSI Claudette Chancelle Marie-Paule,
de nationalité congolaise (Congo-Brazzaville), je viens du Cameroun.
Dans le cadre de mon Mémoire de Master II portant sur La
mobilisation de la démarche judiciaire dans le processus de justice
transitionnelle en sociétés post-conflit : le cas du Rwanda,
j'ai une série des questions à vos posées. Les
différentes questions auxquelles vous serez appelés à
répondre ont uniquement un but académique et je vous assure la
confidentialité de vos réponses.
1) Selon-vous, les Gacaca et le TPIR ont-ils
répondu à toutes les attentes ? Ces deux institutions sont elles
un outil de division ou d'unification ?
2) Les Gacaca sont-elles un instrument de pacification
? Les Gacaca sont elles un vecteur de justice et de
réconciliation pour la population rwandaise ?
3) Le TPIR a-t-il mis en place des programmes de
réparation ou cela s'est limité à la compétence des
Juridictions Gacaca ?
4) Le TPIR a-t-il apaisé les coeurs dans la lutte contre
l'impunité ?
5) Le TPIR est-il impartial ? Indépendant ?
6) Les institutions de la justice transitionnelle ont-elles
réellement contribué à consolider et à assurer une
paix durable au Rwanda ?
Je vous remercie d'avoir partagé avec moi votre point de
vue sur les institutions de la justice transitionnelle au Rwanda.
.
ANNEXE III : CARTE DU RWANDA272
Données géographiques
Superficie du Rwanda: 26.338 km2.
Pays frontaliers: Burundi, République démocratique
du Congo, Tanzanie et Ouganda. Pas de littoral.
Population du Rwanda: 11 millions d'hab. Densité
(habitants par km2): 419
Altitudes extrêmes
Point le plus bas: la rivière Ruzizi à 950 m. Point
le plus haut: le Mont Karisimbi à 4.519 m. Plus long cours d'eau:
Nyabarongo.
272 Nous avons extrait cette carte géographique ainsi que
les données du site :
http://www.afriqueplanete.com/rwanda/carte
rwanda.htm
ANNEXE IV : photos et illustrations
Ces images ont été prises par BBC, le 14 avril
2007. Source :
http://www.pri.org/theworld/files/images/defendant.jpg&imgrefurl
(consulté le 1er juillet 2012).
Les membres d'un tribunal traditionnel Gacaca sur la
colline de Rwimbogo, district Kanombe, fin juillet 2005.
Aimable Twahirwa (c) Panapress/Maxppp
Cette image est la couverture de l'ouvrage de Phil Clarck
intitulé The Gacaca Courts, Post-Genocide, Justice and
Reconciliation in Rwanda : Justice without Lawyers, London : Cambridge
University Press, 2010.
Voici un modèle de carte d'identité ethnique
portant la mention ethnique. Elle était devenue un des signes
symboliques les plus forts associés à la désignation des
victimes du génocide. Autrement dit, les cartes d'identité
constituèrent l'un des principaux instruments du génocide de 1994
dans la mesure où le terme `hutu', `tutsi' ou `twa' y était
porté ; une simple vérification des cartes d'identité
permettait de connaitre l'appartenance ethnique de la personne
contrôlée en vue éventuellement de l'éliminer. Nous
avons téléchargé cette carte sur le moteur de recherche
www.google.fr
|
La milice Interahamwe. Nous avons pris cette image au
mémorial du génocide Gigozi à Kigali au Rwanda en
février 2012
|
Fresque du mémorial (Gigozi) de Kigali montrant la
passivité de l'ONU face au génocide de 1994 : message de Kofi
Annan.
Images prises en février 2012 lors de notre
séjour de terrain au Rwanda
Centre d'Information et de documentation du TPIR. Images prises
en février 2012 lors de notre séjour de terrain au Rwanda
TABLE DE MATIERE
DEDICACE iREMERCIEMENTS iiSOMMAIRE iv
RESUME v
ABSTRACT viABBREVIATIONS, ACCRONYMES ET SIGLES
viiINTRODUCTION 1
I. Importance et intérêt du sujet 3
II. Limitation du sujet ou champ d'analyse 6
III. Revue de la littérature (Etat de la question) 7
IV. Question de recherche 14
V. Hypothèses 15
VI. Aspects méthodologiques 15
VII. Définition ou discussion théorique autour des
concepts clés 20
VIII. Organisation du travail 22
PREMIERE PARTIE : LE DEPLOIEMENT DE L'INSTITUTION
JUDICIAIRE DANS LE CONTEXTE POST-GENOCIDE AU RWANDA 23
CHAPITRE PREMIER : LA DEMARCHE JUDICIAIRE DANS LE
PROCESSUS DE JUSTICE
TRANSITIONNELLE AU PLAN NATIONAL 25
SECTION I : DU GENOCIDE A LA MISE EN PLACE DES
INSTITUTIONS DE LA
JUSTICE TRANSITIONNELLE AU RWANDA 26
Paragraphe I : Des divisions ethniques aux
massacres multiples 26
A. La colonisation et le principe de « diviser pour mieux
régner » 27
B. L'ethnicité, définition de l'existence au
Rwanda 28
Paragraphe II : Des massacres multiples au
génocide de 1994 33
A. La montée de l'extrémisme 34
B. Les violations du droit international humanitaire et des
droits de l'homme 35 SECTION II : LA JUSTICE
TRANSITIONNELLE A TRAVERS LE RECOURS AUX
JURIDICTIONS NATIONALES 38
Paragraphe I : Le système judiciaire
38
A. Le système juridique classique : la justice
pénale rwandaise 39
B. La paralysie des juridictions classiques 41
Paragraphe II : Le système pénitentiaire rwandais
après le génocide 42
A. Etat des lieux et détenus accusés d'avoir
participé au génocide 42
B. Une surpopulation pénitentiaire 43
Paragraphe III: L'insertion des Gacaca
dans le système judiciaire 46
A. Vue d'ensemble des Juridictions Gacaca 47
B. Les perceptions des Juridictions Gacaca dans la
société rwandaise 52
C. Les principes de vérité, de pardon et de
réconciliation 55
CHAPITRE DEUXIEME : LA MOBILISATION DE LA
DEMARCHE JUDICIAIRE INTERNATIONALE : LE TRIBUNAL PENAL INTERNATIONAL POUR LE
RWANDA 58
SECTION I : LA JUSTICE TRANSITIONNELLE AU RWANDA A
TRAVERS LE
RECOURS A LA JUSTICE INTERNATIONALE 59
Paragraphe I : Le Tribunal Pénal
International pour le Rwanda : reconnaissance du génocide
de 1994 et justice rétributive 59
A. Le tribunal ad hoc et la reconnaissance du
génocide de 1994 60
B. Le Tribunal Pénal International pour le Rwanda et la
justice rétributive 68
Paragraphe II : Le Tribunal Pénal
International pour le Rwanda et les poursuites pénales 70
A. Le TPIR et la neutralisation politique du `Hutu Power' 70
B. Des procès pour l'exemple : un message contre
l'impunité 71 SECTION II : LE TRIBUNAL PENAL
INTERNATIONAL POUR LE RWANDA ET LA
VERITE JUDICIAIRE 73
Paragraphe I : Le Tribunal Pénal
International pour le Rwanda et les crimes du FPR 74
A. L'obligation d'établir la vérité sur les
crimes du FPR 74
B. Le TPIR : l'obligation de juger et de sanctionner les membres
du FPR 75
Paragraphe II : Le TPIR et la connaissance de
l'histoire du génocide 76
A. L'existence de planification sans planificateur du
génocide contre les Tutsi 76
B. Le TPIR : vérité judiciaire versus
vérité historique 78
DEUXIEME PARTIE : BILAN MITIGE DE LA DEMARCHE JUDICIAIRE
DANS LE
PROCESSUS DE JUSTICE TRANSITIONNELLE AU RWANDA
80 CHAPITRE TROISIEME : LA DEMARCHE JUDICIAIRE DANS
LE PROCESSUS DE JUSTICE TRANSITIONNELLE : UNE CONTRIBUTION SIGNIFICATIVE A LA
CONSOLIDATION DE LA PAIX ET AU DEVELOPPEMENT 82
SECTION I : L'MPACT POSITIF DE LA JUSTICE
TRANSITIONNELLE SUR LE
RWANDA : ETAT DE DROIT ET RECONCILIATION NATIONALE 83
Paragraphe I : Le droit aux garanties de
non-répétition à travers le respect de l'Etat de droit
83
A. Justice transitionnelle : soutien au rétablissement de
l'Etat de droit 83
B. Justice transitionnelle : soutien au renforcement de l'Etat
de droit 84
Paragraphe II : Réconciliation nationale
et justice transitionnelle. 85
A. Le retour des réfugiés : facteur de
réconciliation 85
B. La justice pour les crimes de génocide : facteur de
réconciliation 86 SECTION II : LES EFFETS BENEFIQUES
DE LA JUSTICE TRANSITIONNELLE AU RWANDA : PROMOTION DE LA GOUVERNANCE INCLUSIVE
ET REFORMES
INSTITUTIONNELLES 87
Paragraphe I : La promotion de la gouvernance
inclusive 87
A. Les droits des femmes et les droits des enfants 89
B. La Politique de bonne gouvernance : lutte contre la
corruption 90 Paragraphe II : Les réformes
institutionnelles au coeur de la réforme du système de
sécurité :
garanties de non répétition 93
A. La réforme de l'armée 96
B. La réforme de la police 97 SECTION III :
UNE CONTRIBUTION SIGNIFICATIVE DE LA JUSTICE
TRANSITIONNELLE AU DEVELOPPEMENT 98
Paragraphe I : Le Rwanda et les Objectifs du
Millénaire pour le Développement 98
A. Des progrès accomplis en matière des OMD au
Rwanda 99
B. Développement durable : Politique nationale de
sauvegarde et de promotion de
l'environnement au Rwanda 101
Paragraphe II : Le Rwanda : un pays en plein
essor 103
A. Un gouvernement engagé à faciliter les affaires
103
B. Le Rwanda : un partenariat pour le développement
104
CHAPITRE QUATRIEME : LA DEMARCHE JUDICIAIRE DANS
LE PROCESSUS DE JUSTICE TRANSITIONNELLE : UNE CONTRIBUTION INSUFISANTE A LA
DYNAMIQUE DE RETOUR A LA PAIX 106
SECTION I : LES OBSTACLES QUI ENTRAVENT LA BONNE
REALISATION DE LA
JUSTICE TRANSITIONNELLE AU RWANDA 107
Paragraphe I : Les limites des Juridictions
Gacaca 107
A. Gacaca et les éléments qui
compromettent le retour à la paix 108
B. Gacaca : outil qui divise au lieu d'unir 109
Paragraphe II : L'impact minimal du Tribunal
Pénal International pour le Rwanda 112
A. Le TPIR un tribunal isolé de la société
rwandaise 112
B. Le TPIR et l'oubli des victimes 114
C. Le TPIR : manque de crédibilité 116
Paragraphe III : L'effacement des preuves du
génocide de 1994 117
A. Les responsables des massacres, les lieux ou les Tutsi ont
été tués et le patrimoine pillé 118
B. Les violences sexuelles, la collaboration des prisonniers et
la corruption 119
SECTION II : LE NEGATIONNISME ET LA THEORIE DU
DOUBLE GENOCIDE 120
Paragraphe I : La dissimulation, le
détournement ou la destruction d'informations corroborant
l'existence du génocide 120
A. Le négationnisme et le crime de génocide 120
B. Le génocide commis en 1994 à l'égard des
Tutsi au Rwanda : un fait incontestable 122
Paragraphe II : La théorie du double
génocide 122
A. Une manipulation savamment entretenue 123
B. Occulter le génocide commis à l'égard
des Tutsi 124
SECTION III : LES LECONS TIREES, LES DEFIS ET
LES RECOMMANDATIONS 125
Paragraphe I : Appropriation nationale des
Juridictions Gacaca 125
A. Les leçons tirées : 125
B. Les Défis 125
C. Les Recommandations sur l'appropriation nationale des
Gacaca 125
Paragraphe II : Recommandations
générales sur la justice transitionnelle au Rwanda 126
A. Recommandations spécifiques sur les Juridictions
Gacaca 126
B. Recommandations spécifiques sur Le TPIR 128
CONCLUSION 130
BIBLIOGRAPHIE 142
GLOSSAIRE 149
ANNEXES ix
TABLE DE MATIERE xxii
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