Quelle gouvernance des risques majeurs pour une meilleure résilience des territoires?( Télécharger le fichier original )par Léo MASSEY Institut catholique de Paris - Master 2 métiers du politique et de la gouvernance 2012 |
1-1-3 Les crises Çhors-cadresÈPour ouvrir la réßexion sur la gestion des crises Çhors-cadres> nous nous servirons d'une introduction rédigée par Patrick Lagadec à l'occasion d'un retour d'expérience sur les conséquences de l'ouragan KATRINA de 2005 25 : ÇLa conjugaison de diverses évolutions (changements climatiques ; complexité technologique croissante ; interdépendance économique ; systèmes de flux tendus ; vulnérabilités asymétriques, etc.) fait aujourd'hui émerger un nouvel univers stratégique. Nous sommes désormais confrontés à des crises Çhors-cadresÈ qui n'entrent plus dans nos hypothèses de travail, nos logiques de réponse, nos scripts opérationnels traditionnels. Plus préoccupant, alors que ces crises n'étaient hier que des phénomènes exceptionnels, marginaux, et sans effet déterminant sur nos dynamiques essentielles, elles tendent aujourd'hui à affecter et déstabiliser le centre de nos systèmes. Ces épisodes ÇimpensablesÈ empruntent de plus en plus aux logiques chaotiques et laissent désemparés les meilleurs ÇhorlogersÈ qui opéraient à merveille dans les environnements stables et mesurés, caractéristiques d'un passé encore récent.> 1-1-3-1 Les effets dominos et l'auto-organisation critiqueComme la citation de Lagadec le souligne, il est aujourd'hui nécessaire de faire évoluer nos conceptions mentales pour pouvoir nous préparer à des évènements catastrophiques Çimpensables>. Ces évènements, qualifiés de crises Çhors-cadres>, s'avèrent de plus en plus fréquents. L'accident nucléaire de la centrale de Fukushima DaiiChi de mars 2011, constitue un représentant emblématique de ces désastres. La séquence séisme-tsunamis-accident nucléaire est révélatrice de la funeste rencontre entre une intensité exceptionnelle, des aléas naturels et la vulnérabilité d'une industrie à risques majeurs. Ces séquences complexes sont qualifiées
Çd'effets dominos> par certains auteurs. C'est 25 X Guilhou, P Lagadec, E Lagadec, "Les crises hors cadres et les grands réseaux vitaux Ð Katrina. Faits marquants, pistes de réflexionÓ, Mission de retour d'expérience, La Nouvelle Orléans ,13-15 mars 2006. EDF, Direction des Risques Groupe, avril 2006 - URL : http://www.patricklagadec.net/fr/pdf/EDF_Katrina_Rex_Faits_marquants.pdf panique26. Elle y souligne l'importance de cette notion d'effets dominos, en particulier lors des catastrophes urbaines dans lesquelles la dissociation aléa naturel/technologique n'a plus d'utilité. A travers l'exemple de la panique, elle tente de démontrer qu'en analysant les catastrophes au niveau des comportements humains, individuels et collectifs, il est possible de réaliser des modélisations. De par le nombre important de données nécessaires et sa complexité de développement, la modélisation des «effets dominos ne permet pas encore des prévisions et encore moins des prédictions. Nous pouvons cependant espérer qu'elle se développe pour nous fournir des indices supplémentaires sur les conséquences de ses crises «hors-cadres. L'une des conséquences redoutées suite à ce type d'évènements catastrophiques est la panne généralisée des réseaux électriques. Le passé récent nous a prouvé que ces «Black Out peuvent atteindre une ampleur très importante, touchant des centaines de millions de personnes, et paralysant l'ensemble des réseaux de transports. Ce fat le cas le 15 aoit 2003 dans le nord-est des Etats-Unis (New-York compris) et le Canada27, et le 30 juillet 2012 dans le nord de l'Inde28. Ces deux exemples ne trouvent pas leur origine dans une catastrophe, mais il souligne la vulnérabilité de nos sociétés «technico-dépendantes. Pour comprendre les séquences complexes à l'origine de ces « crises-hors cadre, il est utile de présenter la théorie de l'auto-organisation critique pour analyser la vulnérabilité intrinsèque de notre société. Cette théorie est présentée par la géographe Damienne Provitolo dans un article de 200829. La théorie de l'auto-organisation critique nous enseigne que certains systèmes évoluent vers un état critique, sans intervention extérieure et sans paramètre de contrTMle. L'ampliÞcation d'une petite fluctuation interne peut alors mener à un état critique et provoquer une réaction en cha»ne menant à une catastrophe. Cette théorie se base sur deux concepts : l'auto-organisation et la criticalité. L'auto-organisation désigne la capacité des éléments d'un système, à produire et maintenir une structure, sans que cette structure apparaisse au niveau des composantes, et sans qu'elle résulte de l'intervention d'un agent extérieur. Si on applique ce concept à l'étude des sociétés, cela signiÞe qu'il n'y a ni leader, ni centre organisateur, ni programmation au niveau individuel d'un projet global. Ces phénomènes d'autoorganisation s'observent par exemple lors d'applaudissements, de panique collective, d'intention de vote, d'embouteillages aux horaires de pointe, etc. La criticalité caractérise quant à elle
les systèmes qui changent de phase, par exemple le 26 Damienne PROVITOLO, « Un exemple d'effets de dominos : la panique dans les catastrophes urbaines , Cybergeo : European Journal of Geography, Systèmes, Modélisation, Géostatistiques, article 328, 2005 - URL : http:// cybergeo.revues.org/2991?file=1 27 Radio Canada, «La mégapanne de l'été 2003, Archives de Radio Canada, diffuser le14 aoet 2003, 26min URL : http://archives.radio-canada.ca/economie affaires/energie/clips/14225/ 28 LEXPRESS.fr, «Inde: un black-out géant prive 300 millions de personnes d'électricité, le 30 juillet 2012 URL: http:// www.lexpress.fr/actualite/monde/asie/inde-un-black-out-geant-prive-300-millions-de-personnes-d-electricite 1144129.html 29 Damienne Provitolo, «Thoorie de l'auto organisation critiqueÈ, 2008 - URL : http://halshs.archives-ouvertes.fr/docs/ 00/39/15/70/PDF/article_426.pdf organisé > quant l'état du système résulte des interactions dynamiques entres ses composantes et non d'une perturbation externe. Cette théorie de l'auto-organisation critique a par exemple été appliquée par André Dauphiné en 2003 pour l'étude des réseaux urbains30. Pour appréhender l'application de cette théorie, nous prendrons donc l'exemple du système Ç ville > en lui appliquant un scénario Þctif : Une panne du réseau électrique de la ville entra»ne une déÞcience de la signalisation. Quelques carambolages paralysent alors la circulation. Comme la situation perdure, l'un des automobilistes décide de quitter son véhicule. Ce comportement est ensuite mimé, ce qui ampliÞe le Çchaos> et prolonge la paralysie alors même que la signalisation serait rétablie. La théorie de l'auto-organisation critique permet donc, comme pour les effets dominos, de fournir une explication à l'accroissement de la vulnérabilité de la société. Ces axes de recherches récents sont d'autant plus importants pour l'étude des catastrophes et des risques majeurs lorsque l'on prend en considération les risques Ç émergents > 1-1-3-2 Les risques émergents Pour alimenter nos réßexions sur les crises Çhors-cadres>, il est utile d'ouvrir la réßexion sur les risques émergents et les nouvelles menaces. Ces risques englobent l'ensemble des risques dont l'occurrence était encore impossible il y a quelques années. Les menaces terroristes et les maladies infectieuses émergentes en sont les deux représentants les plus emblématiques. Les menaces terroristes majeures. Nous nous intéresserons ici au terrorisme dans la mesure oü celui-ci peut entra»ner des conséquences catastrophiques. Comme le propose le HCFDC dans son Rapport d'activité 201131, il est possible de faire une distinction entre menaces et risques majeurs. En effet, les menaces majeures se distinguent par leur dimension Çmilitaire> lors de laquelle la destruction est volontaire et planiÞée. Cependant, les nouveaux modes d'actions terroristes exploitent de plus en plus la vulnérabilité de nos sociétés, rapprochant ainsi risques et menaces. Les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis constituent l'un des sinistres exemples de ce mode opératoire. Il est ainsi à redouter dans les années à venir, que les actes terroristes s'orientent vers l'attaque d'installations sensibles (réseaux de transports, industries chimiques ou nucléaires) à même de déclencher des séquences du type Çeffet domino> que nous avons présentées précédemment. Cette constatation est d'autant plus vraie que les armes des terroristes se sont étoffées depuis quelques années. 30 Dauphiné A., 2003, Ç Les réseaux urbains : un exemple d'application de la théorie des systèmes auto-organisés critiques >, Annales de Géographie, n° 631, p. 227-242 31 Haut Comité Français pour la Défense Civile, ÇRisques et menaces exceptionnels - Quelle preparation ?È, Rapport d'activité 2011 - URL : https://www.hcfdc.org/securise/pdf/rapport_hcfdc_lq2.pdf Les cyber-menaces utilisant l'informatique deviennent ainsi tout à fait réelle comme le souligne le HCFDC : Ç on ne peut exclure la menace terroriste pesant sur les réseaux d'infrastructures de type SCADA (Supervisory Control And Data Acquisition). Systèmes de télégestion à grande échelle permettant de contrTMler à distance des installations techniques, ils se retrouvent dans différents contextes critiques, comme la surveillance de processus industriels, le transport de produits chimiques, les systèmes municipaux d'approvisionnement en eau, la distribution électrique, ou encore les canalisations de gaz et de pétrole È32. Les attaques NRBC (Nucléaire, Radiologique, Biologique, et Chimique) constitue une autre menace terroriste majeure, bien que Ç moins vraisemblable à court terme, compte tenu de la faible sophistication des individus oeuvrant aujourd'hui dans les groupes terroristes È33. La Çcrise de l'anthraxÈ34 d'automne 2001 est révélatrice de la vulnérabilité de nos sociétés face à l'utilisation d'armes biologiques. Cette crise est analysée en détail par Jacques Massey, dans son ouvrage Ç Bioterrorisme, l'état d'alerte »35 . Lors de cette crise, le problème principal des administrations fUt l'identification du mode de propagation de la contamination. Le vecteur des lettres contaminées était en fait les centres de tris postaux. Le(s) terroriste(s) a (ont) ainsi fait une utilisation ÇingénieuseÈ du système de distribution du courrier. Dans son livre, Jacques Massey expose également un scénario catastrophe étudié par les gouvernements. Ce scénario imagine qu'un terroriste kamikaze s'inocule la variole (pour lequel la population n'est plus vaccinée) et qu'il se rende dans un aéroport international. Nous imaginerons ainsi aisément qu'en plus des conséquences physiques d'une telle attaque, il est à redouter le développement d'un sentiment très fort de peur, pouvant être à l'origine d'une panique généralisée. Ces derniers scénarios nous renvoient à un autre risque émergent : les maladies infectieuses émergentes et les nouveaux risques sanitaires. Maladies infectieuses émergentes et nouveaux risques sanitaires Pour présenter les maladies infectieuses émergentes, nous nous appuierons sur un rapport36 récent de la sénatrice Fabienne Keller. Dans ce rapport, la sénatrice illustre plusieurs tendances, pour les années à venir, propices à l'émergence de nouvelles maladies infectieuses. La première concerne l'accroissement de la population
mondiale qui dépasse les 6,5 32 Page 16 du rapport 2011 du HCFDC 33 Page 15 du rapport 2011 du HCFDC 34 Au Etat-Unis, en octobre et novembre 2001, plusieurs dizaines de personnes (dont des personnels du Sénat) reçoivent des lettres contaminées au bacille du charbon, une bactérie très volatile et potentiellement mortelle 35 Jacques Massey, ÇBioterrorisme, l'état d'alerteÈ, l'Archipel, 2003, 357p, p19-66 36 Fabienne Keller, Ç Les nouvelles menaces des maladies infectieuses émergentes È, Synthèse du rapport n°638 du Sénat, juillet 2012 - URL : http://www.fabiennekeller.fr/wp-content/uploads/2012/07/Quatre-pages-maladiesinfectieuses-%C3%A9mergentes-final-5-juillet-2012-1.pdf est relative à la mondialisation des échanges qui contribue à la diffusion des vecteurs de maladies et à la propagation d'épidémies, via le commerce maritime ou les trafics de denrées alimentaires. Une autre tendance correspond à la progression du transport aérien qui accélère les mouvements de personnes dans des zones à risques et fragilise les populations Ç naïves È (touristes et hommes d'affaires par exemple). Enfin, la dernière tendance que nous citerons est la résultante du changement climatique qui favorise la multiplication de certains vecteurs (moustiques et autres insectes) à l'origine de l'apparition de nouvelles maladies dans nos régions tempérées (lyme, dengue, chikungunyaÉ). Comme pour les menaces terroristes, ces pandémies37 profitent de la vulnérabilité induite par la mondialisation. Cette nouvelle vulnérabilité est le résultat de la combinaison de l'apparition des grands réseaux mondiaux (caractérisés par une accélération des échanges), et de l'ignorance des populations pour ces nouveaux risques. Nous retrouvons ainsi la notion d'hyper complexité des Ç crises hors-cardesÈ introduite par Lagadec. Résumons-nous Nous avons montré que nos sociétés sont désormais soumises à des crises Ç horscadresÈ qui s'appuient sur la vulnérabilité de nos systèmes. Des recherches récentes sur les effets dominos et l'auto-organisation critique tentent ainsi d'apporter de nouveaux éléments de compréhension à ces crises Ç hors-cadresÈ. Les risques émergents que représentent la menace terroriste et les maladies infectieuses constituent des indices supplémentaires du développement de la vulnérabilité de nos sociétés. Au travers de la présentation successive que nous avons faite des paradigmes des risques majeurs, du triptyque aléas - enjeux - vulnérabilité, et des crises Çhors cadreÈ, nous avons tenté de démontrer que l'action publique doit évoluer vers une nouvelle conception. Cette conception se traduit aujourd'hui par l'adoption d'un nouveau concept : la résilience des territoires. 37 Définition de pandémie par http://www.larousse.fr : Ç Epidémie étendue à toute la population d'un continent, voire au monde entier. È |
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