Christiania : micro-société subversive ou "hippieland" ?( Télécharger le fichier original )par Félix Rainaud Université de Poitiers - Master 1 Sociologie 2012 |
3.4.2 Christiania dans les médiasSe rendre visible, se faire voir par les médias, accéder à l'espace public est souvent un enjeu important pour un mouvement social (pas toujours, dans la mesure où certains rejettent la présence des médias de masse, affiliés et complices de l'idéologie capitaliste et de la classe dominante et préférant le recours à un « journalisme DIY » : blogs, Indymedia, etc...). C'est le cas de Christiania où l'accès et la diffusion médiatique ont été un outil très utilisé par les Christianites. Cependant la « médiatisation » entraîne avec elle un certain nombre de contraintes et d'écueils à éviter pour le mouvement social. Ainsi, la parole publique doit être contrôlée de sorte que la mobilisation parle d'une seule voix, et celle-ci doit être « vulgarisée » si l'on veut que le discours soit facilement repris par les médias. La logique de la « spectacularisation » d'une mobilisation a souvent été très maitrisée par les Christianites qui ont ainsi bénéficié d'un outil de promotion indéniable, quitte à diluer le message politique. Dans le processus de promotion de Christiania, mis en place par les Christianites eux-mêmes afin de se défendre, le rôle et l'importance des médias de masse, nationaux et encore plus le médias internationaux, fut et demeure donc très importante. Les médias ont été l'une des meilleures armes des Christianites dans leur combat politique avec les autorités. Si les médias ont parfois été très critiques envers Christiania (en particulier lors des premières années), ils ont en règle général et au fil des années adopté une attitude plutôt « bienveillante » à l'égard de Christiania (cf. l'article du quotidien danois Politiken et repris dans Courrier International n°705). L'image d'espace stigmatisé associé à la violence, à la drogue, et soumis au règne des gangs, etc... s'est progressivement transformée en une image d'espace calme et pacifique, expérimental et créatif tout en associant à Christiania un caractère relativement folklorique. Par exemple, Maria Hellström Reimer raconte l'histoire du film-documentaire de 46 minutes, « Journal du freetown » (`Dagbog fra en fristad'), qui fut diffusé à la télévision nationale le 1er avril 1976, alors que le gouvernement venait de planifier le « nettoyage » de Christiania qui devait intervenir trois mois plus tard. « Ce documentaire du réalisateur danois Poul Martinsen a suivi une famille danoise « typique », la famille Hansen d'une banlieue située entre Copenhague et Roskilde : Hedehusene, dans leur visite à Christiania. Eli Hansen est un ouvrier du bâtiment au chômage qui a la quarantaine ; Lise Hansen est une aide à domicile qui approche la quarantaine ; et leurs deux fils, Morten, onze ans, et Jesper, seize ans. Ils ont accepté de passer une semaine dans le Freetown, et le documentaire propose ainsi une perspective `insider/outsider' de Christiania. Alors que la famille estimait à l'origine que la communauté devait être fermée, à la fin de la semaine, Monsieur et Madame Hansen et leurs fils avaient changé d'opinion. En ayant partagé le quotidien des Christianites, la famille s'est rapprochée du point de vue que Christiania, en tant qu'alternative, devait subsister. En retransmettant ce changement d'attitude, le séjour télévisé de la famille Hansen a peut-être fait comprendre au gouvernement que le « nettoyage » était politiquement impossible, et seulement deux jours avant la fermeture programmée, le gouvernement lança l'idée d'un `atterrissage en douceur' changea la demande de fermeture immédiate pour une fermeture `sans délai urgent' » (HELLSTRÖM REIMER : 132). Les médias internationaux quant à eux ont en général offert une image plus que flatteuse de Christiania et en ont fait ouvertement la promotion en décrivant Christiania comme un endroit extraordinaire, à ne manquer sous aucun prétexte si l'on visite Copenhague (cf. à titre d'exemple l'article publié dans le Guardian du 30/09/2011, p.3, ou encore l'article du monde « A Copenhague, les touristes aiment s'aventurer dans le quartier de Christiania » du 12/10/2007). En partie du fait de sa médiatisation et de sa mise en scène spectaculaire, Christiania a progressivement été dépossédé de son message politique : à savoir, la critique des insuffisances du modèle social-démocrate. En d'autres termes et pour conclure sur ce point, cette citation du sociologue britannique spécialiste des `cultural studies' Dick Hebdige me semble particulièrement pertinente et tout à fait transposable à Christiania21(*) : « comme le signale Stuart Hall (1977)22(*), la télévision et la presse ne se contentent pas d'enregistrer les résistances culturelles, « elles les réinscrivent dans la configuration de sens dominante ». Les jeunes qui choisissent de participer à une sous-culture spectaculaire sont simultanément « retournés » à travers leur exposition dans les médias et renvoyés à la place que leur confère le sens commun, à savoir celle de « bêtes sauvages », sans aucun doute, mais aussi de « braves fils de famille », de « pauvres chômeurs » et de « jeunes gens à la mode ». C'est par le biais de ce processus constant de récupération que l'ordre subverti est restauré et que les sous-cultures sont intégrées en tant que spectacle distrayant au sein de la mythologie dominante dont elles émanent en partie : « démon familier » (folk devil), figure apprivoisée de l'Autre et de l'Ennemi » (HEBDIGE, 2008 : 98). * 21 Le sujet de l'ouvrage de Dick Hebdige est le mouvement punk au Royaume-Uni. * 22 HALL S., « Culture, the Media and the «Ideological Effect» », in J. CURRAN et al. (dir.), Mass Communication and Society, Arnold, Londres, 1977. |
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