. Contexte et problématique
Le Burkina, à l'instar des autres pays
anciennement membres de l'Afrique occidentale française (AOF), a
hérité du colonisateur d'un certain nombre d'aires
protégées1 au lendemain des indépendances. Ces
aires occupent environ 16 458 km2, soit 6 % du territoire national
(ZAMPALIGRE, 1998). Elles se localisent en grande partie dans la région
administrative est2 du pays. A l'échelle provinciale, la
Tapoa, située à l'extrême est de cette région,
abrite 7 240 km2 d'aires protégées. Le Parc national
du W, avec une superficie de 2 349 km2, constitue la plus grande
aire protégée du pays et se situe dans cette province (DRECV,
2007).
Au cours de ces dernières années,
beaucoup d'études et de projets se sont intéressés
à la problématique des aires protégées. Cela
traduit l'intérêt que les Etats et leurs partenaires
(Organisations internationales), ainsi que les collectivités locales
accordent à cette question. Les objectifs assignés aux aires
protégées sont nombreux, et se trouvent récapitulés
dans une typologie effectuée par l'Union internationale pour la
conservation de la nature (UICN) (UICN, 1994). De cette catégorisation,
il ressort que la conservation et la gestion durable de la biodiversité
au profit des générations futures sont primordiales pour les
acteurs que sont les Etats et les organismes internationaux. Ceci est traduit
expressément dans le Code forestier du Burkina, qui stipule à son
article 85 que : « un parc national est une partie du territoire national
classée au nom de l'Etat en vue de la conservation de la flore, de la
faune, des eaux, des sols, des paysages ou des formations géologiques
ayant une valeur scientifique ou esthétique ». Cependant,
l'atteinte de ces objectifs n'est pas si aisée ; en témoigne les
agressions anthropiques (agriculture, élevage et braconnage) dont sont
victimes les aires protégées de l'est. En effet, un rapport de
2007 de la Direction régionale de l'environnement et du cadre de vie
(DRECV) de l'est montre que la durabilité des aires de la région
est menacée par l'occupation illégale des aires fauniques par le
bétail, les méthodes d'exploitation agricole (extensives,
consommatrices d'espaces et utilisatrices de produits comme les
1Selon l'article 77 de loi n0 006/ 97/
ADP portant code forestier au Burkina, il s'agit essentiellement, des (a) parcs
nationaux, (b) réserves totales ou partielles de faune, (c)
réserves de biosphère, (d) sanctuaires, (e) ranchs, (f) Zone
villageoise d'intérêt cynégétique (ZOVIC), (g)
refuges locaux.
2 Constituée par les provinces de la Gnagna,
du Gourma, de la Komandjoari, de la Kompienga, et de la Tapoa.
insecticides ou pesticides nuisibles à la
faune), le braconnage entre Etat et le braconnage intérieur qui est
perçu par les populations locales comme un acte de survie (UICN, 2004).
Ces agressions peuvent s'expliquer par le caractère
descendant3 des textes régissant l'exploitation des aires
protégées (DRECV, 2007), la méconnaissance de ces textes
(SAWADOGO, 2004), l'accroissement des populations riveraines
généralement pauvres (SOMDA et al.,
2005), l'essor de la culture cotonnière (GUIBERT et PRUDENT, 2005), etc.
Pour faire l'économie de tous ces déterminants, on dira que les
politiques de gestion des aires protégées ne prennent pas
suffisamment en compte les réalités socio-économiques des
populations locales.
Au Burkina, plus de 79.7 % de la population sont des
ruraux (INSD, 2006) et sont principalement occupés par les
activités socio-économiques primaires que sont l'agriculture et
l'élevage. Ces activités y sont conduites
généralement selon un système extensif, consommateur
d'espace et peu productif, si bien que, les populations rurales et plus
particulièrement celles de la Tapoa, sont confrontées à la
pauvreté. Par conséquent, les populations de la zone
périphérique du Parc W ont généralement recours
à la forêt, pour subvenir à leurs besoins. En
réalité, « les forêts et les parties communes
constituent une réserve disponible pour les plus démunis chaque
année pendant les périodes de soudure, disette ou famine.
Cueillir des fruits, des feuilles, ramasser des cailloux, du sable, ou
collecter du bois sec pour aller en vendre quelques morceaux, est une
possibilité qui reste aux plus démunis » (PRONAGEN, 2001).
OUEDRAOGO (2003) estime, par exemple, la part des produits forestiers non
ligneux autoconsommés par les populations locales de Pampali à 96
% des récoltes effectuées essentiellement dans le Parc W et dans
la concession de chasse de Tapoa-djerma.
Par ailleurs, l'augmentation des densités de
populations sous l'effet combiné du taux élevé de
natalité et des migrations engendre une demande accrue en terres
cultivables (UICN, 2004).
Dans un tel contexte de dépendance et de
croissance du besoin en terre, il apparaît évident qu'une
politique de création d'aires protégées - donc de
réduction du principal facteur de production des populations locales -
qui ne prend pas suffisamment en compte les facteurs socio-économiques
et culturels des riverains, serait incapable
3 Elaboration et adoption des textes par le
gouvernement.
d'assurer une gestion durable des ressources
naturelles. Cette gestion durable pourrait toutefois être assurée,
si les populations riveraines tiraient profit des aires protégées
sans pour autant constituer une menace vis-à-vis de la
biodiversité.
L'histoire de la gestion des aires
protégées au Burkina a connu plusieurs périodes,
marquées par une capitalisation d'expériences. Ainsi, le pays est
passé, de la période coloniale à nos jours, d'une gestion
répressive et barbare à une gestion participative basée
sur le développement socio-économique des populations locales
(ZAMPALIGRE, 1998). Cette dernière est traduite expressément dans
le Code forestier du Burkina. Ainsi, elle garantit la préservation du
milieu naturel au profit des générations futures, tout en
assurant la satisfaction des besoins socio-économiques et culturels des
générations présentes. La mise en application du Code
forestier a amené les décideurs à mettre en place des
outils d'atténuation des effets pervers des aires
protégées sur les riverains4. Nonobstant ces efforts
fournis, la durabilité des aires protégées reste
menacée (DRECV, 2007).
Comme toute activité humaine, la
réussite du processus de conservation par le biais des aires
protégées est conditionnée par sa rentabilité
socio-économique au profit des différents acteurs et plus
particulièrement au profit des populations locales. C'est dans ce sens
que s'inscrit la présente étude intitulée analyse
socio-économique des interrelations entre aires protégées
et populations locales : cas du Parc W/Burkina Faso et du terroir riverain de
Kotchari. Financée par le programme CORUS, ce travail constitue l'un des
objectifs spécifiques d'un projet de recherche intitulé gestion
des activités d'élevage et des feux de végétation
et conservation de la biodiversité au Burkina Faso. L'objectif de ce
projet est d'évaluer la possibilité et les limites de
l'utilisation de l'activité pastorale comme moyen de gestion des aires
protégées en accordant une importance particulière
à la gestion conjointe des feux de végétation.
Ainsi, l'intérêt de la prise en compte
des considérations socio-économiques dans le succès de la
conservation n'est plus à démontrer. Il apparaît par
exemple clair que si les populations riveraines n'ont pas la même
perception des aires protégées que les conservateurs de la
biodiversité, tout effort de protection des ressources naturelles serait
voué à l'échec. En d'autres termes, si les aires
protégées sont perçues par les
4 Cf. généralités
populations riveraines comme des contraintes au
développement des activités de production agro-sylvo-pastorales,
ces dernières seront moins enclines à entreprendre des actions
favorables à la conservation de la biodiversité.
Quelques recherches ont tenté d'analyser les
perceptions des populations sur le Parc W. Ainsi, une première tentative
a été faite par l'UICN au cours d'une mission en 1997. Le rapport
de la même mission effectuée dans le village de Kondjo5
note une perception négative du Parc W et de la zone de chasse de la
même localité par la population locale. Cette perception est due
à la contrainte que représentent ces aires quant à la
satisfaction des besoins de la population en terres cultivables, en gibier ou
en ressources halieutiques.
Ensuite, SAWADOGO (2004) à travers son
étude sur la transhumance et les pratiques pastorales dans le terroir de
Kotchari s'est intéressé à la vision du Parc par les
éleveurs de la zone. Des propos révélateurs comme «
le Parc est une «chose des blancs» » retenus sur le terrain par
l'auteur montre le déphasage entre les perceptions que les
différents acteurs se font du Parc. Le même auteur signale aussi
la méconnaissance des textes relatifs à la gestion des ressources
naturelles (Code Forestier, Code pastoral, RAF.).
Plus récemment, PALM (2005) a consacré
une partie de son étude à la perception du Parc W par les
habitants des villages de Kaabougou et de Toptiagou6. Il ressort de
cette étude que les quartiers les plus éloignés ont une
vision positive du Parc. En revanche, les populations plus proches en ont une
mauvaise perception. Ces résultats suggèrent que les effets et
changements socio-économiques négatifs du Parc seraient fonction
de la distance des communautés par rapport au Parc. Les
communautés les plus proches ressentiraient donc les externalités
négatives7 du Parc avec plus de sévérité
que leurs homologues localisées plus loin. Les communautés les
plus concernées par la
5 Kondjo est une enclave villageoise située
entre le Parc W et la zone de chasse du même nom (on l'appelle aussi zone
de chasse de la Kourtiagou).
6 Kaabougou et Toptiagou sont des localités
également contiguës au Parc W, donc présentant à peu
près les mêmes caractéristiques que notre zone
d'étude.
7 Effets indésirés liés à
l'existence du Par cet pouvant être négatifs ou positifs.
création d'un Parc sont évidement les
riveraines dont les ressources foncières ont été extraites
de leur emprise.
Dans ces tentatives d'élucidation des
relations parc-communautés, une des faiblesses des approches
méthodologiques utilisées est le fait d'avoir
considéré le Parc comme un bien économique
homogène. Ce faisant, la perception négative signifierait en
termes de politique, un déclassement du Parc avec pour
conséquence une dégradation accélérée de ses
ressources. Ce cadre d'analyse a réduit au strict minimum le rôle
ou la fonction du Parc. Dans la réalité, un parc fournit un
ensemble de biens et services de valeurs différentes du point de vue
économique, social et culturel. Le Parc W n'est pas une exception.
Ainsi, il fournit aux communautés riveraines des biens et services dont
le degré de convoitise par les populations est certainement
différent. Ce qui nécessairement influencerait leur perception du
Parc. Il est donc important de prendre en compte l'aspect
systémique8 du Parc en termes de biens et services fournis,
pour une analyse conséquente de la perception des communautés
riveraines sur le Parc.
Pour ce qui est de l'évaluation des impacts du
Parc national du W sur les populations locales, quelques effets et changements
qualitatifs ont été identifiés par certains auteurs au
cours de leurs travaux de recherche (cf. Annexe 6, p XIX).
L'impact d'un projet sur un phénomène
peut être considéré comme la situation nouvelle
résultante de l'ensemble des effets du phénomène
imputables au projet (FPEPETE, 1999). L'évaluation de cet impact
consiste en la matérialisation de la nouvelle situation par le biais
d'indicateurs. L'indicateur est une grandeur qui évalue et simplifie un
phénomène afin d'en faciliter la
compréhension.
Les tentatives d'évaluation d'impact
socio-économique montrent l'existence de plusieurs catégories
d'indicateurs (GIULIANI, 2007). Ainsi, WOODHOUSE et al.
(2000) cité par GIULIANI (2007) distinguent entre autres,
les indicateurs conventionnels (exemple : Pourcentage de la population vivant
en dessous du seuil de pauvreté ; taux de prévalence de la
malnutrition ; etc.) et les indicateurs spécifiques définis selon
le contexte. Ces deux catégories d'indicateurs alternent en avantages et
en
8 Il s'agit de considérer le Parc comme un
assemblage de biens et services qui entretiennent entre eux des relations.
inconvénients. En effet, les premiers ont,
contrairement aux seconds, l'avantage d'êtres connus internationalement
et, par conséquent, peuvent permettre des comparaisons entre des sites
différents, alors que les seconds contrairement aux premiers ont
l'avantage de mieux refléter les réalités propres à
chaque site. Ainsi, NUNAN et al. (2002) affirment que
les indicateurs peuvent être développés en fonction des
buts et objectifs spécifiques en présence. C'est dans ce sens que
le Fonds pour la promotion des études préalables, des
études transversales et des évaluations (FPEPETE)
préconise une construction des indicateurs d'impact au cas par cas
à travers une démarche précise. Cette dernière
consiste à : (a) repérer et inventorier les changements :
résultats et effets, (b) sélectionner les effets produisant des
changements significatifs et durables, (c) établir une grille de lecture
commune pour tous les effets retenus, (d) établir des indicateurs qui
permettront de donner une valeur à chaque élément de la
grille de lecture, et (e) analyser de façon systématique, les
relations entre ces divers éléments et leur importance
relative.
2. Objectifs et hypotheses
2. 1.
Objectifs
Le principal objectif de cette étude est de
faire une analyse socio-économique et institutionnelle de l'impact de
l'existence du Parc national W sur les communautés villageoises du
terroir riverain de Kotchari.
De façon plus spécifique, il s'agit
:
- de connaître la perception que les populations
riveraines se font du Parc W ;
- d'évaluer les impacts socio-économique
et institutionnel imputables à l'existence du Parc.
2.2. Hypotheses
Les objectifs spécifiques énoncés,
conduisent à la formulation des hypothèses suivantes
:
- le Parc constituerait pour les populations locales une
contrainte pour la réalisation de leurs activités de production
;
- l'existence du Parc provoquerait des changements
socio-économiques et institutionnels au sein des
populations.