Les limites de la démocratisation
Dans cette partie, je commencerai par présenter les
familles homoparentales, nos rencontres et nos modes d'échange pour
ensuite entrer au coeur des récits et comprendre à travers des
discours exclusivement féminins (dans cette partie, je n'ai pas
rencontré d'hommes), comment, dans le récit, sont définies
les places des hommes et des femmes d'une part, et les places de deux femmes en
couple autour d'un même enfant, d'autre part.
1 Présentation des familles et du mode de
rencontre
J'ai rencontré quatre femmes : Vanessa, Eva, Martine et
Lisa (Eva et Martine sont en couple). Au-delà de leurs
présentations, je m'efforcerai à chaque fois de présenter
au mieux le contexte de notre échange, c'est-à-dire son
déroulement, son lieu et ce que cela implique. Je serai également
attentive à la perception qu'elles ont pu avoir de moi, enquêtrice
qui les écoutait et allait transcrire leurs propos dans un
mémoire de recherche. La prise en compte de la pensée de l'autre
dans l'échange est toujours là, et si elle n'est pas clairement
exprimée, elle est du moins supposée. C'est bien à moi
qu'elles s'adressaient, et c'est bien face à moi qu'elles essayaient de
légitimer leurs choix familiaux. Il convient donc de me prendre en
compte, du moins, l'image de moi qu'elles ont pu hypothétiquement se
construire.
1.1 Vanessa (mère statutaire)
Vanessa et Karine (26 et 27 ans) ont été en
couple pendant six ans et sont séparées depuis sept mois au
moment de l'entretien. Elles ont eu un enfant, Antoine, dans un projet de
coparentalité avec Maël, le père d'Antoine (43 ans).
L'enfant a deux ans et demi au moment de l'entretien. Karine ne voit plus
l'enfant. Elles travaillent toutes deux dans le domaine de l'enfance, dans une
profession classée par l'INSEE comme intermédiaire. Vanessa a
trouvé mon annonce qui disait que je recherchais, dans le cadre de mon
mémoire, des parents ayant construit un projet de coparentalité.
Cette annonce avait été déposée sur un site pour
homoparents et Vanessa m'a répondu, désireuse de témoigner
de son parcours. L'échange s'est fait par mail. Ce ne sera pas la seule.
Mon profil de famille relativement rare implique d'élargir la zone
géographique de mon enquête, et mon budget étudiant trop
restreint ne permet pas tant de déplacements. Mais les mails ont leurs
atouts. S'ils ne permettent pas la
spontanéité d'un discours oral, ils permettent
néanmoins de mettre en évidence ce que la personne souhaite dire
d'elle, de son parcours, la manière dont elle veut se faire
reconnaître quand elle contrôle relativement bien son discours
(elle peut se relire et corriger). Dans une étude sur la reconnaissance
de soi comme parent, la méthode trouve sa pertinence.
La première partie du récit que j'ai
reçue a, selon Vanessa, été écrite par
elle-même seule dans le passé, au fur et à mesure du
quotidien à partir du moment où elles ont envisagé d'avoir
un enfant. J'en serais la seule lectrice. Ce récit me semble pourtant
retravaillé par la suite comme laissent entendre certaines expressions
comme « cela aurait dû me mettre la puce à l'oreille,
quant à son comportement envers moi, mais l'envie de fonder une famille
était plus forte ». La deuxième partie correspond
à notre échange de mails, durant lequel elle commence par
conclure son récit à partir de son point de vue actuel -
c'est-à-dire notamment séparée de sa conjointe. Je
l'incite ensuite à revenir sur certains aspects de son histoire. Lorsque
je parlerai de Vanessa, je m'efforcerai à chaque fois de préciser
de quelle partie du récit il s'agit.
À la différence d'Eva et Martine, Vanessa n'a
pas pu observer ni ma manière d'être et de m'habiller, ni mes
interactions avec son fils. Elle sait seulement que je suis une
étudiante rédigeant un mémoire de sociologie - et que par
là, je peux faire passer son expérience dans l'espace reconnu
qu'est celui de l'Université. Elle peut également me supposer
assez jeune (car étudiante et me prénommant Elodie). En revanche,
il s'agit d'une femme qui s'adresse à une autre femme sur un sujet
qu'est celui de la famille, et cela peut sans doute expliquer la tendance pour
elle, comme pour Eva et Martine, à me parler des conflits avec le
père sans retenue ni crainte de jugement.
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