1.2 François
J'ai rencontré François via une connaissance
commune, une femme, auditeure libre à l'Université. Nous prenons
rendez-vous dans un salon de thé brestois, dans la galerie d'un centre
commercial. Ce lieu rend visible des attentes sociales très fortes. Les
femmes y travaillent en jupe. Sur les murs, des tableaux de vieilles familles.
Mais la clientèle est diverse. Elle se compose des clients du centre
commercial et de ses employé-e-s.
Le lieu de notre rendez-vous a été choisi par
moi-même. François vit dans une petite ville et comme je n'ai pas
le permis, c'était difficile pour moi d'y accéder. Chez moi, trop
de citations sur les murs, éloquentes quant à mes positions
personnelles. Mon décor biaiserait à lui seul l'entretien de
manière trop prononcée. Ce salon de thé me semblait
être un endroit calme même si pas complètement neutre
à cause des tenues professionnelles, des tableaux,
des objets décoratifs... Le lieu du centre commercial a
été choisi par François, pour nulle autre raison
visiblement que celle pratique de se garer.
François a 50 ans. Il a une fille de 14 ans, Sarah,
issue de l'ancienne union de son épouse, Michelle, avec qui il est
marié depuis deux ans. Elle a 42 ans et elle est divorcée de
Jean-Claude, le père de Sarah. François et Michelle appartiennent
à la catégorie des professions intermédiaires. Jean-Claude
est décédé un an avant l'entretien, ce qui crée un
contexte biographique de l'entretien très particulier. Il était
agent de maîtrise. Il avait été marié une
première fois avant Michelle, et avait eu deux filles, dont l'une d'elle
est décédée à l'âge de 25 ans.
François est le cinquième enfant d'une fratrie
de sept frères et soeurs. Deux de ses frères sont
décédés, l'un il y a treize ans et l'autre, il y a cinq
ans. Pour lui, l'entente entre tous et toutes est bonne, même si des
affinités se tissent plus avec certain-e-s que d'autres.
François accepte l'entretien pour rendre service, par
solidarité. Il a été étudiant et a
düfaire quelques travaux de ce genre. Il ne se dit pas
particulièrement intéressé mais cela ne le
dérange pas. Une fois l'entretien terminé, il me
demande comment j'ai connu notre connaissance commune, me demande mes projets
professionnels, me parle de ses propres études. Il me dit de ne pas
hésiter si je veux reparler de certaines questions avec lui. J'ai senti
que la situation le rendait au départ nerveux et qu'il s'est
détendu peu à peu. Par ailleurs, en toute fin d'entretien, il me
dit qu'il trouvait cela intéressant parce que ça l'avait
obligé à réfléchir à sa manière de se
situer. Il a trouvé que l'exercice n'était pas
désagréable.
Il sait que je suis une femme d'une petite vingtaine
d'années, étudiante en espagnol et en master de sociologie, que
je travaille sur la parentalité mais que je n'ai probablement pas de
famille que j'aurais fondée. Dans ses représentations, il me
rapprocherait certainement de Sarah en un peu plus vieille (nous imaginons les
gens à partir de ce que nous connaissons). Il pourrait me voir comme
détachée de certaines attentes vis-à-vis des femmes
(pantalon, veste à capuche un peu « collégienne »,
sourcils pas épilés, cheveux rapidement attachés). Ma
tenue avec le fait qu'il me sait piétonne implique qu'il pourrait me
voir davantage comme « sportive » plutôt que «
féminine » en termes de stéréotypes. Je travaille sur
des parentalités atypiques, ce qui est un sujet vu comme étant
très « féminin », tout en étant dans la distance
par rapport à la famille normée.
Le rapport à la connaissance ne me semblait pas le
même qu'avec les femmes que j'ai rencontrées qui multipliaient les
références intellectuelles. Lui non. Il parle de lui, de son
expérience. Il ne se réfère pas à la
théorie.
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