Problématique :
Les effets de la ségrégation socio-spatiale sur
l'accès à l'emploi ne sont plus à démontrer. C'est
ainsi que les éléments-statistiques produits à
l'échelle des ZUS et agrégés par l'observatoire
créé au sein de la DIV mettent en exergue le fait que 20 % de la
population des ZUS soit au chômage, soit le double du taux de
chômage national, constat en partie redondant avec le fait que le taux de
chômage ait été l'un des critères de
détermination de ce zonage.
La surdétermination du lieu d'habitat est patente en ce
qui concerne les jeunes de 15 à 29 ans que le chômage touche 1,6
fois plus que dans les autres unités urbaines.
Mais l'hypothèse sous jacente de la commande
d'étude est que le facteur territorial, matérialisé par le
lieu de résidence, a une incidence effective sur l'accès à
l'emploi des jeunes diplômés bien que ceux-ci soient moins soumis
à priori aux effets de localisation que l'ensemble des jeunes. «
L'effet de discrimination » continuerait ainsi à jouer au
détriment de « l'effet de signalement », pour reprendre les
termes de Silbermann et Fournier, cette discrimination ayant un impact sur
l'ensemble de la chaîne éducative, notamment au travers des
représentations que les jeunes peuvent se faire d'accéder
à un emploi qualifié.
Ce facteur territorial ne peut évidemment pas
être isolé des autres caractéristiques des publics
concernés qu'il s'agisse du statut socio professionnel des parents, de
la nationalité ou du sexe. Comme le montre l'enquête «
Génération 98 » du CEREQ, « le fait d'entrer sur le
marché du travail avec un diplôme de l'enseignement
supérieur reste fortement corrélé à l'origine
sociale. Ainsi, 66 % des jeunes diplômés d'une école de
commerce sont issus d'une famille dont au moins un des parents est cadre...
contre 6 % pour les jeunes sortant du milieu scolaire sans aucune
qualification. De même, si les jeunes nés à
l'étranger ou ayant au moins leur père né à
l'étranger représentent 21 % de l'échantillon, ils ne sont
que 11 % à avoir un diplôme bac+2 »1.
1 Voir l'enquête du CEREQ, «
Génération 98 ».
Comment, dès lors, s'articulent les déterminants
territoriaux avec l'ensemble des autres déterminants ? Comment
s'agencent-ils pour produire des différenciations qui peuvent prendre un
caractère plus ou moins discriminatoire ? La façon à la
fois la plus fondée théoriquement et la plus opératoire
d'aborder la question posée par l'étude n'est pas de la
réduire au repérage et à la stigmatisation des
comportements individuels et collectifs mais de considérer la
discrimination comme le résultat de processus au sein duquel s'agencent,
sur fond de contraintes objectives, les représentations et les pratiques
des acteurs.
Le premier de ces agencements est celui qui peut être
représenté par la triangulation entre la personne, jeune
diplômé, concernée, l'employeur et les
intermédiaires (professionnels du service public de l'emploi dont
l'importance est caractéristique du système français et
agences privées). L'attitude de l'employeur est influencée
à la fois par un certain nombre d'a priori, de
stéréotypes, par les contraintes que représentent les
réactions des clients ou du personnel en place, par la
méconnaissance des compétences ou encore par la recherche de
l'efficience. La tentation du recruteur de céder à la
discrimination ne vient pas d'un goût pour celle-ci, comme le supposait
Becker, mais plutôt de son souci d'économiser le temps et
l'énergie que peut requérir une décision pleinement
informée, et prise au regard de critères pertinents.
D'un autre côté, l'attitude des
intermédiaires, fortement mobilisés par les jeunes qui disposent
le moins de ressources familiales, est influencée par l'anticipation
vis-à-vis des critères de recrutement.
Enfin, du troisième coté, l'attitude du jeune est
marquée par l'intériorisation du fait discriminatoire et la
dévalorisation de son capital social.
C'est au sein de cet agencement que les origines sociales et
géographiques vont pouvoir interagir pour générer des
effets de différenciation d'accès à l'emploi entre jeunes
plus ou moins importants.
Un deuxième agencement est lié au territoire,
non appréhendé comme une simple localisation mais comme un lieu
d'inscription de réseaux sociaux que les individus mobilisent de
façons différenciées : « l'effet de territoire ne
tiendrait pas seulement à des facteurs économiques ou
géographiques mais aussi au fonctionnement de la société
locale, dans lequel, pour reprendre le terme de la Sociologie des
réseaux (Granovetter 1973), « les liens forts » (familiaux) et
« les liens faibles » (scolaires, amicaux, professionnels) se
combinent pour apporter aux jeunes une plus ou moins bonne connaissance du
marché du travail (offres existantes et modalité d'accès
à celles ci, exigences et attentes des employeurs) et, donc, une plus ou
moins forte capacité de construction d'une image de soi et
d'élaboration d'une stratégie de recherche d'emploi.
Réciproquement, ces réseaux sociaux fonctionnent pour les
employeurs comme des systèmes plus ou moins efficients, sinon de
recommandation, tout au moins de « signalement » ; le réseau
social est alors un mode de réduction du coût de recherche
d'information qui apporte aux employeurs une information fiable sur les
compétences disponibles ». Cet agencement relie le milieu familial,
les relations extra familiales et
l'établissement scolaire, lieu de la formation
supérieure. Chacun de ces pôles peut représenter une
ressource ou un handicap vis-à-vis de l'accès à l'emploi
et être plus ou moins mobilisé ou supportés par les jeunes
diplômés.
C'est à partir de l'analyse de ces agencements et de
leur plus ou moins grande imbrication ou synergie que nous pourrons
déterminer les éléments sur lesquels il est possible de
jouer pour réduire les phénomènes de discrimination,
essayer de trouver les réponses adaptées aux
phénomènes posés.
Une telle analyse nécessite une approche très
qualitative des processus qui peuvent amener un jeune diplômé
à accéder à l'emploi et à réussir son
insertion professionnelle ou, au contraire, à se replier,
décrocher ou se déqualifier. L'analyse statistique,
déjà utilisée dans de nombreux sites a montré ses
limites et ne peut répondre aux objectifs suffisamment ambitieux de la
commande.
Pour cette raison, la méthodologie doit garantir une
efficacité démonstrative et un aboutissement
opérationnel.
Il s'agit en effet de travailler sur une même base de
population pour conduire une analyse à la fois quantitative et
qualitative, cette base étant déterminée à partir
de filières de formation qualifiantes.
Les entretiens réalisés auprès des jeunes
diplômés seront mis en perspective, par la suite, avec ceux
réalisés auprès des employeurs et des
intermédiaires de façon à dégager, d'une part les
processus différenciés d'accès à l'emploi, d'autre
part les systèmes locaux au sein desquels ils se mettent en oeuvre et
qui les influencent directement.
C'est à partir de cette analyse contextuée que
pourront être dégagées des pistes d'intervention
adaptées aux différents types de discrimination et aux
systèmes d'acteurs qui les génèrent ou les rendent
possibles.
Première partie : Contextualisation de l'étude, Les
caractéristiques des zones urbaines sensibles et la situation des jeunes
diplômés.
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