Le facteur culturel dans la coopération sino-camerounaise:le cas de l'implantation de l'institut Confucius a l'institut des relations internationales du Cameroun(IRIC)( Télécharger le fichier original )par Jean Cottin Gelin KOUMA Universite de Yaounde II-Soa - Master II en Relations Internationales option Diplomatie 2010 |
SECTION II : CONFUCIUS, SUPPORT DU PROJET CULTUREL CHINOIS ALe point de départ de la nouvelle configuration géopolitique réside dans une volonté de la Chine de s'ouvrir au monde extérieur, après une période de repli sur elle-même. Luc Sindjoun pense à ce propos que : « Les acteurs étatiques puissants ou en quête de puissance sont pour la plupart des entrepreneurs culturels. C'est ainsi qu'ils ont souvent une diplomatie culturelle visant à promouvoir leurs valeurs, leurs modèles à l'étranger, notamment par le biais des centres culturels »145(*). La Chine qui réunit un certain nombre de ressources de puissance ne fait pas l'économie de la variable culturelle dans les relations internationales. D'ailleurs, son statut international obéit à la considération de Luc Sindjoun selon laquelle, « ce n'est pas la culture elle-même qui est puissance, c'est la puissance économique, technologique, financière et militaire de l'Etat qui contribue à construire la croyance de sa supériorité »146(*). Nous analyserons d'abord les motifs inhérents à la paternité attribuée à Confucius quand au projet culturel chinois (Paragraphe I) avant d'examiner en quoi cela contribue à l'émergence de la puissance chinoise (Paragraphe II). PARAGRAPHE I : LES MOBILES QUI SOUS-TENDENT LA REHABILITATION DE CONFUCIUS PAR LE GOUVERNEMENT CHINOISMême si le politique semble utiliser la culture à des fins stratégiques, il n'empêche, pour la Chine, que celle-ci vise aussi à améliorer son image en aidant la compréhension mutuelle et en dénonçant les stéréotypes, les a priori et les préjugés dont elle est victime. Et surtout, comme le souligne Alain Peyrefitte, « le public occidental est affligé d'une myopie faite de préjugés, de passions idéologiques et surtout d'ignorance... »147(*). Nous essayerons d'expliquer la nature des habits neufs que la Chine voudrait bien arborer aujourd'hui sur le plan culturel à travers Confucius (A), tout en élucidant l'apport de cette civilisation millénaire dans la quête actuelle de la puissance par la Chine (B). A) Le désamorçage des critiques idéologiques L'idéologie148(*) sert à dissimuler les intentions, à justifier les actions, à mobiliser les populations et à recruter des partisans au-delà des frontières ; un paravent, un argument, un ciment et une arme. Pendant presque tout le XXe siècle, progressistes et marxistes chinois se sont livrés à une critique idéologique de leur culture, cherchant l'inspiration du côté de l'Occident. Cela a sans doute flatté les occidentaux, qui aujourd'hui apprécient moins que les chinois s'enorgueillissent de leurs propres traditions et s'y référent même pour réfléchir politiques et sociales. Si donc le confucianisme est réhabilité aujourd'hui, c'est parce que la révolution maoïste a échoué et que le pays se trouve face à un vide idéologique et morale. C'est pourquoi le gouvernement chinois a réinstauré l'enseignement du confucianisme afin que la Chine fasse un retour à des valeurs traditionnelles. La prise de conscience des faiblesses du dogmatisme marxiste a entrainé le passage à une étape supérieure. Jadis donc, la Chine était un grand pays et les autorités ont estimé qu'il était temps de retrouver ce statut. Ainsi, il leur a fallu maximiser leur influence hors de leurs frontières, à travers la diffusion de la doctrine confucéenne. La transformation politique au sein du PCC visait tout simplement à prendre en compte l'intérêt personnel et le bien être humain. Malgré les résistances des idéologues marxistes rigides, le PCC laisse progressivement plus de place à la méritocratie, encourageant désormais les étudiants brillants à le rejoindre, et le rôle grandissant des cadres les plus instruits devant favoriser une plus grande adhésion aux valeurs confucéennes. A ce propos, Kenneth Lieberthal149(*) souligne qu' « actuellement, on est en train de reconsidérer d'une façon plus sérieuse les fondements éthiques de la société chinoise, parce que c'est une société qui est en train de subir des changements considérables ». Il ajoute qu'« il y a un désir d'une plus forte base éthique, et l'un de ces éléments remonte à l'héritage confucéen ». Confucius contribue donc à une appréciation de la richesse historique et du dynamisme contemporaine de la civilisation chinoise. Sa réhabilitation est soutenue par le gouvernement chinois pour véhiculer un nouveau visage, celui d'un « dragon bienveillant »150(*). La Chine, à travers les Instituts Confucius, veut s'offrir un visage acceptable. C'est la raison pour laquelle Pékin déploie depuis le début du XXIe siècle des efforts considérables pour adoucir son image. Comme le souligne Jean Jolly, si les jeux olympiques de 2008 à Pékin « furent l'expression de l'influence géopolitique et économique croissante de la Chine, l'Exposition universelle de Shanghai en 2010, la plus importante de tous les temps, a été le moyen de présenter d'autres facettes de la puissance chinoise sur les fronts de design, de la création, de tourisme ou de la diplomatie culturelle »151(*). L'Exposition s'inscrit parfaitement dans la stratégie chinoise visant à séduire le reste du monde par la mode, l'aide humanitaire, la culture, la langue. « L'Exposition est un moyen très sûr de montrer le « soft power chinois » »152(*). En effet, le confucianisme est de manière globale la culture, le patrimoine de la Chine. Ce qui est intéressant à retenir finalement, c'est la volonté de la Chine d'apparaitre en quelque sorte comme un modèle sur la scène internationale. Ce qui n'est pas en soi une nouveauté. Mao Zedong et Zhou Enlai avaient déjà cette envie de faire de la Chine un modèle de développement, attractif pour un certain nombre de pays. Aujourd'hui, le confucianisme est réhabilité. Il n'y a plus la même suspicion plus encore la même opposition, qui a longtemps existé entre le PCC et le confucianisme. Au contraire, le PCC se sert du confucianisme pour faire avancer un véritable projet global. C'est un instrument au même titre que le bouddhisme, que les autorités chinoises admettent désormais. En cela, le célèbre dicton de Deng Xiaoping, « peu importe que le chat soit noir ou gris, tant qu'il attrape les souris » est vraiment appliqué et approprié dans cette stratégie du soft power. B) La quête de la puissance : la grandeur du passé comme tremplin Les chinois sont les citoyens humiliés, d'un ancien grand empire à l'idée nationale forte153(*). Son hymne nationale « Debout ! Jamais plus notre peuple ne sera un peuple d'esclaves ! » le montre encore aujourd'hui : il s'agit de laver l'honneur sali, de restaurer la place de la Chine dans le concert des grandes nations154(*). A ce propos, Alain Peyrefitte pense de la Chine qu'elle est « un empire fier, depuis des millénaires, d'être le centre du monde, et insupportablement blessé dans son orgueil par la domination étrangère »155(*). L'orgueil156(*) est un moteur fondamental pour le retour de la Chine vers la puissance. Les chinois, très susceptibles, sont habités d'un sentiment de supériorité dû au rayonnement et à l'ancienneté de leur civilisation. Les dirigeants pensent que si la Chine a par le passé atteint le sommet, elle a la capacité intrinsèque d'y accéder à nouveau157(*). C'est pourquoi, aujourd'hui, elle s'attache à restaurer sa grandeur158(*). A ce propos, Michel Jan affirme que « la Chine considère son développement comme une revanche et comme un combat »159(*). Selon Jean Musitelli, Confucius était si convaincu de l'excellence de ses principes qu'il disait : « si quelqu'un savait m'employer, en un an il obtiendrait un résultat passable et après trois ans il obtiendrait la perfection »160(*). La Chine, dans sa quête de puissance, a compris la nécessité de mettre en valeur le « géant Confucius » ainsi que ses enseignements. D'ailleurs, la Chine continue de mettre en oeuvre sa politique étrangère traditionnelle, articulée autour d'un schéma sino-centré selon lequel, la Chine est le suzerain et tous les autres peuples ses vassaux161(*). Fort de ce qui précède, à l'image de Confucius, la perception Chinoise de son territoire et de son espace stratégique, d'après Taje Mehdi, « conditionne fortement ses ambitions géopolitiques »162(*). Ainsi, la philosophie millénaire chinoise constitue un atout de taille dans sa quête de puissance. La Chine s'affiche donc de nos jours comme un pays harmonieux et pacifique, qui s'appuie sur l'image pleine de sagesse de Confucius. Elle tente à cet effet, de gagner les coeurs et les esprits afin de légitimer sa puissance. La logique du gouvernement ne fait donc aucun doute. Liu Changchun, membre dirigeant du PCC, admettait d'ailleurs la stratégie d'influence chinoise : « les (Instituts) représentent une part importante de la stratégie de propagande chinoise à l'étranger »163(*). * 145 L. Sindjoun, loc. cit., p.28. * 146 Ibid., p.33. * 147 A. Peyrefitte, « Quand la Chine s'eveillera », cité par Stéphane bessière, op. cit., p.69. * 148 P. Gauchon & J. M. Huissoud, Les 100 mots de la géopolitique, Paris, PUF, Que sais-je ?, 2010, p.45. * 149Directeur du John L. Thornton China Center à l'Institut Broolings à Washington DC, Publié sur : http://french.peopledaily.com.cn/Culture/6962962.html, (consulté le 15/05/2011). * 150 B. Courmont, op. cit., p.9. * 151 J. Jolly, op. cit., pp.162-163. * 152 Idem. * 153 C.Harbulot, loc.cit., p.10. * 154Idem. * 155 S. Bessière, op. cit., p.121. * 156L'orgueil chinois est une réalité. Il est le moteur principal de l'irrésistible course de la Chine vers la puissance. J. Mandelbaum & D. Habes, « La victoire de la Chine », p.93, cité par S. Bessière, op. cit., p.157. * 157 S. Bessière, op. cit., p.170. * 158 Ibid., p.83. * 159 Idem. * 160 J. Musitelli, L'intelligence culturelle, un outil pour maitriser la mondialisation, Perspectives, Revue trimestrielle d'éducation comparée, Paris, Unesco, 2008, p.4. * 161 D. Chesne, « La puissance chinoise et ses attributs », in Diplomatie Magazine N°9, juin-juillet 2004, pp.27-31. * 162 T. Mehdi, « Géopolitique chinoise », Défense et sécurité internationale, mai 2005, pp.18-26. * 163 Voir: www.lepost.fr/.../2441656_les-instituts-confucius-symboles-du-double- langage-de-pekin.html, (consulté le 25/03/2011). |
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