Chapitre VIII : L'imbrication de la France et des
Seychelles
Nous parlons ici d'« imbrication » en
désignant en même temps l'ingérence, la participation ou la
réaction de la France et des Seychelles à un
événement de la politique intérieure de l'un et de
l'autre, ou encore le suivi de l'évolution du pays par les diplomates.
La politique intérieure des États fait partie de la vie
diplomatique. Lors de rencontres diplomatiques ou politiques, les hommes
politiques ou les diplomates parlent souvent de la situation intérieure
de leur pays. Les diplomates, en particulier les ambassadeurs ou les consuls,
ont pour mission de rapporter la situation intérieure des pays où
ils sont accrédités. C'est parce que les instances dirigeantes
d'un État sont tenues au courant de la situation des pays dans le monde
par le biais des diplomates, mais aussi de la presse, qu'elles peuvent
réagir à tel ou tel événement, comme un coup
d'État, des élections ou à la politique extérieure
entreprise par le pays. Ainsi, dans notre étude, la France suit les
affaires seychelloises et inversement. Quels éléments sont
rapportés par la presse française ?
A) La France dans les affaires seychelloises
Le premier aspect que nous pouvons évoquer est la
réaction du gouvernement français face au nouveau régime
seychellois issu du coup d'État du 5 juin 1977. Nous pouvons inclure
quatre articles de notre corpus. Tout d'abord, nous avons la reconnaissance
officielle du régime par l'annonce de la venue du ministre de la
Coopération pour assister aux cérémonies du premier
anniversaire de l'indépendance des Seychelles256. Pour
La Croix, les capitales occidentales ont entériné
officiellement le changement de régime. Parmi ces capitales, nous
pourrions y inclure Paris257. Si les préoccupations
d'indépendance des Seychelles du nouveau régime ont
été entendues par Paris d'après Le
Figaro258, nous pouvons supposer que le gouvernement
français s'est montré inquiet des liens « apparemment »
étroits entre les Seychelles et la Tanzanie progressiste de Julius
NYERERE, puisque Philippe DECRAENE évoque devant le président
RENÉ lui-même « l'inquiétude de certaines
chancelleries » sur ce sujet259.
256 ANONYME, Le Monde, 24 juin 1977.
257 ANONYME, « La révolution du sourire »,
La Croix, 22 août 1977.
258 ANONYME, « Les Seychelles : clés de
l'océan Indien », Le Figaro, 12 septembre 1978.
259 DECRAENE Philippe, « Nous n'accepterions en aucun cas
une base militaire dans l'archipel », Le Monde, 13 septembre
1978.
États riverains » (nous pouvons penser à
Madagascar ou au Sri Lanka). C'est pour cela que RENÉ, en visite
à Paris du 11 au 13 septembre, a tenté d'obtenir l'appui de la
France « pour que son pays vive dans [cette] « zone de
paix » », d'où le titre de l'article : «
France-Albert René : Une zone de paix pour les Seychelles ». Cet
article met en lumière l'une des principales lignes de politique
extérieure du président RENÉ : la démilitarisation
de la région, le démantèlement des bases
étrangères implantées dans l'océan Indien et la
création d'une « zone de paix ». On la retrouve dans la
Libération du 13 septembre 1978 avec la conférence des
partis progressistes, dont celui de RENÉ, du 27 au 29 avril 1978,
réclamant la démilitarisation de l'océan Indien et visant
particulièrement les forces françaises. La volonté de
neutraliser l'océan Indien et de créer cette « zone de paix
» remonte au début des années 70. L'océan Indien est
marqué par la guerre froide et la rivalité entre les
États-Unis et l'URSS dans cette région260. De ce
fait, les États riverains réagissent : le 16 décembre
1971, la proposition du Sri Lanka de créer une « zone de paix
» est adoptée à l'ONU par 61 voix pour et 55 abstentions
dont celle de la France261. La France est l'État le
plus concerné par le projet de démilitarisation et de
création d'une zone de paix dans l'océan Indien. Sa
présence militaire dans la région est la plus importante, bien
qu'elle soit modeste, grâce à sa flotte, mais aussi à ses
bases (cf. annexe n°13). Elle s'était donc montrée
défavorable en premier lieu. Mais sa position particulière la
contraint à devenir favorable au projet262. L'article
de La Croix correspond à ce contexte d'acceptation de la France
de l'idée de créer cette « zone de paix ». Pourtant, la
présence militaire française est maintenue « au nom de la
paix »263. En effet, son retrait aurait été
profitable pour les superpuissances, en particulier l'URSS264.
La France rappelle aussi son rôle de
stabilisatrice265.
260 MAZERAN Hélène, Géopolitique de
l'Océan Indien, Paris, PUF, 1987.
261 LA GRANGE Arnaud de, La France dans la
géopolitique du Sud-Ouest de l'océan Indien, Paris,
Paris4-Sorbonne, 1988.
262 Op. cit. LA GRANGE Arnaud de, La France dans la
géopolitique du Sud-Ouest de l'océan Indien, Paris,
Paris4-Sorbonne, 1988.
263 MAURICE Pierre et GOHIN Olivier (dir.), Les relations
internationales dans l'Océan Indien, Saint-Denis, Université
de La Réunion, Faculté de droit et des sciences
économiques et politiques, 1993.
264 Op. cit. LA GRANGE Arnaud de, La France dans la
géopolitique du Sud-Ouest de l'océan Indien, Paris,
Paris4-Sorbonne, 1988.
265 Op. cit. MAZERAN Hélène,
Géopolitique de l'Océan Indien, Paris, PUF, 1987.
Cela est vérifié avec le coup d'État
manqué des mercenaires du 25 novembre 1981 et de la rébellion
militaire du 17 août 1982 (cf. chapitre VI « L'état
et la qualité des relations francoseychelloises ». Ce sont les
événements les plus marquants de l'histoire des Seychelles sous
France-Albert RENÉ. Et c'est à travers ces
événements que nous remarquons le plus l'imbrication de la France
dans les affaires seychelloises.
Plusieurs articles de journaux français traitent du
coup d'État manqué des mercenaires et ses conséquences.
Les titres du Monde, du Figaro, de La
Croix, de Libération et du Matin des 27 et 28
novembre 1981 évoquent un coup d'État manqué,
l'échec d'un débarquement de mercenaires sud-africains ayant fait
vaciller le pouvoir, une « bataille pour l'océan Indien ».
Presque tous ces articles ont une taille non négligeable. Le putsch
manqué a fait la une de la LOI du 28 novembre 1981 sous la
forme d'un article de grande taille (une page entière). On y
décrit le
déplacement d'une centaine de mercenaires
majoritairement sud-africains à bord neuf morts dont deux civils,
quatre-vingt-onze mutins arrêtés dont deux des chefs de la
mutinerie.
Dans son roman, La Poudrière des
Seychelles, Pierre SOUBIRON présente l'ambassadeur
Georges VINSON en train de suivre attentivement et discrètement la
situation depuis l'ambassade de France, jumelles à la
main273. Pendant la mutinerie militaire, les journaux
français ont réussi à obtenir le témoignage de
l'ambassadeur de France - son nom n'est pas cité - et d'un diplomate, de
nationalité française également, d'où notre choix
d'étudier les articles sur la mutinerie militaire dans notre sujet.
L'ambassadeur et le diplomate sont des témoins oculaires puisqu'ils
étaient présents à Victoria au moment des faits : ainsi
donc, en prenant en compte leur statut, leurs témoignages peuvent
être jugés crédibles. Malheureusement, ces
témoignages ne sont présentés qu'en quelques lignes
seulement : ce sont donc des brides d'informations. Le Monde du 20
août 1982 rapporte le témoignage de l'ambassadeur depuis son
interview par Radio-Monte-Carlo le soir du 18 août. On apprend que George
VINSON a présenté la rébellion comme étant «
un règlement de compte entre militaires » et non une tentative de
coup d'État. Libération rajoute d'autres
éléments que ne cite pas Le Monde. Ainsi, selon
l'ambassadeur, « les otages ne semblaient pas avoir
été libérés » l'après-midi du 18
août et a confirmé la reprise de la radio, ainsi que le port de
Victoria, après « des combats assez violents ».
Le Matin a publié le 19 août 1982 le résumé
de son interview, réalisé par appel téléphonique,
faite à un diplomate français en poste à Mahé.
D'après ce diplomate, « il s'agissait seulement d'une
rébellion de la base, au niveau local, sans manipulation de
l'étranger ». En effet, le régime pouvait facilement
imaginer un complot étranger, en particulier celui de l'Afrique du Sud
comme semblait prouver l'appel à l'aide des mutins au gouvernement de
l'apartheid. Le diplomate décrit la situation aux Seychelles : «
la plupart des rebelles, un groupe fort d'une cinquantaine d'hommes
environ, ont été arrêtés, mais certains sont
parvenus à s'enfuir et à se disperser dans la nature ».
Donc, d'après lui, « tout est terminé ».
Enfin, nous avons l'envoi de navires de guerre français à l'appel
du président RENÉ (cf. chapitre VI « L'état
et la qualité des relations franco-seychelloises »).
273 SOUBIRON Pierre, La Poudrière des Seychelles,
Paris, Denoël, 1992, p.181-183.
274 « Visite du ministre des Affaires
étrangères de la République des Seychelles »,
News Press, 1er octobre 2002 ; « Visite du ministre des Affaires
étrangères de la République des Seychelles »,
News Press, 4 octobre 2002.
Il ne faut pas oublier d'inclure dans notre étude les
articles relatant la crise diplomatique entre la France et les Seychelles
après l'arrestation de CHEVALLEREAU et du débarquement
forcé des marins du Topaze puisque la France est
mêlée à la répression organisée par le
régime seychellois (cf. chapitre VI « L'état et la
qualité des relations franco-seychelloises »). Ou encore la
pression exercée sur le régime de RENÉ afin de
démocratiser son régime ou pour améliorer la situation des
droits de l'Homme dans l'archipel (cf. chapitre IX « La diplomatie
française des droits de l'Homme et de la démocratie aux
Seychelles »).
Enfin, grâce à deux dépêches de
News Press274, le ministre seychellois des Affaires
étrangères et président en exercice de la COI,
Jérémie BONNELAME, et le ministre délégué
français à la Coopération et à la Francophonie,
WILTZER, ont discuté de la situation intérieure des Seychelles,
en particulier des élections législatives prévues
prochainement et la politique économique du régime. Ainsi, ils
ont discuté de la possibilité de la venue d'une mission
d'observation internationale et l'état des discussions des
Seychelles avec le FMI dont dépend l'examen de la dette seychelloise au
Club de Paris.
B) Les Seychelles dans les affaires
françaises
Nous constatons que la presse française évoque
également les Seychelles dans les affaires françaises. Mais les
articles traitant ce sujet sont moins nombreux que sur la France dans les
affaires seychelloises : huit articles de notre corpus. Comme quatre d'entre
eux proviennent de la LOI, nous pouvons en déduire que sans cet
hebdomadaire, nous avons une vision extrêmement fermée des
Seychelles dans les affaires françaises. Pourtant, malgré ces
articles, notre vision demeure toujours extrêmement étroite en
raison des types d'informations qu'ils nous fournissent. Parmi les quatre
articles de la LOI, trois évoquent la mise en garde de
RENÉ au président MITTERRAND contre l'activité des
opposants seychellois installés en France et le « complot » de
la France contre son régime dont nous pouvons inclure Le Point
du 1er juin 1987275. Nous allons donc voir quels sont les
sujets traités par la presse française sur les Seychelles dans
les affaires françaises.
275 « Un entretien exclusif avec le président
France-Albert René (suite) », La Lettre de l'Océan
Indien, 13 septembre 1986 ; « Les dix du régime », La
Lettre de l'Océan Indien, 6 juin 1987 ; BIANCHINI Roger, «
Nous ne sommes la colonie de personne... », Le Point, 7 juin 1987
; « Satisfecit américain », La Lettre de l'Océan
Indien, 18 juillet 1987.
276 BALENCIE Jean-Marc, La Diplomatie navale
française en Océan Indien (1967-1992), Lille, Atelier
national de reproduction de thèses, 1992, p. 285.
277 DOMERGUE-CLOAREC Danielle, La France et l'Afrique
après les indépendances, Paris, Sedès, collection
Regards Sur L'histoire, 1995, p.300-304.
278 HASKI Pierre, « Échec à un
débarquement de mercenaires sud-africains »,
Libération, 27 novembre 1981.
L'élection de François MITTERRAND à la
présidence de la République française le 10 mai 1981 est
sans nul doute l'un des événements politiques français qui
a le plus marqué les Seychelles sous France-Albert RENÉ. Nous
savons qu'il y a eu une certaine euphorie dans l'Étatarchipel et que
l'élection a été longuement saluée par le quotidien
gouvernemental Nation. En effet, il y a la mise en place d'un
régime socialiste en France - donc un gouvernement proche de celui des
Seychelles - reposant sur une idéologie tiers-mondiste et
généreuse276, et MITTERRAND a
déclaré être pour le changement dans la logique de la
coopération et du dialogue277. Dans
Libération, Pierre HASKI cite un extrait d'une interview
publiée par AfriqueAsie sur la réaction du gouvernement
seychellois à l'élection de MITTERRAND278. On
apprend que le régime socialiste a été soulagé.
RENÉ justifie ce soulagement aux attentes de changement de son
gouvernement envers le nouveau régime français. En effet, en
cette période de crise diplomatique (1979-1981), RENÉ
présentait la France comme l'une des trois principales sources de
déstabilisation des Seychelles, avec les États-Unis et l'Afrique
du Sud. Le régime de RENÉ espère donc ne pas être
déçu.
Le 29 mars 1986, la LOI publie un article en
reprenant un autre paru dans le Canard enchaîné du 19
mars 1986 et intitulé « Baby Doc chez Papy Médecin
». Les deux articles se portent sur la négociation entre
la France et les Seychelles sur la possibilité que
l'État-archipel accueille comme terre d'exil le dictateur haïtien
Jean-Claude DUVALIER dit Baby Doc, renversé par la rue le mois
précédent et se trouvant alors en France, d'où le titre de
la LOI : « Négociation sur Baby Doc ». Pierre
SOUBIRON évoque ces négociations dans son roman. D'après
le Canard enchaîné, RENÉ aurait accepté
d'accueillir sur le sol seychellois DUVALIER sous deux conditions. La
première condition aurait été acceptée par la
France : il a exigé le renforcement de la coopération
franco-seychelloise. La deuxième, par contre, aurait été
refusée, ce qui explique pourquoi le dictateur déchu d'Haïti
soit encore présent en France. Cette condition portait sur le
financement des États-Unis au gouvernement seychellois « pour
remercier les Seychelles de leur hospitalité ».
D'après le Canard enchaîné, les Américains
ont en fait manoeuvré pour que l'ancien dictateur haïtien reste en
France pour écorcher l'image de la France aux yeux d'Haïti et
réduire ainsi son influence dans ce pays.
Le 12 janvier 1996, Le Monde publie une liste de
cent-soixante-et-onze pays représentés aux obsèques de
MITTERRAND célébrées à Notre-Dame. Parmi ces pays
et chez les États africains, il y a les Seychelles. En revanche, aucun
nom n'est cité. Étant donné que la majorité des
personnes présentes sont des dirigeants, on peut supposer que c'est
RENÉ en personne qui a assisté à la
cérémonie.
La presse nous permet de voir la diplomatie dans la politique
seychelloise principalement à travers le coup de force manqué des
mercenaires et la rébellion militaire. On peut voir que la France est
impliquée dans la politique de RENÉ de démilitarisation et
de création d'une « zone de paix » dans l'océan Indien.
En revanche, la presse, y compris la LOI, ne nous fournit pas assez
d'informations sur la France dans les affaires seychelloises telles les
élections, la politique étrangère des Seychelles ou
l'évolution politique de l'archipel. La presse française nous
donne encore moins d'informations sur les Seychelles du président
France-Albert RENÉ dans les affaires françaises. Parmi les
éléments qui ne sont pas couverts, il y a la réaction des
Seychelles face à la politique étrangère de la France
vis-à-vis de l'Afrique, en particulier au Tchad dans les années
70 ou encore après l'élection de Jacques CHIRAC le 7 mai 1995. La
réaction seychelloise de l'élection de François MITTERRAND
n'est pas assez évoquée, et nous savons pourtant que les
Seychelles, son gouvernement et ses habitants étaient très
enthousiasmés, voir euphoriques. Et nous savons également que la
France faisait souvent la une de Nation, le seul journal
autorisé par le régime entre 1979 et 1991. Donc, la presse
métropolitaine ne constitue pas une excellente source sur l'imbrication
de la France et des Seychelles. Néanmoins, elle nous donne des
indications pouvant nous orienter, et il y a la possibilité de renforcer
l'étude sur l'imbrication de la France et des Seychelles avec les
journaux d'outre-mer, la presse seychelloise279, des
témoignages des acteurs des relations franco-seychelloises et enfin les
documents d'archives diplomatiques françaises et seychelloises.
279 Il faudra faire preuve de prudence vis-à-vis des
articles de presse seychelloise. S'il existe quelques rares journaux libres
entre 1977 et 1979 avant d'être remplacés par un quotidien unique
jusqu'en 1992, l'information n'était pas libre : elle était
même contrôlée par le gouvernement socialiste.
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