L'héritage leibnizien dans la cosmologie d'A.N. Whitehead( Télécharger le fichier original )par Siham EL Fettahi Université Paris 1 Panthéon Sorbonne - Master de Philosophie 2011 |
3.1 Système de Whitehead : un monde ouvert, en essai (évolutionnisme)D'abord, résumons le système cosmologique de Whitehead : 1. L'univers est ce Tout constitué de parties ultimes. Effectivement, Whitehead atomise le réel et fait jaillir l'unité de la multiplicité, il reprend ainsi la notion d'individualité et le principe d'harmonie à Leibniz. 2. Les parties ultimes sont définies comme des entités individuelles, perceptives et sensitives. Ce sont des créatures monadiques, des énergies physiques, des occasions d'expérience qui sentent le monde, ces entités s'insèrent dans le temps et l'espace, ce sont des « époques cosmiques », des « volumes spatiaux ». (Whitehead utilise aussi un vocabulaire emprunté à la physique moderne pour qualifier ses entités : des entités électroniques et protoniques ou encore les plus ultimes quantas d'énergie). Ces entités qui sentent le monde sont de nature psychique, Whitehead est influencé par le panpsychisme leibnizien ; les monades sont conçues par analogie avec nos âmes. Cela dit, Whitehead s'éloigne de son mentor lorsqu'il insert les entités dans le réceptacle espace-temps qu'il érige en réalité absolu alors que Leibniz conçoit l'espace-temps comme des imaginations de l'esprit dépourvues de réalité absolue. 3. Le monde est une société d'organismes hiérarchisés. Et ce sont les relations externes et directes entre les entités qui réalisent la réalité du monde. Les relations sociales entre les entités font le monde, sa nouveauté, son procès, sa futurisation, son déploiement, autrement dit, son avancée créatrice. Whitehead, ici, établit une hiérarchisation des organismes à l'instar de Leibniz et de sa hiérarchisation des monades. Toutefois, il préfère reposer son système cosmologique sur les relations externes directes entre les entités plutôt que les relations internes monadiques. 4. Dans ce système, Dieu est le principe d'exemplification de l'univers. Il guide l'univers. Whitehead rompt avec la conception traditionnelle du Dieu leibnizien, cause première de l'univers. Le monde est donc cet univers en essai constitué de deux types de relations: relation entre objet éternel-événement et relation événement-évènement. De plus, l'univers est la somme des interconnexions et interdépendances des deux entités (objets éternel et événement) qui forment le monde. L'événement est un nexus d'occasions actuelles ou d'entités actuelles. Les entités actuelles sont des « gouttes d'expérience » situées dans l'espace-temps, elles sont individuelles et même si elles disparaissent après avoir atteint leur but subjectif, elles sont objectivement immortelles. Ces créatures atomiques sont régies par un mécanisme monadique : 1) la relation événement à événement Les entités sont douées de préhension (= saisie, capture, feeling, sentir), il existe deux formes de préhension, les positives et les négatives. Par les préhensions positives, les entités conservent les données (datas) produites par les autres entités, autrement dit, elles les insèrent dans leur configuration et par les préhensions négatives, elles rejettent les datas dont elles n'ont pas besoin. Dès lors, par les préhensions positives, il y a conservation du passé et par les préhensions négatives, il y a rejet, tri, synthèse pour faire l'avenir. Il s'agit de véritables trajectoires historiques. Ces entités actuelles font donc l'unité à partir de la multiplicité et constituent chacune des perspectives particulières, des points de vue uniques du même univers. Le monde, c'est cette diversité et variété de perspectives particulières. Ensuite, lorsque les entités se réalisent en parvenant à leurs buts, leurs fins subjectives, elles atteignent la satisfaction et deviennent des datas pour d'autres entités en voie de satisfaction et c'est en cela qu'elles sont qualifiées d'objectivement immortelles car recyclées à l'infini à travers le reste du monde. L'entité est « sujet » et « superject », c'est à dire qu'elle est à la fois le moteur et le résultat final, l'entité s'autoproduit. 2) la relation objet à évènement Les objets éternels font leur ingression dans les événements (ils entrent à l'intérieur des évènements, c'est en quelque sorte le concept d'inhérence) pour leur donner leurs qualités (couleur, forme, odeur, structure etc..), ce sont les ingrédients des événements actuels. C'est à peu de chose près, le même rapport que celui des universaux aux particuliers. Enfin, Dieu est le principe de concrescence, il règle le rapport entre les objets éternels et assure leur ingression dans les événements. Il est principe ordonnateur et d'exemplification, il est l'exemple de sens sans lequel il y aurait chaos et absurdité, il est ce fondement sur lequel le monde peut tirer sa référence s'il suit l'irrésistible attrait de Dieu. Dieu est dans et avec le monde, il participe, c'est un ami, un compagnon de création. Pour conclure, le monde de Whitehead est un monde de relations, de feelings sous un mode conjonctif et disjonctif. FIGURE 2 : schémas Légende : Objet eternel (couleur, odeur, texture, logique...) Événement (nexus d'entités psychiques : hommes, animaux, pierres, plantes...) + Événement (Marie, la rose, le chat...) L'univers de Whitehead est un monde en évolution, un monde en essai, un monde ouvert sur l'avenir. Whitehead est un penseur du progrès, influencé par l'évolutionnisme et par le chromatisme, son univers est ouvert spatialement et temporellement, c'est un monde qui avance par tâtonnement, en expérimentant, c'est un monde créatif et imprévisible. C'est un monde qui repose sur la combinatoire et qui s'enrichit grâce aux relations externes avec toutes les choses qui constituent le monde. Cette conception évolutionniste de l'univers diffère de la conception de l'univers leibnizien. |
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