2.5. Etudes empiriques sur les facteurs
déterminants de l'adoption des CES
Des études empiriques sur l'adoption des technologies
de gestion des ressources environnementales en général et des
technologies de conservation des eaux et des sols en particulier ont
été menées par plusieurs auteurs. De ces études,
plusieurs facteurs sensés influencés l'adoption de ces
technologies ont été répertoriés.
Knox et Meinzen-Dick (1999) montrent qu'au moins six
facteurs1 influencent le choix technologique des producteurs
agricoles. En effet, selon eux, la détention des droits de
propriété est un facteur déterminant de l'adoption d'une
technologie visant à améliorer la productivité agricole.
Les droits de propriété sont perçus non seulement comme
étant l'appropriation des ressources conformément aux lois du
pays, mais aussi une variété de droits issus du droit coutumier
et des usages locaux (Knox et Meinzen-Dick, 1999). Ces droits
1 Il s'agit de la détention des droits de
propriété, l'action collective, l'information, les risques
environnementaux et commerciaux, la richesse, le crédit, la main
d'oeuvre et les autres facteurs.
doivent prendre en compte des éléments tels que
l'exclusion, la durée, la garantie. En effet, l'exclusion permet
à ceux qui disposent de droits d'exclure les autres de l'utilisation
d'une ressource particulière. De même, la durée permettra
au détenteur de droits de récolter les fruits de son
investissement et ce pour un horizon temporel suffisamment lointain. Enfin, les
droits de propriétés doivent être garantis par des
institutions compétentes capables de les faire appliquer en faveur d'un
individu. Southgate et al (1990) estiment que les droits de
propriété constituent un élément fondamental dans
la motivation des agriculteurs à investir dans la conservation des
ressources naturelles. Ils montrent que l'absence de ces droits
décourage la conservation de l'environnement. Enfin, Barbier (1990)
montre que la détention des droits de propriété
influençait de façon significative la décision des
agriculteurs indonésiens à investir dans le contrôle des
sols perdus et en dégradation.
Knox et Meinzen-Dick (1999) soulignent également que
l'action collective est aussi un facteur qui intervient lorsque l'on veut
aborder la question du choix de technologie. L'action collective englobe les
investissements conjoints destinés à l'achat, la construction et
l'entretien des infrastructures locales et des équipements. L'action
collective concerne aussi l'élaboration et la mise en oeuvre des
règles d'exploitation d'une ressource et l'établissement de
mécanismes de partage de l'information. En parlant d'information, ces
deux auteurs pensent que l'adoption d'une technologie agricole passe par
l'accès des exploitants à l'information sur la technologie et sur
les avantages que ces exploitants pourraient en retirer. Ceci montre que
l'action collective est en relation avec le facteur « information »
en ce sens que l'action collective et la formation de réseaux entre les
membres d'une communauté peuvent faciliter leur accès à
l'information. Aussi, la diffusion des technologies et de l'information est
liée aux droits de propriété.
L'adoption de technologie agricole est aussi soumise à
l'influence des risques environnementaux et commerciaux. En effet, comme l'ont
montré Knox et Meinzen-Dick (1999), les exploitants à faibles
revenus sont peu motivés à prendre des risques et hésitent
souvent à adopter de nouvelles technologies parce qu'ils ont besoin d'un
revenu et des circuits de commercialisation stables. Kebede (1993) s'accorde
avec cette notion de risque comme facteur influençant l'adoption de
technologies agricoles. Ainsi, les réactions des paysans au
développement des stratégies sont, en partie, expliquées
en termes de comportement de prise de risques. Il ajoute que dans leur
sélection des méthodes alternatives de réduction du
risque, les ménages exhibent des degrés variés de
comportements de prise de risques. Il aboutit au fait que le comportement
averse face au risque des producteurs réduit la probabilité
d'adoption des nouvelles technologies dans les régions d'étude en
Ethiopie. De même, Ortiz
(1980), montre que la réticence des paysans à
adopter les innovations n'est pas due à un comportement irrationnel,
mais à leur désire de maximiser leur sécurité en
minimisant leur risque. En relation avec les droits de propriété,
Knox et Meinzen-Dick (1999) soulignent que l'action collective et les droits de
propriété peuvent influer sur la capacité à
gérer le risque. Quant à Feder et al (1981), ils distinguent deux
sortes de risques. Les risques liés aux prix ou à
l'instabilité de la pluviométrie qui affectent la confiance des
paysans dans le court terme. Et les risques liés à
l'insécurité de la détention des terres ainsi que le
risque d'appropriation du capital qui affectent la confiance dans le long
terme. Clay et al (1998) montrent qu'un grand risque conduit les paysans
à baisser l'investissement dans la conservation des sols pour ceux qui
sont averses au risque.
La richesse est aussi perçue comme un facteur
déterminant de l'adoption de nouvelle technologie. Knox et Meinzen-Dick
(1999) utilisent le terme de richesse pour désigner la possession
d'actifs du ménage. Ces auteurs informent que le revenu est
étroitement lié au pouvoir et aux droits de
propriété sur les ressources naturelles, ce qui affecte
l'adoption des technologies agricoles. Ainsi, au Pakistan, les exploitants qui
possèdent plus de terre sont plus riches et plus motivés à
installer des puits, et donc à maîtriser l'eau souterraine
accroissant davantage leur revenu déjà élevé. En
plus, Knox et Meinzen-Dick (1999) ajoutent que les individus mieux
dotés1 attacheront une valeur accrue à aux
bénéfices à moyen et long terme que l'investissement
technologique est susceptible de leur procurer. Clay et al (1998) font une
distinction entre le revenu hors ferme et le revenu provenant de la ferme. Le
revenu hors ferme est un facteur déterminant qui affecte
l'investissement des paysans dans la conservation des eaux et des sols, en
accroissant la capacité des ménages à adopter
l'intensification basée sur le capital. De même, le revenu extra
ferme est perçu comme une importante source de liquidité dans une
situation de sous-développement des marchés de crédit, et
est important pour les ménages pour payer les matériels, les
animaux, le travail et tout ce qui est nécessaire à une
intensification durable (Clay et al, 1998).
Knox et Meinzen-Dick (1999) ajoutent que l'action collective,
considérée comme un dispositif de répartition du risque,
peut diminuer les craintes d'insécurité liées au besoin de
survie, ce qui réduit la crainte de perte future et atténue les
obstacles à l'adoption technologique. De plus, ils mentionnent que
l'action collective permet de rééquilibrer la distribution des
gains provenant de l'exploitation d'une ressource en facilitant l'adoption des
technologies plus avancées qui exigent de gros investissements.
1 Cette dotation est relative à l'ensemble des
droits de l'individu et à la sécurité de ces droits,
ajoutés à la valeur de ses biens, à son revenu et à
sa sécurité alimentaire
Le crédit est également vu par Knox et
Meinzen-Dick (1999) comme un facteur déterminant de l'incitation des
paysans à adopter les technologies de conservation des eaux et des sols.
En effet, le crédit, pour eux, peut être un moyen pour les pauvres
d'investir. A ce propos, il est souvent argumenté que les exploitants
doivent posséder un titre foncier comme garantie de crédit et
leur donnerait accès à des services financiers reconnus.
Cependant, dans de nombreuses régions rurales, les institutions
financières sont rares et en particulier celles qui accordent des
prêts agricoles considérés comme hautement risqués.
Feder et al (1985) reconnaissent que le crédit est un facteur
déterminant de l'adoption de technologie. Ils montrent que l'une des
contraintes majeures à la rapide adoption des innovations est le manque
de crédit destiné aux producteurs agricoles.
L'adoption de technologie de conservation des eaux et des sols
est aussi déterminée par la disponibilité de la main
d'oeuvre dans le ménage. En effet, chaque technique de conservation des
eaux et des sols exige une certaine quantité de main-d'oeuvre
nécessaire pour être efficace. Cependant, comme le relèvent
Knox et Meinzen-Dick (1999), les difficultés qui résultent des
demandes de main-d'oeuvre sont les obstacles à l'adoption technologiques
notamment si ces technologies entraînent des périodes de pointes
saisonnières qui chevauchent d'autres activités agricoles. Face
à ces difficultés, les auteurs pensent que l'action collective
peut constituer le moyen de surmonter le manque de main-d'oeuvre au sein des
ménages, dont le niveau d'épargne et d'argent disponible est
faible. Et cela peut faciliter l'emploi en plus grand nombre de technologies
à main-d'oeuvre intensive.
Enfin, Knox et Meinzen-Dick (1999) pensent que certaines lois,
règles communautaires, normes et idées sont à mesure
d'influencer le choix de technologies. Ainsi, au Mexique, l'adoption de
pratiques de conservation des labours est en partie due aux politiques
agricoles de l'Etat, notamment la loi interdisant le brûlage des
résidus de récoltes.
A côté de ces facteurs ci-dessus
présentés, d'autres facteurs importants ont un poids dans la
motivation des producteurs à adopter les technologies de conservation
des eaux et des sols. Ainsi, Sanders et al (1990), dans le cas du Plateau
Central du Burkina, montrent que le profit potentiel que les producteurs
peuvent retirer de l'adoption des techniques de conservation des eaux et des
sols était un facteur déterminant. De même,
Ouédraogo (2005) mesure la profitabilité des nouvelles
technologies et montre que celle-ci détermine la décision des
producteurs du Plateau central d'adopter ces techniques de conservation des
eaux et des sols. Kebede (1993) et Zoungrana (2004) quant à eux
répertorient un certain nombre de facteurs dont le prix des inputs et de
l'output, la taille du ménage, l'expérience, la superficie
emblavée, le niveau d'éducation et surtout les connaissances
traditionnelles. Le prix des
inputs concerne le prix d'acquisition de l'ensemble des
éléments incorporés dans la production. Le prix de
l'output est le prix de vente du produit issu de l'exploitation. Kebede (1993)
insiste sur l'importance du rôle des connaissances traditionnelles sur
l'adoption des technologies agricoles. En effet, celles-ci combinées
à l'expérience ont un impact, non pas seulement positif, mais
également plus grand que celui de beaucoup de variables
économiques et sociales sur les décisions d'adoption de
technologies.
Dadi et al (2004) introduisent la notion de durée dans
l'analyse de l'adoption des technologies en Ethiopie. Le temps est
scindé en deux parties dont le temps-variant et le temps-invariant.
Selon eux, ces deux notion du temps ont un impact sur la rapide adoption des
fertilisants et des herbicides par les petits fermiers dans les hautes
montagnes éthiopiennes. Le temps dont il est question ici est le temps
mis par les fermiers avant d'adopter de nouvelles technologies.
En somme, une panoplie de facteurs détermine l'adoption
des technologies de gestion des ressources naturelles en général
et de la conservation des eaux et des sols en particulier. De la théorie
de l'adoption aux cas pratiques, on peut regrouper tous ces facteurs en
plusieurs classes à savoir les facteurs économiques, sociaux,
psychologiques, institutionnels et techniques comme l'ont montré Jamison
et Lau (1982).
Dans la présente étude l'accent sera mis sur
l'ensemble de ces facteurs et en particulier sur le risque environnemental. En
effet, le problème majeur auquel sont confrontés les producteurs
est le risque pluviométrique. Dans ce sens, l'enjeu de ce facteur
nécessite qu'on lui accorde une importance assez particulière
dans l'analyse. De même, l'on aura recours aux facteurs psychologiques
selon la théorie de la diffusion innovation de Rogers et de Davis.
Ainsi, les facteurs suivants semblent être les plus déterminants
de l'adoption des technologies de conservation des eaux et des sols au dans le
Plateau Central du Burkina Faso. Il s'agit des facteurs économiques tels
l'accès au crédit, le revenu du ménage, le coût
d'adoption de la technologie, le coût d'entretien, les rendements
escomptés de l'adoption, la superficie emblavée, le coût
des intrants, le prix du produit, l'information. Les facteurs environnementaux
concernent le risque environnemental alors que les facteurs psychologiques sont
la perception de l'utilité de la technologie et la perception de la
facilité d'utilisation de la technologie. Enfin, le niveau
d'éducation, la taille du ménage, l'adoption des fertilisants,
des pesticides et des semences améliorées.
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