I-2-2 Les TIC et la gestion des activités des PME
Une amélioration du système productif.
Les Technologies de l'Information et de la Communication ne
concernent pas seulement la circulation d'informations dans l'entreprise. Ce
sont aussi des outils de production qui affectent, dans certains cas, les
conditions même de la production de biens et services :
Amélioration des techniques et des systèmes de production,
évolution des logiques des tâches composant les processus de
production, rapprochement des fonctions de conception, production et vente,
intégration des technologies de production et de communication,
incorporation des clients et partenaires dans la gestion de production. Tout
ceci contribue à réduire les coûts de production qui
rendent l'entreprise plus compétitive. Ces évolutions sont
très visibles dans les services, mais on
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les observe aussi dans l'industrie. Les conséquences
sont à la fois internes et externes. Les métiers et les postes de
travail se transforment. La spécialisation de l'entreprise
évolue. Mais les évolutions des modalités de la production
touchent également l'articulation avec l'environnement externe de la
firme, en favorisant les transferts de savoir-faire entre partenaires et les
apprentissages interactifs. La délocalisation de la production est elle
aussi facilitée, grâce aux systèmes de communication
(téléphone fixe et mobile) et aux applications informatiques et
réseaux. Cette délocalisation, qui permet à l'entreprise
de se rapprocher de sa clientèle tout en accédant plus facilement
à la matière première, offre des réductions de
coûts et de nouveaux marchés.
Les fonctionnalités des TIC et leur aptitude à
susciter de la coordination sont à la base de certaines capacités
innovatrices des firmes, indépendamment, parfois, de l'activité
traditionnelle de recherche et développement. Le plus souvent, la
création de produits ou services résulte d'abord du
décloisonnement qui s'est opéré dans l'entreprise et de la
capacité de mettre en relation et faire collaborer des
compétences auparavant dissociées. Une fois pleinement
intégrées dans l'organisation de l'entreprise (gestion interne et
intégration du réseau de partenaires), les TIC conduisent souvent
à redéfinir le domaine initial d'activité de l'entreprise
autour de la maîtrise des technologies : vente d'informations ou de
services à valeur ajoutée liés aux métiers
d'origine (cas des PME des services par exemple), proposition aux clients de
nouveaux produits (développement d'applicatifs dans le secteur de la
finance, l'assurance ou dans les télécommunications)... Ces
évolutions contribuent à redéfinir les règles
traditionnelles de spécialisation des entreprises. Dans certains cas,
cette spécialisation continue à s'opérer sur la base du
métier d'origine, en renforçant leur source de compétence.
Mais dans d'autres cas, elle peut également s'effectuer, plus facilement
désormais, sur la base des marchés. Cela conduit alors les
entreprises à affronter des concurrents qu'elles ne connaissent pas et
qui se situent en dehors de leur champ d'activité traditionnel. En
Europe, on trouve de nombreux exemples de tels glissements d'un secteur
à l'autre, opérés par des firmes grâce aux TIC :
AT&T
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(télécommunications) et Marks & Spencer
(grande distribution) sont présentes dans le secteur bancaire
grâce à des cartes de crédit développées au
départ pour leurs propres clients. Doublet (PMI d'équipements
urbains et de gestion d'événements) commercialise des logiciels
de gestion intégrés sur la base d'un système
développé en interne pour les besoins de l'entreprise
(Pierre-Jean Benghozi et Patrick Cohendet (chap II,page 188-189)). Ces
qualités sont d'autant plus importantes au niveau compétitif que
les prix et les produits fabriqués sont très proches pour tous
les constructeurs, et que l'organisation représente le facteur de
productivité déterminant. Dans le cas de Bouygues, le courrier
électronique (conçu comme un outil de «groupware» tout
autant que comme un système de messagerie) a ainsi constitué une
clé de voûte des évolutions récentes de l'entreprise
en formant progressivement le coeur du système d'information. Au lieu
des générations informatiques précédentes faites
d'applications verticales et de systèmes centralisés difficiles
à mettre en oeuvre, le courrier électronique a permis aux cadres
d'avoir accès facilement aux outils bureautiques et aux informations
existantes, sans être pour cela des spécialistes de
l'informatique. Ils ont pu disposer des informations de façon
asynchrone, sans avoir à interroger celui qui les avait
créées. Le savoir-faire acquis dans les TIC a été
un facteur-clé dans le succès de la diversification de
l'entreprise, en facilitant l'utilisation d'une comptabilité analytique
très fine et parfaitement maîtrisée. Bouygues a pu en
conséquence aborder des produits et des métiers qu'il ne
connaissait pas (télévision, télécommunications,
services) et espérer y trouver une rentabilité très
rapide, en décelant les postes de coût et les possibilités
de valorisation sur les segments les plus rentables7.
7 Cf. Brousseau et al. (1993, 1995) cité dans
L'organisation de la production et de la décision face aux TIC par
Pierre-Jean Benghozi et Patrick Cohendet (chap II)
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Des TIC pour mieux gérer les ressources des
PME.
Toutes les facilités de production ne peuvent
être exploitées que si la PME emploie un personnel motivé,
dévoué et compétent. Tout cela est conditionné par
un meilleur suivi et un recrutement rationnel du personnel. Les applications
des TIC offrent des possibilités de gestion plus efficace des ressources
humaines.
En externe, les offres de formation à distance offertes
par l'Internet et d'autres applications des TIC permettent à
l'entreprise d'offrir des formations continues moins coûteuses pour
l'entreprise ; ce d'autant puisque ceux qui en bénéficient ne
sont pas entièrement mis en disponibilité.
En interne, nous pouvons noter la gestion plus efficace des
ressources humaines à travers des applications de gestion de personnels
; par exemple, il sera possible en temps réel de savoir la position au
sein de l'entreprise de chaque employé (congé, en service, en
suspension etc...). Ceci permet une utilisation rationnelle du facteur travail
et accroît par conséquent la productivité. Il est plus
facile d'évaluer les besoins en ressources humaines grâce à
la cohérence du système de gestion, qui se transpose sur celle de
la ressource humaine et le poste de travail. Avec les applications TIC, finis
les doubles emplois où même les sous emplois. Aussi, une source de
données à l'échelle de l'entreprise permet de diffuser
l'expérience professionnelle de chaque employé (par exemple
comment un contrat a été remporté), de manière
à ce que chacun au sein de l'entreprise puisse en
bénéficier.
La possibilité d'une gestion rationnelle des finances
et du matériel s'avère évidente. En effet la
traçabilité et l'incidence de l'utilisation de toute ressource
matérielle ou financière s'observent en temps réel
grâce aux applications TIC. Ainsi fini les disparitions sans trace de
toutes ressources de l'entreprise, baisse des gaspillages des ressources.
Des TIC pour mieux gérer les ventes et les
approvisionnements
La contribution des TIC à la gestion automatisée de
la cohérence déborde largement le cadre des frontières de
l'entreprise pour remettre en cause la nature des
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relations avec la clientèle et les fournisseurs.
Concernant l'aval de l'entreprise, l'intégration du client à la
production et aux processus d'innovation passe par la standardisation et la
formalisation des relations et des informations échangées : pour
mieux gérer en commun l'incertitude et la flexibilité de la
demande, pour mieux collecter, utiliser et maîtriser les informations
stratégiques sur la structure de la clientèle et des ventes. En
amont de l'entreprise, les relations externes qui se nouent avec les
fournisseurs et les sous-traitants visent essentiellement à assurer une
réactivité rendue nécessaire par la gestion en flux tendu
: cela se traduit par la réorganisation autour des processus et
l'informatisation des échanges de données, mais aussi par
l'autonomie relative des unités de production et la redéfinition
des frontières de l'entreprise.
Les entreprises utilisent les réseaux pour abaisser
leurs coûts ou pour améliorer la qualité et les
délais de leur approvisionnement en jouant sur la recherche et la mise
en concurrence des fournisseurs potentiels. Les avantages apportées par
une telle utilisation des TIC ne sont cependant perceptibles que si les
produits recherchés sont suffisamment simples ou standardisés, ou
bien si l'information disponible est suffisamment riche (Daft & al, 1984)
pour permettre à l'acheteur de comparer efficacement les prix et les
fournitures sur le marché électronique. Les TIC accompagnent
ainsi une tendance que l'on observe par ailleurs à la standardisation
des produits et des services proposés sur le marché.
Dans de nombreux cas, les entreprises tendent à
substituer à une production à façon ou sur mesure, des
produits ou des services formatés dont les caractéristiques et la
variabilité peuvent être très nombreuses, mais en restant
limitées, car déjà prédéfinies.
La mise en oeuvre de formes d'interactions nouvelles avec la
clientèle exige naturellement un dialogue constant avec les autres
composantes de l'entreprise, et en particulier les activités de
conception. D'une certaine manière, on peut considérer que la
multiplication des relations avec la clientèle «fait entrer le
consommateur dans l'entreprise». La mise en cohérence
automatisée des décisions d'acquisition ou de
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lancement de productions repose sur le recours à des
systèmes informatiques très structurés (du type
EDI8 dans certains secteurs), mais aussi sur des applications plus
interactives (supportées par Internet par exemple) permettant, en temps
réel, de mieux saisir les besoins de la clientèle ou les
problèmes des fournisseurs. Il ne s'agit pas là d'un
phénomène spécifique et nouveau, mais qui prend de
l'ampleur. La multiplication des bases de données marketing permet en
temps réel d'identifier les segments de marché les plus
rentables, de mieux segmenter les offres, ou d'effectuer des simulations sur
des réactions à des produits qui viennent d'être
lancés. Le contact direct avec la clientèle pose des
problèmes inédits de responsabilité dans les
décisions à prendre dans l'entreprise et sur la manière de
représenter les consommateurs dans les décisions de production.
Ce mouvement n'est pas à sens unique, et systématiquement en
faveur des producteurs. Buzzel (1985) note, par exemple, que le
développement de l'informatique conduit à un renforcement du
rôle des intermédiaires et des grossistes, au détriment des
distributeurs et des producteurs eux-mêmes (dans le cas des grands
comptes, ou des produits complexes), même si les technologies permettent,
à priori, une relation directe plus facile avec le client. Cette
redéfinition des relations entre producteurs et diffuseurs
s'opère et se cristallise sur deux registres. C'est d'une part la
modification des positions et des pouvoirs respectifs le long de la
chaîne de valeur, c'est d'autre part les conflits sur
l'élaboration et la maîtrise des bases d'informations sur les
clients.
Dans ce contexte, la refonte et l'exploitation
systématique des systèmes d'information commerciaux jouent un
rôle important. Le « data mining » permet par exemple des
segmentations et des croisements de plus en plus fins dans les bases de
données grâce à l'exploitation de grands ensembles
historiques de transactions. Ce type de technologies autorise des
développements de services, notamment en matière de marketing.
Les TIC constituent donc un outil qui favorise le pilotage par l'aval de
l'entreprise et toutes les caractéristiques de ces technologies peuvent
se conjuguer pour
8 Echange de Données Informatisées
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faciliter cette transformation de l'entreprise qui se tourne vers
le client pour entrer dans un véritable contexte de
réactivité.
Les évolutions récentes invitent plus
précisément à distinguer deux types d'entreprises.
- Premièrement, celles qui restent centrées sur une
activité bien définie
(qu'il s'agisse d'un produit ou d'un service) et sont
généralement structurées verticalement. Au cloisonnement
des fonctions correspond un cloisonnement de l'information, avec l'utilisation
de logiciels spécifiques (flux tendus, gestion de stocks, gestion
industrielle intégrée, EDI avec les fournisseurs...) ; la mise en
place des TIC au sein des départements est essentiellement axée
vers l'amélioration des gains de productivité.
- Deuxièmement, les entreprises qui sont tournées
vers le client et sont
généralement réorganisées
horizontalement ; elles maîtrisent des flux guidés par une
réactivité à la demande, grâce à la mise en
place de systèmes d'information qui s'étendent de bout en bout,
du client au fournisseur. C'est ici que s'imposent les systèmes de
gestion des données techniques, la messagerie interne et externe, et
aujourd'hui l'Internet/Intranet. Dans ces applications, des
caractéristiques très diverses sont simultanément
recherchées : systèmes plus souples et re-configurables, plus
grande réactivité, réduction des coûts de
transaction, amélioration des interactions entre fonctions. A la
différence des entreprises tournées sur leur produit, ce type
d'entreprises privilégie avant tout l'utilisation massive des
progiciels.
La tendance à la diminution du coût des
transactions marchandes s'accompagne logiquement (en accord avec la vision de
Willliamson) d'une plus grande «fluidité» des
frontières de la firme. D'abord, certaines activités n'ont plus
besoin d'être internalisées. Comme les entreprises peuvent
s'appuyer sur les TIC pour externaliser certaines de leurs activités non
stratégiques, elles sont en mesure de mieux se recentrer sur leurs
compétences de base. Ensuite, les choix d'opérer en partenariat,
en sous-traitance ou en intégrant une activité se font de plus en
plus réversibles. Il devient dès lors imaginable
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de redéfinir en permanence les frontières de
l'organisation en fonction des coûts et des opportunités du
marché. Les TIC sont de ce fait au coeur même du
redéploiement stratégique des firmes.
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