2. Construire la stabilité du système
financier international
Au delà de la réforme du système
bancaire, le fonctionnement du Système Financier International fait
l'objet de critiques. De nombreux travaux d'économistes de la finance
internationale ont tenté d'éclairer les concepts-clé et
les enjeux des réformes possibles. Comme nous le verrons en conclusion,
il demeure une distorsion entre les pistes évoquées et leurs
traductions en politiques concrètes, puisque créer une Nouvelle
Architecture Financière Internationale (NAFI) est un processus long et
présentant de grandes difficultés théoriques,
politiques...
Changer le fonctionnement de la finance internationale
requiert d'en questionner la logique, les techniques, mais également la
fonction au sein de l'économie globalisée. En effet, puisque de
vives critiques du Système Financier International ont semblé
venir de tous bords et n'épargner aucun acteur de la finance, pourquoi
ne pas réduire à néant la finance et la
spéculation, ou réduire fortement sa portée ? Après
tout, le crash boursier de 2008 a atteint des records13, mais cela
peut-il s'assimiler à une perte « réelle » de richesse?
L'économie mondiale aurait dû s'effondrer dans les heures ou les
jours qui ont suivi si de telles sommes perdues avaient toutes un ancrage
concret dans une branche quelconque de l'économie14. Quel
pays survivrait à une perte de 20% de ses richesses en un jour?
Pourtant, la transmission à l'économie réelle de la crise
financière, bien qu'ayant d'abord demeuré inaperçue, s'est
effectivement déroulée, avec des conséquences que les pays
occidentaux paient encore aujourd'hui et pour une durée
indéterminée : chômage de masse, déficit et
endettement publics difficilement soutenables... Ainsi, le Système
Financier International comporterait en son sein plusieurs facettes, dont
certaines seraient tournées vers des applications tangibles et d'autres
feraient de la finance un but en soi, la spéculation.
13 Le lundi 06 octobre 2008, Paris perd 22%, Tokyo 24% et
New-York 21%.
14 On peut ici citer le « jeudi noir » 19 octobre
1987, où la bourse de New-York perdait 22,6%, plus grosse perte de son
histoire, suivit par les autres places boursières dans le monde. La
crise crainte alors n'advint pas notamment grâce à l'injection de
liquidité de la Fed, et l'année 1988 connue une croissance
positive dans les PDEM. En conséquence cela peut être
assimilé à « un krach pour rien ! » ( Farrokh, M.,
2007).
La fonction originelle de la finance internationale est
l'allocation des ressources là où elles sont
économiquement nécessaires, c'est-à-dire assurer le
financement du commerce mondial et des balances des paiements. Aujourd'hui, la
finance internationale a un rapport indirect avec le financement des
échanges et des investissements dans l'économie globalisée
: les marché financiers suivent une logique spéculative, et
connaissent des flux d'échanges considérables entre les
différentes monnaies et les instruments financiers, à tout
instant et en tout endroit de la planète. Le Système Financier
International a donc connu un changement structurel profond et est devenu
l'outil de la spéculation. Cette évolution comporte plusieurs
effets, dont certains sont ambivalents. Les effets de levier, permis par la
spéculation, agissent comme un catalyseur de croissance, mais l'ampleur
et la portée ne sont pas la même pour tous les pays ni pour toutes
les catégories d'acteurs économiques : entreprises,
ménages, administrations publiques, etc. : ainsi les dernières
décennies ont été marquée par des périodes
de forte croissance entrecoupée par des crises financières
coûteuses. De la même manière, la titrisation a permis de
s'assurer contre les risques inhérents aux titres financiers, mais a
entrainé une dérive spéculative dont la crise de 2008 n'a
été que le révélateur.
Le Système Financier International est donc une
entité complexe, dont les caractéristiques sont ambiguës.
Ainsi il apparaît que la finance internationale ne peut et ne doit
être mise en péril dans sa totalité, même si de
profondes réformes apparaissent urgentes. L'enjeu de cette partie est de
présenter les réformes ayant pour objectif la stabilité
financière internationale. La méthode consiste à tenter de
prévoir les cycles financiers et d'anticiper ainsi les phases de
retournement, voire de les éluder. A cet effet, les instruments
financiers devront être mieux encadrés et plus lisibles, en
complément d'une règlementation efficace et coordonnée des
acteurs du système financier.
Au cours de cette partie, nous étudierons comment les
produits dérivés peuvent et doivent être
règlementés (1), en parallèle à un encadrement et
une législation des hedge funds (2). Au delà, cela
incite à une vision à long-terme (3), et à
reconsidérer le dogme de la libre-circulation des capitaux (4). Enfin,
pour que les tentatives de réforme soient efficaces, il faut interdire
ou fortement encadrer les paradis fiscaux (5).
1. Règlementer les produits
dérivés
Bien qu'apparue dans les années 1960, la titrisation
s'est amplement développé dans la fin
des années 1990-début 2000. Cette technique
consiste à transformer des créances (par exemple des prêts
immobiliers) en actifs financiers, côtés sur le marché des
capitaux et donc directement échangeables. La mise en application se
fait par l'intermédiaire de produits dérivés, servant
à spéculer sur des risques (non-remboursement, chute des cours),
et fonctionnant de la même manière qu'une police d'assurance. Les
produits dérivés sont désignés comme principaux
responsables de la crise financière car ils créent de
l'instabilité au sein du Système Financier International. Nous
verrons la nature instable des produits dérivés, puis la
titrisation telle qu'elle pourrait être réformée, et en
particulier le rôle des CDS et CDO.
Les produits dérivés sont des instruments
financiers régis par l'IAS 39 et constituent une des principales
innovations financières des dernières décennies. Les
produits dérivés sont les outils de la titrisation, et forment
une partie de l'activité de crédit des banques devenue
indispensable. En effet, les besoins croissants en capitaux de
l'économie mondiale nécessitent un apport de fonds
considérables. Dans une économie d'endettement le rôle des
banques est donc crucial, notamment dans la facilitation de l'investissement
pour les entreprises et de la consommation pour les ménages. Or, sans la
titrisation, les effets de leviers seraient fortement diminués et les
possibilités de crédit d'autant plus restreintes. Autrement dit,
la seule fourniture des fonds propres ne suffirait pas à financer la
croissance mondiale. Ceci établit que la titrisation demeure
nécessaire, ce qui ne minore en rien les besoins de réforme.
La sophistication et la multitude d'instruments financiers
(Credit Default Swap (CDS) Collateralised Debt Obligation
(CDO), et autres produits structurés) ont quelque peu brouillé
les
Tableau 2: CDS et CDO
Un CDO est un produit dérivé structuré,
regroupant au sein d'un même titre plusieurs types d'actifs
sous-jacents (créances, obligations...). Les CDO sont
émis par les banques par l'intermédiaire d'un Special Purpose
Vehicle (SPV) et sont composés de trois tranches, selon le
dégré de risque:
· la tranche equity, la plus risquée
· la tranche mezzanine, intermédiaire
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· la tranche senior ou super-senior, la moins
risquée
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Un CDS est un produit dérivé permettant au
détenteur d'un titre de créance de s'assurer contre le
risque de défaillance de l'emprunteur. Le risque est
ainsi tranféré du créancier vers un tiers,
dérsireux de
l'assumer. Les CDS peuvent ensuite s'échanger de
nombreuses fois sur les marchés financiers et sont donc un instrument de
spéculation privilégié.
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repères, et notamment la capacité de
compréhension, d'analyse et donc de contrôle de l'activité
de titrisation. La plupart des banques d'investissement ont leurs propres
systèmes de fonctionnement, leurs propres codes ce qui amplifie d'autant
la complexité d'analyse pour un quelconque superviseur. Si bien que la
supervision en question est souvent trop peu présente, et les banques
d'investissement ont développé leur propre logique, dont la
gestion est critiquable.
Selon Aglietta & Rigot (2009, pp.141-144), il est
possible de dresser une typologie de la titrisation efficace d'une part et
d'autre part celle qui comporte des anomalies et est créatrice de
risques inutiles. Les auteurs établissent ainsi que les banques
d'investissement ont imposé un modèle générateur de
risque, où l'information est diluée, tout en favorisant le volume
de crédits au détriment de la qualité. Ce modèle
présente des « anomalies grossières » dans la gestion
du risque, puisque tant la notation que l'information sur les titres sont
floues et parfois contradictoires15.
A l'opposé, la titrisation « correctement
gérée »16 assurerait une dissolution du risque
plus efficace tout en proposant des coûts de financement réduits
et un choix de portefeuille plus large. Elle se concrétise par une
sécurisation de la liquidité sur des marchés
parallèles à la titrisation mais aussi une déconnexion
entre la qualité du crédit et celle du titre sous-jacent. La
titrisation doit être simplifiée, avec la suppression des titres
multi-étages comme les CDO pour avoir des titres dont le risque est
divisé donc facilement identifiable.
L'organisation des marchés d'actifs serait ainsi
segmentée et mieux organisée, ce qui permet une meilleure
supervision, que ce soit par les investisseurs eux-mêmes ou par un
organisme chargé de cette mission de surveillance. Une telle tutelle de
marché serait affectée à la surveillance des
marchés dérivés et pourrait être doublée
d'une chambre de compensation, qui préviendrait les
déséquilibres et notamment le risque d'illiquidité (Klein,
2009, p. 303). Enfin, cela suppose une évaluation performante des actifs
(c'est-à-dire consciente des « vrais » risques) par les
différents acteurs. En outre les investisseurs doivent réellement
porter le risque lors d'une spéculation, et pas uniquement le
transférer à un tiers.
La question de la standardisation des produits de la
titrisation est primordiale. Les marchés de certains produits
dérivés sont ainsi très peu régulés et
présentent une forte hétérogénéité.
Ainsi la titrisation devrait suivre une logique économique plus que
spéculative, et éviter les dérives des produits
dérivés, fauteurs de troubles dans le système financier ;
la spéculation à la baisse en 2008
15 Par « information sur les titres » les auteurs
visent l'ensemble de données pertinentes sur un produit
dérivé, à savoir le montant réel du crédit,
son échéancier, sa nature risquée ou non... Ce sont ces
informations qui ont manqué lors de la crise des subprimes.
16 Cette titrisation devrait être la norme, et consitue
ainsi une voie de réforme possible pour les deux auteurs.
ou encore la crise de la dette grecque au printemps 2010 le
prouve. La standardisation doit permettre une complète perception des
risques et des rendements lorsqu'un investisseur acquiert un produit
dérivé.
Les CDO ont par exemple vocation à regrouper des
crédits « toxiques » et des crédits « sains
», afin de diluer le risque. Or selon Aglietta & Rigot, c'est ce
mélange qui est justement pervers car dissimulateur du risque
réel attenant à un crédit ; c'est un des points de
départ de la crise des subprimes. Il est nécessaire de
créer plusieurs marchés d'obligations, dans lesquels chacune des
tranches d'un CDO (voir Tableau n°1) serait négociée : le
risque est ainsi connu et donc mieux appréhendé. Les
différents Asset-Backed Security (ABS)17 liés
aux CDO seraient standardisés et leur gestion différenciée
selon la qualité. Les plus risqués seraient centralisés et
normalisés, en plus d'être régulés par une chambre
de compensation. L'objectif principal est d'éviter le risque
systémique et de « limiter automatiquement les leviers financiers
excessifs et la concentration des positions dans le même sens ».
Le marché des CDS ou « couverture de
défaillance » (Adda, 2010), doit également être
réformé. La confiance est une des carences du Système
Financier International, et il est nécessaire de la rétablir par
l'encadrement des CDS. Ceux-ci permettent en théorie aux banques de se
couvrir contre le risque de défaut d'une contrepartie (voir Tableau
n°1). Mais ce qui ressemble à une prime d'assurance pour
non-remboursement d'un crédit se révèle être un
instrument de spéculation, qui a amplifié la crise lors de sa
phase de retournement et de crise de confiance. En effet, les CDS permettent de
spéculer sur un risque de défaut, dans une ampleur telle que le
CDS peut couvrir un montant plus grand que le crédit sous-jacent ; un
investisseur peut même se couvrir contre un risque qui ne le concerne
pas. Autrement dit la spéculation sur les CDS est vecteur
d'instabilité, et amplifie les cycles18.
Pour la question de la régulation du marché des
CDS, là encore la standardisation est nécessaire. Ils doivent
être régis par des normes internationales précises, et
échangés sur des marchés spécifiques,
différenciés selon le type de CDS. Il serait bon d'envisager la
création de chambres de compensation, qui garantiraient la
liquidité des contrats, par l'exigence de dépôts
préalables aux prises de position et compensés en fin de
journée (Klein, 2009, p. 303). Par ailleurs,
17 Valeur mobilière adossée à des
titres, dont les flux peuvent être basés sur un portefeuille
d'emprunts immobiliers, de crédits à la consommation... Les ABS
sont des titres privilégiés dans les opérations de
titrisation.
18 La crise de la dette grecque illustre cette situation: la
spéculation sur les CDS venant de hedge funds augmentent leur
prix, ce qui amplifie la perception d'un risque et augmente in fine
les taux d'intérêts, dégradant ainsi les conditions de
financement de la Grèce (et donc ses possibilités de
défaut: la situation est proche des prophéties
autoréalisatrices).
il serait nécessaire selon Chesney (2009) de «
conditionner l'achat d'un CDS à la détention de l'obligation
sous-jacente ». En effet, le fait de détenir une assurance sur un
bien que l'on ne possède pas pose un problème d'aléa
moral, voire d'intéressement à la réalisation du risque.
En outre, il serait opportun d'interdire les transactions Over the Counter
(OTC), c'est-à-dire de gré à gré, pour les
institutionnaliser et supprimer leur opacité.
Au delà, les CDS et les CDO posent la
nécessité de lutter contre l'aléa moral lié
à la titrisation. Les banques devraient supporter le risque des
crédits qu'elles accordent, et ne pas uniquement transférer le
risque à un tiers via le marché des dérivés. Klein
(2009, p.303) avance l'idée d'une obligation de détenir au moins
10% de la responsabilité sur un crédit accordé. Plus
encore, il est primordial de revenir sur le court-termisme des banques, et leur
imposer une réglementation des leviers de crédits : les fonds
investis doivent subir des « examens rigoureux » (Aglietta &
Rigot, 2009, p. 144), ne pas céder aux tentations des innovations
financières...
En résumé, nous avons vu la nécessaire
réforme de la titrisation par l'encadrement des produits
dérivés. Ceux-ci doivent être standardisés,
ancrés dans une logique économique plus que spéculative et
ne plus dissimuler le risque sous-jacent. Par ailleurs les CDO
nécessitent d'être refondus voir interdit, et les CDS mieux
encadrés et régulés afin de supprimer l'aléa moral
et la spéculation potentiellement dangereuse. Mais au-delà, une
des pistes de réforme est de règlementer les fonds
spéculatifs (hedge funds) qui se servent massivement des CDS et
CDO et qui sont des acteurs générateurs d'instabilité.
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