I. REFORMER LE SYSTEME FINANCIER INTERNATIONAL
La crise financière de 2007-2008 a profondément
modifié les conditions économiques globales, en induisant une
crise économique dont l'ampleur est comparable à celle de la
crise de 1929. Le segment des crédits immobiliers dits «
subprimes » aux États-Unis est la source de cette
défaillance de la finance internationale, jusqu'au point de non-retour
atteint en septembre 2008 avec la faillite de la banque Lehman Brothers,
fleuron du système bancaire américain depuis 1850. Mais la crise
a révélé des problèmes dans la structure de la
finance internationale, qui a connue de nombreuses phases de crise depuis plus
d'un siècle: crise de 1929, crise du dollar en 1971, crise du
Système Monétaire Européen en 1992-93, crise asiatique en
1997-98, crise Internet en 2000, crise argentine en 2001-2003, crise des
subprimes en 2007-..., etc, pour ne citer que les plus importantes.
Ainsi les périodes de déflation soudaine des
actifs financiers (définition d'une crise financière) semblent
être endogènes au Système Financier International, et la
finance apparaît comme risquée et sensible aux anticipations. Cela
a lieu en dépit des travaux des économistes ayant
dénoncé ces dérives : théorie de
l'instabilité financière (Minsky, 1986), la théorie du
risk management de Greenspan ou encore le risque systémique mis
en avant par M. Aglietta.
La succession de crises financières au sein du
capitalisme moderne conduit à remettre en cause le fonctionnement de la
finance internationale, comme cela a déjà été le
cas auparavant. En effet des plans tels que le Glass-Steagall Act aux
Etats-Unis en 1933 ou bien les accords successifs du comité de
Bâle ont tenté de rationaliser et de réguler le
système financier international, afin d'éviter les
déséquilibres et les crises financières qui ont de lourdes
conséquences sur l'économie réelle : déflation,
production en berne, chômage de masse, dans des proportions
différentes selon le type et l'intensité de la crise. Or cela n'a
pas fait disparaître les crises financières, loin s'en faut. Ainsi
depuis 2008 semble se dégager une forme de consensus sur la
nécessaire réforme du Système Financier International.
Plusieurs économistes et spécialistes de la
finance internationale tentent de répondre à ce besoin de
régulation, en formulant des propositions de réforme qui
pourraient, le cas échéant, se concrétiser en termes de
politique publique ou de réglementation bancaire. Les modalités
et la pertinence des réformes proposées varient selon la nature
de l'auteur (économiste, banquier, politicien...) et le degré de
régulation qu'il envisage (règles microprudentielles ou
réformes du
système dans sa globalité.
Il s'agit dans cette partie de présenter les diverses
pistes de réforme envisageables dans le cadre d'une refonte du
Système Financier International. Nous verrons en premier lieu les
réformes concernant les banques et la réglementation du secteur
bancaire (1), puis les propositions portant sur l'architecture
financière internationale (2), et enfin les pistes de réflexion
visant à modifier l'organisation institutionnelle (3).
1. Réformer le secteur bancaire
L'ensemble du secteur bancaire a été
décrié pendant la crise. En effet les subprimes sont des
crédits hypothécaires dont les vertus sont floues : il
apparaît bien souvent que cela a permis à des ménages
structurellement non solvables de s'endetter afin d'accéder à la
propriété. Le fort risque de défaut était donc pris
en compte par les offreurs de crédits, les prix de l'immobilier aux
Etats-Unis ayant connus une croissance continue au cours des dernières
années. Or le marché de l'immobilier a connu un point de
retournement, avec une très forte baisse des prix entamée en
20063. Cette évolution, couplée aux
déséquilibres induits par la titrisation (voir Partie I, II, 1.
), a conduit à une cristallisation des reproches vers le secteur
bancaire. La vision selon laquelle réformer les banques et leur
métier suffirait à assainir le Système Financier
International est discutable. Mais les décisions politiques ont pour
l'instant tendance à se concentrer sur ce terrain là, ne
serait-ce que par soucis électoral : les gouvernements occidentaux se
doivent de montrer que les banques sont ellesaussi soumises à la
rigueur. Nous verrons dans un premier temps la nécessité d'une
réglementation macroprudentielle (1), en complément d'une
réglementation microprudentielle (2), et enfin un contrôle de la
finance par la finance, autrement dit en utilisant et approfondissant les
instrument déjà disponibles (3).
1. Renforcer la règlementation macroprudentielle...
La réglementation macroprudentielle s'est
imposée au fil du temps comme une variable indispensable à toute
tentative de réforme du Système Financier International. La
survenue de la crise actuelle a montrée l'insuffisance d'une
régulation microprudentielle, c'est-à-dire une prise en
3 Le prix médian a diminué de 129% en moins d'un an
( Artus, Betbèze, De Boissieu, 2008).
compte individualisée de chacun des acteurs du
système financier (principalement les banques), afin d'assurer la
protection des déposants. La réglementation macroprudentielle n'a
pas les mêmes finalités, puisque cela regroupe des mesures
globales visant l'ensemble du système financier (cf. Annexe 1, p. 91).
Il s'agit précisément de protéger ce système contre
les instabilités endogènes qu'il présente. Ces
instabilités sont d'une part la tendance à la
procyclicité, c'est-à-dire l'amplification des phases de bulles
et des phases de crises de liquidités ; d'autre part le risque
systémique4, qui est un risque affectant le système
financier dans son ensemble et dont les causes sont endogènes au
système.
La réforme de la finance passe donc par la gestion de
ces deux failles. Cela est intimement lié à l'activité de
crédit pratiquée par les banques, puisque la
réglementation macroprudentielle est un prolongement de la doctrine du
« risk management » de Greenspan (Aglietta & Rigot ,
2009, p. 132). Celle-ci voit dans les cycles d'expansion et de réduction
du crédit la cause des cycles financiers et donc la succession de crises
dans le système financier. Par ailleurs le marché du
crédit est devenu de plus en plus indépendant des variables
monétaires et les crises financières n'apparaissent donc plus
forcément dans des contextes inflationnistes. Mais les politiques mises
en oeuvre par la Fed et l'utilisation du taux directeur se sont
révélées insuffisantes à enrayer les phases
d'euphorie sur le marché du crédit et nécessite donc une
réglementation complémentaire du système, à un
niveau global ou macroprudentiel.
Tableau 1: Les « 3 D »
Désintermédiation : permet aux entreprises
d'accéder directement aux marchés financiers (finance di-
recte), et de se financer par émissions de titres
(actions, obligations) plutôt que d'emprunter auprès
d'institutions financières. C'est la suppression des
intermédiaires. Cela a favorisé l'avènement de la
financiarisation, c'est-à-dire le recours croissant aux marchés
financiers dans l'économie, pour les institutions financières
comme pour les entreprises.
Dérèglementation : processus d'assouplissement ou
de suppression des réglementations nationales
régissant, et restreignant, la circulation des capitaux
(contrôle des changes, encadrement du crédit, etc).
Décloisonnement : processus de suppression pour les
banques de la segmentation entre les activités
de dépôt et activités d'affaire. Plus
largement, interconnexion entre les différents marchés financiers
: marché obligataire, marché des changes, marché à
terme. Désormais, il n'y a qu'un seul marché global.
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4 Expression courante en finance internationale, mais
régulièrement employé par M. Aglietta dans son oeuvre ;
notamment : interview de M.Aglietta, (2010).
Le cadre macroprudentiel est instauré avec la
création du Comité de Bâle en 1974, et les recommandations
formulées en 1988, communément regroupées sous le titre
Bâle I. Les propositions, en accord avec la Banque des Règlements
Internationaux (BRI), visent à atténuer la procyclicité du
système financier et à instaurer la stabilité. Cela s'est
traduit par le ratio Cooke, qui impose aux banques de détenir au moins
8% de fonds propres par rapport à l'ensemble des encours de
crédits accordés. Cela a été prolongé par
les accords dits Bâle II, qui sont axés autour de trois piliers
(BRI, 2003) : l'exigence minimale de fonds propres (prolongement du ratio
Cooke), la surveillance prudentielle et enfin la discipline de marché.
La réglementation en terme de fonds propres minimaux est le coeur du
système.
Notre propos n'est pas d'expliciter techniquement les
différentes modalités de Bâle I et II mais plutôt de
livrer la perception qu'en ont les auteurs, principalement comme outil de
réforme du Système Financier International5.
Une des caractéristiques du système bancaire est
la grande diversité de ses acteurs : depuis le décloisonnement
des années 1980, composante des « 3D », le secteur bancaire
voit apparaître des investisseurs qui ne sont pas des banques mais qui
pratiquent l'activité de crédit et la titrisation
inhérente à ce marché. Ce sont des banques
d'investissement, les hedge funds (fonds spéculatifs), ou plus
généralement des Investisseurs Institutionnels. Leur
fonctionnement et notamment le fort effet de levier qui caractérise
leurs financements en font selon M. Aglietta des entités vecteurs de
déséquilibres dans le système financier (Aglietta &
Rigot, 2009). De plus, leurs activités sont reliées entre elles
et imbriquées l'une dans l'autre, ce qui explique en partie la vitesse
et l'ampleur de propagation de la crise financière de 2007. Repenser le
cloisonnement et redéfinir le « métier » des banques
est donc envisageable.
Pour Aglietta & Rigot (2009, p. 135), « aucune
politique macroprudentielle contracyclique n'est possible si elle n'englobe pas
la supervision par la banque centrale de la nébuleuse bancaire ».
Cela peut se concrétiser par une régulation des banques
d'investissement au même titre que les banques commerciales, ou encore
par des mécanismes d'incitation à ne pas abuser de la fonction de
prêteur en dernier ressort de la banque centrale. Cette fonction
possède un effet pervers, celui de toujours présenter un
garde-fou en situation de crise de liquidités, ce qui profite aux
banques « sérieuses » mais également à celles
ayant pris des positions risquées.
Un accord concernant une réglementation macroprudentielle
devra être envisagé au niveau
5 Pour en savoir plus sur Bâle I et II, voir le site
internet de la BRI.
international et nécessitera un approfondissement de
Bâle II, afin qu'une coopération entre les économies
concernées puissent s'établir ; cela concerne également
les places financières offshore, qui font par ailleurs l'objet
de réformes (cf. Partie I, II, 5. ). La réglementation
prudentielle proprement dite vise à contrôler et réguler
l'activité de crédit. Il s'agit de limiter l'effet procyclique du
crédit, qui se traduit par un credit crunch en situation de
crise de liquidité. Cet effet aggrave d'autant la récession : les
entreprises éprouvent des difficultés à emprunter et
à investir. Les banques doivent être incitées à ne
pas restreindre les crédits de manière disproportionnée en
situation de retournement de l'activité, et à ne pas s'engager
dans une phase d'euphorie de crédit en cas de reprise. Cela pourrait
s'impulser par une redéfinition des modèles d'évaluation
des risques, leur portée, leur champ de considération, etc
(Klein, 2009, p.298)6.
En revanche, contrairement à leurs ambitions, les
normes prudentielles de Bâle II sont procycliques. Elles prévoient
une provision en fonds propres proportionnelle aux engagements de
crédits, qui sont ensuite pondérés en fonction du risque
(donc au dénominateur de l'équation) : or le risque augmente en
situation de crise et diminue d'autant la provision pour risque (Klein, 2009,
p.297). L'approfondissement de Bâle II évoqué doit
être réorienté vers un provisionnement des banques en fonds
propres résolument dynamique, qui fluctuerait selon la phase
financière dans laquelle elles se trouvent. Ceci pourrait s'apparenter
à une « provision pour risque systémique » (Aglietta
& Rigot, 2009, p. 137), et serait contrôlé par la banque
centrale. La mise en pratique d'une telle mesure s'appuie sur les travaux de la
BRI sur les écarts de spreads mais également sur
l'hypothèse d'instabilité financière évoquée
plus haut.
La règlementation macroprudentielle vise donc à
rendre les décisions des acteurs financiers contra-cycliques
vis-à-vis de l'économie réelle. Parallèlement
à cette approche par la règle, il est envisagé une
approche discrétionnaire de la « macrosurveillance »,
dirigée « du haut vers le bas » (top-down), dans
laquelle l'intervention et son ampleur serait décidée par les
autorités, par exemple la banque centrale (Landau J-P in Banque de
France, 2010). La délicate et incertaine prévention des cycles
financiers fait de cette approche une variable complémentaire qui est
même, selon Landau, « indispensable ».
Ceci étant, en complément de la macrosurveillance
évoquée jusqu'ici, la règlementation microprudentielle
apparaît comme une réforme importante du Système Financier
International.
6 O. Klein est professeur d'économie et de finance,
HEC.
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