Introduction
En Afrique tropicale, l'élevage occupe une place
importante dans l'économie et les activités socioculturelles des
populations. Il est source de protéines, de force de traction et de
fumure animale. Il participe ainsi à la fertilisation des sols et
constitue un moyen d'épargne surtout dans les campagnes africaines
(Itard, 1981) où il peut être assimilé à de
véritables « billets de banque sur pieds » (Bernus, 1995).
Le secteur de l'élevage traverse une crise dont la
principale cause réside dans la dégradation de l'environnement
liée au réchauffement climatique et à l'augmentation des
densités humaines. En effet, le changement climatique constitue une des
menaces les plus graves qui pèsent sur le développement durable.
En Afrique, les manifestations les plus visibles se rapportent à la
sécheresse qui, combinée à l'accroissement
démographique, accélère le déboisement, comme par
exemple lors des épisodes de sécheresses des années
1970-1990. La température moyenne à la surface du globe a
augmenté de 0,74°C entre 1906-2005 et le niveau de la mer s'est
élevé de 1,8 mm par an entre 1961 et 2003 (GIEC, 2007). Ces
bouleversements ont des impacts négatifs sur les ressources naturelles
et l'ensemble des secteurs de la vie, notamment la sécurité
alimentaire, la santé humaine et animale (GIEC, 2001). Une des
hypothèses qui fait l'unanimité chez les climatologues, c'est le
développement des accidents climatiques (inondations et
sécheresses) dans les années à venir (d'Orgeval, 2008).
Face à ces évolutions, les populations adaptent
leurs pratiques de production pour assurer leur alimentation à partir
des produits animaux. Les stratégies d'adaptation des systèmes
d'élevage mises en oeuvre à cet effet peuvent varier en fonction
des groupes d'éleveurs et surtout des zones agro-écologiques.
Afin de déterminer les stratégies d'adaptation les plus
favorables permettant d'assurer un développement durable, il est
indispensable de connaître la typologie exacte des systèmes
d'élevage et leurs impacts relatifs sur les déterminants
spécifiques de la production animale. Parmi ces déterminants, le
contrôle des facteurs de la santé animale représente un
élément fondamental. Pour illustrer cela en Afrique de l'Ouest,
la présente étude a ciblé les Trypanosomoses Animales
Africaines (TAA). En effet, celles-ci représentent le principal frein au
développement de l'élevage en Afrique Subsaharienne. Elles sont
dues à des protozoaires du genre Trypanosoma. Il s'agit
principalement de Trypanosoma congolense, T. vivax et T. brucei
brucei chez le bétail.
Les TAA entraînent chez le cheptel d'énormes
pertes allant de la mortalité à la diminution de la production de
viande, de lait, du taux de mise-bas et de la force de travail (Swallow, 1997).
Ainsi, lutter efficacement contre les trypanosomoses et leurs vecteurs devient
un enjeu majeur dans le système de contrôle des maladies du
bétail. Plusieurs méthodes sont proposées pour le
contrôle ou l'éradication des trypanosomoses et leurs vecteurs.
Toutefois, le chemin est encore long pour atteindre leur éradication.
Cela pourrait s'expliquer par la méconnaissance de certains
paramètres liés aux trypanosomoses et à leurs vecteurs.
Parmi ces paramètres inconnus, on peut citer l'impact de
l'instabilité actuelle des habitats naturels des glossines due aux
effets des changements climatiques et à la pression anthropique (Van den
Bossche et al., 2010).
Les stratégies d'adaptation aux répercutions
possibles des changements climatiques en Afrique de l'Ouest sont encore mal
connues (RIPIECSA, 2008) notamment dans le domaine de la production animale. La
présente étude s'intègre dans le cadre d'un travail
pluridisciplinaire du projet ASECC/RIPIECSA, ayant pour objectif
général d'étudier l'adaptation des systèmes
d'élevage au changement climatique global en Afrique de l'Ouest.
L'objectif global de cette étude est d'analyser
l'impact des pratiques de production et du changement climatique sur
l'épidémiologie des TAA et leurs principaux vecteurs, les
glossines.
Les objectifs spécifiques visés peuvent ainsi
être décrits :
- analyser la situation épidémiologique
(prévalences trypanosomiennes chez les bovins et les densités
apparentes des glossines) dans des sites sélectionnés le long
d'un transect à gradient croissant d'aridité du Sud au Nord du
Burkina Faso ;
- comparer les situations épidémiologiques
actuelles et antérieures dans les différents sites ; -
caractériser les situations épidémiologiques en fonction
des pratiques de production.
Les travaux seront présentés en deux parties selon
le plan ci-après :
- une première partie consacrée à une
synthèse bibliographique de l'état des connaissances sur les TAA,
le concept des changements climatiques et des pratiques de production ;
- une deuxième partie consacrée à
l'étude expérimentale composée de matériel et
méthodes, résultats, discussions, conclusion et
recommandations.
PREMIERE PARTIE:
Synthèse bibliographique
Chapitre I : Généralités sur
les trypanosomoses animales africaines 1.1. Définition et
importance
Les trypanosomoses sont des maladies parasitaires
provoquées par des protozoaires flagellés du genre
Trypanosoma. Ils vivent dans le plasma sanguin, la lymphe et divers
tissus de leurs hôtes (Itard, 1981).
Le parasite est transmis à l'hôte
vertébré généralement par un insecte
hématophage qui peut être soit un vecteur « biologique
», ce sont les glossines ou mouches tsé-tsé, soit un vecteur
« mécanique », comme les tabanidés ou taons et les
stomoxyinés. Les mouches tsé-tsé sont les vecteurs les
plus importants qui constituent les hôtes intermédiaires de ces
parasites. En Afrique, les trypanosomes pathogènes du bétail sont
Trypanosoma vivax (Ziemann, 1905), Trypanosoma congolense
(Broden, 1904) et Trypanosoma brucei brucei (Plimmer and Bradford,
1989).
Les trypanosomoses ont une grande importance à la fois
sur le plan médical et sur le plan économique. En Afrique
Subsaharienne, les effets de la maladie sur le bétail se traduisent par
des mortalités de 10 à 20%, la diminution de la production de
viande de 30%, du lait de 40%, du taux de mise-bas de 11 à 20% et de la
puissance de travail du tiers (Swallow, 1997). Le retard de croissance chez les
jeunes et les avortements chez les vaches gestantes sont également
rapportés par Murray et al. (1991). Par ailleurs, le coût
des traitements est onéreux. Au moins 25 à 30 millions de doses
de trypanocides sont utilisées chaque année, et cela constitue un
coût annuel de 30 millions d'Euros (Bouyer, 2006 ; Vreysen, 2006). Selon
certains experts, les pertes économiques dues à l'ensemble des
pathologies animales au Sud du Sahara s'élèveraient à 6
milliards d'Euros par an, dont le quart est attribuable aux seules TAA (Itard,
2000).
1.2. Epidémiologie
Les TAA évoluent généralement sous une
forme chronique, dont la durée et les symptômes sont variables
selon la résistance de l'hôte affecté et l'espèce de
trypanosome en cause (Itard, 1981). Elles atteignent les animaux domestiques
mais aussi la faune sauvage. Cette dernière peut servir de
réservoir de trypanosomes, notamment au niveau de l'interface entre
zones protégées et pastorales (Bouyer, 2006 ; Van den Bossche et
al., 2010). Les TAA évoluent généralement sous
forme enzootique dans l'aire de répartition des glossines. Dans les
zones
indemnes, dès que la maladie se déclenche, elle
prend la forme épizootique avec prédominance de la forme
aiguë. On peut également rencontrer d'autres situations
épidémiologiques telles que des situations
enzoo-épizootiques (cas de la trypanosomose hémorragique due
à la souche est-africaine de T. vivax).
Les TAA apparaissent en toute saison mais leur
évolution dépend de la pression vectorielle. En effet, au cours
d'une année, la distribution des glossines de savane (groupe
morsitans) est très dépendante de la saison. Elles
représentent un risque élevé en saison pluvieuse, mais
diffus dans l'espace. Ainsi, en début de saison pluvieuse, leurs
densités augmentent et atteignent un maximum un mois et demi
après. On observe une chute sensible au milieu de cette même
saison du fait de l'effet dévastateur du développement des
prédateurs (guêpes, fourmis) et de la montée des eaux sur
les gîtes de pupaison. Une décroissance régulière
des densités commence avec l'arrêt des pluies et atteint un
minimum pendant la saison sèche. Par contre, chez les glossines
riveraines (sous-genre Nemorhina), le risque de transmission se limite
au voisinage des cours d'eau mais reste permanent tout au long de
l'année.
Les sources d'infections sont les animaux domestiques ou
sauvages cliniquement malades de trypanosomose ou les porteurs sains (faune
sauvage, bétail trypanotolérant voire les animaux
trypanosensibles avant l'apparition des signes cliniques). La voie principale
d'infection est la voie cutanée par piqûre d'insectes
hématophages portant les formes infectantes des trypanosomes ou formes
métacycliques.
T. vivax est transmis par les mouches
tsé-tsé mais peut l'être également par des vecteurs
mécaniques comme les tabanidés et les stomoxes (Desquesnes,
2003). Par conséquent, cette espèce de trypanosome a une
répartition plus large et on peut la rencontrer sur d'autres continents
que le continent africain, notamment en Amérique du Sud. T.
congolense et T. brucei brucei sont considérés
comme exclusivement transmis par les glossines et sont donc limités
à la zone de répartition de ces dernières (Bouyer, 2006).
Cependant, les tabanides sont capables de transmettre T. congolense en
conditions expérimentales (Desquesnes et Dia, 2003 ; Desquesnes et
al., 2009). La pathogénicité des trypanosomes
dépend de l'espèce ou de la souche parasitaire et de
l'espèce ou de la race de l'hôte vertébré, ainsi que
de son état sanitaire, nutritionnel, physiologique et de sa
trypanotolérance (Cuisance et al., 2003).
Contrairement à la transmission cyclique, la
transmission mécanique de la trypanosomose est très fragile du
point de vue épidémiologique (Desquesnes, 2003). La
promiscuité des individus et/ou des espèces dans un
élevage ou leur proximité à un point d'eau est la
condition
nécessaire à la transmission mécanique
des trypanosomes par les insectes hématophages. La probabilité de
transmission est plus ou moins élevée selon divers
paramètres concernant l'hôte infectant (taux de
parasitémie), le vecteur (taille de l'insecte et des pièces
buccales), l'hôte réceptif (compétence immunitaire) et
leurs relations (Sidibé et Desquesnes, 2001). Les foyers de trypanosomes
transmis mécaniquement peuvent connaître des incidences de 100% en
quelques jours, même lorsque l'abondance des vecteurs mécaniques
est modérée. Les insectes piqueurs ont un double effet sur les
bovins : des effets directs (lésions cutanées, spoliation
sanguine et stress) provoquant une immunodépression qui favorise
l'apparition des signes cliniques et l'augmentation de la parasitémie
des animaux infectés et l'accroissement de la réceptivité
des animaux sains ; un effet indirect lié à la transmission
mécanique des parasites.
La prévalence et l'incidence de la maladie au sein
d'une population dépendent du taux d'infection des glossines et de la
fréquence des contacts hôtes/vecteurs. La sensibilité des
mouches tsé-tsé à l'infection est variable avec leur
état d'infection et de nutrition (Akoda, 2009 ; Akoda et al.,
2009). Dans la nature, le taux d'infection des glossines excède rarement
15% (Duvallet, 1987). Chez les bovins, la prévalence des infections est
particulièrement élevée (> 70%), les adultes sont
régulièrement infectés tandis que les jeunes s'infectent
entre 6 mois et 2 ans (Desquesnes, 2003). Par ailleurs, la prévalence et
l'incidence sont plus élevées chez les bovins de race
trypanosensible (Bos indicus) que chez les races
trypanotolérantes (Bos taurus). Chez les animaux exotiques
provenant des pays du Nord, la prévalence parasitologique peut atteindre
100% si aucun traitement n'est administré (Bengaly, 2003), avec un taux
de létalité très élevé.
|