Sur les cinq structures retenues, il apparaît clairement
que les informations et la connaissance des instances ne sont pas
identiques.
Dans les deux FJT figurant en bleu les différents
acteurs ont une connaissance homogène du fonctionnement global des
différentes instances, ce qui témoigne d'une appropriation du
système en place que l'on soit résident, professionnel ou
administrateur.
Par contre, dans trois FJT figurant en rouge c'est l'inverse,
ce dont témoigne l'éparpillement des réponses. Cet
éparpillement est plus important sur les deux premières questions
que sur les deux dernières. Nous pouvons donc avancer que
l'assemblée générale des résidents et la
réunion des résidents163 sont les instances dont la
connaissance est la moins bien partagée entre les différentes
catégories d'acteur.
c/ Des écarts entre les catégories
interrogées
Les trois catégories d'acteurs qui existent au sein
des FJT (les jeunes résidents, les professionnels et les
administrateurs), n'ont pas la même compréhension ou pas la
même connaissance du fonctionnement et des attributions des
différentes instances. En fait chaque catégorie connaît
l'instance qui lui est proche. Les résidents décrivent de
façon assez homogène le conseil des résidents, de
même que les administrateurs le font concernant le conseil
d'administration ; par contre la connaissance « croisée » des
instances apparaît plutôt mauvaise.
Il y a bien sûr une logique à cela, car ces
instances sont spécialisées, les sujets abordés au conseil
des résidents sont différents de ceux abordés en CA.
Toutefois, il devrait exister une convergence sur un certain nombre de
thèmes, et sans doute cela n'est pas valorisé, ce qui est
dommageable sur le plan de l'éducation à la
citoyenneté.
Il convient de noter ici un regret a posteriori concernant
l'enquête. Il eut été intéressant de réaliser
une analyse plus fine concernant les professionnels, simplement en demandant la
fonction occupée, afin d'étudier si des différences
apparaissaient entre le personnel éducatif et le personnel
d'encadrement. En effet il ressort de l'enquête que c'est le personnel
éducatif qui encadre le conseil des résidents. Peut-être de
son côté le personnel d'encadrement est plus proche des
administrateurs ?
d/ Un intérêt affirmé par tous
La réponse aux questions directes concernant à
la fois l'intérêt et la qualité de la participation des
résidents est claire et nette, elle est voulue par tous et elle
fonctionne plutôt bien.
Les plus positifs sont les résidents164,
les modalités de participation qui leur sont offertes les satisfont.
Nous pouvons avancer que pour eux il s'agit d'un espace de communication avec
les pairs, d'affirmation de soi et un mode de relation avec les adultes
nouveau. C'est un premier pas, un premier investissement dans la vie de la
cité apprécié.
163 Un répondant du FJT 1 et un autre du FJT 4 ont
coché deux cases au lieu d'une à la question sur la
fréquence de la réunion. Ces deux réponses «
surnuméraires » ont été incluses dans le tableau,
c'est pourquoi à deux endroits il y a plus de réponses que de
répondants.
164 Soulignons ici que le parti-pris de l'enquête a
été d'interroger des résidents ayant déjà
une expérience de la participation au FJT, ces conclusions ne concernent
donc que des jeunes déjà sensibilisés.
Les professionnels sont traversés de sentiments plus
contradictoires. Ils sont les plus affirmatifs quant à la
nécessité de faire participer les résidents sur un plan
pédagogique de formation politique, au sens de l'ouverture à la
vie de la cité. Un professionnel a rajouté à
l'enquête que « la participation est indispensable si on se veut
association d'éducation populaire », rappelant là
l'origine du mouvement des FJT. En même temps ce sont eux qui
considèrent le moins le rôle des résidents comme ouvrant
à la décision, les cantonnant à une
participation-information, loin de la co-gestion.
En rapprochant la taille moyenne des FJT (114 places) avec la
moyenne des jeunes participants à la réunion
régulière des résidents (12 à 26) obtenus par
l'enquête, nous pouvons estimer que le taux de participation oscille
entre 10 et 20 %. Ce chiffre est très approximatif, et doit être
pris avec réserve. Toutefois, il indique malgré tout que la
participation des jeunes dans les FJT est supérieure à celle
observée dans d'autres instances. Pour mémoire les chiffres
avancés sont de l'ordre de 2 à 3%. C'est là pour les FJT
une réussite et un atout indéniable, qui corrobore les
réponses positives quant à l'intérêt et à la
qualité de la participation des résidents.
2/ Préconisations
Les FJT ont une triple raison de valoriser la participation
des résidents aux instances qui y existent. Cela participe à une
socialisation-politique des jeunes accueillis, ce qui est
particulièrement important pour ceux d'entre-eux qui ne l'ont pas eu par
transmission familiale. Les FJT permettent aux jeunes de s'investir sur des
sujets proches de leurs centres d'intérêt, le foyer constitue
ainsi une cité à leur échelle. L'investissement des jeunes
dans la vie des associations gestionnaires ne peut qu'augmenter la pertinence
des politiques menées. Toutefois pour atteindre cela, des adaptations
sont nécessaires.
a/ Clarifier et adapter les instances
Ce qui ressort de l'étude des différences
instances, c'est qu'il y a un manque de clarté. Fondamentalement
celui-ci est lié à un enchevêtrement d'instances ne
répondant pas aux mêmes réglementations. Il y a d'un
côté le fonctionnement associatif, de l'autre le code de la
construction, enfin la loi 2002-2. Ces réglementations autorisent
malgré tout une souplesse importante dans l'organisation, permettant de
nombreuses adaptations.
L'association est le lieu privilégié de la
citoyenneté car c'est le lieu de la parole qui institue, qui
décide. L'association a des difficultés pour faire une place dans
ses instances aux jeunes représentants les résidents, mais la
proposition peut être renversée : les jeunes ont des
difficultés pour investir la place qui leur est proposée.
Toutefois ce serait une erreur de croire qu'ils s'en
désintéressent, comme le montre ce commentaire d'un
résident rajouté à son questionnaire « Il serait
correct vis-à-vis des résidents, et je crois d'ailleurs que la
réglementation des associations du type loi 1901 l'impose, de les
inviter à assister aux différents conseils d'administration
».
Le conseil des résidents est un lieu d'échange
de parole, mais il ne s'agit pas d'une parole qui institue, il est ici question
de parole donnée, d'expression ouverte. Cette liberté
d'expression, encouragée et facilitée par les équipes
éducatives permet d'entendre la voix des résidents, mais sans la
transformer en voix élective à l'étage
associatif : « L'erreur courante consiste à
croire que la démocratie se définit par la "parole
donnée", l'expression ouverte... Si la liberté d'expression
caractérise du point de vue du Droit les démocraties, celles-ci
ne s'établissent pas sur ce principe mais bien sur l'idée : "Un
homme une voix". Autrement dit, si c'est bien la parole qui est en cause c'est
la parole qui institue, qui décide, la parole performative, la parole
qui légifère »165.
Ce constat n'est pas propre au conseil des résidents
en FJT, mais il existe de la même façon pour d'autres instances
destinées aux jeunes : « Ces espaces de
délibération ne se situent pas dans le champ politique. Ils sont
pré-politiques. Mais sous peine de les réduire à des
théâtres de marionnettes, il convient de leur octroyer une
certaine "effectibilité" dans le domaine politique (...) là
où se prennent les décisions et où elles sont
appliquées »166.
Le noeud de cette situation-problème est donc la
clarification et l'articulation entre les deux pôles. Nous pouvons
considérer qu'à l'étage du conseil de résident,
l'objectif est d'initier les résidents à l'exercice de la parole
collective, du débat ; par analogie cela ressemble à un exercice
de démocratie directe. A l'étage du conseil d'administration les(
représentant des jeunes peuvent et doivent accéder à la
parole instituante ; c'est là un deuxième niveau d'initiation,
cette fois à la démocratie représentative. Il s'agit
là d'aspect fondamentaux, la difficulté majeure demeurant
d'articuler les deux niveaux et de les adapter, notamment en raison de la
mobilité du public.
La démocratie a besoin de procédures et de
règles, et cela suppose des institutions pour les mettre en place, mais
au delà des règles les formes sont à adapter. Nous
retrouvons ici le débat classique sur l'application de la loi, entre
l'esprit et la lettre. Un FJT a apporté un témoignage
intéressant en ce sens, en joignant aux questionnaires deux documents
rapportant les adaptations imaginées167. Chaque année
une sensibilisation est opérée durant le mois de septembre
auprès des jeunes nouvellement arrivés, puis au mois d'octobre
des élections de délégués ont lieu. La forme de ces
élections montre une adaptation originale. Chaque résident se
voit remettre une liste des candidats qui se sont déclarés durant
le mois de sensibilisation. Ensuite « ...a lieu l'élection
où chaque résident va pouvoir remettre sa liste, sur laquelle il
aura rayé des noms, dans une urne présente dans le hall d'accueil
entre 17h et 20h. Le bureau de vote est tenu par les résidents de
l'ancien conseil. A 20h, le dépouillement a lieu à la
cafétéria : il suffit d'avoir au moins 15% des voix pour
être élu ; les 8 résidents ayant le plus de voix sont
élus ; les 4 autres suivant sont suppléants et remplacent les
élus s'ils partent en cours de mandat ». Il y a dans cet
exemple une conservation des formes de la démocratie
représentative, ce qui permet pour les jeunes une expérimentation
citoyenne. Il y a aussi une adaptation puisque seulement 15% de voix sont
nécessaires pour être élu. Nous retrouvons ici mis en
application la remarque faite au chapitre sur la participation : l'objectif est
bien de faire participer des résidents et non l'ensemble.
b/ Les professionnels garants de la permanence
Au vu du
renouvellement constant du public au sein des FJT, l'organisation formelle
des
165 Reynald BRIZAIS, « Citoyens en institution, institution
citoyenne », document de cours Cadre et direction, MST IDS - DSTS
de Nantes, 2005
166 Jean-Charles LAGREE in « Problèmes politiques et
sociaux » n°862, p. 7
167 Documents joints en annexe 5
instances représentatives est inadaptée. Il est
peu probable que les jeunes résidents soient là en permanence sur
un cycle annuel, et si les foyers respectent à la lettre les formes
prévues, nous pouvons craindre qu'ils passent alors plus de temps et
d'énergie à organiser les remplacements des
délégués qu'à s'attacher au fond, c'est à
dire faire émerger la parole des résidents.
Une constante demeure liée au roulement important du
public. Face à cela, il est primordial d'avoir une stabilité du
mode d'organisation et de transmission. Celle-ci est assurée par les
professionnels. Le rôle prépondérant qu'ils ont, nous
l'avons vu dans l'enquête, au niveau de l'organisation pratique
(convocations, ordre du jour, compterendus...) montre qu'ils assument
déjà en grande partie ce rôle. La rotation du public
entraîne la nécessité d'expliquer aux nouveaux venus le
fonctionnement des instances. Ce sont les professionnels socio-éducatifs
qui assurent cette mission du fait de leur relation privilégiée
auprès du public, et c'est une mission fondamentale : « La
cité étant au service des personnes, le pouvoir doit reposer sur
leur confiance et s'efforcer de la maintenir par un contact permanent avec
l'opinion »168. Les professionnels ont ainsi un rôle
de transmission et de contact permanent. Cela fait d'eux les garants du
fonctionnement des instances et de la participation des jeunes. Ce rôle
est usant, du fait de la rotation quasi-permanente du public. C'est à
eux d'inventer et de garantir des manières de transmettre, afin que les
jeunes nouvellement arrivés puissent s'en saisir. Cela implique
également de veiller à ce qu'il n'y ait pas confiscation par
quelques-uns de la participation. Nous remarquerons que le rôle de
transmission assuré par les professionnels pourrait être
relayé par les administrateurs s'il y avait plus de convergence entre le
conseil d'administration et le conseil de résidents.
Pour tenir compte de l'engagement possible, mais
limité à une thématique précise, la majorité
des FJT propose aux résidents de s'investir au sein de commissions
spécifiques. Le travail en commissions constitue, au vu des
enquêtes, une adaptation réussie, ce qui rejoint les constats sur
les nouvelles modalités de l'engagement : « Il serait
erroné de parler de désimplication. Si persiste dans l'opinion
cette idée tenace du retrait et du repli individuel, y compris vis
à vis de la vie associative, c'est essentiellement parce que les
modalités de la participation ont changé (...), le militantisme
à vécu et le dévouement à une grande cause ne fait
plus recette (...). La participation n'est plus l'inféodation,
l'engagement n'est plus l'enfermement et il n'est jamais définitif (...)
; ce qui n'empêche pas un véritable investissement individuel mais
sur fond de décision personnelle souvent ponctuelle et conditionnelle,
liée à une action précise (...)
»169.
Si le cadre et le public des FJT est spécifique, le
fonctionnement de la participation y répond au même schéma
général, soit le triptyque suivant :
habitant/jeune élu/administrateur
professionnel/technicien
168 Marc BLOCH, cité p. 217 du Guide
républicain.
169 SUE Roger, 2001, p.152-153
Dans ce schéma, les professionnels ont un rôle
de tiers, or « Il est important que les élus et les habitants
aient l'impression d'avoir une influence sur la personne qu'ils mettent en
position de tiers »170. Un résident a
rajouté un commentaire à l'enquête, qui reprend pour partie
cela « Lors des commissions de résidents beaucoup de sujets
sont abordés mais tous n'aboutissent pas, soit dans un cas les
résidents lâchent le projet en cours, ou l'administration coupe
court au projets ». Cette réflexion retranscrit bien ce
sentiment de ne pas avoir d'influence, ce qui est fortement
préjudiciable à la participation. Il est primordial qu'aucune
question soulevée ne reste lettre morte. Pour cela il faut d'une part
constituer des outils de suivi pour relayer les propositions, les idées,
les doléances. D'autre part il faut apporter des réponses
tranchées, ne pas attendre que la question « s'éteigne
d'elle même ». Cela se fait dans certains foyers, puisqu'un
résident enquêté a rajouté dans le questionnaire
« Après l'assemblée générale il y a un
compte-rendu point par point avec une réponse de l'administrateur
».
c/ Rapprocher jeunes et administrateurs
Un administrateur enquêté a rajouté au
questionnaire la phrase de commentaire suivante : « Le contact avec
les résidents est assuré essentiellement par les directeurs et
les animateurs ». Est-ce un constat, est-ce un regret de sa part ? Un
professionnel a lui rajouté ceci : « La participation devrait
impliquer tous les acteurs du FJT et notamment le CA. Il faudrait un
réel accompagnement pour espérer pratiquer une démocratie
participative ».
Ces phrases reprennent bien en tout cas l'un des constats de
l'enquête, il y a une grande distance entre jeunes résidents et
administrateurs. Les centres d'intérêt, les
temporalités mais aussi les lieux de rencontre sont différents.
Pourtant ils devraient se rencontrer, puisque d'un côté il ressort
de l'enquête que les administrateurs peuvent, s'ils le veulent, prendre
part au conseil des résidents ; et de l'autre que des
représentants des résidents devraient participer au conseil
d'administration de l'association.
Les rapprocher demande une adaptation des formes et des
modalités des instances. Les commissions mises en place dans une
majorité de foyers constituent une de ces adaptations. Elles favorisent
la participation des jeunes résidents parce qu'elles répondent
plus directement à leurs intérêts, or «
...construire de l'intérêt général demande d'abord
de passer par l'intérêt particulier »171.
Cela n'implique pas pour autant leur participation aux instances
décisionnelles de l'association. La difficulté pour rapprocher
les résidents et les administrateurs est le passage du « micro
» au « macro ». L'intérêt des résidents se
porte sur des éléments de proximité, du quotidien, tandis
que l'objet du conseil d'administration porte sur une échelle beaucoup
plus vaste. Pourtant les deux sont liés, mais pour qu'il y ait rencontre
il faut un mouvement réciproque des deux parties.
Les commissions peuvent constituer un lieu
intermédiaire de rencontre. Les jeunes résidents peuvent y
évoquer des problèmes précis et particuliers,
centrés sur le court terme. Les administrateurs peuvent y expliquer en
quoi ces soucis proches s'insèrent dans une problématique plus
vaste, courant sur le moyen ou le long terme. Cela peut
170 Francis RATIER, compte rendu de la journée «
Participation des habitants du 31 janvier 2002 » organisée par
RésO Villes (centre de ressources politiques de la ville
Bretagne/Pays-de-Loire), disponible sur
www.resoville.com, p.21
171 Francis RATIER, RésO Villes, 2002, p.9
permettre aux jeunes de comprendre que leur participation
s'inscrit sur une échelle qui dépasse le cadre de leur
séjour, et aura des effets positifs pour d'autres après eux. Nous
sommes bien là dans l'apprentissage de l'intérêt
général. D'un autre côté, cela peut permettre aux
administrateurs de se rendre compte qu'il n'y a pas de problèmes anodins
ou mineurs. Dans le contexte de Foyers qui accueillent un certain nombre de
jeunes disqualifiés socialement, les « petits soucis » sans
réponses peuvent être vécus comme dégradants, la
dimension symbolique étant en ce cas bien plus importante que la
dimension réelle.