2.1.2. La clientele de Keur Serigne bi : une clientele
hétérogène.
Parler de la clientele de « Keur Serigne bi » revient
à identifier ceux qui y viennent pour s'approvisionner en
médicaments et ou en d'autres spécialités
médicinales. Certains
69 CROZIER M., FRIEDBERG E., 1977, LÕacteur
et le système, Paris, Seuil.
vendeurs et rabatteurs affirment qu'ils ont une
clientèle qui regroupe toutes les catégories sociales et
socioprofessionnelles, qu'elles soient riches ou pauvres. Un racole ur nous
confie: ici ! Tout le monde y vient.
Moi, j'ai des clients avocats, policiers et tu verras
avant que tu ne rentres, affirme un autre. Notre immixtion dans ce milieu
nous a permis de comprendre que la clientèle de <<Keur Serigne bi
È est loin d'être homogène mais diverse et
variée.
Les acheteurs appartiennent à différentes
catégories sociales, contrairement à ce que pensent beaucoup de
personnes y compris certains auteurs à l'instar de FASSIN qui croient
que c'est exclusivement l'apanage des catégories sociales
économiquement défavorisées. Parmi ces acheteurs on peut
noter deux catégories: << la clientèle fidèle ou
potentielle È et << la clientèle de
circonstance ou occasionnelle È.
2.1.2.1. La clientèle fidèle ou
potentielle
Les acheteurs potentiels sont généralement des
gens atteints d'une maladie qui nécessite la prise quotidienne de
médicaments ou des personnes utilisant un ou des médicaments
spécifiques pour le traitement d'une maladie chronique. Certains d'entre
eux arguent que les médicaments sont chers aux niveaux des pharmacies et
que << Keur Serigne biÈ constitue une panacée. Une cliente
affirme: ce médicament, je dois l'acheter à chaque fin de
mois et je
n'ai pas toujours les moyens de l'acheter dans les pharmacies
parce que c'est cher. J'ai quelqu'un qui me le vend ici à chaque fois
que je viens.
On note parmi eux, des hommes et des femmes mais ils
appartiennent à différentes catégories
socioprofessionnelles. On y trouve: des infirmiers, des ouvriers, des
boutiquiers,
70
des ménag ères et même paradoxalement des
gendarmes et policiersqui souvent en uniforme, se positionnent à
quelques encablures de la maison de peur d'être appréhendés
pour négocier, discrètement, avec un racoleur qui se charge
d'apporter le médicament demandé. Et, l'invraisemblance est que
parmi ces forces de l'ordre on y retrouve de <<fidèles clients
È. Un client, policier, à la recherche d'un médicament,
intercepté par un racoleur qui
70Nous les avons identifiés et avons même
participé aux négociations avec le racoleur qui me les
présentait comme son ami.
lui propose un prix (quÕil a jugs cher) lui dit :
c'est cher, tu me laisses donc voir mon client. J'ai un client qui me
vend ca à chaque fois que je viens ici. Ceci montre effectivement
quÕil est un habituel acheteur. Un autre, gendarme, en civil tenant une
ordonnance dÕune valeur de 13. 613(prix à lÕof ficine)
negocie avec un rabatteur avec qui il a lÕhabitude de negocier
afin quÕil lui donne les medicaments moyennant 7OOOf.
Le racoleur lui dit : ca ne m'arrange pas (7000f) mais je ne peux
qu'accepter parce que tu es mon client mais « baxul ci man » (ca ne
m'arrange pas).
Les infirmiers representent une part importante dans la
clientele de Ç Keur Serigne bi È comme le confirment les vendeurs
et nos observations. En effet, beaucoup dÕinfirmiers proprietaires de
structures sanitaires (privees) viennent sÕapprovisionner au
marché parallele « Keur Serigne bi È. Au cours de notre
enquete, nous avons pu identifier une infirmiere. Elle etait en compagnie de
son chauffeur qui se stationne à quelques 100 metres de la maison. Elle
reste dans la voiture et donne au chauffeur une liste de medicaments
quÕil cherche à lÕinterieur de Ç Keur Serigne bi
È. Apres lÕapprovisionnement, elle procede dÕelle -meme
à la verification avant de quitter. Beaucoup dÕinfirmiers se
ravitaillent à partir de Ç Keur Serigne bi » soit en
medicaments soit en dÕautres specialites medicales que nous
mentionnerons. Ainsi , nous notons parmi Ç la clientele fidele È
une part considerable de personnes censees de lutter contre le commerce
illicite de medicament. Ces categories socioprofessionnelles pourraient etre
considerees comme les Ç legalistes È cette pratique qui bien
quÕinterdite se voit ainsi toleree implicitement.
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