3. Les limites des politiques de santé
Depuis une trentaine d'années, les réformes se
sont succédé, les propositions se sont multiplié et,
pourtant, une grande insatisfaction persiste, tant du point de vue des
populations que des intervenants. Le sentiment est désormais largement
partagé qu'une
52
grande partie vient de l'offre de santé publique . En
1978, la Conférence d'Alma Ata sur les soins de santé primaires a
été organisée sur la base des principes de l'accès
universel, de l'équité, de la participation communautaire et de
l'action intersectorielle. En 1987, les ministres africains de la santé
ont adopté l'Initiative de Bamako qui était aussi, une
stratégie destinée à renforcer les soins de santé
primaires.
52 JAFFRE Y., DE SARDAN J. P. (dir.), 2000, Une
Médecine inhospitalière, les difficiles relations entre soignants
et soignés dans cinq capitales d'Afrique de l'Ouest, Paris,
Karthala, p.10.
En 2001, les chefs d'Etat et de gouvernement ont
proclamé 2001-2010, Décennie de la médecine traditionnelle
africaine. Cependant, nous constatons, de la Conférence d'Alma Ata
à l'Initiative de Bamako, que les politiques de promotion des soins de
santé primaires restent toujours d'actualité quoique les actions
entreprises soient non négligeables. Ces politiques ne se sont pas
traduites en un meilleur accès aux services de santé pour les
plus démunis, elles n'ont fait que marginaliser davantage certains
sous-groupes déjà très vulnérables au profit d'une
plus grande viabilité financière des structures et l'exemption
du
53
paiement pour les indigents est une solution viable mais
socialement non envisagée .
Même si son option première consiste à
rendre accessibles les soins de santé pour les populations les plus
démunis, l'Initiative de Bamako se heurte à certains
problèmes. La non gratuité des consultations aux niveaux des
structures sanitaires et l'exigence d'un honoraire pourraient constituer une
entrave pour les patients d'accéder aux soins médicamenteux.
Dès lors, la promotion des soins de santé primaires ne doit pas
se limiter uniquement à la facilitation de l'accès aux
médicaments essentiels. Parallèlement, elle doit passer de prime
abord par la gratuité ou du moins par la réduction du prix de la
consultation si l'on sait que cette dernière est la clé de
voute.
Par ailleurs, les politiques sanitaires et plus
particulièrement l'IB qui veut intégrer les agents de
santé communautaire se trouvent confronter à d'autres
problèmes liés au manque de formation et de
légitimité, à la corruption des certains agents et
comités de santé ou de gestion. Les comités de
santé, censés être les garants d'une participation
communautaire,
54
sont souvent loin de répondre toujours à cette
vocation qu'on leur a assignée . Les pratiques telles que les
corruptions et détournements ont été soulignés par
l'Inspecteur des affaires administratives et financières au
Ministère de la santé et de la prévention Médicale
qui s'intrigue du fait que les comités de santé se soient
détournés largement de leurs objectifs.
Il ajoute qu'Ils s'adonnent pratiquement à la
collecte des recettes générées par les activités
des structures, sans aucune contribution, par des activités
génératrices de revenus, au détriment
des activités promotionnelles. Les recettes sont
thésaurisées si elles ne sont pas détournées,
au
53 Santé Publique, 2004, Volume 15, N°1, p.
37.
54 JAFFRE Y., DE SARDAN J. P. (dir.), 2000, op. cit.
p.74.
moment ou les structures manquent de
ressourcesÉLes instances de décision de ces comités de
santé ne sont pas toujours renouvelées et ne sont pas
représentatives des populations. Les dépenses n'obéissent
à aucune clé de répartition objective et sans aucune
planification55.
Lors des assises de la santé de l'an 2000 au
Sénégal, les autorités avaient introduit la notion de
« capital santé È. La santé doit être un
bien que chacun doit posséder et entretenir56.
En outre, les politiques de promotion des soins de
santé et les programmes de lutte contre certaines maladies n'arrivent
pas à gommer totalement les problemes d'inégalités devant
l'accès aux médicaments essentiels. En dépit des efforts
consentis par tous les partenaires de lutte, certains malades ont du mal
à accéder aux soins.
Dans le Programme National de Lutte contre la Tuberculose
(PNT), seuls 73% des malades sont encore pris en charge alors que le taux
n'atteint pas toujours l'objectif fixé par l'OMS qui est de 85%. En
effet, 12% des tuberculeux sont marginalisés et constituent un
réel probleme de santé publique. La représentante du
Programme National de lutte contre la Tuberculose (PNT) affirme que le taux de
dépistage est de 56% tandis que celui du traitement est de
73%57. La promotion de santé doit viser
l'égalité en matière de santé. Ses interventions
ont pour but de réduire les écarts actuels caractérisant
l'état de santé et d'offrir à tous les individus les
mêmes ressources et possibilités pour réaliser pleinement
leur potentiel de santé58 . Cependant, il
semble que le dispositif de prise en charge a du mal à couvrir ou du
moins à satisfaire la demande médicamenteuse de certaines
populations. On assiste souvent à la rupture de stocks sporadiques en
médicaments dans les structures sanitaires du secteur public et dans le
circuit officiel d'approvisionnement en médicaments.
55 Le Quotidien, 30 mars 2006, Journée du Forum national
sur la gouvernance et le systeme de santé au Sénégal.
55 Enquête, Mémoire, 2007.
56 SIDIBE M. F., Ethique et recherche en
santé, 2004, Dakar, Les Editions du Livre Universel(E.L.U), p.6.
57 Sud Quotidien, 22 mars 2007, Réunion
préparatoire de la journée mondiale de lutte contre la
tuberculose du 24 mars 2007.
58 OMS-Europe, 1986, Charte d'Ottawa pour la
promotion de la santé.
La Pharmacie Nationale d'Approvisionnement (PNA) souffre de
plusieurs types de dysfonctionnements qui font qu'elle n'arrive pas à
assurer sa mission principale qui est l'accessibilité financière
et géographique des médicaments essentiels:
· Il n'existe pas de pharmacie régionale
d'approvisionnement (PRA) dans toutes les régions du
Sénégal en dépit des améliorations de
couverture.
· Les ruptures de stocks sont fréquentes
· Les prix d'achat sont majorés de 20% et la marge
de 50% conseillée aux clients para»t excessive.
De même, plusieurs dysfonctionnements peuvent
être soulignés entre le Laboratoire National de Contrôle des
médicaments (LNCM) et les autres principales institutions publiques en
charge de la régulation du système.
· La collaboration semble difficile avec la PNA qui ne
prend pas en compte les préoccupations du Laboratoire National de
Contrôle des médicaments (LNCM) lors de l'élaboration du
cahier de charge pour les appels d'offre;
· Il n'existe presque pas de collaboration avec la DPL, ni
avec les industriels, les grossistes et les pharmaciens
hospitaliers59.
L'approvisionnement de certaines catégories sociales au
niveau du marché parallèle du médicament appara»t
alors comme un paradoxe pour les autorités qui affirment avoir beaucoup
fait pour faciliter l'accès aux soins. Le Directeur de cabinet du
ministre de la santé
et de la prévention médicale nous confie au
cours d'un entretien qu'aujourd'hui, le gouvernement est en train
de mettre en place beaucoup de moyens. On vend beaucoup de produits
génériques. Il fut un moment, pour acheter un paquet d'aspirine,
tu étais obligé de décaisser 1000f. Aujourd'hui, pour
avoir l'aspirine, tu n'achètes que ce dont que tu as besoin. Ë
100f, tu peux acheter le médicament dont tu as besoin dans une pharmacie
et te soigner avec toute la sécurité requise à ce
niveau60. Il semble que les raisons qui sous-tendent
l'approvisionnent de certains populations à partir du marché
parallèle du médicament échapperaient aux pouvoirs publics
et soulève un paradoxe pour eux.
59 Rapport du Forum Civil sur la corruption dans le
système santé, 2005, p.107.
60 Enquête, Mémoire, 2007.
En outre, les programmes de prise en charge tels que: le plan
Sésame qui assure la gratuité des soins aux personnes dites du
Ç troisième âge>> se heurte à un
problème lié à la non-conformité entre l'âge
réel du patient et celui mentionné au niveau de la carte
d'identité nationale. La plupart sont moins âgés sur le
Ç papier >>. Parallèlement, certaines structures sanitaires
sont confrontées à des difficultés de remboursement de la
part de l'Etat qui en garantit la prise en charge. A cela, s'ajoute ce que
JAFFRE et SARDAN appellent l'existence d'une Ç médecine
inhospitalière >>et les dysfonctionnements internes au
système public de santé. Ces facteurs constituent une des causes
de la fréquentation insuffisante des formations sanitaires et de recours
à d'autres systèmes de soins (en particulier
l'automédication), usagers 61
et d' insatisfaction des . L'approvisionnement de certaines
populations au niveau du Çmarché noir >>
soulève une contradiction quand on parle de promotion des soins de
santé primaires. Selon B. BONNICI, la promotion de la santé
constitue le processus qui vise à donner à l'individu et à
la collectivité la capacité d'exercer un meilleur contrôle
sur les facteurs déterminants de la santé et à
améliorer ainsi leur niveau de santé62. La politique
de santé par nature transversale se heurte donc à un certain
nombre de limites, d'ordre économique, budgétaire, financier, car
elle traverse un système de santé, soumis à la contrainte
générale d'un système d'économie marchande
déséquilibré63.
Le commerce illicite du médicament polarise
aujourd'hui, autant l'attention des pharmaciens d'officines privées que
celle des autorités publiques dont les premiers ne cessent de fustiger
leur attitude. Ainsi, il serait important pour nous de comprendre les causes
qui sous-tendent cette pratique et de saisir les raisons de la persistance de
ÇKeur Serigne bi>> dans la vente illicite des médicaments
en portant notre attention sur les motivations des différents
acteurs.
61 JAFFRE et SARDAN, 2000, Op., Cit, p.15.
62 BONNICI B. Op., Cit, p. 20.
63 BONNICI B., Ibid.
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