VI.2. Gestion du revenu du coton
L'argent généré par le coton est
utilisé selon plusieurs trajectoires de consommation.
VI.2.1. Les principales allocations
Quoiqu'on dise, le coton injecte de l'argent dans les
ménages ruraux. Si d'un côté on peut noter les effets
dévastateurs d'une production déficitaire sur un ménage ou
sur un GPC entier, il convient aussi de noter que d'un autre côté,
les gros producteurs arrivent à se faire des bénéfices.
Alors, quel rôle joue cet avoir dans les ménages ?
Une ambiance de fête règne au sein des
ménages cotonculteurs le jour de la perception de l'argent du coton.
C'est le constat général qui se dégage chez les
producteurs qui entendent ainsi récompenser les membres de la famille
pour leur participation à la production du coton vendu. Les postes de
dépenses sont multiples et les chefs de ménage ne retiennent que
ce qui est notable. Par ailleurs, il nous est impossible de disposer du montant
des allocations par poste, les paysans euxmêmes s'étant
montrés incapables de l'estimer quand nous le leur avons
demandé.
Ainsi, l'argent du coton est utilisé dans la
construction. Les maisons (de 10 tôles surtout) ont
proliféré sur le sol diabolais ces dernières
années. Du fait du coût très élevé du ciment,
les producteurs déclarent se rabattre sur le banco, les briques ne
coütant aucun sou. Ces maisons, bien qu'abritant la famille, servent de
moyens de production pour ces cotonculteurs qui expliquent leur importance par
les besoins de stockage de coton, avant le transfère sur le
marché, contre les vents de saison sèche qui salissent le coton
et la rosée qui le rembrunit, toute chose qui affecte sa qualité.
Elles servent aussi de lieu de stockage des intrants ou du restant de ceux-ci
après la campagne de production. Ce qu'il convient de noter c'est que
cette tendance à la construction moderne n'est cependant pas le fait des
seuls cotonculteurs ; elle touche toutes les concessions en milieu rural
diabolais. En réalité, nous répond ce non producteur,
« c'est parce qu'il est devenu difficile
d'entretenir une maison en toit de chaume ». En
effet, la chaumière d'une maison nécessite un renouvellement tous
les ans, aux meilleures des conditions tous les deux ans sinon « quand
il vente, du sable provenant des nids des termites vous emplissent les yeux et
les oreilles, et l'eau de pluie s'infiltre à travers le toit vous
empêchant de dormir et abîmant vos effets», poursuit-il.
Avec la raréfaction des brousses des environs où le moindre lopin
est maintenant exploité ou en surpaturage, les paysans sont dans
l'incapacité de trouver les herbes indiquées pour ces toitures.
Et « comme le secco rivalise de coût avec les tôles (1500
FCFA le secco, renouvelable chaque année contre 2500 FCFA la tôle
non renouvelable), il est donc plus rationnel de construire avec les
tôles », fait remarquer ce chef de ménage de douze (12)
personnes.
Un autre domaine où s'affirment les producteurs de
coton est l'acquisition de moyens de déplacement. Ces moyens de
déplacement se résument pour l'essentiel aux motos (JC, Sanili,
Sukida, King, CG, TVS, et Mate dans la plupart des cas)
dédouanées ou non en provenance de Sinkansé. C'est un
domaine où les cotonculteurs ont la quasi exclusivité, plus
précisément les grands producteurs. Ces motos sont à
l'honneur pendant les premières heures de la récolte du coton,
moment aussi où elles font de nombreuses victimes accidentées,
nous apprend ce producteur propriétaire d'une moto Sukida. Mais
dès le mois d'avril ces motos disparaissent de l'aire
départementale pour ne plus sortir que très occasionnellement
marquant la fin de l'argent du coton. Pour l'acquisition de ces engins,
beaucoup d'autres biens sont vendus en complément, des biens parfois
acquis lors de campagnes agricoles précédentes au regard de la
modestie de l'avoir du coton par campagne.
Egalement, un lot essentiel de dépenses est
constitué par les funérailles et les mariages. En effet, les
funérailles et les mariages sont des manifestations où on
enregistre un grand étalage de faste. Le revenu de nombreux producteurs
reste dans l'une ou l'autre de ces manifestations où, dit-on, c'est
l'honneur qui est en jeu. Que ce soit les funérailles d'un membre de sa
famille ou de la belle-famille, il faut forcer l'admiration et l'estime des
autres. Tout se passe comme si l'argent du coton est par essence un facteur de
mégalomanie ou qu'il est destiné à être
utilisé pour se construire une image plutôt que pour la
consommation de tout le ménage. C'est ainsi que certains produisent du
coton une seule saison ou deux seulement parce qu'ils ont des
funérailles ou un mariage en vue. Ces cas sont légions dans le
département.
C'est pourquoi le statut de cotonculteur va de paire avec
l'ostentation, le faste et la vanité hors du cadre familial. Ce poste
concentre toutes les catégories de producteurs, les grands comme les
petits qui ont réussi une marge bénéficiaire.
Il y a enfin la scolarité des enfants, les besoins de
santé et les achats de bétail (remplacement
généralement) et de vivres. Pour ce qui est de la santé,
il faut noter une condition physique assez faible chez certains producteurs
(petits comme grands) surtout les membres qui traitent aux pesticides les
parcelles. La chose la mieux partagée chez ces gens est les maux de
tête, les maux d'yeux et les nausées du fait de l'inhalation par
les traiteurs des produits utilisés. Quoi qu'il en soit, les besoins de
santé n'occupent pas une place centrale dans l'allocation des revenus
des producteurs, pas plus que la scolarité des enfants. Ces maladies
étant récurrentes et généralisées au niveau
des producteurs, ils préfèrent rester à la maison dans la
plupart des cas. Le degré de scolarisation des enfants ne permet pas de
faire un distinguo entre les familles productrices et non productrices. On ne
peut vraiment pas dire que les ménages cotonculteurs ont plus
accès aux services de santé et à la scolarité que
les autres du moment où la disponibilité financière ne
dure que d'un ou deux mois au plus. Pour le restant de l'année, tous les
paysans sont soumis aux mêmes conditions de rareté et les non
producteurs ont parfois même de meilleures prédispositions que
certains producteurs déficitaires. Quant au bétail et au mil,
c'est aussi un domaine relativement marginal car de façon
générale, on n'achète de bétail que parce qu'on a
perdu un de trait ou qu'on n'en avait pas. Sinon pour le renouvellement, on
n'utilise pas l'argent du coton mais celui de l'ancien qu'on a vendu.
L'embouche n'est d'ailleurs pratiquée que par quelques
commerçants isolés qui ne sont d'ailleurs pas cotonculteurs. Pour
ce qui est du mil, il n'y a que ceux qui ont une production
céréalière visiblement déficitaire qui en
achètent dès perception de l'argent du coton, principalement les
petits producteurs.
Il est essentiel de faire le constat selon lequel chez tous
les enquêtés, les frais des réalisations à chaque
campagne ne touchent qu'une partie du revenu, à peine 75% de l'argent
perçu. Tous ont une même grille d'allocation : « tu
donnes un peu à chaque dépendant et tu gardes le reste pour un
usage à bénéfice collectif. Car si un problème
survient dans la famille, le dépendant n'est vraiment pas engagé.
C'est le chef de ménage qui doit régler. Mais si tu ne donnes
rien aussi, personne ne voudra
cultiver avec toi la campagne suivante »,
explique un chef de ménage producteur. Ce geste de redistribution se
résume « généralement [à] un billet de
mille (1 000) francs CFA ». C'est cette même modalité de
gestion que l'on rencontre chez tous les producteurs. Peut-on parler dans ce
cas d'épargne sécurité ? Aucunement. Aucun
enquêté ne déclare confier son argent à la Caisse
populaire de Diabo dont tout le monde sait l'existence. « Ce que nous
gagnons ne suffit même pas à nos besoins immédiats. Et puis
la caisse, ce n'est pas avantageux. Un truc qui n'augmente pas mais diminue au
contraire, ce n'est pas facile », développe un
enquêté. Pour preuve, à la date du 28 février 2006,
la caisse populaire de Diabo comptait 485 clients individuels dont 387 hommes
et 98 femmes (DRED : Monographie de la commune rurale de Diabo). Cette somme de
réserve reste donc sous la protection et à l'initiative du chef
de ménage. Pour certains, c'est pour que le chef de ménage puisse
régler ses petits problèmes et gagner de temps en temps quelque
chose pour renouveler sa force de travail. En réalité, cet argent
est consommé dans un cadre extra familial. Une autre partie de l'argent
va au remboursement des dettes annexes contractées pour le besoin de la
production ou pour autres besoins. Ainsi, le chef de l'UP, maître de la
production, reste maître de la gestion de son argent.
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