Paragraphe 1. Les techniques d'élargissement des
bases du contrôle
Deux traits majeurs caractérisent le travail
d?extension de la sphère du contrôle du juge: le recours au droit
comparé (A) et le contrôle de l?opportunité (B).
A. La méthode comparative
On insistera sur la portée de la méthode
comparative (a) et on abordera ensuite son application concrète dans le
contentieux constitutionnel (b).
a. La portée de la méthode comparative
Le droit public est, dans les pays du Commonwealth et de
Common Law, un droit ouvert. Cette caractéristique confère au
juge un devoir de comparaison entre le droit qu?il a à appliquer et
celui des autres pays de la même famille juridique861. Pour
interpréter les Lois Fondamentales, le juge londonien cherche souvent
appui auprès des solutions retenues à l?étranger ou par
lui-même, statuant en tant que juridiction suprême d?un Etat autre
que Maurice862. Le recours au droit comparé devient dans
certains cas pratiquement spontané dès lors que la norme en
question est commune à plusieurs pays, tels les grands principes
contenus dans les Constitutions de type Westminster, ou dérive d?un
autre texte, tel le catalogue des droits et des libertés qui n?est
substantiellement que la transcription dans l?ordre interne des stipulations
de
861 «Within the Common Law world... a great deal of
borrowing of precedent and legal principles has accrued. Some of it has been
intentional and conscious, some unintentional and probably unconscious»,
HILLER Jack A., cité note 821, v. p. 107.
V. CJCP: 19 mai 1993, Attorney-General c/ Lee Kwong-Kut, WLR,
1993, vol. 3, pp. 329 à 346, affaire de Hongkong, Lord Woolf
rédacteur de l'arrêt. Il souligne que: «Reference was also
made in the judgments in the Sin Yau-Ming case (1992) 1 HKCLR, 127 to decisions
in other Common Law jurisdictions, including the United States of America and
Canada and of the European Convention for the Protection of Human Rights and
Fundamental Freedoms (1953) Cmd. (8969). Such decisions can give valuable
guidance as to the proper approach to the interpretation of the Hong-Kong Bill,
particularly where the decisions in other jurisdictions are in relation to an
article in the same and substantially the same terms as that contained in the
equivalent provision of the Hong-Kong Bill», v. p. 338.
862 Ce procédé distingue les juridictions
constitutionnelles de la Common Law et celles de la famille romano-germanique
qui cherchent le soutien des précédents étrangers
seulement de manière officieuse. V. LEGEAIS Raymond: «L?utilisation
du droit comparé par les tribunaux», RIDC, 1994, pp. 347 à
358.
la Convention Européenne des Droits de l?Homme. Le juge
londonien a épousé une conception plutôt universaliste,
voire naturaliste863, des droits de l?homme et a rejeté le
positivisme strict.
Avec la méthode comparative, le juge londonien poursuit
la méthode de travail du législateur ou du constituant. Celui-ci
lors de l?élaboration d?une norme s?informe des solutions
étrangères qui peuvent l?inspirer et lui donner matière
à réflexion. Le juge exploite la solution étrangère
et dans le cas mauricien, cette méthode est très légitime
vu les bases pluralistes du droit mauricien.
La référence aux décisions
étrangères (des juridictions proprement nationales ou du Conseil
Privé lui-même) permet au juge de cassation londonien d?accentuer
le développement du droit public mauricien. En attribuant une forte
autorité morale (persuasive authority), voire une force
contraignante, à des décisions étrangères à
l?égard du cas d?espèce qu?il a à résoudre, le
droit mauricien retrouve une dynamique et son développement et sa
perfection peuvent se faire à un rythme accéléré
malgré le faible nombre de recours porté au Comité
Judiciaire. Avec cette méthode, l?île Maurice peut
bénéficier des progrès constitutionnels
réalisés dans les pays du Commonwealth, aux Etats- Unis
d?Amérique, en Europe et en Angleterre. Il est intéressant de
noter que la dynamique du droit comparé est doublée
d?intensité lorsque la Cour Suprême locale met elle aussi en
pratique cette méthode de travail864. Les bases du droit
national sont élargies.
b. La pratique du recours aux droits étrangers
863 La vision naturaliste des Lords est conforme au
caractère même des Constitutions du Commonwealth qui comporte une
déclaration des droits. En effet, une déclaration n?est pas un
acte créateur. Les droits de l?homme qu?elle énonce existent.
Elle ne fait que constater leur existence. A cet égard, l?article 3 de
la Constitution de Maurice énonce bien qu?il «est reconnu et
proclamé qu?il a existé et qu?il continue d?exister à
Maurice... tous les droits de l?homme...». V. sur le caractère
d?une déclaration, RIVERO Jean: «Les libertés publiques,
droits de l?homme», PUF, Thémis, 1991, 318 p., v. p. 58 et s.
864 CSM: 27 octobre 1995, Marie Gérard Christian Pointu
c/ The Minister of Education and Science, cité note 848. Les juges
mauriciens posent la question de savoir s?il faut dans les affaires de droit
public avoir recours au droit comparé et ils concluent de manière
positive en suivant la voie du Comité Judiciaire. «...We feel
necessary to deal with the question whether, in the interpretation of our
Constitution it is proper for us to seek guidance from other national and
international sources... The better view, according to us, is that a
Constitution, more particularly that part of it which embodies fundamental
rights, should be interpreted in the light of its history, its sources and
whenever applicable, pronouncements on provisions similar to ours either by
national courts of by international institutions», ibid., p. 6. V.
également CSM: 21 décembre 1994, The Comptroller of Customs c/ P.
Rogers, L?Express, 28 décembre 1994, p. 4, les juges J. Forget et R.
Narayen rédacteurs de l?arrêt. Ils appliquent à Maurice le
nouveau pouvoir des juridictions britanniques d?émettre des injonctions
à l?encontre des autorités publiques, y compris la Couronne.
Si le droit commun des codes napoléoniens constitue le
fondement d?une partie du droit mauricien865, il demeure que la
Common Law, bien qu?elle n?a jamais été introduite dans son
ensemble à Maurice866, fait aussi partie dans une certaine
mesure du corpus juridique local. Il existe dans certains textes de loi
mauriciens des dispositions de renvoie aux normes de la Common
Law867. Il a appartenu surtout au Conseil Privé d?exporter la
Common Law aux colonies868. Son autorité de juge de cassation
lui a permis d?influencer significativement la pratique des tribunaux et
l?évolution du droit. Les juges du Conseil Privé ont
été formés et évoluent dans le cadre d?un
système juridique et, par conséquent, les transplantations de ce
système sur le système mauricien sont inévitables. Le juge
londonien applique fréquemment dans les affaires mauriciennes les
solutions de la jurisprudence anglaise. Par exemple, dans l?arrêt
Goinsamy Chinien869, il exporte au droit mauricien le principe
fondamental de la Common Law selon lequel une juridiction répressive ne
peut sanctionner le prévenu que pour les délits pour lesquels il
est poursuivi. L?exportation de la Common Law se fait quasi automatiquement
lorsqu?il existe un vide juridique dans le droit local870.
Par ailleurs, en appliquant une loi mauricienne similaire
à une loi anglaise, le juge londonien peut invoquer la jurisprudence
anglaise à l?appui de la motivation de sa décision871.
A cet égard, comme la Loi mauricienne sur les contrôles des
changes est une reproduction de la Loi anglaise portant sur la
865 CSM: 18 novembre 1968, Harel Frères Ltd c/
Veerasamy, MR, 1968, pp. 218 à 226, le juge Garrioch rédacteur de
l?arrêt. Il fait ressortir que les principes du Code Civil des
obligations sont applicables en matière des contrats de travail.
866 CSM: 22 novembre 1990, Lagesse c/ Director of Public
Prosecutions, MR, 1990, pp. 194 à 201, le Chef-Juge Sir Victor Glover
rédacteur de l'arrêt. Il soutient que: «We may at once
observe that the approach in the United Kingdom, and in other jurisdictions
based on Common Law, although it may be of some guidance to indicate the degree
of restraint which the judiciary must observe in relation to those who have
discretionary prosecutional functions, should not indicate our interpretation
of the relevant constitutional provisions», ibid., p. 196.
867 L?article 55 de la Loi du 7 mars 1945 sur les Cours de
justice renvoi aux lois anglaises toute question de procédure
soulevée au cours d?un procès pénal. De même,
l?article 162 de la même Loi se réfère au droit britannique
de la preuve. CSM: 15 janvier 1991, Sans Souci c/ Regina, MR, 1991, pp. 204
à 205, le Chef-Juge Sir Victor Glover rédacteur de
l'arrêt.
868 «The decisive factor leading to the application of
current English decisions of the Privy Council as the ultimate Court of appeal
from colonies», MASTON J. N.: «The Common Law in the British
Commonwealth», ICLQ, 1993, pp. 753 à 779, v. p. 754.
869 CJCP: 17 décembre 1992, Goinsamy Chinien c/ The
State, WLR, 1993, vol. 1, pp. 329 à 336, affaire de Maurice, Lord
Jauncey of Tullichettle rédacteur de l'arrêt.
870 CJCP: 26 mai 1982, Central Electricity Board of Mauritius
c/ Bata Shoe Company. (Mauritius) Ltd., WLR, 1982, vol. 3, pp. 1061 à
1064, affaire de Maurice, Lord Brandon of Oakbrook rédacteur de
l'arrêt. Il estime que: «Their Lordships are therefore of the
opinion that they have jurisdiction, which has in one case at least been
described, whether rightly or wrongly, as a Common Law jurisdiction, to order
the CEB...», v. p. 1064.
871 Par contre, le Comité Judiciaire n?invoque pas le
précédent britannique s?il n?existe à Maurice aucune Loi
similaire. «These statutory provisions, however desirable as they may be,
only serve to illustrate the fact that, without them, Commissions and
Committees of Inquiry are not protected at Common Law. Driven up against this
difficulty, it was seriously argued for the respondent that their Lordships
should extend the law of contempt to such bodies by a bold act of legislation.
This their Lordships resolutely decline to do...», CJCP: 15 novembre 1982,
Lutchmeeparsad Badry c/ Director of Public Prosecutions, cité note 386,
v. p. 170.
même matière872, le juge applique le
précédent britannique approprié873 au cas de
l?espèce.
La référence aux sources du Commonwealth,
européennes et américaines est aussi fréquente dans la
jurisprudence mauricienne du Conseil Privé. Le recours aux
décisions du Commonwealth a lieu fréquemment dans les affaires
constitutionnelles controversées, telles celles mettant en cause les
libertés fondamentales contenues dans la Constitution, alors que les
décisions des juridictions anglaises en matière de la Common Law
sont appliquées le plus souvent en droit pénal et
éventuellement administratif. Lorsqu?il s?agit d?interpréter la
Constitution mauricienne, le Comité Judiciaire applique en
général les solutions qu?il a retenues à propos des
litiges portant sur des constitutions du modèle de Westminster d?autant
que le juge met l?accent sur les caractères communs des Constitutions de
ce modèle dans ses décisions874. En
conséquence, la motivation de certains arrêts mauriciens est
essentiellement construite à l?appui des précédents du
Comité Judiciaire statuant sur des pourvois en provenance d?autres pays
du Commonwealth875. Dans ces cas, le juge londonien exporte sa
propre jurisprudence et intervient comme un relais de transmission du droit
tout comme lorsqu?il recourt aux autorités des juridictions anglaises.
Il assure une certaine unification du droit entre les pays
concernés876.
Aussi, la référence aux jurisprudences
européennes, celles de la Cour Européenne des Droits de l?Homme,
devient de plus en plus fréquente notamment parce qu?elles sont riches
et dynamiques877 et que certains Lords judiciaires ont occupé
des fonctions de juge ou d?avocat-général à la Cour
Européenne. Enfin, le juge londonien applique des
précédents américains en
872 «The Exchange Control Act which is an almost exact
reproduction of the United Kingdom Exchange Control Act 1947...», CJCP: 17
décembre 1992, Goinsamy Chinien c/ The State, cité note 869, v.
p. 331.
873 CA: 22 février 1968, Regina c/ Goswani, WLR, 1968,
vol. 2, pp. 1163 à 1172, le Lord-Juge Salmon rédacteur de
l'arrêt.
874 «... a written Constitution on the
Westminster model?. Many such Constitutions are to be found in the
Commonwealth and a considerable body of case law now exists in the various
countries which have such Constitutions and in the Privy Council», CJCP:
17 mai 1985, Frank Robinson c/ The Queen, WLR, 1985, vol. 3, pp. 84 à
94, affaire de la Jamaïque, Lord Roskill rédacteur de l'arrêt
majoritaire, v. opinion dissidente des Lords Scarman et Edmund-Davies, p.
94.
875 V. par exemple CJCP: 25 octobre 1984, Société
United Docks c/ The Government of Mauritius, cité note 847.
876 RODIERE Réné: «Introduction au droit
comparé», Précis-Dalloz, 1979, 161 p., v. p. 82 et s.
877 CJCP: 13 décembre 1995, Compagnie Sucrière de
Bel Ombre Ltée c/ The Government of Mauritius, cité note 860.
matière constitutionnelle878 et des
décisions des juridictions des pays du
C o mm on w e alt h879.
Le recours au droit comparé par le juge londonien
comporte par contre une sévère limite. Le Conseil Privé,
à l?inverse de la Cour Suprême de Maurice, n?invoque
systématiquement en droit public des jurisprudences françaises.
Dans le grand arrêt Société United Docks880, le
Chef-Juge Sir Maurice Rault cite la décision du Conseil Constitutionnel
français sur l?extension du bloc de
constitutionnalité881 pour soutenir son raisonnement. Or, le
Conseil Privé, statuant sur la même affaire en cassation, bien
qu?il confirme l?approche libérale du Chef-Juge, ne se
réfère à la jurisprudence française utilisée
par ce dernier. Ce refus implicite d?accorder une valeur d?autorité aux
décisions françaises en droit public est quelque peu
décevant en ce sens qu?il nie le caractère mixte du droit
mauricien dans sa globalité et anéantit dans une certaine mesure
la dynamique de la pluralité des précédents des
différentes familles juridiques dans les décisions mauriciennes.
Une telle attitude ne nous paraît pas pouvoir être
encouragée. Il serait souhaitable que les avocats convainquent les Lords
de la justesse de certaines solutions françaises en droit public.
B. Le contrôle
d'opportunité
Le Comité Judiciaire s?autorise à introduire
dans son contrôle des normes une bonne dose du critère
d?opportunité. Ce contrôle très poussé est apparent
lors de la confrontation d?un acte réglementaire ou d?une
décision administrative à la Constitution (a) et commence
à prendre naissance lors du contrôle de la Loi (b).
a. D'un acte réglementaire ou d'une décision
administrative
L?inopportunité d?un acte administratif est en droit
anglais un moyen opérant en vue de son annulation par le juge. Lord
Diplock a importé dans le droit anglais le principe de la
proportionnalité utilisé par la Cour Européenne
878 CJCP: 6 avril 1992, Ponsamy Poongavanam c/ The Queen, affaire
de Maurice, Lord Goff of Chieveley rédacteur de l'arrêt.
879 CJCP: Radhakrishan Kunnath c/ The State, WLR, 1993, vol. 1,
pp. 1315 à 1321, affaire de Maurice, Lord Jauncey of Tullichettle
rédacteur de l'arrêt.
880 CJCP: 25 octobre 1984, Société United Docks c/
Government of Mauritius, cité note 847.
881 CCF: 16 juillet 1971, Liberté d?association (77-44
DC) in FAVOREU Louis et PHILLIP Loïc: «Les grandes décisions
du Conseil Constitutionnel», Dalloz, 1995, 8e édition, 961 p., v.
p. 244 à 261.
des Droits de l?Homme et la Cour de Justice des
Communautés Européennes882. Dans l?affaire
communément intitulée GCHQ883, Lord Diplock confirme
l?existence de trois cas d?ouverture884 du recours pour excès
de pouvoir (grounds for judicial review) contre un acte administratif.
Ces trois moyens sont: la violation de la règle de droit et
l?incompétence (illegality/error of law), le vice et
l?irrégularité de procédure (procedural
impropriety/violation of principles of natural justice) et le
détournement de pouvoir (irrationality). Le juge élargit
la perspective et ouvre la voie à un quatrième moyen, l?absence
de proportionnalité885. Les deux derniers cas d?ouverture
permettent au juge de contrôler en partie l?opportunité de tout
acte administratif886. Ainsi, en matière d?aménagement
du territoire, le juge britannique opère comme son homologue du
continent887 une appréciation sur les avantages et les
désavantages du plan d?aménagement de l?Administration. Il
établit un bilan et évalue le caractère raisonnable du
projet888. Celui-ci est considéré comme inopportun si
le coût est disproportionné aux avantages qu?il peut procurer.
L?attitude du Comité Judiciaire s?inscrit dans cette
dynamique en matière du contrôle de l?expropriation pour cause
d?utilité publique, prévue à l?article 8 de la
Constitution de Maurice. Les Sages du Whitehall sont favorables à un
contrôle maximum et approfondi des actes administratifs intervenus dans
ce secteur889 à l?inverse de la Cour Suprême locale
qui, reléguant le droit de propriété à une sorte de
droit fondamental de second rang, n?a contrôlé que la
légalité stricte de la décision
administrative890. Le juge mauricien n?a pas
882 JOWELL Jeffrey et LESTER Anthony, QC:
«Proportionality: neither novel nor dangerous», pp. 51 à 72,
in JOWELL J. L. et OLIVIER D.: «New directions in judicial review»,
Londres, Stevens and Sons, 1988, 91 p.
883 CL: 2 novembre 1984, Council of Civil Service Unions c/
The Ministry of State for the Civil Service, WLR, 1984, vol. 3, pp. 1174
à 1208, Lord Diplock rédacteur de l'arrêt principal.
884 Sur l?application de ce précédent par le
Comité Judiciaire v. CJCP: 28 février 1994, Mercury Energy Ltd.
c/ Electricity Corporation of New Zealand, WLR, 1994, vol. 1, pp. 521 à
229, affaire de la Nouvelle-Zélande, Lord Templeman rédacteur de
l'arrêt.
885 Lord Diplock écrit que: «... one can
conveniently classify under three heads the grounds upon which administrative
action is subject to control by judicial review. The first ground I would call
«illegality», the second «irrationality» and the third
«procedural impropriety». That is not to say that further development
on a case by case basis may not in course of time add further grounds. I have
in mind particularly the possible adoption in the future of the principle of
«proportionality» which is recognised in the administrative law of
several fellow members of the European Economic Community», ibid., p.
1196.
886 XYNOPOULOS Georges: «Le contrôle de
proportionnalité dans le contentieux de la constitutionnalité et
de la légalité en France, Allemagne et Angleterre»,
thèse, Univeristé de Parsi II Panthéon-Assas, 1993, 516
p.
887 CE: 28 mai 1971, Ministère du Logement c/
Fédération de Défense des Personnes Concernées par
le Projet Ville Nouvelle Est, RDCE, 1971, pp. 409 à 413, conclusion du
commissaire du gouvernement Guy Braibant.
888 CL: 28 février 1980, Newburry District Council c/
Secretary of State fot the Environment, AC, 1981, p. 578 à 629, Vicomte
Dilhorne rédacteur de l'arrêt principal.
889 CJCP: 15 décembre 1987, Harel Frères c/ The
Minister of Housing, Lands and Town and Country Planning, LRC, 1988, vol.
constitutional, pp. 472 à 476, affaire de Maurice, Lord Bridge of
Harwich rédacteur de l'arrêt.
890 CSM: 7 mai 1986, Harel Frères Ltd c/ Ministry of
Housing, Lands and Town and Country Planning, LRC, 1987, vol. constitutional,
pp. 760 à 764, le Chef-Juge rédacteur de l'arrêt.
apprécié le bien fondé (the
merits) de la décision du ministère du logement et n?a voulu
substituer son appréciation à celle du
ministère891. Il a méconnu ses pouvoirs en ne
conservant qu?une marge réduite de sanction au cas où le
gouvernement commettrait une erreur manifeste ou prendrait, selon la formule,
une décision qu?aucune personne raisonnable n?aurait
prise892. Le Comité Judiciaire, en cassant l?arrêt de
la Cour Suprême, étend considérablement la sphère du
contrôle de la constitutionnalité et de la légalité
de la Cour. Il estime que le recours porté devant la juridiction locale
s?appréhende à un recours hiérarchique,
c'est-à-dire, à un véritable appel (full scale
appeal). Le juge ne doit pas se tenir à la seule
appréciation de la légalité. Il doit se livrer à un
examen approfondi de l?acte d?expropriation et apprécier son
opportunité893. L?Administration est dans l?obligation de
fournir à la Cour894 tous les éléments
nécessaires et elle doit justifier le caractère
d?intérêt public de l?expropriation projetée, montrer
qu?elle est nécessaire et bien fondée et que ses effets positifs
emportent sur ses inconvénients.
L?attitude du Comité Judiciaire est fort louable. Il
impose à la Cour locale le devoir d?effectuer en matière
d?expropriation un contrôle maximum. Il subordonne la
légalité et la constitutionnalité de la décision
administrative à sa proportionnalité895.
b. De la Loi
A Maurice, le domaine de la Loi est limité à la
réalisation du bohneur du peuple. L?article 45 alinéa premier de
la Constitution, qui traduit dans l?ordre interne les valeurs de la doctrine du
droit naturel de Thomas Hobbes896 et de
891 «The government is entrusted to the Executive and it
falls within the sole province of the Executive to determine what measures may
best achieve the public purposes for the fulfilment of which it is charged with
responsibility under the Constitution and the law... In other words, it is not
part of our functions to substitute our own judgment for this is inherently a
matter of judgment in the making of a decision and the law has conferred it on
the respondent (the Ministry of Housing).», ibid., pp. 762 à
763.
892 «Unless... the material before us shows no reasonable
person placed in the position of the respondent would have reached the
conclusions he did in the circumstances», ibid., p. 763.
893 «... it must be for the court, not for the minister
to be satisfied that the proposed compulsory acquisition is indeed necessary or
expedient to enable the intended development to be carried out and that there
is reasonable justification for causing any hardship to the landowner which
will result», CJCP: 15 décembre 1987, Harel Frères Ltd c/
Ministry of Housing, Lands and Town and Country Planning, cité note 889,
v. p. 475.
894 Le Comité Judiciaire renverse la charge de la
preuve. La Cour Suprême l?avait incombée à
l?exproprié.
895 Il semble que le juge londonien a voulu unifier le
degré de contrôle des actes administratifs portant sur l?exercice
d?un droit constitutionnel. En certaines matières de police
administrative, la Cour Suprême avait depuis fort longtemps
examiné la nécessité des mesures de police.
896 Thomas Hobbes, lorsqu?il écrivit en 1651
réagissait contre la guerre civile qui affectait l?Angleterre. La
recherche de la paix était un objectif prioritaire pour le Souverain. La
paix était la seule conduite rationnelle et juste. V. HOBBES Thomas:
«Léviathan», (1651), Edition Sirey, 1971, 780 p., v. chapitre
XVII, p. 179 et s.
Jeremy Bentham897, dispose que le «Parlement
peut légiférer pour la paix, l?ordre et le bon gouvernement de
Maurice»898 et l?article premier du texte proclame le
caractère démocratique de l?Etat. Ces deux articles créent
les conditions nécessaires permettant aux cours de justices de mesurer
l?adéquation des dispositions législatives aux objectifs
constitutionnels. La Cour Suprême de Maurice, en s?appuyant sur un
précédent du Conseil Privé899, a
considéré que le constituant britannique a investi les cours
mauriciennes du pouvoir de déterminer les caractéristiques et les
valeurs d?une société démocratique et de confronter la Loi
à celle-ci. Autrement dit, la Constitution confère au juge un
pouvoir d?appréciation étendu. Il peut utiliser la technique
anglaise de l?examen de la raisonnabilité (test of
reasonableness) pour contrôler les Lois900. Cependant, la
montée en puissance de l?exécutif a entraîné la
relativisation, voire l?abandon, de cette jurisprudence par la Cour
Suprême. Désormais, pour les juges locaux, le contrôle de
constitutionnalité ne peut avoir lieu que sur la base d?un examen de la
Loi par rapport à une norme. Le juge ne veut définir le concept
de démocratie901. Reprenant une formule devenue classique,
ils affirment que le juge ne peut substituer son appréciation à
celle du Parlement902 ou qu?il n?a pas un pouvoir
d?appréciation identique à celui du Parlement903.
L?attitude du Comité Judiciaire se démarque de
celle de la Cour Suprême. Certes il affirme que l?iniquité d?une
Loi est un moyen inopérant dans le contentieux
constitutionnel904, mais il examine les griefs tirés d?un
897 Pour Bentham, le bien-être (le bonheur) est la fin
de l?homme. La recherche du plaisir et la fuite de la douleur constituent les
motifs de toutes les actions. BENTHAM Jeremy: «A fragment on Government
and an introduction to the principles of morals and legislation», (1789),
Oxford Basil Blackwell, 1960, 435 p., v. chapitre 1er «Of principle of
utility», p. 125 et s.
898 «Parliament may make laws for peace, order and good
government of Mauritius».
899 CJCP: 19 octobre 1966, Oliver c/ Buttigieg, All ER, 1966,
vol. 2, pp. 459 à 469, affaire de Malta, Lord Morris of Borth-y-Gest
rédacteur de l'arrêt.
900 CSM: 31 janvier 1973, Vallet c/ Ramgoolam, cité
note 303. Le juge déduit que: «Rightly or wrongly the framers of
our Constitution have placed on the shoulders of the Judges of this Court the
invidious task of determining, in particular instances, the norms of a
democratic society. In chapter II of the Constitution, which provides for the
protection of fundamental rights and freedoms of the individual, several
sections contain a saving that nothing in those sections shall invalidate any
law or action, passed or taken for certain specified purposes, that is
reasonably justified in a democratic society», ibid., p. 40.
901 CSM: 14 juin 1990, Union Démocratique de Maurice,
c/ The Governor-General, LRC, 1991, vol. constitutional, pp. 328 à 332,
les juges Glover et Lallah rédacteurs de l'arrêt. Ils estiment
que: «In short, this is that it is neither necessary nor appropriate to
travel outside our supreme law for the purpose of discovering what the framers
of our Constitution had in mind when they used the words democratic
state? and still less to invoke certain conventions which underlie British
constitutional law. What section 1 means is that our state is to be
administered in accordance with other provisions of the Constitution which
contain the essence of democratic principles governing us», ibid., p.
330.
902 «We certainly agree and have no wish to substitute
ourselves for the law maker», ibid., p 331.
903 «If a law passes the test of constitutionality, then
it would be none of our business even to think of questioning the
reasonableness, or wisdom of the measure», CSM: 29 octobre 1986, Noordally
c/ The Attorney-General, LRC, 1987, vol. constitutional, pp. 599 à 606,
le Chef-Juge Moolan rédacteur de l'arrêt.
904 CJCP: 23 juillet 1992, Government of Mauritius c/ Union
Flacq Sugar Estates Company Ltd., cité note 743. Lord Templeman
précise que: «Sir Marc David (Counsel) submitted that... the
détournement de pouvoir (improper purposes)
commis par le législateur mauricien. Il vérifie si le Parlement
use bien de ses compétences en vue d?atteindre les objectifs pour
lesquels il a été investi. L?admission de ce cas
d?inconstitutionnalité conduit les Sages du Whitehall à
intervenir dans le champ subjectif du législateur dans la mesure
où ils recherchent les intentions véritables de l?auteur de
l?acte au-delà de celles explicitement affichées. En ce sens, le
Comité Judiciaire a indiqué que le gouvernement mauricien ne peut
pas, par le biais d?une Loi à effet rétroactif priver d?effet
juridique une sentence arbitrale (award) qui s?impose à lui en
vertu de ses engagements contractuels avec des syndicats905.
Par ailleurs, le Comité Judiciaire, s?il affirme
à l?instar du Conseil Constitutionnel français que le pouvoir
judiciaire ne saurait concurrencer le pouvoir universel dans
l?appréciation de l?opportunité de la Loi906, laisse
entendre en réalité que son pouvoir d?appréciation est
d?une autre nature. Il ne fait aucun doute que les Constitutions de type
Westminster offrent au juge la possibilité de convertir des
éléments d?opportunité en critère de
constitutionnalité. Le Comité Judiciaire considère que la
disposition commune à plusieurs Constitutions qui délimite le
domaine du Parlement à la législation pour la paix, l?ordre et le
bon gouvernement, investisse le pouvoir délibérant d?une
compétence pour apprécier ce qui est nécessaire et
opportun à l?intérêt général et à la
sauvegarde de l?ordre public. Cette appréciation implique la prise en
compte des considérations de politique générale et se
forme sur la base des informations appartenant au gouvernement et, par
conséquent, elle se situe en dehors de la sphère de
contrôle du juge907. Le Comité Judiciaire
présume que le Parlement a raisonnablement apprécié les
données et a pris la bonne décision. Il souligne que cette
présomption en faveur du législateur est réfragable
(rebuttable). Il pourra substituer son appréciation à
celui du législateur si ce
legislature was unfair when by the Act of 1984 it removed the
power of a minority to control a company. But the question of fairness of
legislation is a matter for Parliament», ibid., p. 910.
905 CJCP: 25 octobre 1984, Marine Workers Union c/ Mauritius
Marine Authority, LRC 1985, vol. constitutional, pp. 801 à 850, affaire
de Maurice, Lord Templeman rédacteur de l'arrêt. Il souligne que:
«The Amendment Act has thus deprived and was intended to deprive each
worker damages for breach by the MMA of its contract of employment»,
ibid., p. 849.
906 CJCP: 5 novembre 1975, Moses Hinds c/ The Queen,
cité note 233. Selon Lord Diplock: «... in deciding whether any
provisions of a law passed by Parliament of Jamaica as an ordinary law are
inconsistent with the Constitution of Jamaica, neither the courts in Jamaica
nor their Lordships? Board are concerned with the propriety or expediency of
the law impugned. They are concerned solely with whether those provisions,
however reasonable and expedient, are of such a character that they conflict
with an entrenched provisions of the Constitution...», ibid., p. 374.
907 «... the power to make laws for the peace, order and
good government of Jamaica is vested in the Parliament and prima facie it is
for Parliament to decide what is or is not reasonably required in the interests
of public safety or public order. Such a decision involves considerations of
public policy which lie outside the field of judicial power and may have to be
made in the light of information available to government of a kind that cannot
effectively be adduced in evidence by means of judicial process», ibid.,
p. 383.
dernier opère un choix
disproportionné908 ou excessif ou a commis une erreur
manifeste d?appréciation909.
*
La marge d?appréciation du Comité Judiciaire est
fort grande même si le critère d?opportunité est rarement
utilisé. Celui-ci peut apparaître comme une technique mal
adaptée à la nature du contrôle de
constitutionnalité. Le juge londonien préfère habiller sa
décision, c'est-à-dire, la faire apparaître comme
logiquement déduite des dispositions constitutionnelles. Nul ne doit
ignorer que le juge peut toujours justifier sa décision par la
référence à une norme constitutionnelle.
L?opportunité n?a pas besoin d?être invoquée pour qu?un
contrôle sur cette base ait lieu. Le juge londonien est prudent.
Il s?agit maintenant de vérifier cette dernière
proposition dans l?exercice de ses pouvoirs de sanction.
|