L'APPROCHE THEORIQUE DU CHANGEMENT
"Il n'y a rien dont l'exécution est plus
difficile ou la réussite plus douteuse ou le maniement plus dangereux
que l'instauration d'un nouvel ordre des choses."
Machiavel.
1) Définitions :
La notion de changement introduit
l'idée de passage d'une situation à une autre.
Le petit Robert le définit comme
« état de ce qui évolue, se modifie, ne reste pas
identique. »
S.RAYNAL le considère comme « un
Phénomène interactif entre un acteur, un système et un
environnement. Ce Phénomène est déclenché par un
stimulus provoquant un écart, un décalage, une rupture ou un
déséquilibre ».
G.Bateson distingue cependant deux types de changements dans
les systèmes humains :
* Celui qui intervient à l'intérieur d'un
système, qui lui permet de maintenir son équilibre par la mise en
place de mesures correctrices d'adaptation, assurant par-là même
la permanence de ce système(Type 1).
* Celui qui affecte et modifie le système, qui
correspond à des bouleversements aboutissant à l'évolution
de ce système (Type2).
On peut dire que jusqu'alors, les changements intervenus
à l'hôpital correspondaient davantage au Type
1. Toutes les mesures correctives envisagées et mises
en place étaient destinées et ont réussi à
sauvegarder les organisations existantes. Les acteurs, mal informés des
nouvelles contraintes de l'environnement, des enjeux du changement ont tout mis
en oeuvre pour adapter les nouvelles demandes à leur fonctionnement
habituel.
Pourtant, il apparaît aujourd'hui que les changements
dont l'hôpital a besoin relèvent davantage du Type
2. G.ARBUZ et D.DEBROSSE les décrivent de cette
manière : « Les changements à mettre en
oeuvre visent à créer une rupture par rapport aux pratiques
antérieures, avec pour objectif de fonder l'évolution de
l'institution hospitalière sur une meilleure prise en compte des
attentes des usagers, des Personnels de l'établissement et de l'Etat.
Il est en effet nécessaire de faire évoluer les esprits dans le
sens d'une plus grande attention à ces réalités, de
s'assurer que les nouvelles priorités en tiennent compte, qu'elles se
traduisent dans un changement des pratiques ».
Toute fois, pour que l'interaction puisse avoir lieu, les
changements ne peuvent plus se décider, se décréter d'en
haut, sous peine de phénomènes de résistance conduisant
à davantage d'immobilisme. H.MINTZBERG souligne
d'ailleurs « que le changement sans arrêt, c'est
l'anarchie. Il faut changer quant c'est nécessaire, mais pas en
permanence. » Il insiste aussi sur le fait qu'un vrai changement dans
une organisation prend du temps ( au moins cinq ans), alors que les managers
sont souvent très pressés de réaliser de grands
bouleversements en quelques mois.
Conduire le changement n'est donc pas chose facile.
M.CROZIER insiste sur l'intérêt de
considérer le changement comme un problème, dans la mesure
où il n'est pas naturel, et de le comprendre comme un processus de
création collective. Il ne s'agit plus de décider des
modifications, mais de lancer un processus qui implique coopération,
négociation, réactions et qui met en jeu la capacité de
groupes différents à travailler ensemble autrement dans une
même action.
Comme le dit également F.KOURILSKY, il s'agit de
procéder à une autre lecture de la réalité. En
effet, pour mener à bien un changement de type 2, il ne
suffit plus de corriger les dysfonctionnements du système, car ces
solutions sont en général destinées, au mieux, à le
maintenir en l'état. Il est davantage nécessaire «
d'extraire les ressources de ce système et d'exploiter la fonction
utile de ses défauts. »
Le changement étant transformation d'un système
d'action, pour qu'il puisse y avoir changement, M.CROZIER explique
« que les Hommes doivent mettre en pratique de nouveaux rapports, de
nouvelles formes de contrôle Social....Et ce qui doit changer dans ces
jeux, ce ne sont pas, comme on le croit un peu hâtivement, les
règles, mais la nature même du jeu.
Pour que de tels changements puissent s'accomplir, il ne faut
pas seulement que les rapports de force leur soient favorables, il faut aussi
et bien davantage que des capacités suffisantes soient disponibles au
moins potentiellement : Capacités cognitives, capacités
relationnelles, modèle de gouvernement ».
Ainsi, pour que des acteurs puissent exprimer leur
créativité afin de modifier ensemble les jeux, il est
nécessaire de changer le mode de management. A l'hôpital, par
exemple, le fait de mettre l'accent sur les différences de statut, de
fonctions et de formation favorise et perpétue le cloisonnement. Mettre
en place des structures transversales de coordination va modifier les
capacités d'interactions à condition de ne pas les faire
fonctionner sur des modalités traditionnelles d'organisation
hiérarchique. CONFUCIUS disait : « le sage est
celui qui d'abord met ses idées en pratique, et ensuite parle
conformément à ses actions ».
2) Les apports de la Psychologie Sociale et
de la Sociologie des Organisations.
De nombreux travaux Scientifiques ont
abordé l'étude du changement.
Nous ne prétendons donc pas à
l'exhaustivité et nous ne reprendrons ici que quelques
développements empruntés aux chercheurs de la Psychologie Sociale
et de la Sociologie des organisations, qui se sont tout particulièrement
intéressés au changement.
Bien qu'elles approchent le phénomène du
changement d'un point de vue différent, c'est -à dire à
l'échelle de l'individu pour la Psychologie Sociale et au niveau de
l'organisation pour la Sociologie des organisations, les deux disciplines
soulèvent les mêmes interrogations : Le changement est-il
possible ? Si oui, dans quelle mesure et selon quelles
modalités ? Elles aboutissent ensuite à des conclusions
relativement proches, que l'on peut synthétiser de la manière
suivante : le changement est possible mais il ne va pas de soi et de sur
croit ne se décrète pas.
En d'autres termes, il est illusoire de penser que
« l'objectif suffira à convaincre et que l'incantation ou les
notes de service feront le reste » (J.BRENOT et L.TUVEE).
. a) Le changement est possible, mais il ne va pas de
soi :
La Psychologie Sociale a identifié des
potentialités de changement chez les individus, en montrant que les
comportements reposent pour partie sur des éléments stables ( la
mentalité, la culture,...) mais aussi pour une autre partie sur des
éléments contingents, relatifs au contexte et à la
situation interactionnelle dans lesquels l'individu est placé.
Le changement est donc possible : mais il n'est pas
naturel pour autant : les organisations, comme les individus, peuvent se
caractériser par une certaine inertie et manifester une
résistance passive ou active au changement, du moins dans un premier
temps.
b) La double détermination du
comportement :
Dans sa dimension « statique », la
psychologie sociale a montré que l'homme manifeste principalement,
à travers ses conduites, l'influence du milieu social et culturel dont
il est issu. Il en résulte une certaine stabilité et une
régularité du comportement.
La version « dynamique » de la
psychologie sociale, plus récente, est venue nuancer cette lecture, en
mettant en évidence la variabilité du comportement de l'individu
selon le contexte organisationnel et la situation interactionnelle.
* L'influence structurante de la culture :
La culture est incontournable dans la pratique du changement
car celle ci qui se caractérise par une certaine stabilité, est
au centre de l'identité, de la personnalité, du comportement, et
joue un rôle de décodage de l'environnement. Ainsi, face à
un même changement dans l'environnement, deux individus de culture
différente réagiront de manière distincte.
La psychologie sociale, qui s'est intéressée au
mode de constitution de la culture, nous enseigne que les valeurs et attitudes
d'un individu se façonnent au cours de son éducation puis
à l'occasion de toutes ses expériences sociales : insertion
dans un groupe professionnel, pratique répétée d'un
métier, exercice de responsabilités, etc. On parle de
« Socialisation » pour définir ce processus,
« par lequel l'individu assimile l'ensemble des façons de
ressentir, de penser, de raisonner et de se comporter de son milieu
social »(A.MUCCHIELLI).
Dans le champ professionnel par exemple, les conduites et
pratiques des individus découlent pour une grande part de la culture de
leur groupe d'appartenance ou, du moins, des principes qu'ils ont fini par
assimiler par apprentissage, c'est à dire exercice quotidien du
métier.
Les psychosociologues SAINSAULIEU et DUBAR (1991) ont ainsi
identifié quatre types d'attitudes professionnelles ou «
types d'implication » relatifs à des groupes
différents : l'implication « de retrait »,
fréquente chez les personnels peu qualifiés, peu investis dans
leur emploi et qui vivent le changement comme un risque ou un
embêtement ; L'implication « fusionnelle »,
présente dans les métiers dits corporatistes tels que celui
d'infirmière, où il existe une participation affective au groupe
d'appartenance ; l'implication caractéristique des techniciens et
Affinitaire enfin l'implication « négociatrice »,
dominante chez les cadres, qui pensent que leur reconnaissance passe par la
réussite de l'entreprise.
La dimension dynamique de la psychologie sociale a
renouvelé récemment cette approche, en montrant que le
comportement de l'individu ne repose pas seulement sur la culture,
élément structurel relativement stable et intangible, mais aussi
sur des éléments conjoncturels contenus dans la situation
d'interaction :
- La variabilité du comportement selon la contexte
et la situation interactionnelle :
Dans un contexte d'interaction, c'est-à-dire
d'échange et d'influence réciproque entre deux ou plusieurs
acteurs, le comportement de l'individu ne peut pas être analysé de
manière classique, isolé et rapporté à sa
personnalité, sa culture.
En effet, dans cette situation, ce sont d'autres
éléments, plus contingents, qui détermineront la
réaction et la conduite de l'individu par rapport à son
interlocuteur : il s'agit de sa perception de la situation (intention de
son interlocuteur, enjeux, satisfaction plus ou moins grande,....), Des
rôles qu'il s'attribue à lui -même et à son
interlocuteur, ou encore de son calcul d'intérêt (gain, perte,
maîtrise) en termes de ressources de pouvoir et de « Zones
d'incertitude ».
A titre d'exemple, l'individu pourra se montrer favorable au
changement et à l'évolution des pratiques s'il perçoit
positivement la dynamique de changement (plus de possibilités de
développement personnel, plus de reconnaissance sociale, meilleurs
conditions de travail, etc.) et si l'interaction s'y prête ( relation de
confiance avec la direction, notamment).
A l'inverse, ce ne sera sans doute pas le cas si l'individu
pense avoir intérêt au maintien du statu quo et n'est pas dans
une situation d'interaction favorisant le dialogue et la négociation par
exemple si son interlocuteur, adopte une attitude de désapprobation
hautaine, place l'individu dans une position d'infériorité
morale.
Les individus sont donc susceptibles de réagir plus ou
moins favorablement au changement en fonction du contexte et de la situation
d'interaction, il est possible de les amener à se comporter autrement
à condition de trouver les leviers adaptés.
C) Pour autant, cela ne signifie pas que
le changement soit naturel :
La sociologie des organisations
« classique » (Robert MERTON et ses successeurs) et la
psychologie sociale se rejoignent sur l'idée du caractère
construit et non pas acquis- du changement, en insistant respectivement sur la
rigidité organisationnelle et sur la résistance passive ou active
que l'individu peut opposer au changement.
- La rigidité organisationnelle mise en
évidence par Robert MARTON et ses successeurs :
La question du changement se pose en sociologie des
organisations, sans doute du fait des nombreux travaux qui ont insisté
sur les pesanteurs et les rigidités organisationnelles ; peut
être aussi en raison des problèmes concrets auxquels se sont
heurtés les responsables de réformes administratives.
Rober K. MARTON figure parmi les principaux chercheurs qui
ont insisté sur les dysfonctionnements et les rigidités de
l'organisation, sa thèse consiste à montrer que par
l'élaboration de règle abstraite et le recours à une
relation d'autorité impersonnelle, le mode d'administration des grandes
organisations se rigidifie jusqu'à figer le fonctionnement de la
structure. Les employés, exerçant leurs fonctions dans un maquis
de règlements et vde procédures formalisées,
développent une personnalité tatillonne et incapable
d'adaptations rapides ; leur tâche première n'est plus de
répondre aux demandes des usagers mais de se repérer dans un
dédale de consignes écrites.
A la suite de Robert MERTON, les membres du Centre de
Sociologie des Organisations (R.SAINSAULIEU, F. DUPUY, J.C. THOENIG,...) ont
identifié les principaux éléments engendrant cette
rigidité organisationnelle, à savoir une hiérarchie
pyramidale forte, des corps très cloisonnés, une
réglementation contraignante, l'abondance de notes de service et de
règlements spécifiques qui encadrent l'activité
ordinaire.
Enfin, Michel CROZIER a développé une
thèse plus subtile, avec la notion de « cercle vicieux
bureaucratique » : selon son analyse, l'abondance de
règles produit des Zones d'incertitude, dont certains acteurs se
saisissent pour développer des relations de pouvoir
parallèle ; mais les autres individus, frustrés, exigent
alors encore plus de règles impersonnelles. La rigidité
organisationnelle est donc en quelque sorte une façon d'éliminer
l'arbitraire et le favoritisme. Il convient de nuancer la notion de
rigidité, en raison des tractations et des arrangements que certains
individus cherchent à obtenir pour accroître leur pouvoir. On peut
également soupçonner ces ajustements au coup par coup de
n'être là que pour éviter des changements réels,
plus profonds : l'administration « s'adapte pour ne pas
changer ». Dans le même ordre d'idée, L'analyse
stratégique propose « le pouvoir » comme
élément central d'explication
Le pouvoir est une capacité à orienter la
conduite de l'autre, à l'influencer ou à la diriger. Ainsi
défini, le pouvoir ne peut être que réciproque.
Le pouvoir survient autour des Zones d'incertitudes,
Ces incertitudes sont les failles dans les règles, les
défaillances techniques, les pressions économiques, les
changements d'individus, d'organisation ou les contraintes issues de
l'environnement.
Ainsi, même si l'organisation est décrite, que
les missions sont définies, les situations de travail engendrent des
aléas, des zones d'incertitudes entre le prévu et
l'imprévu, dans lesquels les acteurs peuvent exercer leur marge de
liberté.
La notion de pouvoir ne peut se dissocier du concept de zones
d'incertitudes et ce fait ne s'appuie pas uniquement sur des
références hiérarchiques.
En effet, tous les membres d'une organisation ne sont pas
égaux pour maîtriser les incertitudes. Les sources de pouvoir
sont diverses :
-La possession d'une compétence ou d'une
spécialisation fonctionnelle difficilement remplaçable :
l'expert est le seul qui dispose du savoir -faire, des connaissances et de
l'expérience du contexte. Cette expertise lui permet de résoudre
certains problèmes cruciaux pour l'organisation. Son intervention est
indispensable à l'organisation, ainsi il pourra la négocier comme
des avantages ou des privilèges.
-La position hiérarchique, dans la mesure ou l'acteur
est parti prenante dans plusieurs systèmes d'action en relations les uns
avec les autres, il va utiliser les connaissances de plusieurs milieux pour
agrandir son pouvoir.
-La qualité de son réseau d'information et de
communication c'est à dire le contrôle par l'acteur de
l'information : détention, transmission, rétention. A
l'intérieur de l'organisation, se créent des réseaux de
relation qui ne sont pas définis par les organigrammes.
-La connaissance et l'utilisation des règles
organisationnelles internes ou de l'environnement, c'est à dire le
contrôle des liaisons du système : moyens de manoeuvre,
définition et application des règles, contournement des
règles.
Or l'hôpital, emploie un grand nombre de professionnels
très compétents chacun dans leurs domaines d'activité. La
multiplicité des spécialisations des professionnels permet la
maîtrise d'une zone d'incertitude cruciale pour le bon fonctionnement du
système. Ces personnes acquièrent de ce fait un pouvoir
réel dans l'organisation.
F. GONNET confirme l'étendue de ce pouvoir lorsqu'elle
écrit : « La réalité du pouvoir à
l'hôpital met en évidence des pouvoirs nombreux et
diversifiés liés au travail et à la contribution
indispensable de certains groupes d'acteurs dans l'organisation. »
Chacun exploite ainsi sa zone d'incertitude pour
préserver une part d'autonomie et faire valoir ses enjeux. Lors des
restructurations, les incertitudes sont nombreuses, surtout lors de la phase
préparatoire. Or, plus la zone d'incertitude est étendue, plus
grand est le pouvoir. Néanmoins, aucun individu, ni groupe ne peut
exercer son pouvoir sans limite, il existe un système de
régulation.
Les changements bousculent le jeu des acteurs et
nécessitent l'apprentissage de nouvelles règles. Ces
périodes de transition sont de ce fait très
déstabilisantes.
Ainsi, c'est par la négociation que chacun trouvera
son intérêt. Car les relations à l'hôpital sont des
relations de pouvoir ou chacun cherche à maintenir et à
élargir sa marge de liberté, à saisir les
opportunités qui améliorent sa situation.
La négociation est une relation d'échange dans
laquelle deux personnes au moins sont engagées. C'est une relation
réciproque, déséquilibrée, un rapport de force ou
l'un peut retirer d'avantage que l'autre mais ou aucun n'est totalement
démuni face à l'autre.
Les stratégies d'acteurs ne sont évidemment pas
parfaitement transparentes. Elles peuvent être plus ou moins visibles.
L'analyse des attitudes et des comportements l'observation et l'écoute
des acteurs permettent de reconstituer leurs stratégies et de mettre
à jour les relations de pouvoir : alliances, opposition, relations
de négociation.
C'est dans ce contexte qu'il faut envisager la notion de
changement. Car une organisation se transforme pour s'adapter à
l'évolution des hommes et de l'environnement, tant en interne qu'en
externe.
Pour sa part, la psychologie sociale a souligné la
complexité du changement en montrant que l'individu peut
développer un système de défense allant jusqu'à
l'agressivité en passant par toute une gamme d'attitudes d'opposition
passive ou active au changement :
- Le Phénomène de résistance au
changement
En premier lieu, il convient de noter que les individus
n'opposent pas nécessairement une résistance au changement :
il existe des personnes qui sont de manière générale
plutôt favorable à l'innovation.
Cependant, à l'annonce d'un changement, l'attitude
première des individus consiste le plus souvent à manifester une
résistance, relativement neutre et passive dans un premier temps. Cette
résistance n'est pas synonyme de rejet absolu, mais s'explique par le
fait que les individus cherchent à comprendre les évolutions en
cours et ne peuvent pas renier facilement les modèles ou pratiques
qu'ils ont auparavant adopté et peut-être prôné. Dans
un article fort intéressant consacré à la démarche
qualité, le Pr A.BERNADOU de l'Hôtel Dieu note ainsi que
« ce qui est naturel, c'est la résistance au changement, ce
n'est pas l'inverse », car il existe chez l'homme « un
système de défense contre les idées, les opinions et les
comportements des autres, dont le but est identique (au système
immunitaire) : garder l'intégrité psychique du
soi ».
Ainsi même si les professionnels de santé savent
qu'ils doivent évoluer, s'adapter à de nouveaux modes
d'organisation, adopter de nouveaux comportements différents de ceux
qu'ils ont acquis en formation initiale, ce changement ne va pas de soi. Il est
humainement compréhensible de voir apparaître des
résistances, du moins pendant la phase initiale du changement,
particulièrement anxiogène.
La résistance « passive » au
changement peut se manifester sous des formes diverses : réflexes
défensifs, réactions de sauvegarde, comportements de fuite ou
d'évitement, etc. Elle tient principalement au poids des habitudes,
à la charge affective que véhicule le changement (
désarroi, inquiétude, lassitude...) et à la peur, tout
à la fois de ne pas réussir le changement et d'aboutir à
une situation différente qui ne corresponde pas à un gain
réel pour l'individu.
Le poids des habitudes est effectivement très lourd
puisque, comme nous l'avons précédemment développé,
la culture et les expériences passés de l'individu (formation
initiale, auto-formation, etc.)déterminent pour partie son savoir en
action.
La charge affective du changement s'explique par le fait que
celui-ci s'accompagne souvent d'une crise culturelle (Kurt LEWIN) ou du moins
d'un certain malaise : les activités des individus et des
équipes, le fonctionnement quotidien , les pratiques habituelles sont
perturbés et les individus sont partagés entre deux
modèles antagonistes, à savoir leurs anciennes façons de
faire et les nouvelles normes comportementales. Dés lors, le changement
est vécu sur le mode émotionnel.
Enfin, le changement suscite une peur de l'inconnu et surtout
une peur de perdre sa sécurité, son expérience, sa
compétence, etc. : les individus craignent de quitter une situation
qu'ils connaissent et dans laquelle ils sont reconnus ; ils ne trouvent
pas plaisir à remettre en cause des acquis.
La résistance au changement peut ensuite se manifester
de manière plus dynamique, par des actions volontaristes tendant
à faire échouer le changement.
Tel est souvent le cas lorsque le coût du changement
apparaît trop fort aux individus, qui se voient lésés par
la remise en cause du système : perte de pouvoir ou de
« Zones d'incertitude », perte de bénéfices
sociaux ou d'avantages, incidences sur l'identité, etc.
En définitive, s'il existe des potentialités de
changement, ce dernier ne va pas de soi en raison des obstacles individuels et
organisationnels à surmonter.
A partir de là, on peut ainsi identifier les
principales causes de la résistance au changement qui peuvent
être :
- Individuelles, liées à la personnalité
de l'individu du fait de son anxiété due à la perte de
points de repères.
- Structurelles : s'il n'y a pas eu assez de
communication ou de concertation au départ.
L'incertitude face à l'avenir, le manque d'information
sur les enjeux, l'insuffisance des moyens pour mettre en oeuvre les changements
sont source de résistance. Le fonctionnement organisationnel trop
bureaucratique, favorise le cloisonnement et peut bloquer les personnes.
Dés lors, comment amener le changement et faire
évoluer les pratiques professionnelles ? les analyses
théoriques s'accordent sur le principe que le changement ne se
décrète pas ; elles aboutissent également à la
conclusion que le plus important est de faire en sorte que l'individu se
sente acteur et gagnant dans le changement :
- Le changement ne se décrète
pas :
Le fait de décréter un changement provoque le
plus souvent de l'immobilisme, comme l'illustre cette déclaration
d'Edgar FAURE, lorsqu'il voulut mettre en place sa réforme de
l'Education Nationale : « En décrétant le
changement, j'ai mis en route l'immobilisme et je ne sais plus comment
l'arrêter. »
La psychologie sociale et la sociologie des organisations
montrent qu'effectivement, le changement ne saurait être réussi
de manière unilatérale, tant la production collective du
changement est importante :
- Le changement ne saurait être réussi de
manière unilatérale :
Il faut « laisser aux acteurs le temps de
s'approprier et de digérer (les) différents bouleversements, dont
certains agissent comme des chocs » (Françoise GONNET et
Michel CROZIER). Il n'est donc ni pertinent ni efficace de prétendre
introduire le changement de manière unilatérale, par le biais
d'injonctions ou de circulaires par exemple qui ne feraient d'ailleurs que
renforcer la rigidité organisationnelle décrite par MERTON.
Pour reprendre l'expression de BRENOT et TUVEE, changer le
comportement des acteurs, « ce n'est pas édicter de nouvelles
normes comportementales (dorénavant il faudra faire ceci ou
cela) ».
De fait, le changement requiert du temps et des conditions
favorables ; en outre il « doit passer par le
désir » (F.KOURILSKY) :
- Le changement requiert du temps et des conditions
favorables :
Si les « recettes » de management sont
multiples en matière de changement et doivent être
considérées avec circonspection, elles se rejoignent pour la
plupart quant à l'idée suivante : le changement ne peu
être réussi que par le respect de différentes
étapes dans le temps et par la réunion de conditions propices.
La capacité individuelle et collective de changement
dépendra notamment de l'importance et de la nature du changement
à entreprendre, du rythme du changement, de l'existence ou non d'une
nouvelle conception du monde chez les personnes concernées.
- Les étapes du changement :
Kurt LEWIN a réalisé un important travail
d'analyse à propos des phases du changement de mentalité et
d'attitudes (1947).
Il montre qu'il n'y a pas de « jour J »
dans le changement, mais seulement une préparation plus ou moins lente
et une intégration plus ou moins rapide du changement : les
réalités nouvelles, avec leurs incidences sur les pratiques,
supposent toujours un certain temps d'ingestion pour être acceptables par
les individus concernés.
Kurt LEWIN a identifié trois phases dans le processus
de changement.
La première, qualifiée de
« dégel » (« unfreezing »),
correspond à la mise en question des croyances et des attitudes,
parfois même des valeurs culturelles. Il s'agit d'une période
d'assouplissement, d'ouverture, de questionnement..
Plus ou moins longue, elle fait place à la phase de
changement proprement dite, qui commence souvent par une crise culturelle,
transition difficile entre les anciens repères et les comportements
nouveaux, et se poursuit en principe par la mutation des points de vue et des
attitudes.
Enfin, la dernière phase, dite de
« regel » (« freezing ») correspond au
temps de l'extension et de la consolidation des nouveaux comportements,
autrement dit l'acculturation.
A chaque stade, les personnes concernées par le
changement doivent faire l'objet d'un accompagnement particulier :
- Les conditions du changement :
Alex MUCCHIELLI a ainsi mis en évidence trois
conditions qui doivent être réalisées simultanément
pour que les mentalités et les pratiques puissent évoluer :
l'existence d'une « pression » suffisamment forte de la
situation sur les individus pour que ceux ci ressentent la
nécessité et l'intérêt du changement ; la
présence de zone de liberté et d'expérimentation pour que
des comportements nouveaux puisent voir le jour moralement et
matériellement ; enfin la valorisation des nouveaux modèles
de conduite pour favoriser leur diffusion.
En d'autres termes, les facteurs clés de
réussite du changement semblent être l'adhésion des
individus, leur implication et l'adoption d'un nouveau regard sur la
réalité de leur part. Cela soulève la question de la
légitimité et de l'éthique d'un recours à des
techniques d'influence :
- Quelle place pour les techniques
d'influence ?
D'après certains chercheurs, des techniques
d'influence sont susceptibles de faciliter l'obtention d'un comportement
donné de la part d'un individu (l'adoption d'une pratique nouvelle par
exemple).
Bien entendu, il ne s'agit pas d'envisager ici les
méthodes violentes de propagande, inventées et mises en oeuvre
dans le dessein de faire perdre aux individus leur système de
référence, ni les techniques grossières de manipulation
des groupes (désinformation, diffusion de stéréotypes).
Il s'agit plutôt d'évoquer quelques
méthodes subtiles et « policées », permettant
d'influencer les comportements de manière
« liberté ».
Kurt LEWIN a montré par exemple que le changement
d'attitude des individus peut être facilité en utilisant
« la dynamique de groupe », en prenant appui sur des
leaders influents ou sur des suiveurs dans toutes les strates de
l'organisation.
En effet, ses travaux ont débouché sur la
conclusion qu'il est plus aisé de changer les idées et les
pratiques d'un petit groupe que dés lors que le groupe dans son ensemble
a exprimé son adhésion.
Si ces analyses sont fort intéressantes, notre culture
tolère assez difficilement le recours à de telles techniques
d'influence ou de manipulation, de connotation péjorative. Nous pourrons
néanmoins retenir de la thèse de Joule et Beauvois la notion
centrale « d'effet d'engagement », selon laquelle les
individus tendent à adhérer au sens propre- à ce qui leur
paraît être leurs décisions, et par suite à se
comporter en conformité avec elles.
Françoise KOURILSKY considère pour sa part que
« la performance du promoteur du changement repose en
priorité sur sa capacité à créer, à
construire le désir d'évoluer » :
· La nécessité de créer le
désir de changer :
Françoise KOURILSKY, Docteur en psychologie et auteur
de l'ouvrage « Du désir au plaisir de
changer », souligne que la résistance au changement tient
moins souvent aux individus concernés qu'aux méthodes qui sont
adoptées pour mener le changement : « Le fait de
décréter un changement déclenche
généralement un peu plus d'immobilisme dans les organisations
(...) ; Ressenti comme un « diktat », une non
-acceptation de leur identité, il est vécu comme une
agression ».
D'après son analyse, le management du changement est
essentiellement une affaire de pédagogie et le plus important est de
créer le désir de changer. Cela passe par le respect de
« l'écologie humaine » : son capital
d'expériences, ses valeurs, ses potentialités. ». Il ne
suffit pas d'expliquer ni de comprendre pour changer : ce qui est
primordial c'est d'obtenir de nos interlocuteurs leur coopération pour
qu'ils « fassent autrement ». Le meilleur moyen pour
parvenir à cela semble être la production collective du
changement :
· L'importance de la production collective du
changement :
Le changement est souvent conçu- à tort- comme
un mouvement descendant qui doit s'appliquer de façon uniforme et
impersonnelle à l'ensemble de l'organisation. Cette vision tient sans
doute au fait que les membres des organisations ont pendant longtemps
été appréhendé comme de simples exécutant,
des instruments passifs, avant d'être enfin reconnus comme des acteurs
à part entière. Or, « la vision top down (du haut vers
le bas) qui construit un plan d'ensemble dans lequel tout est prévu est
à la fois mégalomaniaque, inapplicable et finalement sans grand
effet » (François DUPUY).
En matière de changement tout particulièrement,
il est très important de valoriser le rôle des acteurs, car ils
sont en première ligne face aux évolutions
nécessaires : le changement signifie l'apprentissage de nouveaux
comportements.
- Les membres de l'organisation ne peuvent plus être
considérés comme de simples exécutants :
Au début du vingtième siècle, lorsque
TAYLOR et FAYOL ont dégagé pour la première fois les
principes d'administration et de direction du travail, la conception dominante
était l'emploi des hommes comme auxiliaires des machines, dans
l'exécution des tâches de production routinières.
L'organisation et le management étaient entièrement
marqués par la métaphore de la pyramide.
L'Organisation Scientifique du Travail (OST) donnait la
prééminence au rationnel à l'organisation, aux
procédures et aux structures. La dimension psychologique et
psychosociologique du travail était négligée ; le
principe d'autorité était posé comme « le droit
de commander et le pouvoir de se faire obéir », comme en
témoigne cette formule de Gustave LE BON : « Le
dirigeant est le cerveau qui commande et les employés sont les organes
qui obéissent ».
Le modèle dominant en matière de changement
était le changement rationnel : Dans cette approche, les membres de
l'organisation n'avaient pas leur mot à dire, devaient faire confiance
et accepter les bouleversements « pour le bien de
l'organisation ».
Cette conception n'a pas complètement disparu, elle
reste toujours d'actualité dans nos organisations.
Avec le mouvement des relations humaines, porté par
Elton MAYO dans les années 1930, une place centrale a été
conférée à l'individu, la personne, l'affectif et les
relations. MAYO a découvert l'importance du climat psychologique et des
modalités de commandement sur le comportement au travail. Il a mis
l'accent sur les relations de groupe qui se constituent entre les travailleurs
pour réagir à la prescription et à la consigne et a
souligné la nécessité de prendre en compte les
désirs des travailleurs, à savoir, au- delà des
aspirations matérielles, le souhait d'être socialement reconnus,
d'exercer un travail valorisant, d'avoir de bonnes relations avec leurs
supérieurs. La conception pyramidale a fait place à une
conception plus « circulaire ».
Cette nouvelle conception doit prendre une place de plus en
plus grande dans nos organisations.
A la suite l'Elton MAYO, D.MAC GREGOR a mis en exergue
l'importance de l'implication et de la responsabilisation des
employés : selon son analyse, crainte de la sanction n'est pas le
seul stimulus au travail ; un objectif clairement défini qui engage
la responsabilité du travailleur peut constituer aussi une incitation
puissante à l'action.
De nouvelles « modes » de management sont
nées dans ce sillage : management participatif, empowerment,
management stratégique, etc.
Dans le domaine du changement, le mouvement du
développement organisationnel a cherché, à partir des
années 1970, comment changer sans provoquer l'apparition de la
résistance au changement. Ce courant a voulu familiariser l'organisation
avec l'idée que le changement et l'apprentissage sont des
mécanismes naturels et essentiels, en recherchant collectivement avec
tous les individus concernés ce qui fait obstacle au bon fonctionnement
de l'organisation. L'idée sous - jacente était que
l'employé ne peut être traité comme simple objet de sa
propre transformation, mais doit être considéré avant tout
comme un sujet.
Reposant sur un management de nature participative, le
développement organisationnel a néanmoins fait l'objet de
nombreuses critiques, en raison de ses dérives (production de
désordre et de revendications, peu d'effets réels sur la
structure formelle de l'organisation) ou de ses objectifs.
De l'Ecole de l'OST, qui considérait l'individu comme
un agent, agi par l'organisation et totalement interchangeable, à
l'Ecole des relations humaines, qui a reconnu dans l'individu un sujet unique
et original, modelant la situation par sa personnalité, le statut des
membres de l'organisation a donc fortement évolué.
Le courant stratégique et systémique de Michel
CROZIER a tenté de dépasser ces deux visions antagonistes
à travers les concepts « acteur » et de
« système » en permanente interaction : chaque
individu a sa stratégie personnelle et joue son propre jeu dans le
système d'action dont il fait partie.
Il est donc indispensable aujourd'hui de prêter une
attention particulière aux membres de l'organisation, qui peuvent jouer
un rôle actif. Cela est d'autant plus vrai dans un contexte de
changement, ou les individus doivent faire l'apprentissage de comportements
nouveaux :
· Le changement est un apprentissage :
« Les équipes hospitalières (...) ne
peuvent, sans une sensibilisation et une préparation, changer du jour au
lendemain leur manière de concevoir le futur de leur
institution ».
Cette citation, extraite de l'ouvrage «
Réussir le changement » de DEBROSE et ARBUZ, montre que le
processus de changement doit privilégier les phénomènes
d'apprentissage, octroyer du temps pour changer, permettre aux acteurs de
s'engager progressivement.
CROZIER et FRIEDBERG ont particulièrement
insisté sur la dimension d'apprentissage du changement
également, en soulignant que toute action de changement implique la
découverte et l'acquisition de nouvelles capacités collectives,
de nouveaux modes de raisonnement. Cette idée les a conduits à
prôner le processus participatif : « le changement ne
peut se réduire à une décision hiérarchique. Celui
ci doit être accompagné d'un apprentissage de nouveaux modes de
relation ».
Enfin, Renaud SAINSAULIEU s'est inscrit dans la même
perspective en matière de sociologie du travail, en affirmant que le
changement ne peut résulter que d'initiatives locales, fondées
sur un apprentissage progressif d'autres pratiques de production et de
gestion : les actions de changement ne doivent pas être
décidées ex- nihilo mais reposer sur les réactions des
individus aux sollicitations de leur environnement.
Pour résumer toute cette dialectique en quelques
idées fondamentales, le Responsable peut aider ses employés ou
ses collègues à réaliser et à vivre le changement,
s'il est conscient que « la rhétorique seule n'est plus
suffisante pour s'adjoindre le concours des employés au processus de
changement » (Gérard Ouimet ET Yvon Dufour).
Le changement souhaitable ne pourra être obtenu que s'il
y a une appropriation des évolutions en cours par les acteurs
concernés, c'est à dire s'ils adhérent volontairement
à l'expérience du changement et s'ils sont partie prenante dans
ce processus.
Le changement proposé initialement (devient alors) leur
changement vécu et ressenti ».
Cette appropriation est certainement un processus lent et
coûteux, mais sans elle, les nouvelles orientations
décidées « d'en haut » risquent fort de
créer du malaise, de rester des voeux pieux et de ne pas se traduire en
actes, les pratiques demeurant à l'état de statu quo. Or, en
matière de management, la réflexion s'est sans doute trop souvent
focalisée sur une conduite du changement de nature unilatérale et
relativement descendante, au détriment de l'appropriation du changement
par les individus concernés.
Mais quelles sont les variables déterminantes dans le
processus d'appropriation du changement ?
Les analyses sociologiques donnent quelques éclairages
sur cette question : le degré d'appropriation du changement serait
lié à l'aspect cognitif (vision, croyances, savoir et
savoir-faire) au niveau de l'individu et de l'organisation, ainsi qu'a la
méthodologie de changement mise en oeuvre ; l'appropriation serait
plus ou moins rapide selon la nature du changement, le «
métabolisme » de l'organisation, la personnalité des
dirigeants , les ressources et les jeux internes.
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