Approche comparative de la conception des droits de l'homme dans la philosophe africaine et dans la philosophie politique contemporaine en occident( Télécharger le fichier original )par Julien Rajaoson Sciences Po Grenoble - Master 2008 |
I°) De l'éthique dans la conception africaineLes Constitutions, La déclaration des Droits de l'Homme et du citoyen de 1789 ainsi que la charte de l'ONU nous donnent ces fins textuellement parlant, malgré le fait qu'elles soient le fruit d'un consensus parfois abusif165(*). « L'action c'est le lieu de la liberté humaine où la prudence (phronésis) et la démesure (hybris) se mesurent dans un corps à corps imprévisible »166(*) pourtant toutes ces tentatives sont de nature à fournir un contenu particulier à l' « agir moral »167(*) et surtout, elles réussissent à dépasser le rapport « Maître/Esclave »168(*) omniprésent dans ce contexte et dans le sujet que nous traitons. Concernant cette capacité à s'affranchir des déterminations culturelles, des hommes dans l'Afrique du XIIIème siècle ont su s'adresser au monde de manière universelle169(*). Comme le précise Youssouf Tata Cissé en charge de rédiger l'introduction de l'oeuvre d'Aboubakar Fofana, cette charte fut pensée par la Confrérie des chasseurs, une organisation de type maçonnique selon lui, qui prônait « la fraternité universelle »170(*). La déclaration solennelle prononcée en premier lieu à Dakadjalan avait été initialement nommée Manken Kalikan171(*), de plus, « ce jour correspondait en parallèle à l'intronisation de Soundjata Keïta en tant qu'empereur du Mali en 1222 alors même que la comète de Halley avait illuminé les cieux du Mali la nuit précédente »172(*). 1°) Une Charte des Droits de l'Homme ?Avant de resituer historiquement La Charte du Mandé de 1222, il semble important de noter ses accents à caractères libéraux sans vouloir faire d'anachronisme, dans la mesure où les valeurs humaines qu'elle proclame s'oppose « manifestement à la situation qui prévalait à l'époque en Afrique de l'Ouest, notamment au Mandé. En effet, avec l'expansion de l'Islam et sa conséquence indirecte sur le plan social, l'esclavage, la capture et la vente d'homme par l'homme étaient devenus un fait banal. Dix, voir vingt esclaves se troquaient contre un cheval ou une barre de sel gemme »173(*). Donc, la lutte contre les esclavagistes devenant une évidence, elle fut sans merci et plus sanglante encore « (...) dans le Sahel contre les esclavagistes Soninkés, Maures et Touaregs »174(*). Une fois la lutte achevée, c'est en ces termes qu'elle fut énoncée d'après Aboubakar Fofana : « Toute vie humaine est une vie Il est vrai qu'une vie apparaît à l'existence avant une autre vie, Mais une vie n'est pas plus ancienne, Plus respectable qu'une autre vie, De même qu'une vie ne vaut pas mieux qu'une autre vie. Toute vie étant une vie, Tout tort causé à une vie exige réparation. Par, conséquent, Que nul ne s'en prenne gratuitement à son voisin, Que nul ne cause du tort à son prochain, Que nul ne martyrise son semblable. Que chacun veille sur son prochain, Que chacun veille sur ses géniteurs, Que chacun éduque ses enfants, Que chacun veille sur la terre de ses pères. Par patrie, pays, ou terre des pères, Il faut entendre aussi et surtout les hommes : Car tout pays, toute terre qui verrait les hommes disparaître de sa surface Connaîtrait le déclin et la désolation. La faim n'est pas une bonne chose, L'esclavage n'est pas non plus une bonne chose ; Il n'y a pas pire calamité que ces choses là, dans ce bas monde. Tant que nous disposerons du carquois et de l'arc, La famine ne tuera personne dans le Mandé, Si d'aventure la famine survient ; (...) Celui qui a crée la mort Est celui là même qui a crée la vie. Celui qui crée la vie Est celui là même qui crée la mort. La mort est une vérité, une réalité Et la résurrection un mensonge, Une imposture »175(*). En somme, c'est sans avoir à rougir que les penseurs africains peuvent se référer à cette Charte du Mandé. D'ailleurs, il semblerait qu'aucune autonomie digne de ce nom n'est envisageable pour une société civile ou une pensée qui ne tenteront pas de maîtriser son histoire176(*). Au même titre que les revues que l'on peut lire en Occident, telles que : Le Débat, Les Annales, La revue française de sciences politiques, la dynamisation de ce genre de publications en Afrique permettrait à certains individus d'avoir une prise intellectuelle sur le passé et l'actualité du contient. La Charte du Mandé de 1222 reste encore trop peu connue dans le monde entier, car la diffusion d'ouvrages à ce propos ainsi que des réseaux de distributions efficaces ne sont pas encore institués, « Cette perspective vise délibérément à relativiser l'importance du modèle réaliste, selon lequel les relations internationales s'interprètent exclusivement comme un jeu entre des unités étatiques, qui détiendraient ainsi le monopole de la politique étrangère »177(*). Cependant, des revues africaines178(*) très sérieuses existent, dans lesquelles les comités de lecture observent des règles strictes et assez sélectives quant à la publication d'articles, mais encore une fois, ceci concerne des affaires internes sans véritables tendances à l'universelle. * 165 Voir la charte des Droits de l'Homme de 1948, qui au sortir de la seconde guerre mondiale fut le produit d'une synthèse monstrueuse entre le socialisme et le libéralisme. * 166 Jean-Godefroy Bidima, La philosophie négro-africaine, éd. PUF, 73, avenue Ronsard, 41100 Vendôme, Août, 1995, p. 119 dans la partie sur Le langage, l'action et la création. * 167 Alain Renaut, op. Cit, p. 410 dans la partie intitulé, La réaction communautarienne, rédigé par Lukas K. Sosoé où l'auteur affirme que : « L'agir moral est précisément une invitation à l'arrachement à mes déterminations. L'expérience morale ou la possibilité de délibérer et non d'accomplir en tout moment et en toutes circonstances ce dont je sens le besoin immédiat reste un argument déterminant en faveur de cet arrachement qui est toujours déjà présupposé, si l'agir moral doit avoir un sens. L'expérience de la réflexion morale nous révèle que, malgré notre situation dans le monde, nous sommes supposés capables de nous libérer, jusqu'à un certain point, de l'ordre de celui-ci, c'est-à-dire de la chaîne de la causalité de la nature et des déterminations culturelles et autres pour poser nos valeurs et affirmer notre autonomie dans les limites de ce que peut atteindre un sujet raisonnable fini. C'est d'ailleurs ce qu'atteste fort clairement la figure du héros, du saint, celle de ceux qui, envers et contre tous, ont su défendre et même mourir pour leurs convictions ». * 168 Une dichotomie qui sous-tend également notre sujet de recherche, car pour que la pensée philosophique africaine soit autonome et libre, elle doit pouvoir s'affranchir de ces catégories du Maître et de l'Esclave qui hantent l'imaginaire de l'africain. Nous verrons par la suite en quel sens ces catégories persistent. * 169 Calligraphies de Aboubakar Fofana, La Charte du Mandé et autres traditions du Mali, éd. Albin Michel, Paris 14ème, 22 rue Huygens, mars 2003. Je tiens à préciser que les numéros de pages ne sont pas présents dans cet ouvrage, à défaut j'indiquerai les paragraphes pour que l'on puisse s'y repérer et suivre mon propos. * 170 Se référer au second paragraphe de l'introduction écrite par Youssouf Tata Cissé * 171 Plusieurs traductions sont proposées pour le rédacteur de l'introduction : Injonction au monde, le Serment du Mandé ou Serment des chasseurs. Nous ne nous risquerons pas à affirmer si toutes ces définitions sont également valables. * 172 Ibid., paragraphe 3 * 173 Ibid., paragraphe 4 * 174 Ibid., paragraphe 4 * 175 Aboubakar Fofana, op. Cit, se reporter au développement. * 176 F. Eboussi-Boulaga, La crise du Muntu. Authenticité africaine et philosophie. Collection Présence Africaine, 25 bis, rue des écoles, Paris 5ème , 62 rue Carnot, Dakar, au Chapitre III sur La vision morale du monde p. 67 où Eboussi-Boulaga exprime l'idée qu'il a de l'enjeu principal de la philosophie africaine : « A travers la remise en cause de ses façons de travailler, de s'organiser, de se représenter, c'est l'humanité même de l'homme traditionnel qui devient douteuse, puisqu'elle autorise l'asservissement effectif ou éventuel. Pour se réconcilier avec lui-même et pour lui-même, il se doit de rendre compte des rapports qu'entretiennent le traditionnel et le rationnel : plus concrètement, il aura à manifester si l'art de vaincre sans raison peut se séparer de la raisonnabilité ou comment celle-ci ne peut subsister sans celui-là, sans la rationalité ». * 177 Jean-Claude Ruano-Bobalan et Bruno Choc, op. Cit, p. 138 dans Le pouvoir des réseaux rédigé par Ariel Colonomos * 178 Jeune Afrique, Menaibuc ou Présence Africaine |
|