PREMIERE PARTIE : Etat des lieux des mutations
financières
Cette partie consistera essentiellement à l'analyse des
différentes approches du lien existant entre la libéralisation
financière, le développement financier et le développement
économique, d'une part, et l'analyse de la mutation de l'environnement
bancaire et financier au Bénin, d'autre part.
CHAPITRE I : FONDEMENT THEORIQUE DU LIEN
LIBERALISATION FINANCIERE, DEVELOPPEMENT FINANCIER ET CROISSANCE
ECONOMIQUE
Ce chapitre présente essentiellement une approche
théorique du lien Libéralisation Financière,
Développement financier et croissance économique d'une part, et
d'autre part l'expérience des pays asiatiques et Sud-Américain en
matière de libéralisation du secteur financier. Dans la
première section, nous verrons les approches théoriques qui
soutiennent l'adoption de la politique de libéralisation
financière, considérée selon certains auteurs (Mackinnon
et Shaw) comme une condition nécessaire à un développement
financier saint et efficient.
En effet, défini comme la diminution du coût de
conversion d'un actif non liquide en un actif liquide (Baptiste Venet, 2000),
le développement financier améliore la croissance de long terme
de l'économie grâce à l'augmentation de la
productivité marginale de l'investissement qu'il génère.
Dès lors, analyser les mécanismes d'interaction entre la
libéralisation financière, le développement financier et
la croissance économique s'avèrent extrêmement
important.
I-1- Développement financier et Croissance
économique
Cette section nous permettra d'analyser la relation
entre le Développement financier et la croissance économique.
Nous évoquerons d'abord l'aspect théorique de la relation, puis
nous ferons un état des lieux des principaux travaux empiriques sur ce
sujet.
I-1-1- Une analyse
théorique du lien Développement Financier - Croissance
économique
L'importance du système financier dans la
croissance économique est essentiellement analysée par deux
courants économiques opposés. Il y'a d'un coté les auteurs
qui relèvent son impact sur le développement économique
(Schumpeter, 1911) ou la croissance économique et de l'autre, ceux qui
réfutent l'importance de la relation entre la finance et la croissance
économique (Lucas, 1988).
C'est avec les travaux de Goldsmith (1969) et
McKinnon (1973) que le lien « Developpement financier - Croissance
économique » a été étudié plus en
détail. Les principales recommandations visent essentiellement à
libéraliser le secteur financier (Libéralisation
financière) dont l'objectif est de soutenir la croissance des taux
d'épargne et d'investissement (Développement financier) ainsi que
d'améliorer l'efficacité du capital (Développement
économique). La relation fut reconnue dans la littérature depuis
une trentaine d'années et Goldsmith (1955, 1969), en fut le
précurseur. Rapidement, la structure financière devint même
un des éléments de la stratégie de développement
économique sous l'impulsion d'auteurs comme Gurley et Shaw (1967),
McKinnon (1973, 1991), Shaw (1973), Fry (1988, 1989) et plus récemment
Thornton (1991, 1994) et, King et Levine (1992, 1993). On peut associer
à cette liste, d'importantes littératures sur la croissance
endogène : Bencivenga et Smith (1991), Greenwood et Joanovic
(1990), Pagano (1993), etc.
En effet, de façon globale, tous les travaux mettent en
évidence l'idée qu'un système financier efficient ou
développé, stimule le développement économique.
Mentionnons cependant que si la corrélation est maintenant largement
admise, le sens de causalité reste par contre contesté, opposant
d'une part, le développement financier exogène (conduit par
l'offre de services financiers) et, d'autre part, le développement
financier endogène (induit par la demande de services financiers).
Retenons cependant que la principale contribution des
systèmes financiers à la croissance repose sur le fait que ces
derniers permettent d'assurer le fonctionnement d'un système de paiement
efficace et évolutif, mobilisent l'épargne et améliorent
son affectation à l'investissement. L'existence d'un moyen
d'échange fiable est une condition nécessaire de la croissance.
Les systèmes de paiement évoluent en parallèle et en
interaction avec la croissance économique. La croissance entraîne
des gains de productivité, mais aussi une ouverture continue de nouveaux
marchés, une complexité croissante des échanges qui
renforcent la monétisation des économies, qui est
nécessaire à son tour pour soutenir le volume de
l'activité économique. Cette association entre le PIB et le
degré de monétisation de l'économie a été
soulignée dès la fin des années soixante par Goldsmith
(1969).
Par ailleurs, le développement des marchés
financiers ou d'intermédiaires bancaires peut assurer une meilleure
mobilisation de l'épargne disponible et soutenir ainsi la croissance
économique. Il facilite notamment l'agglomération des ressources
financières de l'économie. Ceci permet aux intermédiaires
financiers de diversifier les risques associés aux projets
d'investissements individuels et de proposer aux épargnants des
placements à rendements plus élevés. Ceux-ci favorisent la
détention de l'épargne sous forme financière, plutôt
que sous forme d'actifs réels peu rentables. Cette réorientation
de l'épargne peut à son tour renforcer davantage le
développement du système financier.
Les modèles basés sur la théorie de la
libéralisation financière et la croissance endogène
permettent de formuler les interactions entre facteurs financiers et croissance
en réintroduisant le rôle primordial de l'intermédiation
financière dans l'amélioration de l'allocation des ressources.
C'est ainsi que Pagano (1993) indique les trois canaux par
lesquels le système financier peut affecter la croissance :
1- D'abord en augmentant la proportion de l'épargne
nationale allouée à des investissements productifs. Selon
Pagano, l'augmentation de cette proportion peut être due
à la baisse de l'inefficacité de la sphère
financière. Lors de la libéralisation du secteur bancaire, l'on
peut aussi penser à une baisse des réserves obligatoires ou des
taxes associées aux transactions.
2- Ensuite en augmentant la productivité marginale,
grâce à la collecte d'information et à l'incitation des
investisseurs à replacer leur argent dans les projets plus
risqués à cause d'un partage du risque plus significatif de la
part des intermédiaires.
3- Enfin, le secteur financier influence la croissance par
l'intermédiaire du taux d'épargne de l'économie.
D'autres travaux sur ce thème ont été
réalisés et montrent qu'une intermédiation
financière concurrentielle augmente le taux de croissance de long terme
(Greenwood et Jovanovic, 1990 ; Bencivenga et Smith, 1991 ; Levine,
1991).
Convertir des actifs illiquides en actifs liquides (sous
formes de dépôts disponibles à vue, sans coût de
transformation, ni risque) est un service bancaire fondamental, au sens
où il fonde l'action bancaire. Cette propriété de
l'intermédiation mise en exergue par Diamond et Dybvig (1983.) a
été introduite par Bencivenga et Smith (1991) dans un
modèle de croissance endogène, pour déterminer ses effets
sur la croissance. Dans ce modèle, ce comportement d'épargne des
agents influence le taux de croissance d'équilibre, comportement que les
intermédiaires financiers peuvent justement altérer dans un sens
favorable à l'investissement à travers leur service de
liquidité. Bencivenga et Smith développent un modèle
à générations successives, dans lequel les agents vivent
trois périodes. Ils ont accès à un investissement liquide
non directement productif et à un investissement illiquide mais
productif, dont le rendement dépend de sa date de liquidation. Si
l'investissement productif est liquidé au bout d'une période, le
rendement obtenu est inférieur à celui de l'actif liquide. On
montre ainsi qu'il existe une incitation à l'apparition de banques
fournissant un service de liquidité. Le système bancaire, en
assurant la liquidité, permet aux épargnants par nature hostiles
au risque, de détenir des dépôts bancaires plutôt que
des actifs liquides mais improductifs à long terme. Avec une
externalité dans la production du type considéré par Romer
(1986) ou Boyd et Prescott (1986), un taux de croissance d'équilibre
plus élevé sera observé dans des économies ayant un
secteur intermédiaire actif.
La productivité marginale de l'investissement augmente
avec le développement de la sphère financière car la firme
bancaire, d'une part, sait mieux gérer les risques et, d'autre part,
possède un avantage comparatif en terme de collecte d'information. Les
banques, du fait de l'importance de leur portefeuille, en diversifiant les
risques de leurs prêts, peuvent offrir des prêts risqués,
sans augmenter pour autant le risque des déposants (Bernanke et Gertler,
1986). L'existence d'intermédiaires financiers réduit le risque
économique, mais assure également un rendement plus
élevé des investissements (Greenwood et Jovanovic, 1990), ce qui
conduit à une croissance plus forte. En outre, les notions de
coûts de recherche d'informations et de rendement d'échelle qui
découlent de la centralisation des activités de
prêt-emprunt au sein de la firme bancaire ont été reprises
et enrichies par l'apport de la théorie des jeux par Greenwood et
Jovanovik (1990).
Au total, ces analyses proposent ainsi les différents
canaux financiers par lesquels la croissance devient endogène. Elles
arrivent à mieux expliquer les fortes disparités de croissance
des pays qui, au départ, disposaient des revenus par tête
semblables et suggèrent donc un nouveau rôle pour la politique
économique (Grossman et Helpman, 1991 ; Romer, 1986, 1989).
I-1-2- Une analyse
empirique de la relation Développement financier -
Croissance
économique
Les études empiriques
révèlent que les pays qui connaissent les taux d'épargne
et d'investissement les plus élevés ont parallèlement les
secteurs financiers les plus développés. L'expérience de
nombreux pays en développement, notamment des pays d'Asie du Sud-est,
suggère qu'un secteur financier développé favorise
l'efficacité de l'allocation des ressources réelles. Inversement,
dans beaucoup de pays à faible croissance, on constate que
l'intermédiation financière est faible.
L'un des pionniers dans l'étude des rapports entre la
croissance économique et les différents indicateurs du
fonctionnement du système financier est Goldsmith
(1969). Il étudie le rapport entre développement financier et
croissance économique, en utilisant la valeur des actifs des
intermédiaires financiers par rapport au PIB avec une base de
données disponibles de 35 pays. Toutefois, selon Levine (1992),
l'analyse de Goldsmith contient plusieurs faiblesses :
1- Il ne tient pas compte de l'ensemble des facteurs qui
influencent la croissance économique;
2- Il n'examine pas si le développement financier est
associé à l'augmentation de la productivité et
l'accumulation du capital;
3- la taille des intermédiaires financiers retenue peut
ne pas mesurer correctement le fonctionnement du système financier;
4- l'importante corrélation entre la taille du
système financier et de la croissance économique n'identifie pas
la direction de causalité.
Voulant remédier à ces faiblesses King et
Levine (1993a, 1993b, 1993c) étudient 80 pays sur une période
allant de 1960 à 1989, et examine systématiquement l'ensemble des
facteurs financiers susceptibles d'affecter la croissance à long terme.
Les principaux résultats qui ressortent de l'ensemble de ces
études montrent que les meilleurs indicateurs pour mesurer le
« niveau de développement financier » sont :
1- le ratio de liquidité, qui mesure la dimension des
intermédiaires financiers à travers le volume des engagements
liquides (monnaie, dépôts à vue et dépôts
à terme des intermédiaires financiers bancaires et non bancaires
du système financier) divisé par le PIB ;
2- le ratio du crédit bancaire domestique, y compris
celui de la Banque centrale (l'idée sous jacent étant que les
banques sont plus à même de remplir les fonctions bancaires que
l'Institut d'émission) ;
3- la part du crédit bancaire allouée aux
entreprises privées par rapport à l'ensemble du crédit
domestique (à l'exclusion des crédits aux banques) ;
4- la part du crédit accordé aux entreprises
privées par rapport au PIB. Les deux dernières mesures concernent
donc l'allocation du crédit. Les systèmes financiers qui allouent
davantage de crédits aux entreprises privées sont sensés
être plus impliqués dans le développement. Les auteurs
trouvent une corrélation robuste entre le degré de
développement financier et la croissance, l'investissement et
l'efficience du capital.
Le développement des marchés financiers
favorise également le développement financier. Atje et Jovanovic
(1993), à partir d'une étude portant sur un échantillon de
75 pays, concluent à l'influence positive des marchés financiers
sur la croissance. En revanche, il ressort que le développement du
marché des titres ne contribue fortement à la croissance que si
l'on contrôle la variance des cours boursiers (Laroche et al, 1995). De
nombreuses autres études empiriques (Polak, 1989 ; Patrick,
1996 ; Demirguç-Kunt et Levine, 1960) confirment ce lien entre
développement financier et croissance.
Notons qu'il existe cependant des faiblesses dans les analyses
de la relation entre développement financier et croissance
économique. Dans la plupart des études empiriques, la relation de
causalité n'est pas clairement mise en évidence. La
disponibilité accrue de ressources financières stimule la
croissance et la demande générée par celle-ci, en
augmentant les revenus et l'épargne favorise en retour le
développement du système financier.
Contrairement aux analyses basées sur la croissance
endogène qui suggèrent une influence causale du
développement financier sur la croissance, les analyses traditionnelles
insistent plutôt sur le rôle passif du système financier,
qui s'adapte aux besoins du financement du secteur réel de
l'économie et accommode le développement autonome de celui-ci. Ce
développement financier «induit par la demande» conduit
à un élargissement continu des marchés et une grande
différenciation des produits. Il exige une diversification
croissante des produits qui nécessite une répartition plus
efficace des risques et une meilleure maîtrise des coûts des
transactions. Ainsi ce type de développement financier joue le
rôle permissif dans le processus de croissance.
En revanche, le développement
financier « entraînant l'offre »
précède la demande pour les services financiers et peut exercer
un impact autonome sur la croissance ; son rôle est notamment de
mobiliser les ressources bloquées dans le secteur traditionnel, de les
transférer au secteur moderne qui peut promouvoir la croissance et
d'assurer leur affectation aux projets les plus performants. selon Patrick Hugh
(1966), le développement financier « entraînant
l'offre » est prédominant pendant les phases initiales du
développement économique, puisqu'il permet notamment de financer
efficacement des investissements qui incorporent des innovations
technologiques. Lorsque le processus de développement économique
arrive à maturité le développement financier
« induit par la demande » devient dominant. Cependant,
cette « causalité séquentielle » n'est
vérifiée que lorsqu'on utilise un indicateur de
monétisation au sens étroit (M1) et non lorsque le ratio d'actifs
liquides au sens large (M2/PIB) est utilisé comme indicateur de
développement financier (Jung, 1968).
Par ailleurs, comme le suggère Levine (1992), cette
« causalité séquentielle » suppose que la
croissance réelle permette au système financier d'accomplir sa
propre évolution autonome, dans la mesure où l'augmentation de
revenu réel offre les moyens de mise en place de relation
d'intermédiation financière coûteuse et de plus en plus
sophistiquée. Ainsi, ce n'est qu'après avoir franchi certains
seuils de revenus par habitant que l'économie choisira de
développer les différents types de systèmes
d'intermédiation et qu'elle pourra bénéficier de leur
effet positif sur la croissance. La contribution du développement du
système financier à la croissance s'exerce donc à travers
des discontinuités et des effets de seuil (Berthélemy et
Varoudakis, 1998).
Il est net que les études empiriques ne
résolvent pas complètement la question de la causalité. Le
développement financier peut prédire la croissance parce que les
systèmes financiers se développent tout simplement suite à
une anticipation de la croissance économique future. En outre, les
systèmes politiques, les traditions légales (Laporta et al,
1996), ou le cadre institutionnel (Engermant et Sokoloff, 1996 ; North,
1981) peuvent jouer un rôle important. En effet, les
télécommunications, l'informatique, et les politiques
sectorielles, influencent la qualité et la structure des institutions du
système financier (Merton, 1992). Il est extrêmement difficile
d'isoler l'importance de ces éléments et de tout autre facteur
dans le processus de croissance économique. Par conséquent, toute
déclaration au sujet de la causalité est pour une grande part non
conclusive et qui plus est, spécifiquement liée à des
périodes et à des pays particuliers.
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