Le traitement médiatique de l'anorexie mentale, entre presse d'information générale et presse magazine de santé( Télécharger le fichier original )par Audrey Arnoult - Institut d'Etudes Politiques de Lyon 2006 |
c) Des anti-sujets implicites qui finissent par disparaîtreCes pratiques qui au début passent inaperçues deviennent de plus en plus suspectes et des oppositions commencent à naître : c'est la phase du maintien de l'engagement malgré les alertes et la surveillance. L'actant sujet doit alors opérer un travail de discrétion puis de leurre pour tromper les anti-sujets. Il est intéressant de noter que Santé Magazine aborde les stratégies de dissimulation et de manipulation sans évoquer les anti-sujets qui sont donc implicites. Les anorexiques ont des « astuces extraordinaires »585(*), elles « brouillent les pistes », et « toute leur organisation consiste à masquer leur perte de poids »586(*). Consciente que son comportement peut susciter des désapprobations, l'anorexique doit se montrer plus discrète. Nous pouvons remarquer que le magazine qualifie leurs astuces d' « extraordinaires », un terme qui révèle la fascination devant l'ingéniosité des anorexiques. Quand les dissimulations ne sont plus suffisantes, les anorexiques évitent de se trouver « confronté[es] à la nourriture » et « écartent habilement les situations quotidiennes de leur trajectoire » en d'autres termes, elles essaient d'échapper au réseau de surveillance qui s'est constitué. Le magazine énumère les différents prétextes qu'invoque l'actant sujet pour échapper aux scènes de la vie sociale où son comportement pourrait être étiqueté. Ces pratiques les conduisent progressivement à « se couper de toute vie sociale » et à mentir à leur entourage. Cependant, certaines anorexiques maintiennent un « semblant de vie sociale » qui se caractérise par « des relations superficielles avec l'entourage »587(*). Le magazine conclut en disant qu' « il est difficile pour l'entourage d'identifier les signes d'une anorexie [...] tant qu'elle n'est pas visible physiquement ». Les parents occupent une place moindre que dans les discours de La Croix mais sont tout de même évoqués. Ainsi, deux parents témoignent que « `vivre avec une anorexique c'est l'enfer !' »588(*), ils ne savent plus « comment s'y prendre ». Ce sont les seules indications que nous ayons trouvées et qui nous révèlent que contrairement à La Croix, Santé Magazine s'attache moins à l'impact de la maladie sur la famille mais nous livre une description de la performance de l'actant sujet beaucoup plus précise. Enfin, Santé Magazine insiste sur la nécessité d'expliquer aux parents que « le refus de manger de leur fille est une sorte de `règlement de comptes inconscient' mais qu'elle ne le fait pas exprès » et il ajoute qu'« il ne faut ni lui en vouloir ni se culpabiliser »589(*). Il sous-entend ainsi que qu'il ne faut pas s'opposer au comportement d'une anorexique, ni la réprimer ; les parents ne remplissent plus le rôle d'anti-sujet. Cette disparition de l'anti-sujet est tout à fait compréhensible par rapport à la position du magazine. L'anorexie est une maladie grave, son propos n'est donc pas de stigmatiser la performance de l'anorexique mais d'essayer de prévenir la maladie. D'ailleurs, nous avons remarqué que contrairement à Le Monde qui explique que l'anorexique lutte contre sa famille et les médecins, les discours de Santé Magazine font figure de rupture en écrivant « comment lutter avec l'adolescent qui est sur le mauvais chemin ? ». A cette question, il ajoute que « l'anorexique n'est pas un opposant mais dans le refus d'une maladie puisqu'il ne la voit pas »590(*). L'anti-sujet n'a donc plus lieu d'exister si l'actant-sujet ne s'oppose à personne. * 585 Santé Magazine, n°244, avril 1996, p. 70-71. * 586 Santé Magazine, n°311, novembre 2001, p. 100-105. * 587 Santé Magazine, n°311, novembre 2001, p. 100-105. * 588 Santé Magazine, n°263, novembre 1997, p. 64-65. * 589 Santé Magazine, n°263, novembre 1997, p. 64-65. * 590 Santé Magazine, n°311, novembre 2001, p. 100-105. |
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