Le traitement médiatique de l'anorexie mentale, entre presse d'information générale et presse magazine de santé( Télécharger le fichier original )par Audrey Arnoult - Institut d'Etudes Politiques de Lyon 2006 |
L'influence du contexte socioculturel sur l'apparition de l'anorexie est très controversée. K. Tinat explique que cette hypothèse divise les auteurs en deux camps375(*) : pour certains le contexte socioculturel n'est qu'un facteur parmi d'autres, il a un rôle contextuel (M. Darmon, J. Maître, G. Raimbault et C. Eliacheff), tandis que pour d'autres, il est le facteur dominant (A. Guillemot et M. Laxenaire). La notion de contexte socioculturel est assez vague mais elle est généralement utilisée pour désigner le culte de la minceur et de la performance que diffusent notre société et plus particulièrement les médias. Depuis le début du XXème siècle, le corps s'affine comme le révèle la morphologie des mannequins lors des défilés de mode376(*), les photos de femmes sur les unes des magazines, la diététique prend de l'ampleur et les pratiques sportives telles que le fitness se développent. Les transformations sociales et culturelles contribuent à imposer des normes que beaucoup considèrent comme une « dictature ». Il est indéniable que le nombre de jeunes filles anorexiques a fortement augmenté ces dernières années et ce dans un contexte qui valorise de plus en plus la minceur, la question de la corrélation entre ces deux variables ne peut donc pas être occultée.Observons les arguments respectifs de ces deux camps : G. Raimbault et C. Eliacheff remettent en cause l'hypothèse de l'idéal de minceur comme facteur déclencheur de l'anorexie : « Notre opinion concernant l'influence de la mode sur l'anorexie mentale est tout autre. Nous reconnaissons - pourrions-nous faire autrement ? - l'idéalisation de la minceur et, plus encore, la musculation du corps féminin. Souvent le début des restrictions alimentaires coïncide avec le souhait conscient de perdre quelques kilos, souhait reconnu comme culturellement légitime, et une hyperactivité sportive, elle aussi valorisée. Or, la description de Lasègue, dont la validité est insistante, date d'une époque où l'idéal culturel de la silhouette féminine n'était pas du tout la maigreur [...]. Le facteur déclencheur que serait le souhait d'être plus mince passe très rapidement au second plan d'une symptomatologie beaucoup plus complexe, et la crainte de la reprise de poids n'est pas ` culturelle' »377(*). En effet, comme nous l'avons expliqué dans la première partie de ce travail, l'anorexie a existé bien avant que la minceur ne soit valorisée par la société. Il serait donc logique de conclure à l'absence de corrélation entre contexte socioculturel, et plus précisément la valorisation de la minceur, et l'anorexie mentale. Jacques Maître réfute lui aussi l'influence du contexte socioculturel et « insiste sur le fait de ne pas définir le syndrome à partir de la détermination qu'affirme la patiente de se modeler sur un idéal de minceur »378(*). Cet auteur appelle à chercher une signification plus profonde, un sens au delà du social. A l'inverse, A. Guillemot et M. Laxenaire pensent qu'il faut accorder « une importance indéniable aux facteurs inhérents au contexte socioculturel » car dans la société actuelle, la minceur connote une certaine ambition sociale, alors que la rondeur est associée au manque d'intelligence et à l'incompétence professionnelle379(*). Nous serions passés du mépris du corps imposé par la religion au culte du corps comme le montrent l'importance prise par le sport et le « fétichisme de la diététique »380(*). La conclusion de ces auteurs est quelque peu contradictoire puisqu'elles affirment qu'il existe une objection à considérer le contexte socioculturel comme facteur déclencheur de l'anorexie mais que ledit contexte reste un facteur prédominant : « Enfin, l'objection principale qu'on puisse faire à l'importance du contexte socioculturel dans la genèse des troubles du comportement alimentaire est sans doute l'existence de cas anciens. L'anorexie, et peut être la boulimie, ont existé dans les siècles ayant précédé le nôtre, à une époque où les caractéristiques socioculturelles étaient bien différentes », cependant, elles évoquent « l'influence indéniable du contexte socioculturel » et concluent qu' « anorexie et boulimie s'apparentent aux syndromes liés à la culture tels qu'ils ont été définis par Ritenbaugh »381(*). Carolyn Bynum est elle aussi partisane de l'hypothèse d'une influence socioculturelle dans le déclenchement de l'anorexie. « Qu'elle prenne son origine dans la physiologie ou dans le passé familial de l'individu [l'anorexie] est précisément sous la forme très particulière qu'elle revêt, un comportement acquis et acquis au contact d'une civilisation qui a des traditions complexes et très anciennes en ce qui concerne les femmes, le corps et la nourriture. Quels que soient ses supports biologiques ou psychologiques, l'anorexie du XXème siècle s'inscrit dans le contexte d'une culture donnée »382(*). Sans vouloir être exhaustive, il est important de consacrer quelques lignes à la thèse défendue par les féministes anglo-saxonnes telles que Kim Chernin et Susie Orbach. Si leurs idées ont eu peu d'écho en France, elles ont retenu l'attention dans les pays anglo-saxons. Ces auteurs, l'une américaine, l'autre anglaise, mettent en relation l'évolution du rôle de la femme dans la société avec l'augmentation des troubles du comportement alimentaire. Grâce au mouvement de « libération » de la femme, celle-ci a pu progressivement accéder à de nouveaux postes et son rôle dans la société a évolué. La femme aurait acquis un certain pouvoir que l'homme cherche à limiter. Ainsi, l'anorexie résulterait d'une tension entre l'affirmation de l'autonomie et de l'égalité de la femme, et sa situation réelle, une position d'infériorité et d'inégalité par rapport à l'homme. En restreignant leur alimentation, les femmes rejetteraient l'image que les hommes veulent leur imposer383(*). Cette thèse présente plusieurs limites : d'une part elle n'est pas partagée par toutes les féministes ; d'autre part, elles reposent sur l'idée fondamentale de l'oppression de la femme par l'homme, ce qui est un peu exagéré ; enfin, elle fait abstraction de la psychologie individuelle et ne permet pas d'expliquer l'anorexie masculine. Il est impossible de conclure sur cette question d'une origine socioculturelle de l'anorexie mentale et P. Alvin estime qu'« aucune théorie ne peut prétendre tout expliquer à elle seule. Tout au plus peut-on dire que les troubles du comportement alimentaire sont polyfactoriels ». Il est relativement difficile de distinguer ce qui relève des facteurs prédisposants, de ce qui doit être considéré comme les éléments déclencheurs ou les facteurs d'entretien. La seule certitude étant que « des facteurs psychologiques, familiaux, sociaux et biologiques participent au déclenchement, au maintien et à l'aggravation des troubles du comportement alimentaire »384(*). Nous allons maintenant voir comment les discours de presse se positionnent par rapport à la question de l'origine de l'anorexie. * 375 TINAT, [2004]. * 376 Des études ont montré que depuis une cinquantaine d'années les mensurations des mannequins diminuent. * 377 RAIMBAULT et ELIACHEFF, [1989], p. 57. * 378 DARMON, [2003], p. 72. * 379 GUILLEMOT et LAXENAIRE, [1997], p. 52. * 380 Idem, p. 2. * 381 Idem, p. 103. * 382 BYNUM cité par TONNAC, [2005], p. 105. * 383 GUILLEMOT et LAXENAIRE, [1997], p. 73. * 384 CHABROL, [1991], p. 76. |
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