Le traitement médiatique de l'anorexie mentale, entre presse d'information générale et presse magazine de santé( Télécharger le fichier original )par Audrey Arnoult - Institut d'Etudes Politiques de Lyon 2006 |
B. Les pères « fondateurs » de l'anorexieDeux médecins sont généralement considérés comme les pères « fondateurs » de l'anorexie car ce sont les premiers à avoir écrit une description clinique très minutieuse de la maladie. Ils évoquent ses origines éventuelles, ses symptômes et tentent de trouver un traitement. Avant d'aborder plus en détail ces deux descriptions, il est important de préciser que cette pathologie a été mentionnée pour la première fois en 1859 par Louis Victor Marce, un docteur français surnommé par Silverman « l'oublié de l'anorexie »84(*). En effet, le 31 octobre 1859, ce médecin lit une communication intitulée Note sur une forme de délire hypocondriaque consécutive aux dyspepsies et caractérisée principalement par le refus d'aliments, devant la Société Médico-psychologique. Il y décrit l'anorexie en se basant sur ses propres observations. La même année, aux Etats-Unis, William Stout Chipley, un médecin chef de l'asile de Kentucky, écrit un article sur la sitomania, définie comme une crainte intense de manger et qui serait un symptôme secondaire des maladies mentales. Ces deux publications sont considérées par Henry Edouard Janas comme la « préhistoire de l'anorexie mentale » et « vont inaugurer l'ère pendant laquelle ce nouveau phénomène médical recevra une labellisation diagnostique formelle »85(*). Ainsi, il date la naissance de l'anorexie en 1859, année où ce phénomène nouveau commence à interpeller le champ médical. Cependant, nous nous intéresserons uniquement aux descriptions de C. Lasègue et W. Gull qui sont considérés comme les pères fondateurs de l'anorexie et qui vont ouvrir la voie à deux courants thérapeutiques distincts. 1. Charles Lasègue : fondateur d'une conception psychique de l'anorexiea) Quelques éléments biographiquesAvant d'aborder la description que fait C. Lasègue de l'anorexie, il est intéressant d'évoquer quelques éléments biographiques qui éclairent son approche de la maladie. La carrière de C. Lasègue est « représentative de la grande tradition psychiatrique française du XIXème siècle »86(*). Cette carrière peut être divisée en trois moments : la première période se caractérise par son intérêt pour la psychologie : il écrit les Annales médico-psychologiques ainsi que des articles sur la thérapeutique mentale. La deuxième partie de sa carrière est plutôt tournée vers la psychiatrie. Il occupe successivement les postes d'inspecteur général adjoint des Maisons d'Aliénés, de médecin du dépôt spécial de la préfecture de police et d'expert médico-légal. Ce dernier poste est relativement important car la mission de C. Lasègue consistait à « déterminer le début des désordres mentaux et la fin de la responsabilité »87(*). Il apprend ainsi à observer les patients de façon très précise, précision qui se retrouve dans sa description de l'anorexie. Il faut noter qu'à cette époque, la fonction d'un psychiatre différait de celle que nous lui connaissons aujourd'hui. Au XIXème siècle, le psychiatre n'a pas pour fonction de soigner mais de « fournir un certificat légitimant la mesure d'internement »88(*) et de ce fait « d'observer les aliénés, de décrire et de classer leurs symptômes afin de les regrouper et de constituer une entité nosologique »89(*). La troisième période de sa carrière s'ouvre avec sa nomination comme professeur de pathologie générale en 1867. En 1869, il est nommé à la chaire de clinique médicale à la Pitié qu'il occupe jusqu'à sa mort en 1883. Pour couronner sa carrière, il est élu à l'Académie de Médecine en 1876. Ses expériences dans le domaine psychologique, psychiatrique et somatique permettent de comprendre la richesse de sa description de l'anorexie qu'il écrit en 1873. En outre, pendant trente ans, il occupe le poste de rédacteur en chef de la prestigieuse revue Archives générales de Médecine dans laquelle il publie la plus grande partie de ses travaux. Une « tribune » qui lui permet de « servir ses idées et [de] modeler l'opinion »90(*). * 84 JANAS, [1994], p. 47. * 85 Idem, p. 52. * 86 RAIMBAULT, et ELIACHEFF, [1989], p. 14. * 87 Idem, p. 15. * 88 Idem, p. 17. * 89 Idem, p. 17. * 90 BONDUELLE, GELFAND, GOETZ, [1996], p. 153. |
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