Le traitement médiatique de l'anorexie mentale, entre presse d'information générale et presse magazine de santé( Télécharger le fichier original )par Audrey Arnoult - Institut d'Etudes Politiques de Lyon 2006 |
PREMIERE PARTIE : HISTOIRE DE L'ANOREXIEEtymologiquement, le terme anorexie signifie perte d'appétit, du grec an (privatif) et orexis (appétit). En réalité, il est aujourd'hui utilisé pour désigner le comportement des personnes (des adolescentes le plus souvent) qui restreignent leur alimentation délibérément, (tout du moins au début), afin de perdre du poids. L'anorexie est souvent pensée comme une maladie récente alors que ce type de comportement existait déjà il y a plusieurs siècles comme en témoigne la littérature théologique. L'objectif de cette première partie est de retracer l'histoire de la maladie à travers l'évolution des comportements anorexiques, des symptômes et du regard de la société sur ces pratiques. Cette rétrospective nous permettra de voir comment s'est construite la représentation sociale de l'anorexie et comment elle affecte les représentations d'aujourd'hui. Cet historique sera divisé en deux périodes : une première période qui s'étend du Moyen Âge à la fin du XVIIIème siècle au cours de laquelle l'anorexie est essentiellement une anorexie sainte à laquelle la médecine s'intéresse peu puis une seconde période, le XIXème siècle, qui correspond au moment de l'individuation de la maladie, de la reconnaissance de l'anorexie comme entité clinique. Cette « division » de l'histoire de l'anorexie correspond au passage de la maladie du champ religieux au champ médical, un basculement qui a permis de concevoir l'anorexie comme une pathologie. I. Du Moyen Âge au XVIIIème siècle : des pratiques « anorexiques » fortement liées à la religionParler d'anorexie au Moyen Âge est quelque peu difficile car l'anorexie est une entité clinique qui a été définie au XIXème siècle. Cependant, des auteurs comme R. Bell ou encore C. Bynum soutiennent la thèse que les comportements ascétiques des femmes mystiques au Moyen Âge correspondaient à ce que l'on nomme aujourd'hui anorexie. C'est pourquoi, outre les divergences qui subsistent sur cette question, il nous semble important d'aborder quelques cas, connus ou non, de femmes ascétiques, pour comprendre les « origines » de l'anorexie. Nous présenterons rapidement le contexte médical et artistique de cette période avant de nous intéresser aux comportements « anorexiques »6(*). A. Une société sous l'emprise de la religionIl est important de retracer les évolutions qui ont marqué cette époque et plus particulièrement sur les plans médical et artistique. En effet, les pratiques médicales comme les oeuvres d'art, sont intimement liées à l'état des connaissances, des croyances à une époque donnée. L' « anorexie » est une maladie féminine qui se situe à la croisée de la médecine et d'une certaine représentation du corps ; c'est pourquoi, s'attacher aux représentations du corps féminin et aux pratiques médicales qui existaient entre le Moyen Âge et le XVIIIème siècle, nous permettra de comprendre comment ont été identifiés et perçus les comportements « anorexiques ». 1. Des pratiques médicales peu évoluéesa) L'inexistence de la médecine comme science pendant la période médiévaleLe Moyen Âge désigne la période qui s'étend de la chute de l'empire romain en 476 à celle de Constantinople en 1453. Durant cette période, la « médecine » est très peu développée car tout état ou toute situation anormale a tendance à être interprété comme une manifestation divine. L'obscurantisme domine dans toute l'Europe occidentale. La médecine en tant que discipline scientifique telle que nous la connaissons aujourd'hui n'existait quasiment pas. Selon Claude Chastel, « elle se réfugia dans les monastères où l'on traitait [...] dans le plus grand empirisme »7(*). Cette citation met bien en valeur les deux caractéristiques de la « médecine » médiévale : l'empirisme et le lien étroit avec la religion. Ce n'est qu'à partir du XIVème que le monde occidental se réveille intellectuellement, pour reprendre l'image de C. Chastel, en redécouvrant les écrits grecs et arabes. Cette période est appelée la période scolastique et se caractérise par le développement des premières universités et écoles de médecine. Toutefois, l'enseignement y est encore limité et largement contrôlé par l'Eglise. La faculté de médecine de Paris est fondée en 1215 mais reste soumise aux autorités ecclésiastiques8(*) et se déclare hostile aux innovations. Les traitements thérapeutiques sont essentiellement à base de plantes et la saignée est le remède privilégié. Les hôpitaux chargés de soigner les malades dépendent de l'Eglise. Il n'est pas rare non plus de recourir aux saints guérisseurs, ce qui illustre une fois de plus l'emprise de la religion sur les pratiques médicales. La connaissance de l'être humain est limitée car les dissections sont interdites par le clergé ; il faut attendre la Renaissance pour que les pratiques médicales évoluent et acquièrent une dimension plus scientifique. * 6 Nous mettons entre guillemets le terme « anorexique » et « anorexie » puisque le terme n'existait pas encore à cette époque. * 7 CHASTEL, Claude, Une petite histoire de la médecine, Paris, Editions Ellipses, Collection « L'esprit des Sciences », 2004, p. 18. * 8 HALIOUA, Bruno, Histoire de la médecine, Paris, Editions Masson, 2001, p. 78. |
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