ARNOULT Audrey 2005-2006
POCO 4ème année
LE TRAITEMENT MEDIATIQUE DE L'ANOREXIE MENTALE, ENTRE
PRESSE D'INFORMATION GENERALE ET PRESSE MAGAZINE DE SANTE
Mémoire de fin d'études dirigé par
Isabelle Garcin-Marrou et Isabelle Harre
Soutenu le 30 juin 2006
REMERCIEMENTS
Je tiens à remercier Isabelle Garcin-Marrou pour
m'avoir permis de participer à son séminaire et donc
d'écrire ce mémoire. Je la remercie également pour sa
disponibilité et ses précieux conseils.
Je voudrais également remercier Isabelle Harre pour ses
apports théoriques.
Enfin, merci à Caroline, Delphine, Sabine,
Céline et Stéphanie pour leur relecture et leur soutien.
SOMMAIRE
INTRODUCTION 4
PREMIERE PARTIE 10
I. DU MOYEN
ÂGE AU XVIIIÈME SIÈCLE : DES PRATIQUES
« ANOREXIQUES » FORTEMENT LIÉES À LA
RELIGION
10
A. Une société sous l'emprise
de la religion
10
B. La littérature théologique
atteste de comportements « anorexiques »
16
C. Le cas particulier de l'anorexie
sainte
20
II. LE
XIXÈME SIÈCLE : QUAND L'ANOREXIE DEVIENT UNE
ENTITÉ CLINIQUE
27
A. Le contexte artistique et médical
de l'apparition de l'anorexie
27
B. Les pères
« fondateurs » de l'anorexie
31
C. Les tentatives thérapeutiques de
la fin du XIXème siècle : des tentatives pas
toujours fructueuses
39
DEUXIEME PARTIE 51
I. QUI EST
ANOREXIQUE ?
51
A. Une définition médicale de
l'anorexie et les caractéristiques des anorexiques
52
B. L'anorexique, un actant sujet dans les
discours médiatiques
58
II. LES
DIFFÉRENTS FACTEURS DÉCLENCHEURS DE L'ANOREXIE MENTALE
86
A. Les hypothèses médicales
sur l'étiologie de l'anorexie
86
B. Le destinateur de l'actant sujet dans les
discours de presse
94
III. LES PRATIQUES
ANOREXIQUES OU COMMENT L'ANOREXIQUE DEVIENT ANOREXIQUE
117
A. Les pratiques anorexiques : une
élaboration progressive
118
B. La performance de l'anorexique dans les
discours de presse
127
IV. LA PRISE EN
CHARGE THÉRAPEUTIQUE DE L'ANOREXIE : UNE ÉTAPE VERS LA
GUÉRISON
147
A. Les enjeux de la démarche
thérapeutique
148
B. La phase de la sanction dans les discours
de presse
157
CONCLUSION 189
BIBLIOGRAPHIE 190
TABLE DES MATIERES 196
INTRODUCTION
« Rien de plus simple au début. Une envie
de maigrir. Parce que je ne me sentais pas bien dans ma peau. Maman me
laissait, sans un mot, sur la table de l'entrée, le dernier
numéro de son hebdomadaire : il y a toujours un régime
à commencer ! On y voyait de superbes jeunes femmes à qui
jamais je ne pourrai ressembler. Car je suis moche, très moche. Personne
ne me le dit. Si, maman. Elle a eu la semaine dernière ce mot
incroyable : `Tout le monde n'a pas la beauté en partage. Toi, tu
as la détermination ; tu n'es pas belle mais ce n'est pas si
important. Et puis, qu'y faire ?' Mais dans cette société,
tout est dérisoire. Le paraître, il n'y a que ça ! Le
pire c'est cette alimentation que je ne comprends pas. Je ne sais pas ce qui
serait bon pour moi. Maman n'arrête pas de lui dire qu'il faut qu'il se
surveille. Entre son diabète et son cholestérol, il n'a droit
à rien. Qui me disait l'autre jour que je ressemblais à mon
père ? »1(*). Ce témoignage est celui d'Aurélie,
anorexique, qui raconte comment elle a décidé un jour de
restreindre son alimentation. Mal dans sa peau, elle lit des magazines
féminins où les jeunes femmes ont des corps
« parfaits », un article propose un nouveau régime,
pourquoi ne pas essayer ? Nous aurions pu citer une multitude de
témoignages d'adolescentes qui, comme Aurélie, décident de
maigrir et sans s'en rendre compte deviennent anorexiques.
L'anorexie mentale correspond au « refus
plus ou moins systématique de s'alimenter. [Elle] apparaît le plus
souvent lors de l'adolescence, touche majoritairement le sexe féminin
(80% des cas). L'anorexique appelée également anorectique, est
souvent brillante et très active et peut-être parfaitement bien
insérée dans la vie professionnelle. Si parfois elle a faim, elle
nie en souffrir. Obsédée par son poids, elle peut abuser de
laxatifs ou de diurétiques dans l'intention de maigrir et avoir des
périodes de boulimie plus ou moins associées à des
vomissements provoqués »2(*). Même s'il est difficile de mesurer la
fréquence exacte de ce trouble du comportement alimentaire,
c'est-à-dire le nombre de cas nouveaux chaque année, le corps
médical s'accorde pour dire que les adolescentes anorexiques sont de
plus en plus nombreuses. Pour certains, il est indéniable que la
société est en grande partie responsable de l'augmentation de
cette maladie. En valorisant la minceur, la maîtrise de soi, la
performance, elle inciterait les adolescentes à se conformer à
des normes corporelles diffusées notamment par la presse magazine
féminine. T. Vincent souligne qu'aujourd'hui « de nombreux
magazines, en particulier féminins, n'hésitent pas à
produire dans un même numéro un article sur l'augmentation de
l'incidence des troubles des conduites alimentaires et un autre sur le dernier
régime à la mode. Cela sans même vouloir s'apercevoir des
effets médiatiques qui en découlent »3(*). Cette citation reflète
bien l'ambiguïté de la position dans laquelle se trouvent les
médias et plus particulièrement la presse magazine. Depuis, une
dizaine d'années, les discours sur l'anorexie se sont
multipliés : émissions télévisées,
articles de presse, témoignages mais aussi ouvrages médicaux.
Ainsi, la presse véhicule des informations quant à la maladie,
lui conférant une certaine visibilité mais elle est
parallèlement pointée du doigt par les professionnels de
santé. Elle serait l'un des facteurs déclencheurs de la maladie.
Une critique qui s'adresse principalement à la presse magazine
féminine. Devant cet argument, il nous a paru intéressant de voir
ce qu'en disaient les médias et essayer de comprendre les enjeux qui
sous-tendent leurs discours. Ainsi, nous avons envisagé une analyse
diachronique et comparative des discours de la presse magazine de santé
avec les discours de la presse quotidienne d'information générale
portant sur l'anorexie mentale. Notre étude aura donc pour objet les
discours médiatiques autour de cette pathologie afin de voir comment la
presse décrit l'anorexie et l'évolution de cette
représentation. Nous nous attacherons également à
déceler les similitudes et les divergences qui peuvent exister entre les
différents discours. Nous estimons que cette réflexion sur les
discours de la presse magazine et de la presse quotidienne est
nécessaire puisqu'ils véhiculent des représentations qui
influencent la société. La perception que nous avons de cette
maladie est en grande partie structurée par ces discours. Nous nous
intéresserons uniquement à l'anorexie pendant la période
de l'adolescence, c'est-à-dire la forme la plus classique de cette
maladie. En ce sens, nous n'aborderons pas les trois autres formes d'anorexie
que sont l'anorexie du nourrisson, l'anorexie prépubère et
l'anorexie des personnes âgées.
Nous avons choisi de travailler sur la presse magazine de
santé parce qu'elle diffuse des représentations sociales qui ne
sont pas remises en cause. En effet, alors que la presse quotidienne
d'information générale n'a pas un statut d'expert pour aborder
des sujets médicaux, la presse magazine de santé occupe une
position particulière. Au XVIIIème siècle s'est
développée une « `culture'
médicale » qui visait à éclairer le peuple
pour qu'il puisse se soigner et se prémunir de la maladie4(*). La naissance et l'essor des
magazines médicaux d'information s'inscrit dans cette tradition.
Aujourd'hui florissante, la presse magazine de santé compte une
vingtaine de titres contre seulement un ou deux dans les années 70.
Santé Magazine, le titre de presse que nous avons
sélectionné pour notre étude était le premier
mensuel de la presse féminine en 1999 et 42% de son lectorat
était constitué d'employés et de membres des professions
intermédiaires. Le rôle de ce type de magazine est double :
en tant qu'expert dans la sphère médicale, il s'attache à
fournir des informations sérieuses et précises sur tous les
sujets relevant du domaine de la santé et il apprend à ses
lecteurs comment détecter la maladie. Il joue donc à la fois un
rôle d'information et de prévention. A l'inverse, la presse
quotidienne nationale n'a pas un tel statut puisqu'elle remplit principalement
un rôle d'information concernant la situation politique,
économique et sociale de la France. Si certains quotidiens disposent
d'une rubrique Médecine ou Santé, ces discours
ne sont pas normatifs contrairement aux magazines de santé.
Nous n'avons pas inclu l'étude des discours de la
presse magazine féminine dans notre analyse bien que cela aurait pu
être assez révélateur. En effet, nous avons
été confrontés à des contraintes techniques qui ne
nous ont pas permis d'avoir accès à ce type de presse.
Notre travail repose sur les hypothèses suivantes :
La presse magazine de santé valorise un idéal de
minceur et véhicule des normes corporelles, ce qui la place dans une
posture différente de la presse quotidienne. Cette différence
induirait des divergences dans la représentation de l'anorexie notamment
en ce qui concerne le facteur déclencheur de la maladie. Il sera
intéressant de voir si la presse magazine présente le
régime comme facteur déclencheur de la maladie.
L'évolution de la compréhension de l'anorexie a
conduit progressivement à un consensus dans la sphère
médicale : l'anorexie est une maladie grave qui doit être
soignée. A cet égard, la personne anorexique comme n'importe quel
malade n'est pas responsable de son état. Nous pouvons supposer que
l'établissement progressif de ce consensus s'est traduit dans les
discours de presse par un « déplacement » des termes
utilisés pour qualifier la personne anorexique. Celle-ci serait d'abord
présentée comme responsable de sa maladie, puis
désignée comme une « victime » souffrant d'un
mal sur lequel elle n'a aucune prise. La position de victime appelant
éventuellement la désignation d'un responsable.
Parallèlement à l'évolution de la
compréhension de l'anorexie, des rôles spécifiques seraient
attribués aux parents, aux professionnels de santé et à la
sphère politique. En effet, si la personne anorexique est malade, les
médecins ont pour devoir de la soigner, ses parents de l'aider et le la
sphère politique de prévenir cette pathologie. Là aussi,
cette évolution se traduirait dans les discours de presse par
l'apparition de nouvelles figures auxquelles seraient confiées un
rôle ; ou si ces figures sont déjà présentes
par une modification des termes les désignant.
CORPUS ET METHODE D'ANALYSE
Afin d'infirmer ou de confirmer nos hypothèses, nous
choisirons de travailler sur des articles de presse quotidienne et de presse
magazine. Pour la presse quotidienne nationale, nous avons
sélectionné les cinq quotidiens suivants : Le
Monde, Libération, La Croix,
L'Humanité et Le Figaro. De tendance politique
différente, ils nous permettront de disposer d'un matériau
discursif assez vaste afin de faire une analyse précise et de
dégager la vision la plus juste possible des représentations
médiatiques de l'anorexie dans la presse française. En ce qui
concerne la presse magazine, notre corpus sera plus réduit à
cause des contraintes techniques que représente le travail sur ce type
de presse. En effet, la presse magazine est rarement archivée (quand
elle l'est, il n'existe pas d'index thématique, ce qui implique de
feuilleter un par un les magazines). En général, seuls les
numéros de l'année en cours peuvent être consultés
ce qui ne constituait pas une temporalité pertinente pour l'objet de
notre étude. Nous avons donc choisi un seul magazine :
Santé Magazine, représentatif du segment santé de
la presse féminine.
Nous avons sélectionné les articles qui
contenaient le terme « anorexie » dans leur titre
(qui semblent faire de l'anorexie le sujet principal du discours), ceux dans
lesquels le terme « anorexie » était
récurrent et ceux dans lesquels le terme
« anorexie » n'apparaissait qu'une ou deux fois
suggérant au premier abord que l'article ne traite pas directement de la
maladie. En réalité, il s'est avéré que ce type de
discours aborde le sujet mais de façon détournée. Il
témoigne donc d'un traitement médiatique spécifique,
propre à certains quotidiens. Parmi ces articles, certains figurent dans
les rubriques Littérature,
Télévision-radio, nous les avons cependant
également sélectionnés. En effet, un sujet médical
ne relève pas a priori de ces rubriques cependant, en parler à
cet endroit constitue déjà une indication de la
représentation que va véhiculer le quotidien. Nous verrons que
dans certains quotidiens, le sujet de l'anorexie est en grande partie
traité dans ces rubriques ce qui nous a incité à les
retenir. Nous avons exclu tous les articles dans lesquels le terme
« anorexie » apparaissait mais ne faisait pas
référence à l'anorexie en tant que pathologie ainsi que
les articles abordant le thème de la santé ou de l'adolescence
dans lesquels le mot « anorexie » ne figurait
qu'au cours d'une énumération.
Notre corpus se compose d'articles allant du milieu des
années 90 à 2005, là aussi pour des contraintes
techniques. En effet, nous voulions constituer notre corpus à partir du
milieu des années 70 cependant les archives des sites Internet des
quotidiens ne remontent pas si loin. Pour L'Humanité, Le
Figaro et Libération, les articles archivés datent
respectivement de 1990, 1996 et 1995. Les archives du quotidien Le
Monde débutent elles en 1989 et celles de La Croix en
1996. Pour Santé Magazine, les premiers articles sur l'anorexie
sont plus anciens et datent du milieu des années 80. Nous utiliserons
les articles publiés à la fin des années 80 uniquement
à titre indicatif, pour voir quelle représentation de l'anorexie
était véhiculée à cette époque afin de
mettre au jour une éventuelle évolution.
Nous aurons recours à deux méthodes pour
analyser notre corpus. Dans un premier temps, l'analyse du corpus sera une
analyse essentiellement basée sur les champs lexicaux et les termes
utilisés par les journalistes, ce qui nous permettra de comprendre les
représentations que véhiculent les différents
quotidiens/magazine. Ponctuellement, d'autres outils de l'analyse du discours
seront utilisés s'ils se révèlent pertinents par rapport
à notre étude et permettent de mettre en relief une
spécificité du traitement médiatique. Nous nous
intéresserons donc principalement au contenu des articles pour cerner de
façon la plus précise possible les représentations
médiatiques. Cependant, nous étudierons également la
fréquence des articles et le rubricage adopté par les journaux
afin de mettre au jour une éventuelle évolution du cadrage de
notre sujet.
Nous utiliserons également la grille du schéma
narratif construite par A. J. Greimas. Cette méthode permet de mettre en
lumière la structure d'un récit, les relations entre les
personnes et de comprendre le rôle de chacun. Nous pouvons identifier des
schémas narratifs dans tous les discours de presse même s'ils ne
sont pas toujours complets. A ce titre, il sera intéressant de voir dans
quels journaux le schéma narratif est complet et dans le cas inverse,
quelles sont les phases privilégiées.
A. J. Greimas distingue les actants « relevant
d'une syntaxe narrative » des acteurs
« reconnaissables dans les discours particuliers où ils se
trouvent manifestés »5(*). Utiliser ce mode d'analyse dans notre travail nous
semble justifié puisqu'il nous permettra de cerner les différents
rôles qu'attribuent les journaux aux différents acteurs de la
maladie qui sont l'anorexique, les parents, les médecins et la
sphère politique. Nous verrons par exemple qu'un acteur comme les
parents présents dans certains récits médiatiques n'a pas
toujours le même rôle : tantôt ils sont
présentés comme anti-sujet, tantôt comme adjuvant. Ce
constat est aussi valable pour l'anorexique et le corps médical. Dans
notre travail, l'anorexique sera l'actant sujet, son programme narratif
étant de maigrir. Au cours de la quête de son objet, elle se
trouve confrontée à des anti-sujets (les parents et le corps
médical) qui tentent de l'empêcher de poursuivre son programme
narratif. Nous verrons au fil de notre analyse que les discours
médiatiques proposent une répartition des rôles plus
nuancée et qui évolue.
L'analyse en terme de schéma narratif vise à
distinguer quatre phases dans les récits qui sont la manipulation, la
compétence, la performance et la sanction. Notre analyse s'appuiera sur
ces différentes étapes, nous aurons donc recours au concept de
performance, nous nous intéresserons également à la figure
du destinateur et à la phase de sanction.
Cette méthode d'analyse nous semble donc
nécessaire à la vérification de certaines de nos
hypothèses puisqu'elle nous permettra de mettre en évidence
l'évolution des rôles conférés aux différents
acteurs impliqués dans l'anorexie.
Dans une première partie, nous nous
intéresserons à l'histoire de
l' « anorexie » du Moyen Âge au
XIXème siècle puisque c'est au cours de cette
période que sont apparus les premiers cas
d' « anorexie » ; le XIXème
étant lui considéré comme le siècle de la naissance
de l'anorexie en tant qu'entité clinique. Cette étape est
essentielle pour comprendre comment cette maladie est progressivement devenue
une pathologie donnant lieu à divers traitements thérapeutiques,
et comment se sont ensuite construites les représentations
médiatiques. Dans une deuxième partie, nous procèderons
à une analyse de contenu des discours sélectionnés dans
notre corpus pour mettre au jour les représentations de l'anorexie
qu'ils véhiculent. Ainsi, nous pourrons mettre en valeur les divergences
et les similitudes entre les discours des quotidiens et de Santé
Magazine mais également mesurer l'écart entre les discours
de presse et les discours médicaux.
Nous tenons à faire une précision
terminologique : nous parlerons des anorexiques au féminin comme
dans la plupart des ouvrages scientifiques puisqu'il est admis que cette
pathologie touche principalement les jeunes filles. D'autre part, pour la
clarté de l'analyse, nous utiliserons le terme « les
anorexiques » pour désigner les jeunes filles atteintes de
cette maladie même si comme nous le montrerons, il n'y a pas un profil
type d'anorexique contrairement à ce qui est parfois écrit, et
que les comportements divergent même si des points communs entre ces
malades existent.
PREMIERE PARTIE : HISTOIRE DE L'ANOREXIE
Etymologiquement, le terme anorexie signifie perte
d'appétit, du grec an (privatif) et orexis
(appétit). En réalité, il est aujourd'hui utilisé
pour désigner le comportement des personnes (des adolescentes le plus
souvent) qui restreignent leur alimentation délibérément,
(tout du moins au début), afin de perdre du poids. L'anorexie est
souvent pensée comme une maladie récente alors que ce type de
comportement existait déjà il y a plusieurs siècles comme
en témoigne la littérature théologique.
L'objectif de cette première partie est de retracer
l'histoire de la maladie à travers l'évolution des comportements
anorexiques, des symptômes et du regard de la société sur
ces pratiques. Cette rétrospective nous permettra de voir comment s'est
construite la représentation sociale de l'anorexie et comment elle
affecte les représentations d'aujourd'hui. Cet historique sera
divisé en deux périodes : une première période
qui s'étend du Moyen Âge à la fin du
XVIIIème siècle au cours de laquelle l'anorexie est
essentiellement une anorexie sainte à laquelle la médecine
s'intéresse peu puis une seconde période, le
XIXème siècle, qui correspond au moment de
l'individuation de la maladie, de la reconnaissance de l'anorexie comme
entité clinique. Cette « division » de l'histoire de
l'anorexie correspond au passage de la maladie du champ religieux au champ
médical, un basculement qui a permis de concevoir l'anorexie comme une
pathologie.
I. Du Moyen Âge au XVIIIème
siècle : des pratiques « anorexiques » fortement
liées à la religion
Parler d'anorexie au Moyen Âge est quelque peu difficile
car l'anorexie est une entité clinique qui a été
définie au XIXème siècle. Cependant, des
auteurs comme R. Bell ou encore C. Bynum soutiennent la thèse que les
comportements ascétiques des femmes mystiques au Moyen Âge
correspondaient à ce que l'on nomme aujourd'hui anorexie. C'est
pourquoi, outre les divergences qui subsistent sur cette question, il nous
semble important d'aborder quelques cas, connus ou non, de femmes
ascétiques, pour comprendre les « origines » de
l'anorexie. Nous présenterons rapidement le contexte médical et
artistique de cette période avant de nous intéresser aux
comportements « anorexiques »6(*).
A. Une société sous l'emprise
de la religion
Il est important de retracer les évolutions qui ont
marqué cette époque et plus particulièrement sur les plans
médical et artistique. En effet, les pratiques médicales comme
les oeuvres d'art, sont intimement liées à l'état des
connaissances, des croyances à une époque donnée.
L' « anorexie » est une maladie féminine qui se
situe à la croisée de la médecine et d'une certaine
représentation du corps ; c'est pourquoi, s'attacher aux
représentations du corps féminin et aux pratiques
médicales qui existaient entre le Moyen Âge et le
XVIIIème siècle, nous permettra de comprendre comment
ont été identifiés et perçus les comportements
« anorexiques ».
1. Des pratiques médicales peu
évoluées
a)
L'inexistence de la médecine comme science pendant la période
médiévale
Le Moyen Âge désigne la période qui
s'étend de la chute de l'empire romain en 476 à celle de
Constantinople en 1453. Durant cette période, la
« médecine » est très peu
développée car tout état ou toute situation anormale a
tendance à être interprété comme une manifestation
divine. L'obscurantisme domine dans toute l'Europe occidentale. La
médecine en tant que discipline scientifique telle que nous la
connaissons aujourd'hui n'existait quasiment pas. Selon Claude Chastel,
« elle se réfugia dans les monastères où
l'on traitait [...] dans le plus grand empirisme »7(*). Cette citation met bien en
valeur les deux caractéristiques de la
« médecine » médiévale :
l'empirisme et le lien étroit avec la religion. Ce n'est qu'à
partir du XIVème que le monde occidental se réveille
intellectuellement, pour reprendre l'image de C. Chastel, en
redécouvrant les écrits grecs et arabes. Cette période est
appelée la période scolastique et se caractérise par le
développement des premières universités et écoles
de médecine. Toutefois, l'enseignement y est encore limité et
largement contrôlé par l'Eglise. La faculté de
médecine de Paris est fondée en 1215 mais reste soumise aux
autorités ecclésiastiques8(*) et se déclare hostile aux innovations. Les
traitements thérapeutiques sont essentiellement à base de plantes
et la saignée est le remède privilégié. Les
hôpitaux chargés de soigner les malades dépendent de
l'Eglise. Il n'est pas rare non plus de recourir aux saints guérisseurs,
ce qui illustre une fois de plus l'emprise de la religion sur les pratiques
médicales. La connaissance de l'être humain est limitée car
les dissections sont interdites par le clergé ; il faut attendre la
Renaissance pour que les pratiques médicales évoluent et
acquièrent une dimension plus scientifique.
b)
Quelques progrès à partir de la Renaissance
A partir du XVIème siècle, se
développe un mouvement intellectuel appelé l'humanisme, mouvement
qui place l'homme au centre de ses réflexions. A l'obscurantisme du
Moyen Âge, les humanistes opposent la connaissance et
l'épanouissement de l'homme. Ce renouveau intellectuel entraîne
d'importants progrès dans différents domaines notamment en
« médecine ». Les premières avancées
ont trait à l'anatomie : les médecins découvrent la
structure interne du corps, ce qui est un progrès considérable
pour comprendre son fonctionnement. Le poids de la religion est encore
considérable et seuls quelques savants osent défier la tradition
et contester les données classiques tels que Ambroise Paré
(1509-1590), un grand chirurgien. Une grande partie du travail accompli par ces
« dissidents » reste lettre morte et n'est
redécouverte que deux siècles plus tard.
Le XVIIème et le XVIIIème
siècles marquent le début d'un raisonnement médical
affranchi de la tradition. La physiologie est une nouvelle discipline qui
naît grâce à la découverte de la circulation sanguine
par William Harvey (1578-1657). Le progrès technique permet des
avancées théoriques qui n'ont cependant qu'un effet limité
sur l'exercice de la médecine (invention du thermomètre,
découverte de la quinine et de la digitaline...). Ainsi,
« la majorité des médecins continuaient à
traiter par les méthodes du passé : saignées et
lavements, rares médicaments d'origine végétale ou
animale. Beaucoup étaient ignares et Molière n'avait pas tort
lorsqu'il raillait dans ses pièces, leur ignorance et leur
arrogance »9(*). Les pratiques médicales sont donc encore
cantonnées dans un esprit traditionnel malgré quelques
innovations qui restent au stade de découverte et ne sont pas
intégrées dans la pratique quotidienne. A la fin du
XVIIIème, la « médecine » laisse
encore beaucoup à désirer : « les cliniciens
et thérapeutes de cette époque n'ont pas fait franchir à
la médecine de progrès décisifs. Mais grâce à
une somme d'efforts conjugués, la nosologie commença à
s'inspirer de principes rationnels » et des «
conditions entièrement nouvelles étaient réalisées,
qui allaient permettre à l'art de soigner de devenir une
science »10(*). C'est au XIXème siècle que
la médecine devient effectivement une science, un siècle qui est
aussi celui de la naissance de l'anorexie en tant que pathologie.
2. La
représentation du corps féminin dans la peinture
Il est intéressant de mettre en parallèle les
représentations du corps de la femme avec la fréquence des
comportements anorexiques à une époque donnée. En effet,
aujourd'hui l'idée est largement répandue que les jeunes filles
deviennent anorexiques après avoir fait un régime,
influencées par les représentations11(*) de femmes très minces.
L'étude de la représentation12(*) du corps féminin entre le Moyen Âge et
la fin du XVIIIème siècle, nous fournira des
indications permettant de juger la pertinence de cette hypothèse, que
nous développerons dans la deuxième partie.
a)
La femme : une tentatrice et une pécheresse
Les « choix esthétiques ou
iconographiques ne sont certes pas le reflet immédiat de changements
sociaux ou mentaux ; d'une manière ou d'une autre, ils y renvoient
pourtant »13(*). En effet, l'étude des
représentations picturales de la femme au Moyen Âge, nous
révèle beaucoup sur sa place dans la société ainsi
que le poids de la religion. Dans la société
médiévale, la femme occupait un rôle mineur ; elle
était essentiellement assimilée à la
fécondité. Dans la peinture, la représentation de la femme
est étroitement attachée à la religion comme le soulignent
Georges Duby et Michelle Perrot : « si diverses que soient
les effigies de la femme au Moyen Âge, elles appartiennent en
majorité à l'univers religieux, et si parfois le quotidien ou le
fantasme, se laissent deviner, c'est en filigrane et au travers du filtre de
l'Eglise et de ses types religieux qui en constituent la commune
référence »14(*).
Pendant le Moyen Âge, la femme est
représentée de quatre façons, chacune ayant une dimension
symbolique différente. La femme c'est d'abord Ève, qui incarne le
péché et le vice. Beaucoup de fresques et de tableaux mettent en
scène l'histoire d'Adam et Ève pour montrer la culpabilité
de la femme. Ève est souvent nue mais ce n'est pas pour mettre son corps
en valeur. La femme c'est aussi le Diable qui essaie de tenter les
fidèles, en particulier les moines. Dans ce type de peinture, elle est
vêtue de façon ordinaire. L'analogie entre le Diable et le sexe
féminin symbolise la tentation que représente la femme. C'est
aussi une mise en garde pour le fidèle : le démon est
partout, il doit se méfier. Ensuite, la femme symbolise la tentation
à travers le serpent qui prend un aspect anthropomorphe. En effet, il a
souvent un visage de femme aux cheveux longs, symbole de la séduction.
Enfin, la femme c'est aussi la Vierge, l'exaltation de la maternité et
de la virginité.
A travers ces quatre représentations de la femme,
l'Eglise envoie un message clair à ses fidèles : les femmes
« ne sont pas sujet commettant un péché, mais un
moyen de pécher offert à l'homme »15(*), elles représentent le
vice et la luxure. Seule Marie incarne des valeurs nobles. Elle est l'unique
être humain à n'avoir pas péché. Dans les
représentations médiévales de la femme, le corps n'a
qu'une place secondaire. Il n'a aucune valeur en lui-même, en tant
qu'objet. L'important est ce qu'il symbolise : la tentation, le
péché, le vice, la séduction et la chasteté. Le
corps est rarement nu et s'il l'est, cette nudité n'a pas de fonction
esthétique. Ce mépris du corps doit être replacé
dans le contexte de l'époque où l'âme et le corps
étaient pensés en opposition. L'un devait être
privilégié pour accéder au paradis ; l'autre
méprisé, parce qu'il représentait le péché.
La littérature médiévale véhicule les mêmes
représentations : « la littérature religieuse
masculine, celle des monastères essentiellement, représente une
femme dépourvue de toute humanité et d'une quelconque richesse
psychologique : elle n'est rien d'autre que la projection du désir,
coupable, de l'homme »16(*).
Au XIVème siècle, la
représentation de la femme évolue : elle commence à
être peinte dans sa vie quotidienne. Cette période se situe dans
un contexte d'effervescence économique qui se traduit par
« le droit à l'image que la femme conquiert [...] et qui
constitue une véritable nouveauté : je veux parler de la
représentation de la femme ordinaire - et pas seulement celles de rang
élevé ou des saintes - dans le cadre familial ou
monastique »17(*). L'émergence de figures
féminines reflète la lente mutation de la condition de la femme
qui acquiert un rôle plus actif.
b)
La femme séductrice et belle
A la fin du XVIème siècle se
produit un changement majeur : la femme qui avait toujours
été représentée vêtue (excepté
Ève), est digne d'être peinte dans le plus simple appareil.
Cependant, ce n'est qu'à partir du XVIIIème
siècle que la représentation de la femme se détache
complètement de la religion. Les premiers peintres ayant osé
représenter une femme nue pour la beauté de son corps, vont
à l'encontre des critères académiques et bouleversent les
thèmes classiques de la peinture. Ces femmes nues se
caractérisaient par leur embonpoint, une esthétique qui va durer
jusqu'au XIXème siècle. Ce sont principalement les
néo-classiques18(*)
qui se sont attachés à une telle représentation de la
femme. Ils vouent un « culte enthousiaste de la beauté
idéale classique, exprimée à la perfection par les Grecs
et les Romains de l'Antiquité, modèle absolu pour tous les
artistes »19(*). Ainsi, les peintres néoclassiques vont
peindre des personnages, notamment des femmes, aux corps
« parfaits » comme l'avaient fait les artistes grecs.
François Boucher est l'un des artistes représentatifs de cette
tradition qui a beaucoup inspiré la peinture française. Pour lui
« le plus beau thème de la peinture ne peut être que
le nu »20(*), c'est pourquoi il représente aussi bien la
femme ordinaire dans des pastorales que des femmes plus nobles, d'une
façon telle que Louis Hourticq le qualifie de « virtuose
de la nudité »21(*). Ses tableaux mettent en scène des
nudités de façon gracieuse (cf. Diane sortant du bain -
Annexe n°2 et L'Odalisque brune - Annexe
n°3). Il réalise également des portraits, un genre
nouveau qui devient de plus en plus courant. Des peintres tels que Jean
Honoré Fragonard, Jean-Marc Nattier et Quentin de La Tour poursuivent
cette démarche dans la représentation de la femme. En parlant de
J.-M. Nattier, L. Hourticq écrit : « comme pour les
portraitistes féminins, son oeuvre fixe moins les variétés
personnelles que la mode d'un temps. Il est ainsi, au cours de l'histoire, des
maîtres dont ce fut le mérite de nous montrer le type de
beauté reconnu par chaque génération [...]. Les
portraitistes de femmes ramènent fatalement les variantes de la nature
au modèle dans lesquels les hommes d'un même temps reconnaissent
plus ou moins consciencieusement leur idéal. Les peintres semblent ainsi
les créateurs de chaque temps [...]. Nattier est le représentant
de la beauté Louis XV. Ses modèles ont le visage plein et rond,
encadré de cheveux poudrés, dont la blancheur accentue
l'animation des fards et la vivacité des yeux ». Les
personnalités « s'effacent sous le
vernis »22(*). A travers cette citation, nous voyons
comment à cette époque, l'art et plus particulièrement la
peinture, se faisait le vecteur d'une représentation de la femme, de
l'idéal masculin. L'imposition de normes corporelles n'est donc pas
propre au XXIème siècle, ce sont juste les
critères de la beauté qui ont évolué.
3. L'évolution
des canons de beauté du Moyen Âge au XVIIIème
siècle
a)
De la minceur à l'embonpoint
A « l'idéal médiéval de la
noble dame gracieuse, aux hanches étroites et aux seins menus, fait
place à la fin du XVème et au XVIème
siècle à un modèle féminin plus enveloppé
dont les hanches larges et le décolleté généreux
vont rester de mise jusqu'à la fin du XVIIIème
siècle »23(*). Les goûts se transforment : la minceur
auparavant valorisée devient synonyme de pauvreté tandis que
l'embonpoint renvoie à une position élevée dans la
hiérarchie sociale. Afin de ne pas ressembler aux femmes des milieux
populaires dont le visage est vieilli, maigre et tanné avant
l'âge, les bourgeoises entretiennent leur embonpoint. G. Duby et M.
Perrot parlent d' « élaboration de
la féminité » pour qualifier
l'époque de la Renaissance. En effet, les femmes de l'aristocratie ne
cherchent pas seulement à se distinguer des femmes du peuple par leurs
formes avantageuses mais aussi des hommes, en adoptant un style vestimentaire
et un comportement différent qui traduisent sensibilité et
raffinement.
La beauté fait l'objet d'une nouvelle
considération. Au Moyen Âge, elle était assimilée
à la tentation et condamnée par les clercs ; dans l'esprit de la
Renaissance, elle est « le signe visible et extérieur
d'une bonté intérieure invisible »24(*). Elle est associée
à une situation sociale et devient une obligation. Elle répond
à des critères très stricts que définissent
traités et poèmes : « peau blanche, cheveux blonds,
lèvres et joues rouges, sourcils noirs. Le cou et les mains doivent
être longues et minces, le pied petit, la taille souple. Les seins sont
fermes, ronds et blancs, avec des aréoles roses. La couleur des yeux
peut varier (de préférence verte en France, brune ou noire en
Italie) et on fait parfois des concessions aux cheveux bruns, mais les canons
de l'apparence féminine restent pratiquement identiques pendant quelques
trois cent ans »25(*). Cette recherche de la beauté et de la
perfection féminine entraîne l'apparition d'un nouveau genre
littéraire au cours du XVIème siècle : le
blason, un « poème en l'honneur d'une dame qui
détaillent un ou plusieurs de ses charmes »26(*).
b)
Une beauté qui s'entretient
« Vers 1550, la vogue de la description de la
beauté féminine s'est ancrée dans les
moeurs »27(*) et les femmes se réfèrent à ces
critères pour modeler leur apparence usant de fards et de
cosmétiques. Des ouvrages, écrits par des hommes, livrent des
conseils pour se maquiller et cacher ses défauts. Ce sont là que
les femmes vont chercher ces recettes qui « remplissent en
général une ou deux fonctions : corriger les défauts
ou améliorer la nature » et des astuces pour blanchir la
peau par exemple28(*). Au
cours de ces trois siècles d'artifice, se sont élevées
critiques et protestations. Ainsi en témoignent les pamphlets, circulant
pendant l'Ancien Régime, qui dénigrent les femmes fardées.
Certains leur reprochent de travestir leur visage devant Dieu, d'autres
craignent que ce visage maquillé ne cache une sorcière.
Progressivement, le maquillage s'estompe « devant la
montée d'une bourgeoisie critique (qui identifie le camouflage des
cosmétiques à la malhonnêteté attribuée
à l'aristocratie)», et « l'air naturel revient
à la mode »29(*).
C'est ainsi qu'au XVIIIème siècle
naît un nouvel idéal féminin : la grâce et la
simplicité sont désormais recherchées. Les femmes sont
jugées belles lorsqu'elles ont « un visage pâle aux
grands yeux et une silhouette mince et langoureuse » signes de
la sensibilité et de la délicatesse « qui devaient
donner le ton au début du XIXème et inspirer la
conception romantique de la féminité »30(*). Enfin, la révolution
française marque un tournant dans l'évolution de l'idéal
féminin : l'amincissement est à nouveau
privilégié et mène à la redécouverte du
style néogrec sous l'Empire.
Au Moyen Âge, les différentes sphères de
la société sont sous l'emprise de la religion notamment la
« médecine » et l'art. Peu à peu, ce primat
de la tradition s'affaiblit entraînant des progrès dans le domaine
médical et des évolutions dans la représentation picturale
de la femme. Au début du Moyen Âge, l'art sacré
prédomine mais son influence diminue laissant émerger un art
profane. Les représentations de la femme évoluent passant ainsi
de la femme tentatrice et pécheresse, à la femme
séductrice. Corrélativement, le corps devient un signe de
distinction sociale et le centre des attentions féminines. Ce cadrage
socioculturel nous a permis de voir comment « le déclin graduel
de la puissance temporelle de l'Eglise en libérant les esprits,
libère les corps »31(*) et va nous permettre de comprendre comment s'est
construite la représentation sociale de
l' « anorexie » entre le Moyen Âge et la fin du
XVIIIème siècle. Nous allons maintenant nous attacher
à décrire les pratiques « anorexiques » qui
ont existé durant cette période et examiner la façon dont
elles ont été comprises et perçues.
B. La littérature
théologique atteste de comportements « anorexiques »
Les récits dont nous disposons aujourd'hui rapportant
des comportements « anorexiques » ayant existé entre
le Moyen Âge et le XVIIIème siècle, sont
essentiellement issus de la littérature théologique. Ces
témoignages, le plus souvent écrits par des moines,
décrivent des cas de jeunes filles qui jeûnent pendant une
période relativement longue. Il n'existe pas d'estimations
chiffrées des personnes ayant eu un comportement
« anorexique » au cours de cette période ;
cependant, les traces écrites laissent supposer que ces cas
étaient relativement rares et disséminés.
1. Au 9ème
siècle, Friderada von Treuchtlingen
En 895, le moine Wolfhard relate l'histoire de Friderada von
Treuchtlingen, une jeune bavaroise, fille de serfs, qui cesse de
s'alimenter32(*). Ce
dégoût pour la nourriture intervient à la suite d'une
succession d'événements. De nature plutôt robuste, la jeune
fille tombe soudainement malade. Une fois rétablie, elle se met à
tout dévorer (un comportement qui s'apparenterait aujourd'hui à
de la boulimie) mais paradoxalement perd des forces. Elle est alors conduite au
monastère de Sainte Walburgis, à Monheim en Bavière, un
monastère réputé pour ses miracles. Les religieux
conseillent à ses parents de prier sans relâche. Ils
s'exécutent et progressivement les fringales de la jeune fille
disparaissent mais elle éprouve un dégoût profond pour la
nourriture. « A partir de là, Friderada ne se nourrit
plus que de produits laitiers et adopte la désagréable habitude
de vomir après chaque repas »33(*). Peu de temps après,
elle cesse de s'alimenter. Des religieuses lui rendent visite et l'une d'entre
elle la force à manger un morceau de viande causant le désespoir
de la jeune fille qui devient aveugle. De nouveau conduite à Monheim,
ses parents renouvellent leurs prières et la jeune fille retrouve la
vue. Sur la décision de l'évêque qui souhaite s'assurer que
Friderada ne mange vraiment rien, la jeune fille est cloîtrée
pendant six mois et finit par mourir dans un état de maigreur
extrême. Elle devient sainte de Walburgis34(*).
Anne Guillemot et Michel Laxenaire dans leur ouvrage
Anorexie mentale et boulimie - le poids de la culture, expliquent que
ce cas d' « anorexie » s'accompagne d'autres troubles
(cécité, parapésie...) et qu'il est
précédée d'une période de
« boulimie » ; la perte d'appétit s'inscrit
donc dans un ensemble de symptômes, une différence essentielle
avec l'anorexie d'aujourd'hui. Il faut également préciser que
nous ne savons pas si cette perte d'appétit est volontaire ou
inconsciente. Il n'y a aucun détail concernant les motivations de ce
comportement et ses conséquences. Le seul indice qui nous permette de
parler de comportement « anorexique » est le refus de
nourriture. En dépit de ce manque d'informations, A. Guillemot et M.
Laxenaire précisent que pour T. Habermas le cas de Friderada von
Treuchtlingen peut être considéré comme le cas
médiéval le plus explicite s'apparentant à
l'anorexie35(*).
2. Au XVIIème
siècle, une adolescente anglaise jeûne
En 1667, Marthe Taylor, originaire du Derbyshire jeûne
pendant plusieurs mois. Ce cas36(*) est resté célèbre car des
médecins examinent la jeune fille sur la demande du Comte de Devonshire.
Or, à cette époque, le « corps
médical » ne prête que peu d'attention voire aucune
à ces comportements « anorexiques ». Il est
intéressant de noter que cette adolescente présente une
aménorrhée, symptôme reconnu aujourd'hui comme l'un des
critères de diagnostic de l'anorexie. La perte d'appétit
intervient après une série d'incidents, comme dans le cas de
Friderada. Paralysée des pieds suite à une chute, Marthe Taylor
en retrouve progressivement l'usage mais devient dépressive. Elle
éprouve des difficultés à dormir et consacre ses nuits
à la lecture des Ecritures. A l'âge de 18 ans « elle
vomit tout ce qu'elle mange et commence donc à restreindre ses apports
alimentaires pour les arrêter complètement »
37(*).
Les ouvrages publiés de son vivant prétendent
qu'elle ne mangea aucune nourriture solide pendant douze à treize mois.
Nous pouvons noter que là aussi, d'autres troubles accompagnent la perte
d'appétit et selon Hilde Bruch ces signes cliniques laisseraient
plutôt penser à une névrose hystérique ou à
une psychose qu'à une anorexie mentale38(*). Le cas de cette jeune fille illustre les
évolutions qui commencent à naître : ce sont des
médecins qui viennent la voir et non des religieuses, ce qui marque
l'entrée progressive de l' « anorexie » dans le
champ médical. Par ailleurs, la religion reste fortement présente
puisque la jeune fille lit les Ecritures pendant ses nuits d'insomnie. Cette
attitude peut être comparée à l'investissement scolaire
dont font preuve les anorexiques aujourd'hui.
3. La première
description clinique de l'anorexie par Richard Morton
Plusieurs auteurs attribuent la première description
clinique détaillée de l'anorexie au médecin anglais,
Richard Morton, dans son ouvrage Phtisiologia : or a treaty of
consumptions (1689). Il rapporte le cas d'une de ses patientes,
Miss Duke, une jeune fille de 22 ans. Il constate « une
consomption du corps sans fièvre ni toux ni dyspnée
s'accompagnant d'une perte de l'appétit et des fonctions
digestives »39(*). R. Morton pense que cette maladie est d'origine
nerveuse et résulte « d'une altération du principe
vital et d'un bouleversement des forces nerveuses »40(*). Nous pouvons noter que
l' « anorexie » de cette jeune fille ne s'accompagne
d'aucun autre trouble et pourrait se rapprocher de l'anorexie telle que nous la
connaissons aujourd'hui. La jeune fille refuse tous les traitements et meurt en
quelques mois. R. Morton relate également le cas d'un jeune palefrenier
âgé de 16 ans qui perd l'appétit41(*). Cette perte d'appétit
serait due à des études difficiles et un investissement scolaire
trop important. Suite à l'échec de différents traitements
(antiscorbutiques, médecines artificielles ou naturelles), R. Morton
conseille au jeune garçon de cesser les études pendant quelque
temps et de s'éloigner de sa famille. Quelques mois après, il est
entièrement guéri.
Confronté à un troisième cas
d' « anorexie », R. Morton modifie son
interprétation de la maladie et réfléchit au rôle du
psychisme et des émotions. Voici un extrait de l'un de ses textes qui
illustre cette évolution :
« Au mois de juillet [elle] souffrit de la
suppression totale de ses règles due à une multitude de soucis et
de passions occupant son esprit, mais sans aucun des symptômes qui
accompagnent la chlorose. A partir de ce moment-là, son appétit
commença à décliner, et sa digestion devint
mauvaise ; aussi, sa chair devint de plus en plus flaccide et lâche,
et son teint devint pâle [...]. Elle avait l'habitude, du fait qu'elle
étudiait la nuit, et qu'elle était continuellement plongée
dans ses livres, de s'exposer aux rigueurs de l'air, de jour comme de nuit
[...]. Je ne me rappelle pas dans toute ma pratique pourtant
considérable des êtres vivants, avoir vu une personne qui
fût aussi affaiblie par un tel degré de consomption (qui la
faisait ressembler à un squelette n'ayant que la peau sur les os), et
cependant elle n'avait pas de fièvre, bien au contraire une froideur de
tout le corps... Seul son appétit avait diminué et sa digestion
était devenue difficile, avec des évanouissements qui la
prenaient fréquemment »42(*).
Sans donner plus de détails, H.-E. Janas écrit
que Morton est probablement le premier à évoquer
« une sémiologie de l'anorexie, un diagnostic probable et
des méthodes évolutives »43(*). En effet, il évoque
les symptômes de sa patiente, les conséquences de son comportement
et essaie d'identifier la maladie. Il la distingue de la chlorose, une maladie
fréquente à l'époque qui se manifestait par une
« anémie hypochrome »44(*) chez les jeunes
filles. Nous pouvons souligner que certains éléments dans
cette description permettent effectivement de considérer que cette jeune
fille est atteinte d'anorexie mentale. En effet, le teint de sa peau, les
problèmes de digestion et la froideur de son corps ne sont que les
conséquences de la dénutrition et s'observent également
chez les anorexiques aujourd'hui.
Nous pouvons également noter la place accordée
au psychisme et aux émotions, qui seraient le facteur déclencheur
de l'aménorrhée. Cette hypothèse est plutôt moderne
car les explications organicistes sont encore dominantes à
l'époque. L'intuition de R. Morton n'est pas totalement fausse puisque
nous savons aujourd'hui que l'aménorrhée résulte de causes
physiologiques et psychologiques. Les écrits de R. Morton
révèlent donc l'existence de
l' « anorexie » en Angleterre au
XVIIIème siècle « même si elle se
limitait encore à quelques cas isolés et considérés
comme extraordinaires »45(*). Ces adolescentes qui jeûnent sont
surnommées les « fasting girls ». Elles
suscitent l'interrogation et le scepticisme des médecins.
« Des débats [apparaissent] presque publics sur, par
exemple, la possibilité de survivre sans s'alimenter ; il faut
également préciser que la plupart des écrits de cette
époque vont s'intéresser non pas à la cause du jeûne
mais à sa réalisation en tant que
performance »46(*). En effet, si les médecins commencent à
s'intéresser à ces adolescentes et à leur jeûne
ininterrompu, ce n'est pas dans l'intention de trouver un traitement mais
d'évaluer leurs performances, de « faire » des
expérimentations.
A partir de ces quatre exemples, nous pouvons faire plusieurs
remarques. Tout d'abord, les cas rapportés concernent essentiellement
des jeunes filles, ce qui permet effectivement de rapprocher ces comportements
avec l'anorexie d'aujourd'hui et donc de les qualifier d'anorexiques. Du Moyen
Âge au XVIIème siècle, ces récits se
trouvent dans la littérature théologique puis vont peu à
peu investir la littérature scientifique47(*). Ensuite, le terme
d' « anorexie » n'est jamais employé pour
désigner ces comportements même s'il est apparu pour la
première fois dans la littérature française en
158948(*). La principale
similitude avec l'anorexie réside dans la « perte
d'appétit »49(*). Les descriptions sont peu détaillées
et cette « perte d'appétit » s'inscrit le plus
souvent dans un ensemble de symptômes. A la fin du
XVIIème siècle, un tournant est amorcé avec le
récit de R. Morton puisque c'est un médecin qui écrit et
non un ecclésiastique. L' « anorexie » ne
s'accompagne pas d'autres troubles et les conséquences de la restriction
alimentaire sont évoquées pour la première fois. En ce
sens, nous pouvons considérer que le cas rapporté par R. Morton
annonce les descriptions que feront W. Gull et C. Lasègue au
XIXème siècle.
C. Le cas particulier de l'anorexie
sainte
Le terme d'anorexie sainte ou anorexie sacrée est
utilisé pour parler des conduites ascétiques de jeunes femmes
entre le XIIIème et le XVIème siècle
qui, pour la plupart furent canonisées. Rudolf Bell dans son livre
L'anorexie sainte - jeûne et mysticisme du Moyen Âge à
nos jours, décrypte les comportements de ces jeunes femmes en les
replaçant dans un contexte historique, social, culturel et familial.
Pour cet auteur, l'anorexie mentale du XXème siècle
« n'est pas apparue pour la première fois chez les jeunes
danseuses et avec la vogue des régimes »50(*), elle n'est que la
continuité de l'anorexie sainte du Moyen Âge. Ainsi, il est
possible de trouver des points communs entre les saintes ascétiques et
les jeunes filles anorexiques d'aujourd'hui. Cette position est partagée
par d'autres chercheurs tels que Caroline Bynum, Marina Warner ou encore
Marcello Craveri...51(*) ; c'est pourquoi il semble important d'en
parler.
Nous présenterons les caractéristiques de
l'anorexie sainte à travers l'exemple de Catherine de Sienne, l'un des
cas les plus connus, avant de voir comment ce type de comportement était
perçu par les autorités religieuses. Ensuite, nous soulignerons
les points communs entre l'anorexie sainte et l'anorexie mentale
d'aujourd'hui.
1. Une conduite
anorexique qui relève de l'élection divine
a) Une enfance banale
Catherine Benincasa est née en 1347 à Sienne
d'un père teinturier et d'une mère, fille de poète.
Jumelle prématurée, elle est nourrie par sa mère tandis
que sa soeur est confiée à une nourrice et meurt quelques mois
plus tard. R. Bell souligne sa position
« privilégiée » ; en effet, elle est la
seule enfant de toute la fratrie à être allaitée jusqu'au
sevrage. Son enfance est gaie. Elle se préoccupe très tôt
de la religion puisque vers six ou sept ans, le Christ lui apparaît
pour la première fois. Elle n'en parle pas pendant des années.
Cette inclination religieuse semble plutôt normale à une
époque où la religion joue un rôle très important.
Néanmoins, c'est à cet âge qu'elle commence à ne
plus manger de viande, une privation qui marque le début de sa
« perte d'appétit ». Les différentes
restrictions alimentaires qu'elle s'impose, les décisions qu'elle prend
concernant son engagement dans la religion sont
étroitement liés avec des événements
familiaux. C'est pourquoi, sans relater toute la vie de Catherine de Sienne
nous nous attarderons sur certains moments relativement importants afin de
comprendre son comportement ascétique. L'ascèse se
définissant comme une « discipline de vie, [un] ensemble
d'exercices physiques et moraux pratiqués en vue d'un perfectionnement
spirituel »52(*).
b)
L'adolescence : le moment de l'engagement dans la religion
Durant toute son adolescence, Catherine fait des jeûnes
« rigoureux, mais jamais sans excès par rapport aux normes
à cette époque où l'on pratiquait un ascétisme
héroïque »53(*). En effet, au XIIIème
siècle, le jeûne est une pratique courante et se consiste en une
« pénitence contrôlée dont le but [est] de
purifier le corps »54(*). Son objectif est donc clair et sa
durée limitée.
Catherine entre en conflit avec sa mère vers
l'âge de douze ans. Cette dernière souhaite que sa fille apprenne
à se tenir en société, à se maquiller... afin de
trouver un époux, ce que refuse Catherine. Elle est alors confiée
à l'une de ses soeurs aînées, Bonaventura car la jeune
fille l'apprécie beaucoup et semble plus encline à lui
obéir. Trois ans plus tard, Bonaventura meurt en couches : cet
événement bouleverse Catherine qui s'engage dans la religion.
Elle est persuadée que c'est « son engagement dans le
monde »55(*) qui a provoqué la colère de Dieu qui
s'est vengé sur Bonaventura. Catherine a alors quinze ans et prend la
décision de se détacher du monde, son époux sera le
Christ. Malgré les supplications de sa famille, elle refuse
catégoriquement de se marier et dit devoir obéir à Dieu. A
l'âge de seize ans, elle se convertit à un mysticisme radical et
modifie profondément ses habitudes alimentaires qu'elle conserve
jusqu'à sa mort. Elle limite ses repas à du pain, des herbes
crues et de l'eau et perd rapidement la moitié de son poids56(*). Pour expliquer cet
engagement, G. Raimbault et C. Eliacheff disent que « coupable
d'être vivante, elle s'engage vers la solitude et la pénitence et
entreprend méthodiquement de réduire son
alimentation »57(*). A partir de ce moment-là, sa vie est
entièrement dévouée à Dieu malgré les
réticences de son entourage. Pendant trois ans, elle s'impose un voeu de
silence complet excepté pour les confessions (elle vivait encore dans sa
famille) et ne dort que trente minutes tous les deux jours. En plus de ses
restrictions, elle s'administre des punitions. Par exemple, elle se flagelle
avec une chaîne trois fois par jour58(*).
A travers ce récit de l'adolescence de Catherine de
Sienne, nous voyons donc comment dans un contexte socio-historique particulier,
un événement personnel est venu bouleverser la vie de cette jeune
fille et l'a conduite progressivement à l'ascèse.
c)
Un dévouement sans limite au Christ
A l'âge de 21 ans, un nouvel événement
vient bouleverser sa vie et renforce son dévouement à Dieu. Son
père, auquel elle était très attachée et qui
était la seule personne de la famille à la soutenir, meurt. Pour
la seconde fois, le Christ lui apparaît ; c'est alors
qu'« elle perdit l'appétit et ne parvint plus à
manger de pain »59(*). Cet exemple illustre bien comment différents
facteurs (contexte familial, contexte socio-historique) se sont
combinés, ont créé un terreau favorable au
déclenchement de l' « anorexie » de Catherine.
A 25 ans, les écrits racontent qu'elle ne mangeait quasiment rien ;
d'autres estiment au contraire qu'elle avait du mal à surmonter la faim.
Raymond de Capoue, son confesseur, raconte un épisode assez marquant qui
révèle effectivement les difficultés auxquelles a
été confrontées Catherine. Alors qu'« elle
devait nettoyer les ulcères d'une femme atteinte d'un cancer du
sein », son coeur fut « soulevé par l'odeur
suffocante de la suppuration ». Elle voulut vaincre ses
sensations corporelles et « recueillit soigneusement le pus dans
une écuelle et le but entièrement. Cette nuit-là,
Jésus lui apparut et l'invita à boire le sang qui coulait de son
flanc perforé ; ce fut grâce à cette consolation que
son estomac en fût à la fois rassasié et
altéré »60(*). Son confesseur écrit qu'à partir de ce
moment-là, les grâces divines descendues en son corps lui
permirent de ne plus manger car la nature de son estomac en avait
été transformée. Il l'explique ainsi :
« non seulement elle n'avait plus besoin de nourriture
matérielle, mais elle ne pouvait même pas en prendre sans douleur
physique. Si on la forçait à en accepter, elle éprouvait
de très vives souffrances, sa digestion ne se produisait pas, et les
aliments étaient violemment rejetés au
dehors »61(*). Chaque acte de sa vie est obéissance à
son « époux » Jésus et elle refuse
d'écouter les ordres et conseils de quiconque. Elle est
entièrement convaincue de son union avec le Christ qui, selon elle, lui
aurait placé un anneau de mariage à son doigt. Nous pouvons
d'ores et déjà faire une remarque sur les pratiques de
Catherine : sa difficulté à ingérer de la nourriture
et les douleurs qu'elle éprouve ressemblent fortement au cas
décrit par R. Morton, ce qui permet effectivement de qualifier son
comportement d'anorexique.
A la suite de ces événements, elle décide
de rejoindre la congrégation des soeurs de la Pénitence,
composée de femmes laïques qui continuent à vivre chez
elles. Cet ordre militant se consacre à la défense de la foi et
de l'Eglise. G. Raimbault et C. Eliacheff précisent que ce choix est
étonnant de la part de Catherine car ce sont d'ordinaire des femmes d'un
certain âge, souvent veuves, qui rejoignent cette congrégation.
Cependant, elles mettent en évidence la cohérence de ce choix
« d'un ordre militant [qui] lui convient on ne peut mieux, le
militantisme caractérisant le comportement anorexique quelle que soit la
cause apparente »62(*). Catherine se consacre également à la
Réforme de l'Eglise et joue un rôle important dans le retour du
Pape Grégoire XI à Rome. La mort de celui-ci, l'élection
d'Urban VI et peu après le Grand Schisme sont des
événements qui l'affectent beaucoup. Elle décide alors de
ne plus manger ni boire et meurt trois mois plus tard dans de grandes
souffrances.
Les quelques épisodes de la vie de Catherine de Sienne
que nous venons de mentionner mettent en évidence les liens entre
religion et restriction alimentaire. Plus elle se dévoue au Christ, plus
elle s'impose des sacrifices. Ainsi, R. Bell écrit que
« son abstinence allait bien au-delà du jeûne rituel
ou austère pratiqué par les plus saintes figures, hommes et
femmes de son époque, et, bien souvent, elle enfreignait les injonctions
explicites de ses confesseurs »63(*). En effet, il ne faut pas confondre jeûne et
ascèse. Dans le cas de Catherine, les privations n'ont pas de fin et
sont de plus en plus importantes, c'est pourquoi le terme d'ascèse
semble préférable pour qualifier sa conduite. Contrairement aux
cas décrits précédemment, la restriction alimentaire est
motivée par le souhait d'accéder à une certaine
pureté spirituelle. L'anorexie sainte ne diffère pas sur le plan
des pratiques mais de la motivation. Ainsi, R. Bell « estime,
bien que cela ne puisse être ni prouvé ni réfuté,
que l'anorexie de Catherine de Sienne a été une
conséquence non pas d'une lésion de son hypothalamus, mais de
facteurs psychiques, en l'occurrence de sa volonté de maîtriser
les exigences de son corps qu'elle voyait comme une entrave objecte à la
sainteté »64(*). Cette explication permet non seulement de comprendre
l'origine du terme « anorexie sainte » mais pointe aussi la
différence essentielle qui existait entre ce type de comportement et les
cas que nous avons évoqué précédemment.
2. Le jugement de la
société civile et des autorités ecclésiastiques
Même si le jeûne est chose courante à
l'époque de Catherine de Sienne, le fait de ne pas manger pendant une
période relativement longue est considéré comme suspect.
La question qui se pose alors est celle de l'origine de cette
« performance ». Deux alternatives sont possibles : le
fait de vivre sans manger est dû soit à Dieu soit au diable. La
jeune fille qui présente un comportement ascétique est
l'élue de Dieu ou possédée par le démon. Cette
question n'est pas seulement soulevée par l'entourage mais
principalement par l'Eglise. Dans le cas de Catherine nous nous
intéresserons uniquement au jugement porté par les
autorités ecclésiastiques puisque ce sont elles qui ont
« permis » à l'anorexie sainte d'exister au sens
où sans l'aval de l'Eglise, sans la reconnaissance de cette
ascèse comme chemin vers la sainteté, l'anorexie sainte n'aurait
pas été perçue comme telle.
a)
La suspicion de l'Eglise
C'est d'abord par le biais des confesseurs de Catherine que
les autorités ecclésiastiques ont sanctionné ou
encouragé son comportement. Au début, ils étaient
chargés de la surveiller et de la forcer à manger. Son
comportement était donc jugé suspect. Ne souhaitant pas aller
à l'encontre de la volonté de son premier confesseur, qui la
pensait possédée par le démon, Catherine s'obligea
à manger mais tomba malade. Son état empira et son confesseur dut
renoncer à lui ordonner de s'alimenter. Il lui conseilla
« d'agir désormais d'après les inspirations de
l'Esprit Saint »65(*). Progressivement, il fut toléré qu'elle
cesse de manger. Son comportement laissait perplexe et nombre de ses
confesseurs la laissèrent agir à sa guise. Le droit de communier
tous les jours lui fut octroyé, ce qui était exceptionnel
à une époque où « même les religieuses
ne communiaient pas plus de six à sept fois par
an »66(*).
Si les autorités religieuses reconnurent en grande partie que Catherine
n'était nullement possédée par le démon, certains
continuèrent à lui reprocher son comportement et elle dut
affronter ses détracteurs toute sa vie. Ils prétendaient qu'elle
mangeait en secret ou alors ils s'empressaient de lui rappeler la parole de
Jésus qui disait à ses disciples : « mangez et
buvez ce qui se trouve chez vos hôtes »67(*), lui signifiant ainsi qu'elle
ne la respectait pas.
b)
La sanction des autorités religieuses
Le comportement de Catherine était connu des
autorités ecclésiastiques et elle fut convoquée à
Florence pour se justifier devant une commission de l'Eglise. Elle convainquit
les représentants de l'Eglise que son comportement était juste.
Néanmoins, le pape décida de lui attribuer un nouveau confesseur,
Raymond de Capoue dont la mission consistait, comme pour les
précédents, à la surveiller.
Toujours sujette aux accusations de ses ennemis, Catherine se
remit à manger pendant un temps. R. de Capoue souhaitait faire cesser
les rumeurs d'éventuelles possessions démoniaques mais il
n'était pas complètement convaincu non plus de l'élection
divine de Catherine. Cependant, il lui conseilla d'ignorer ses ennemis et
d'abandonner son mode d'alimentation. Finalement, grâce à sa
conviction, elle réussit peu à peu à convaincre les gens
qu'elle n'était pas possédée par le démon. Elle fut
canonisée en1461 et reconnue Docteur de l'Eglise en 1970 par Paul VI.
Peu de temps après la mort de Catherine, R. de Capoue
rédigea la biographie de la jeune femme. Le livre fut rapidement
publié et eut un très grand succès : de plus en plus
de jeunes filles suivaient l'exemple de Catherine de Sienne ce qui conduit R.
Bell a parler d' « un exemple désormais classique
d'expression religieuse féminine »68(*). Face à cet engouement,
les hommes d'Eglise furent de plus en plus suspicieux et mirent en oeuvre des
réformes afin de limiter ce type de comportement, l'une des raisons du
déclin de l'anorexie sainte dont l'apogée est datée aux
environs de 1500.
c) Le déclin de l'anorexie
sainte
A travers l'anorexie sainte, la femme était
valorisée : par sa volonté, elle s'unissait, se
dévouait à Dieu endurant toutes les souffrances qu'il lui
enjoignait de subir. Avec la Réforme, l'hypothèse d'une
possession démoniaque resurgit ; les femmes anorexiques sont alors
considérées comme folles, possédées ou
hérétiques. Le nombre de comportements anorexiques baisse et les
cas d'anorexie sainte rapportés deviennent rares.
Le refus des autorités religieuses de reconnaître
le comportement de ces femmes comme de l'anorexie sainte, c'est-à-dire
comme un moyen d'accéder à la sainteté, ouvre une
brèche. Si Dieu n'est plus une explication plausible, le diable ne peut
pas non plus être invoqué pour justifier des conduites de toutes
ces femmes, relativement nombreuses. C'est la maladie qui va être
avancée comme facteur explicatif mais, cela ne signifie pas pour autant
que le comportement de ces femmes sorte du champ religieux. Cependant, ce
recours à la maladie annonce en quelque sorte ce qui se jouera au
XIXème siècle : l'entrée de l'anorexie
dans le champ médical. A partir du XVIIème
siècle, le chemin vers la sainteté est progressivement
modifié : « les femmes attirées par des
carrières de sainte ne furent plus intéressées par les
mortifications et elles se tournèrent vers la charité,
l'enseignement et les soins incessants, afin de pouvoir
s'exprimer »69(*). La sainteté n'a progressivement plus aucun
rapport avec l'anorexie qui glisse lentement d'un statut religieux vers un
statut médical. Il faudra deux siècles pour que ce changement
soit définitif.
3. Les points
communs avec une jeune fille anorexique aujourd'hui
R. Bell met en évidence les points communs entre le
comportement de Catherine de Sienne et celui des anorexiques d'aujourd'hui.
Catherine commence par restreindre son alimentation de façon
délibérée. Nous avons mentionné les
difficultés qu'elle éprouvait à surmonter sa faim, ce
n'est que dans un second temps qu'elle ne parvint plus à manger. Le
même phénomène s'observe chez les anorexiques aujourd'hui
qui prétextent qu'elles ne mangent pas parce qu'elles ne peuvent pas
manger. En réalité, l'impossibilité d'ingérer toute
nourriture est l'une des conséquences de la restriction alimentaire.
Nous n'avons pas trouvé d'indications précises concernant
l'amaigrissement de Catherine, excepté qu'elle perdit rapidement la
moitié de son poids initial, ce qui correspond au critère
médical en vigueur aujourd'hui pour diagnostiquer une anorexie.
Parallèlement à la restriction alimentaire, Catherine instaura
une hygiène de vie particulière comme le font les anorexiques
aujourd'hui (cf. infra partie 2, III. A). Par exemple, Catherine était
hyperactive et R. Bell raconte que « dès que se
présentait une occasion d'honorer Dieu ou d'accomplir un acte
charitable, elle redevenait vigoureuse sans l'aide de la médecine,
surpassait en énergie ses compagnes sans jamais se fatiguer ; bref,
elle devenait hyperactive »70(*). De même, les jeunes anorexiques se
caractérisent par leur hyperactivité alors qu'elles sont
physiquement épuisées. Catherine dormait peu comme nous l'avons
souligné ce qui est aussi parfois une caractéristique des
anorexiques modernes qui nient leur corps en lui imposant des restrictions.
L'autre point commun entre Catherine de Sienne et les
anorexiques modernes est incontestablement la volonté avec laquelle
elles s'imposent des restrictions alimentaires, même si la plupart du
temps elles affirment le contraire. En effet, la restriction alimentaire
résulte toujours et d'abord d'une décision consciente ; ce
n'est que par la suite que l'anorexique perd le contrôle de son
comportement, que les complications physiologiques lui rendent impossible toute
ingestion de nourriture. Cette implacable volonté rencontre à un
moment ou à un autre l'opposition de l'entourage. Dans le cas de
Catherine, cette opposition est multiple puisqu'elle est confrontée
à sa famille mais aussi aux autorités ecclésiastiques. Le
récit de sa vie nous montre qu'elle a résisté jusqu'au
bout puisqu'elle est morte de ses privations. Aujourd'hui, les anorexiques
doivent « affronter » leurs parents et le corps
médical, celui-ci ayant remplacé l'autorité de l'Eglise.
Catherine était accusée par ses détracteurs
« d'être une simulatrice, une égoïste, une
impie et une sorcière »71(*). De même, les anorexiques sont souvent
considérées comme des manipulatrices et des menteuses. Ainsi,
nous voyons que le comportement ascétique des jeunes femmes au Moyen
Âge est en beaucoup de points semblable au comportement anorexique des
jeunes filles d'aujourd'hui et que quelle que soit l'époque il suscite
des réactions. Cependant, il ne faut pas oublier que la motivation qui
sous-tend le comportement anorexique des jeunes femmes au Moyen Âge n'a
rien en commun avec celle des anorexiques aujourd'hui. En effet, alors que
l'anorexique sainte veut s'unir à Dieu, l'adolescente anorexique est en
quête de sa propre identité72(*).
Cette première partie nous a permis de souligner
différents éléments essentiels à la
compréhension de l'anorexie : les comportements
« anorexiques » existent bien depuis le Moyen Âge
comme nous l'ont révélé les différents
écrits que nous avons mentionnés. Cependant, nous avons
noté une évolution quant aux
« symptômes ». Dans les premiers cas, la restriction
alimentaire n'est qu'un trouble parmi d'autres. Il faut attendre la description
de R. Morton au XVIIème siècle pour que
l' « anorexie » soit le symptôme majeur. En
outre, il met le doigt sur certains aspects de la
« maladie » que nous retrouverons dans les écrits de
C. Lasègue et W. Gull au XIXème siècle.
D'autre part, la prédominance de la religion explique
les « méthodes thérapeutiques »
utilisées au cours du Moyen Âge pour tenter de guérir les
jeunes filles « anorexiques ». Dans un tel contexte, il
n'était pas envisageable d'avoir recours à d'autres solutions.
L'exemple de l'anorexie sainte nous a permis de mettre en évidence le
poids du contexte socioculturel dans la perception de la
« maladie » : à partir de Catherine de Sienne,
les comportements ascétiques sont devenus un chemin vers la
sainteté qui a perduré jusqu'à ce que les autorités
religieuses mettent en oeuvre des réformes.
Enfin, l'étude du contexte artistique de cette
période nous a permis de voir qu'il n'y avait pas de causalité
entre représentation du corps et comportement
« anorexique » puisqu'au XVIIème
siècle par exemple, des jeunes filles restreignent leur alimentation
alors même que c'est l'embonpoint qui est valorisé. Cette remarque
nous permet de nuancer l'argument souvent invoqué aujourd'hui à
savoir : le contexte socioculturel est l'un des facteurs
déclencheurs de l'anorexie.
A deux reprises nous avons souligné que le
XVIIème siècle constituait une rupture ou plutôt
annonçait ce qui allait se jouer au XIXème
siècle, nous allons donc maintenant aborder cette période au
cours de laquelle l'anorexie est devenue une pathologie.
II. Le
XIXème siècle : quand l'anorexie devient une entité
clinique
Le XIXème siècle est
considéré comme le siècle de la naissance de l'anorexie
qui entre dans le champ de la médecine et sort ainsi totalement de la
sphère religieuse. Elle devient une entité clinique distincte,
les récits de cas d'anorexie disparaissent donc de la littérature
religieuse pour investir la littérature médicale. Avant de
présenter les premières descriptions cliniques de l'anorexie,
nous replacerons cette « naissance » de l'anorexie dans le
contexte artistique et médical de l'époque afin de mieux
comprendre pourquoi l'anorexie en tant que pathologie est née au
XIXème siècle.
A. Le contexte artistique et
médical de l'apparition de l'anorexie
Afin de comprendre pourquoi les comportements
« anorexiques » ont suscité l'attention de la
sphère médicale au XIXème siècle, il
nous faut dire quelques mots du contexte médical de l'époque.
Cela nous permettra également de comprendre pourquoi l'anorexie a
d'abord été qualifiée
d' « hystérique » avant de devenir
« mentale ». Enfin, toujours dans l'optique de mettre
à jour les liens éventuels de cette maladie avec la
représentation du corps de la femme, nous évoquerons rapidement
les grands courants artistiques qui ont marqué le
XIXème siècle.
1. L'essor de la
médecine comme science
a) Les grandes découvertes
Le XIXème siècle est le siècle
de l'entrée de l'anorexie dans le champ médical. Ce passage du
religieux au médical ne peut se comprendre sans un bref rappel du
contexte scientifique de l'époque. Le XIXème
siècle est considéré comme un tournant dans beaucoup de
domaines : progrès scientifiques, essor économique et
industriel de la France... La dynamique de connaissances engendrée par
les humanistes se poursuit : la connaissance de l'homme avance notamment
grâce aux progrès techniques qui mettent à disposition des
savants et des scientifiques des instruments plus adaptés à une
connaissance en profondeur. La médecine est un des domaines qui
bénéficie le plus de ce progrès technique grâce
auquel de grandes découvertes ont été faites comme
l'anesthésie générale, la radiologie, l'invention du
stéthoscope... Ces innovations permettent aux médecins de mieux
diagnostiquer les maladies et de trouver des traitements plus adaptés.
Les avancées dans la connaissance des pathologies ainsi que l'esprit
classificatoire de l'époque vont permettre la naissance de
différentes disciplines médicales. Ainsi, « la
tendance initiale dominante a été d'imaginer, de mettre en
oeuvre, puis de développer des moyens objectifs d'examen et d'en
confronter les résultats avec les constatations anatomiques
correspondantes pour définir et classer les différentes
maladies ». Parmi les disciplines nées au
XIXème siècle nous pouvons citer : la neurologie,
l'endocrinologie, la rhumatologie, la microbiologie....
Ces progrès médicaux s'accompagnent du
développement d'une littérature scientifique
spécialisée (journaux, magazines...) dans laquelle les
médecins font part de leurs découvertes et de leurs
avancées. Cette presse spécialisée a une audience
réduite du fait de sa spécificité mais un rayonnement
international : les articles français sont traduits en Angleterre
notamment. Ainsi, les progrès médicaux, les hypothèses
étiologiques (car bon nombre de maladies étaient encore
inconnues) et les conseils thérapeutiques sont le fruit d'une
collaboration internationale. Nous verrons plus loin le rôle qu'a
joué la presse médicale dans le diagnostic de l'anorexie comme
pathologie.
b) Le siècle des maladies mentales
Si de nombreuses disciplines naissent au
XIXème siècle, c'est celle des maladies mentales qui
domine largement, d'où l'appellation siècle des névroses
pour désigner le XIXème siècle. Les
névroses sont des « affections
caractérisées par des conflits qui inhibent les conduites
sociales et qui s'accompagnent d'une conscience pénible des
troubles » et « suivant la prédominance de
tel ou tel symptôme, on distingue l'hystérie, l'hystérie
(ou névrose) d'angoisse, la névrose obsessionnelle et la
névrose phobique »73(*). L'hystérie est la névrose qui a retenu
le plus l'attention des médecins à cette époque. Elle se
définit comme une « névrose
caractérisée par la traduction dans le langage du corps des
conflits psychiques (manifestation de conversion) et par un type particulier de
personnalité marquée par le théâtralisme, la
dépendance et la manipulation de l'entourage »74(*). Cette pathologie n'est pas
spécifique au XIXème siècle puisqu'elle
existait déjà dans l'Antiquité. Hippocrate l'avait alors
décrite comme la maladie propre aux femmes privées de relations
sexuelles. Au Moyen Âge, les hystériques sont
considérées comme possédées par le Diable.
L'augmentation du nombre de femmes affectées par cette maladie et son
caractère particulièrement démonstratif explique
l'intérêt que les médecins lui portent au
XIXème siècle.
Cette maladie les laisse quelque peu perplexe car si toutes
les patientes sont des jeunes femmes, les symptômes qu'elles
présentent sont tellement différents qu'il est impossible de
classer cette pathologie. Charles Lasègue et Pierre Briquet sont les
premiers à s'intéresser à l'hystérie, même si
aujourd'hui c'est plutôt le nom de Jean-Martin Charcot qui y est
associé. C. Lasègue fait entrer cette pathologie dans le champ
des maladies mentales et pense de cette maladie qu'elle est
indéfinissable tant la variété des symptômes est
étendue, et l'évolution imprévisible. P. Briquet ira plus
loin en lui attribuant une origine nerveuse. En 1870, J.-M. Charcot se penche
à son tour sur cette maladie et la classe dans les affections du
système nerveux. Cependant, malgré cet effort classificatoire,
l'hystérie reste entourée d'un profond mystère et J.-M.
Charcot dira lui-même à la fin de sa vie que « la
notion d'hystérie telle que la concevait la Salpêtrière
était caduque et devait être
révisée »75(*). Les dernières leçons de J.-M. Charcot
laissent penser qu'il s'est tourné vers une hypothèse
psychologique. La compréhension de l'hystérie ne s'arrête
pas à la mort de J.-M. Charcot : Sigmund Freud et Pierre Janet
prennent le relais et explorent d'autres hypothèses étiologiques.
S. Freud montre que l'hystérie naît d'une confrontation entre des
souvenirs refoulés et la réalité. Nous n'entrerons pas
plus dans le détail de cette maladie qui ne concerne qu'indirectement
notre sujet. Le mystère de cette maladie, le nombre de femmes
affectées, la variété des symptômes permet de
comprendre pourquoi l'hystérie a concentré toutes les attentions
au XIXème siècle. Elle va occuper le devant de la
scène éclipsant les autres maladies ou les intégrant dans
son champ. En effet, l'étendue des symptômes était telle
que toutes les manifestations somatiques et psychiques avaient tendance
à être interprétée comme un symptôme
hystérique, ce qui explique pourquoi l'anorexie a été
qualifiée d'anorexie hystérique pendant plusieurs années.
Ce rappel historique du contexte médical au
XIXème siècle nous permet de mettre trois
choses en évidence : d'une part, la qualification de l'anorexie
comme entité clinique ne pouvait se faire avant le
XIXème siècle puisqu'elle nécessitait des
connaissances étiologiques qui n'existaient pas encore. Ensuite, c'est
au XIXème siècle que la femme et son corps deviennent
l'objet de préoccupation médicale alors qu'au Moyen Âge, le
corps, assimilé à la tentation et au péché, ne
justifiait aucune attention. Enfin, l'importance accordée à
l'hystérie permet de comprendre pourquoi il faut attendre le
XXème siècle pour que l'anorexie devienne une
identité clinique distincte.
2. Les
représentations du corps féminin dans l'art
a) Les principaux courants du
XIXème siècle
Au XIXème siècle, l'assimilation de
la femme au péché et à la tentation est
définitivement abandonnée, désormais c'est la
beauté, la séduction (dans une acception positive) et l'amour que
symbolise la femme. Le XIXème siècle est l'un des
siècles au cours duquel la peinture a été la plus
variée. Jacques Thuillier distingue trois courants principaux qui ont
marqué la scène artistique. Le premier est sans doute le courant
dominant, il s'agit de la peinture d'histoire dont Jacques Louis David,
Théodore Géricault et Eugène Delacroix sont les principaux
représentants. Les scènes de guerre, les événements
historiques constituent les sujets phares de ces peintres qui s'inspirent aussi
de la mythologie. La représentation de la femme n'est pas au coeur de
leur travail. A côté de ce courant principal, J. Thuillier
distingue la peinture symbolique, un mouvement plus diffus. Ces
représentants sont à la recherche de la simplicité et
peignent parfois des tableaux en lien avec le religieux. C'est dans ce courant
qu'il classe Jean-Auguste Dominique Ingres, que d'autres considèrent
comme un néoclassique. Le troisième courant correspond
« à l'étude passionnée de la nature au sens
large »76(*) et inclut le réalisme et l'impressionnisme. Si
les paysages constituent le thème principal de ces artistes, ils
s'attachent aussi à représenter le quotidien de façon la
plus réaliste et la plus minutieuse possible. L'Ecole de Barbizon,
Jean-François Millet (814-1875), Gustave Courbet (1819-1877), Claude
Monet (1840-1926), Auguste Renoir (1841-1919) pour n'en citer que quelques uns,
appartiennent à cette tendance artistique. Les sujets de leur peinture
sont souvent des paysages dans lesquels ils s'efforcent de capter la
lumière et ses changements. Cependant, la femme n'est pas un
thème tabou et plusieurs artistes vont s'intéresser au nu
toujours avec le souci de mettre l'accent sur la lumière.
La femme n'est pas un thème particulièrement
privilégié par la peinture du XIXème
siècle cependant, les artistes poursuivent la tendance inaugurée
aux siècles précédents puisqu'ils ne se refusent pas
à peindre la femme nue.
b) La femme dans les tableaux de
Jean-Auguste Dominique Ingres
Nous avons choisi de nous attarder sur quelques tableaux de
Jean-Auguste Dominique Ingres afin de comprendre comment la femme était
représentée dans la peinture du XIXème
siècle, car c'est l'un des artistes qui s'est le plus
intéressé au corps de la femme. De nombreux tableaux pourraient
être cités en exemple cependant, nous n'en retiendrons que
quelques uns pour illustrer la représentation de la femme.
Les tableaux de Jean-Auguste Dominique Ingres (1780-1867)
comme La Grande Odalisque (1814), Le Bain turc (1862) ou
encore Vénus Anadyomène (1808-1848) sont
particulièrement représentatifs de la vision néo-classique
de la femme et illustrent la recherche d'un idéal de perfection (cf.
Annexes n°4, n°5 et n°6). La Vénus
Anadyomène77(*) symbolise la pureté et la beauté
idéale, valeurs de l'art néo-classiques. La beauté nous
est d'abord suggérée par le corps de la femme, mais elle est
aussi symbolisée par le miroir que tient le petit ange à
gauche78(*) et l'arc du
petit ange à droite dont les flèches « sont une
allusion à la beauté qui frappe le coeur des
amoureux »79(*). Dans Le Bain turc, le corps des femmes est
représentée d'une façon identique et symbolise la
perfection. Enfin, dans La Grande Odalisque, nous pouvons voir que le
peintre accorde une place très importante à la couleur mais
au-delà de la technique picturale c'est encore la perfection que
symbolisent le visage et le corps de la femme. Nous pouvons remarquer qu'il
n'y a pas de profondeur dans l'expression des sujets, que les modèles
n'ont pas de personnalité propre car ce qu'Ingres recherche ce n'est pas
la représentation d'un caractère, d'une personnalité mais
la représentation d'un corps féminin idéal. Le peintre n'a
pas seulement peint la femme nue, il s'est aussi consacré au
portrait80(*). Toutefois,
que la femme incarne une déesse ou une personne de la haute
société, elle possède un corps parfait et bien en chair.
Ingres poursuit bel et bien la tendance inaugurée par les peintres du
XVIIIème siècle car ses « nus
féminins [...] représentent l'aboutissement de ses recherches
formelles, qui cherchent à exprimer la pure beauté
idéale 81(*)».
L'analyse de ces quelques tableaux nous révèlent
que la peinture du XIXème siècle véhicule elle
aussi une représentation de la femme considérée comme
idéale. Pour les peintres, mais également pour la
société, la femme doit avoir des formes arrondies, ce que Balzac
confirme dans sa Théorie de la démarche en
écrivant « la grâce veut les formes
rondes »82(*). Ces quelques lignes consacrées à la
représentation de la femme sont essentielles pour comprendre l'influence
que peut jouer le contexte socioculturel dans le déclenchement de
l'anorexie qui va être considérée comme une entité
clinique au XIXème siècle, une période
où la minceur est loin d'être valorisée. Il faut attendre
la fin du XIXème pour que naisse le mouvement du culte de la
minceur dans les couches les plus aisées de la population. Le corps
devient alors un objet de mesure comme l'illustre cette citation :
« côté mode l'obsession du tour de taille devient
affaire de centimètres : les firmes des corsets pour vanter des
bustiers qui garrottent encore plus impitoyablement la femme, arguent non sans
toupet des proportions de la statuaire grecque »83(*).
Le XIXème siècle est celui de l'essor
de la médecine qui devient une science à part entière.
L'hystérie et plus généralement les maladies mentales sont
le centre de toutes les attentions ce qui va nous permettre de comprendre
pourquoi l'anorexie est qualifiée au début
d' « hystérique ». En ce qui concerne les
normes corporelles, nous venons de montrer que le culte de la minceur n'est pas
encore à l'ordre du jour, soulignant là encore que les
comportements anorexiques ne semblent pas liés aux
représentations qui circulent à une époque donnée.
Après avoir présenté ce contexte médical et
artistique du XIXème siècle, attachons nous à
ce qui constitue le coeur de notre sujet, à savoir la naissance de
l'anorexie en tant que pathologie.
B. Les pères
« fondateurs » de l'anorexie
Deux médecins sont généralement
considérés comme les pères
« fondateurs » de l'anorexie car ce sont les premiers
à avoir écrit une description clinique très minutieuse de
la maladie. Ils évoquent ses origines éventuelles, ses
symptômes et tentent de trouver un traitement. Avant d'aborder plus en
détail ces deux descriptions, il est important de préciser que
cette pathologie a été mentionnée pour la première
fois en 1859 par Louis Victor Marce, un docteur français surnommé
par Silverman « l'oublié de
l'anorexie »84(*). En effet, le 31 octobre 1859, ce médecin lit
une communication intitulée Note sur une forme de délire
hypocondriaque consécutive aux dyspepsies et caractérisée
principalement par le refus d'aliments, devant la Société
Médico-psychologique. Il y décrit l'anorexie en se basant sur ses
propres observations. La même année, aux Etats-Unis, William Stout
Chipley, un médecin chef de l'asile de Kentucky, écrit un article
sur la sitomania, définie comme une crainte intense de manger
et qui serait un symptôme secondaire des maladies mentales. Ces deux
publications sont considérées par Henry Edouard Janas comme la
« préhistoire de l'anorexie mentale » et
« vont inaugurer l'ère pendant laquelle ce nouveau
phénomène médical recevra une labellisation diagnostique
formelle »85(*). Ainsi, il date la naissance de l'anorexie en 1859,
année où ce phénomène nouveau commence à
interpeller le champ médical. Cependant, nous nous intéresserons
uniquement aux descriptions de C. Lasègue et W. Gull qui sont
considérés comme les pères fondateurs de l'anorexie et qui
vont ouvrir la voie à deux courants thérapeutiques distincts.
1. Charles
Lasègue : fondateur d'une conception psychique de l'anorexie
a) Quelques éléments biographiques
Avant d'aborder la description que fait C. Lasègue de
l'anorexie, il est intéressant d'évoquer quelques
éléments biographiques qui éclairent son approche de la
maladie. La carrière de C. Lasègue
est « représentative de la grande tradition
psychiatrique française du XIXème
siècle »86(*). Cette carrière peut être divisée
en trois moments : la première période se caractérise
par son intérêt pour la psychologie : il écrit les
Annales médico-psychologiques ainsi que des articles sur la
thérapeutique mentale. La deuxième partie de sa carrière
est plutôt tournée vers la psychiatrie. Il occupe successivement
les postes d'inspecteur général adjoint des Maisons
d'Aliénés, de médecin du dépôt spécial
de la préfecture de police et d'expert médico-légal. Ce
dernier poste est relativement important car la mission de C. Lasègue
consistait à « déterminer le début des
désordres mentaux et la fin de la
responsabilité »87(*). Il apprend ainsi à observer les patients de
façon très précise, précision qui se retrouve dans
sa description de l'anorexie. Il faut noter qu'à cette époque, la
fonction d'un psychiatre différait de celle que nous lui connaissons
aujourd'hui. Au XIXème siècle, le psychiatre n'a pas
pour fonction de soigner mais de « fournir un certificat
légitimant la mesure d'internement »88(*) et de ce fait
« d'observer les aliénés, de décrire et de
classer leurs symptômes afin de les regrouper et de constituer une
entité nosologique »89(*). La troisième période de sa
carrière s'ouvre avec sa nomination comme professeur de pathologie
générale en 1867. En 1869, il est nommé à la chaire
de clinique médicale à la Pitié qu'il occupe
jusqu'à sa mort en 1883. Pour couronner sa carrière, il est
élu à l'Académie de Médecine en 1876.
Ses expériences dans le domaine psychologique,
psychiatrique et somatique permettent de comprendre la richesse de sa
description de l'anorexie qu'il écrit en 1873. En outre, pendant trente
ans, il occupe le poste de rédacteur en chef de la prestigieuse revue
Archives générales de Médecine dans laquelle il
publie la plus grande partie de ses travaux. Une
« tribune » qui lui permet de
« servir ses idées et [de] modeler
l'opinion »90(*).
b) Une description de l'anorexie en trois phases
C. Lasègue jette les bases de l'anorexie dans une
monographie publiée en avril 1873 : De l'anorexie
hystérique dans les Archives générales de
Médecine. Son objectif initial est de comprendre le fonctionnement
de l'hystérie. Il adopte une méthode réductionniste
c'est-à-dire qu'il divise cette affection en plusieurs parties afin de
les étudier successivement, l'anorexie constituant l'une de ces parties
(d'où l'appellation anorexie hystérique). Il explique que son
« sentiment est qu'on ne parviendra pas à constituer
l'histoire des affections hystériques qu'en étudiant
isolément chacun des groupes symptomatiques. Après ce travail
préalable d'analyse, on réunira les fragments et on recomposera
le tout de la maladie. Envisagée dans son ensemble, l'hystérie a
trop de phénomènes individuels, d'incidents hasardeux, pour qu'on
arrive à en saisir le particulier dans le
général »91(*). Cette citation illustre la place qu'occupait
l'hystérie à cette époque comme nous l'avons
évoqué précédemment. La démonstration de C.
Lasègue s'appuie sur l'observation de huit cas concrets et lui permet de
fournir une description relativement détaillée. Il distingue
trois phases dans l'évolution de la maladie. Il parle de l'anorexie
hystérique comme d'une double perversion (perversion du système
nerveux central et perversion du sens moral) qui se retrouve aux
différents stades de la maladie.
Au début, les patientes refusent de s'alimenter
prétextant des douleurs gastriques. Voici la description que fait C.
Lasègue de ce premier stade de la maladie :
« L'hystérique, après quelques
indécisions de courte durée, n'hésite pas à
affirmer que la seule chance de soulagement qui lui soit acquise consiste dans
l'abstention des aliments [...]. La répugnance à s'alimenter suit
sa marche lentement progressive [...]. Les choses se prolongent ainsi pendant
des semaines et des mois, sans que la santé générale
paraisse défavorablement influencée, la langue est nette et
fraîche, la soif nulle. La constipation persévérante
cède à de légers laxatifs, le ventre ne se rétracte
pas, le sommeil reste plus ou moins régulier. Il n' y pas
d'amaigrissement quoique la nourriture représente à peine le
dixième du régime accoutumé de la malade [...]. Un autre
fait également acquis, c'est que loin d'abattre les forces musculaires,
la diminution de la nourriture tend à accroître l'aptitude au
mouvement. La malade continue à se sentir plus active, plus
légère, elle monte à cheval, elle entreprend de longues
courses à pied, elle reçoit et rend des visites, et mène
au besoin une vie mondaine fatigante, sans accuser les lassitudes dont elle se
serait plainte autrefois »92(*).
Cette description appelle plusieurs remarques. La jeune fille
est qualifiée
d' « hystérique », ce qui montre que
l'anorexie est bel et bien pensée comme une forme
d'hystérie ; puis de
« malade » ce qui signifie qu'elle est
affectée par un trouble qu'il faut comprendre puis traiter.
L' « anorexie » n'appartient plus au champ de la
religion, la jeune fille passe des mains des ecclésiastiques à
celles de médecins. D'autre part, les symptômes
énumérés tels que le refus de s'alimenter, la restriction
alimentaire ou encore l'hyperactivité (même si elle n'est pas
mentionnée explicitement c'est bien cela que C. Lasègue
décrit) se retrouvent à l'identique chez les jeunes filles
anorexiques aujourd'hui.
La seconde phase de la maladie correspond au moment où
il est possible de parler d'anorexie hystérique car la perversion
mentale apparaît. En effet, la jeune fille poursuit sa restriction
alimentaire alors que son état de santé est bon, son comportement
est donc anormal. Voici ce que C. Lasègue écrit :
« Après plusieurs mois [...] va se
dessiner la perversion morale, qui à elle seule est presque
caractéristique et qui justifie le nom que j'ai proposé faute de
mieux d'anorexie hystérique. La famille n'a à son service que
deux méthodes qu'elle épuise toujours : prier ou menacer, et
qui servent l'une et l'autre comme pierre de touche [...]. L'excès
d'insistance appelle un excès de
résistance »93(*).
Cette citation révèle que déjà
à l'époque de C. Lasègue, le comportement de la jeune
fille suscitait des réactions et plaçait la famille dans une
situation délicate. Au cours de cette seconde phase de la maladie, C.
Lasègue se focalise sur l'état mental de ses patientes,
l'anorexie est donc déjà en partie constituée comme une
maladie mentale même si le terme « anorexie
mentale » n'apparaîtra que dix ans plus tard sous la plume
de Charles Huchard. C. Lasègue justifie cet intérêt pour le
mental, qui peut surprendre à une époque où les maladies
étaient essentiellement expliquées par des causes
organiques :
« Si j'attache à l'état mental une
attention toute particulière, c'est que toute la maladie se
résume à cette perversion intellectuelle : supprimez
là vous avez une affection banale destinée à céder
à la longue aux procédés classiques de traitement [...].
Pendant cette seconde période ainsi constituée :
défaut d'appétition, crainte d'une sensation indéfinie,
refus absolu et croissant de se prêter aux essais de l'alimentation, la
maladie reste uniforme. L'obstination dure des mois, sinon des années
[...]. A la fin, la tolérance de l'économie, si merveilleuse
qu'elle soit chez les hystériques, s'épuise et la maladie entre
dans le troisième stade »94(*).
Là aussi, la description du comportement de
l'hystérique met en avant certaines caractéristiques que nous
retrouvons aujourd'hui chez les adolescentes anorexiques comme l'obstination et
la résistance au traitement. Nous comprenons également pourquoi
C. Lasègue est considéré comme le père fondateur de
l'anorexie : il a réussi à cerner le point central de cette
maladie, « la perversion intellectuelle ». Cet
état mental entraîne un dégoût pour la nourriture et
une obstination sans faille.
Le troisième stade est celui où la patiente
devient réellement malade. Ne disposant pas de précisions sur
cette période de la maladie, nous pouvons supposer que par le terme
« réellement malade » C. Lasègue faisait
allusion aux conséquences engendrées par la restriction
alimentaire.
Cette description de l'anorexie illustre les trois moments de
la carrière de C. Lasègue : le premier stade est somatique,
le second mental et le dernier allie les deux. Il est indéniable que la
richesse et la justesse de cette monographie sont en partie dues à
l'expérience de C. Lasègue dans les diverses
spécialités de la médecine. Ce texte est une
référence incontournable dans l'histoire de l'anorexie mentale
même si certains critères de l'anorexie, que nous connaissons
aujourd'hui, n'apparaissent pas encore (par exemple
l'aménorrhée). A. Guillemot et M. Lacenaire pensent
qu'« il semble que ce soit le premier à pouvoir
répondre sans équivoque au terme d'anorexie mentale, même
si le contexte socioculturel de l'époque incitait les malades comme les
médecins, à s'orienter plutôt vers l'hystérie. Il
existait donc de vraies anorexiques mentales à la fin du
XIXème siècle, même si les psychiatres, faute de
cadre nosologique actuel, ne les définissaient pas comme
telles »95(*). En effet, à cette époque, le cadre
nosologique était très limité puisque peu de maladies
étaient connues. L'hystérie, dont les symptômes
étaient très variés, était difficilement classable
ou rattachable à une catégorie. La compréhension d'une
maladie est donc intimement liée au contexte médical et
culturel.
c) Le traitement thérapeutique est
« occulté »
Outre une description minutieuse de la maladie, C.
Lasègue évoque également l'attitude que doivent adopter
les médecins. C'est pourquoi, son texte est considéré
comme ayant un but didactique : « La seule conduite sage est
d'observer, de se taire et de se rappeler que, quand l'inanition volontaire
date de plusieurs semaines, elle est devenue un état pathologique
à longue échéance »96(*). Ce conseil peut nous
paraître surprenant car le rôle d'un médecin est avant tout
de soigner son patient mais il reflète l'incompréhension et
l'impuissance des professionnels confrontés à l'anorexie à
cette époque. Cette citation nous rappelle également la mission
que C. Lasègue a remplie pendant plusieurs années : observer
et décrire le comportement de ses patients.
Les attitudes des anorexiques face aux thérapeutes sont
décrites en ces termes : « deux directions s'ouvrent
alors devant la malade : ou elle est assez détendue pour devenir
obéissante sans restriction et c'est le cas le plus rare, ou elle
accède à une demi docilité avec l'espérance
évidente qu'elle conjurera le péril sans renoncer à ses
idées et peut-être à l'intérêt qu'inspire sa
maladie. Cette seconde tendance est de beaucoup la plus commune complique
énormément la situation »97(*). Il est intéressant de
noter que C. Lasègue insiste sur un problème auquel les
médecins sont encore confrontés aujourd'hui. Il est en effet
très rare que la malade accepte d'emblée le traitement qui lui
est proposé. La plupart du temps, elle résiste ou fait mine de
coopérer et reperd du poids à la sortie de l'hôpital.
D'après nos sources, C. Lasègue ne préconise pas de
traitement précis mais se contente de donner des conseils sur l'attitude
à adopter face à une patiente anorexique. Peut-être
l'absence d'un éventuel traitement thérapeutique est-elle due
à la méconnaissance de la maladie et à
l'expérience de C. Lasègue qui a surtout été
habitué à diagnostiquer les pathologies mais pas à
définir un traitement.
Nous pouvons faire deux remarques par rapport à la
description de l'anorexie faite par C. Lasègue. Il préconise au
médecin de ne pas intervenir et de ne pas user de son
autorité ; une recommandation qui ne sera guère suivie par
ses contemporains puisque l'isolement est rapidement préconisé
comme le traitement thérapeutique privilégié de
l'anorexie. Le prestige de C. Lasègue n'a donc pas eu d'influence sur le
choix du traitement et chaque médecin agit selon ses convictions.
Ensuite, une des spécificités de son approche de l'anorexie
réside dans le rôle attribué à l'entourage dans la
prise en charge de la maladie. Il utilise les termes de
« milieu » ou
« entourage »98(*) pour désigner les parents mais aussi les amis
et les médecins. Il insiste sur l'attention que le médecin doit
porter à l'entourage : pour comprendre la maladie il ne faut en
aucun cas se limiter à l'étude de la pathologie et de ses
symptômes mais prendre en compte l'entourage. Il justifie cette approche
médicale en ces termes : « qu'on ne s'étonne
pas de me voir [...] mettre toujours en parallèle l'état morbide
de l'hystérique et les préoccupations de son entourage. Ces deux
termes sont solidaires et on aurait une notion erronée de la maladie en
bornant l'examen à la malade »99(*). A l'inverse de Charcot ou S.
Freud qui conçoivent la famille comme un milieu pathogène duquel
il faut retirer le patient, C. Lasègue s'intéresse à
l'attitude des parents face à leur enfant malade sans porter de jugement
moral. Le rôle de l'entourage, malgré les préconisations de
C. Lasègue, fut lui aussi occulté par ses contemporains. Il faut
attendre le milieu du XXème siècle pour que les
parents soient à nouveau associés au processus de guérison
et considéré comme un élément indispensable. Enfin,
il considère que l'anorexie hystérique ne conduit pas à la
mort, probablement parce qu'aucune de ses patientes n'y a laissé la vie,
mais il reste tout de même pessimiste quant aux possibilités de
guérison : « si fondées que soient les
inquiétudes, je n'ai encore vu l'anorexie se terminer directement par la
mort... toujours les hystériques ont guéri plus ou moins
complètement après des années »100(*). Nous pouvons là
encore noter une similitude entre ses propos et ceux des médecins
aujourd'hui : la guérison n'est pas toujours totale et prend du
temps.
Force est de constater que la description que fait C.
Lasègue de l'anorexie, rejoint en plusieurs points ce que les
médecins continuent de constater aujourd'hui. Nous y reviendrons plus
précisément dans la seconde partie. L'absence de conseils
concernant la prise en charge thérapeutique peut aisément
s'expliquer : C. Lasègue est le premier médecin à
diagnostiquer cette maladie, il peut donc pas trouver de cas similaires dans la
littérature médicale, de médecins qui auraient
déjà été confrontés à cette
pathologie. Il lui revient donc d'émettre les premières
hypothèses et de donner les premiers conseils qui, comme nous l'avons
signalé, ne seront pas suivis. Il faut attendre quasiment un
siècle pour que les préceptes de C. Lasègue soient
redécouverts ce qui révèle l'évolution de la
compréhension de maladie. C'est grâce à l'avancement des
connaissances médicales, aux erreurs thérapeutiques et aux
hypothèses émises par le corps médical qu'a pu advenir la
représentation de la maladie que nous avons aujourd'hui.
2. William
Gull : le fondateur d'une conception organiciste de l'anorexie
a) Une description évolutive de la maladie
Sir William Withey Gull est le premier médecin anglais
à s'intéresser à l'anorexie. Il est encore peu connu
lorsqu'il lit au cours d'une réunion de la Medical British
Association, une communication intitulée The adress in medecine
delivered before the annual meeting of B. M. A. at Oxford en 1868. Cette
communication fut ensuite publiée dans le Lancet, un journal
médical réputé. Contrairement à C. Lasègue
qui n'a écrit qu'un ouvrage sur l'anorexie, W. Gull modifie sa
première description au fil du temps et de ses expériences. Nous
reviendrons sur ses trois communications successives qui reflètent le
« tâtonnement » des médecins face à une
pathologie encore mal connue. Dans sa première communication, en 1868,
il explique que les anorexiques « refusaient de manger alors
qu'elles étaient devenues très maigres »101(*). W. Gull nomme cette maladie
apepsia hysterica car il pense qu'elle est due à un
« défaut de sécrétion de la pepsine
gastrique »102(*) (d'où le terme apepsia) et qu'elle
n'affecte que des filles (d'où le qualificatif hystérique). Ce
sont les seules précisions dont nous disposons.
W. Gull fait une seconde communication devant la Medical
British Association en 1874 soit six ans après avoir
diagnostiqué l'apepsia hysterica. Il modifie son
interprétation puisqu'il abandonne l'hypothèse gastrique et
insiste sur le refus alimentaire, l'amaigrissement et
l'aménorrhée. Il fait part également des symptômes
annexes comme la faiblesse du pouls et la constipation. Logiquement, il
abandonne le terme d'apepsia hysterica au profit de celui
d'anorexia nervosa. Ce terme est toujours employé en
Angleterre et aux Etats-Unis pour désigner l'anorexie mentale. Il
justifie ce changement ainsi : « le défaut
d'appétit est, je crois, dû à un état mental
morbide. Que des états mentaux puissent supprimer l'appétit est
un fait établi et il sera admis que les jeunes femmes aux âges
donnés sont particulièrement exposées à la
perversion mentale »103(*). Cet état mental morbide serait dû
à « des troubles centraux
héréditaires » mais W. Gull ne fournit pas
d'explication plus détaillée. Il évoque la relation de la
jeune fille avec ses parents en disant que ces derniers sont
« ceux qui s'occupent le plus mal
d'elle »104(*). Ces citations appellent plusieurs remarques. D'une
part, les symptômes annexes que W. Gull mentionne sont effectivement des
conséquences de l'anorexie et sont caractéristiques d'un stade
assez grave de la maladie. D'autre part, il prend aussi en compte l'aspect
mental mais celui-ci reste un facteur secondaire alors que pour C.
Lasègue l'apparition de la perversion mentale caractérise une
étape spécifique de la maladie. C'est pourquoi nous pouvons dire
que W. Gull est le fondateur de la tradition organiciste, une tradition qui
attribue comme cause première à l'anorexie un trouble organique.
De plus le qualificatif
« héréditaires » sous-entend que
l'anorexie serait une maladie génétique, il ouvre ainsi la voie
à l'hypothèse d'une origine génétique de la
pathologie. L'analyse des discours de presse révèlera que
l'hypothèse organiciste est encore aujourd'hui défendue par des
médecins anglais. Enfin, contrairement à C. Lasègue, il
considère la famille comme un milieu pathogène, duquel doit
être retirée la malade. C'est cette conception de la famille qui
va prédominer pendant plusieurs années, y compris en France.
En 1888, il complète ses précédentes
communications en publiant un article dans le Lancet (cf. Annexe
n°1). Il y décrit le corps d'une de ses patientes. La
description est plus précise et basée sur l'observation d'une
adolescente âgée de quatorze ans. Il aborde des points qu'il
n'avait pas mentionnés auparavant tels que l'hyperactivité et le
traitement thérapeutique. Il ne préconise pas l'isolement mais
recommande la venue d'une infirmière à domicile qu'il conseille.
Enfin, il évoque la gravité de cette pathologie et
l'hypothèse que cette affection pourrait être
« liée à une perversion de
l'ego »105(*). Cette dernière hypothèse
déclenche une polémique au sein de la Medical British
Association, à laquelle le comité de rédaction de la
revue prend part. Lors de la publication suivante, il mentionne à
l'intention des lecteurs, qu'il ne faut pas prendre en compte
l'hypothèse de W. Gull sur la perversion de l'ego ; en revanche,
l'hypothèse évoquée lors de sa première
communication est tout à fait crédible. Le comité de
rédaction du Lancet n'est pas le seul à répondre
à W. Gull. Plusieurs médecins britanniques s'opposent aussi
à cette idée de la perversion de l'ego comme De Berdt Hovell,
James Adam, S. Mackenzie, W. S. Playfair106(*)... Le débat sur les origines de l'anorexie ne
se déroule donc pas uniquement entre deux pays, deux conceptions de la
médecine mais également au sein d'une même
communauté. Si W. Gull n'a pas été entendu par ses
contemporains, son hypothèse sera reprise plusieurs dizaines
d'années plus tard par le courant psychanalytique de l'anorexie. En
effet, ce qu'il nomme « perversion de
l'ego » renvoie à la conception de l'anorexie comme
maladie du narcissisme, une idée défendue aujourd'hui par les
psychanalystes. (cf. infra partie 2, II. A)).
b) Le conflit entre W. Gull/ C. Lasègue
La question de savoir qui de C. Lasègue ou W. Gull a
été le premier à décrire l'anorexie n'a pas
beaucoup d'importance pour nous ici. Ce qui est intéressant dans ce
conflit, est qu'il a alimenté les pages des publications scientifiques
pendant un certain temps, chacun défendant l'un ou l'autre des
« fondateurs » de l'anorexie. Les publications
scientifiques étaient donc le support de cette bataille. Il est
intéressant de préciser qu'en septembre 1873, le texte de C.
Lasègue a été traduit en anglais dans une revue107(*), soit quelques semaines
avant que W. Gull ne fasse part de sa seconde communication sur l'anorexie.
Certains auteurs comme Henry Edouard Janas évoque la possible influence
de C. Lasègue sur W. Gull. Ce dernier aurait été
incité à parler d'anorexia nervosa et non plus
d'apepsia hysterica. W. Gull a revendiqué la
paternité de la description de l'anorexie et a répondu à
C. Lasègue dans un numéro du Lancet :
« le docteur Lasègue, de l'hôpital de la
Piété, à Paris, a publié en avril dernier des
remarques sur cet état, qu'il désigne aussi sous le terme
d'anorexia hysterica. Le docteur Lasègue semble
n'avoir pas connu la description de cette affection morbide faite par l'auteur
de cette communication à l'époque indiquée plus haut
»108(*).
L'auteur de la communication étant W. Gull lui-même. Il est vrai
que chronologiquement la première publication du médecin anglais
paraît avant celle de C. Lasègue, une antériorité
qui pourrait laisser penser que W. Gull est bien le père
« fondateur » de l'anorexie. Cependant, au regard des
descriptions que nous avons mentionnées, la première
hypothèse de W. Gull s'est révélée être
fausse tandis que la description du psychiatre français se rapprochait
beaucoup plus de la réalité d'aujourd'hui. Au-delà de ce
conflit de paternité, cette querelle reflète l'incertitude des
médecins concernant cette nouvelle pathologie et a donné
naissance à deux courants d'interprétation de l'anorexie qui
existent encore aujourd'hui.
Si le terme d'anorexie apparaît pour la première
fois en 1859, ce n'est qu'à partir de 1873 que cette pathologie entre
définitivement dans le champ médical. Henry Edouard Janas
écrit que C. Lasègue « inaugure un esprit
débarrassé de croyances et lance le mouvement de description
scientifique de cette affection »109(*). La religion n'est plus
invoquée comme modèle de compréhension des maladies et les
médecins se retrouvent face à de nouveaux champs de recherche, de
nouvelles pathologies à comprendre et à soigner. Les
débuts sont balbutiants comme le montre l'exemple de l'anorexie qui va
faire l'objet de diverses tentatives thérapeutiques.
C. Les tentatives thérapeutiques
de la fin du XIXème siècle : des tentatives pas toujours
fructueuses
Les descriptions de C. Lasègue et W. Gull marquent le
début d'une longue période de suppositions. Comme pour
l'hystérie, l'anorexie va devenir un sujet de recherche incontournable.
De nombreuses hypothèses vont être émises quant à
l'origine de cette affection, entraînant tout une diversité de
traitements. Peu à peu, J.-M. Charcot va imposer l'isolement comme la
méthode thérapeutique adaptée et S. Freud va tenter de
pratiquer l'hypnose, une technique utilisée pour soigner
l'hystérie.
1. Une multitude
d'hypothèses et de traitements thérapeutiques
a) De nombreux termes pour désigner une seule
pathologie
Un aperçu des termes qui ont été
proposés à la fin du XIXème siècle pour
qualifier l'anorexie reflète l'incertitude dans laquelle se trouvait la
médecine. En 1883, dans son ouvrage Traité des
névrosés, C. Huchard précise que
« l'anorexie est entretenue par un état mental particulier
sur lequel il est important de veiller [...]. A une maladie psychique, on doit
opposer un traitement psychique »110(*). C'est lui-même qui
emploie pour la première fois le terme « anorexie
mentale ». P. Sollier conteste cette dénomination et
propose celle de sitiergie hystérique (du
grec « je repousse les aliments ») dans son ouvrage
Les formes pathogéniques de l'anorexie hystérique. Il
fait la distinction entre l'anorexie primitive (« hystérie
monosymptomatique ») et l'anorexie secondaire (qui se
manifesterait dans d'autres névroses). Il est partisan de l'isolement
qu'il qualifie de « ressource
suprême »111(*). Toujours la même année,
Deniau écrit une thèse intitulée L'hystérie
gastrique et distingue l'anorexie gastrique de l'anorexie mentale. Dans le
premier cas, la patiente ne maigrit pas beaucoup et n'éprouve pas de
dégoût vis-à-vis de la nourriture contrairement à
l'anorexie mentale qui relève d'un trouble mental et non d'un trouble
digestif112(*). Outre
cette distinction, il insiste sur les rituels de ces jeunes filles :
« telle malade ne pouvait manger que la croûte du fromage,
telle autre ne pouvait prendre ses repas que debout, en portant son assiette de
meuble en meuble »113(*). Il est intéressant de noter que
cette observation est toujours d'actualité, nous reviendrons sur ces
rituels dans la seconde partie. Enfin, Régis propose le terme d'«
anorexie cachectique de la nubilité »114(*) mettant ainsi en valeur
l'influence de la puberté. Il pense que la maladie résulte de
troubles ovariens. J. Babinski parle d' « anorexie des
vierges » ou
« parthénoanorexie »115(*). Nous pourrions citer encore
bien d'autres exemples, tant les travaux sur l'anorexie ont été
nombreux à cette époque. Cependant, cet aperçu suffit
à rendre compte de la lutte dont faisait l'objet la qualification de
l'anorexie. Derrière la dénomination, c'est la définition
même de la maladie qui est en jeu et ces
« batailles » entre médecins qui se répondent
au travers de publications scientifiques, de travaux de recherche.
Henry Edouard Janas précise qu'à partir de 1883,
« l'anorexie mentale devient largement connue et
diagnostiquée comme une maladie spécifique d'origine psychique
sauf en Allemagne où Rosenthal la classe parmi les névroses de
l'estomac »116(*). Si l'anorexie est bien devenue mentale
comme C. Huchard l'a nommée, elle reste encore une maladie
mystérieuse. Cette méconnaissance se traduit par une
diversité de traitements assez surprenante qui relève parfois de
la simple expérimentation. Il faut attendre la seconde moitié du
XXème siècle pour que le traitement psychique que
préconisait C. Huchard soit reconnu comme indispensable par les
médecins et fasse partie intégrante de la thérapie.
b) Quelques exemples de traitements thérapeutiques
Nous avons déjà vu à la fin du
XVIIIème siècle, que les traitements auxquels avaient
recours les médecins pour tenter de remédier à
l'état cachectique de leurs patientes étaient très
variés et souvent inefficaces. Cette diversité subsiste à
la fin du XIXème siècle, d'autant plus que la
médecine n'est pas encore une science complètement
développée. Nous citerons quelques exemples de thérapies
qui ont été utilisées pour soigner les jeunes filles
anorexiques afin de mettre en relief cette diversité. En 1891,
Dujardin-Beaumetz écrit un livre sur les traitements
thérapeutiques et préconise pour les anorexies hystériques
l' « emploi courant de l'opium sous forme de vinaigre ou de
chlorhydrate de morphine »117(*) et si cela ne fonctionne pas il conseille d'utiliser
du chloroforme. D'autres posologies sont données : cocaïne en
solution, extrait gras de chanvre indien ou encore du condurango (extrait de
lianes)... Selon lui, « le praticien doit être aussi bon
cuisinier que médecin
expérimenté »118(*) ce qui laisse supposer que bien des
expérimentations ont dû être réalisées pour
essayer de guérir les anorexiques. Si la patiente s'obstine dans son
refus, il recommande le gavage ou l'électricité,
c'est-à-dire « une galvanisation bipolaire du
pneumogastrique droit par application d'une électrode positive en dehors
de l'extrémité interne de la clavicule, l'électrode
négative étant tenu dans la main du malade ».
L'électrothérapie est couramment utilisée à cette
époque : par exemple, J.-M. Charcot y a beaucoup recours. Cette
méthode thérapeutique fait même l'objet de l'un de ses
sujets de conférence en 1880. Pierre Babin explique que
« selon les courants employés, l'électricité
avait trois propriétés curatives : fortifier les tissus, en
stimuler la nutrition cellulaire, avoir une action sédative. L'emploi de
l'électrothérapie dans les affections
« nerveuses » étaient lié à une
conception organique des troubles de la pensée et des
émotions : il ne pouvait s'agir que de mauvaises conductions
à travers les voies nerveuses »119(*).
D'autres méthodes sont utilisées comme
l'hydrothérapie qui consiste en une douche à pression d'air,
c'est donc d'un traitement à base d'eau. Tout comme
l'électrothérapie, les formules sont variées et les
médecins n'ont que l'embarras du choix : bains prolongés,
douches à pression variable, verticales, en spirale, en jet...120(*). L'hôpital de la
Salpêtrière où exerçait J.-M. Charcot disposait de
ce type de dispositif ce qui laisse imaginer l'importance que ce traitement
avait à l'époque. H.-E. Janas évoque une série
d'auteurs qui ont décrit dans leurs ouvrages les techniques
employées pour guérir l'anorexie. Par exemple, Bouchard propose
« la méthode du tubage gastrique comme
thérapeutique à base de toute affection alimentaire quelle
qu'elle soit »121(*). Un traitement que nous pouvons apparenter
à la sonde gastrique utilisée aujourd'hui dans les cas d'anorexie
les plus graves. Enfin, en 1896, S. Dubois guérit une patiente
anorexique en lui faisant des injections hypodermiques de morphine, et il
recommande donc ce traitement dans un article Traitement de l'anorexie
hystérique par les injections hypodermiques de morphine122(*). Bien d'autres
traitements ont été proposés mais cet aperçu suffit
à comprendre l' « expérimentation » dont
faisait l'objet les anorexiques.
La majorité des traitements sont utilisés comme
des médicaments : les médecins attendent un effet
mécanique suite à la prise de la posologie (par exemple dans le
cas de l'opium ou de la morphine). L'anorexie est encore largement
perçue comme une pathologie de type organique : la patiente a des
symptômes qui révèlent un trouble fonctionnel ou une
lésion. Il suffit donc de trouver le traitement adapté pour
guérir ce trouble. Les médecins ne pensent pas encore, ou
très peu, à l'aspect psychologique de la maladie malgré
les écrits de C. Lasègue. C'est principalement J.-M. Charcot qui
va prendre en compte l'aspect mental et proposer une thérapeutique
psychique : l'isolement thérapeutique.
2. Jean-Martin
Charcot, l'initiateur de l'isolement
J.-M. Charcot est considéré comme le père
de l'isolement en tant que méthode thérapeutique dans l'anorexie
hystérique. H. E. Janas en donne la définition suivante :
l'isolement est un « élément passif mais
fondamental qui retire l'aliéné d'un milieu qui a causé et
entretient son trouble »123(*). Au début de sa carrière J.-M. Charcot
s'intéresse essentiellement aux maladies neurologiques puis se consacre
à la neuropsychiatrie et à l'hystérie. Il est donc
amené à soigner des patientes anorexiques puisque que cette
pathologie est considérée comme une forme d'hystérie. En
effet, « même si le qualificatif d'anorexie
hystérique a disparu sous l'impulsion de C. Huchard, le modèle de
compréhension reste l'hystérie »124(*). Si le nom de J.-M. Charcot
est souvent associé à l'hystérie, il n'en demeure pas
moins qu'il s'est intéressé de très près à
l'anorexie dont il se sert pour illustrer ses leçons sur les maladies
mentales au cours desquelles il effectue un tableau clinique de l'anorexique
puis se penche sur l'isolement comme méthode de soins chez les
anorexiques.
a) Un tableau clinique de l'anorexie
Afin de décrire l'anorexie et d'établir un
diagnostic, J.-M. Charcot se base, comme la plupart de ses
prédécesseurs, sur le cas d'une patiente qu'il a soignée.
Voici la description qu'il en fait :
« Il s'agissait d'une jeune fille
d'Angoulême, de treize ou quatorze ans qui avait considérablement
grandi depuis cinq ou six mois et qui, depuis ce moment, refusait
systématiquement toute nourriture, bien qu'il n'existât chez elle
aucun trouble de déglutition, aucun désordre gastrique.
C'était là un de ces cas qui confinent à
l'hystérie, mais qui ne lui appartiennent pas en propre, et qui ont
été si admirablement décrits par C. Lasègue en
France et W. Gull en Angleterre, sous le nom d'anorexie nerveuse ou d'anorexie
hystérique »125(*).
Nous remarquons l'influence de C. Lasègue quand J.-M.
Charcot évoque l'absence de trouble gastrique. C'est aujourd'hui encore
le premier point auquel s'intéressent les médecins : il faut
éliminer toute possibilité de trouble organique avant de
diagnostiquer l'anorexie, Le cas présenté ici est celui d'une
adolescente qui devient anorexique au moment de la puberté. En utilisant
le terme « confinent », J.-M. Charcot semble
conscient que le lien entre anorexie et hystérie n'est pas si
évident que cela. Toutes les hystériques n'étant pas
anorexiques, l'anorexie ne serait peut-être pas un symptôme de
l'hystérie mais une maladie à part entière. J.-M. Charcot
introduit une nouveauté dans le tableau clinique de l'anorexie qui
n'apparaît pas dans cette description. Il est le premier à
évoquer la phobie du poids, qui sera ensuite reprise par Janet et
« constitue un élément central de la
compréhension de la psychopathologie de
l'anorexie »126(*). Effectivement, la peur de grossir est constante
chez l'anorexique et est considérée comme l'un des
critères de diagnostic de la maladie (cf. infra partie 2, I. A) 1)).
Enfin, contrairement à C. Lasègue, il considère que
l'anorexie peut être mortelle et écrit que « la
terminaison fatale est là menaçante, et je connais pour ma part
au moins quatre cas où elle est survenue »127(*).
b) L'isolement dans un établissement
hydrothérapique
Sollicité par les parents de la jeune fille, J.-M.
Charcot leur conseille de placer l'adolescente dans un établissement
hydrothérapique à Paris pour qu'elle guérisse. Comme nous
l'avons mentionné, le traitement à base d'eau était
relativement courant à cette époque. Les anorexiques
n'étaient pas placées dans des asiles mais dans des
établissements spécialisés dans l'hydrothérapie et
tenus par des religieuses. J.-M. Charcot décrit le traitement qui y
était administré aux anorexiques hystériques :
« Les malades sont placés sous la
direction de personnes compétentes et expérimentées :
ce sont habituellement des religieuses devenues par une longue pratique
généralement très expertes dans le maniement de ce genre
de malades. Une main bienveillante mais ferme, beaucoup de calme et de patience
sont ici les conditions indispensables. Les parents sont
systématiquement éloignés jusqu'au jour où, une
notable amélioration s'étant montrée, on permet aux
malades, à titre de récompense, de les voir, d'abord à
intervalles éloignés, puis de plus en plus rapprochés,
à mesure que la guérison s'accentue. Le temps et
l'hydrothérapie, sans compter la médication intérieure,
font le reste »128(*).
La façon dont doivent se comporter les religieuses
n'est pas sans rappeler les conseils de C. Lasègue : patience et
calme. Cependant, J.-M. Charcot semble plus entreprenant dans le
traitement : la main bienveillante mais ferme laisse penser que les
religieuses usaient de leur autorité pour se faire obéir. Nous
pouvons relever un point commun avec les descriptions précédentes
mais également un aspect novateur. Comme W. Gull, J.-M. Charcot
délègue le soin de guérir les patientes à une
tierce personne, à la différence près que W. Gull
s'adressait à des nurses et J.-M. Charcot à des religieuses. Leur
présence dans un hôpital est fréquente à
l'époque. Cependant, J.-M. Charcot se distingue des traitements qui
avaient été conseillés auparavant en introduisant
l'hydrothérapie (les textes ne disent pas si ce mode de traitement
était efficace pour les anorexiques hystériques) et
l'éloignement parental : l'isolement est constitué et sera
pratiqué jusque dans les années soixante-dix. Nous pouvons noter
que déjà J.-M. Charcot pratique le procédé de la
« récompense » à la base de ce mode
de thérapie.
Le traitement échoue car l'état de la jeune
fille empire mais J.-M. Charcot apprend que ses parents n'ont pas
respecté la règle de l'éloignement et se sont
installés près de l'établissement où était
soignée leur fille. Persuadé que le mal réside dans la
présence des parents, J.-M. Charcot les prient de s'éloigner au
plus vite ou au moins de faire en sorte que leur fille ne les sache pas si
près. Effectivement, peu de temps après ce nouvel
éloignement, la jeune malade guérit car
« l'isolement était constitué : ses
résultats furent rapides et merveilleux [...]. On fit alors intervenir
l'hydrothérapie et, après deux mois [...] elle pouvait être
considérée comme presque complètement
guérie »129(*). L'isolement ne consiste donc pas
simplement à être séparé de sa famille, à
n'avoir aucun contact avec elle. Il doit aussi s'accompagner d'un
éloignement effectif des parents. Cette séparation physique ne
doit pas laisser penser que le traitement thérapeutique de l'anorexie
hystérique est un traitement uniquement physique. J.-M. Charcot a
beaucoup insisté sur le facteur psychique induit par l'isolement qui est
en réalité le facteur le plus important. Ainsi, au cours d'une
leçon consacrée à cette « nouvelle »
thérapie, il tient les propos suivants :
« Je ne saurais trop insister devant vous sur
l'importance capitale que j'attache à l'isolement dans le traitement de
l'hystérie, où, sans contestation possible,
l'élément psychique joue dans la plupart des cas un rôle
considérable quand il n'est pas prédominant. Il y a près
de quinze ans que je suis fermement attaché à cette doctrine, et,
tout ce que j'ai vu depuis quinze ans, tout ce que je vois journellement, ne
fait que me confirmer de plus en plus dans mon opinion. Oui, il faut
séparer les enfants, les adultes, de leur père et de leur
mère dont l'influence, l'expérience le démontre, est
particulièrement pernicieuse. L'expérience, je le
répète, le démontre absolument, bien que la raison n'en
soit pas toujours facile à donner, surtout aux mères qui ne
veulent rien entendre et ne cèdent en général qu'à
la dernière extrémité »130(*).
Quand J.-M. Charcot explique que l'isolement est positif parce
qu'il introduit un effet psychique, il ne faut pas oublier que la
psychothérapie est en train de naître. Cette discipline cherche
à montrer l'interdépendance entre le corps et l'esprit : si
l'esprit agit sur le corps, le corps, et les événements
extérieurs qui l'affectent, agissent en retour sur l'esprit. Nous
pouvons penser que J.-M. Charcot a été influencé par C.
Huchard qui expliquait que toute maladie mentale appelle un traitement mental
pour lequel « il est nécessaire de s'assurer du complet
contrôle de la personne. Or, ce complet contrôle n'est possible que
si cette personne se retrouve dans un milieu qu'elle ne peut par
définition, pas maîtriser puisqu'il devra être le reflet du
contrôle du médecin. De plus, l'influence néfaste des
proches, parents ou non, sera abolie par cet isolement et cette influence ne
viendra pas perturber l'ascendant thérapeutique du médecin, qui
seul avec ses murs et la patiente, conduira, comme un père conduit sa
fille, l'hystérique vers la guérison »131(*).
Non seulement l'isolement révolutionne le traitement
thérapeutique de l'anorexie hystérique mais en plus, il ne repose
pas sur l'expérimentation comme les traitements que nous avons
mentionnés auparavant. J.-M. Charcot s'oppose d'ailleurs fortement aux
traitements qui n'avaient aucun fondement médical. « A
propos de la pratique de la saignée qui sévissait encore, Charcot
déclare : `jetons un voile cependant sur le
côté thérapeutique : saigner, saigner encore, toujours
saigner, c'est à faire dresser les cheveux sur la
tête' »132(*). Dans une citation précédente, nous
avons vu qu'il s'appuyait sur son expérience pour justifier son
traitement. En ce sens, il y a certainement un progrès majeur dans la
prise en charge de l'anorexie qui doit lui être attribué.
Après lui, l'isolement thérapeutique est devenu
« la stratégie thérapeutique fondamentale de
l'anorexie mentale »133(*). Ce mode de traitement est resté dominant
jusqu'à la seconde moitié du XXème
siècle puisque l'isolement était encore pratiqué dans les
années soixante-dix. J.-M. Charcot est également le premier
à évoquer la relation mère-fille comme ayant une influence
sur la maladie. En effet, W. Gull souligne juste que les parents ne savent pas
s'occuper de leur fille mais ne prétend pas qu'ils sont à
l'origine de la maladie. Par le terme
« influence », J.-M. Charcot fait
référence aux rapports entre les parents et leur fille qui sont
en eux-mêmes mauvais. La relation particulièrement forte qui unie
la mère et la fille est également quelque chose de nouveau et
annonce un problème auquel beaucoup de thérapeutes vont
être confrontés : le déni des parents et le plus
souvent de la mère devant la maladie de leur fille.
L'apport de J.-M. Charcot ne s'est pas limité à
préconiser l'isolement comme mode de traitement pour les anorexiques
hystériques, il est à l'origine de l'ouverture de presque toutes
les maisons d'hydrothérapie134(*). Si l'isolement existait déjà avant,
il est le premier à établir l'idée de l'isolement comme
mode de soins pour l'hystérie et à mettre en oeuvre les
dispositions pratiques le permettant.
3. Avec S. Freud,
de nouvelles hypothèses étiologiques
S. Freud s'est sans doute moins intéressé
à l'anorexie que C. Lasègue ou J.-M. Charcot mais plusieurs de
ces textes témoignent cependant de ses tentatives pour guérir des
patientes hystériques anorexiques. Il n'a consacré aucune
publication spécifique à cette pathologie cependant, il a
marqué l'histoire de l'anorexie par le biais de ses recherches sur des
notions telles que l'inconscient, et l' « invention »
de la psychanalyse.
a) Une tentative de guérison par l'hypnose
En 1885, S. Freud entre comme élève à la
Salpêtrière où il bénéfice de l'enseignement
de J.-M. Charcot dont « les travaux [...],
révolutionnaires à l'époque, consistaient pour l'essentiel
en l'étude et le traitement de l'hystérie par l'hypnose. S. Freud
en revint avec l'idée que toutes les manifestations corporelles
liées aux problèmes de l'hystérie ne sont pas d'origine
somatique, mais psychique ce qui contredisait la science de son
temps »135(*). Avec S. Freud, l'hypothèse d'une origine
psychique de l'anorexie réapparaît et c'est en grande partie suite
aux apports théoriques de J.-M. Charcot que ce neurologue se tourne vers
de nouvelles méthodes thérapeutiques.
En
1893, dans son ouvrage Un cas de guérison par l'hypnose, S. Freud
décrit le cas d'une jeune femme qui devient anorexique à la
naissance respective de ses deux enfants. Appelé par la famille pour
pratiquer des séances d'hypnose, il réussit à la
guérir mais le trouble réapparaît à la naissance du
troisième enfant136(*). S.
Freud diagnostique une hystérie occasionnelle et échoue donc dans
le traitement de l'anorexie.
b) L'anorexie : un trouble dû à des
problèmes inconscients
En 1895, S. Freud publie les Etudes sur l'hystérie.
C'est le deuxième ouvrage qui témoigne de son
intérêt pour l'anorexie, de sa volonté de comprendre cette
maladie. Il décrit le cas d'Emmy von N, une femme de quarante
ans. Hystérique, elle présente des symptômes très
variés parmi lesquels une perte d'appétit. Elle ne mange pas ou
peu. Sous hypnose, elle raconte des souvenirs d'enfance liés à la
nourriture qui l'ont traumatisés et l'empêchent aujourd'hui de
manger. S. Freud fait disparaître ce sentiment de dégoût et
écrit que « l'effet thérapeutique de ce travail
hypnotique fut immédiat et permanent. Elle ne jeûna pas huit jours
durant, mais but et mangea le jour suivant sans que cela n'entraîna
d'effets fâcheux »137(*). Ce livre est d'autant plus
intéressant que S. Freud nous livre sa conception de l'anorexie :
« L'anorexie de notre malade offre l'exemple le
plus frappant de ce genre d'aboulie (inhibition de la volonté ou
incapacité d'agir due à la présence d'une liaison
affective non résolue qui s'oppose à la mise en oeuvre d'autres
associations). Elle ne mange aussi peu que parce que les aliments ne lui
plaisent pas et, si elle ne les trouve pas à son goût, c'est parce
que l'idée de manger se trouve liée depuis son enfance à
des souvenirs écoeurants dont la charge affective n'a pas subi de
diminution. L'atténuation du dégoût provoqué par les
repas ne s'est pas produite, parce que la malade a, à chaque fois,
été obligée de la réprimer au lieu de s'en
débarrasser par réaction : étant enfant, elle se
voyait contrainte, par peur d'une punition, de manger avec répugnance
son repas froid et, plus tard, par égard pour ses frères, elle se
gardait d'exprimer les sentiments qu'elle éprouvait au cours des repas
pris en commun »138(*).
Il faut préciser que S. Freud distingue deux types
d'aboulies : la première est la conséquence d'une phobie, la
seconde « repose sur l'existence d'associations teintées
d'affects et non supprimées, qui s'opposent à
l'enchaînement à de nouvelles associations et en particulier de
celles qui sont insupportables »139(*). L'anorexie appartient
à la seconde catégorie d'aboulie. Nous pouvons souligner
plusieurs nouveautés dans cette définition au regard des
précédentes : l'origine de l'anorexie n'est plus somatique
ou organique mais psychologique. La maladie relèverait d'un
problème inconscient qui empêcherait la patiente de manger.
D'autre part, les problèmes sous-jacents sont à rechercher dans
la petite enfance, une idée qui sera reprise par les psychanalystes au
XXème siècle (cf. infra partie 2, II. B)).
Il est admis dans la littérature scientifique que c'est
avec cette patiente que S. Freud inventa la méthode psychanalytique.
Cette malade avait imposé à S. Freud le silence afin de lui
raconter ses problèmes et refusait qu'il la touche contrairement aux
habitudes du médecin. « La psychanalyse est née
lorsqu'un médecin a accepté de ne plus être celui qui
prescrit l'ordonnance - qui « ordonne » - mais, celui qui
accepte de se mettre en position de réceptivité et d'apprendre
quelque chose sur l'autre et sur lui-même »140(*). Ce livre marque la
fin de l'utilisation de la technique de l'hypnose qui ne donnait pas des
résultats très probants et l'introduction d'une nouvelle
thérapie : la méthode psychanalytique. Celle-ci consiste
à faire exprimer au patient ses émotions refoulées, afin
de faire disparaître les symptômes. Si les anorexiques n'ont pas
constitué la majeure partie de la clientèle de S. Freud, la
naissance de la psychanalyse représente un tournant majeur dans la
guérison de l'anorexie. La thérapie psychanalytique comme mode
prise en charge de la maladie ne se développera réellement qu'au
XXème siècle, à partir des années
soixante-dix (cf. infra partie 2, IV. A)).
c) L'anorexie : une forme de
mélancolie ?
Pour terminer, S. Freud apporte un nouvel
élément à la compréhension de l'anorexie dans son
ouvrage intitulé Mélancolie. Il assimile l'anorexie
à une « névrose de la nourriture »
et insiste sur le caractère dépressif des anorexiques :
« la névrose alimentaire dite anorexie peut se comparer
à la mélancolie. L'anorexie mentale des jeunes filles, qui est un
trouble bien connu, apparaît, après observation poussée,
comme une forme de mélancolie chez les sujets à sexualité
encore inachevée. La malade assure alors ne pas manger seulement parce
qu'elle n'a pas faim. Il y a donc une perte de l'appétit et, dans le
domaine sexuel, une perte de libido »141(*). S. Freud nous
présente l'anorexie comme une pathologie de l'adolescence, ce qui
diffère donc de ses descriptions précédentes où la
maladie touchait aussi bien des jeunes filles que des femmes. Nous pouvons
noter qu'il assimile l'anorexie à une perte d'appétit, reprenant
ainsi la définition étymologique, qui est en
réalité erronée. Nous pouvons penser que cette
« erreur » reflète l'incertitude qui entoure encore
la maladie mais aussi le manque de « compétences »
de S. Freud qui, contrairement à C. Lasègue ou W. Gull,
n'était pas « spécialisé » dans
l'anorexie. Enfin, il soulève ici deux aspects que nous retrouverons
dans la littérature scientifique le siècle suivant : le lien
entre l'anorexie et la dépression, et la perte de libido
consécutive à l'amaigrissement.
Nous disposons d'un dernier élément qui
témoigne de l'évolution de la compréhension de l'anorexie
chez S. Freud. En 1899, dans une correspondance avec W. Fliess (un
médecin berlinois), il voit en l'anorexie une dérivé du
courant auto-érotique chez l'hystérisque142(*). Là encore, nous
pouvons noter l'évolution des hypothèses concernant
l'étiologie de la maladie.
Pour conclure sur S. Freud, nous pouvons faire plusieurs
remarques. Il emploie le terme d'anorexie pour désigner une restriction
alimentaire voire dans son sens premier une perte d'appétit. Dans les
cas mentionnés ici, nous avons vu que la maladie était un trouble
parmi d'autres et survenait chez une personne hystérique, quelque soit
l'âge. Il est donc difficile de savoir si tous les cas rapportés
par S. Freud correspondent réellement à l'anorexie
hystérique telle que la décrivent C. Lasègue et W. Gull.
De plus, il n'a laissé aucune description physique des
hystériques anorexiques qu'il a soignées. Ainsi, nous pouvons
penser que certaines des patientes de S. Freud présentaient
effectivement une anorexie mais qui n'était peut être que
passagère. De plus, la prédominance de l'hystérie à
cette époque empêchait de considérer l'anorexie comme une
pathologie à part entière. En outre, il y a peu de points communs
entre les descriptions laissées par Freud et les patientes dont
parlaient les pères de l'anorexie. Le traitement appliqué
à l'anorexie n'est pas spécifique à cette pathologie
puisque la technique de l'hypnose est utilisée pour toutes les
hystériques. Dans le cas d'Emmy von N, le résultat fut concluant
ce qui peut laisser penser qu'elle ne souffrait pas réellement
d'anorexie. De plus, G. Raimbault et C. Eliacheff avancent que S. Freud n'a pas
réussi à guérir l'anorexie malgré ce que ses
écrits laissent entendre : « Freud n'a pas
réussi à résoudre l'énigme de
l'anorexie » et que « des textes
révèlent ses difficultés en tant que
thérapeute ».
Quelque soit l'issue des traitements auxquels S. Freud a eu
recours, cette maladie ne faisait pas partie de son domaine de
prédilection. Il s'est cependant attaché à décrire
cette nouvelle pathologie et à essayer d'en comprendre les ressorts.
Tentatives plutôt fructueuses puisque toutes les hypothèses
soulevées dans ses trois publications ont été reprises et
approfondies et constituent aujourd'hui les fondements de la pensée
psychanalytique de l'anorexie.
Le XIXème siècle a bel et bien
été le siècle de la naissance de l'anorexie puisqu'elle
investit désormais le champ médical. Elle est identifiée
comme pathologie et les cas d'anorexie relèvent dès lors de la
compétence médicale. Cependant, les données sont encore
fragmentaires et la maladie reste bien mystérieuse. Le contexte
médical de l'époque et l'attrait des médecins pour
l'hystérie les ont d'abord conduit à associer l'anorexie à
un symptôme de cette névrose. Il faut attendre le début du
XXème siècle pour que cette confusion soit
levée. Les descriptions de C. Lasègue et W. Gull marquent le
début d'une multitude de travaux sur l'anorexie, chaque médecin
essayant de proposer des interprétations étiologiques ainsi qu'un
mode de prise en charge. La densité des travaux portant sur l'anorexie
était telle que nous nous sommes contentés d'évoquer les
auteurs que nous considérions comme importants pour la
compréhension et l'histoire de la maladie. En effet, nous avons
souligné à plusieurs reprises que des hypothèses
avancées par C. Lasègue, W. Gull, S. Freud et le traitement
proposé par J.-M. Charcot allaient se retrouver au XXème
siècle.
Dans cette première partie de notre travail, nous avons
tenté de retracer l'évolution des comportements
« anorexiques », des symptômes et du regard de la
société afin de comprendre comment s'est construite la
représentation de l'anorexie. Ainsi, nous avons mis en évidence
le fait que la compréhension des comportements
« anorexiques » est étroitement liée au
contexte socioculturel comme l'a illustré l'anorexie sainte. Le poids de
la religion dans la société ne permettait pas de concevoir
l' « anorexie » autrement que comme un comportement en
lien avec la religion. Outre cette emprise de la religion, l'inexistence de la
médecine en tant que science rendait impossible une
catégorisation en terme de maladie. C'est donc l'évolution du
contexte socioculturel, l'affaiblissement du poids de la tradition qui ont
permis de définir au XIXème siècle l'anorexie
comme une pathologie. La représentation sociale de l'anorexie a bien
évolué entre le Moyen Âge et le XIXème
siècle mais de façon très lente puisqu'il a fallu presque
quatorze siècles pour les comportements anorexiques basculent dans le
champ médical.
Nous avons également montré l'évolution
des canons de beauté en évoquant quelques courants artistiques
qui ont marqué notre période d'étude. Ces analyses nous
ont permis de voir que la représentation de la femme a
évolué : au Moyen Âge, la femme est
méprisé et assimilée à la tentation, les peintures
qui la représentent ont donc une connotation péjorative ;
puis, le corps de la femme devient un des sujets privilégié des
peintres au XVIIIème siècle. C'est alors à une
représentation du corps idéal qu'ils se consacrent. Nous pouvons
faire deux remarques : les comportements
« anorexiques » existaient alors même que la minceur
n'était pas valorisée, au contraire nous avons expliqué
que l'embonpoint constituait un signe de distinction sociale. Les
représentations picturales de la femme sont le reflet d'un certain
idéal et ce sont aujourd`hui les photos de la presse magazine, la mode
qui véhiculent des normes corporelles.
Afin de poursuivre l'étude de la représentation
sociale de l'anorexie et de voir comment cette maladie est perçue
aujourd'hui, il nous faut maintenant se tourner vers les discours de la presse
qui véhiculent les représentations qui structurent la
société. Nous allons voir qu'il existe des poins communs entre la
façon dont ils décrivent cette pathologie et ce qui avait
été mis au jour au XIXème siècle. En
outre, il sera intéressant d'observer si des hypothèses
avancées par les pères fondateurs de l'anorexie et
occultées de leur vivant se retrouvent dans les discours de presse.
DEUXIEME PARTIE : L'ANOREXIE DANS LES DISCOURS DE
PRESSE AU XXEME ET AU XXIEME SIECLES
La première partie de notre travail nous a permis de
comprendre comment s'était construite la représentation sociale
de l'anorexie, comment et pourquoi les comportements anorexiques ont
relevé pendant des siècles de la sphère religieuse avant
de basculer dans le champ médical. Nous allons maintenant
procéder à l'analyse des discours de presse de notre corpus pour
mettre en valeur la représentation de l'anorexie que véhicule les
médias au XXème et XXIème
siècles.
Grâce à une analyse diachronique comparative des
discours de la presse quotidienne et de la presse magazine sur l'anorexie
mentale, nous montrerons quelle représentation de la maladie est
véhiculée par les journaux et quels sont les enjeux qui
sous-tendent ces discours. Nous nous attacherons à mettre au jour les
divergences ou les similitudes dans le traitement médiatique dont fait
l'objet cette pathologie. Enfin, nous nous intéresserons aux
différences ou à l'adéquation entre les discours de presse
sur l'anorexie et la représentation médicale de cette pathologie
que nous avons pu établir à l'aide d'ouvrages scientifiques.
Notre analyse se composera de quatre parties, dont trois
correspondent à des étapes du schéma narratif. Dans une
première partie nous étudierons comment les journaux qualifient
la maladie et comment ils désignent l'anorexique, autrement dit l'actant
sujet. Puis, nous nous intéresserons aux facteurs déclencheurs de
la pathologie, c'est-à-dire au destinateur de l'actant sujet avant de
voir quel regard portent les journaux sur les pratiques anorexiques, autrement
dit en quels termes est décrite la performance de l'actant sujet. Enfin,
nous terminerons par l'étape de la prise en charge de l'anorexie,
c'est-à-dire à la sanction dans une perspective actantielle. Dans
chaque partie, nous procèderons à un descriptif médical
avant de s'attacher à l'analyse des discours de presse.
Au cours de ces quatre étapes, nous nous attacherons
à repérer les différentes figures qui apparaissent dans
les récits médiatiques, regarder quels rôles leur sont
attribués et si l'étude des discours témoigne d'une
évolution. Nous verrons que loin de proposer des discours consensuels,
les quotidiens construisent des figurent différentes dont les
rôles varient.
I. Qui est anorexique ?
L'anorexie mentale est un trouble grave du comportement
alimentaire qui déroute encore de nombreux médecins. Cependant,
la compréhension de la maladie a beaucoup progressé depuis le
début du XXème siècle et le diagnostic ne pose
guère plus de problème aujourd'hui. Le corps médical
constate une augmentation de la fréquence des cas d'anorexie depuis
quelques années. Cette évolution soulève la question de
savoir qui peut-être affecté par cette maladie et pourquoi. Nous
allons nous attacher à décrire les critères
médicaux qui permettent aujourd'hui de diagnostiquer l'anorexie mentale,
ensuite nous aborderons la répartition géographique et
socioculturelle de la maladie, puis nous terminerons en présentant les
caractéristiques mentales des anorexiques.
A partir des précisions médicales que nous
aurons fournies dans une première partie, nous analyserons les discours
de presse pour voir comment est désigné l'actant sujet.
A. Une définition médicale de l'anorexie et les
caractéristiques des anorexiques
Il y a encore quelques années, il était courant
de lire que l'anorexie mentale était une maladie qui touchait
principalement les jeunes filles issues des classes aisées, dans les
pays développés. Aujourd'hui, la littérature scientifique
nuance cette affirmation : l'anorexie mentale masculine est plus
fréquente, la pathologie commence à apparaître dans des
pays en voie de développement et s'étend à toutes les
couches de la population.
1. L'anorexie, une maladie grave qui
touche principalement des filles
a) La définition médicale
de l'anorexie
Le syndrome clinique de l'anorexie est maintenant connu et
considéré comme une entité distincte. L'anorexie mentale
appartient à la catégorie des troubles du comportement
alimentaire (TCA) qui regroupe également la boulimie ainsi que des
comportements variés comme la compulsion alimentaire, l'hyperphagie...
L'anorexie correspond à un tableau clinique très précis,
elle affecte généralement une jeune adolescente entre 14 et 20
ans qui présente la triade symptomatique :
amaigrissement-anorexie-aménorrhée. L'anorexie, l'amaigrissement
et l'aménorrhée sont les trois symptômes principaux qui
permettent de diagnostiquer une anorexie mentale. L'anorexie,
c'est-à-dire la restriction alimentaire est le symptôme principal
et annonce le début des troubles143(*). Cette restriction est volontaire, tout du moins au
début. L'amaigrissement lui est secondaire et se traduit par une perte
de poids supérieure à 25% du poids initial. Il peut atteindre 50%
dans les cas les plus graves. Enfin, l'aménorrhée (arrêt
des règles) peut précéder l'anorexie ou suivre de quelques
mois le début de la restriction alimentaire. Les médecins parlent
d'aménorrhée primaire si la jeune fille n'est pas encore
réglée et d'aménorrhée secondaire dans le cas
contraire. L'anorexie mentale peut être plus ou moins grave selon les
cas, la forme la plus dangereuse étant lorsqu'elle se chronicise.
Outre cette triade symptomatique, le DSM IV144(*) est fréquemment
utilisé par les médecins pour déceler une anorexie. Les
différentes révisions dont il a fait l'objet ont contribué
à modifier les critères de l'anorexie mentale. Elle a
progressivement été considérée comme une maladie
à part entière et les critères retenus pour la
définir ont évolué en faveur d'une plus grande place pour
les critères corporels. Le DSM IV inclut l'anorexie mentale dans la
catégorie des troubles des comportements alimentaires et définit
les critères cliniques suivants :
- Le refus de maintenir un poids corporel au niveau ou
au-dessus d'un poids minimum normal pour l'âge et la taille.
- La peur intense de prendre du poids ou de devenir gros,
alors que le poids est inférieur à la normale. Comme le
précise H. Chabrol, la peur de grossir n'était pas
mentionnée par C. Lasègue et W. Gull alors qu'elle est
aujourd'hui un critère central dans la sémiologie de
l'anorexie145(*).
- L'altération de la perception du poids ou de la forme
de son propre corps, l'influence excessive du poids ou de la forme corporelle
sur l'estime de soi, ou le déni de la gravité de la maigreur
actuelle.
- Chez les femmes post pubères,
l'aménorrhée c'est-à-dire absence d'au moins trois cycles
menstruels consécutifs146(*).
C'est à partir de ces quatre critères que le DSM
IV établit le diagnostic de l'anorexie mentale.
Le DSM IV distingue deux formes d'anorexie : l'anorexie
mentale restrictive (l'amaigrissement est provoqué par la restriction
alimentaire, le jeûne ou l'hyperactivité physique) et l'anorexie
mentale avec crises de boulimie et comportements de purge (vomissements et/ou
prise de laxatifs). Les médecins sont de plus en plus confrontés
à ces formes d'anorexie-boulimie ou la boulimie succède ou
coexiste avec l'anorexie mentale. Environ 50% des anorexiques
présenteraient des conduites boulimiques au cours de leur
maladie147(*). C'est
pourquoi l'anorexie et la boulimie sont souvent présentées comme
les deux facettes d'un même trouble. Encore aujourd'hui, nous trouvons
des divergences dans la littérature scientifique. P. Jeammet par exemple
évoque « un couple paradoxal » car
« l'anorexique est dans la maîtrise, la boulimique, elle,
est dans la compulsion. Ces deux comportements, apparemment si opposés,
sont en réalité profondément semblables et le
symptôme alimentaire entraîne toujours des conséquences
physiques et psychiques »148(*). De même, H. Chabrol explique
qu' « anorexie et boulimie ne s'opposent que
superficiellement » car « elles s'associent ou se
succèdent souvent, alors que les adolescentes qui en sont
affectées partagent les mêmes craintes obsédantes de la
perte du contrôle du comportement alimentaire »149(*).
L'anorexie est considérée comme une pathologie
par le corps médical cependant, certaines personnes réfutent
s'opposent à cette qualification. Par exemple, J. Maîstre
définit l'anorexie comme « une manière anorectique
d'être au monde »150(*) qui traduirait un refus d'occuper la place
assignée à la femme dans la société actuelle et la
volonté de nier ses besoins corporels pour atteindre un au-delà.
Dans un autre registre, les sites pro-anorexiques récusent
également l'idée que l'anorexie est une maladie. Le plus souvent,
ces sites se présentent sous la forme d'un blog créé par
une jeune fille anorexique. Elle y détaille ses pratiques et fait
l'éloge de son comportement alimentaire qu'elle considère comme
un mode vie acceptable. Grâce à des photos révélant
la maigreur de son corps, les conseils qu'elle prodigue, elle encourage les
personnes qui viennent visiter le site à l'imiter. La plupart des
professionnels de santé s'insurgent contre l'existence de tels sites,
certains ont donc été interdits. Cependant, des chercheurs comme
Maria Mastronardi trouvent qu'ils ont un côté positif car ils
permettent de mieux comprendre le fonctionnement et les pensées de ces
jeunes filles151(*).
b) L'anorexie : un problème
de santé publique dont se seraient saisis les médias
Les médecins s'accordent pour dire que l'anorexie
mentale est un problème de santé publique majeur. Par exemple
Nathalie Godart, de l'Institut Mutualiste Montsouris à Paris,
déclare que « l'anorexie mentale se caractérise par
la gravité de son pronostic, qui la classe au premier rang des
pathologies psychiatriques mettant en jeu le pronostic
vital »152(*). De même, Christian Bourdeux estime que les
troubles du comportement alimentaire du fait de leur fréquence et de
leur gravité sont « l'une des priorités de
santé publique »153(*). Aux yeux du corps médical, l'anorexie est
donc considérée comme une maladie grave, un problème de
santé publique.
Parallèlement, l'anorexie semble aussi avoir envahi la
scène médiatique. En effet, de plus en plus de livres et
d'émissions télévisées sont consacrés
à cette maladie. Ainsi, J-P de Tonnac parle d'une
« véritable mobilisation éditoriale et
médiatique dans les sociétés
occidentales »154(*) autour de l'anorexie et T. Vincent
écrit que « la maladie elle-même est devenue
médiatique : la presse mais aussi les radios et les
télévisions s'en font l'écho, et il n'est pas rare de lire
dans le même magazine féminin un article sur l'anorexie mentale et
un autre sur le dernier régime amaigrissant en
vogue »155(*). Cette dernière citation est assez
révélatrice car elle met le doigt sur une réalité
que nous avons évoquée au début de ce travail à
savoir la double posture de la presse magazine féminin. La coexistence
d'un article sur l'anorexie et d'un article sur les régimes
amaigrissants dans un même magazine pose la question de la fonction de ce
type de presse. Entend-elle informer sur une pathologie grave ou inciter ses
lectrices à tester le dernier régime amaigrissant ? Nous
tenterons d'apporter des éléments de réponse grâce
à notre analyse des représentations médiatiques de
l'anorexie mentale dans le magazine Santé Magazine. La
citation de T. Vincent est également intéressante car elle
évoque la médiatisation de l'anorexie, une médiatisation
qu'il faudra relativiser. S. Bonnafous définit la médiatisation
comme un « processus complexe résultant de l'interaction
entre divers auteurs collectifs et individuels et aboutissant à la
présence d'un sujet dans les médias de masse et à des
conflits pour l'interprétation et l'affirmation de valeurs
symboliques »156(*). Les analyses auxquelles nous allons
procéder nous permettrons de voir si l'anorexie peut-être
considérée comme un sujet qui fait l'objet d'une
médiatisation. Enfin, pour certains auteurs, les médias seraient
un véritable relais d'information sur cette pathologie. Ainsi, P. Alvin
pense que « depuis quelques années toutefois, grâce
aux médias et aux ouvrages de vulgarisation, le public semble un peu
mieux informé des manifestations et de la réelle morbidité
de ces troubles »157(*). Notre analyse nous permettra aussi de nuancer cette
affirmation et de mesurer le décalage qui existe entre le traitement
médiatique de l'anorexie mentale et la réalité
médicale.
c) Une prévalence de l'anorexie
mentale dans la population féminine
L'anorexie mentale est une maladie qui affecte principalement
les adolescentes. Selon l'association Autrement, pour un autre regard sur
son poids, elle toucherait environ neuf filles pour un garçon et la
fréquence serait comprise entre 0,5% et 1% parmi les
adolescents158(*). Pour
les médecins cette prévalence féminine s'explique par les
transformations psychiques mais surtout physiques auxquelles les adolescentes
sont confrontées à la puberté. Ainsi, J-P de Tonnac
conclut en disant que les hommes contourneraient naturellement les troubles du
comportement alimentaire et notamment l'anorexie car ils ne subissent pas des
modifications de morphologie aussi importantes que les filles. Cependant,
« cette écrasante proportion de femmes et le silence que
les hommes victimes de cette pathologie ont observé jusqu'à ce
jour ont fait croire qu'on ne pouvait parler de l'anorexie qu'au
féminin »159(*). Cette citation extraite de la quatrième de
couverture du livre de J-P de Tonnac pointe du doigt une réalité
souvent occultée : l'anorexie mentale masculine existe et devient
de plus en plus fréquente. Aujourd'hui, elle serait de l'ordre de 10%
des cas cependant, elle est certainement sous-estimée « en
raison d'un diagnostic plus difficilement acceptable et
repérable »160(*). En effet, peu d'études ont
été menées jusqu'à présent et les
statistiques ne prennent en compte que les malades qui se sont faits
soignés or, beaucoup refusent les traitements. J. Chambry, M. Corcos, O.
Guibaud et P. Jeammet se sont intéressés à l'anorexie
mentale masculine en soulignant les enjeux que cela impliquait. En effet,
reconnaître l'existence de l'anorexie mentale masculine pose plusieurs
problèmes. D'une part, elle remet en cause un des critères
majeurs du DSM IV à savoir l'aménorrhée ;
d'autre part, elle soulève un certain nombre de questions : quelles
sont les formes de cette anorexie (les garçons anorexiques se
comportent-ils de la même façon que les adolescentes
anorexiques ?), comment l'expliquer (l'hypothèse du culte de la minceur
et de la pression médiatique perd de sa pertinence)... En dépit
de ces interrogations qui n'ont pas encore trouvé de réponse,
l'existence de l'anorexie mentale masculine n'est plus contestée que
depuis vingt ans.
2. Une répartition
géographique et socioculturelle qui évolue
a) Les pays développés et
industrialisés sont les plus touchés
J-P de Tonnac souligne que « les sectateurs de
l'ana, secrète communauté de l'ano, comptent désormais des
représentants en chaque continent, chaque pays, chaque famille humaine
et chaque âge, et bienheureux était le temps où on croyait
les avoir repérées au sein des seuls milieux les mieux
favorisés des sociétés les plus
avancées »161(*). En effet, si pendant longtemps les cas de
jeunes filles anorexiques se sont limités aux pays occidentaux, il
semblerait qu'aujourd'hui cette pathologie s'étende aux pays en voie de
développement. Il existe peu de d'études internationales mais
plusieurs auteurs ont démontré que des pays auparavant
épargnés par la maladie sont aujourd'hui concernés. Par
exemple, Karine Tinat, montre que le Mexique connaît depuis quelques
années une augmentation du nombre d'anorexiques162(*) alors qu'il présente
un degré de développement économique peu
élevé. La maladie ne se limiterait donc plus aux pays
développés ayant un certain niveau économique.
L'Afrique est également concernée par
l'apparition de l'anorexie mentale. Même si les données sont
encore rares, deux études attestent de l'existence de l'anorexie
mentale en Afrique noire (l'une en 1981 et l'autre en 1984). En Afrique du
Sud, la présence de l'anorexie mentale est également
confirmée mais elle ne touche que les populations blanches163(*). En Asie et plus
particulièrement au Japon, le premier cas d'anorexie mentale a
été rapporté dans les années cinquante
c'est-à-dire au moment de la période d'occidentalisation et
d'expansion économique. Les psychiatres japonais signalent que la
maladie ne touche que les familles modernes « en rupture avec la
tradition, appartenant à des milieux urbains et des couches sociales
aisées »164(*). Enfin, en Europe de l'est, la maladie est
aussi présente mais les données disponibles sont peu nombreuses.
Une étude datant de 1986 révélait déjà que
le nombre d'anorexiques soignées à l'hôpital de Prague
augmentait depuis une dizaine d'années165(*).
En dépit de la faiblesse des données au niveau
international, ces quelques exemples illustrent bien l'extension de l'anorexie
mentale qui ne touche plus uniquement les pays industrialisés et
développés. L'hypothèse que défendaient A.
Guillemot et M. Laxenaire à la fin des années 90166(*) n'est plus
vérifiée à l'heure actuelle : la corrélation
entre degré de développement économique et
fréquence de l'anorexie tend à s'affaiblir.
b) Une maladie qui s'étend
à tous les milieux sociaux
Dans l'introduction d'un dossier consacré aux troubles
du comportement alimentaire, G. Trabacchi assimile l'anorexie
à une « ancienne maladie de la bourgeoisie
urbaine »167(*), une définition qui reflète bien la
catégorisation dont faisait l'objet cette pathologie avant. Aujourd'hui,
cette distinction tend à disparaître et l'anorexie mentale touche
tous les milieux socioculturels.
Il faut préciser que l'anorexie mentale peut
également affecter des jeunes filles ou garçons qui pratiquent
des sports « à risque »168(*). Ainsi, la danse ou encore
la gymnastique sont des activités dans lesquelles les jeunes filles sont
soumises à une certaine pression et parfois des régimes
alimentaires car la réussite et la performance sont étroitement
liées à la morphologie. Soumises à ces exigences, elles
seraient plus sujettes à l'anorexie.
3. Les caractéristiques mentales
des jeunes filles anorexiques
Chaque cas d'anorexie est différent néanmoins,
les anorexiques partagent certaines caractéristiques communes. Daniel
Rigaud en distingue onze qui sont présentes dans 90% des cas et selon
des degrés variables mais il précise qu' « il
est même rare que ces traits ne soient pas tous présents chez un
même malade »169(*). La peur constitue la première
caractéristique commune aux anorexiques. Tout d'abord, il y a la peur de
grossir qui se traduit par le refus de prendre du poids et de peser un poids
normal. Il s'accompagne souvent d'une altération de la perception de
l'image corporelle, l'anorexique se trouvant toujours trop grosse. Plus la
maladie avance, plus cette peur augmente. La peur c'est aussi la peur de manger
d'où les stratégies pour échapper aux repas. Le manque de
confiance en soi est le deuxième point commun aux malades. Selon D.
Rigaud, il serait même à l'origine du trouble du comportement
alimentaire. La jeune fille doute mais masque ses angoisses derrière un
apparent sentiment de supériorité. C'est pourquoi, souvent elle
pense être une personne à part, supérieure aux autres.
Cependant, elle n'est pas consciente de ce comportement narcissique qui cache
en réalité un manque de confiance en soi170(*). L'excès de
perfectionnisme constitue le troisième trait dominant de la
mentalité des anorexiques. La jeune fille est obsédée par
la recherche de la perfection qui devient progressivement très
handicapant. Ensuite, elle éprouve le besoin de tout maîtriser et
de tout contrôler pour ne pas e laisser aller et exprimer ses
désirs. De cette façon, rien d'imprévisible ne peut
arriver et la malade est rassurée. D. Rigaud
considère que la perte de l'image de soi est la cinquième
caractéristique des anorexiques. De ce fait, la jeune fille est
poussée à accorder beaucoup d'importance au regard des autres.
Elle dépend de ces regards, des jugements portés sur elle.
Ensuite, les anorexiques rejettent souvent l'image de la femme (ce qui conduit
certains médecins à penser que l'anorexique rejette aussi la
sexualité), et le plaisir qu'elles associent à un sentiment de
culpabilité. Souvent, elles rencontrent des
« difficultés d'expression verbale et
émotionnelle »171(*) c'est-à-dire qu'elles ne parviennent pas
à parler leur problème et affirment que tout va bien dans leur
vie. Leur honte par rapport à la maladie les entraîne à
adopter un comportement de dissimulation et de méfiance vis-à-vis
des autres. Il n'est pas rare que l'anorexique soit très attachée
à l'un de ses parents, souvent la mère, un lien qui peut
compromettre la guérison. D. Rigaud souligne en dernier lieu la peur de
ne pas y arriver que ressentent beaucoup de malades, une peur qui peut
d'ailleurs les handicaper pendant la guérison. Le sentiment de
maîtrise qu'elles peuvent sembler afficher n'est en réalité
qu'une façade.
A cet ensemble de caractéristiques défini par D.
Rigaud, nous pouvons ajouter le refus de la mort sur lequel insistent certains
médecins. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, l'anorexique
ne veut pas mourir et n'a aucun sentiment suicidaire. Ainsi, le terme
d'autodestruction qui est parfois utilisé pour désigner leur
comportement est inapproprié puisque la jeune fille ne souhaite pas
mourir mais vivre (cf. Annexe n°7, témoignage n°2).
Le diagnostic de l'anorexie mentale ne pose plus de
problème aujourd'hui même si les critères retenus
présentent quelques limites notamment par rapport à la question
de l'anorexie mentale masculine. La plupart des médecins insistent
aujourd'hui sur l'unicité de la patiente comme le souligne cette phrase
de P. Alvin : « il n'y a pas d'anorexie, de boulimie... mais
autant de jeunes personnes souffrant de maladies chroniques
particulières, dans un contexte personnel et climat familial toujours
singuliers, dont la trajectoire, aléatoire, peut s'inscrire sur
plusieurs années »172(*). Cependant, cela n'empêche pas certains de
conserver une image stéréotypée des anorexiques qui
seraient capricieuses, menteuses... Nous allons maintenant voir comment les
discours de presse définissent cette maladie et quels termes sont
utilisés pour qualifier l'anorexique.
B. L'anorexique, un actant sujet dans les discours
médiatiques
Après avoir rappelé ce qu'est l'anorexie mentale
et qui sont celles qu'elle affecte, nous allons nous intéresser à
l'anorexique telle qu'elle est représentée dans les discours
médiatiques : c'est-à-dire à l'actant sujet. La
première étape de notre analyse consiste donc à
repérer comment est dénommée la maladie et la façon
dont sont désignées les anorexiques par les journalistes ou
comment ils qualifient l'actant sujet. Notre analyse sera essentiellement
fondée sur une étude terminologique mais nous prêterons
attention au rubricage opéré par les journaux ainsi qu'à
la fréquence des articles publiés sur l'anorexie puisque cela
nous donnera des éléments qui nous permettrons de conclure sur la
question de la médiatisation de l'anorexie. De même,
l'étude des rubriques choisies pour publier un article sur cette
pathologie nous fournira un premier indice quant à la façon dont
le journal perçoit cette maladie.
Si le fil directeur de ce premier volet de notre analyse est
bien la façon dont est qualifiée la maladie et l'actant sujet,
nous tenterons également de répondre aux questions
suivantes :
- Quelles sont les indications que les discours nous
fournissent quant à la prévalence de la maladie ?
- Quelle est la répartition socioculturelle de la
maladie ?
- Les discours nous livrent-ils des éléments qui
nous permettent de dresser un portrait de l'anorexique ?
Dans chacun des discours nous chercherons des
éléments qui nous permettront de répondre à ces
questions. Ainsi, nous pourrons mesurer les similitudes ou les divergences
entre les discours de presse mais également l'écart entre les
représentations que véhicule la presse et celle que nous
fournissent les discours médicaux.
Nous allons voir que dès cette première
étape de notre analyse, un clivage se dessine entre des discours
très précis et rigoureux sur l'anorexie et des discours peu
détaillés voire confus qui fournissent parfois des
représentations erronées.
1. La Croix : l'anorexie est une
maladie grave
a) Un dossier spécial
consacré à l'anorexie
Le premier article que le quotidien La Croix publie
sur l'anorexie date de 1997. Entre 1997 et 2005 seuls dix articles traitent de
cette maladie, ce qui est relativement peu. Au premier abord, cette faiblesse
numérique semble refléter le désintérêt du
journal pour cette pathologie. Cependant, La Croix est le seul
quotidien à consacrer un dossier entier à l'anorexie,
composé de cinq articles. Ce choix n'est pas anodin et introduit
d'emblée une différence avec les autres quotidiens qui
n'écrivent que quelques articles
« éparpillés » sur cette maladie. En
réalité, choisir de réaliser un dossier sur l'anorexie
reflète l'importance que le journal accorde à cette pathologie.
En outre, il témoigne de la volonté du quotidien d'informer ses
lecteurs dans une logique de prévention, une posture assez
spécifique pour un journal de presse d'information
générale. Avant de s'intéresser plus
précisément au vocabulaire employé par le journal pour
qualifier la maladie et désigner l'anorexique, il faut mentionner le
rubricage qu'opère le quotidien. Tous les articles du dossier se
trouvent dans la rubrique Sciences et Ethique, un article figure dans
la rubrique Interview, un autre dans la rubrique
Education-famille, un dans la rubrique France, et deux dans
la rubrique Critique livre. En publiant la majorité des
articles dans la rubrique Sciences et éthique, le quotidien
entend bien montrer qu'il considère l'anorexie comme un problème
scientifique donc médical qui pose des questions éthiques. Nous
verrons par la suite que La Croix est le seul quotidien à
adopter un rubricage de ce type. Enfin, la longueur des articles vient
confirmer l'importance accordée à cette maladie (cinq articles
sont relativement longs, les autres étant de taille moyenne).
b) L'anorexie, une maladie
« très grave »
Pour La Croix, l' « anorexie
mentale »173(*) est une maladie et cela ne fait aucun doute
puisqu'il utilise uniquement des termes appartenant à ce champ lexical
pour la désigner. Ainsi, nous trouvons les termes
« maladie »174(*),
« affection »175(*),
« pathologie »176(*), « mal-être » et
« trouble alimentaire »177(*). Seul un article propose une
qualification différente de l'anorexie qui serait
« une façon particulière d'être au
monde »178(*). En réalité, cette définition
n'est pas celle du journal mais celle d'un syndicaliste, spécialiste de
sociologie des religions au CNRS, Jacques Maître. Le quotidien
présente le livre que cet auteur vient de publier dans lequel il compare
les anorexiques mystiques avec les jeunes filles anorexiques d'aujourd'hui. Il
prétend que « l'anorexie dite
« mentale » » serait « une expression
sécularisée de l'anorexie mystique ». Il
récuse le terme de pathologie ainsi que l'adjectif
« mentale » pour qualifier la maladie. Cet article a retenu
notre attention car c'est le seul dans lequel figure le champ lexical de la
religion alors que la religion est l'une des valeurs fondamentales du
quotidien. L'absence de vocabulaire religieux dans les autres articles
révèle que la religion ne permet pas de tout expliquer. Maladie
et religion sont aujourd'hui deux sphères indépendantes. Ce choix
du journal souligne qu'il ne remet pas en cause le basculement de l'anorexie du
champ religieux au champ médical, malgré ses valeurs religieuses.
La seconde remarque que nous pouvons faire concerne le jugement porté
par La Croix sur la thèse de J. Maître. Différents
indices nous indiquent que le quotidien ne cautionne pas son
interprétation de l'anorexie. Par exemple, le journaliste écrit
« quel drôle d'itinéraire que celui de Jacques
Maître ! », une phrase qui semble mettre en doute sa
légitimité à parler de l'anorexie. Nous pouvons citer une
seconde phrase : « L'anorexie dite `mentale' [...] serait
donc, selon l'auteur, une expression sécularisée de l'anorexie
mystique ». L'expression « selon
l'auteur » et l'emploi du conditionnel
« serait » participent aussi à cette mise
à distance, le quotidien souligne que ces propos ne sont pas les siens.
Outre les termes que nous venons de mentionner, le quotidien
définit plus précisément l'anorexie en nous rapportant les
propos d'un expert. Elle « se caractérise par une perte de
poids rapide et brutale » et elle « serait [...]
une façon de retarder la féminisation problématique [du]
corps »179(*). Ce médecin fait référence
à l'amaigrissement qui est l'un des symptômes clé de la
maladie et au rejet de la féminité. L'ensemble des discours du
quotidien se caractérise par un recours très fréquent aux
experts, une stratégie discursive qui témoigne d'un souci de
précision et tend à conférer une certaine
légitimité aux propos du journal. En effet, en donnant la parole
à des experts spécialisés dans les troubles du
comportement alimentaire, La Croix souligne que les informations sont
fiables car elles émanent de gens compétents.
A deux reprises, l'anorexie est comparée à un
comportement d'autodestruction. P. Jeammet
« souligne » que « l'anorexique
s'autodétruit devant vous »180(*) et le quotidien écrit
que des parents dont la fille est anorexique, éprouvent un sentiment de
gâchis à « voir des jeunes filles [...] se
détruire ainsi »181(*). Assimiler la maladie à une autodestruction
sous-entend que l'anorexique crée sa propre mort, une idée que le
corps médical ne partage pas comme vont nous le révéler
les discours de Santé Magazine. En outre, le terme
« autodestruction » a une connotation
péjorative et laisse sous-entendre que le journal sanctionne les
anorexiques. Cependant, nos prochaines analyses nous permettront de nuancer
cette idée.
Un dernier détail qu'il faut mentionner concerne la
nouveauté de la maladie. Dans deux articles, La Croix laisse
penser que l'anorexie est une pathologie ancienne. Par exemple, il fait
référence au livre de C. Eliacheff et G. Raimbault
consacré à l'histoire de différentes anorexiques telles
que C. de Sienne et Sissi182(*). Dans un autre article, c'est un expert qui
« ajoute » que « l'anorexie mentale
n'a pas attendu la période moderne pour exister », une
phrase qui laisse sous-entendre que c'est également l'opinion du
journal.
Dès le premier article du corpus, le journal met
l'accent sur la gravité de la maladie en titrant
« L'anorexie est une maladie
sérieuse »183(*). Cette idée est à nouveau
répétée dans le corps du texte avec la phrase
suivante : « L'anorexie est une maladie à prendre au
sérieux ». Cet article est une interview d'un
médecin spécialisé dans l'étude de l'anorexie et de
la boulimie, c'est donc à un expert scientifique que La Croix
choisit de donner la parole pour renforcer son propos et ainsi attirer
l'attention du lecteur. Afin de mettre en valeur la gravité de la
maladie, le quotidien mentionne à plusieurs reprises que l'anorexie peut
conduire à la mort. En effet, elle est « mortelle dans
plus de 10% des cas »184(*), et Solenn « atteinte d'une grave
anorexie mentale [...] s'est suicidée à l'âge de
18 ans »185(*). Préciser l'âge qu'avait Solenn est une
façon de souligner la gravité de la maladie. 18 ans renvoie
à l'âge de la jeunesse, une période de la vie qui n'est
d'ordinaire pas associée à la mort. Dans un autre article des
parents témoignent de la « très profonde
anorexie »186(*), de « la profonde
anorexie »187(*) ou encore de la « très grave
anorexie de leur fille »188(*). Par ces qualificatifs, le quotidien souligne
l'ampleur que peut prendre la maladie, une gravité renforcée par
la particule « très ».
c) L'anorexie, une maladie de
l'adolescence
L'anorexie est présentée comme une maladie
« rare »189(*) de l'adolescence, « propre à la
jeunesse »190(*) qui touche particulièrement les filles
« entre 13 et 22 ans »191(*), une représentation
de la pathologie similaire à celle que donne le milieu médical.
Les termes employés pour qualifier les anorexiques, autrement dit les
actants sujets, sont les suivants : « jeune
fille »192(*), « fille
adolescente »193(*), « adolescentes » mais
aussi « enfant »194(*). Le terme « enfant »
revêt deux significations dans les discours. Il est employé soit
pour désigner un enfant qui souffre d'anorexie (c'est alors une anorexie
prépubère), soit il renvoie aux paroles d'une mère qui
parle de sa fille adolescente et la désigne donc comme son enfant.
Outre cette désignation de l'actant sujet, le quotidien
précise dans plusieurs articles la prévalence de la maladie. Elle
est « féminine dans neuf cas sur
dix »195(*) et « touche 1% des jeunes
filles ». Il est intéressant de noter qu'à partir
de 2003, La Croix fournit cette prévalence en distinguant les
filles des garçons : « 90% sont des femmes et 10% des
hommes », « l'anorexie mentale touche en moyenne
dix filles pour un garçon à l'âge de
l'adolescence »196(*)... Nous pouvons considérer que cela
correspond au moment de l'apparition de la figure de l'anorexique masculine,
une apparition qui n'est que le reflet de la réalité. Cependant,
cette reconnaissance de l'anorexie masculine est implicite car le terme
« anorexie masculine » ne figure dans aucun des
discours.
Enfin, le journal mentionne l'origine sociale des anorexiques.
Si au début, la maladie affectait essentiellement les milieux bourgeois,
aujourd'hui elle touche « des milieux plus
larges »197(*) et « on assiste à un
développement de cette pathologie chez les filles comme chez les
garçons provenant de milieux socioculturels
variés »198(*). La représentation de l'anorexie que
véhicule le quotidien est pour le moment fortement semblable à la
description qu'en fait le corps médical.
d) Les caractéristiques mentales
des anorexiques
Nous avons trouvé dans les discours de presse plusieurs
allusions à la personnalité des anorexiques. Un médecin
souligne que « la jeune fille anorexique est très souvent
une élève brillante »199(*) ; ailleurs, les
anorexiques sont des « jeunes gens, doués,
énergiques, déterminés » et la maladie
« semble liée à des tempéraments forts et
exigeants »200(*). Tous ces qualificatifs connotent une certaine
« supériorité » intellectuelle de
l'adolescente anorexique, associée à une forte volonté.
D'autres articles permettent de compléter ce portrait de l'anorexique.
La maladie touche des jeunes filles qui ont « une mauvaise image
d'elle-même »201(*) et sont dépendantes du regard d'autrui. Un
expert souligne que « l'adolescente a peur de perdre le
contrôle, d'être débordée » et adopte
un « comportement ascétique » qui lui
procure un sentiment de maîtrise. Enfin, l'anorexique éprouve une
véritable « phobie du
désir »202(*) ce qui signifie qu'elle ne s'accorde aucun plaisir.
Le journal met bien en valeur les deux facettes de la personnalité de
l'anorexique qui n'a pas uniquement des facilités, elle doute aussi
beaucoup d'elle-même. Ce portrait est donc assez juste même s'il
n'est pas aussi complet que celui de D. Rigaud.
e) Les aspects spécifiques
L'analyse des discours du corpus nous a permis de mettre en
lumière deux spécificités propres au traitement
médiatique de l'anorexie par La Croix. Il est le seul quotidien
à parler de l'anorexie prépubère. Même si nous avons
choisi d'aborder uniquement la forme la plus classique de l'anorexie, il est
intéressant de souligner cette différence. Il semble que cette
précision aille de pair avec la posture préventive qu'adopte le
journal. Nous trouvons les phrases suivantes : « on trouve
aujourd'hui des conduites anorexiques avant la puberté »,
ensuite l'anorexie touche « une jeune ou très jeune
fille »203(*) et des filles « plus jeunes,
très jeunes parfois »204(*). Dans un dernier article205(*), un expert
« souligne » que « depuis quelques
années on assiste à une augmentation du nombre de cas chez des
enfants de moins de très ans » alors
qu' « il y a trente ans cela représentait un cas par
an » et aujourd'hui deux à trois par mois. Le verbe
introducteur « souligne » indique qu'en citant ces
propos le quotidien veut insister dessus. Encore une fois, toutes les citations
qui font référence à l'anorexie prépubère
sont des propos d'experts rapportés au discours direct. De cette
façon, La Croix met en valeur un phénomène bien
réel auquel sont confrontés les médecins aujourd'hui.
La Croix est également le seul journal
à souligner la faillibilité des statistiques concernant les cas
d'anorexie. En effet, il précise que « le
dénombrement des patientes varie notablement selon que l'on
considère des critères stricts ou plus
larges »206(*). Il est vrai qu'une grande partie des malades ne
sont pas prises en charge, et donc exclues des statistiques. Cette
précision témoigne là encore du souci de rigueur dont fait
preuve le quotidien.
f) Le passage de la sphère
privée à la sphère publique
La Croix parle de l'anorexie comme d'un
problème public, une maladie avant « vécue dans le
secret, aujourd'hui sur la place publique ». L'anorexie aurait
basculé de la sphère privée où les problèmes
particuliers sont du ressort des individus, à la sphère publique
dans laquelle elle serait l'objet de débats et donnerait lieu à
des interventions politiques. Cette idée d'un passage de l'anorexie du
statut de sujet tabou à celui de problème public revient à
deux reprises. Un médecin souligne que « l'anorexie
est une maladie dont on n'hésite plus pas parler ce qui est un point
positif »207(*) et le quotidien écrit que « des
parents célèbres [...] ont mis sur la place publique une maladie
que les familles vivent d'ordinaire dans le secret »208(*). Ces propos rejoignent ceux
des auteurs déjà cités qui considèrent que
l'anorexie fait l'objet d'une médiatisation. Certes, cette maladie est
plus connue qu'avant et de nombreuses émissions
télévisées lui sont consacrées cependant, cette
médiatisation doit être relativisée. Le reste de nos
analyses nous fournira des éléments supplémentaires qui
nous permettrons de conclure sur cette question à la fin de notre
étude.
La Croix considère l'anorexie comme une
maladie très grave qui touche aujourd'hui tous les milieux sociaux.
L'anorexique, ou l'actant sujet, est généralement une
adolescente, mais le quotidien n'omet pas de préciser que les
garçons sont aussi touchés. La prévalence que les discours
nous fournissent est similaire à celle que nous avons trouvée
dans la littérature médicale. Les quelques éléments
concernant les caractéristiques mentales des anorexiques
reflètent assez bien les deux facettes de leur personnalité. En
outre, nous avons remarqué que dans plusieurs discours l'anorexique est
individualisée. Le quotidien nous parle de Solenn ou encore de Laurence
en nous précisant leur âge. Cette stratégie discursive est
commune à tous les quotidiens, nous conclurons à la fin de notre
analyse sur l'utilité d'un tel procédé dans un discours
portant sur une maladie. Enfin, il faut souligner que La Croix
rapporte fréquemment des paroles d'experts ce qui indique la
rigueur avec laquelle il entend aborder ce sujet grave. En outre, les
précisions d'ordre médical, les indications chiffrées ne
font que confirmer ce souci d'exactitude.
2. Le Monde : l'anorexie est une
maladie grave qu'il faut distinguer de la petite anorexie
a) L'anorexie, une préoccupation
du journal depuis les années 80
Le Monde fait figure d'exception parmi les quotidiens
sélectionnés pour notre étude, puisque dès 1989
deux articles paraissent sur l'anorexie. Sans les analyser en détail,
nous mentionnerons à chaque étape de notre analyse les
idées les plus importantes véhiculées par ces discours car
elles indiquent comment le quotidien va aborder le sujet. Entre 1992 et 2005,
le journal consacre seulement huit articles à l'anorexie soit un chiffre
relativement faible. Le rubricage n'est pas constant puisque les discours sont
répartis entre les rubriques Littérature,
Télévision, Aujourd'hui et Aujourd'hui
Sciences209(*). La maladie n'est donc pas perçue a
priori comme un sujet relevant du domaine médical, ce qui
n'empêche pas le quotidien de considérer l'anorexie comme une
maladie. En effet, dès les deux premiers articles publiés en
1989, l'anorexie est qualifiée d'« affection
psychiatrique »210(*) et de « trouble
psychique »211(*), qui sont des termes médicaux. Le journal
précise que cette maladie peut entraîner la mort, un détail
important car ce thème reste présent dans plusieurs articles par
la suite. En outre, il souligne que l'anorexie apparaît à
l'adolescence chez des jeunes filles, souvent « au passé
sans histoire »212(*), les garçons n'étant
qu'exceptionnellement atteints.
b) L'anorexie, une maladie grave qui
traduit un refus de la féminité
Pour désigner l'anorexie, le quotidien utilise à
plusieurs reprises l'acception médicale « anorexie
mentale »213(*) mais également des synonymes tels que
« pathologie »214(*), « trouble du
comportement », « affection », et
« symptôme physique d'origine
mentale »215(*). Nous avons remarqué qu'à aucun moment
ne figure le mot « maladie » ce qui peut sembler
étrange. Cependant, les termes que nous venons de citer ont la
même valeur sémantique et ne laisse aucun doute quant à la
qualification de l'anorexie qui est bien une maladie. De plus, l'expression
« souffre d'anorexie » et le mot
« souffrance »216(*) renvoient également à la maladie.
Il faut noter que le quotidien établit une distinction
intéressante entre l'anorexie mentale et la « petite
anorexie », celle-ci résultant de régimes
très stricts qui conduisent des jeunes filles voire des femmes
« vers une maigreur proche de
l'anorexie »217(*). Une précision qui a son importance
puisque les conséquences engendrées par ces deux types d'anorexie
n'ont pas la même ampleur. Nous verrons que Santé Magazine
opère aussi cette distinction.
Comme La Croix, Le Monde souligne la
gravité de la maladie cependant, cette idée ne revient
qu'à deux reprises dans les expressions suivantes :
« pathologie grave »218(*) et « grave
anorexie mentale »219(*). De plus, l'anorexie n'est pas
« très » grave comme l'écrit La
Croix assez fréquemment. Le degré de gravité est donc
moindre. D'ailleurs, Le Monde précise dans un autre article
qu'il existe des « formes plus ou moins sévères et
compliquées d'anorexie »220(*) ce qui tend à ne pas
à nuancer la gravité de la maladie.
A deux reprises, Le Monde donne la parole à
des experts pour définir l'anorexie. Le premier
« explique » que la maladie est un refus
« de s'identifier à la mère, à sa
féminité »221(*) ; le second
« explique » également que c'est
« une réaction adaptative de défense qui survient
à une période de la vie où se réorganisent l'image
du corps et les relations avec l'environnement »222(*). Il insiste sur les deux
symptômes qui doivent alerter les parents : « la perte
de poids rapide, manifeste et qui perdure, ainsi que l'arrêt des
règles ». Enfin, le quotidien mentionne que l'anorexie
traduit un « refus obstiné de
s'alimenter »223(*), lequel peut être accompagné de crises
de boulimie. Comme La Croix, le recours à l'expert permet
d'authentifier les propos qui émanent d'une personne qualifiée.
Les verbes que le quotidien utilise pour introduire leurs paroles sont neutres,
ce qui traduit une certaine distanciation.
c) Une pathologie qui affecte filles et
garçons
Cette pathologie affecte « les jeunes filles
à l'âge de la puberté »224(*) cependant, il faut
préciser que l'un des articles225(*) nous raconte l'histoire de Séverine, douze
ans et anorexique. Or, le corps médical considère qu'en dessous
de treize-quatorze ans, il s'agit d'une anorexie prépubère, ce
que le quotidien ne mentionne pas. Il n'y a pas de distinction entre ce type
d'anorexie et l'anorexie à l'âge de l'adolescence. Nous pouvons
penser que cette imprécision est liée à l'époque
à laquelle a été écrit l'article. En effet, si
aujourd'hui les médecins n'hésitent plus à informer les
parents sur l'anorexie de l'enfant notamment à cause de son
augmentation, en 1992 les cas devaient être encore relativement rares.
L'anorexie « touche essentiellement les jeunes
filles » ce qui représente « 1 à 2%
des adolescentes », mais le quotidien n'exclut pas les
garçons qui sont aussi concernés « dans la
proportion d'un pour dix ». Le Monde attire l'attention
sur l'augmentation de la maladie qui est « deux à trois
fois plus fréquente aujourd'hui qu'il y a une trentaine
d'années »226(*). Nous pouvons noter que toutes ces précisions
médicales concernant l'anorexie se trouvent dans un seul et même
article daté de 1998. Les autres discours de presse ne fournissent aucun
élément chiffré.
Les qualificatifs utilisés pour désigner
l'actant sujet nous rappellent que c'est une maladie qui affecte principalement
les adolescentes. Nous trouvons par exemple les mots
« adolescente anorexique »,
« adolescente »227(*), « jeune
fille »228(*) ou encore « jeunes
anorexiques »229(*). Seuls deux mots renvoient à l'enfance :
« fillette » et
« enfant »230(*) mais ils sont employés pour parler de
Séverine, c'est-à-dire d'une anorexique prépubère
comme nous l'avons mentionné. Dans plusieurs articles, l'anorexique
prend un visage, a un nom : le quotidien nous raconte l'histoire de
Séverine, de Nouk, nous apprend la mort de Solenn, nous « fait
assister » à la consultation de Caroline ou encore laisse
témoigner Anne. Ce recours à l'individualisation témoigne
d'un souci de vérité, et donne au lecteur une
représentation moins abstraite de la maladie.
d) L'anorexique, une jeune fille
brillante
Les discours analysés donnent peu de détails
concernant la personnalité de l'anorexique. Dans un article, le
journaliste écrit que Nouk : « est une petite fille
intelligente et brillante »231(*) qui « n'est jamais
morbide ». Cette dernière précision illustre le
paradoxe que nous avons mentionné : l'anorexique peut risquer sa
vie mais n'a aucune intention suicidaire. Un autre discours nous
révèle que les adolescentes touchées par la maladie sont
« souvent de brillantes élèves, jamais
rassasiées de travail ni de connaissances »232(*). Ces citations nous
permettent de construire un portrait de l'anorexique beaucoup moins
nuancé que pour La Croix. C'est uniquement la
« supériorité » intellectuelle qui est mise
en valeur et rien ne nous rappelle que l'adolescente anorexique est en
réalité une jeune fille qui manque de confiance en elle et qui
est animée par la peur.
Comme La Croix, Le Monde considère
que l'anorexie est une maladie grave mais dans un degré moindre. Elle
affecte des jeunes filles ainsi que des garçons comme le
révèlent les indications chiffrées que nous fournit le
journal. Le Monde fait preuve d'une certaine rigueur puisqu'il
s'attache à distinguer l'anorexie de la petite anorexie. Par contre le
portrait qu'il construit de l'anorexique est peu conforme à la
réalité et ne met en évidence qu'un aspect peu
révélateur de la personnalité de ces jeunes filles.
3. Le Figaro : l'anorexie est une
maladie grave mais peu abordée
a) Un traitement médiatique quasi
inexistant
Les articles dont nous disposons pour notre étude ont
été publiés entre 1997 et 2005. Au cours de cette
période, le Figaro écrit treize articles
« sur » l'anorexie. Par l'usage des guillemets, nous nous
permettons de souligner qu'en réalité peu d'articles sont
véritablement consacrés à l'anorexie comme l'illustre le
rubricage adopté par le quotidien. En effet, cinq articles
relèvent de la rubrique Télévision-Radio, ce qui
correspond quasiment à la moitié du corpus ; trois figurent
dans la rubrique Société, deux dans La vie
scientifique, un dans La vie à Paris, un dans Paris et
Ile de France, et un à la dernière page dédiée
à la rubrique Expliquez-vous. Ce rubricage plutôt
inapproprié nous fournit déjà une idée de la
façon dont Le Figaro va aborder le sujet de l'anorexie. En
effet, parler de cette maladie dans une rubrique sans aucun lien avec la
médecine ou la science, laisse penser que le quotidien ne traite pas
l'anorexie dans une perspective médicale. L'analyse de notre corpus nous
permettra de confirmer cette hypothèse et de l'interroger.
b) L'anorexie, une maladie grave
Malgré ce rubricage inapproprié, Le Figaro
parle de l' « anorexie
mentale »233(*) comme d'une
« maladie »234(*) et la qualifie même de
« véritable maladie »235(*). Le terme
« véritable » permet d'insister et de
souligner que l'anorexie n'est pas une maladie bénigne. Elle appartient
aux « troubles graves des conduites
alimentaires »236(*) et est également qualifiée de
« trouble du comportement »237(*),
« mal-être psychologique »238(*), « trouble du
comportement alimentaire » et de
« mal »239(*). Nous pouvons noter que les termes utilisés
par le quotidien sont moins variés que dans le Monde ou La
Croix qui utilisent également les mots : pathologie,
affection...
L'étude des articles du corpus nous permet de faire
cinq remarques quant à la qualification de l'anorexie. Un expert
souligne que la pathologie « existait déjà au
début du siècle » et dans le même article
Le Figaro écrit que « l'anorexie et la boulimie
sont les deux revers d'une même
médaille »240(*). Ces deux indications sont isolées et ne sont
répétées dans aucun autre discours cependant, il est
important de les mentionner car elles font parties de la représentation
de l'anorexie que véhicule le journal.
A travers plusieurs termes le quotidien met en exergue la
gravité de la maladie. S'il précise que « toutes
les variantes de sévérité peuvent s'observer [et qu']il en
est de même pour la gravité »241(*), plusieurs articles
révèlent que c'est pourtant la gravité de la maladie qui
retient l'attention du journal. Ainsi, nous trouvons à deux reprises le
qualificatif « grave[s] »242(*), mais aussi celui
d'« inquiétant »243(*). De plus, un article du
Figaro annonce une émission télévisée dont
le « sujet douloureux »244(*) est l'anorexie. Par le biais
de ces qualificatifs, le quotidien met donc l'accent sur la gravité de
la maladie et la souffrance qu'elle engendre. Notons cependant que pour Le
Figaro, l'anorexie n'est pas aussi grave que pour La Croix
puisque l'adjectif « grave » n'est employé
que deux fois sur toute la période. De plus, le quotidien ne lui adjoint
jamais la particule « très ». Nous pouvons
tout de même souligner le décalage entre cette perception de
l'anorexie et la façon dont le quotidien traite le sujet. En effet, il
peut sembler surprenant d'insister sur la gravité d'une pathologie mais
de le ne lui consacrer quasiment aucun article de fond (seuls deux discours
parlent « réellement » de l'anorexie). Nous pouvons
interpréter ce parti pris par le journal comme le symptôme de la
difficulté d'écrire sur une maladie, certes courante mais encore
difficile à expliquer.
Un article en particulier a retenu notre attention, il s'agit
de Jacqueline Kelen : `L'anorexie n'est pas une
maladie »245(*) dans lequel Le Figaro interviewe J. Kelen.
Nous avons montré que de par les termes que le quotidien emploie, qu'il
considère l'anorexie comme une maladie. Cet article fait donc figure de
discordance puisque l'auteur propose une « approche spirituelle
de l'anorexie » et se refuse à qualifier l'anorexie de
« maladie ». Elle prétend que les
anorexiques sont en « quête
d'immortalité » et que leur restriction alimentaire est
une façon de « remettre en question [notre]
société profondément matérialiste ».
Ce n'est pas tant la définition que cet auteur donne de l'anorexie qui
retient notre attention, mais les procédés utilisés par le
quotidien pour signifier son désaccord. Nous pouvons déjà
mentionner la rubrique à laquelle figure cette interview :
« Expliquez-vous » qui donne d'emblée
l'impression que Le Figaro lance un défi à Jacqueline
Kelen. Ensuite, dans la première question de l'interview, le journal
précise « vous n'êtes ni médecin ni
psychanalyste. Qu'apportez-vous de nouveau ? ». L'emploi de
la double négation « ni... ni » contribue
à disqualifier les propos cet auteur qui comme le souligne le journal
n'appartient pas au corps médical et n'a donc a priori aucune
compétence scientifique pour parler de l'anorexie. La question qui
succède ne fait que renforcer ce discrédit :
« A travers leur refus de se nourrir, qu'est-ce que les
anorexiques essaient de nous dire selon vous ? ».
L'expression « selon vous » marque la
distanciation du journal. Enfin, la question qui clôt
l'interview « Si vous croisiez une jeune fille anorexique ou
ses parents, que leur diriez-vous ? » est quelque peu
ironique et met en demeure l'auteur de trouver une réponse pertinente.
En effet, quel conseil peut-elle donner à une jeune fille malade qui
risque de mourir, si elle ne considère pas l'anorexie comme une
pathologie ?
Enfin, il nous semble que Le Figaro opère une
confusion entre anorexie et malnutrition. En effet, dans l'un des
articles246(*) qui nous
relate la mort de Malika, la plupart des termes utilisés pour
décrire l'état de la jeune femme appartiennent au champ lexical
de la malnutrition. Elle est « morte de faim » et
« victime de sous-nutrition », elle avait un
« corps squelettique » et était
« décharnée ». Si ces deux derniers
mots peuvent tout à fait correspondre à la description d'une
anorexique, les deux premiers en revanche, renvoie à la malnutrition. Il
faut attendre la fin de l'article pour savoir que « Malika
souffrait d'anorexie depuis dix ans ». Or, comme nous
l'avons expliqué, l'anorexie ne se réduit pas à la
restriction alimentaire qui n'est que l'un des symptômes de la maladie.
Ainsi, nous pouvons penser que le journal réduit l'anorexie à la
restriction alimentaire parce qu'il méconnaît les
véritables caractéristiques de la maladie. Cependant, dans un
article précédent, l'anorexie est bien définie comme
« un trouble » qui « consiste
à ne presque plus se nourrir sans qu'il y ait une absence
d'appétit » et qui entraîne « une
importante perte de poids et des perturbations hormonales, s'exprimant par une
aménorrhée »247(*). Dans cet article, le quotidien rapporte à
plusieurs reprises les propos d'un spécialiste des troubles du
comportement alimentaire, nous pouvons donc supposer que cette phrase reprend
au discours indirect libre les dires de cet expert. Cela expliquerait la
discordance que nous venons de souligner. De plus, le vocabulaire
employé relève du champ médical alors que les termes
médicaux sont peu fréquents dans le reste des discours.
c) Un actant sujet essentiellement
féminin
Les mots employés pour qualifier l'anorexique sont peu
nombreux ce qui montre encore une fois que le quotidien ne parle pas vraiment
de l'anorexie. Seuls deux articles nous mentionnent que l'anorexie fait
« des ravages chez les jeunes femmes des pays
riches »248(*) et qu'elle « atteint majoritairement
les filles, le plus souvent des adolescentes »249(*). Le terme de
« garçon » ou « adolescent »
n'apparaît jamais. Nous pouvons noter une différence dans la
tonalité de ces deux phrases qui peuvent aisément s'expliquer. La
première provient du discours propre du journal tandis que la seconde
est issue des propos d'un expert (P. Jeammet) rapportés au discours
indirect libre. Par le terme de « ravage », le
journal veut insister sur l'augmentation des « cas
d'anorexie » durant ces dernières décennies,
« il y en aurait trois fois plus »250(*) et c'est environ
« une jeune fille sur cent »251(*) qui en souffre. Notons que
les données chiffrées sont moins nombreuses et moins
précises que dans Le Monde et La Croix, ce qui
témoigne d'une faible rigueur. Dans un autre article, le quotidien
insiste sur le taux de mortalité et précise que
« pis 10% des adolescentes anorexiques en meurent
chaque année ». L'anorexie est donc bien une maladie
grave puisque mortelle, pourtant Le Figaro y consacre peu d'articles.
Nous pensons que le taux de mortalité que donne le quotidien est
erroné. En effet, « la mortalité globale [...] est
très variable d'une étude à l'autre, de nulle à
plus de 10% »252(*), d'autre part un médecin précise que
« la mortalité globale de l'anorexie mentale a
été récemment estimée à 0,5-1% par
année d'évolution »253(*), il n'y a donc pas 10%
d'anorexiques qui meurent chaque année.
Comme dans les quotidiens précédemment
étudiés, l'actant sujet est individualisé à deux
reprises. L'un des discours du quotidien évoque la mort de Laurence, 15
ans, la fille de B. Chirac et un autre de Malika, 26 ans. Le Figaro ne
s'attache pas à dresser le portrait des anorexiques comme le montre la
seule indication que nous ayons trouvé : l'adolescente est
« perfectionniste »254(*).
Les discours du Figaro se distinguent de ceux de
La Croix et du Monde sur différents points. S'il
considère bien que l'anorexie est une maladie grave, il insiste beaucoup
moins sur cet aspect. De plus, il mentionne bien que cette pathologie affecte
principalement les filles, ce qui sous-entend que des garçons sont
également concernés cependant, le terme en lui-même
n'apparaît pas. Ensuite, ses propos sont beaucoup moins rigoureux :
la terminologie employée pour désigner la maladie est peu
variée et les indications concernant la prévalence de l'anorexie
sont faibles. De plus, certains propos sont erronés comme le taux
de mortalité ou la répartition socioculturelle de la maladie.
Enfin, il semble que le quotidien opère une confusion entre anorexie et
malnutrition, ce qui laisse croire qu'il connaît mal cette pathologie.
Pour terminer, il ne dit quasiment rien de la personnalité des
anorexiques, un aspect pourtant important puisque comme nous l'avons
montré la maladie ne survient pas chez n'importe qui.
3. L'Humanité : l'anorexie
une maladie qui touche les femmes et les hommes
a) L'anorexie, une maladie qui
apparaît au printemps
Entre 1993 et 2005, L'Humanité publie
seulement huit articles sur l'anorexie, ce qui témoigne d'un faible
intérêt pour la maladie. De plus, ces articles sont relativement
courts excepté celui qui constitue le témoignage d'une
anorexique. La plupart se trouvent dans la rubrique
Société ou Médias, le quotidien n'ayant
pas de rubrique Médecine ou Sciences. Cependant,
L'Humanité considère bien l'anorexie comme une
« maladie », un terme employé à cinq
reprises sur toute la période255(*). C'est même une « maladie qui
dévore le corps et l'esprit »256(*), une façon de dire
que l'anorexie est à la fois une pathologie psychique et somatique. Le
verbe « dévore » souligne l'ampleur de la
maladie. Nous trouvons également les mots
« troubles » et « labyrinthes
mentaux de l'anorexie »257(*). Nous pouvons remarquer que le lexique
employé est beaucoup moins riche que dans La Croix ou Le
Monde. La terminologie n'est pas médicale, un constat que les
autres analyses vont confirmer. Le quotidien sous-entend que l'anorexie est une
maladie mentale qui se distingue de la
« `folie' »258(*) même s'il n'emploie jamais l'acception
médicale « anorexie mentale ». L'usage des
guillemets pour le mot folie est une façon de mettre à distance
ce qualificatif, le journal laisse entendre par ce procédé qu'il
y aurait une dimension rationnelle à l'anorexie, une explication. Nous
trouvons également l'expression « désordres
alimentaires »259(*), qui contraste avec le terme usité par le
corps médical : troubles alimentaires. Alors que le mot
« trouble » renvoie à un problème d'ordre
psychologique difficile à expliquer, celui de
« désordre » donne l'impression que la maladie peut
disparaître rapidement et facilement. Enfin, pour le quotidien il est
possible d'« attraper une anorexie »260(*). Employer le verbe
« attraper » qui renvoie à l'expression
« attraper un rhume », revient à dire que
l'anorexie est une maladie qui peut survenir à n'importe quel moment et
qui peut également se guérir facilement. Malgré cette
tonalité légère, le quotidien suggère que
l'anorexie est une maladie douloureuse en employant à plusieurs reprises
le mot « souffrance » : Solenn, la fille de Patrick
Poivre d'Arvor « souffrait d'anorexie »261(*) et des jeunes femmes
« souffrent d'anorexie »262(*) après avoir fait
plusieurs régimes. Notons que contrairement aux autres quotidiens, le
qualificatif « grave » n'est pas utilisé.
Un autre élément est révélateur de
la légèreté avec laquelle L'Humanité parle
de l'anorexie. A deux reprises il laisse entendre que cette maladie
s'attraperait plus spécifiquement au printemps. L'anorexie est
« diagnostiquée [...] lorsque le printemps
revient »263(*) car « dès le retour du
printemps, haro sur les kilos »264(*). Cette corrélation
entre l'apparition de l'anorexie et l'arrivée du printemps s'explique
facilement : pour L'Humanité, l'anorexie est la
conséquence d'une succession de régimes et c'est le plus souvent
au printemps que les femmes entreprennent un régime. (Nous
développerons plus loin cet aspect car il nous renvoie à la
performance de l'anorexique). Nous ne pouvons que souligner l'erreur commise
par le journal qui reflète une méconnaissance de la maladie.
Les discours de presse nous fournissent un dernier
élément concernant la qualification de l'anorexie : par deux
fois nous retrouvons l'idée que l'anorexie et la boulimie constituent
les deux facettes d'une même maladie :
« l'anorexie/boulimie » et
« l'anorexie et/ou la boulimie, deux facettes d'un même
trouble »265(*). Cette idée est partagée par une
partie du corps médical cependant, le journal n'a pas recours aux propos
d'un expert pour appuyer ses dires. D'ailleurs, dans aucun article,
L'Humanité ne donne la parole à aucun expert pour
justifier ou renforcer ses propos. Seule une psychologue britannique266(*) apparaît dans un
discours. Nous pouvons interpréter cette « absence »
comme un parti pris du quotidien : il n'entend pas s'attarder sur les
aspects médicaux de la maladie mais plutôt l'envisager comme un
problème de société. A ce titre, il s'attachera
plutôt à comprendre qui sont les destinateurs de la maladie. En
effet, nous verrons que le régime et l'influence des médias sur
les femmes sont des thèmes récurrents dans les discours.
b) L'actant sujet, une femme ou un homme
Dans les articles étudiés, nous avons
distingué quatre façons de désigner l'anorexique.
L'Humanité parle de
« femmes »267(*), de « jeune femme », de
« jeune »268(*), de « jeune
fille »269(*) et d'« enfants
anorexiques »270(*). Il est intéressant de noter que le terme de
« femme » est plus récurrent que celui de
« jeune fille ». De plus, le mot
« adolescente » n'apparaît dans aucun
article alors que l'anorexie est considérée comme une maladie de
l'adolescence par le corps médical. Nous pouvons penser que cette
différence dans la qualification des anorexiques résulte d'une
mauvaise connaissance de la maladie : le journal confond les femmes qui
font des régimes avec les jeunes filles anorexiques. Cependant, à
quatre reprises l'actant sujet est individualisé et il s'agit soit d'une
adolescente soit d'une jeune femme mais jamais d'une femme (Samantha, une
britannique de 26 ans271(*), Solenn, dix-huit ans272(*) et Clara, anorexique
à quinze ans273(*)). Malgré cette confusion entre
« femme » et « jeune
fille », à travers des exemples précis, le
quotidien montre que l'anorexie est une maladie qui touche principalement les
adolescentes.
Nous avons relever une seconde spécificité quant
à la désignation de l'actant sujet : le quotidien parle à
deux reprises des « hommes », des
« mâles »274(*) et de « la gent
masculine »275(*) qui pourraient bientôt être
concernés par la maladie. Selon le journal, c'est parce qu'ils
deviennent sensibles aux photos que proposent les magazines qu'ils sont
susceptibles de devenir anorexiques. Cette allusion à
l' « anorexie masculine » n'a aucun point commun avec
l'anorexie masculine qui touche les adolescents. Il semblerait que le journal
confonde encore une fois les hommes qui entreprennent des régimes et les
adolescents atteints d'anorexie.
En ce qui concerne la fréquence de la maladie et sa
prévalence parmi les adolescentes, le journal fournit très peu
d'indications. Nous pouvons juste lire dans un article :
« l'anorexie et/ou la boulimie, deux facettes d'un même
trouble, qui touche à plus de 95% des femmes »276(*). Ce pourcentage est peu
précis puisqu'il prend aussi en compte la boulimie. De même,
L'Humanité parle peu de la répartition socioculturelle
de la maladie et souligne que l'anorexie est « un problème
de santé publique qui ne concerne pas que les
bourgeoises [...] et qui fait des mortes chaque année
»277(*) ;
une façon de dire que toutes les classes sociales sont touchées
aujourd'hui. L'Humanité évoque de façon implicite
la gravité de la maladie qui peut conduire à la mort cependant,
son discours ne s'appuie sur aucune donnée chiffrée. Cette
absence de détails rappelle l'hypothèse que nous avons
faite : le quotidien ne s'intéresse pas à la maladie d'un
point de vue médical. Les deux termes qu'il utilise
(« fléau social » et
« problème de santé publique »)
méritent quelques remarques. Un fléau se définit comme
« une grande calamité publique »278(*), un terme qui est donc
relativement fort, par lequel le journal met en valeur la gravité de la
situation. Cependant, il semble qu'ici l'emploi de ce mot soit un peu
exagéré. Certes l'anorexie est de plus en plus fréquente
mais elle se limite à une partie de la population bien définie.
Nous pensons qu'en utilisant ce mot, le quotidien souhaite attirer l'attention
du lecteur mais aussi du gouvernement, l'enjoignant à agir. En
qualifiant l'anorexie de « problème de santé
publique », le journal se distingue des autres quotidiens
puisque aucun n'y fait référence (seule La Croix
évoque la sphère publique) et rejoint l'opinion du corps
médical. Là encore il peut sembler étrange d'utiliser
cette dénomination alors même qu'aucun discours ne
s'intéresse en profondeur à la maladie. C'est donc bien une mise
en demeure à laquelle L'Humanité procède, le
gouvernement doit prendre en charge cette maladie qui concerne toute la
société (nous y reviendrons dans la dernière étape
de notre analyse).
c) Clara, le portrait d'une
anorexique
Les caractéristiques mentales des anorexiques sont
évoquées de façon indirecte dans le témoignage de
Clara279(*). Le
quotidien laisse la parole à cette anorexique qui nous raconte sa
« lutte » contre la maladie. Celle-ci explique
qu'au collège « c'était trop
facile », que la gymnastique « ça a bien
marché tout de suite » et que sans se forcer elle
était première. Que ce soit à l'école ou pour des
activités extra-scolaires, elle avait « l'impression de ne
jamais faire d'effort, c'était bien ». Toutes ces
expressions révèlent la facilité avec laquelle la jeune
fille entreprenait ce qu'elle faisait. Peu à peu, elle raconte qu'elle a
commencé à paniquer, à être stressée et
à avoir peur : « je
paniquais », « je ne vaux rien, pourquoi je
n'y arrive pas », « je n'arrivais plus à
rien », « ça m'a fait
peur ». Ce contraste entre ses facultés intellectuelles,
sportives et son manque de confiance, la peur qu'elle ressent illustre bien
l'ambivalence dans laquelle se trouve l'anorexique. En nous rapportant les
propos de Clara, le journal livre au lecteur un portrait assez fidèle
d' « une anorexique », ou du moins il montre bien que
l'adolescente anorexique n'est pas uniquement une jeune fille brillante et
perfectionniste comme le laissent croire les discours de le Monde et
Le Figaro. Une dernière remarque s'impose par rapport à
cet article. Le journal adopte une stratégie discursive
particulière, le témoignage, qui consiste à laisser la
parole à un tiers et qui permet de donner plus de
crédibilité aux propos puisqu'une personne a réellement
vécu ce qu'elle raconte.
Si L'Humanité qualifie bien l'anorexie de
maladie c'est quasiment le seul point commun avec la représentation que
véhiculent les autres quotidiens. Les différentes remarques que
nous avons pu faire nous indique qu'il ne connaît pas bien la maladie. Il
opère une confusion entre les femmes qui font un régime et
l'anorexie ce qui le conduit à désigner un actant sujet
différent des autres quotidiens. Il occulte l'aspect médical de
la maladie comme l'indique l'absence de termes médicaux, le manque de
précision dans les données chiffrées (par exemple, le
pourcentage qu'il donne ne nous fournit aucune indication fiable quant à
la prévalence de l'anorexie). De façon implicite, il signale que
la maladie touche aujourd'hui toutes les classes sociales. Enfin l'absence
d'experts confirme que ce n'est pas l'aspect médical de l'anorexie qui
intéresse le quotidien. Seul le témoignage de Clara nous fournit
quelques éléments pertinents notamment en ce qui concerne le
portrait de l'anorexique. D'ailleurs nous verrons au fil des analyses que ce
témoignage fait figure de rupture par rapport aux autres discours de
L'Humanité. Malgré ces imprécisions et ces
erreurs, le quotidien considère l'anorexie comme un
« fléau social » et un
« problème de santé publique », des
expressions intéressantes qui laissent supposer que
l'intérêt du journal est ailleurs.
4. Libération : l'anorexie
est une maladie dont le journal parle très peu
a) Un traitement quasi inexistant du
sujet
Le premier article dont nous disposons sur l'anorexie date de
2000. Il y a donc une différence assez flagrante entre
Libération et certains quotidiens comme Le Monde qui
dès 1989, aborde le sujet. Cette quasi absence peut s'interpréter
comme un désintérêt pour la maladie,
Libération occulte un sujet qu'il ne considère pas comme
important. Nous pouvons souligner le décalage entre l'apparition d'un
discours relativement tardif sur cette maladie et l'importance que le corps
médical lui accorde depuis plusieurs années. Entre 2000 et 2005,
seuls dix articles abordent le thème de l'anorexie. Si quantitativement,
ce traitement médiatique est supérieur à celui d'autres
quotidiens comme Le Monde, il doit être relativisé. En
effet, parmi ces dix articles, très peu abordent la maladie en
elle-même et les discours du journal sont bien souvent des discours sur
autre chose que l'anorexie. Le rubricage constitue la seconde
spécificité du traitement médiatique de l'anorexie par
Libération : les discours se répartissent entre la
rubrique Télévision (trois articles), la rubrique
Vous (trois articles), la rubrique Livres (deux articles), la
rubrique Monde et la rubrique Multimédia (un article
dans chaque). Ce rubricage diffère sensiblement de celui qu'adopte
La Croix par exemple qui publie la plupart de ses articles sur
l'anorexie dans la rubrique Médecine, ou de
L'Humanité qui privilégie la rubrique
Société. Cela laisse présager des discours peu
rigoureux du moins d'un point de vue médical.
Le quotidien ne parle pas réellement de cette maladie
au sens où il ne donne que très peu d'informations
médicales : aucun article ne porte sur les facteurs de l'anorexie
qui sont mentionnés de façon implicite, le seul article qui
fournit des données chiffrées est une brève ce qui
illustre bien le faible intérêt que porte le journal à
cette maladie. Nous avons remarqué que dans un article, le mot
« anorexie » figure uniquement dans le titre mais
pas dans le corps de l'article280(*). En réalité, le journal
s'intéresse aux mannequins américains
« anorexiques ». Dans le reste du corpus, un article
annonce l'émission de Julien Courbet sur l'anorexie et la boulimie, un
autre est consacré à la fermeture des sites pro-anorexiques ou
encore à la publication d'un livre sur l'anorexie. Le thème de
ces discours souligne bien que le quotidien n'aborde pas l'anorexie directement
en tant que pathologie mais à travers des événements qui y
sont liés. A ce titre, nous pouvons préciser que
Libération interviewe un sociologue (et non un médecin)
qui évoque « le rapport des femmes au
gras »281(*). Au cours de l'interview, cet expert précise
qu'il parle « d'un point de vue sociologique - et pas
pathologique ». Un indice intéressant qui
révèle que le journal n'entend pas non plus parler de l'anorexie
d'un point de vue pathologique, donc médical. Cependant, nous pouvons
quand même déceler dans les discours de presse des indications
relatives à la qualification de la maladie et à l'anorexique.
b) L'anorexie est une maladie
L'étude des articles du corpus révèle
l'emploi de trois qualifications différentes pour dénommer
l'anorexie. La première désignation de la maladie se trouve dans
les discours propres de Libération, qu'il assume en tant que
locuteur. Ainsi, il considère que l'anorexie est une
« maladie » (un terme qui revient à
plusieurs reprises)282(*),
« psychique »283(*), et même
« scandaleuse »284(*). Les termes « trouble du comportement
alimentaire »285(*), et « phobie de la
calorie »286(*) sont également utilisés. Comme
L'Humanité, Libération suggère plusieurs
fois la souffrance : « les adolescents [qui] souffrent
d'anorexie »287(*) ou encore « ceux qui souffrent
d'anorexie et de boulimie »288(*). Evoquer la souffrance est une façon de
rappeler que l'anorexie est une maladie. Nous pouvons remarquer que
Libération n'emploie jamais le terme médical
« anorexie mentale » dans ses discours. Nous
pouvons d'ores et déjà signaler le clivage qui se dessine entre
les journaux qui recourent à une terminologie médicale et ceux
qui n'utilisent que les termes vulgarisés.
Outre ces mots issus du discours propre du journal, d'autres
termes plus médicaux sont utilisés pour parler de l'anorexie. Ils
proviennent alors toujours de propos d'experts rapportés au discours
direct ou indirect libre. L'article Tourments sans faim ;
psychanalyse289(*),
qui est un résumé du livre du professeur P. Jeammet, nous en
fournit plusieurs exemples. Ainsi, le terme « anorexie
mentale » est employé pour la première fois, tout
comme les mots « pathologie »,
« conduite addictive »,
« addiction »,
« mal » ou encore
« symptôme ». Cet auteur compare aussi
l'anorexie à un comportement d'autosabotage. C'est également le
seul article dans lequel figure le terme
« patiente » qui nous rappelle que l'anorexie est
bien une maladie et que les personnes qui en souffrent doivent être
prises en charge. C'est aussi le seul discours qui nous livre une
définition précise de l'anorexie. Tous ces mots, que
Libération reprend à son compte le plus souvent au
discourt indirect libre, sont ceux d'un expert. C'est pourquoi cette
terminologie médicale tranche avec les termes employés par le
journal dans les autres articles. La stratégie discursive adoptée
par Libération nous permet de dire qu'il approuve les dires de
l'expert. Si deux voix parlent, celles-ci s'unissent pour considérer
l'anorexie comme une maladie.
Une troisième voix, cette fois-ci discordante, se fait
entendre dans un article qui a pour thème les sites internet
pro-anorexiques. Il faut préciser que c'est le seul quotidien qui
s'intéresse à ce problème alors que l'existence de tels
sites est réellement problématique. Le journal rapporte les
propos des anorexiques que nous pouvons lire sur Internet. Elles
prétendent que « l'anorexie est un art de vivre, pas une
maladie », une « amie » et un
expert ajoute qu'elles la considèrent une
« super-victoire »290(*). Le quotidien ne cautionne
pas cette représentation de la maladie et dénonce, par le biais
d'experts, l'existence de tels sites.
Les discours divergent sur un autre aspect, celui de
l'origine de la maladie. Il semble que Libération ne tranche
pas entre ancien ou nouveau puisque dans deux articles, les avis divergent. En
2003, le quotidien publie une interview de Jean-Pierre Corbeau qui explique que
l'anorexie n'est pas une maladie nouvelle. « La négation
du corps ne date pas d'hier »291(*) et le sociologue
récapitule en quelques phrases l'histoire de l'anorexie. Le mode de
l'interview, sur lequel est basé cet article, ne permet pas de savoir si
Libération est plutôt d'accord avec son interlocuteur ou
non. Nous pouvons supposer que l'opinion de cet expert est celle du journal
puisqu'il lui donne la parole. De même en 2005, nous trouvons la phrase
suivante : « les troubles du comportement alimentaire sont
loin d'être une pathologie nouvelle »292(*). Cependant, en 2005, une
autre voix se fait entendre. Un article annonce la sortie du livre de
Jean-Philippe de Tonnac, et le journal conclut en citant la phrase qui ouvre
cet ouvrage : « c'est une maladie nouvelle qui tend comme un
tamis entre la nourriture et l'estomac »293(*). Aucun indice ne nous
permet de savoir pour quelle interprétation penche le quotidien.
Le quotidien fournit peu d'indications chiffrées quant
à la prévalence de l'anorexie. En 2001, il mentionne une
première fois qu' « en France, 5 à 13% des
adolescents souffrent d'anorexie. Un chiffre qui augmente chaque année.
Neuf sur dix sont des filles »294(*). Il est intéressant de relever que
malgré cette indication de l'augmentation des cas d'anorexie, en 2005
Libération prétend à nouveau que
« 5 à 13% des adolescents » souffrent
d'anorexie, et que « neuf sur dix sont des
filles »295(*). Il introduit ses propos en écrivant
« les spécialistes estiment », une
façon de se mettre à distance mais peut-être aussi de
montrer qu'il n'est pas compétent pour parler de ce sujet. Nous pouvons
souligner qu'il semble peu probable que la répartition
fille-garçon soit restée inchangée en quatre ans.
D'ailleurs nous verrons que les estimations données par
Santé Magazine sont différentes, aujourd'hui
l'anorexie touche plus d'un garçon sur dix. Il avance également
que « 7 à 10% des ados en
meurent »296(*) et n'y consacre que quelques lignes ce qui est pour
le moins paradoxal. En effet, Libération montre, chiffres
à l'appui, que l'anorexie est une maladie mortelle et ne consacre aucun
article de fond sur le sujet (le seul article relativement complet est en
réalité le résumé du livre de P. Jeammet). Les
discours de presse nous fournissent un dernière indication concernant la
répartition socioculturelle de la maladie : J.-P. Corbeau explique
qu'« au XXème siècle, l'anorexie
apparaît dans des trajectoires sociales
bourgeoises »297(*), une affirmation erronée puisqu'en
réalité aujourd'hui la maladie affecte toutes les classes
sociales.
c) L'anorexique n'est pas toujours une
adolescente
Le journal a recours à différents termes pour
désigner les anorexiques. La plupart du temps c'est une
« adolescente »298(*), « une jeune
fille »299(*) comme Vanessa qui vient témoigner dans une
émission télévisée. Cependant,
Libération précise que la maladie peut également
toucher des « jeunes adultes »300(*). Dans l'un des
récits, l'anorexique prend un visage masculin. Le quotidien nous fait
part de la sortie d'un livre écrit par un jeune homme, anorexique
à l'adolescence. L'article révèle déjà en
lui-même que les garçons peuvent être concernés par
cette maladie. Le récit le confirme en précisant que
« la communauté de l'ana » est une
« société secrète » qui
compte « des jeunes filles et quelques jeunes
hommes ». Nous pouvons penser que le qualificatif de
« jeune » est employé au même titre
que celui d' « adolescent » et que le terme
« jeune homme » renvoie à un adolescent. Un
autre récit301(*)
nous révèle que l'anorexique peut être une femme adulte. Le
journal consacre un article à un restaurant allemand dédié
aux anorexiques et aux boulimiques, dont la patronne de 33 ans est
« elle-même anorexique ».
Il est intéressant de noter que
Libération mentionne une « Miss
Anorexie » dans le premier article de notre corpus302(*). Il est difficile de savoir
si cette désignation résulte d'une confusion entre anorexie et
maigreur ou s'il s'agit réellement d'un mannequin anorexique. En effet,
le mot « anorexie » ne figure pas dans le corps de
l'article, par contre nous y trouvons plusieurs termes appartenant au champ
lexical de la maigreur tels que « si maigres »
à deux reprises, « maigreur » et
« maigres ». Cependant, certains mannequins
américains sont effectivement connus pour leur anorexie, comme le
rappelle l'un des discours de L'Humanité, ce qui ne permet pas
de trancher.
Libération s'intéresse peu à
l'anorexie comme l'indique le rubricage qu'il adopte. En effet, il se contente
de qualifier l'anorexie de maladie et nous fournit peu de données
médicales. En outre, celles dont nous disposons sont peu fiables. Par
exemple, le pourcentage qu'il nous donne sur la proportion des adolescents
affectés par la maladie n'évolue pas malgré les
années. Certains propos sont erronés comme l'indication qui
concerne l'origine sociale des anorexiques. La spécificité des
discours du journal réside dans la qualification de l'actant sujet qui
peut être tantôt une adolescente, un adolescent ou encore une
adulte. Enfin, nous n'avons trouvé qu'un indice concernant la
personnalité de l'anorexique, rapporté par un expert, qui
souligne que l'« adolescente prend le pouvoir dans sa
famille et impose ses lois »303(*), autrement dit qu'elle est tyrannique, un terme que
nous trouvons dans la littérature scientifique mais auquel ne se
réduit pas la personnalité d'une anorexique.
6) Santé Magazine : une
approche médicale de l'anorexie
a) Un traitement médiatique
rigoureux et précis
Entre 1985 et 2005, Santé Magazine publie neuf
articles sur l'anorexie mentale, ce qui est relativement peu au regard du
rôle d'information qu'est censé remplir un magazine de
santé. Cependant, les articles consacrés à cette maladie
sont relativement longs et complets et témoignent d'un souci de
prévention que nous évoquerons dans le dernier volet de notre
étude. Notre analyse ne portera que sur les articles écrits entre
1991 et 2005 néanmoins, nous allons évoquer rapidement les
idées des deux premiers discours, ce qui nous permettra de comprendre
comment a évolué la représentation de la maladie. Dans
Peut-on guérir l'anorexie mentale ?304(*) et La haine de
l'assiette305(*),
le discours du magazine suit un schéma bien précis que nous
retrouvons dans quasiment tous les articles : le journaliste commence par
présenter la maladie et ses symptômes, puis il aborde les causes
de l'anorexie, s'attache à décrire les pratiques des malades et
termine par la question de la prise en charge médicale. Dans une
perspective actantielle, nous pouvons dire que c'est autour de trois
étapes du schéma narratif306(*) que Santé Magazine construit ces
discours. Il faut préciser qu'il est le seul à adopter cette
structure narrative. En effet, les autres quotidiens n'abordent jamais ces
trois étapes du schéma narratif dans un même article ou du
moins pas d'une façon aussi marquée. Cette construction
discursive découle de la position de Santé
Magazine : en tant que magazine d'information sur la santé, il
ne peut traiter le thème de l'anorexie en faisant l'impasse sur l'une
des facettes de la maladie. Il est donc assez logique de retrouver dans chacun
des articles ces trois étapes du schéma narratif.
Néanmoins, cela n'empêche pas des journaux comme La Croix
de s'attacher à décrire tous les aspects de la maladie (dans
certains articles), d'où une certaine similitude avec Santé
Magazine dans la structure des discours.
Les deux premiers articles307(*) sur l'anorexie, publiés dans les
années 80, sont classés dans la rubrique
Médecine, ce qui nous indique d'emblée la perspective
dans laquelle se place Santé Magazine. L'anorexie est une
maladie, c'est donc d'un point de vue médical qu'il faut en parler. Ce
rubricage reste constant tout au long de la période
étudiée. Le titre du premier article Peut-on guérir
l'anorexie ? nous fournit deux indications. Il révèle
que l'une des préoccupations majeures du journal concerne la
guérison de l'anorexie, une caractéristique que nous retrouverons
dans les autres articles. Ensuite le terme
« guérir » confirme que l'anorexie est bien
considérée comme une maladie. En ce qui concerne la construction
de la figure de l'anorexique, ces deux articles désignent la malade
comme une adolescente issue d'un milieu aisé, qui refuse de manger. Ce
refus traduit une peur de devenir adulte. Le terme
« étrange » révèle que
l'anorexie est à cette époque, encore une maladie
mystérieuse.
b) Le recours à une terminologie
médicale
A partir des années 90, la qualification de la maladie
devient plus précise : l'anorexie est une maladie
« psychique »308(*),
« psychologique »309(*) d'où le
qualificatif de « mentale », qui se manifeste
« de façon
physiologique »310(*). Toutefois, une part de d'incertitude
subsiste comme le révèle cette succession de questions :
« L'anorexie mentale, un syndrome culturel ? Une maladie
psychosomatique ? Ou bien un trouble du comportement alimentaire ? En
réalité, l'anorexie mentale est un peu tout cela à la
fois »311(*). L'anorexie mentale est donc
présentée comme une maladie composite au carrefour du psychisme
et du somatique, et en rapport avec la nourriture. Il est intéressant de
noter que Santé Magazine utilise presque toujours le terme
médical « anorexie mentale » là
où la plupart des quotidiens parlent simplement
d' « anorexie ». Outre le terme de
« maladie »312(*), nous trouvons celui de
« pathologie »,
« syndrome »,
« trouble », « trouble du
comportement alimentaire »313(*) qui servent à désigner
l'anorexie. Ainsi, la terminologie utilisée par le magazine nous
rappelle que c'est sous un angle de vue médical qu'il entend aborder le
sujet. De plus, les termes et les adjectifs qualificatifs employés sont
variés et plus nombreux que dans les discours des quotidiens que nous
avons étudiés. Notons également que dans quasiment tous
les articles, le magazine s'attache à décrire les trois
symptômes de l'anorexie, à fournir « les
données cliniques »314(*) que sont : l'amaigrissement, l'anorexie et
l'aménorrhée. Par exemple, il précise que
« l'anorexique peut perdre entre 25 et 50% de son poids d'origine
en quelques mois [...] [que les règles] se font de plus en plus
irrégulières jusqu'à disparaître
complètement »315(*). Presque tous les discours du magazine fournissent
des précisions de ce type, qui reflètent la rigueur avec lequel
Santé Magazine parle de l'anorexie. Si ces trois
symptômes sont parfois mentionnés dans les autres quotidiens comme
nous l'avons souligné, c'est la plupart du temps de façon
allusive. Les critères de la maladie sont juste évoqués
sans détails. Notons d'emblée que ces précisions
introduisent un clivage entre la représentation de l'anorexie que
véhicule Santé Magazine et celle que nous livrent les
quotidiens.
c) L'anorexie de l'adolescente, une maladie du refus qui
ne vise pas à l'autodestruction
Santé Magazine ne se contente pas d'utiliser
des termes médicaux pour nommer l'anorexie. Les discours nous livrent
plusieurs définitions de la maladie qu'il est important de citer car
elles nous permettront de comprendre comment le magazine construit la figure du
destinateur de l'anorexique, évoque sa performance et la prise en charge
de la maladie. Dans le premier article de la période, le magazine
écrit que l'anorexie survient chez les jeunes filles qui
« refusent, ont peur »316(*), une définition que
les propos d'un médecin viennent confirmer voire même
renforcer : « l'attitude de refus de la nourriture est une
attitude de refus tout court ». Nous retrouvons ce thème
du refus quelques lignes plus loin : l'anorexie « traduit un
refus de grandir »317(*) et « de devenir
adulte ». Cette fois-ci, c'est le témoignage d'une
ancienne anorexique qui vient confirmer, légitimer cette
interprétation. Elle « avait peur des hommes. Peur de la
société des adultes toute entière [...] et voulai[t]
rester une enfant ». Cet article de Santé
Magazine nous fournit un dernier élément quant à la
définition de l'anorexie qui peut « alterne[r] souvent
avec des formes sévères de boulimie ». Une phrase
qui renvoie au second type d'anorexie que nous avons identifié :
l'anorexie-boulimie. Notons qu'à aucun moment, le magazine ne distingue
explicitement les deux formes d'anorexie.
Dans deux article, l'anorexie est qualifiée de
« conduite restrictive face à
l'alimentation »318(*), le magazine ne fait que reprendre la
définition courante de l'anorexie. En 1997, Santé Magazine
délègue la parole à un expert qui assimile l'anorexie
à une « `stratégie de
défense' ». Le journaliste précise cette
définition en écrivant que si « le refus de
s'alimenter [peut] conduire à la mort, l'anorexie mentale n'est pas un
comportement d'autodestruction, c'est une tentative
désespérée d'affirmation de soi »319(*). Une précision
importante qui introduit un clivage entre la façon dont Santé
Magazine se représente la maladie et l'interprétation qu'en
donnent certains quotidiens nationaux. En effet, nous avons montré dans
les analyses précédentes Libération assimilait,
par la vois d'un expert, l'anorexie à un autosabotage.
Enfin, le témoignage de Vanessa confirme ce refus de
grandir et plus particulièrement le rejet de la
féminité : « j'avais la sensation que mon
état était une forme d'émancipation alors qu'il
n'était que la peur de devenir femme, adulte. Grâce à
l'anorexie j'avais le pouvoir d'aller contre et d'arrêter le cycle
naturel de la vie, des métamorphoses
corporelles »320(*).
A travers ces citations, nous voyons que Santé
Magazine donne plusieurs dimensions à l'anorexie :
l'adolescente refuse de grandir mais rejette aussi la féminité
cependant, son comportement ne vise pas à l'autodestruction. Cette
représentation de l'anorexie est identique à la définition
que donne le corps médical de cette pathologie.
d) Ne pas confondre l'anorexie à l'adolescence avec
les autres formes d'anorexie
L'étude de notre corpus nous a
révélé qu'à plusieurs reprises Santé
Magazine prend soin de distinguer l'anorexie des adolescentes des autres
formes d'anorexie. Dans un premier temps, « la véritable
anorexie mentale » ne doit pas être confondue avec
« les conduites anorexiques - qui sont fréquentes
»321(*). Une
première distinction que le magazine établit à nouveau en
1997 : « il ne faut pas confondre les conduites
anorexiques, fréquentes (celles des adolescents qui, se trouvant trop
gros, se mettent à suivre un régime draconien pendant quelques
semaines), avec la véritable anorexie mentale »322(*).
L'anorexie de l'adolescente se distingue également de
l'anorexie de nourrisson323(*) auquel le magazine consacre un encart en 1991. En
1997, il est à nouveau précisé que « si
l'anorexie est d'abord une maladie de l'adolescence [...] elle touche aussi des
enfants, des femmes de la quarantaine, des personnes âgées et
même des hommes »324(*). Santé Magazine
délègue la parole à des experts scientifiques et
s'appuie sur des données chiffrées pour décrypter ces
autres formes d'anorexie. Des détails qui témoignent de la
rigueur et de la qualité de l'information que diffuse le magazine.
Au cours de la période les informations se font plus
précises. Si l'anorexie est bien décrite comme la maladie
« des jeunes filles »325(*) qui survient à
l'adolescence, le magazine n'omet pas de préciser que les garçons
sont aussi concernés et que la maladie touche de plus en plus les
pré-adolescents, donc des enfants. A ce titre, il consacre un article
à l'anorexie des enfants afin d' « alerter parents et
médecins »326(*), et un autre à l'anorexie des garçons
prépubères327(*). Nous ne procèderons pas à une analyse
détaillée de ces deux articles puisque notre étude
concerne l'anorexie à l'âge de l'adolescence cependant, nous
pourrons les utiliser à titre de comparaison. Le premier discours est en
réalité une interview d'un psychiatre qui insiste sur
l'augmentation des cas d'anorexie chez les enfants comme l'illustre la citation
suivante : « c'était très rare avant, mais les
enfants et les préadolescents représentent aujourd'hui
près de 30% des patients anorexiques suivis dans le service où
l'exerce ». Nous pouvons noter une évolution dans les
discours de Santé Magazine puisque l'anorexie des enfants qui
était reléguée dans un encart dans les années 90,
devient le thème principal d'un article dans les années 2000. Le
magazine ne peut plus se contenter de faire allusion à cette forme
d'anorexie alors qu'elle devient de plus en plus fréquente et
inquiète le corps médical. Cet exemple reflète encore une
fois la rigueur du magazine et son souci de prévention.
e) L'anorexie est une maladie grave
Le magazine met l'accent sur « la gravité
de la maladie » en employant des termes tels que
« terrible maladie », « anorexie
sévère »328(*), « conséquences
graves »329(*) dans le corps du texte ; en titrant
« Anorexie : le drame alimentaire » et en
évoquant « l'horreur de
l'anorexie »330(*) ou encore en sous-titrant « Quand cela
devient grave »331(*). Nous pouvons noter que si l'anorexie n'est pas une
maladie « très » grave comme
l'écrivait La Croix, les qualificatifs auxquels recourt le
magazine sont plus variés et connotent également la
gravité. Dans l'un des discours nous apprenons que c'est
« 5% [des anorexiques] qui en meurent »332(*). Enfin, la phrase suivante a
retenu notre attention : « l'anorexie est une maladie grave,
et non un caprice alimentaire »333(*), car nous trouvons des
propos similaires dans un article de La Croix. Des parents
témoignent et soulignent que la maladie de leur fille « ce
n'était pas le caprice d'une adolescente qui commence un
régime »334(*). Comme La Croix encore, le
magazine souligne que « la vision dramatique que l'on se fait de
l'anorexie vient aussi du fait que toutes les données connues sur cette
maladie ne concernent que les cas sévères nécessitant une
hospitalisation »335(*). Les statistiques sont donc à lire avec
précaution. Ces deux citations nous permettent d'ores et
déjà de signaler qu'il existe des similitudes entre le traitement
médiatique de l'anorexie dans Santé Magazine et le
traitement médiatique opéré par La Croix. En
attirant l'attention du lecteur sur la gravité de l'anorexie,
Santé Magazine le met en garde. Cette posture nous permettra de
comprendre l'importance que le magazine accorde à la prévention
dans l'ensemble des articles.
f) L'anorexie, une maladie plus fréquente
Le magazine nous fournit plusieurs chiffres quant à la
fréquence de l'anorexie qui permettent de voir l'évolution
de la maladie et notamment son augmentation chez les garçons. En effet,
en 1991 l'anorexie « atteint en majorité les filles (9
fois sur 10) »336(*) ; une prévalence qui reste
identique en 1996 et en 1997337(*) mais qui évolue en 2001 : « 75%
des anorexiques sont des filles [...] et 25% des
garçons »338(*). Le magazine précise qu'aux
Etats-Unis, ce sont 40% des garçons qui sont touchés, remettant
ainsi en cause l'idée d'une maladie féminine. Ces
précisions nous révèlent que l'existence de l'anorexie
masculine est bien réelle. Il faut également noter qu'en 1991, le
magazine mentionne que l'anorexie peut toucher « quelques
garçons, fils de mères anorexiques »339(*). Ce détail laisse
deviner qu'il y aurait soit une hérédité, soit une
influence de la mère sur son fils. Cette affirmation est erronée
et les études actuelles s'accordent pour dire que les garçons
anorexiques n'ont pas forcément une mère qui a été
anorexique. Cependant, cette citation est intéressante car elle montre
qu'au début des années 90, l'anorexie était une pathologie
encore mal connue, notamment l'anorexie masculine.
L'évolution est aussi assez nette quant à la
répartition socioculturelle de la maladie. Dès 1991
Santé Magazine précise
qu' « aujourd'hui, le phénomène a
évolué [et que] la maladie touche toutes les classes
sociales »340(*). Néanmoins quelques années plus tard,
il revient sur cette position et réduit l'anorexie à une maladie
qui « touche de préférence les jeunes femmes
occidentalisées, d'une classe sociale plutôt favorisée,
faisant des études supérieures, appartenant à une famille
`intacte' »341(*). Les articles suivant ne nous donnent pas
d'indications supplémentaires.
La majorité des termes utilisés par
Santé Magazine pour désigner les anorexiques renvoient
à l'adolescence : « adolescente »342(*),
« jeunes filles »343(*),
« filles »344(*) cependant, dans deux articles apparaît le mot
« enfant »345(*). Nous pouvons avancer les deux explications
suivantes : d'une part, l'anorexie est présentée comme un
refus de grandir et de devenir adulte, ce qui justifie l'emploi du terme
« enfant » ; d'autre part, à plusieurs
endroits le magazine s'adresse aux parents et leur parle logiquement de leur
« enfant ». L'alternance dans l'emploi
des termes « enfant » et
« jeune fille » ou
« adolescente » traduit bien la situation
particulière dans laquelle se trouve l'anorexique : au seuil de
l'adolescence, elle veut « rester une
enfant »346(*)
g) Un portrait de l'anorexique très complet
Dans plusieurs discours nous avons trouvé des
informations permettant de dresser un portrait d'une adolescente anorexique. Le
premier article de la période avance que la fillette est
« charmante, prévenante, obéissante, bonne
élève, petite fille modèle »347(*). Des termes qui sont ceux
d'un médecin, encore une fois. Plus loin, c'est un autre expert qui
résume que l'adolescente « `renonce au plaisir
alimentaire' ». Ces deux citations rejoignent les
éléments déjà cités auparavant, à
savoir de bonnes capacités intellectuelles et le rejet du plaisir.
Un discours intitulé Portrait d'une anorexique
a retenu notre attention puisqu'il est entièrement
consacré à la personnalité des anorexiques alors que les
autres quotidiens ne nous donnaient que des informations succinctes. Nous avons
choisi de citer plusieurs phrases ou expressions qui permettent d'avoir une
idée relativement précise de la personnalité des
anorexiques. Le magazine débute en écrivant que
« les anorexiques sont des filles souvent supérieurement
intelligentes et brillantes en études »348(*), une information qui n'est
pas nouvelle en soi. L'adolescente est qualifiée
d'« obsédée par la nourriture
», un terme qui peut sembler péjoratif mais qui en
réalité signifie que la nourriture est l'unique objet de
préoccupation de la jeune fille. A cette obsession s'ajoute sa
« hantise de grossir » et sa
« volonté de contrôle »,
contrôle de ses pulsions et de ses désirs. D'ailleurs
« elle perd toute notion de plaisir ».
L'anorexique prétend que tout va bien dans sa famille, ce que le
magazine nuance : « les relations familiales sont faussement
harmonieuses ». Enfin, le magazine insiste sur
« l'aspect suicidaire [qui] est souvent évoqué en
présence d'anorexie ». « En
vérité, l'anorexie mentale n'est pas un comportement suicidaire
en tant que tel, la victime ne souhaite pas se laisser mourir de
faim ». Santé Magazine insiste sur le refus de
la mort car il répète dans un autre article que la maladie peut
entraîner la mort « bien que ce ne soit pas une attitude
suicidaire »349(*). Nous pouvons compléter ce portrait de
l'anorexie en citant une dernière information que nous avons
trouvée dans un article ultérieur. Le magazine évoque le
« manque de confiance en soi » et la
« très grande dépendance affective vis-à-vis
de l'entourage notamment de la mère »350(*). Force est de constater que
Santé Magazine dresse un portrait très complet et
relativement juste de l'adolescente anorexique351(*). Contrairement aux
quotidiens d'information générale, il ne réduit pas ses
propos à la « supériorité »
intellectuelle ou à la peur que ressent la malade mais insiste sur
toutes les facettes de la personnalité des anorexiques, mettant ainsi en
valeur la complexité de la maladie
Les discours de Santé Magazine sont
incontestablement les plus détaillés et les plus précis de
notre corpus. D'emblée il souligne que l'anorexie est une maladie grave
et non un caprice alimentaire. Le magazine fait preuve d'une grande rigueur en
s'attachant par exemple à distinguer l'anorexie des autres formes
d'anorexie que sont les conduites anorexiques mais aussi l'anorexie du
nourrisson et l'anorexie des enfants. Les indications chiffrées qu'il
nous fournit sont particulièrement intéressantes car elles
permettent de mesurer l'évolution de la maladie, ce que nous ne pouvions
pas faire avec les données des autres quotidiens. Ainsi, le magazine
souligne bien comme le fait le corps médical, que l'anorexie touche de
plus en plus les garçons et s'étend à tous les milieux
socioculturels. L'article qui a pour thème le portrait de l'anorexique
est précis et révélateur de ce que les médecins
s'attachent à souligner aujourd'hui. Enfin, Santé Magazine
s'appuie très fréquemment sur les propos des experts qui
viennent renforcer les discours et leur donner une certaine
crédibilité.
Ce premier volet de notre analyse nous permet d'ores et
déjà de pointer des divergences et des similitudes dans le
traitement médiatique qu'opèrent les quotidiens et
Santé Magazine de l'anorexie. En ce qui concerne les
similitudes, nous avons souligné le fait que l'anorexie faisait l'objet
d'un faible traitement médiatique, lequel est quantitativement identique
dans tous les journaux. Cependant, les contenus des discours varient ainsi que
les rubriques dans lesquels les articles sont publiés. Un autre point
commun concerne la désignation de l'anorexie qui est reconnue par tous
les journaux comme une maladie. Cependant, au-delà de ces similitudes,
ce sont surtout des différences que l'analyse comparative nous a permis
de mettre au jour.
L'objectif de cette première partie était de
repérer les termes utilisés par les journaux pour qualifier la
maladie. Nous avons souligné qu'il existait un clivage entre les
quotidiens qui recouraient à une terminologie médicale et ceux
dont le lexique était peu varié. Ainsi, La Croix, Le Monde
et Santé Magazine emploient des termes médicaux
tandis que dans Libération, L'Humanité et
Le Figaro, le vocabulaire se veut moins riche. Les termes utilisés
tout au long de la période pour qualifier la maladie n'évoluent
pas. Une seconde différence concerne la gravité de l'anorexie.
Nous avons souligné que Santé Magazine, La
Croix, Le Monde et Le Figaro qualifiaient l'anorexie de
maladie grave alors que L'Humanité et
Libération n'en disent rien. Cependant, parmi les discours qui
affirment que la maladie est grave, nous avons noté des nuances :
La Croix parle d'une maladie très grave tandis que Le Monde
souligne simplement qu'elle est grave et Le Figaro ne le
précise que deux fois sur toute la période. Ces remarques nous
permettent déjà de souligner qu'il y a des écarts dans la
façon dont les journaux représentent la maladie.
En ce qui concerne la qualification de l'actant sujet, les
journaux sont plus consensuels. Tous s'accordent à dire que l'actant
sujet est une jeune fille adolescente même si L'Humanité
opère une confusion et désigne également les femmes
comme pouvant être anorexiques. De façon plus ou moins explicite,
les discours désignent aussi les garçons comme actant sujet. Les
articles de chaque quotidien étant peu nombreux, il est difficile de
noter une évolution de la prévalence de la maladie. Seuls les
discours de Santé Magazine reflètent l'augmentation des
cas d'anorexie chez les garçons comme le souligne le corps
médical.
Enfin, nous avons souligné que certains quotidiens
comme L'Humanité, Le Figaro et
Libération tenaient des propos erronés, se montraient
peu précis dans leurs discours tandis que dans Santé
Magazine, La Croix et Le Monde les discours se veulent
plus rigoureux et se distinguent par un recours assez fréquent à
des experts.
Un des éléments sur lequel nous devons insister
à cette étape de l'analyse est la question de la publicité
de l'anorexie. Nous avons montré que le corps médical
considérait l'anorexie comme un problème de santé publique
au regard de sa gravité tandis que les médias se contentent de
souligner la gravité de la pathologie mais n'en font pas un
problème public. E. Neveu explique qu'un problème public
« n'est rien d'autre que la transformation d'un fait social
quelconque en enjeu de débat public et/où d'intervention
étatique ». Selon lui, « tout fait social
peut potentiellement devenir un problème `social' s'il est
constitué par l'action volontariste de divers opérateurs [dont la
presse] comme une situation problématique devant être mise en
débat et recevoir des réponses en terme d'action
publique »352(*). Force est de constater que la faiblesse
numérique des articles portant sur l'anorexie, les rubriques dans
lesquelles ils sont publiés, ne permettent pas de considérer
l'anorexie comme un problème public.
Maintenant que nous avons analysé comment les discours
de presse qualifiaient l'anorexie et désignaient l'actant sujet, il nous
faut s'intéresser aux facteurs déclencheurs de cette maladie.
II. Les différents facteurs
déclencheurs de l'anorexie mentale
« Faut-il chercher [la] genèse [des
troubles alimentaires] dans l'histoire individuelle, dans leur dimension
familiale, ou faut-il y voir le reflet d'une société en
changement ? »353(*). La question que posent A. Guillemot et M. Laxenaire
est celle qui, aujourd'hui encore, préoccupe beaucoup de médecins
confrontés à l'« énigme des facteurs
étio-pathogéniques de ce trouble du comportement largement
pluridéterminé »354(*). La question d'éventuels facteurs
déclencheurs de l'anorexie mentale est pourtant essentielle afin de
proposer un traitement adapté et mettre en place un système de
prévention.
Dans un premier temps nous évoquerons les
différentes hypothèses étiologiques qui ont
été proposées au cours du XXème
siècle, puis nous nous intéresserons aux facteurs qui sont
aujourd'hui considérés comme déterminant dans le
déclenchement de la maladie. A l'aide de ces éléments,
nous analyserons les discours médiatiques pour comprendre quels facteurs
de la maladie sont privilégiés par les journalistes, autrement
dit quel est ou quels sont le(s) destinateur(s) de l'anorexique. C'est donc
à la phase de manipulation que nous allons consacrer cette partie,
à l'action du destinateur sur le sujet opérateur. Nous tenterons
également de déceler une éventuelle évolution de la
figure du destinateur.
A. Les hypothèses médicales sur
l'étiologie de l'anorexie
L'anorexie mentale est encore une maladie mystérieuse
même si le corps médical s'accorde pour la qualifier de maladie
psychique et somatique. Nous récapitulerons brièvement les
différentes hypothèses étiologiques qui ont
été proposées au XXème siècle
avant de voir quelle place est accordée à l'heure actuelle aux
facteurs individuels, génétiques et environnementaux dans la
compréhension de la maladie.
1. Récapitulatif des
différentes hypothèses médicales émises depuis le
début du XXème siècle
a) Pierre Janet et la clinique
psychologique
L'anorexie mentale est une pathologie complexe qui a
donné lieu à une multitude de schémas explicatifs
« non sans conséquences sur la variété et
même parfois l'antinomie des approches thérapeutiques
proposées »355(*). Au début du XXème
siècle, l'intérêt porté à l'hystérie
s'estompe laissant la place aux doctrines psychopathologiques.
P. Janet est le médecin le plus représentatif de
ce courant. Il distingue trois stades dans l'anorexie qu'il appelle cependant
encore « anorexie hystérique » : le
stade gastrique, le stade moral et le stade d'inanition356(*). Notons que cette division
de la maladie en trois phases ressemble pour beaucoup aux trois stades
décrits par C. Lasègue, ce qui reflète l'influence des
hypothèses émises au XIXème siècle. P.
Janet déclare que cette pathologie « est due à un
grave trouble psychologique, dont le refus de se nourrir n'est que la
manifestation extérieure »357(*). Même s'il
dit ne pas être capable de déceler la nature précise de ce
trouble, son raisonnement est « très
novateur » au sens où il pense que l'anorexie n'est que
le reflet d'un problème psychique358(*). Cependant, il ne fait que poursuivre l'idée
de C. Lasègue qui pointait déjà l'importance de la
perversion mentale. Son apport théorique est également important
car c'est lui qui propose la triade symptomatique dite « des
3A », encore utilisée aujourd'hui pour diagnostiquer
l'anorexie (cf. supra partie 2, I) A) 1)).
b) De 1914 à 1937, l'ère
endocrinienne de l'anorexie
L'hypothèse psychique est abandonnée à
partir de 1914 quand paraît l'article de M. Simmonds. Celui-ci
prétend que l'anorexie serait liée à une altération
cérébrale agissant sur l'équilibre hormonal qui
expliquerait l'amaigrissement et l'aménorrhée. Cette idée
est saluée par tous les médecins et marque un tournant dans la
conception de l'anorexie mentale qui passe de l'ère psychique à
l'ère endocrinienne. A partir de cette date, les médecins
estiment que l'anorexie résulte d'une insuffisance endocrinienne, une
hypothèse qui a deux conséquences : des traitements
hormonaux sont préconisés sans succès, et les
réflexions sur la maladie privilégiant une autre explication vont
être plus ou moins ignorées. En dépit de cette erreur de
diagnostic, l'hypothèse endocrinienne domine le paysage médical
pendant une vingtaine d'années et n'est remise en cause qu'en 1937 par
H. L. Sheehan. G. Raimbault et C. Eliacheff expliquent que le
« traitement [endocrinien] n'ayant jamais fait les preuves de son
efficacité, la confusion est à son comble jusqu'à ce que
Sheehan en 1937 décrive la nécrose hypophysaire succédant
à un accouchement. Cette découverte permet de reconsidérer
la question de l'anorexie, mais pendant longtemps encore, psychiatres et
endocrinologues oscilleront entre origine psychique et origine endocrinienne,
quand ils n'essaient pas de les associer »359(*). Cette
découverte marque « l'arrêt théorique »
des conceptions exclusivement organiques de l'anorexie mentale puisque des
travaux privilégiant l'origine endocrinienne de la maladie continuent
à être publiés. A. Guillemot et M. Laxenaire estiment que
l'ère organique ne prend réellement fin qu'en 1954 lorsqu'un
endocrinologue déclare : « on voit encore mourir des
malades que les médecins anciens eussent à coup sûr
guéris »360(*). Aujourd'hui, il est admis que les troubles
endocriniens ne sont pas la cause de l'anorexie mais une des
conséquences de l'amaigrissement.
c) La naissance de la conception
psychanalytique dans les années soixante-dix
A partir des années 70, se développe une
approche psychanalytique de l'anorexie. Les modèles de
compréhension sont variés cependant, les psychanalystes se
rejoignent sur la question de la déficience des relations
mère-enfant. Plusieurs analystes ont travaillé sur cette
hypothèse mais nous nous limiterons à l'approche
développée par Hilde Bruch, une spécialiste des troubles
du comportement alimentaire, psychiatre et psychanalyste, qui a
particulièrement marqué l'étiologie de l'anorexie. En
1973, elle publie Les yeux et le ventre, un ouvrage dans lequel elle
propose une première interprétation des origines de la maladie.
Cette pathologie est un trouble de l'image du corps lui-même secondaire
à des troubles sous-jacents. La genèse de l'anorexie
réside dans les défaillances de l'apprentissage de la fonction
alimentaire. Les premiers apprentissages de l'enfant ont été
perturbés : en le nourrissant, la mère a substitué
ses propres sensations et ses propres besoins à ceux de son enfant.
C'est pourquoi, il ne « pourra établir de distinction
entre les diverses sensations corporelles et les expériences
émotionnelles, ne différenciant pas la faim de la
satiété »361(*). L'enfant est ainsi privé d'une partie de son
identité et n'est pas réellement séparé de sa
mère. En grandissant, la jeune fille aura tendance à satisfaire
les atteintes des autres avant de se faire plaisir. De cette situation va
naître une dépendance au regard d'autrui. Ce manque d'autonomie
l'empêche de faire face aux transformations qui se font jour au moment de
l'adolescence. Pour échapper à cette impasse, elle se
réfugie dans l'anorexie. H. Bruch écrit que l'anorexie
résulte de « la perception délirante du corps
(trouble de l'image du corps), la confusion des sensations corporelles et un
sentiment exagéré
d'inefficacité »362(*). En 1978, elle écrit un nouvel ouvrage dans
lequel elle affine sa première interprétation en
considérant que la maladie est « l'expression d'une
idée de soi défectueuse, [de] la crainte d'un vide
intérieur, [de] la peur d'avoir quelque chose de mauvais en soi, et
qu'il faut dissimuler en toute circonstance »363(*). La malade a peur d'agir
avec spontanéité et d'exprimer ses véritables sentiments.
Sans rentrer plus dans les détails, ces quelques éléments
nous permettent de mesurer l'évolution de la représentation et de
la compréhension de l'anorexie mentale mais aussi l'influence des
premières descriptions de la maladie. H. Bruch ne fait que poursuivre
l'idée que W. Gull puis J.-M. Charcot avait émise à savoir
le rôle de la mère dans le déclenchement de la maladie. Il
y a certes un écart entre l'hypothèse encore vague
qu'avançait W. Gull ou J.-M. Charcot et les réflexions d'H. Bruch
cependant nous ne pouvons pas nier que cette idée était
déjà en germe dans les écrits du XIXème
siècle.
A partir des années soixante-dix, la conception
psychologique de l'anorexie mentale est privilégiée. Si
l'hypothèse d'une affection mentale n'avait jamais réellement
disparu y compris durant l'ère organique, elle devient à partir
de ce moment l'explication prédominante. Aujourd'hui le versant
psychologique de la maladie ne fait plus aucun doute, l'anorexie est avant tout
une maladie « mentale » même si d'autres facteurs
sont considérés comme déterminants dans le
déclenchement de maladie.
2. Des facteurs individuels à
l'origine de l'anorexie
Outre le fait que l'anorexie soit considérée
comme une maladie de l'adolescence qui traduit la peur de devenir adulte et le
refus des transformations psychiques et corporelles liées à cette
époque, deux autres facteurs sont aujourd'hui envisagés dans le
déclenchement de la maladie.
a) L'anorexie ou l'expression d'une
problématique narcissique
Aujourd'hui, nombreux sont les psychanalystes qui
considèrent l'anorexie comme une défaillance narcissique et
l'assimilent à une quête identitaire. Pour eux, l'adolescence
correspond à une période de réorganisation psychique du
sujet ; un processus qui se bloque chez les anorexiques. Cette
période de transformation du corps est aussi une période
où l'adolescente cherche à affirmer sa propre identité.
Chez la jeune fille anorexique, l'affirmation progressive de l'identité
pose problème car ses assisses narcissiques ne sont pas assez solides.
Elle a des failles narcissiques et identitaires. Ainsi, A. Perillat explique
que « pour les sujets souffrant d'anorexie, l'adolescence met
souvent au grand jour, une problématique narcissique et identitaire bien
plus complexe et profonde que les remaniements psychiques classiques.
L'anorexie mentale devient la dramatique expression d'une grande
fragilité du Moi qui préexistait déjà chez la jeune
fille malade. Ainsi, cette dernière ne peut surmonter et assumer les
tumultes de l'adolescence : elle sombre alors dans la pathologie et
développe une anorexie mentale »364(*).
L'anorexie mentale est l'expression d'une problématique
narcissique car « l'investissement libidinal objectal laisse
place à un investissement libidinal narcissique : l'énergie
libidinal est retirée de l'extérieur pour être
déposée sur le Moi »365(*). La relation objectale est
une notion centrale en psychanalyse et dans le cas de l'anorexie elle
s'effectue de façon anormale. Au lieu de désirer les objets
extérieurs, la jeune fille va se tourner vers son propre corps. Les
préoccupations corporelles envahissent alors son psychisme et ne
laissent place à aucune autre pensée. L'anorexique se coupe du
monde extérieur, un isolement que les psychanalystes assimilent à
un repli narcissique.
Dans cette approche, l'anorexie est considérée
comme une pathologie du narcissisme. Le symptôme est un moyen que la
jeune fille utilise pour communiquer, un message que le psychanalyste doit
décrypter afin de faire émerger la parole du sujet. Il est
difficile de résumer en si peu de lignes l'approche psychanalytique de
l'anorexie cependant, cette démarche est nécessaire à la
compréhension de la représentation de l'anorexie aujourd'hui car
cette interprétation de la maladie est partagée par la plupart
des psychanalystes contemporains et donne lieu à un type de prise en
charge spécifique. Cependant, cette approche ne fait pas l'objet d'un
consensus dans la sphère médicale et certains médecins
comme D. Rigaud réfute l'idée d'une adolescente
narcissique366(*).
b) Les hypothèses d'une origine
génétique de la maladie
L'hypothèse d'une origine génétique de
l'anorexie mentale a été soulevée pendant plusieurs
années. Aujourd'hui, la plupart des spécialistes pensent qu'il
n'existe pas de corrélation entre le patrimoine génétique
d'un individu et l'anorexie mentale cependant, des recherches sérieuses
continuent dans cette direction. Par exemple, Howard Steiger, directeur du
programme des troubles alimentaires à l'hôpital Douglas de
Montréal, affirme que « la boulimie et l'anorexie sont
liées à des gènes responsables de la production de la
sérotonine, une hormone du cerveau qui contrôle l'humeur,
l'appétit et le comportement »367(*). Nous reviendrons sur cette
hypothèse au cours de notre analyse puisque l'un des articles
publiés par Le Figaro en présente une identique.
P. Jeammet aborde également la question d'un facteur
génétique de l'anorexie mais de façon plus nuancée.
Selon lui, il est possible de retrouver des antécédents familiaux
chez les anorexiques restrictives pures. Le risque d'avoir un enfant anorexique
serait de 3% « si une personne apparentée en est
atteinte » alors qu'il ne serait que de 0,3% dans le cas
contraire368(*).
Cependant, la vulnérabilité génétique ne repose pas
uniquement sur un gène et plus le nombre de gènes mis en cause
est important, plus le risque est grand de transmettre la maladie à la
génération suivante. Toutefois, il précise qu'au bout de
trois générations, la probabilité de devenir anorexique
est équivalente que les personnes aient des antécédents
anorexiques ou non. L'anorexie mentale ne se transmet donc pas de façon
héréditaire mais certaines personnes sont susceptibles
d'être davantage affectées que d'autres.
3. Des facteurs environnementaux
à ne pas négliger
La littérature médicale emploie le terme de
« facteurs environnementaux » pour désigner
à la fois le rôle de la famille dans le déclenchement de la
maladie et l'influence du contexte socioculturel.
a) La famille, un milieu
pathogène ?
Au XIXème siècle,
la question se posait déjà et divisait le corps médical
qui tentait de comprendre les origines de l'anorexie. Aujourd'hui, la situation
a quelque peu évolué mais les divergences demeurent. Dans un article assez
récent369(*), N. Godart, F.
Perdereau, M. Flament et P. Jeammet concluent à l'absence de
causalité entre la famille et la survenue de l'anorexie chez l'un des
enfants. Ce constat est partagé par d'autres professionnels comme T.
Vincent : « voilà près de vingt ans que je tente
de traiter des anorexiques, le plus souvent avec leur famille, et je ne peux
toujours pas dire ce qu'est l'anorexie ni - encore moins - s'il existe un type
de parents susceptibles de fabriquer des anorexiques. Bien sûr on
retrouve quelques traits qui reviennent avec une certaine fréquence mais
ils ne sont pas suffisamment constants pour pouvoir leur imputer de
manière certaine un rôle essentiel dans l'étiologie de la
maladie »370(*). Cette
citation illustre bien la complexité du déterminisme de la
maladie et infirme l'idée selon laquelle les parents seraient
responsables du déclenchement de l'anorexie.
Cependant, tous les spécialistes ne partagent pas cette
opinion et certains continuent de voir en la famille un élément
déclencheur de l'anorexie. Ainsi, P. Alvin affirme que
« les facteurs familiaux sont indiscutables dans l'anorexie
mentale [...], de nombreuses enquêtes, sur de larges échantillons,
ont également démontré le haut degré
d'agrégation des troubles du comportement alimentaire au sein des
familles de parents souffrant d'anorexie mentale ou de
boulimie »371(*) tout en précisant qu'il faut se garder
d'établir une causalité directe entre famille et anorexie
mentale...
Au sein du corps médical, l'hypothèse de la
famille comme facteur déclencheur de l'anorexie est également
très répandue chez les psychanalystes. Deux explications
coexistent : la première concerne les parents, la seconde la
relation mère-enfant que nous avons déjà
évoquée avec H. Bruch et qui est toujours d'actualité.
Elle est aujourd'hui reprise par des psychanalystes comme B. Brusset dans son
ouvrage L'assiette et le miroir, publié en 1985. En ce qui
concerne la première approche, certains auteurs pensent que la famille
peut être un milieu pathogène notamment quand les parents sont
trop exigeants envers leur fille. Souvent, ils souhaitent qu'elle
réalise ce que eux-mêmes n'ont pas pu faire au cours de leur
enfance. L'enfant se conforme aux voeux de ses parents sans tenir compte de ses
propres désirs. Elle s'efforce de ne pas les décevoir c'est
pourquoi, elle est souvent comparée à une petite fille
modèle. A l'adolescence, c'est-à-dire au moment d'affirmer leur
propre identité, certaines jeunes filles veulent montrer qu'elles ne
sont pas parfaites et briser l'image que leurs parents ont d'elles. Elles
trouvent une échappatoire dans l'anorexie. A. Perillat explique que
« la jeune fille anorexique, serait principalement aux yeux de sa
mère, un `objet partiel', c'est-à-dire un prolongement de cette
dernière : de son corps, de ses désirs et de ses projets.
C'est ainsi que de nombreuses jeunes filles malades sont `utilisées'
inconsciemment par leurs parents pour atteindre l'idéal de
ceux-ci »372(*). En devenant anorexique, l'adolescente
« veut tuer en elle la personnalité conforme aux
attentes »373(*) de ses parents.
Cette dépendance aux attentes de ses parents
l'empêche de se construire une identité propre, ce qui conduit B.
Brusset à parler de « spectre de l'identité
fortement restreint »374(*) car la jeune fille anorexique fonctionne par rapport
aux attentes des autres et ne connaît pas ses propres désirs. Ce
trouble de l'identité éclate à l'adolescence conduisant la
jeune fille à se créer une identité : celle
d'anorexique. Ainsi, l'anorexie apparaît comme une façon de mettre
fin au trouble identitaire, l'adolescente devient une personne à
part entière. Elle a la conviction de se réaliser et de
s'être trouvée, de pouvoir enfin donner un sens à sa vie.
Les psychanalystes estiment que l'anorexie répond au besoin de
construction identitaire, ce qui explique la difficulté qu'ont les
malades à concevoir leur vie sans l'anorexie. Elles ont le sentiment que
si elles guérissent, elles ne seront plus rien car elles perdront
l' « identité » qu'elles s'étaient
forgées avec la maladie.
Il faut préciser que cette famille
« pathogène » que décrivent les
médecins répond à des caractéristiques bien
précises. Les parents sont souvent très protecteurs surtout la
mère, le père ayant plutôt tendance à être
absent ou autoritaire.
b) L'influence du facteur socioculturel,
un facteur controversé
L'influence du contexte
socioculturel sur l'apparition de l'anorexie est très
controversée. K. Tinat explique que cette hypothèse divise les
auteurs en deux camps375(*) :
pour certains le contexte socioculturel n'est qu'un facteur parmi d'autres, il
a un rôle contextuel (M. Darmon, J. Maître, G. Raimbault et C.
Eliacheff), tandis que pour d'autres, il est le facteur dominant (A. Guillemot
et M. Laxenaire). La notion de contexte socioculturel est assez vague mais elle
est généralement utilisée pour désigner le culte de
la minceur et de la performance que diffusent notre société et
plus particulièrement les médias. Depuis le début du
XXème siècle, le corps s'affine comme le révèle la
morphologie des mannequins lors des défilés de mode376(*), les photos de femmes sur les unes
des magazines, la diététique prend de l'ampleur et les pratiques
sportives telles que le fitness se développent. Les transformations
sociales et culturelles contribuent à imposer des normes que beaucoup
considèrent comme une « dictature ». Il est
indéniable que le nombre de jeunes filles anorexiques a fortement
augmenté ces dernières années et ce dans un contexte qui
valorise de plus en plus la minceur, la question de la corrélation entre
ces deux variables ne peut donc pas être occultée.
Observons les arguments respectifs de ces deux
camps :
G. Raimbault et C. Eliacheff remettent en cause
l'hypothèse de l'idéal de minceur comme facteur
déclencheur de l'anorexie :
« Notre opinion concernant l'influence de la
mode sur l'anorexie mentale est tout autre. Nous reconnaissons - pourrions-nous
faire autrement ? - l'idéalisation de la minceur et, plus encore,
la musculation du corps féminin. Souvent le début des
restrictions alimentaires coïncide avec le souhait conscient de perdre
quelques kilos, souhait reconnu comme culturellement légitime, et une
hyperactivité sportive, elle aussi valorisée. Or, la description
de Lasègue, dont la validité est insistante, date d'une
époque où l'idéal culturel de la silhouette
féminine n'était pas du tout la maigreur [...]. Le facteur
déclencheur que serait le souhait d'être plus mince passe
très rapidement au second plan d'une symptomatologie beaucoup plus
complexe, et la crainte de la reprise de poids n'est pas
` culturelle' »377(*).
En effet, comme nous l'avons expliqué dans la
première partie de ce travail, l'anorexie a existé bien avant que
la minceur ne soit valorisée par la société. Il serait
donc logique de conclure à l'absence de corrélation entre
contexte socioculturel, et plus précisément la valorisation de la
minceur, et l'anorexie mentale. Jacques Maître réfute lui aussi
l'influence du contexte socioculturel et « insiste sur le fait de
ne pas définir le syndrome à partir de la détermination
qu'affirme la patiente de se modeler sur un idéal de
minceur »378(*). Cet auteur appelle à chercher une
signification plus profonde, un sens au delà du social.
A l'inverse, A. Guillemot et M. Laxenaire pensent qu'il faut
accorder « une importance indéniable aux facteurs
inhérents au contexte socioculturel » car dans
la société actuelle, la minceur connote une certaine ambition
sociale, alors que la rondeur est associée au manque d'intelligence et
à l'incompétence professionnelle379(*). Nous serions passés
du mépris du corps imposé par la religion au culte du corps comme
le montrent l'importance prise par le sport et le
« fétichisme de la
diététique »380(*). La conclusion de ces auteurs est quelque peu
contradictoire puisqu'elles affirment qu'il existe une objection à
considérer le contexte socioculturel comme facteur déclencheur de
l'anorexie mais que ledit contexte reste un facteur prédominant :
« Enfin, l'objection principale qu'on puisse
faire à l'importance du contexte socioculturel dans la genèse des
troubles du comportement alimentaire est sans doute l'existence de cas anciens.
L'anorexie, et peut être la boulimie, ont existé dans les
siècles ayant précédé le nôtre, à une
époque où les caractéristiques socioculturelles
étaient bien différentes », cependant, elles
évoquent « l'influence indéniable du contexte
socioculturel » et concluent qu' « anorexie et
boulimie s'apparentent aux syndromes liés à la culture tels
qu'ils ont été définis par
Ritenbaugh »381(*).
Carolyn Bynum est elle aussi partisane de l'hypothèse
d'une influence socioculturelle dans le déclenchement de l'anorexie.
« Qu'elle prenne son origine dans la physiologie ou dans le
passé familial de l'individu [l'anorexie] est précisément
sous la forme très particulière qu'elle revêt, un
comportement acquis et acquis au contact d'une civilisation qui a des
traditions complexes et très anciennes en ce qui concerne les femmes, le
corps et la nourriture. Quels que soient ses supports biologiques ou
psychologiques, l'anorexie du XXème siècle s'inscrit
dans le contexte d'une culture donnée »382(*).
Sans vouloir être exhaustive, il est important de
consacrer quelques lignes à la thèse défendue par les
féministes anglo-saxonnes telles que Kim Chernin et Susie Orbach. Si
leurs idées ont eu peu d'écho en France, elles ont retenu
l'attention dans les pays anglo-saxons. Ces auteurs, l'une américaine,
l'autre anglaise, mettent en relation l'évolution du rôle de la
femme dans la société avec l'augmentation des troubles du
comportement alimentaire. Grâce au mouvement de
« libération » de la femme, celle-ci a pu
progressivement accéder à de nouveaux postes et son rôle
dans la société a évolué. La femme aurait acquis un
certain pouvoir que l'homme cherche à limiter. Ainsi, l'anorexie
résulterait d'une tension entre l'affirmation de l'autonomie et de
l'égalité de la femme, et sa situation réelle, une
position d'infériorité et d'inégalité par rapport
à l'homme. En restreignant leur alimentation, les femmes rejetteraient
l'image que les hommes veulent leur imposer383(*). Cette thèse présente plusieurs
limites : d'une part elle n'est pas partagée par toutes les
féministes ; d'autre part, elles reposent sur l'idée
fondamentale de l'oppression de la femme par l'homme, ce qui est un peu
exagéré ; enfin, elle fait abstraction de la psychologie
individuelle et ne permet pas d'expliquer l'anorexie masculine.
Il est impossible de conclure sur cette question d'une origine
socioculturelle de l'anorexie mentale et P. Alvin estime
qu'« aucune théorie ne peut prétendre tout
expliquer à elle seule. Tout au plus peut-on dire que les troubles du
comportement alimentaire sont polyfactoriels ». Il est
relativement difficile de distinguer ce qui relève des facteurs
prédisposants, de ce qui doit être considéré comme
les éléments déclencheurs ou les facteurs d'entretien. La
seule certitude étant que « des facteurs psychologiques,
familiaux, sociaux et biologiques participent au déclenchement, au
maintien et à l'aggravation des troubles du comportement
alimentaire »384(*). Nous allons maintenant voir comment les discours de
presse se positionnent par rapport à la question de l'origine de
l'anorexie.
B. Le destinateur de l'actant sujet dans
les discours de presse
La médecine reste indécise quant aux facteurs
déclencheurs de l'anorexie et les hypothèses varient dans des
proportions différentes selon l'orientation des médecins. C'est
pourquoi, il est intéressant de repérer les partis pris des
journalistes et de voir quelle figure du destinateur se dessine dans les
discours de chaque quotidien. Nous attacherons une importance
particulière à l'hypothèse du facteur socioculturel de la
maladie puisque c'est un argument souvent invoqué aujourd'hui pour
expliquer l'augmentation des cas d'anorexie. Enfin, nous essaierons de voir
s'il y a une évolution dans la figure du destinateur que construisent
les journaux.
Nous allons voir que loin de proposer une figure du
destinateur consensuelle, les discours de presse divergent.
1. La Croix rejette l'hypothèse
d'une famille comme milieu pathogène
a) L'anorexie, une maladie
mystérieuse
La Croix est le seul quotidien à consacrer un
article entier aux facteurs de l'anorexie, ce qui, dans une perspective
actantielle, correspond aux destinateurs. Le titre de cet article
reflète une certaine neutralité : « Une
maladie mystérieuse. L'anorexie mentale est liée à des
facteurs d'ordre génétique, social, familial, psychologique et
environnemental »385(*). En énumérant les différentes
hypothèses existantes, il ne fait que présenter les
différentes pistes qui sont celles que le corps médical
privilégie aujourd'hui. Cependant, cette neutralité n'est
qu'apparente. En effet, l'étude des articles du corpus
révèle que le quotidien penche pour certains facteurs et en
écarte d'autres. Cette position n'est pas constante et des
évolutions se font jour au cours de la période
étudiée. Le titre de cet article nous fournit un second indice
quant à la figure du destinateur : le terme
« mystérieux » témoigne de
l'incertitude du journal, une incertitude récurrente dans les discours
de La Croix. Le quotidien est dans un dilemme : d'un
côté, il tente de cerner les causes de l'anorexie, mais en
même temps, il ne cesse de dire que cette maladie est mystérieuse.
Cette incertitude est perceptible quand le journal emploie des termes
appartenant au champ lexical du mystère ; des phrases
interrogatives comme « Mais qu'est ce que l'anorexie au
juste ? »386(*). Le fait même de poser cette question est
révélateur de l'incompréhension du journal qui est
renforcée par le « mais » et la locution
adverbiale « au juste ». La seconde question
« Un trouble mental ou une maladie
organique ? »387(*) renforce encore l'interrogation et la réponse
est révélatrice « une maladie rare en tout
cas »388(*). La question de l'origine de l'anorexie sous-tend
tous les articles de La Croix de façon plus ou moins explicite.
Le discours du quotidien tente de fournir une réponse
mais se retranche derrière l'incertitude médicale
« même lorsqu'ils ont des années
d'expérience, les médecins ont le plus grand mal à fournir
une réponse définitive à cette question ».
Préciser la durée de leur expérience professionnelle
permet de mettre en valeur le fait que même des médecins
compétents ont du mal à assigner une cause précise
à l'anorexie, une difficulté soulignée par un superlatif
« le plus grand mal »389(*). L'impossibilité de
définir précisément les causes de l'anorexie justifie
l'emploi du terme mystère, utilisé à plusieurs reprises.
Nous pouvons citer par exemple la phrase suivante : « Il
plane encore un certain mystère autour de cette affection qui n'a pas de
cause unique ». Malgré cette incertitude, La
Croix n'exclut pas de ses propos la question de l'origine de l'anorexie.
Une démarche tout à fait compréhensible si nous nous
référons à la façon dont le quotidien
définit cette pathologie et cherche à prévenir les parents
dès le premier article qui paraît sur le sujet. Vouloir
empêcher que ne se déclenche la maladie implique de
réfléchir à ses causes.
b) Le facteur génétique de
l'anorexie, une fausse piste
Si La Croix aborde cette question de façon
rigoureuse sans écarter aucune des possibilités, l'étude
des différents articles du corpus révèle une
évolution de la position du journal. Dans le premier article, La
Croix donne la parole à un médecin thérapeute au
Groupe d'étude français sur l'anorexie et la boulimie, un expert
qui considère que l'hypothèse des facteurs
génétiques est une fausse piste. Il envisage une origine
endocrinienne mais cette possibilité est tout de suite balayée
par le « mais »390(*). Ces propos d'un expert, rapportés au
discours direct, ne sont pas ceux du quotidien. Cependant, en donnant la parole
à une autre personne, il met en exergue ces propos. L'absence d'indices
linguistiques comme un verbe introducteur et la neutralité des questions
nous permet de dire que les arguments de ce médecin sont aussi ceux du
quotidien. Le facteur génétique est à nouveau
mentionné dans deux articles mais toujours relativisé : M.
Corcos391(*) explique
que chez 90% des personnes souffrant de troubles alimentaires
« les facteurs déclencheurs sont liés à
l'environnement et à la famille » et que l'ancrage n'est
que « partiellement génétique ». La
structure même de la phrase rejette l'hypothèse d'un facteur
génétique « non seulement [...] mais ceux-ci ne
sont pas dominants et leur pénétrance est
incomplète »392(*). Cependant, si l'hypothèse d'un facteur
génétique semble minimisée, elle réapparaît
à nouveau dans un article en 2005 dans lequel le quotidien parle de
« prédisposition génétique »
qui aurait été montrée par plusieurs études.
L'absence de précision sur la nature de ces études laisse penser
que le journal n'accorde que peu de crédit à cette
hypothèse. Alors que La Croix recourt toujours à la
parole d'un expert pour renforcer les hypothèses avancées, aucun
discours rapporté ne vient soutenir l'hypothèse d'une
prédisposition génétique. Nous pouvons donc en conclure
que l'origine génétique ou organique de l'anorexie mentale est
écartée.
c) Le rejet du facteur socioculturel
Le facteur socioculturel est la seconde hypothèse
mentionnée par le quotidien. Dès le départ la thèse
d'une influence socioculturelle est écartée. La Croix
publie une interview du Dr Noëlle Chombart de Lauwe393(*) qui considère que
« la norme de la minceur » peut jouer le
« rôle d'un coup de pouce »394(*) mais que les facteurs
prédominants sont d'ordre personnel. L'image du coup de pouce minimise
le poids des normes culturelles qui reste une idée relativement
répandue dans la littérature médicale. L'influence de
normes corporelles est évoquée une seconde fois, et à
nouveau mise à distance. Le quotidien parle de
« `dictature de la minceur' »395(*) et montre par le biais de
guillemets qu'il ne cautionne pas ce terme de dictature, une expression qui
signifierait que les jeunes filles sont sous l'emprise d'une norme corporelle
à laquelle elles ne peuvent déroger, il n'y aurait plus de place
pour la liberté individuelle. En rejetant l'idée de dictature,
La Croix montre implicitement qu'il penche pour une origine
psychologique donc d'ordre individuel. En effet, refuser le terme de
« dictature » c'est dire que l'individu reste
libre de choisir ; même si les magazines féminins et la mode
nous proposent des femmes au corps « idéal », les
jeunes filles conservent leur libre arbitre. Cependant, La Croix fait
état de l'incertitude médicale concernant cette éventuelle
influence des facteurs socioculturels : « ce n'est pas la
mode qui est la cause de l'anorexie mais, en même temps, cette maladie ne
semble pas exister dans les pays où le corps est
caché »396(*). Cette phrase, qui est celle d'un
médecin397(*),
révèle toute l'ambiguïté de la question. Le quotidien
refuse de considérer la mode comme facteur de l'anorexie mais ne peut
ignorer qu'il existe une corrélation entre anorexie et corps. La parole
est alors donnée à un autre expert398(*) qui oppose au premier un
argument historique : l'anorexie mentale existait avant le
XXème siècle. Finalement il conclut à un
environnement « fragilisant » pour des personnes
à forte prédisposition aux troubles du comportement alimentaire.
Nous pouvons remarquer que sur cette question d'une éventuelle origine
socioculturelle de l'anorexie, La Croix délègue la
parole à des experts dont elle ne fait que transposer les discours. Ils
se répondent l'un à l'autre sans que le quotidien n'intervienne.
Toutefois, nous pouvons souligner que la dernière phrase de l'article,
rapportée au discours direct, est une façon pour le quotidien de
nous donner son opinion. Le dernier article paru sur l'anorexie, le
confirme : des parents témoignent et expliquent que leur fille n'a
pas fait un régime « pour ressembler aux modèles
des magazines »399(*). L'utilisation d'un témoignage est une
stratégie discursive particulière qui permet ici non seulement de
faire dire à un tiers ce que le journal pense mais également de
donner du poids à cet argument. En effet, La Croix ne se
contente pas d'affirmer à nouveau qu'il ne croit pas à une
origine socioculturelle de l'anorexie mais prouve par le témoignage que
cette thèse est plausible.
d) Le facteur familial, un destinateur
qui s'efface
C'est par rapport à l'hypothèse d'un facteur
familial que l'évolution du discours de La Croix est la plus
significative. Dans les premiers articles, le quotidien postule, par le biais
d'un expert, que beaucoup d'anorexiques ont « un rapport
difficile à leurs parents » lesquels sont
« surprotecteurs »400(*). L'adjectif
« surprotecteurs » renvoie à l'idée
qu'il existerait une famille type d'anorexique dont la caractéristique
principale serait des parents surprotecteurs. Cette conception était
relativement courante dans la littérature médicale il y a
quelques années et reste défendue par certains médecins
aujourd'hui. La Croix se range du côté des
hypothèses médicales. Cette convergence se poursuit dans d'autres
articles : par exemple, un sous-titre dit « des facteurs
déclencheurs liés en majorité à la
famille »401(*). Il n'y a aucune précision ou de distinction
entre le comportement de la mère ou du père, ni de mention de la
relation mère-enfant au cours de la petite enfance comme le font les
psychanalystes qui défendent cette idée. Un basculement
s'opère en 2005 quand La Croix termine un article par cette
phrase « non seulement les parents ne sont pas responsables de ce
qui arrive à leur enfant, mais ce sont des alliés
thérapeutiques précieux »402(*). Ces paroles sont
celles d'un médecin403(*) ce qui renforce la crédibilité du
propos. Ce basculement dans la représentation de la figure du
destinateur est encore plus évident dans l'article suivant. La
Croix titre « Une maladie mystérieuse. L'anorexie
mentale est liée à des facteurs d'ordre génétique,
social, familial, psychologique et environnemental »404(*). La structure de l'article
reprend successivement les facteurs mentionnés dans le titre sauf le
facteur familial. Il n'y a aucune phrase explicite ou même une allusion
qui fasse référence à la famille comme destinateur de
l'anorexie. Nous pouvons interpréter ce silence comme l'expression d'un
dilemme auquel est confronté le quotidien. Ce n'est pas une simple
indécision comme nous avons pu le relever avant mais un refus de se
prononcer. Le quotidien est pris dans une contradiction : choisir entre le
discours médical qui prétend que la famille peut être
à l'origine de la maladie et les valeurs qu'il défend. En effet,
la famille est considérée par La Croix comme une valeur
fondamentale. Le silence du quotidien est une suite logique à l'article
précédent (qui se terminait sur cette phrase « les
parents ne sont pas responsables »). Cette phrase fait rupture
entre une période où le journal a considéré que la
famille était un facteur déclencheur dominant et une seconde
période où il rejette cette hypothèse. A partir de cet
article, il n'y a plus aucune mention ni même une allusion à la
famille comme responsable de l'anorexie de leur fille. Cette évolution
dans la conception de la figure du parent est se retrouve dans la façon
dont le quotidien aborde le problème de la prise en charge. Il y avait
une position non tenable entre refuser la séparation familial et
prétendre que la famille pouvait être la cause de l'anorexie. Pour
être cohérent, le journal devait choisir entre accepter
l'idée de la séparation familiale et donc pouvoir désigner
les parents comme responsables ou refuser la séparation comme mode de
prise en charge et pouvoir justifier ce refus.
Finalement, La Croix privilégie
l'hypothèse d'une origine psychologique de l'anorexie mentale. Au
début, l'idée que cette maladie relèverait de quelque
chose de l'ordre personnel n'est présente qu'en filigrane à
travers des expressions telles que « les causes du
mal-être » ou « les troubles internes du
malade »405(*). Puis elle est affirmée de façon plus
nette à travers les propos d'experts : « des
personnes ayant une forte prédisposition individuelle aux troubles du
comportement alimentaire »406(*). Le témoignage des parents d'une jeune
anorexique viennent renforcer la crédibilité de cette
hypothèse : « Rétroactivement, on s'est rendu
compte que le passage du collège au lycée avait été
très dur pour elle »407(*). C'est bien un événement personnel qui
est survenu dans la vie de leur fille qui a déclenché la maladie.
La Croix mentionne l'incertitude du corps
médical qui règne autour des causes de l'anorexie et
présente les thèses existantes. Cependant, il n'est pas
entièrement neutre et nous dévoile sa conception du destinateur
à travers un témoignage et des paroles d'experts. Les
hypothèses génétiques et organiques sont à
écarter, le facteur socioculturel est peu pertinent d'un point de vue
historique, la famille ne peut être la cause de la maladie de leur propre
fille ; c'est donc vers une origine psychologique, de l'ordre de
l'individu que penche la représentation du destinateur de l'anorexique
pour La Croix.
2. Le Monde oscille entre la
famille comme milieu pathogène et un facteur psychologique de
l'anorexie
Le Monde ne consacre pas un article particulier
à la question de l'origine de l'anorexie mais les discours nous donnent
çà et là quelques indications sur les hypothèses
qu'il privilégie. En 1989, il évoque « la relation
de dépendance avec [la] mère et la
nourriture »408(*) et qualifie l'anorexie de « trouble
profond de la personnalité ». L'anorexique est une
adolescente « frappée de
panique »409(*) face aux transformations liées à cet
âge. Selon le quotidien, la maladie renvoie soit à un
problème familial, soit à un problème psychologique,
d'ordre personnel. Il conserve cette position dans les autres articles, sans
trancher.
a) Un facteur familial
suggéré à plusieurs reprises
L'hypothèse d'un facteur familial est
évoquée dans trois articles. La première fois, c'est
précisément la mère qui est désignée sans
ambiguïté, comme le destinateur de la maladie. Le Monde
nous raconte l'histoire de Séverine410(*), douze ans,
« poupée de ses parents », qui suit des
cours de danse depuis l'âge de deux ans et demi. Le quotidien accuse
« la mère qui avait reporté sur [Séverine]
ses rêves de danseuse étoile », qui projetait
« dans sa fille son désir contrarié, sa frustration
de n'avoir pas pu elle-même devenir danseuse ». L'exemple
que nous donne Le Monde renvoie à la thèse que
défendent les psychanalystes (cf. supra partie 2, II. A)). Quand les
parents, en particulier la mère, projettent sur leur fille leurs
attentes, ils l'empêchent de prendre conscience de ses propres
désirs. L'enfance se déroule sans problème et la fillette
est souvent comparée à une petite fille modèle. A
l'adolescence, l'anorexie devient un moyen de
« revendiquer » ses faiblesses mais traduit aussi le manque
d'autonomie de la jeune fille et la dépendance qui la lie à ses
parents. Ici, l'anorexie est également due à la discipline
alimentaire qu'impose ce type d'activité sportive. Cependant, en parlant
de « l'obsession de la minceur et [du] désir
forcené de la mère », c'est bien sur celle-ci que
Le Monde fait porter la sanction. « Les espoirs de ses
parents, de sa maman » reposent sur « ses
frêles épaules ». L'adjectif
« frêle » vient accentuer le poids des
exigences maternelles sur la fillette. Le quotidien utilise une
stratégie discursive intéressante puisque c'est par le biais d'un
récit, d'une histoire authentique qu'il avance l'idée que la
mère peut-être responsable de l'anorexie de sa fille. A la fin de
l'article, la parole est déléguée à un expert qui
« explique » que l'anorexie « est
souvent en relation avec des problèmes affectifs. Au centre de tout
cela, on rencontre souvent la relation avec la mère ». Le
verdict médical vient confirmer l'hypothèse avancée par
Le Monde à travers l'histoire de Séverine. Dans un
deuxième article, l'hypothèse de la famille comme destinateur est
aussi avancée mais de façon plus nuancée. Anne, une
ancienne anorexique explique qu'elle a « vécu une forme
d'adolescence difficile ». La phrase est ambiguë car elle
ne précise pas si ses difficultés ont pour origine un
problème familial ou personnel, le destinateur n'est donc pas clairement
identifié mais il peut s'agir de problèmes relationnels avec ses
parents. En 2005, Le Monde revient à nouveau sur l'idée
d'une famille pathogène en nous expliquant que l'anorexie de Caroline
est « en partie due à la violence des rapports qu'elle
entretient avec son père ». La figure du destinateur
évolue légèrement puisque ce n'est plus la mère qui
est jugée responsable mais le père. De plus, il ne s'agit pas de
désir projeté sur l'enfant mais de violence. Ces nuances
révèlent que derrière un facteur déclencheur de la
maladie se cache en réalité des situations diverses qui
dépendent des histoires personnelles. Enfin, l'expression
« en partie due » souligne que la famille n'est
pas l'unique destinateur de la maladie, une façon de rappeler que
l'anorexie est une pathologie polyfactorielle.
b) Un facteur psychologique
Le second facteur mentionné par Le Monde est
le facteur psychologique, la maladie serait liée à un
problème d'ordre personnel. En 1994, le discours de la journaliste
n'avance qu'une seule cause de l'anorexique : la volonté propre de
l'adolescente. Ainsi, le terme « volonté »
revient à plusieurs reprises dans l'article :
« volonté de fille de fer »,
« volonté effrayante », et
« volonté de puissance absolue sur
soi-même ». L'adolescente devient anorexique suite
à sa décision de « ne plus jamais avoir
faim »411(*). Ces citations nous mettent en présence d'un
cas de figure particulier où l'actant sujet est son propre destinateur,
l'adolescente décide par sa propre volonté de ne plus manger.
Cependant, nous pouvons souligner qu'il est rare qu'une adolescente devienne
anorexique seulement parce qu'elle a voulu arrêter de manger. Il y a
souvent d'autres facteurs dont elle n'est pas toujours conscience qui se sont
combinés et ont contribué à déclencher la maladie.
Il faut préciser que le sujet de cet article n'est pas réellement
l'anorexie mais un livre autobiographique dont l'auteur a été
anorexique. La journaliste qui rend compte de cet ouvrage précise qu'il
est normalement interdit d'écrire sur le livre d'un collaborateur du
`Monde des livres' mais qu'elle a eu un coup de coeur. Nous pouvons
considérer qu'au-delà de son opinion personnelle, c'est l'opinion
du journal qu'elle nous livre.
Dans un autre article, P. Jeammet, un expert,
« souligne » que la maladie se
déclencherait chez les personnes qui ont une
« vulnérabilité de fond »412(*), donc fragiles
psychologiquement. Le facteur déclencheur serait d'ordre personnel. Le
verbe introducteur traduit le jugement du quotidien qui approuve cette
hypothèse.
Si Le Monde privilégie la cause familiale de
l'anorexie et la cause psychologique, il est intéressant de noter
qu'aucun discours ne fait référence à l'origine
polyfactorielle de la maladie, pourtant reconnue par la sphère
médicale. De plus, le journal exclut de ses propos
l'hypothèse d'un facteur génétique. L'influence
socioculturelle est quant à elle évoquée de façon
ambiguë. En effet, si le quotidien mentionne bien « la
dictature de la minceur »413(*) dans le titre d'un article, c'est de la
« petite anorexie » dont il est question et non de
l'anorexie mentale. Aucun indice ne permet de savoir si le journal envisage que
cette dictature de la minceur soit aussi la cause de l'anorexie mentale.
3. Le Figaro : entre le facteur
socioculturel et le facteur psychologique
Aucun article du corpus ne traite spécifiquement des
causes de l'anorexie, autrement dit du destinateur, car l'origine de la maladie
est difficile à comprendre. C'est du moins ce que suggèrent les
phrases suivantes : l'anorexie est un « un mal-être
psychologique si complexe à analyser »414(*), « un
trouble du comportement alimentaire aux causes
méconnues » et des spécialistes
« tentent [...] de cerner ce mal »415(*) dans une émission
télévisée. Si le « si »
accentue la difficulté à expliquer l'origine de la maladie, la
fait de spécifier que même des spécialistes ne parviennent
pas à comprendre les causes de l'anorexie, sert de justification au
quotidien. En effet, comment pourrait-il aborder la question des facteurs
déclencheurs de la maladie, construire une figure du destinateur si
même le corps médical est impuissant à décrypter
l'origine de la maladie ? Malgré cette apparente
impossibilité à désigner un destinateur, les discours de
presse nous permettent de dégager quelques indices quant à la
position du quotidien. Nous pouvons noter que comme La Croix, Le
Figaro commence par souligner la complexité de l'origine de la
maladie, avant de donner quelques indications au fil des discours.
a) Les facteurs génétique
et organique : deux destinateurs écartés
Le premier article du corpus aborde la question du facteur
organique de la maladie. Le quotidien titre « les batailles de
l'anorexie », un terme révélateur de la
« lutte » dont fait l'objet l'assignation d'une origine
à la maladie. L'article nous présente les conclusions d'un
colloque londonien : « une anomalie au niveau du cerveau
expliquerait l'anorexie mentale », une hypothèse
rejetée par les experts français qui défendent eux la
thèse d'une origine psychologique. Il est intéressant de noter
que l'hypothèse organique est défendue par un psychiatre anglais
alors que l'hypothèse d'une origine psychologique est mise en avant par
les psychiatres français. Cette opposition entre deux conceptions
étiologiques de l'anorexie n'est pas sans rappeler la divergence entre
C. Lasègue et W. Gull. Nous avions effectivement mentionné le
fait que leur description de l'anorexie avait ouvert le champ à deux
courants de pensée différents : l'un privilégiant une
cause organique de l'anorexie, l'autre une origine psychologique. Cet article
permet non seulement de comprendre pourquoi C. Lasègue et W. Gull sont
considérés comme les pères fondateurs de l'anorexie mais
aussi de voir que des hypothèses émises il y a maintenant plus
d'un siècle continuent d'orienter les recherches sur l'anorexie. Ainsi,
la façon dont est perçue la maladie aujourd'hui dépend en
grande partie des hypothèses des siècles
précédents. La construction de la représentation de la
maladie est bien un processus de long terme et les théories
avancées aujourd'hui ne font que reprendre des idées
déjà en germe il y a un siècle. Plusieurs indices nous
révèlent que le quotidien penche en faveur de l'hypothèse
d'un facteur psychologique, défendue par P. Jeammet. En effet,
l'équipe londonienne « a estimé »
qu'« `une anomalie au niveau du cerveau expliquerait l'anorexie
mentale' ». L'emploi du conditionnel souligne l'incertitude qui
entoure cette hypothèse, laquelle est renforcée par le verbe
introducteur. L'équipe londonienne estime mais ne prétend pas,
n'affirme pas. Le quotidien écarte d'autant plus cette hypothèse
qu'il souligne que « cette annonce en appelant à
l'organicité de l'anorexie mentale fait plutôt sourire (jaune) les
spécialistes du trouble du comportement alimentaire ». Le
qualificatif de « jaune » rappelle l'expression
« rire jaune » qui signifie « rire
avec contrainte, pour dissimuler son dépit ou sa
gêne »416(*), une façon d'indiquer la stupéfaction
et le désappointement des médecins français. Le quotidien
discrédite cette hypothèse qui prétend qu'une
lésion au cerveau serait « `la' cause de
l'anorexie ». L'usage des guillemets traduit la distance du
Figaro. Enfin, P. Jeammet « s'exclame »
qu' « on se croirait revenu en 1914, quand on a
découvert l'hypophyse ». Par le verbe introducteur le
journal traduit l'indignation du médecin français qui est aussi
la sienne. L'allusion à Simmonds tend également à
décrédibiliser l'éventuelle cause organique de l'anorexie
puisque nous savons que l'hypothèse émise par Simmonds s'est
avérée fausse deux décennies plus tard (cf. supra partie
2, II. A. 1)).
Le Figaro rejette l'hypothèse d'un
facteur génétique de l'anorexie dans un autre article417(*). Le récit
présente la thèse des partisans de la psychiatrie biologique en
ces termes « pour les tenants de la psychiatrie
biologique, la `sérotonine connection' serait au coeur du
problème même si cette petite molécule [...] n'est pas le
seul médiateur en jeu ». L'emploi du conditionnel
suggère l'incertitude de cette hypothèse, et la façon dont
le quotidien l'introduit : « pour les
tenants... » contribue à la mettre à distance.
Plus loin, le Figaro parle d'une « éventuelle
composante génétique » que cherchent à
mettre à jour des études scientifiques. Si le quotidien recourt
à un expert pour présenter cette hypothèse, ce n'est pas
pour conférer une plus grande crédibilité. L'expert
convoqué « estime » et le journal ajoute
que « sans aller jusqu'à dire qu'il existerait un
gène de l'anorexie [...], ce spécialiste penche pour une
vulnérabilité génétique liée à une
personnalité particulière ». Le qualificatif
« éventuelle », le verbe introducteur
« estime » et l'expression
« vulnérabilité
génétique » sont autant d'indices qui viennent
relativiser l'hypothèse d'un facteur génétique de
l'anorexie. La dernière phrase de l'article le confirme, Le Figaro
nous informe que des centres récoltent les échantillons
sanguins des anorexiques et de leurs familles « afin de tenter de
mettre au jour d'hypothétiques caractéristiques
génétiques... ». le verbe
« tenter », l'adjectif
« hypothétiques » et la ponctuation
utilisée sont également des indices qui révèlent
que le quotidien ne partage pas cette idée.
b) Le facteur socioculturel : un
destinateur ambiguë
La position du journal par rapport à l'hypothèse
d'un facteur socioculturel de l'anorexie est ambiguë. Dans un premier
récit, le quotidien pose la question à P. Jeammet en ces
termes : « convient-il d'incriminer la mode, les mannequins,
les couturiers, qui en influençant les jeunes filles, va jusqu'à
les convaincre de se `faire maigrir' ? »418(*). Le fait de poser cette
question à un expert n'est pas anodin et renvoie à la
difficulté qu'éprouve le quotidien à trancher
lui-même, à expliquer l'origine de la maladie. L'expert
convoqué « n'en est pas pleinement
persuadé » et fournit à l'appui un argument
historique : certes l'anorexie est plus fréquente cependant, elle
« existait déjà au début du siècle
alors que la mode était tout sauf à la ligne
longiligne ». Notons que cet argument est le même qu'un
expert avance dans l'un des discours de La Croix. L'influence du
contexte socioculturel et plus particulièrement de la mode, est donc
rejeté par cet expert. Nous pouvons considérer que son opinion
est aussi celle du journal qui aurait pu aisément convoqué un
autre scientifique à l'avis différent. Cependant, trois mois plus
tard, Le Figaro écrit que l'anorexie fait « des
ravages chez les jeunes femmes des pays riches, malheureuses émules de
ces `tops' aux traits émaciés et aux corps
efflanqués »419(*). L'émule étant une
« personne qui cherche à égaler, à surpasser
une autre personne »420(*), le quotidien sous-entend que la quête de la
minceur dans laquelle se lance ces jeunes filles est vaine. Les termes
« émaciés » et
« efflanqués » sont plutôt
péjoratifs et laisse croire que le quotidien accuse ces mannequins qui
n'ont rien des `tops'.
c) Le facteur familial : un
destinateur implicite
Le facteur familial est la troisième hypothèse
formulée par le quotidien. Il délègue la parole à
un expert qui mentionne « le lien très
ambivalent » que l'anorexique développe avec sa famille.
Le récit ne fournit aucun détail supplémentaire qui
permettrait d'expliquer le rôle que joue la famille dans l'apparition de
l'anorexie. Nous ne pouvons donc pas savoir quel est le destinateur
réel. S'agit-il d'une mère surprotectrice ? D'un père
violent ? Cependant, l'idée d'un lien ambivalent renvoie à
ce que la littérature médicale décrit une tension chez
l'adolescente. Elle est partagée entre son désir d'autonomie et
sa dépendance affective à l'un de ses parents.
La famille comme destinateur apparaît en filigrane dans
un second article. Malika, « victime de
sous-nutrition », vivait dans une « famille [...]
très fragile psychologiquement » et le quotidien
précise que le décès de la mère a marqué
« un point de rupture ». Dans cet exemple, se
mêlent des facteurs à la fois d'ordre personnel, psychologique et
un facteur environnemental. En effet, si la famille semble être un
terreau favorable au déclenchement d'une maladie, le décès
est un événement d'ordre personnel. Aucun indice ne permet
explicitement de savoir si le quotidien accuse la famille d'être le
destinateur de l'anorexie de la jeune fille.
d) Un facteur psychologique
incertain
Seul un discours nous fournit une indication quant à
l'hypothèse d'une origine psychologique de l'anorexie. Un expert penche
pour « la vulnérabilité psychologique liée
à une personnalité particulière : perfectionniste
chez l'anorexique »421(*). Cet indice est assez « maigre »
pour prétendre que le quotidien privilégie le facteur
psychologique comme origine de l'anorexie. De plus, si les anorexiques
partagent des traits de caractère commun, le perfectionnisme ne semble
pas être la caractéristique majeure de leur personnalité.
C'est avant tout la peur et le manque de confiance en soi que pointait D.
Rigaud qui peuvent constituer un terreau favorable à l'apparition de la
maladie.
La figure du destinateur n'est pas très présente
dans les discours du Figaro. Cependant, l'étude des articles
nous a révélé que comme La Croix, le quotidien
écarte l'hypothèse génétique et organique de
l'anorexie, le facteur socioculturel est plus ambiguë. Contrairement
à Le Monde qui désigne explicitement la mère
comme destinateur, Le Figaro reste relativement prudent et
suggère dans les discours de presse que la famille pourrait être
parfois la cause de l'anorexie, mais ne l'affirme jamais explicitement. Cette
ambiguïté témoigne peut être de l'incertitude et de la
complexité de la maladie dont le journal parle. Il préfère
se retrancher derrière l'avis de quelques experts et refuse de se
prononcer clairement sur une question qu'il juge complexe.
4. L'Humanité : des facteurs
socioculturel, individuel et environnemental
L'Humanité ne consacre pas un article
spécifique aux facteurs de l'anorexie mais aborde cette question de
façon plus ou moins explicite dans quatre articles. Trois
destinateurs sont mis en avant : le facteur socioculturel, le facteur
psychologique et le facteur environnemental. Cependant, le quotidien
privilégie nettement l'hypothèse d'un facteur socioculturel qui
apparaît dans trois récits. Les facteurs psychologique et
environnemental ne sont évoqués que dans un témoignage que
L'Humanité nous rapporte au discours direct. Les propos de
cette ancienne anorexique ne sont donc pas ceux du quotidien mais contribue
à construire la figure du destinateur.
a) Les médias, destinateur de
l'anorexie
Le terme de « facteur
socioculturel » n'est pas employé explicitement par le
journal mais différentes expressions suggèrent que l'apparition
de l'anorexie est liée à un contexte sociocuturel particulier. Le
quotidien pointe un doigt accusateur sur les médias et plus
particulièrement la presse magazine comme l'illustre la phrase
suivante : « ne lisez pas les magazines
féminins ». L'injonction à ne pas faire
reflète le danger que peut représenter la lecture des
magazines ; « ces
journaux-là »422(*), un « -là » qui
connote un certain mépris. A cause du « reflet que leur
renvoie les médias », de « l'image du
physique masculin idéal »423(*) que diffuse la presse
magazine, les femmes et les hommes risquent de devenir anorexiques. Le
quotidien sous-entend qu'en lisant les magazines, les lectrices/lecteurs sont
incité(e)s à faire un régime pour ressembler aux
modèles qu'ils « admirent ». Le terme
« régime » ne figure pas dans cet article
cependant, la corrélation entre régime et anorexie est
explicitement mentionnée dans d'autres discours.
Un deuxième article dénonce le rôle de la
presse magazine qui « balance la photo
d'un mannequin anorexique »424(*). Nous pouvons penser qu'ici
le qualificatif d' « anorexique » ne renvoie
pas à la maladie mais à l'apparence physique. Les mannequins sont
parfois si minces qu'elles donnent l'impression d'être anorexique.
L'expression « mannequin anorexique »
porte en elle-même l'accusation du journal. En effet, ces
modèles sont censés symboliser la beauté, la perfection
alors que l'anorexique se distingue par sa maigreur. Il y a donc un paradoxe
que le journal souligne grâce à cet oxymore. Il dénonce
ainsi les canons de beauté d'aujourd'hui, véhiculés par la
presse magazine féminine. Ainsi, « femmes »
et hommes sont soumis(e)s à « la pression
médiatique », à une véritable
« dictature »425(*). Les termes de « pression »
et « dictature » sont relativement forts et
soulignent l'emprise sous laquelle sont les lectrices/lecteurs de ce type de
presse. Nous pouvons noter qu'ici le récit de L'Humanité
s'oppose à celui de La Croix qui rejetait ce terme de
« dictature », préférant croire
à la liberté individuelle et laisser une place à l'origine
psychologique de la maladie.
Les normes corporelles que véhicule la presse magazine
incitent les femmes à faire des régimes que le quotidien
évoque non sans ironie. C'est avec une « boulimie
maladive » que les médias se ruent « sur
les dernières nouvelles en matière de
régime », comme si le travail de la presse consistait
à nous livrer les innovations les plus récentes dans ce domaine.
Afin de mettre en valeur le ridicule de cette
« compétition », le journal énumère
différents titres de unes que proposent les magazines :
« `Maigrir là où vous voulez' »,
« `Les régimes à la
mode' », « `Spécial
minceur' »... L'injonction à faire un régime
se « décline à l'infini sur les pages
glacées des magazines »426(*).
L'accusation du journal se poursuit dans un troisième
article : les magazines sont montrés du doigt parce qu'ils
érigent des « néo-Kate Moss [...] en idéal
féminin » et le quotidien précise que
cette dernière a « pourtant rendu publique ses
souffrances causées par son anorexie ». La presse
magazine est donc doublement accusée : non seulement elle diffuse
des photos de mannequins dont la morphologie incite les femmes à faire
des régimes mais en plus certains de ces modèles sont anorexiques
donc malades. Il faut préciser que l'expression
« mannequin anorexique » que nous avons
mentionnée précédemment est ambiguë. En donnant
l'exemple de Kate Moss, le journal nous rappelle que certains mannequins sont
vraiment anorexiques cependant, il nous semble possible qu'il recourt à
ces termes pour signifier également la maigreur des mannequins.
L'imposition de normes corporelles n'est pas propre à la presse magazine
et dans le même article, L'Humanité accuse aussi la
télévision. Le journal prend pour exemple la
série Ally Mc Beal dont l'héroïne est une
« femme `moderne' », « avocate au
profil filiforme, qui rétrécit à mesure que les
épisodes avancent »427(*). Le quotidien dénonce
là encore avec ironie la minceur de la jeune femme. Cette
« norme du corps [serait] dictée aux femmes par une
société viriarcale qui fâchée de nous
céder peu à peu le droit de choisir notre maternité,
voudrait nous imposer nos formes »428(*), une phrase qui n'est pas sans rappeler
l'argument énoncé par les féministes anglo-saxonnes. Dans
les deux articles que nous venons n'évoquer, le quotidien explicite le
lien entre l'influence de la presse magazine et l'anorexie en évoquant
la « pression médiatique [qui] a parfois des
conséquences dramatiques »429(*),
l'« auto-harcèlement » auquel ne
peuvent échapper les femmes quel que soit leur poids et les
« angoisses et frustrations
quotidiennes » qu'elles ressentent, dont
« l'expression ultime » est
« l'anorexie/boulimie »430(*).
b) L'anorexie résulte aussi de
facteurs psychologique et environnemental
Nous avons choisi de ne pas dissocier ces deux types de
facteurs et de les aborder dans une même partie puisqu'ils figurent dans
un seul et même récit : le témoignage de
Clara431(*). Le
journaliste débute par un récit qui décrit la situation de
la jeune fille puis poursuit par un discours : le témoignage de
Clara. Nous avons jugé utile de faire ici cette distinction entre
discours et récit tels que la définit Georges-Elia Sarfati. Le
plan énonciatif du discours mobilise surtout les pronoms personnels
je/tu, tandis que le récit s'organise autour des pronoms il/elle, de
même les formes temporelles diffèrent432(*). Le passage d'un mode
à l'autre est ici évident. Ses paroles de la jeune fille sont
rapportées au discours direct, ce qui permet de d'authentifier les
propos. Les événements qu'elle raconte ont bel et bien
été vécu et ne peuvent être mis en doute. Nous avons
relever plusieurs phrases et expressions qui révèlent que dans le
cas de Clara, l'anorexie avait une origine psychologique. Elle parle d'un
« problème dans la tête », explique
qu'elle « avai[t] tellement de problèmes à
l'intérieur qu'[elle] avai[t] l'impression qu'[elle] allai[t]
éclater ». La maladie a été une
façon de « transformer [sa] douleur intérieure en
douleur physique ». L'anorexie nous apparaît ici comme
relevant d'un problème d'ordre personnel, difficile à
résoudre : « je vois ça comme plein de
ficelles qui viennent faire un noeud à un moment ». Nous
voyons d'ores et déjà que la figure du destinateur qui se dessine
ici ne correspond pas à celle que construisent les autres discours du
journal.
Sans le définir comme tel, Clara met en avant un autre
facteur déclencheur : le facteur environnemental, un terme qui est
utilisé dans la littérature médicale pour désigner
à la fois le facteur familial et des facteurs externes. En premier lieu,
la jeune fille évoque la pression familiale à laquelle elle
était soumise : « on me donnait toujours en
exemple », « ils me mettaient sur un
piédestal et je ne comprenais pas pourquoi » ou encore
« ma famille a instauré la comparaison en mode de
vie ». A travers ses propos, nous retrouvons une des causes de
l'anorexie que mentionne le corps médical : l'exigence parentale.
C'est bien sa famille que Clara désigne comme destinateur. Mettre sans
cesse en valeur sa fille et exiger d'elle le meilleur, la conduit à un
moment donné à vouloir montrer ses faiblesses. Dans le discours
de cette ancienne anorexique, nous voyons qu'à cette exigence familiale
s'est ajoutée la remarque d'un professeur « Soulève
tes grosses fesses ». C'est suite à cette
réflexion qu'elle prend la décision de perdre du poids. La figure
du destinateur prend le visage d'un tiers. Notons qu'ici, la perte de poids
n'est pas liée à une quelconque influence des médias comme
l'insinue L'Humanité dans le reste du corpus. L'anorexie
résulte de la conjonction de trois facteurs : mal-être
intérieur, exigence familiale et « réflexion
désobligeante ». Après une première
hospitalisation, Clara entre en fac de journalisme. Elle est confrontée
à de nouvelles exigences et rechute : « je me suis
retrouvée dans un autre système de comparaison ambiance
concours ». Ici l'exigence ne vient plus de sa famille mais du
milieu universitaire dans lequel elle se trouve. Le témoignage de cette
jeune fille est intéressant car il met en valeur la complexité de
l'origine de la maladie. Il n'y a pas un facteur précis qui pourrait
être désigné comme facteur déclencheur de l'anorexie
mais un enchevêtrement de causes. L'exigence de ses parents, la
réflexion d'un professeur auxquels s'ajoute un mal-être
intérieur, un manque de confiance en soi se sont conjugués pour
que la maladie apparaisse.
Le témoignage de Clara fait figure de discordance par
rapport aux autres articles étudiés. Outre le système
énonciatif qui diffère, ce sont aussi les propos qu'elle avance
qui établissent une rupture avec le reste du corpus. Alors que
L'Humanité présente la presse magazine et la
télévision comme destinateurs, Clara raconte comment ses
problèmes intérieurs et des pressions externes l'ont conduite
à l'anorexie. Cette discordance nous permet de mettre le doigt sur une
polyphonie du discours. Deux voix sont mêlées : celle du
quotidien lui-même et celle de Clara rapportée par
L'Humanité. Le témoignage n'a donc pas ici pour fonction
de légitimer le discours du quotidien cependant, il ne disqualifie pas
les dires de la jeune fille puisqu'il introduit ses propos en disant
« Elle raconte SON histoire, insistant sur le fait que chacune
est différente ». Cette phrase permet au journal de
rester cohérent avec lui-même. Il peut difficilement modifier sa
position en prétendant que les médias ne jouent aucun rôle
dans le déclenchement de l'anorexie, mais il ne peut pas non plus
réfuter les propos de Clara. Il conclut alors en se raccrochant à
un détail : l'histoire de chaque anorexique est différente,
une idée largement répandue dans le corps médical. La
typographie utilisée met en relief cette
« évidence ».
L'Humanité construit la figure du destinateur
de l'anorexique de façon beaucoup moins rigoureuse que La
Croix. En effet, aucun terme ne fait référence à la
complexité de l'origine de la maladie et à son origine
polyfactorielle. Aucun expert ne vient confirmer ou renforcer les affirmations
du quotidien, une absence qui peut se justifier. Les spécialistes que
convoquent La Croix nuançaient l'hypothèse d'une
influence socioculturelle en s'appuyant sur un argument historique. Il est donc
logique que L'Humanité ne délègue la parole
à aucun expert puisqu'il désigne le facteur socioculturel comme
le facteur déclencheur de la maladie. En outre, le journal occulte les
autres hypothèses existantes à savoir les hypothèses
génétique et organique. Finalement le quotidien ne tranche pas
entre facteur socioculturel, facteurs environnementaux et origine
psychologique.
5. Libération : le culte de
la minceur est le facteur déclencheur de l'anorexie mentale
Libération n'aborde pas
explicitement la question des facteurs déclencheurs de l'anorexie
cependant, certains éléments des discours de presse nous donnent
des indices quant aux hypothèses privilégiées. Ainsi,
différents articles révèlent que le quotidien met en avant
le facteur socioculturel, le facteur familial et le facteur psychologique. La
figure du destinateur est donc multiple.
a) L''hypothèse d'un facteur
socioculturel est privilégiée
L'hypothèse d'une influence socioculturelle est
évoquée dès le premier article en 2000, et revient
à plusieurs reprises, même si le terme « facteur
socioculturel » n'apparaît dans aucun discours. En 2000,
Libération publie un article intitulé
« Une histoire. Miss Anorexie America »433(*). Le titre suffit à
lui-même pour comprendre que le destinateur de la maladie est la mode. Le
journal évoque « l'influence des concours de beauté
sur la décision des jeunes femmes d'entreprendre un
régime », une phrase qui sous-entend que le régime
peut conduire à l'anorexie. De plus, le journaliste écrit que le
docteur Caballero « dénonce la tendance à la
maigreur des récentes Miss », mais en
réalité c'est Libération qui dénonce. Nous
pouvons noter qu'ici la figure du destinateur est identique à celle que
construit L'Humanité mais s'oppose à celle que dessine
la Croix qui ne considère pas la mode comme le facteur
déclencheur de l'anorexie. Nous avons relevé un autre
élément concernant la nature de l'expert. A l'inverse de La
Croix qui délègue la parole à des spécialistes
français des troubles du comportement alimentaire, Libération
se tourne vers un expert étranger, peu connu, ce qui tend à
conférer moins de légitimité à ses propos.
Au-delà de la mode et des mannequins, nous pouvons faire
l'hypothèse que ce sont les Etats-Unis que Libération
accuse. Ce sont eux le « véritable »
destinateur, le destinateur originel. En effet, le titre nous rappelle que la
Miss dont il est question est américaine. Cette sanction que le journal
fait porter sur les Etats-Unis apparaît dans un autre article :
« Les fans de l'anorexie servent leur soupe sur le
Web »434(*).
Le quotidien dénonce les sites pro-anorexiques qui « font
l'apologie » de la maladie, et précise qu'ils sont
« surtout américains ». Un autre
détail est révélateur : ces sites diffusent des
« images de stars hollywoodiennes filiformes. Parfois
trafiquées pour les amaigrir davantage », des stars
hollywoodiennes qui nous renvoient donc aux Etats-Unis. Ce sont, là
encore, à la fois la mode et les Etats-Unis qui sont
désignés comme le destinateur de l'anorexie et de façon
plus nuancée Internet.
En effet, au premier abord, l'objectif du récit semble
être de dénoncer l'existence des sites pro-anorexiques, comme le
souligne l'encart « l'apologie de ce trouble alimentaire
inquiète les médecins ». Cependant, nous avons
relevé plusieurs expressions appartenant au champ lexical de la
« bataille » qui indiquent que ce qui intéresse
également le quotidien c'est la « lutte » à
laquelle se livrent les partisans et les opposants de ces sites.
« Des associations sont montées au
créneau » afin de dénoncer les sites
pro-anorexiques et les portails qui les autorisent, des
« contre-sites se sont montés »,
« des clubs de discussion ont également été
fermés » ; des initiatives auxquelles les
pro-anorexiques répondent d'un « ton
vengeur ». Libération semble insister sur
l'importance de cette bataille. Si les opposants aux sites pro-anorexiques
gagnent, l'influence du Web diminuerait entraînant la disparition de ce
« destinateur ». Nous nous permettons de mettre ce terme
entre guillemets car le discours du journal est ambiguë et ne permet pas
de désigner Internet comme le destinateur de l'anorexie. En effet, au
cours du récit, il délègue la parole à un expert
qui affirme que « ces sites ne plongent pas de gens dans la
maladie, et entretiennent seulement ceux qui sont déjà
anorexiques », des propos qui relativisent donc l'influence
d'Internet et tend à complexifier la figure du destinateur. Aucun indice
ne permet de savoir si finalement Libération considère
Internet, donc un autre média, comme le destinateur de la maladie ou
non.
En 2002, l'hypothèse de l'influence socioculturelle est
à nouveau avancée. Le quotidien parle de l'anorexie comme de la
conséquence dramatique « de l'idéologie de la
minceur »435(*) qui font des adolescentes
« obsédées par l'image des
mannequins ». Le terme
« obsédées » n'a pas ici une
connotation péjorative mais permet d'insister sur le pouvoir qu'exercent
les images sur les adolescentes. Il renvoie à quelque chose dont elles
ne peuvent faire abstraction, qui envahit leurs pensées et dont elles
sont « victimes ». Le terme
« idéologie » renforce cette idée.
Les jeunes filles seraient soumises à des normes corporelles auxquelles
elles devraient se conformer. Le récit de Libération
s'oppose à celui de La Croix qui ne cautionnait pas le
terme de « dictature » mais rejoint celui de
L'Humanité. Rien ne précise si par le mot
« images », le quotidien désigne les images
diffusées par la presse magazine, à la télévision
ou encore sur Internet. C'est pourquoi, nous pouvons dire que la figure du
destinateur reste assez floue.
L'année suivante, les discours de Libération
deviennent plus précis. Le journal publie une interview de
Jean-Pierre Corbeau436(*), un sociologue, qui souligne le rapport entre les
valeurs de la société contemporaine et les normes corporelles.
L'article est construit autour de deux champs lexicaux particulièrement
révélateurs : celui de la maigreur et celui de
l'efficacité. Le sociologue explique que la France est
« lipophobe », que le modèle
d'esthétique aujourd'hui est « la
maigreur », « l'androgyne » devient
« un modèle de beauté » parce que la
maigreur symbolise « l'efficacité sociale »
et « la performance », une idée qui rejoint
la thèse de A. Guillemot et M. Laxenaire dont nous avons parlé.
Pour illustrer ce rapport entre valeurs et normes corporelles, le journal prend
l'exemple de la série Ally Mac Beal dans laquelle
l'« actrice maigre » « incarne une
femme à responsabilités qui nie ses formes
féminines dans une logique d'efficacité et de productivité
». Il est intéressant de noter que L'Humanité
a recours au même exemple pour souligner l'influence des valeurs de
notre société sur les représentations du corps
féminin. Au-delà des modèles féminins que nous
proposent les médias, et plus particulièrement la
télévision qui est implicitement montrée du doigt, c'est
la société toute entière qu'accuse
Libération par l'intermédiaire de Jean-Pierre Corbeau
qui conclut : « notre société toute
entière est lipophobe ». D'ailleurs, le journal
écrit dans un autre article que les troubles du comportement alimentaire
sont de plus en plus fréquents aujourd'hui « ce qui n'est
pas sans renvoyer la question à la société dans son
ensemble »437(*). Il précise plus loin cette
idée en s'appuyant sur les arguments de P. Jeammet, qui pense que les
troubles de l'adolescence sont liés à
« l'évolution sociale et le comportement des
adultes ». Nous vivons dans une société où
il faut « `toujours faire mieux, aller plus loin, au-delà
de sa propre limite, comme l'anorexique qui peut toujours perdre cent grammes
supplémentaires ». P. Jeammet ne dénonce pas les
médias mais les valeurs de la société dans laquelle nous
vivons. Il serait mal venu de contester un expert, spécialiste reconnu
des troubles du comportement alimentaire cependant, il nous semble que la
réalité soit quelque peu plus complexe. D'ailleurs, nous avons
montré dans la première partie de ce travail que l'anorexie
existait déjà au Moyen Âge, une époque à
laquelle la performance et la réussite n'étaient pas les valeurs
fondamentales de la société.
b) La famille est également
accusée de déclencher la maladie
Libération mentionne l'hypothèse d'un
facteur familial dans deux articles. Un premier récit est
consacré à l'ouverture d'un restaurant allemand
dédié aux personnes atteintes de troubles du comportement
alimentaire. La patronne du restaurant, elle aussi anorexique, analyse les
facteurs déclencheurs de sa maladie. A l'adolescence,
« ses parents étaient en plein divorce » et
elle a « petit à petit cessé de [se] nourrir
normalement »438(*). C'est ici un problème familial qui a
suscité le déclenchement de l'anorexie. Il n'est pas rare en
effet, qu'une adolescente réagisse à un événement
familial pesant en restreignant sa nourriture, un moyen pour elle d'attirer
l'attention de ses parents.
Dans un article plus récent, la famille est
dépeinte comme un milieu pathogène qui serait à l'origine
de l'anorexie d'une adolescente. Avant d'expliquer comment le quotidien
construit la figure du destinateur, autrement dit accuse la famille, il est
intéressant de se pencher sur la « nature » de ce
récit. Une nouvelle fois, Libération utilise une
façon détournée d'aborder le sujet de l'anorexie en
publiant un article sur un reportage télévisé
diffusé par France 5, qui a pour sujet la Maison des Adolescents. Le
journaliste a choisi de raconter comment se déroulait un entretien entre
Marcel Rufo, pédopsychiatre et directeur de la Maison des Adolescents,
une jeune anorexique Caroline, et ses parents. Deux procédés,
l'un narratif, l'autre scénique, sont utilisés pour
désigner les parents comme le destinateur de la maladie. Au plan
narratif, le discours nous révèle pourquoi Caroline est devenue
anorexique. L'accent est mis sur la pression qu'exerçait le père
sur sa fille. Il était « très
exigeant », voulait qu'elle ait des « bonnes
notes » et qu'elle réussisse. M. Rufo analyse ce
comportement et conclut que Caroline est une
« compensation » des échecs de son
père. Nous retrouvons ici un cas de figure déjà
mentionné : les parents projettent sur leurs enfants leurs
désirs, souvent non réalisés au cours de leur propre
enfance. En plus de cette exigence, « pendant treize
ans », le père a eu « à la fois de
la violence verbale et physique par rapport » à Caroline.
C'est bien la famille, notamment le père qui est considéré
comme le destinateur de la maladie. Le journal renforce la culpabilité
du père en évoquant la faiblesse et
l' « isolement » de la jeune fille qui était
« une petite fille » et qui « ne
pouvai[t] pas se défendre ». La mère est aussi
désignée comme le destinateur mais un destinateur indirect :
elle n'a pas protéger sa fille.
Le dispositif scénique participe également
à la désignation des parents comme destinateurs. Des
détails comme « face à »,
« à gauche », « à
droite » permettent au lecteur de visualiser la scène. A
cela s'ajoutent des indications concernant la direction du regard du
professeur : « regarde », « un
bref regard au père », « observe le
père », « regarde
Caroline »... La mise en scène de l'entretien renforce la
culpabilité des parents qui se trouvent en position
d'infériorité face au « puissant »
professeur. C'est lui qui distribue la parole. Les parents ne parlent que
lorsqu'ils y sont invités et les verbes introducteurs utilisés
par le journal révèlent leur infériorité : le
père « glisse »,
« murmure » et la mère
« geint ». Il faut par ailleurs préciser
qu'à aucun moment, le journaliste ne mentionne explicitement l'origine
familiale de l'anorexie de Caroline. L'histoire parle d'elle-même, ou
plutôt le reportage. Cependant, il faut préciser que cet article
annonce une émission sur la Maison des Adolescents, le journaliste a
donc choisi de sélectionner cette scène et de nous la raconter.
Un choix pas anodin qui laisse sous-entendre que c'est bien pour
l'hypothèse du facteur familial que penche Libération.
Un dernier article privilégie également
l'hypothèse d'un facteur familial mais de façon plutôt
implicite. Ce discours est consacré au livre de P. Jeammet sur
l'anorexie à l'adolescence et la quotidien débute l'article en
écrivant : « La nourriture est l'un des carrefours
essentiels de la relation de l'individu à son environnement. Quand les
parents disent à leur bébé : `Une cuillerée
pour maman, une cuillerée pour papa', `ils contribuent sans le savoir
à faire de l'alimentation le véhicule de l'amour et de la
soumission à leur propre désir' »439(*). Le quotidien ne fait que
citer les propos de l'expert en ajoutant « à partir de
là, tout peut déraper ; qu'on se rassure cela n'arrive pas
souvent ! Mais quand ça arrive... L'anorexie mentale est une
maladie scandaleuse... ». Ces propos nous renvoient à la
théorie psychanalytique de l'anorexie selon laquelle, la maladie trouve
ses origines dans les relations entre la mère et son enfant. En
commençant l'article par cette citation, le quotidien sous-entend qu'il
approuve cette hypothèse. Cependant, il faut noter qu'il est beaucoup
plus difficile de cerner la position de Libération, où
tout se joue sur des non-dits et des allusions, que celle de La Croix
qui désigne de façon explicite le destinateur de l'anorexique.
c) Le facteur psychologique, un facteur
éventuel de l'anorexie
Dans l'un des articles, Libération semble
montrer que l'anorexie pourrait également avoir une cause psychique. En
effet, il mentionne la « vulnérabilité psychique du
sujet »440(*) dont parle P. Jeammet dans son ouvrage. Une
adolescente plus fragile que d'autres serait susceptible d'être plus
sujette à la maladie. Cependant, c'est la seule indication dont nous
disposons dans tous les articles du corpus. Ainsi, il est peut être
ambitieux de conclure que Libération privilégie
l'hypothèse d'une origine psychologique de la maladie.
Libération ne consacre pas d'article
particulier à la question de l'origine de l'anorexie cependant l'analyse
des discours nous révèle que le facteur socioculturel
est largement privilégié même si une ambiguïté
subsiste par rapport à la question des sites pro-anorexiques. La famille
est également désignée comme destinateur et le facteur
psychologique de l'anorexie est mentionné de façon rapide ce qui
ne nous permet pas vraiment de trancher.
6. Santé Magazine : la
figure du destinateur, une figure qui évolue
La question de l'origine de l'anorexie est présente
dans tous les articles de Santé Magazine, ce qui n'est
guère étonnant. En effet, le magazine détient une mission
d'information dans le domaine de la santé qui
l' « oblige » à aborder cet aspect de la
maladie. Cette démarche est d'autant plus nécessaire qu'il
définit l'anorexie en mettant l'accent sur sa gravité et la
nécessité de prévenir la maladie. En conséquent, il
ne peut exclure de ses propos la question de l'origine de la maladie,
démarche qui est similaire à celle de La Croix.
L'étude du corpus révèle une évolution de la
position du magazine assez significative. Dans les années 80,
l'hypothèse d'un facteur familial domine comme l'indique la phrase
suivante : « nous insistons sur la pathologie familiale
fréquente qui entoure souvent l'anorexique »441(*). Même si le
terme « souvent » tend à nuancer
l'origine familiale de la maladie, l'auteur de l'article donne en
guise d'exemple le cas d'une jeune fille dont les parents sont surprotecteurs
ce qui tend à renforcer l'hypothèse d'un facteur familial.
Malgré tout, l'auteur affirme ne pas vouloir
« dénoncer l'attitude des parents, mais [...] les
aider », ces propos contradictoires vont
« contraindre » le magazine à abandonner
progressivement l'idée de la famille comme destinateur de la maladie.
Cependant, à la fin des années 80, l'hypothèse du facteur
familial reste encore privilégiée. La maladie résulterait
« de problèmes psychologiques profonds qui remontent
à la petite enfance » ce qui n'est pas sans rappeler les
théories psychanalytiques qui considèrent que l'anorexie a pour
origine une perturbation des relations mère-enfant. L'article brosse le
portrait d' « une famille candidate à
l'anorexie », une expression assez révélatrice,
où le père est soit absent soit autoritaire et la mère
surprotectrice. Nous pouvons noter que la position de Santé Magazine
est semblable à celle de La Croix dans les années
90, une position qui ne fait que refléter les hypothèses
médicales en vigueur à cette époque.
a) La famille passe du rôle de
destinateur à celui d'adjuvant
Santé Magazine souligne que
« les causes de l'anorexie mentale sont
multiples » dès le premier article du corpus. Cependant,
cela ne signifie pas qu'il ne prend position. Il privilégie le facteur
familial et le facteur socioculturel. L'hypothèse d'une famille comme
milieu pathogène reste prépondérante pendant plusieurs
années. En 1991442(*), le magazine avance que « pour la
plupart des médecins [...] l'origine de cette maladie remonterait
à la toute petite enfance, à l'âge où le seul lien
entre la mère et l'enfant passe par la nourriture ». Au
premier abord, l'emploi du conditionnel peut laisser penser que le magazine met
à distance cette hypothèse. Toutefois, l'expression
« pour la plupart des médecins » permet de
lui conférer une certaine crédibilité. De plus,
Santé Magazine délègue la parole à un
expert dont les propos confirment cette hypothèse. En effet, celui-ci
explique que « l'anorexie éclate sur un terrain
préparé », c'est-à-dire survient chez des
adolescentes « modèles », qui
depuis leur enfance se conforment aux désirs de leurs parents.
Cette exigence parentale rappelle les théories avancées par
certains psychanalystes aujourd'hui. Dans le même article, le magazine
dénonce les familles où la mère
« obsédée » par l'idée de
perdre du poids « suit un régime »
entraînant sa fille à faire de même. Ici, le terme
« obsédée » révèle la
sanction que porte Santé Magazine. Afin de renforcer
l'accusation, le journaliste laisse la parole à une ancienne anorexique
qui explique que « les parents devraient bannir le mot
`régime' [...] quand ils ont des filles adolescentes un peu trop rondes
[...]. C'est cela qui donne des complexes ». Ce
témoignage d'une ancienne anorexique, rapporté au discours
direct, ne fait que confirmer l'hypothèse d'un facteur familial
déclencheur de la maladie. Quelques années plus tard443(*), la famille est à
nouveau désignée comme le destinateur de la maladie.
Santé Magazine parle d' « environnement
familial exigeant », de familles où
« l'image du corps est sublimée ». En
reprochant à leur fille d'être trop ronde, les parents
déclenchent chez elle un sentiment d'imperfection qui l'incite à
faire un régime. Il est intéressant de noter qu'ici ce n'est pas
la société qui est responsable de l'imposition de normes
corporelles mais les parents. Le sous-titre « Attention au culte
du corps ! » ne renvoie pas au culte de la minceur que
diffuserait la presse magazine, comme le dénonçait
L'Humanité, mais à celui que les parents imposent
à leur fille. Nous pouvons noter que c'est la première fois dans
notre corpus que cette idée apparaît. Au premier abord, il peut
sembler surprenant que le culte du corps ne renvoie pas à la
société mais à la famille. En réalité, la
position qu'adopte Santé Magazine s'explique facilement. En
effet, présenter le culte du corps comme véhiculé par la
presse magazine, conduirait le magazine à se désigner comme le
destinateur. En 1996444(*), c'est encore la famille que Santé
Magazine présente comme le destinateur de la maladie. Il
décrit le manque d'autonomie de l'adolescente qui « fait
tout pour [...] rassurer [sa mère] »,
« brillante à l'école, intelligente et
facile ». Ses « conduites sont conformes au
désir de ses parents [...] et ne préparent pas la jeune fille aux
modifications de la puberté ». Une nouvelle fois,
l'exigence des parents, la conformité de l'adolescente à leurs
attentes et pointé par le magazine. Notons que le rôle du
père est explicitement évoqué alors qu'en
général c'est plutôt la mère qui fait l'objet
d'accusations. Ainsi, le magazine souligne que le « rôle du
père est aussi primordial : on retrouve de plus en plus de cas
d'anorexie dans les familles où le père, débordé
par son travail, est absent ou ne sait pas communiquer avec sa
fille ». C'est ici l'absence du père qui est mise en
exergue. Comme Le Monde le soulignait déjà, la figure du
destinateur quand il s'agit de la famille peut se
« dédoubler » et ce ne sont pas toujours les
« parents » ou la mère qui prennent le visage du
destinateur de l'anorexique.
A partir de 1997, la responsabilité des parents, en
particulier de la mère, devient moins nette. Le magazine mentionne que
« l'anorexie mentale a des origines aussi variées que les
personnalités des adolescentes qui en sont victimes »
même s'il existe des facteurs communs comme « la grande
dépendance affective vis-à-vis de l'entourage, notamment de la
mère »445(*). Cependant, cette allusion à la
relation mère-fille ne signifie pas que la mère est
surprotectrice, donc responsable. La figure du destinateur devient plus floue
annonçant une évolution. Le basculement s'opère en 2001
lorsque Santé Magazine note que « contrairement
à ce que l'on entend dire, l'anorexie ne serait pas due aux relations
difficiles avec la mère » car « si une
anorexique ne mange plus, ce n'est pas contre ou à cause de
quelqu'un »446(*). Le comportement qu'adopte une mère
vis-à-vis de sa fille anorexique n'est en réalité qu'une
conséquence de la maladie et ce « n'est pas leur mode de
fonctionnement initial qui fait l'anorexie ». A partir de ce
moment-là, la famille passe du rôle de destinateur à celui
d'adjuvant et de victime.
b) Une nouvelle définition du
« facteur socioculturel »
Le facteur socioculturel est la seconde cause de la maladie
qui apparaît dans les discours de Santé Magazine. Nous
avons montré que plusieurs quotidiens, en particulier
L'Humanité, accusaient très nettement la presse magazine
d'être à l'origine de l'anorexie des jeunes filles. C'est
pourquoi, il est intéressant de voir comment le magazine se
positionne par rapport à cette hypothèse. En 1991, il
présente explicitement le contexte socioculturel comme facteur
déclencheur de la maladie. Celle-ci « est liée au
contexte socioculturel qui favorise une image de la restriction, de la
maîtrise de soi, de bonne santé, où les messages
préventifs tournent autour de la restriction
alimentaire »447(*). La norme qui serait imposée est
celle de la restriction alimentaire. Ainsi, le sens que confère le
magazine au terme « facteur socioculturel »
diffère de celui que lui accordent les autres quotidiens. En effet, il
semble difficile que Santé Magazine définisse le facteur
socioculturel comme l'imposition de normes corporelles, l'idéologie de
la minceur car cela reviendrait à se désigner comme destinateur.
C'est pourquoi, au début de la période ce sont les parents qui
sont accusés de valoriser un certain idéal corporel. Nous avons
remarqué que dans les articles suivants, la définition du facteur
socioculturel évolue mais n'inclut toujours pas la presse magazine.
C'est alors la « publicité » que
Santé Magazine dénonce car elle
« n'arrange rien », « elle montre
des mannequins sveltes, longilignes », « quant
à la mode, elle n'est conçue que pour les
minces ! ». Le terme de
« publicité » est ambiguë car
il peut désigner à la fois la publicité à la
télévision mais également la publicité qui se
trouve dans la presse magazine, ce qui là encore reviendrait à se
désigner comme destinateur. Finalement, le magazine
préfère écarter l'hypothèse d'un facteur
socioculturel de l'anorexie et prétend qu'« on accuse
beaucoup la mode de la minceur qui incite de nombreuses adolescentes à
vouloir maigrir pour ressembler à leurs (top) modèles, mais ce
courant (bien que significatif) ne serait qu'un paramètre parmi d'autres
d'ordre purement psychologiques »448(*). Cette phrase
révèle la contradiction dans laquelle est pris le magazine :
d'un côté, il veut écarter le contexte socioculturel comme
facteur de l'anorexie ; de l'autre, il ne peut nier qu'il y a bien une
influence de la mode sur les adolescentes. Il faut attendre l'article suivant
soit quelques années plus tard pour qu'il écarte
définitivement l'éventualité d'une influence du contexte
socioculturel avec cette phrase : « l'adolescent choisit la
nourriture comme objet de maîtrise [...]. Ce choix particulier de
l'aliment n'est en rien motivé par l'obsession de l'image de son
corps »449(*). Le verdict est sans appel, la mode n'est
pas le destinateur de l'anorexique, ainsi Santé Magazine
rejoint la position de La Croix.
c) L'hypothèse d'une origine
psychologique
Finalement, Santé Magazine privilégie
l'hypothèse d'une origine psychologique de l'anorexie. Au début
de la période, l'idée n'est présente que de façon
embryonnaire : un médecin parle du « refus de
grandir », une ancienne anorexique explique qu'elle
« avai[t] peur des hommes. Peur de la société toute
entière »450(*). Cette peur révèle qu'il
s'agit d'un problème d'ordre personnel mais à aucun moment ne
figurent les termes « psychologique » ou
« personnel ». Dans un autre article,
nous trouvons l'expression « pour aller mieux dans sa
tête »451(*) qui suggère que la jeune fille a un
problème. A plusieurs reprises le magazine insiste sur le rôle de
la personnalité. Ainsi nous avons repéré les phrases
suivantes : « chaque anorexique a une histoire, son propre
vécu et sa personnalité »452(*), ou encore
« l'anorexie mentale a des origines aussi variées que les
personnalités des adolescentes qui en sont
victimes »453(*) mais aussi « la maladie est une
manière d'exprimer leur mal-être »454(*). Ces quelques citations
laissent penser que l'anorexie pourrait avoir une origine psychologique
cependant, c'est surtout sur la complexité de l'origine de la maladie
que Santé Magazine met l'accent. En effet, prétendre que
les origines sont aussi variées que la personnalité des victimes,
c'est sous-entendre qu'il est quasiment impossible de trancher sur les facteurs
déclencheurs prédominants.
Santé Magazine souligne à plusieurs
reprises la multiplicité des facteurs déclencheurs de la maladie
cependant, cela ne signifie pas qu'il ne prend pas position. L'analyse des
articles de notre corpus nous a permis de mettre en valeur l'évolution
de la figure du destinateur dans les discours de Santé
Magazine, une évolution qui reflète les modifications des
conceptions du corps médical qui a progressivement abandonné
l'idée d'une famille type de l'anorexique, même si certains
psychanalystes par exemple continuent de penser la famille comme milieu
pathogène. Nous avons également souligné la
spécificité des discours du magazine par rapport au facteur
socioculturel. Ne pouvant pas définir le facteur socioculturel comme
l'imposition de normes corporelles par la presse magazine, il renvoie à
la famille la responsabilité de valoriser un certain idéal
corporel. Cependant, comme La Croix, il rejette progressivement
l'idée que la famille serait responsable de l'anorexie de leur enfant
c'est pourquoi, il est contraint d'abandonner l'hypothèse du facteur
socioculturel de l'anorexie. Finalement, toujours comme La Croix, il
finit par privilégier une origine psychologique de la maladie tout en
soulignant la complexité de la question.
Nos différentes analyses nous ont permis de voir que
loin de proposer une figure du destinateur identique, les journaux
privilégient chacun une hypothèse différente, voire des
hypothèses, quant à l'origine de l'anorexie. Avant d'aller plus
loin dans notre comparaison, il faut préciser que seuls La Croix
et Santé Magazine propose des discours relativement
détaillés sur la question des causes de l'anorexie ce qui nous a
permis de déceler une évolution dans la conception du
destinateur. A l'inverse, les autres quotidiens n'abordent le sujet que de
façon allusive ou en quelques lignes ce qui ne nous fournit pas assez
d'indications pour identifier une évolution.
En reprenant les différentes hypothèses
existantes sur l'origine de l'anorexie nous pouvons distinguer les quotidiens
qui privilégient le facteur socioculturel comme
L'Humanité, Libération et de façon
ambiguë Le Figaro de ceux qui penchent plutôt pour un
facteur d'ordre psychologique comme c'est le cas pour La Croix,
Santé Magazine et Le Monde. Cependant, certains quotidiens
n'avancent pas qu'une seule hypothèse mais désignent plusieurs
destinateurs. Ainsi, L'Humanité mentionne également les
facteurs environnementaux et le facteur psychologique ;
Libération désigne la famille comme destinateur
éventuel et évoque également le facteur
psychologique ; Le Monde envisage la possibilité d'une
origine familiale de l'anorexie et Le Figaro reste assez prudent en
soulignant que l'anorexie est une maladie complexe. Nous ne pouvons que
souligner la diversité des destinateurs qui apparaissent dans les
discours de presse, une diversité qui reflète l'incertitude qui
persiste aujourd'hui autour de la question de l'origine de l'anorexie et
d'éventuels facteurs déclencheurs.
Nous avions souligné en introduction de cette partie
l'attention qu'il fallait porter à l'hypothèse d'un facteur
socioculturel de l'anorexie. Il s'avère que certains quotidiens/magazine
récusent l'idée d'un facteur socioculturel déclencheur de
la maladie et convoquent des experts qui confirment que cette idée n'est
pas pertinente puisque l'anorexie existait déjà les
siècles précédents alors que le culte de la minceur
n'était pas à l'ordre du jour. A l'inverse, les discours qui
présentent la mode ou la presse magazine comme destinateurs de
l'anorexique ne s'appuient sur aucun propos d'expert. L'absence d'expert tend
à décrédibiliser l'hypothèse avancée et
laisse penser malgré les discours de ces quotidiens que l'anorexie ne
résulte pas d'une influence socioculturelle, d'une soi-disant pression
médiatique comme le soulignait L'Humanité.
Enfin, concernant la question de l'évolution de la
figure du destinateur, nous avons indiqué qu'elle n'est perceptible que
dans les discours de La Croix et de Santé Magazine. Au
début de la période, la famille est désignée comme
destinateur puis peu à peu cette conception tend à
disparaître révélant le déplacement qui s'est
opéré dans les conceptions médicales. La famille est
passée du statut de destinateur à celui de d'adjuvant.
Après avoir étudié la figure du
destinateur dans les discours de presse, nous allons maintenant nous
intéresser aux pratiques anorexiques.
III. Les pratiques
anorexiques ou comment l'anorexique devient anorexique
L'anorexie est « le besoin obsessionnel de
maigrir »455(*) qui pousse l'adolescente à restreindre son
alimentation. Cependant, une jeune fille qui décide de commencer un
régime n'est pas pour autant anorexique. En effet, l'anorexie
résulte d'un ensemble de pratiques que l'adolescente met en place aussi
bien au plan alimentaire que corporel ou encore sportif. C'est à ces
pratiques anorexiques que nous allons maintenant nous attacher afin de
comprendre comment la maladie s'installe.
Dans une perspective actantielle, cette étape
correspond à la phase de la performance définie comme
« toute opération du faire qui réalise une
transformation d'état »456(*) qui « fait passer d'un état
conjoint à un état disjoint »457(*) ou inversement. L'actant
sujet met en place un ensemble d'opérations (les pratiques) qui
transforme son état. Dans notre cas, l'anorexique est à la fois
le sujet d'état en relation de disjonction avec son objet (maigrir) et
sujet opérateur ou sujet du faire puisque c'est elle qui va
réaliser la performance. Pour cela, elle doit être
compétente c'est-à-dire être munie du devoir-faire, du
vouloir-faire, du pouvoir-faire et du savoir-faire. Nous serons amenés
à utiliser ces notions de façon ponctuelle. Au cours de la
réalisation de sa performance, elle rencontre des opposants ou
anti-sujets qui ont un programme narratif inverse au sien.
Dans un premier temps nous nous intéresserons aux
pratiques que l'adolescente met en place pour atteindre son objet, des
pratiques qui l'entraînent dans le « cercle vicieux et
très grave de la maladie »458(*). A partir de ces
éléments, nous analyserons les discours de presse pour voir
comment la performance anorexique est décrite par les médias.
A. Les pratiques anorexiques : une élaboration
progressive
Afin d'étudier la performance de l'anorexique, nous
nous appuierons sur l'ouvrage de Muriel Darmon : Devenir anorexique -
une approche sociologique, dans lequel elle étudie l'anorexie en
terme de carrière459(*). Analyser la carrière de l'anorexique
consiste à transformer l'individu en activités, à regarder
ce qu'il fait et non ce qu'il est. « En faisant émerger et
en construisant des phases communes aux diverses expériences
individuelles »460(*), ce procédé permet de montrer ce qui
est commun aux jeunes anorexiques engagées dans la même
carrière, mais aussi de mettre l'accent sur les variations qui existent
à l'intérieur de ces phases communes. M. Darmon distingue quatre
phases dans la carrière anorexique : l'engagement dans une prise en
main, le maintien de l'engagement, le maintien de l'engagement malgré
les alertes et la surveillance et la phase de la prise en charge
hospitalière. Nous n'aborderons dans cette partie que les trois
premières phases puisque la dernière correspond à la
sanction médicale, la dernière étape de notre analyse.
1. Le commencement et le maintien
de l'engagement
a) Les différentes
modalités de commencement
M.
Darmon explique que les anorexiques savent dater le commencement de leur
maladie, un moment que l'auteur définit comme « la
première phase d'engagement dans la carrière
anorexique »461(*). Au
cours de cette carrière, les anorexiques effectuent un travail de
production qui est l'anorexie, autrement dit elle réalise un programme
narratif dont l'objet est de maigrir. La plupart des médecins
considèrent que le régime constitue le commencement de la
maladie, comme le souligne cette phrase de H. Chabrol : « Le
début est habituellement insidieux et apparemment banal :
l'adolescence se sent grosse et décide de suivre un
régime »462(*). M.
Darmon nuance cette approche : s'il y a bien commencement au sens de
rupture entre un avant et un après, d'une modification du comportement,
toutes les anorexiques ne commencent pas en faisant en régime. Ainsi,
elle distingue deux autres modalités de commencement qui
sont : « ne pas commencer tout de suite par un
régime », et « ne pas commencer seulement par un
régime »463(*).
« Commencer par faire un
régime » consiste à mettre en place une
« pratique ayant pour objectif de transformer l'apparence
corporelle par la perte de poids. La perte de poids initiale est alors le
résultat de stratégies entreprises dans ce
but »464(*). M. Darmon distingue trois types de
rôles sociaux qui participent à la définition de ce
régime : les « prescripteurs »
(professionnels de santé qui prescrivent le régime), les
« incitateurs » (les personnes qui incitent
l'adolescente à faire ce régime, un proche ou des ami(e)s..) et
les « accompagnateurs » qui font un régime
en même temps que la jeune fille. L'auteur insiste sur les rôles de
« ces trois acteurs [qui] sont des courroies de transmission de
l'imposition normative »465(*) puisqu'ils légitiment les pratiques de la
jeune fille qui visent à atteindre des normes corporelles. C'est
pourquoi, les différentes opérations que réalise
l'anorexique pour maigrir ne sont pas considérées comme
déviantes mais « normées »466(*). M. Darmon précise
que quand la jeune fille entre dans la carrière d'anorexique par un
régime, elle ne se trouve pas dans « un vide
relationnel »467(*) mais entourée d'acteurs qui remplissent ces
trois rôles. A l'inverse, quand elle ne commence pas par un régime
ou pas seulement par un régime, elle est souvent seule.
Ce que M. Darmon nomme « ne pas commencer tout
de suite par un régime »468(*) correspond au cas où
la jeune fille commence par perdre du poids mais sans avoir fait de
régime et sans en avoir envie (par exemple suite à une
opération). Enthousiasmée par cette perte de poids, elle va
continuer en commençant un régime. Dans cette modalité de
commencement, les prescripteurs, les incitateurs et les accompagnateurs sont
absents. Le troisième mode de commencement se caractérise par un
« engagement sur plusieurs fronts »469(*), le régime
n'étant qu'une composante d'un ensemble de pratiques corporelles et
sportives.
b) La « prise en
main »470(*)
Quel que soit le mode de commencement, la jeune fille
décide de « se `prendre en main' », une
prise en main que M. Darmon définit comme étant la
« mise en place d'un ensemble cohérent d'action de rupture
avec les habitudes antérieures, une mise en pratiques,
c'est-à-dire aussi une mise en action, de la modification de
soi »471(*). Cette prise en main se
caractérise par sa modalité volontaire et introduit une
discontinuité, une rupture par rapport à un avant. La
spécificité de cet « engagement dans une prise en
main » est d'être accepté par les pairs. Le
comportement anorexique (qui est au début une simple restriction
alimentaire) n'est que la poursuite d'un comportement jugé normal
c'est-à-dire accepté par la société. Ainsi H. Bruch
explique que « dans la plupart des cas, au début, les
restrictions alimentaires ressemblent à un régime ordinaire,
où l'on s'abstient de nourriture qui `font
grossir' »472(*). Généralement, lorsqu'une jeune fille
débute un régime, l'entourage ne s'alarme pas. D. Rigaud explique
que : « tout est banal au début, pire
même : gratifiant. Car la société qui valorise les
`gagnants' des régimes, renvoie à ceux qui perdent 10 kg l'image
forte de quelqu'un qui sait se maîtriser. `Bravo' murmurent à
l'unisson les copines, les copains et même les
mères »473(*). Les parents ont tendance à
banaliser le comportement de leur fille et sont souvent les derniers à
prendre conscience de sa maladie. C'est pourquoi, il est assez courant de
trouver le terme « insidieux » dans la
littérature scientifique pour désigner l'apparition de la
maladie : personne ne se doute qu'un régime peut conduire à
l'anorexie. En ce sens, il est difficile de dater précisément le
début de l'anorexie car faire un régime ne signifie pas
automatiquement devenir anorexique, un détail que nous retrouverons dans
les discours de Santé Magazine.
Cette première phase de la carrière anorexique
qu'est l' « engagement dans la prise en
main » varie d'une jeune fille à une autre (dans la
chronologie et les fronts sur lesquels elle s'effectue). Elle n'est pas
socialement désapprouvée. M. Darmon précise un aspect
souvent négligé dans les écrits sur l'anorexie : les
actions par lesquelles l'anorexique vise à transformer son corps ne se
réduisent pas à la perte de poids. Elle peut également
changer de style vestimentaire, de coupe de cheveux, travailler plus à
l'école, valoriser les activités culturelles enrichissantes... La
prise en main s'effectue donc à la fois au plan corporel, scolaire et
culturel. (cf. Annexe n°7, témoignage n°3).
c) Le « maintien de
l'engagement »
Après « l'engagement dans la prise en
main », la jeune fille décide de continuer, de maintenir
l'engagement. M. Darmon nomme cette seconde phase, la phase
du « maintien de l'engagement » qui
se fait grâce à un travail « réfléchi
et volontariste »474(*) qui prend diverses formes. L'auteur
distingue « le travail sur les
techniques »475(*) et « le travail de
mesure »476(*). Il serait trop long de détailler toutes ces
pratiques anorexiques d'autant plus qu'elles varient d'un cas à un autre
même s'il existe des points communs. Nous n'exposerons donc que les
pratiques les plus courantes.
Ce que la sociologue nomme « travail sur les
techniques » correspond à une intensification et une
rationalisation des techniques de perte de poids utilisées dans la
première phase. Par exemple, l'anorexique comptabilise de façon
encore plus systématique la valeur calorique des aliments en s'appuyant
les informations qu'elle peut trouver. C'est d'ailleurs souvent dans la presse
féminine que l'adolescente se documente sur les différents types
de régime, les valeurs caloriques des aliments... Ainsi, nous pouvons
dire que la presse féminine est un adjuvant de l'anorexique, grâce
à laquelle elle acquiert progressivement le savoir-faire. Plus ses
connaissances diététiques augmentent, plus elle
sélectionne les aliments. Elle pratique une véritable
rationalisation de ses consommations alimentaires (pesée, calcul des
calories, diminution de ses portions alimentaires...). A côté de
cette restriction alimentaire, elle intensifie ses pratiques sportives et
s'investit de plus en plus dans ses études.
« Le travail de mesure » concerne
la mesure des résultats obtenus par les pratiques que l'adolescente a
mises en oeuvre. Quatre instruments lui permettent d'évaluer la
transformation de son corps : la balance, la glace en pied, les
vêtements et la comparaison avec les autres477(*). Sans entrer dans les
détails, ce travail de mesure permet l'anorexique de se fixer de
nouveaux objectifs et de radicaliser sa prise en main si elle juge les
résultats pas assez satisfaisants. Le « travail sur les
techniques » et le « travail de
mesure » supposent tout deux une forte volonté de la part
de la jeune fille qui contrôle et maîtrise tous ses gestes. Les
notions de contrôle et de maîtrise sont particulièrement
importantes car elles constituent le fondement du comportement anorexique.
M. Darmon précise que l'engagement est certes maintenu
mais aussi enduré, il ne va pas de soi. Les jeunes filles se forgent des
habitudes qui les aident à maintenir leur engagement. Par exemple, elles
se créent des dégoûts pour certains aliments qu'elles
appréciaient auparavant ; elles mettent en place diverses
stratégies pour oublier leur faim... Il ne faut pas oublier que
contrairement à ce que l'étymologie du mot
« anorexie » laisse entendre, la faim ne disparaît
pas et les anorexiques luttent activement contre cette sensation. Le maintien
de l'engagement est « un travail de la personne sur le temps
[qui] peut devenir un travail du temps sur la
personne »478(*) car la mise en place de pratiques,
l'instauration d'un nouveau « `régime de
vie' »479(*) va transformer les habitudes de la jeune fille et se
traduire par l'incorporation de dispositions. Un basculement s'opère :
l'adolescente ne se contrôle plus mais elle est sous l'emprise de sa
maladie. Le contrôle devient une seconde nature, « la
maladie a pris le pouvoir et c'est désormais elle qui dirige l'existence
de la jeune fille anorexique. Cependant, elle leurre cette dernière
en lui faisant croire qu'elle agit pleinement de son libre-arbitre
»480(*)
(cf. Annexe n°7, témoignage n°7).
2. Quand l'anorexique devient anorexique
ou l'étiquetage de la déviance
a) L'apparition des anti-sujets
La jeune fille anorexique n'est pas tout de suite
étiquetée anorexique puisqu'au début sa perte de poids est
socialement acceptée. Ce n'est qu'après un certain laps de temps
que des oppositions commencent à naître. Progressivement, son
comportement est étiqueté comme déviant et il devient plus
difficile pour elle de continuer à perdre du poids. M. Darmon
précise que l'imputation de la déviance ne se fait pas au
même moment pour toutes les anorexiques481(*). Par exemple, chez une jeune fille dont l'un des
membres de la famille est médecin, l'anorexie sera plus vite
décelée. L'auteur nomme cette troisième phase :
« maintenir l'engagement malgré les alertes et la
surveillance »482(*), une expression qui illustre bien le rapport de
forces qui naît entre l'anorexique qui veut poursuivre son objectif et
les personnes qui s'y opposent.
Au cours de cette phase, apparaissent des gens qui vont tenter
d'empêcher l'anorexique de continuer à maigrir et la forcer
à manger. Dans une perspective actantielle, ces personnes correspondent
aux anti-sujets dont le programme narratif est de
« guérir »483(*) l'anorexique. Chez certaines adolescentes, cette
phase n'existe pas car elles choisissent d'être hospitalisées
de leur plein gré. Nous ne parlerons donc que des anorexiques qui
poursuivent la quête de leur objet.
Au cours de cette phase, de nouveaux agents apparaissent et
remplissent le rôle d'anti-sujet.
« L'alerteur » est « la
première personne qui pointe publiquement que quelque chose ne va
pas »484(*). C'est avec cette alerte que débute la
troisième phase de la carrière anorexique. Il peut s'agir d'un
parent ou d'un professionnel. Le moment de l'alerte varie d'une adolescente
à une autre car il suppose la « visibilité du
stigmate485(*)
qui va faire déviance »486(*). Or, cette visibilité dépend de la
situation et des normes de chacun. Par exemple, dans une famille où
toutes les personnes sont minces, la maigreur d'une adolescente peut passer
inaperçue, elle n'est pas visible. Dans d'autres cas, la maigreur peut
être visible mais perçue comme normale, il n'y aura donc pas
d'étiquetage en terme de déviance. Quand l'alerte est
donnée, elle est souvent suivie d'une consultation médicale.
L'adolescente « rencontre » alors de nouveaux anti-sujets,
les professionnels de santé. Il faut préciser que le
« circuit des professionnels »487(*) commence par la consultation
d'un « médecin de la santé
physique » ou « en santé
mentale »488(*), cela dépend de la nature de l'alerte qui a
été donnée. C'est au cours de ce circuit des
professionnels que l'étiquette d'anorexie mentale va peu à peu
s'imposer en dépit du déni de l'adolescente.
b) Des pratiques qui deviennent plus
discrètes
Tous les agents que nous avons mentionnés vont
constituer un « réseau de surveillance » et
user de stratégies pour inciter l'anorexique à reprendre du
poids. Les parents vont d'abord se montrer conciliant et essayer d'instaurer un
dialogue. Cette stratégie est souvent vaine et les rapports entre
l'adolescente et ses parents deviennent conflictuels. Les professionnels
peuvent menacer d'hospitalisation pour faire réagir la jeune fille.
Quelles que soient les stratégies employées, toutes participent
à une stratégie plus générale de surveillance de
l'anorexique. Un véritable réseau de surveillance se
constitue : plus le temps passe et plus les agents sont nombreux. Au cours
de cette phase, l'anorexique conserve ses pratiques et maintient son engagement
cependant, elle doit faire un « travail de
discrétion »489(*) pour pouvoir continuer malgré les alertes et
la surveillance. Elle doit rendre moins perceptible ses pratiques
considérées comme déviantes. Ce « travail de
discrétion » aboutit souvent à un
« travail de leurre »490(*) : l'anorexique finit
par mentir, par faire semblant, voire par s'exclure de tous les endroits
où elle est surveillée.
C'est pourquoi, l'adolescente est souvent qualifiée de
manipulatrice, de menteuse ; elle semble nier sa maladie. En
réalité, la plupart des médecins s'accordent aujourd'hui
pour dire que ce mécanisme de déni est inconscient. L'anorexique
n'a pas conscience de sa maigreur et affirme que tout va bien. Ainsi, nier
qu'elle est malade ne signifie pas mentir. Inconsciente de la gravité de
son état, elle ne s'inquiète pas de sa perte de poids et continue
à être très hyperactive. Comme nous l'avons
mentionné, à ce stade de l'anorexie, l'adolescente n'a plus de
prise sur la maladie. Les médecins mettent l'accent sur le rapport
paradoxal qu'elle entretient avec la nourriture : elle a peur de grossir
et de manger mais la nourriture est une obsession qui envahit ses
pensées. Ainsi, Maria Hornbacher explique : « ne
croyez jamais une anorexique ou une boulimique qui vous dit qu'elle
déteste manger, c'est faux. On est habité par la nourriture. Au
lieu de manger, on ne pense qu'à ça »491(*).
3. Les conséquences de ces
pratiques sur la malade et son entourage
Aborder les conséquences de l'anorexie mentale pour la
malade et pour son entourage, revient à s'intéresser aux victimes
de cette pathologie. La première victime est la malade elle-même,
la particularité étant qu'elle ne se considère pas comme
une victime du moins au début. Elle ne prendra conscience de sa position
de victime qu'au cours de la prise en charge thérapeutique. L'entourage
représente la seconde victime. La notion d'entourage est à
comprendre au sens large : dans certains cas il s'agit des parents, dans
d'autres des frères et soeurs... Différentes configurations sont
possibles même si en général ce sont souvent les parents
qui sont en priorité « touchés » par la
maladie. Nous aborderons successivement les conséquences physiologiques
et les conséquences psychologiques de l'anorexie avant de
s'intéresser à l'impact de la maladie sur la famille.
a) Les conséquences
physiologiques
L'anorexie mentale a des conséquences graves tant au
niveau physiologique que psychique mais les jeunes filles ignorent souvent ces
complications. Les perturbations physiques apparaissent et se multiplient au
cours de la maladie. Elles sont plus ou moins graves et dépendent
« de la vitesse de la perte pondérale, de la durée
de l'évolution de la maladie, de l'association aux conduites boulimiques
et purgatives... »492(*). Outre les symptômes de la maladie que nous
avons déjà mentionné (anorexie, amaigrissement et
aménorrhée), il existe beaucoup d'autres complications physiques.
La plupart sont la conséquence de la dénutrition et sont
réversibles avec la guérison. Il serait trop long
d'énumérer tous les dégâts engendrés par
l'anorexie, nous ne citerons donc que les plus importants afin de mieux saisir
la gravité de la maladie.
La complication somatique la plus frappante est la
dénutrition493(*). Plus la maladie est avancée, plus la
maigreur s'accentue et plus le risque de décès augmente. P.
Jeammet écrit que « physiquement, les anorexiques sont
très reconnaissables. Leur visage pâle, émacié,
ridé et comme sans âge est très impressionnant. L'ensemble
de leur corps est squelettique, sans aucune enveloppe de graisse ni de masse
musculaire, mais elles ont parfois des oedèmes de carence aux membres
inférieurs »494(*). Ce portrait donne une idée assez
précise de l'apparence physique de l'adolescente quand la maladie est
avancée. L'amaigrissement engendré par la restriction alimentaire
altère l'état général. L'organisme ne peut
fonctionner normalement et très vite l'anorexique perd de la masse
musculaire, les os sont aussi gravement touchés. Privée de masse
grasse, le corps réduit ses dépenses et produit moins de chaleur
c'est pourquoi, la plupart des anorexiques se plaignent d'avoir toujours froid.
La dénutrition « altère également les
muscles de l'estomac et des intestins »495(*) et rend la digestion plus
difficile d'où l'argument souvent invoqué par les malades :
elles ne peuvent pas manger car la moindre prise de nourriture leur provoque
des douleurs gastriques. Notons que C. Lasègue mentionnait
déjà ce détail ce qui illustre la pertinence de sa
description de l'anorexie. La perturbation de l'appareil digestif
entraîne une constipation quasi-constante et « plus de 65%
des malades atteints d'anorexie mentale [...] s'[en]
plaignent »496(*). Les carences alimentaires altèrent
également le fonctionnement du cerveau, l'anorexique a plus de mal
à se concentrer, perd parfois la mémoire, ce qui peut sembler
contradictoire avec l'investissement scolaire dont elle fait preuve. En
réalité, D. Rigaud explique que « la carence
alimentaire déclenche une stratégie de veille [...]
le cerveau maintient un état de veille alimentaire farouche
»497(*), ce
qui explique que souvent les malades ne parviennent pas à dormir et se
réfugient dans le travail.
Ces complications sont en quelque sorte les
conséquences immédiates de l'anorexie car liées à
la dénutrition. Il faut savoir que cette maladie entraîne aussi
des complications cardiaques, rénales, métaboliques,
neurologiques, squelettiques et peut retarder la croissance. Certaines de ces
complications apparaissent au bout de quelques mois de la maladie, d'autres se
manifestent des années après.
Au-delà de toutes ces perturbations, la mort
représente le risque majeur de la maladie. Quand l'anorexie est grave,
l'aspect cadavérique de la jeune fille conduit souvent les personnes de
son entourage à la comparer à un déporté498(*). Le paradoxe est qu'en
réalité l'anorexique ne cherche pas à mourir même si
sa quête de l'objet l'entraîne dans un état pathologique aux
limites de la mort. Ce témoignage illustre bien l'envie de vivre des
anorexiques :
« Vous me dîtes que vous allez m'enfermer,
que c'est le seul moyen pour que je me mette à manger, que sinon je vais
mourir. Vous me dîtes qu'il y a derrière tout cela un désir
de mort, que mon refus de la nourriture est un suicide déguisé.
Mais je ne veux pas mourir, ça n'est pas vrai ! J'ai toujours voulu
vivre, et maintenant plus que jamais ! Je ne veux pas mourir, je ne veux
pas grossir, ce n'est pas pareil. Je veux au contraire qu'on me laisse vivre
comme je l'entends. D'ailleurs ma mort ferait bien trop de peine à mes
parents, à toute ma famille, même si je pense parfois que
ça simplifierait les choses »499(*).
Derrière un apparent mouvement de destruction, se cache
en vérité l'envie de vivre. Pourtant, le risque de mort est bien
réel. Selon, P. Jeammet, « 7 à 10% des adolescentes
souffrant de ce trouble meurent, la moitié des conséquences de la
dénutrition, l'autre moitié par suicide » et
« dans 20% des cas l'anorexie peut devenir
chronique »500(*).
b) Les conséquences
psychiques
D. Rigaud souligne que les troubles du comportement
alimentaire sont souvent considérés comme la conséquence
de problèmes psychologiques, ce qui n'est pas toujours vrai et qui de
plus, tend à faire oublier le fait que les troubles du comportement
alimentaire sont responsables de bien des dégâts psychiques.
Ainsi, la détresse et le désarroi sentimental, la distorsion du
jugement, le dégoût de soi, le désintérêt pour
tout, la dépression, le désir de suicide (il est plus rare chez
les anorexiques restrictives que chez les anorexiques boulimiques), la
désinsertion sociale (la nourriture occupe tout l'espace psychique de la
malade qui ne peut plus penser à autre chose. A cette
préoccupation s'ajoute sa faiblesse physique qui la conduit à se
couper progressivement du monde extérieur...), et les troubles
obsessionnels compulsifs seraient des dommages psychologiques engendrés
par la maladie. Ces troubles ne sont pas toujours présents chez la
patiente anorexique mais ils sont des conséquences possibles de la
maladie501(*). Par
exemple, la dépression est rare alors que les troubles obsessionnels
compulsifs sont particulièrement fréquents. Ils sont souvent en
rapport avec la nourriture. La malade instaure des rituels qui peuvent
paraître « aberrants » de l'extérieur. Elle
stocke des quantités importantes de nourriture, tri ses aliments dans
l'assiette et les coupe en petits morceaux. Cette dimension du rituel va de
pair avec le contrôle et la maîtrise qui caractérisent la
malade. Répéter toujours les mêmes gestes lui procure une
certaine sécurité et lui permet de ne pas s'angoisser.
Des médecins dont P. Jeammet, insistent sur une autre
conséquence psychique qui est la dépendance. En effet, plus
de 90% des anorexiques affirment que la maladie est une drogue pour
elle502(*), c'est
pourquoi certains spécialistes des troubles du comportement alimentaire
ont de plus en plus tendance à classer l'anorexie parmi les conduites
addictives au même titre que la toxicomanie. Dans son ouvrage, P. Jeammet
explique le mécanisme de l'addiction présent dans la
maladie : « on parle d'addiction lorsqu'un comportement
procurant normalement plaisir et soulagement est employé selon un mode
particulier. Celui qui s'y adonne se trouve dans l'incapacité de
maîtriser ce comportement et a une propension à le
répéter en dépit de ses conséquences
négatives »503(*). Historiquement, la notion d'addiction a
été utilisée pour désigner la toxicomanie puis
l'alcoolisme cependant, P. Jeammet et d'autres spécialistes
prétendent que ce concept peut s'étendre à d'autres
comportements dont l'anorexie. En effet, l'anorexique est dépendante de
son comportement « parce qu'il la protège de sa peur de
devenir boulimique » et « parce qu'il lui
apparaît indispensable à son équilibre
psychique »504(*). Le comportement anorexique est comme une drogue
pour la jeune fille : il la rassure et lui apporte un sentiment de
bien-être.
La notion d'addiction est aussi pertinente pour expliquer
pourquoi l'anorexique parvient à jeûner si longtemps. D. Rigaud
insiste sur la « puissance illusoire du
jeûne »505(*). Il explique que c'est un simple
phénomène organique qui donne l'impression à l'anorexique
d'être puissante alors même qu'elle ne mange pas.
« Le fait d'être à jeun la stimule, la
dope » car elle libère des hormones « dans
le sang vers les muscles pour lui faire oublier » sa faim. Ce
médecin explique que l'anorexique ne fait taire la sensation de faim qui
la taraude qu'en s'épuisant physiquement. Il utilise la métaphore
du piège pour décrire ce processus : en s'activant, la
malade ne ressent pas la fatigue « dopée par les hormones
qui lui donnent la sensation d'être pleine
d'énergie » cependant, cette énergie n'est
qu'illusoire. Les anorexiques n'en sont pas conscientes et disent
éprouver un sentiment de légèreté et
d'hyperpuissance au cours de la maladie, des sensations qui les incitent
à maintenir leur engagement. Il faut préciser que cette
hyperactivité ne peut durer éternellement et vient un moment
où c'est la fatigue qui l'emporte (cf. Annexe n°7,
témoignage n° 4). Pour conclure sur les complications
engendrées par la maladie, nous reprendrons les propos de D. Rigaud qui
souligne que « l'anorexique paie[...] cher et durablement le
défi lancé à son corps et à son
esprit »506(*).
c) L'impact sur la famille
L'anorexie d'une adolescente perturbe tout le fonctionnement
familial, une réalité que R. Gordon résume assez bien avec
cette phrase : « il n'existe probablement aucun
symptôme plus capable de rendre fous les membres d'une famille que la
détermination d'un enfant à se priver de
nourriture »507(*). Au début, les parents sont
désemparés face à la maladie de leur fille qu'ils mettent
souvent du temps à déceler. Ensuite, l'incompréhension
laisse place à la colère : ils ne comprennent pas pourquoi
leur fille se détruit ainsi et éprouvent un sentiment de
gâchis. Rappelons que C. Lasègue décrivait
déjà au XIXème siècle les
difficultés auxquelles sont confrontés les parents vivant avec
une anorexique, une preuve là encore de la pertinence de ses propos.
Finalement, c'est surtout un sentiment de culpabilité qui envahit les
parents et suscitent de nombreuses interrogations : quelle erreur ont-ils
pu commettre ? Pourquoi n'ont-ils rien vu ? les médecins
insistent aujourd'hui sur l'importance des thérapies familiales et des
réunions de parents afin de les aider à surmonter leur
culpabilité. Si l'anorexique est bel et bien la première victime
de la maladie, les parents souffrent également beaucoup et sont
incontestablement eux aussi victime de l'anorexie.
M. Darmon en analysant cette pathologie qu'est l'anorexie a
voulu décomposer « ces pratiques, des étapes d'un
phénomène trop souvent réduit à une nature
préexistante, en mettant en lumière les interactions, les
institutions, les normes et les dispositions qui structurent une
expérience extrême »508(*). En effet, le modèle
d'analyse qu'elle a utilisé nous a permis d'insister sur des points
souvent méconnus ou occultés des pratiques anorexiques.
L'anorexique ne se contente pas de restreindre son alimentation mais se forge
des habitudes qu'elle incorpore et qui contribuent à la faire glisser
lentement vers la maladie. Progressivement son comportement est
étiqueté comme déviant et elle doit faire face à
des oppositions qui la conduisent à dissimuler. Elle devient victime de
sa maladie, une pathologie psychologique qui entraîne de graves
conséquences somatiques, lesquelles agissent sur son état
psychique ce qui contribue à entretenir le trouble. Nous allons
maintenant nous centrer sur les discours de presse afin de voir quelle
représentation de la performance de l'anorexique ils véhiculent.
B. La performance de l'anorexique dans les discours de
presse
Après avoir fourni quelques éléments qui
nous permettent de comprendre le processus anorexique, les pratiques que
l'adolescente met en oeuvre pour parvenir à maigrir et l'impact de cette
maladie sur l'entourage, nous allons nous intéresser au traitement
médiatique de cette étape.
L'objectif de cette partie est de repérer en quels
termes est décrite la performance de l'anorexique dans les discours de
presse afin de cerner la perception du comportement anorexique par les
médias. Aujourd'hui, le corps médical s'accorde pour dire qu'une
fois la maladie installée, l'anorexique n'est pas consciente de son
comportement. Ainsi, il est intéressant d'observer si les discours de
presse sanctionnent les pratiques de l'actant sujet ou s'ils se calquent
sur les discours médicaux. Cette question sera le fil directeur de notre
analyse cependant, nous nous attacherons également aux aspects suivants
:
- quelle modalité de commencement est
privilégiée par les médias ?
- comment s'effectue le maintien de l'engagement ?
- qui remplit le rôle de l'anti-sujet ?
- quelle place est accordée à la figure de la
victime ?
Nous essaierons pour chacun des discours de presse de
repérer des éléments qui nous permettront de
répondre à ces questions et ainsi de mesurer l'écart ou
l'adéquation des discours de presse avec les discours médicaux.
Nous allons voir que les quotidiens s'intéressent
très peu à cette phase de l'anorexie, seul Santé
Magazine décrit en des termes relativement précis la
performance de l'anorexique.
1. La Croix : des discours qui
s'organisent autour de la figure de la victime
a) Une performance quasi absente
La performance de l'anorexique est peu évoquée
dans les discours de La Croix. Le commencement de la maladie n'est
mentionné que de façon négative : le régime
n'est pas la cause de l'anorexie. Cette idée revient à deux
reprises : la première fois c'est un expert qui souligne que
« ce n'est pas parce qu'on fait un régime qu'on va
forcément développer une anorexie
mentale »509(*) ; ensuite, ce sont des parents qui
témoignent. Ces derniers expliquent que leur fille refusait de manger
mais que ce n'était « pas le caprice d'une adolescente qui
commence un régime »510(*). La connotation péjorative du terme
« caprice » suffit à lui-même pour
disqualifier le régime comme mode de commencement. Ici, le début
de l'anorexie est présenté comme une restriction
alimentaire soudaine : « elle s'est alors mise à
refuser de manger », « elle refusait la
nourriture ou alors elle en prenait très peu ». La
répétition du terme « refuser » met
l'accent sur une notion qui est au coeur du comportement anorexique. Les
discours de presse ne nous donne aucun détail concernant la phase
d'acceptation sociale par les tiers, un silence plutôt cohérent
avec la position du quotidien qui refuse de considérer le régime
comme le début de l'anorexie. La perte de poids n'a pas à
être glorifiée mais signale le début de la maladie. Dans ce
témoignage, le récit des parents passe de la phase du constat de
la perte de poids au récit de la prise en charge. Ils ne donnent aucun
détail sur la façon dont leur fille maigrissait, un silence
là aussi révélateur. Nous avons souligné dans la
première étape de notre analyse que La Croix
considérait l'anorexie comme une maladie très grave qu'il
faut donc soigner. En ce sens, ce ne sont pas les pratiques que l'anorexique
met en place pour réaliser sa performance qui intéresse le
quotidien mais les conséquences de la maladie et la façon dont
elle peut-être prise en charge.
Une fois le refus installé, la description des
pratiques qui permettent de continuer à perdre du poids est donc
quasiment absente du discours du journal. Cependant, nous pouvons signaler
trois points importants : à plusieurs reprises des experts
évoquent le contrôle et la maîtrise dont fait preuve
l'anorexique. Un médecin parle de l'« extraordinaire
capacité de contrôle sur elle-même » et
d'« ivresse du contrôle de
soi »511(*). Le terme
« extraordinaire » révèle la
fascination que beaucoup de personnes, y compris les médecins,
ressentent face à une anorexique. La littérature scientifique
insiste sur cette notion de fascination qui peut parfois constituer un obstacle
à la prise en charge de la maladie. En effet, en dépit des
dangers qu'encourt la malade, le corps médical mais aussi les parents
sont souvent plus ou moins fascinés par la volonté et la
maîtrise dont fait preuve l'anorexique. Le terme
d' « ivresse » renvoie à la jouissance
et au sentiment d'euphorie que ressent l'adolescente au cours de la maladie.
Ici, ces termes n'ont pas de connotation péjorative mais
décrivent juste les sensations de la malade. Ce même
médecin nous explique que l'anorexique cherche à
« dissimuler son amaigrissement en devenant
hyperactive ». Là encore, le terme
« dissimuler » n'est pas employé de
façon péjorative mais ne fait que décrire une
réalité. Nous pouvons signaler que ces quelques allusions au
comportement anorexique sont des propos d'expert, La Croix ne
souhaitant pas s'intéresser à cette phase de la maladie.
Dans un second discours, nous trouvons quelques informations
supplémentaires concernant la performance de l'actant sujet cependant,
il s'agit là encore de propos rapportés. Le quotidien nous livre
le témoignage d'une anorexique qui nous dit : « Je
vais mal, mais tout va très bien »512(*). Cette opposition
sémantique symbolise le déni dans lequel se trouve l'adolescente
mais le terme de « déni » n'apparaît jamais en
lui-même. La jeune anorexique évoque le
« contrôle presque total sur [son] corps »,
qui lui permet d'avoir « un certain pouvoir sur les
autres ». Elle explique que « tout tourne autour
de l'axe poids-maigrir » et qu'elle « y pense jour
et nuit ». Des propos qui mettent en valeur les
« fondements » du comportement anorexique : le
contrôle que s'impose la malade lui procure un sentiment
d'hyperpuissance. Elle parvient à réguler ses désirs
notamment la faim ce qui lui procure un sentiment de supériorité
par rapport aux autres. Cependant, elle reste obsédée par la
nourriture vers laquelle toutes ses pensées convergent. Elle affirme
qu'elle a « enfin l'impression d'exister », une
remarque qui nous rappelle la problématique identitaire à
laquelle sont confrontées les anorexiques. Enfin, elle évoque
« les stratégies à
employer »513(*) pour éviter les repas mais le
quotidien n'en dit rien, une façon de rappeler qu'il n'entend pas
s'intéresser à la performance de l'anorexique. Le commentaire que
fait la Croix de ce témoignage a attiré notre attention
et est assez révélateur de la façon dont il conçoit
la maladie : « ce témoignage [est] [...] d'une
certaine façon rassurant tant il montre combien la personne sait prendre
du recul par rapport à son propre cas »514(*). En réalité,
les paroles de cette adolescente sont loin d'être rassurants et nous
décrivent le comportement typique de l'anorexique. La Croix
semble occulter un détail important : l'anorexique entre dans
un cercle vicieux dont il est impossible de sortir seule, un engrenage dont
elle n'est pas consciente. Ainsi, nous pouvons dire que les propos du quotidien
sont un peu trop optimistes, optimisme que nous retrouverons dans d'autres
discours du journal.
b) Une large place accordée aux
victimes
La Croix accorde plus d'importance dans ses articles
aux victimes de l'anorexie, c'est-à-dire à l'anorexique
elle-même et à ses parents, une position qui est cohérente
par rapport à ce que les analyses précédentes nous ont
révélé. Le quotidien considère que l'anorexique
n'est pas responsable de sa maladie, il est donc inutile de se concentrer sur
ce qu'elle fait et de stigmatiser son comportement. En outre, il est important
de montrer que l'anorexie fait des victimes. En ce qui concerne l'actant sujet,
La Croix indique que les conséquences de la maladie sont
à la fois physiques et psychiques comme le souligne la phrase
suivante : « l'enfant, mal dans son corps, mal dans sa
tête, [...] souffre jusqu'à mettre sa vie en
danger ». Le discours ne nous fournit pas plus de détails
mais il met l'accent sur l'issue qui peut être fatale. Cette idée
est à nouveau évoquée quand le quotidien nous fait part du
suicide de Solenn, la fille de Patrick Poivre d'Arvor. Outre les complications
physiques, l'anorexie a aussi des conséquences sur la vie sociale de la
malade. Des parents témoignent en disant de leur fille
qu'« elle était perdue, repliée sur
elle-même ». Ils ne nous parlent pas des
conséquences physiques de l'anorexie excepté l'amaigrissement.
« Très brutalement, [leur fille] s'est effondrée en
perdant près de huit kilos en un mois »515(*). L'accent est mis
sur la soudaineté de la perte de poids car « jusque
là [elle était] [...] gaie, enjouée, entreprenante, [et]
faisait beaucoup de sport. Puis brutalement... ». Le terme
« brutalement » marque la rupture entre l'avant et
l'après.
Les parents représentent la seconde victime à
laquelle le quotidien s'attache de façon assez longue. L'accent est mis
sur la contradiction dans laquelle ils sont prise : ils veulent aider leur
fille mais ils sont impuissants. En d'autres termes nous pouvons dire qu'ils
occupent le rôle d'ajduvant dont le programme narratif serait d'aider
à guérir leur fille. Cependant, certaines compétences leur
font défaut : s'ils ont le vouloir faire, ils n'ont pas le pouvoir
faire. La difficulté réside dans l'impossibilité
d'acquérir ce pouvoir faire. Ils se trouvent dans une position
psychologiquement difficile : vouloir être adjuvant mais ne pas
pouvoir l'être. Différents termes nous suggèrent cette
impuissance : « impuissants »516(*),
« démunis », « rien pouvoir
faire »517(*). A cette impossibilité d'agir s'ajoute un
sentiment de culpabilité, les parents sont « souvent
très culpabilisés par la maladie de leur enfant ».
L'adverbe « très » permet au quotidien
d'insister sur l'épreuve que vivent les parents. Enfin, c'est avant tout
un sentiment d'inquiétude qui les anime : ils sont
« affolés » et
« angoissés ». Les différents termes
auxquels recourt le journal lui permettent de désigner les parents comme
victimes de l'anorexie, de « l'enfer » qu'ils
vivent au quotidien.
En guise de conclusion, nous noterons que La Croix ne
s'intéresse pas à la performance de l'anorexique, aux pratiques
qu'elle met en place pour atteindre son objet. En conséquent, les
discours ne nous permettent pas de répondre aux questions qui nous
servent de fil directeur dans cette étape de l'analyse. Le quotidien ne
dit quasiment rien sur la façon dont l'anorexie commence et il occulte
complètement le maintien de l'engagement ainsi que le maintien de
l'engagement malgré les alertes et la surveillance. En
conséquent, aucun anti-sujet n'apparaît dans les discours et nous
ne trouvons aucune trace de stigmatisation des pratiques anorexiques. Ce sont
les victimes de l'anorexie et plus particulièrement les parents qui
retiennent l'attention du quotidien. Ils tentent d'être adjuvants mais
n'ont pas les compétences nécessaires pour mener à bien
leur programme narratif qui est de guérir leur fille. L'importance
accordée à la figure des parents est une constante des discours
de La Croix comme nous le verrons dans la dernière étape
de notre analyse qui concerne la prise en charge de l'anorexique.
2. Le Monde : une performance peu
détaillée
a) Quelques indices quant aux pratiques
anorexiques
Le Monde mentionne peu tout ce qui à trait
à la performance de l'actant sujet, aux pratiques que l'anorexique met
en place pour atteindre son objectif. Un seul article fait
référence à l'engagement dans la prise en main, en ces
termes « elle décide de ne plus avoir
faim » et « de ne manger que le
minimum »518(*). De façon implicite, le journal
suggère que l'anorexie de l'adolescente a commencé par un
régime.
Le terme « régimes »
apparaît dans un autre article, où ils sont qualifiés de
« draconiens »519(*) cependant, ils sont imposés par la discipline
qu'exige la danse classique et ne résultent pas d'un choix
volontaire520(*). Ce ne
sont pas directement les pratiques anorexiques que le journal évoque
dans ce récit mais la difficulté des conditions de vie
imposées à Séverine. Elle doit se plier à
« la discipline de fer de la danse classique » et
faire « des heures de barre par jour ».
L'intensité de l'activité sportive, souvent associée
à la restriction alimentaire, n'est pas une pratique que met en place la
« fillette » mais qui lui est imposée,
comme une contrainte extérieure. Nous sommes donc face à un cas
particulier qui ne correspond pas vraiment à la performance de
l'anorexique telle que nous l'avons définie au début de cette
partie.
Le Monde détaille peu la phase du maintien de
l'engagement et la phase du maintien de l'engagement malgré les alertes
et la surveillance. Cependant, l'étude des articles nous a permis de
trouver quelques indications. L'objet de l'actant sujet est de
« maigrir »521(*). Sa performance consiste à
« vomir »522(*), à réduire son alimentation à
des « quarts ou [des] cinquièmes de
biscuits »523(*) ou encore se dépenser « avec
frénésie »524(*) est un
« combat »525(*), « une lutte
quotidienne »526(*). Ces deux termes sous-entendent que la
réalisation de la performance est difficile mais aussi l'anorexique est
confrontée à des anti-sujets que Le Monde désigne
dans un autre article de la façon suivante : « lutter
avec toute la famille et les médecins »527(*). La famille est souvent le
premier anti-sujet qui s'oppose à la réalisation du programme
narratif de l'anorexique. Les médecins apparaissent ensuite, au moment
où débute le « circuit de
professionnels ». C'est là que l'étiquette
d'anorexique commence à s'imposer, l'adolescente doit alors lutter pour
rejeter cette étiquette tout en continuant à réaliser sa
performance. Le quotidien occulte ces détails et se contente de
mentionner les anti-sujets. Enfin, nous avons relevé un détail
qui n'apparaît dans aucun autre discours. Le journal nous raconte que
c'est un « moniteur »528(*) de kayak qui a alerté
les parents d'Anne, une adolescente anorexique. C'est donc la figure de
l'alerteur qui apparaît, celui qui détecte la maladie. Ici, il
n'appartient pas à l'entourage ce qui nous rappelle que bien souvent ce
ne sont pas les parents qui s'aperçoivent de l'anorexie de leur fille.
b) Une volonté sans faille
Les autres indications que nous avons relevées
concernent la mentalité de l'anorexique. Deux articles principalement
insistent sur la forte volonté de l'adolescente. Dans son
témoignage, Anne nous dit qu'« `elle voulait tout
faire' » et qu'il n'était « `pas question
de capituler' »529(*). Le quotidien ajoute plus loin :
« même famélique, ce qui ne l'empêche
immanquablement pas d'ailleurs de continuer à se trouver encore trop
grosse, elle n'en démord pas ». Ces propos insistent sur
l'altération de la perception corporelle à laquelle sont sujettes
les anorexiques, sans toutefois la nommer. Les termes
« immanquablement »,
« d'ailleurs » et
« encore » renforcent cette distorsion. Enfin,
c'est aussi l'obstination de l'actant sujet que le quotidien nous
évoque. Il parle également du « refus
obstiné de s'alimenter ». Comme dans La Croix,
nous retrouvons la notion de refus à la différence que Le
Monde le qualifie d' « obstiné ».
Un qualificatif qui lui permet d'insister sur l'entêtement des
adolescentes anorexiques. Toutefois, il faut noter que Le Monde reste
modéré dans les termes qu'il utilise car il n'emploie pas le
terme d' « obsession » et ne qualifie pas
l'anorexique d' « obsédée »
comme il est assez fréquent de le lire.
Le quotidien nous décrit également les
sensations de l'anorexique au cours de la réalisation de sa
performance : elle ressent un « plaisir
indicible »530(*), un « effet grisant
»531(*) ou
encore une « jouissance »532(*). Tous ces termes soulignent
le plaisir qu'éprouve l'anorexique à maigrir.
Enfin, le journal souligne que l'anorexique n'est pas
consciente de son état, elle « souffr[e] sans le
voir » parce qu'elle est persuadée d'être
« indestructible » et a « une
croyance fanatique en sa propre puissance »533(*). Une autre phrase indique
cet aveuglement : «Tout va très bien, je fais juste un
petit régime »534(*).
c) Les conséquences physiques de
l'anorexie
Le quotidien
s'intéresse essentiellement aux conséquences physiques de
l'anorexie. Il met l'accent sur la maigreur avec par exemple des expressions
comme « le visage si maigre » où la locution
« si » vient renforcer la maigreur. Un
« enquêteur effaré » dit de Séverine
qu'« `il ne lui restait plus que la peau sur les os' »535(*). Rapporter les propos de cet
enquêteur au discours direct, en précisant qu'il était
« effaré » permet de souligner la gravité de
la situation, la mort est proche. Dans un autre article, Le Monde recourt
à des indications chiffrées pour signifier l'amaigrissement.
Ainsi, le discours commence par « Trente kilos pour 1,60 »,
des chiffres qui révèlent que la maladie est assez
avancée. Le journal ajoute juste après qu'Anne a perdu
« 25 kilos en l'espace de deux-trois mois » et qu'elle
« ressemblait à un Giacometti ». La rapidité
de l'amaigrissement est mis en exergue et renforcé par la
métaphore de la marionnette.
En dépit de
l'hyperactivité de l'anorexique, il ne faut pas oublier que
l'amaigrissement entraîne l'épuisement et la fatigue, ce que le
quotidien souligne à deux reprises. Séverine est
« à bout de forces »536(*) et « Caroline a un beau visage mais [...] le corps
épuisé »537(*). Cependant, au-delà de l'amaigrissement et de
l'épuisement, c'est le risque de mort qui plane et qui sous-tend
plusieurs articles. L'histoire de Séverine est une « danse
avec la mort », elle a « failli en mourir » et
elle « dépérit »538(*). Ailleurs nous trouvons l'expression « risquant
la mort »539(*). Caroline
en est à « sa troisième tentative de
suicide »540(*) mais la
mort n'est pas seulement un risque, elle peut aussi devenir
réalité comme le montre le cas de Solenn qui
« s'est suicidée »541(*).
Si le terme de « victime »
n'apparaît dans aucun article, c'est tout de même ce que
Le Monde suggère. En effet, comment considérer
autrement que comme des victimes des personnes qui peuvent perdre leur vie
à cause d'une maladie ?
d) Des parents qui culpabilisent
La figure des parents est beaucoup moins présente dans
les discours du Monde que dans ceux de La Croix cependant,
quelques indices nous permettent de dire qu'ils sont là aussi
considérés comme des victimes même si le terme
n'apparaît pas. Le journal intitule l'un des articles
« Venir en aide aux jeunes anorexiques et à leur
famille »542(*), ce qui révèle bien la
difficulté dans laquelle se trouve les parents. Ils « sont
tétanisés par leur sentiment de
culpabilité » et
« confrontés » à des
difficultés. Le terme
« tétanisés » est
particulièrement fort et signifie leur incapacité à agir.
A cette impuissance s'ajoute l'isolement et « l'influence morbide
du comportement de leur enfant ». Ces quelques propos permettent
à Le Monde de souligner la difficulté dans laquelle se
trouvent les parents qui ont un enfant anorexique. Cependant, il s'implique
moins que La Croix qui utilise des termes comme
« épreuve » pour qualifier cette situation.
Les discours sont peu détaillés et il faut préciser que
tous les éléments que nous venons d'évoquer se trouvent
dans un seul et même article.
Pour conclure nous pouvons dire que Le Monde
détaille peu la performance de l'anorexique. Il semblerait qu'elle
commence un régime afin de maigrir. Les phases du maintien de
l'engagement et du maintien de l'engagement malgré les alertes et la
surveillance sont juste mentionnées. Les pratiques de l'anorexique sont
également peu détaillées et les anti-sujets juste
évoqués. Le journal nous fait comprendre que l'anorexie est une
maladie dont les conséquences physiologiques sont graves mais occulte la
dimension psychique. Enfin, il suggère que les parents se sentent
coupables et impuissants, sans plus s'engager.
3. Le Figaro n'évoque pas
directement la performance de l'anorexique
a) Un discours
délégué à un expert
Comme nous l'avons déjà signalé, Le
Figaro ne consacre quasiment aucun article de fond à l'anorexie, en
conséquent les indications qui nous permettraient d'étudier les
pratiques anorexiques dans les discours du journal sont peu nombreuses. Les
informations dont nous disposons se trouvent presque toutes dans le même
article, celui que le quotidien consacre aux « batailles de
l'anorexie »543(*). Le Figaro délègue la parole
à un expert, P. Jeammet, qui explique que les anorexiques
« sont prises entre désir et répulsion de la
nourriture » et qu'elles « s'impose[nt] une
contrainte intérieure ». Aucun mode de commencement n'est
clairement défini cependant, le terme de « contrainte
intérieure » suggère que l'anorexie est le
résultat d'une série de restrictions que s'est imposées
volontairement l'adolescente. L'allusion au désir et à la
répulsion face à la nourriture traduit l'ambiguïté de
l'anorexique qui ne veut pas manger, réduit son alimentation mais doit
tromper sa faim et ne pense en réalité qu'à la nourriture.
Cela nous rappelle que l'anorexie n'est pas une perte d'appétit et que
c'est au contraire une véritable lutte contre la faim qu'entreprend la
malade. Le verbe « s'impose » renvoie lui aussi
à la volonté propre de l'anorexique. P. Jeammet explique que
l'anorexique adopte « un comportement qui donne un sentiment de
force et de maîtrise ». Ainsi, il rappelle que la
« force » et le
« contrôle » sont les conditions de la
réussite de la performance de l'actant sujet cependant, il risque de
« s'enfermer dans ce sentiment ». Il fait ici
référence au moment où l'adolescente a
intériorisé les pratiques qu'elles s'étaient
forgées et n'a plus de prise sur la maladie, elle est entrée dans
un cercle vicieux.
Nous avons remarqué que dans un autre article, Le
Figaro parlait aussi de « refus
alimentaire »544(*), ce qui montre là encore que l'anorexique
décide volontairement de restreindre son alimentation.
Enfin, dans un article sur l'effet pervers de la
télévision sur les adolescents, Le Figaro interview P.
Jeammet et lui demande si « la télévision ne
pourrait-elle pas aider des parents à réaliser que leur enfant
est sur la pente de l'anorexie ou de la
boulimie ? »545(*). Avec cette question, le quotidien sous-entend que
les parents n'ont pas conscience de la maladie de leur enfant, ce qui est
effectivement souvent le cas.
b) La figure des victimes, une figure
assez floue
Si le quotidien mentionne bien que la maladie
« endommage la santé physique et psychologique des
patients »546(*), aucun détail supplémentaire n'est
donné. Le Figaro parle de Laurence, la fille de Bernadette
Chirac, qui a été « frappée »
par la maladie. Un terme révélateur qui signifie bien que le
quotidien considère la jeune fille comme une victime de l'anorexie
même si le mot ne figure pas dans cet article. Cependant, il
apparaît dans un autre récit, celui de la mort de Malika. La
description est ici plus détaillée. La jeune femme
« victime de sous nutrition » est
« morte de faim ». L'article nous apprend qu'elle
souffrait d'anorexie, sa mort ne peut donc faire d'elle qu'une victime. Le
thème de la mort est également présent dans les termes
employés pour décrire son état physique : elle avait
un « corps squelettique », « elle
était décharnée et n'avait plus de figure
humaine ». Une description qui rappelle l'image des
déportés à laquelle sont souvent comparées les
anorexiques.
La figure des parents apparaît dans un seul
article qui donne la parole à Bernadette Chirac. Celle-ci
témoigne du « parcours long et difficile que connaissent
tous les parents d'adolescentes dans cette situation »547(*). Si les parents ne sont pas
désignés explicitement comme des victimes, les termes
« long » et
« difficile » laissent entendre qu'ils sont
affectés par la maladie de leur fille. Les informations sont donc peu
nombreuses c'est pourquoi nous considérons que la figure des victimes
est assez floue.
Les indications que nous livrent les discours de presse sont
trop peu nombreuses pour que nous puissions conclure, identifier des
spécificités quant au traitement médiatique que fait
Le Figaro de la performance de l'anorexique. Nous avons juste mis en
lumière le fait que l'anorexie débute par un refus de nourriture.
L'actant sujet fait preuve de force et de contrôle. Excepté ces
indications, Le Figaro occulte toutes les phases qui composent la
performance de l'anorexique. Aucun anti-sujet n'apparaît et les victimes
restent assez floues. Hormis, la maigreur, aucun détail concernant les
complications physiques et psychiques de la maladie ne nous ait donné.
Nous pouvons souligner que la plupart des éléments que nous avons
mis au jour sont issus de discours rapportés. Face à une maladie
« complexe à expliquer et difficile à
analyser », Le Figaro refuse de parler des pratiques
anorexiques et délègue la parole à un expert.
4. L'Humanité : entre le
discours propre et le témoignage de Clara
a) Un premier mode de
commencement : le régime
Dans les articles de L'Humanité, nous
retrouvons deux des modes de commencement de
l'anorexie évoqués par M. Darmon : le régime et
« ne pas commencer tout de suite par un
régime ». Le régime est le mode de commencement
que le journal évoque le plus souvent. Dans le premier article de la
période, il apparaît de façon implicite : le
journaliste fait uniquement référence à la lecture des
magazines féminins et explique que l'anorexie est
« diagnostiquée chez les femmes quand le printemps
revient »548(*). L'allusion au printemps nous permet de
déduire que les femmes deviennent anorexiques suite à un
régime. Deux articles du corpus viennent confirmer cette
hypothèse : L'Humanité désigne explicitement
le régime comme modalité de commencement : « un
régime de trop, trop long et on bascule dans
l'enfer »549(*), et évoque ces « jeunes femmes,
qui après plusieurs régimes souffrent d'anorexie et
d'anémie, accompagnés des troubles
divers »550(*). L'Humanité n'aborde pas les autres
phases de la carrière de l'anorexique.
b) Le témoignage de Clara, une
illustration des pratiques anorexiques
La seconde façon de
« commencer » correspond à ce que M. Darmon
nomme « commencer mais pas par un
régime » : Clara a commencé à perdre
du poids suite à une opération pour les dents de
sagesse551(*). Ensuite,
ses propos révèlent le cercle vicieux du comportement
anorexique car elle dit : « en une semaine j'ai perdu
cinq kilos, et ça ne s'arrêtait plus » puis elle
précise que « les gens qui font des régimes sont
contents quand ça s'arrête, mais là, il fallait que
ça descende encore, et encore ». D'un côté
elle donne l'impression de vouloir perdre du poids de façon consciente
(emploi du pronom personnel « je ») mais de l'autre, elle
semble sous soumise à un processus qu'elle ne peut pas contrôler
(tournure impersonnelle « ça »). La jeune fille nous
donne peu d'indications quant à ses pratiques. L'une concerne son
activité sportive : « je forçais sur le ski pour
brûler des calories », et l'autre sa restriction
alimentaire : « je ne mangeais presque pas »,
des pratiques qui permettent à Clara d'atteindre son objectif :
perdre du poids. Cependant, très vite cette restriction n'apparaît
plus comme volontaire : « elle ne pouvait pas
manger », « je ne peux pas » et
« ce n'était plus parce que je ne voulais plus grossir,
mais parce que je ne pouvais pas ». Cette dernière phrase
illustre le basculement qui se produit au cours de la maladie :
l'anorexique passe d'une phase de restriction volontaire qu'elle contrôle
à une phase de « restriction agie » où elle
est contrôlée par la maladie. La performance n'est plus du ressort
du pouvoir faire ni du vouloir faire.
Cet article est le seul qui relate la phase du maintien de
l'engagement. En effet, des indications sur le poids de Clara scandent le
récit : « en une semaine, j'ai perdu cinq
kilos », « l'été d'avant la
terminale, je suis descendue à 44 kilos », et
« je suis descendue à 39 kilogrammes en un
mois ». Cette accumulation de données chiffrées
met en valeur la vitesse de l'amaigrissement. Généralement, c'est
au cours de cette phase que l'adolescente est étiquetée
anorexique et que son comportement est stigmatisé comme déviant.
Or, ici aucun terme péjoratif ne vient qualifier les pratiques de Clara
de déviantes. De plus, les parents et les amis ne sont pas
présentés comme des anti-sujets mais tentent au contraire d'aider
Clara : « mes parents, mes amis me demandaient :
`comment peut-on t'aider ?' ». Ils essaient de
comprendre le comportement de leur fille : « pourquoi est-ce
que tu ne manges pas ? ». Les pratiques de dissimulation,
de leurre ou de manipulation propres à cette phase, qui permettent
à l'actant sujet d'atteindre son objectif, ne sont pas
évoquées. Seules des phrases telles que « C'est pas
grave, ça va revenir » ou « ça va
bien, ça va bien » mettent en évidence
« l'aveuglement » de Clara. La notion de déni,
couramment employée par les médecins pour désigner cet
aveuglement, ne figure pas ici. Le recours au témoignage permet de ne
pas stigmatiser Clara puisque c'est elle qui raconte sa propre histoire, ne
laissant « aucune » place pour l'intervention du
journaliste. Cependant, nous avons déjà signalé que
L'Humanité n'infirmait pas les propos de Clara et que cet
article faisait figure de dissonance dans l'ensemble du corpus.
c) Des complications à la fois
physiologiques et psychiques
L'Humanité accorde une plus large place
à la figure de victime que sont l'anorexique et sa famille. Les
complications engendrées par la maladie sont évoquées dans
trois articles mais seul le témoignage de Clara présente à
la fois les conséquences physiologiques et psychiques. Dans un premier
article, le quotidien mentionne les conséquences physiologiques de la
maladie mais de façon vague et imprécise. Les jeunes femmes
« souffrent d'anorexie et d'anémie, accompagnés des
troubles divers (problème de peau, chute des
cheveux) »552(*). Il est vrai que ces complications, liées
à la dénutrition, existent ; cependant, elles ne sont pas
les plus importantes. Ce manque de rigueur nous rappelle que
L'Humanité n'aborde pas l'anorexie dans une perspective
médicale, ce qui explique que les discours soient peu techniques.
Dans un deuxième article, il mentionne la mort comme
une conséquence possible de l'anorexie mais c'est avant tout pour
renforcer la culpabilité des médias. En effet, Samantha ne peut
pas bénéficier du traitement qui lui permettrait de guérir
car il est trop cher. Elle est contrainte de vendre son image aux médias
pour récolter la somme nécessaire à son hospitalisation
mais la mort est proche. Nous avons relevé plusieurs termes qui
appartiennent au champ lexical de la mort :
« disparaît » à deux reprises,
« fin », « jeune
mourante », « mourir »,
« morte » et
« tuer ». Sa mort
« prochaine » est accentuée par la mise en valeur du
temps qui passe : « à deux doigts
de », « à mesure que »
à deux reprises, « approche »,
« le temps presse »,
« lentement », « trois
semaines », « chaque jour » et
la description du corps qui « disparaît ».
Un jeu sur la consonance des mots renforce encore ce lien entre mort et
temps : « à mesure que la faim s'éloigne
d'elle, à mesure que sa fin approche »553(*). La mort n'est ici que la
conséquence hypothétique d'une absence d'hospitalisation.
Seul le témoignage de Clara554(*) évoque à la
fois les complications physiologiques et psychiques de l'anorexie qui
« dévore le corps et l'esprit ». L'article
débute par un portrait physique de la jeune fille lorsqu'elle
était encore malade. Elle avait des « bras
squelettiques », une « peau
translucide », et « flottait tel un
fantôme ». Ces termes renvoient au champ lexical du
squelette, du cadavre et mettent en valeur la maigreur de la jeune fille qui,
même une fois guérie, a encore les « mains
excessivement fines » et les « épaules
anguleuses ». Viennent ensuite les conséquences
physiologiques : Clara fait allusion à l'aménorrhée
mais n'emploie pas le terme médical : « la première
fois que mes règles se sont arrêtées, c'était en
février 1995 », puis à la fatigue :
« en bas de la rue j'étais déjà
fatiguée » et au froid : « j'avais
tout le temps froid ». Ces complications sont effectivement
liées à la dénutrition. Nous pouvons noter que les
problèmes auxquels elle fait allusion ne sont pas ceux
évoqués par le journal dans les articles vus
précédemment. Une différence qui s'explique
facilement : ce témoignage est celui d'une anorexique tandis les
autres discours sont ceux du quotidien. Ainsi, cette différence de
contenu rappelle que L'Humanité connaît peu l'anorexie
d'un point de vue médical.
En ce qui concerne les complications psychiques, nous trouvons
dans le discours plusieurs termes qui renvoient aux champs lexicaux de la peur
et de la panique et qui traduisent le désarroi de Clara. Elle
« paniquai[t] », « ça m'a
fait peur », « je n'arrivais plus à
rien », « j'ai pensé que je ne tiendrais
pas le rythme », « je me tapais la tête
contre les murs ». Tous ces termes révèlent que
malgré la maîtrise et le contrôle dont font preuve les
anorexiques, elles sont en réalité en proie à une grande
souffrance psychique. Une souffrance à laquelle s'ajoute l'isolement,
elle « [s]'étai[t] coupée de [s]es amis, [elle] ne
sortai[t plus ».
Enfin, nous avons trouvé un terme qui traduisait
l'impact de l'anorexie sur la famille de la malade. Patrick Poivre d'Arvor
raconte dans un livre « le calvaire vécu par sa fille,
lui-même et leur famille en raison de la maladie de
Solenn »555(*). Nous pouvons noter que ce terme est assez
révélateur de la souffrance des parents même si aucun
détail supplémentaire ne figure dans l'article. En outre,
là encore ce n'est pas le journal qui s'exprime directement, il ne fait
que reprendre les termes utilisés par P. Poivre d'Arvor, ce qui nous
permet de dire que L'Humanité ne considère pas vraiment
les parents comme victime de la maladie de leur fille.
Comme Le Monde et Le Figaro,
L'Humanité s'attarde peu sur les pratiques anorexiques.
Cependant, nous devons distinguer les discours propres du journal, du
témoignage de Clara qui diffèrent dans la façon d'aborder
cette étape de la maladie. L'Humanité considère
que l'anorexie commence par un régime mais occulte la phase du maintien
de l'engagement ainsi que le maintien de l'engagement malgré les alertes
et la surveillance. En conséquent, l'anti-sujet n'apparaît dans
ses discours. En ce qui concerne les complications de la maladie, ses propos
sont en partie erronés et la figure des parents comme victime est
plutôt implicite.
A l'inverse, le témoignage de Clara se veut plus
précis et plus juste même si les détails ne sont pas
très nombreux non plus. Elle n'omet pas d'évoquer à la
fois les conséquences physiques et psychiques de sa maladie.
Nous pouvons penser que le journal ne s'attache pas à
décrire la performance de l'anorexique parce que ce qui
l'intéresse c'est surtout le destinateur de la maladie autrement dit les
médias. Nous verrons en effet dans la prochaine étape de
l'analyse que c'est encore par le biais des médias que
L'Humanité aborde la phase de la prise en charge.
5. Libération : la
performance de l'anorexique, une performance insensée
a) Internet, un adjuvant de
l'anorexique
Libération ne s'intéresse pas plus aux pratiques
de l'anorexique, à sa performance qu'aux causes de l'anorexie. Sans rien
mentionner qui pourrait tenir lieu de commencement, les allusions à
l'idéologie de la minceur et aux mannequins anorexiques, que nous avons
évoqués dans l'analyse du destinateur, laissent deviner que pour
le journal l'anorexie débute par un régime.
Deux articles seulement nous donnent quelques indications
quant aux pratiques anorexiques. Dans Les fans de l'anorexie servent leur
soupe sur le Web556(*), Libération se contente de citer les
témoignages qui se trouvent sur les sites pro-anorexiques. Ainsi, nous
pouvons lire : « J'aime sentir mes os saillir. J'aime me
sentir vide. J'aime me dire que j'ai passé une journée sans
manger. J'aime perdre du poids ». Ici, en citant ces paroles au
discours direct, le journal prouve que des propos qui pourraient paraître
invraisemblables, sont pourtant véridiques. L'anaphore du mot
« j'aime » reflète la dépendance de
l'anorexique à son comportement, un processus psychique que nous avons
déjà évoqué. Ce témoignage met en valeur la
recherche du sentiment de légèreté et l'addiction au
jeûne, une addiction que le titre suggère en qualifiant les
anorexiques de « fans ». D'ailleurs, dans un autre
article, le journal confirme cette dépendance. Ce n'est
« pas à une substance que l'anorexique est
dépendante mais bel et bien à son propre
comportement »557(*). Un second témoignage permet d'illustrer les
stratégies de dissimulation et de manipulation auxquelles se livrent les
anorexiques comme celle de « tromper [sa] faim ».
Un détail a retenu notre attention : Libération
précise que ces sites sont le lieu
d' « échanges de photographies » et de
« conseils pour maigrir et maigrir encore ».
Internet est ici présenté comme une source d'apprentissage pour
les anorexiques donc un adjuvant dans la réalisation de la performance.
En effet, au cours de la phase de l'engagement dans la prise en main, les
anorexiques recourent à différentes sources de documentation pour
trouver des informations qui leur permettent de se forger leur hygiène
de vie. C'est pourquoi les sites Internet jouent ici le rôle d'adjuvant,
permettant aux malades d' « enrichir » leurs
pratiques. Un expert confirme effectivement que ces sites
« entretiennent ceux qui sont déjà
anorexiques ».
b) Un seul indice : la restriction
alimentaire
D'autres récits médiatiques
évoquent les pratiques anorexiques mais de façon allusive. Ainsi,
la patronne, anorexique, d'un restaurant allemand explique qu'elle a
« petit à petit cessé de [se]
nourrir »558(*). Dans un autre article, Caroline répond
à M. Rufo qu'elle ne mange « rien » parce
qu'elle n'y « arrive pas » sauf quand sa
mère l'y oblige559(*). Le premier témoignage révèle
que la restriction alimentaire s'est faite progressivement tandis que le second
met l'accent sur l'impossibilité de manger, un ne pas pouvoir faire dont
beaucoup d'anorexiques témoignent. Cette indication suggère que
Caroline est déjà à un stade avancé de la maladie,
celui où elle n'a pas plus de prise sur la maladie. Il est
intéressant de noter que ces propos, comme les témoignages des
sites Internet, sont rapportés au discours direct et ne sont donc pas
ceux du journal, comme si Libération ne voulait pas ou ne
pouvait parler des pratiques anorexiques. L'un des articles nous permet de
confirmer cette idée. Le quotidien annonce la sortie du
livre-témoignage de J.-P. de Tonnac sur l'anorexie et évoque les
« rituels complexes et insensés » des
anorexiques. Cette citation appelle deux remarques. D'une part,
Libération reprend ici, sur le mode du discours indirect libre,
les propos de Jean-Philippe de Tonnac. Cette stratégie discursive laisse
une assez grande liberté au locuteur qui peut à sa guise rajouter
ou enlever des propos. Nous pouvons en conclure que Libération
reprend à son compte ses propos et nous donne ainsi son opinion.
Dès lors, nous pouvons interpréter le silence du quotidien sur la
performance de l'anorexique. En effet, les termes
« complexes » et
« insensés » signifient à la fois la
difficulté à comprendre le comportement des anorexiques mais
également la difficulté à les concevoir.
c) Le déni de l'actant sujet peut
l'entraîner vers la mort
Un expert explique que les anorexiques
« refusent de reconnaître leur trouble et ses
risques »560(*), une manière de dire qu'elles sont dans le
déni. L'absence d'indices linguistiques laisse penser que
Libération acquiesce à ce jugement. Dans un autre
article, le journal confirme cette idée en reprenant à son compte
les propos de P. Jeammet : les anorexiques « se
détruisent sans que la non-satisfaction d'un besoin premier et aussi
vital qu la faim soit pour elle source d'interrogation ou
d'inquiétude »561(*). Ainsi, l'aveuglement les empêche de
réaliser que leur comportement peut entraîner la mort. Le
quotidien insiste sur cet aspect paradoxal du comportement anorexique en citant
un témoignage : « ` je ne me sens bien que quand
je vois la forme de mes os dans la glace' » dit une anorexique
« en suppliant les médecins de ne pas la laisser
mourir »562(*).
d) L'actant sujet est victime de sa
propre performance
Les conséquences physiologiques et psychiques de la
maladie ne retiennent pas vraiment l'attention du quotidien. Nous trouvons
juste la phrase suivante : Caroline est
« épuisée, physiquement,
psychiquement »563(*) qui indique que les complications de l'anorexie sont
à la fois physiques et psychiques. Le journal ne donne aucun
détail clinique et occulte donc l'aspect médical de la maladie
cependant, il accorde tout de même de l'importance aux victimes de
l'anorexie. Nous trouvons quelques indications qui révèlent
l'ampleur des complications engendrées par la maladie, le quotidien
mettant surtout l'accent sur l'aspect physique. Il évoque les
« photos de côtes saillantes,
décharnées » visibles sur les sites
pro-anorexiques et décrit une anorexique comme une « jeune
femme au visage creusé ». Celle-ci précise qu'il
« lui est arrivé de peser moins de 45
kilos ». C'est la seule indication chiffrée dans tout le
corpus qui nous donne une idée de la perte de poids liée à
l'anorexie. Libération ne dit rien des complications
physiologiques de la maladie qui pourtant peuvent entraîner la mort. En
revanche, le thème de la mort figure dans plusieurs articles. Il faut
également préciser qu'il qualifie explicitement l'anorexique de
victime. Ainsi, les adolescentes sont « victimes »
de l'idéologie de la minceur564(*), ce qui laisse entendre que le quotidien ne
considère pas les anorexiques comme responsables de leur maladie. De
même, M. Rufo explique que Caroline est agressive et
« attaque son corps »565(*). Cette parole n'est certes
pas celle du journal cependant, le journaliste a choisi cette scène pour
écrire l'article, ce qui ne peut-être anodin. L'utilisation du
terme « attaque » est révélateur du
statut de victime de l'anorexique. Il révèle aussi l'une des
spécificités de la maladie : l'anorexique est à la
fois actant sujet et victime, victime de sa propre performance.
Enfin, nous avons remarqué que le thème de la
mort revenait à plusieurs reprises dans différents récits
ce qui n'est pas anodin. La mort, qui peut être l'une des
conséquences de la maladie, constitue l'anorexique en victime. Nous
aborderons ce thème dans la dernière partie de notre analyse qui
concerne la prise en charge de l'anorexique.
Nous avons trouvé une dernière indication
concernant les conséquences de la maladie. Un expert
« souligne » que : « personne n'est
plus isolé qu'un anorexique »566(*). Cette citation ne vient pas
appuyer ou illustrer les propos du journal qui laisse la parole à cette
psychiatre. Nous pouvons penser qu'il recourt à cet expert parce qu'il
connaît mal l'anorexie, une maladie
« complexe ».
Pour conclure nous pouvons avancer que Libération
ne détaille pas la performance de l'anorexique parce qu'il la
trouve « complexe » et
« insensée ». Les informations que nous
fournissent les discours de presse ne permettent pas de définir le mode
de commencement de l'anorexie, ni les pratiques mises en place au cours du
maintien de l'engagement. De même, aucun anti-sujet n'apparaît. Si
l'actant sujet est bien défini comme une victime ce n'est pas aux
conséquences médicales de l'anorexie que le quotidien s'attache.
Il insiste seulement sur le risque de mort qu'encourt l'anorexique, une
façon de rappeler que l'anorexie est une maladie grave. Les parents
n'apparaissent que dans un article dans lequel Libération
écrit qu'il ne faut pas « culpabiliser plus qu'il ne
faut les parents de ces patients, d'ordinaire passablement mis sur la sellette,
voire carrément accusés »567(*). La
spécificité de la représentation que le journal nous livre
de la performance de l'anorexique réside dans la place attribuer aux
sites Internet. Il dénonce les sites pro-anorexiques sur lesquels
circulent des conseils qui permettent à l'actant sujet d'acquérir
des compétences supplémentaires.
6. Santé Magazine : un
discours sur la performance similaire au discours médical
Les deux articles que publient Santé Magazine
dans les années 80, brossent un portrait de l'anorexique en des
termes plutôt péjoratifs : elle est manipulatrice,
menteuse... Elle restreint son alimentation de façon volontaire,
« à la recherche implacable d'une excessive
minceur »568(*) et use de stratégies les plus diverses pour
ne pas manger.
a) Le commencement de l'anorexie, le
plus souvent un régime
Dans ses discours, Santé Magazine n'omet
aucune des phases de la carrière anorexique que sont l'engagement dans
la prise en main, le maintien de l'engagement et le maintien de l'engagement
malgré la surveillance et les alertes. Nous analyserons la façon
dont le magazine qualifie les pratiques anorexiques respectives à
chacune de ces phases. En ce qui concerne le commencement de l'anorexie, les
discours mettent en évidence une seule modalité d'engagement dans
la prise en main : le régime. Il est intéressant de noter
que ce commencement est explicitement présenté comme tel :
« tout commence habituellement par l'envie de perdre quelques
kilos »569(*), « elle fait un
régime »570(*), « l'adolescente
prétexte quelques kilos en trop [...] pour commencer un
régime »571(*). Le magazine semble donc se ranger du
côté du corps médical qui tend généralement
à désigner le régime comme le début de l'anorexie.
Cependant, Santé Magazine précise en 1995 que le
régime peut « prendre une tournure
pathologique »572(*). Il n'existe donc pas toujours de
corrélation entre régime et anorexie. Quelques années plus
tard573(*), le magazine
insiste sur cette réalité de façon très nette en
sous-titrant : « une adolescente qui fait un régime
n'est pas n'est pas une anorexique en puissance » ou encore
« ado au régime, ado anorexique, deux profils, deux
attitudes ». Cet article, à visée
préventive, tente de discerner le « régime
banal » de « l'anorexie
débutante ». En effet, alors que l'adolescente qui
décide de faire un régime cesse « une fois
l'objectif de minceur atteint », l'anorexique elle,
« veut maîtriser la nourriture, maigrir est pour elle sans
effort, c'est secondaire ». La distinction qu'opère le
journal permet de rapprocher son discours de celui du discours médical.
En outre, elle va de pair avec l'amélioration de la
connaissance de la maladie qui a conduit l'ensemble du corps médical
à nuancer l'idée que toute anorexie commençait par un
régime, même si cet argument existe encore. Le régime est
effectivement la modalité d'engagement dans la prise en main la plus
fréquente.
b) Les phases de prise en main et de
maintien de l'engagement
Quasiment tous les articles nous livrent des indications quant
au comportement de l'anorexique, à sa performance, c'est-à-dire
les opérations du faire grâce auxquelles elle transforme son
état. Nous ne retiendrons que les plus significatives car les
détails que nous fournissent les discours de Santé Magazine
sont relativement denses.
L' « objectif » du programme narratif de
l'actant sujet, son « leitmotiv »574(*) est clairement défini
dans plusieurs articles : l'anorexique veut « maigrir,
maigrir, maigrir... »575(*), « brûler ses
calories... pour maigrir »576(*). Afin d'atteindre cet objectif, « elle
adopte une conduite-réponse face à ses problèmes
» et c'est « elle qui
décide »577(*). L'expression
« conduite-réponse » nous rappelle que les
pratiques anorexiques résultent d'un travail, que la malade se forge un
comportement. Ce travail nécessite une volonté et une forte
capacité de contrôle que le magazine met en valeur en utilisant
les termes suivants : « elle est capable de
s'autocontrôler », de « lutter contre la sensation de
faim qui ne disparaît pas », elle a une
« volonté de contrôle »,
« l'anorexique contrôle tout »578(*), elle fait preuve
d'une « inimaginable volonté » et enfin
elle a « la volonté de prendre le pouvoir sur le temps,
leur corps, la réalité, la vie »579(*). Avec ces expressions,
Santé Magazine souligne que c'est bien la volonté de
l'actant sujet qui sous-tend la réalisation de la performance, du moins
au début. Toutes les pratiques que l'anorexique met en place le sont
consciemment et dans un but précis.
L'adolescente commence le plus souvent par réduire son
alimentation, « elle ne mange pratiquement pas, [elle] surveille
la manière de cuisiner de sa mère et devient
tyrannique »580(*). Le terme
« tyrannique » est utilisé également
dans les discours médicaux pour désigner l'attitude de
l'anorexique par rapport à sa famille. Elle étend parfois son
contrôle à toute la famille, vérifie la préparation
des repas et exerce une certaine autorité. En ce qui concerne ses
pratiques alimentaires, le magazine insiste sur la dimension du rituel :
son « attitude alimentaire [est] très
ritualisée » et « [ce] rituel est
très particulier ». Santé Magazine
énumère toute une série de rituels auxquels peut
procéder l'anorexique, ces rituels variant d'une adolescente à
une autre. Elle peut chronométrer le temps de son repas, choisir un
aliment et ne manger que celui-ci, pratiquer un découpage
« obsessionnel et méthodique » de ce qui se
trouve dans son assiette... Un témoignage d'une ancienne anorexique
vient confirmer ces propos : elle avait « des obsessions
compulsives pour certains aliments » et « ne
mangeai[t] que des oignons crus »581(*). La mise en place de ces
pratiques s'accompagne d'un travail de rationalisation comme M. Darmon
l'expliquait, auquel le magazine fait référence :
l'anorexique comptabilise les calories et pèse
régulièrement ces aliments582(*). Outre cette prise en main sur le front alimentaire,
l'anorexique « très active »583(*). Par exemple, le magazine
écrit qu'elle peut faire « des longueurs et des longueurs
de piscine, des joggings à n'en plus finir »584(*), qui font donc
référence à l'hyperactivité caractéristique
du comportement anorexique.
c) Des anti-sujets implicites qui
finissent par disparaître
Ces pratiques qui au début passent inaperçues
deviennent de plus en plus suspectes et des oppositions commencent à
naître : c'est la phase du maintien de l'engagement malgré
les alertes et la surveillance. L'actant sujet doit alors opérer un
travail de discrétion puis de leurre pour tromper les anti-sujets. Il
est intéressant de noter que Santé Magazine aborde les
stratégies de dissimulation et de manipulation sans évoquer les
anti-sujets qui sont donc implicites. Les anorexiques ont des
« astuces extraordinaires »585(*), elles
« brouillent les pistes », et
« toute leur organisation consiste à masquer leur perte de
poids »586(*). Consciente que son comportement peut susciter des
désapprobations, l'anorexique doit se montrer plus discrète. Nous
pouvons remarquer que le magazine qualifie leurs astuces
d' « extraordinaires », un terme qui
révèle la fascination devant l'ingéniosité des
anorexiques. Quand les dissimulations ne sont plus suffisantes, les anorexiques
évitent de se trouver « confronté[es] à la
nourriture » et « écartent habilement les
situations quotidiennes de leur trajectoire » en d'autres
termes, elles essaient d'échapper au réseau de surveillance qui
s'est constitué. Le magazine énumère les différents
prétextes qu'invoque l'actant sujet pour échapper aux
scènes de la vie sociale où son comportement pourrait être
étiqueté. Ces pratiques les conduisent progressivement à
« se couper de toute vie sociale » et à
mentir à leur entourage. Cependant, certaines anorexiques maintiennent
un « semblant de vie sociale » qui se
caractérise par « des relations superficielles avec
l'entourage »587(*). Le magazine conclut en disant
qu' « il est difficile pour l'entourage d'identifier les
signes d'une anorexie [...] tant qu'elle n'est pas visible
physiquement ».
Les parents occupent une place moindre que dans les discours
de La Croix mais sont tout de même évoqués. Ainsi,
deux parents témoignent que « `vivre avec une anorexique
c'est l'enfer !' »588(*), ils ne savent plus « comment s'y
prendre ». Ce sont les seules indications que nous ayons
trouvées et qui nous révèlent que contrairement à
La Croix, Santé Magazine s'attache moins à l'impact de
la maladie sur la famille mais nous livre une description de la performance de
l'actant sujet beaucoup plus précise.
Enfin, Santé Magazine insiste sur la
nécessité d'expliquer aux parents que « le refus de
manger de leur fille est une sorte de `règlement de comptes inconscient'
mais qu'elle ne le fait pas exprès » et il ajoute
qu'« il ne faut ni lui en vouloir ni se
culpabiliser »589(*). Il sous-entend ainsi que qu'il ne faut pas
s'opposer au comportement d'une anorexique, ni la réprimer ; les
parents ne remplissent plus le rôle d'anti-sujet. Cette disparition de
l'anti-sujet est tout à fait compréhensible par rapport à
la position du magazine. L'anorexie est une maladie grave, son propos n'est
donc pas de stigmatiser la performance de l'anorexique mais d'essayer de
prévenir la maladie. D'ailleurs, nous avons remarqué que
contrairement à Le Monde qui explique que l'anorexique lutte
contre sa famille et les médecins, les discours de Santé
Magazine font figure de rupture en écrivant « comment
lutter avec l'adolescent qui est sur le mauvais chemin ? ».
A cette question, il ajoute que « l'anorexique n'est pas un
opposant mais dans le refus d'une maladie puisqu'il ne la voit
pas »590(*). L'anti-sujet n'a donc plus lieu d'exister si
l'actant-sujet ne s'oppose à personne.
d) Le mécanisme de
déni : l'actant-sujet n'est pas conscient de sa maladie
Dans la plupart des discours, Santé Magazine
s'attache à expliquer le mécanisme du déni à
l'oeuvre dans le comportement anorexique. C'est « un
mécanisme qui existe depuis le début de la trajectoire
anorexique, à divers degrés »591(*) et qui se renforce
progressivement. Le terme de déni ne revêt pas une connotation
péjorative mais décrit l'état psychique dans lequel se
trouve l'anorexique. Le magazine souligne à plusieurs reprises que la
jeune fille est « dans l'impossibilité de
reconnaître sa maladie », elle « ne se voit
pas comme malade », elle « est dans
l'incapacité de `voir', au sens premier du terme, sa
différence »592(*), c'est-à-dire son apparence physique. Le
« déni n'est pas dirigé contre
l'entourage », une phrase qui révèle à
nouveau que l'anorexique ne s'oppose pas à sa famille.
Quand l'anorexique est dans ce processus, cela signifie
qu'elle ne contrôle plus la maladie mais qu'elle a basculé dans un
« engrenage », dans le « cercle
vicieux et très grave de la maladie ».
Santé magazine explique que « l'engrenage se met
en route, plus elle maigrit, plus elle veut maigrir. L'anorexique ne se voit
pas comme elle est et se trouve toujours trop grosse », une
altération de la perception corporelle que confirme une
anorexique : « à 30 kilos je me trouvais encore
énorme »593(*). Ces citations soulignent bien le passage de la
phase où l'anorexique contrôle sa maladie, à celle
où elle est contrôlée par la maladie. Ainsi, ce qui
était à l'origine un refus de manger volontaire devient une
incapacité à manger : « l'anorexique n'est pas
quelqu'un qui ne veut pas manger mais c'est quelqu'un qui ne
peut pas manger »594(*). Par la typographie, le magazine insiste sur cette
vérité que beaucoup de personnes tendent à oublier.
Aujourd'hui, le corps médical est conscient de l'incapacité des
anorexiques à manger mais les personnes peu informées sur la
maladie pensent souvent que la restriction alimentaire est un refus pur et
simple. Afin d'insister encore sur ce détail, le magazine
répète dans le même article, dans un encart :
« L'anorexie n'est pas ue volonté de ne pas manger, mais
un interdit qui s'impose à la volonté de
l'adolescente ».
e) L'anorexie, une maladie qui
entraîne « un cortège de pathologies
associées »595(*)
Santé Magazine s'attache à
énumérer les différentes complications qu'engendre
l'anorexie. L'anorexique est désignée comme une
« victime [qui] ne souhaite pas se laisser mourir de
faim »596(*) mais dont « la perte de poids est sans
limite, jusqu'à la mort parfois »597(*). Un paradoxe qui s'explique
par l'inconscience de la malade, une notion qui revient à plusieurs
reprises. Ainsi, le magazine écrit que l'anorexie est une maladie qui
« hélas » s'accompagne d'une multitude de
pathologies dont l'anorexique « n'a pas
conscience »598(*) ; ou encore les anorexiques
« n'ont plus conscience » de leur corps
et « mettent très longtemps à concevoir que les
maladies parallèles à leur anorexie [...] viennent de leur
anorexie »599(*).
Les discours de presse nous fournissent des indications
très détaillées sur les conséquences à la
fois physiologiques et psychiques de la maladie. Sans toutes les
énumérer, nous pouvons d'emblée souligner que
Santé Magazine utilise une terminologie médicale et
décrit de façon très précise ces complications, une
rigueur qui nous permet de rapprocher ses discours des discours
médicaux. Les conséquences de la maladie sont d'abord
physiologiques : l'anorexique a des carences, les cheveux et la peau
deviennent plus fragiles, des oedèmes sont causés par
l'insuffisance d'apports en protéines, son corps est envahi par le
froid... Santé Magazine précise aussi que l'anorexique
perd la masse musculaire et peut être sujette à des pertes de
concentration600(*). Ce
quelques détails nous permettent de constater la très forte
similitude entre les discours du magazine et la littérature
scientifique, ce qui n'est pas très étonnant. En effet, de par sa
position Santé Magazine se doit d'informer de tout ce qui
à trait au domaine médical, il ne peut donc occulter des aspects
aussi important que les conséquences de l'anorexie. Enfin, il
précise que malgré « le mécanisme
de résistance », le corps ne peut pas tenir
indéfiniment et la maladie peut conduire à la mort causée
par des troubles cardiaques ou une déficience du système
immunitaire601(*).
Pour ce qui est de l'aspect psychique, le magazine revient sur
des notions que nous avons déjà abordées telles que
l'absence de plaisir, la hantise de grossir qui s'accentue au fur et à
mesure que la maladie avance... qui au final conduisent l'anorexique à
se couper de ses amis pour éviter de manger.
Santé Magazine est le seul à
s'attacher à toutes les phases de la performance de l'anorexique. Le
régime est la modalité de commencement de l'anorexie la plus
fréquente cependant, le magazine nuance cette idée. Faire un
régime ne signifie pas devenir anorexique. Tous les détails que
les discours nous fournissent concernant la phase du maintien de l'engagement
contribuent à insister sur le contrôle dont fait preuve
l'anorexique, la restriction alimentaire et l'hyperactivité,
c'est-à-dire aux différents fronts de la prise en main. Le
magazine insiste sur la dimension inconsciente de la maladie ce qui explique
que les pratiques de l'anorexique ne soient pas stigmatisées et que les
anti-sujets disparaissent. L'actant sujet est victime de sa maladie et ne
s'oppose pas à son entourage. Cette position est relativement
cohérente avec l'idée qui sous-tend tous les articles du
magazine : l'anorexie est une maladie.
Ce troisième volet de notre analyse ne nous permet pas
vraiment de répondre à notre question de départ, à
savoir la stigmatisation de la performance de l'actant sujet. En effet, nous
avons montré qu'excepté Santé Magazine, les
quotidiens s'intéressent très peu aux pratiques anorexiques voire
occultent complètement les phases qui la composent. En
conséquent, aucun anti-sujet n'apparaît sauf dans les discours de
Le Monde où il est juste mentionné. L'anorexique est
bien considérée comme une victime même si le terme n'est
pas toujours employé cependant, en général peu
d'éléments nous sont fournis quant aux conséquences
physiologiques et psychiques engendrées par la maladie. L'accent est
souvent mis sur la maigreur et le risque de mort comme dans les discours de
Libération et du Figaro, mais l'aspect psychique est
occulté. Aucune donnée clinique ne nous est fournie. La figure
des parents apparaît de façon très brève dans les
propos de Le Monde, du Figaro et de
Libération qui se contentent de souligner la difficulté
dans laquelle ils se trouvent, voire parfois leur sentiment de
culpabilité. Seul La Croix accorde une large place aux parents
en insistant sur leur souffrance, une différence qui peut s'expliquer
par l'importance que le quotidien attache à la famille. Il y a donc un
clivage très net entre la façon dont Santé Magazine
aborde la performance de l'anorexique (son discours est en
adéquation avec les discours médicaux et il ne sanctionne pas la
performance de l'anorexique) et le traitement qu'en font les quotidiens, un
écart qui s'explique par la position du magazine. En outre, nous pouvons
interpréter les silences ou les manques de précision des
quotidiens comme le reflet d'une difficulté à parler d'une
maladie qu'ils connaissent mal comme le suggèrent explicitement Le
Figaro ou encore Libération. Après la performance
de l'anorexique, c'est maintenant à la phase de la sanction que nous
allons consacrer ce dernier volet de notre analyse.
IV. La prise en
charge thérapeutique de l'anorexie : une étape vers la
guérison
« Ces dernières années ce sont
multipliés les traitements thérapeutiques afin de guérir
l'anorexie mentale. Leur aspect parfois contradictoire peut placer le clinicien
dans une situation difficile renforcé par le fait que les données
de la recherche ne sont pas d'un grand secours, seules quelques données
indiscutables existent »602(*). En effet, si la prise en charge
thérapeutique est une étape essentielle et indispensable dans la
guérison de l'anorexique, elle confronte les soignants à
différents problèmes : comment venir à bout de la
résistance qu'opposent les anorexiques à la prise en
charge ? Comment leur faire comprendre qu'elles ont besoin d'aide et que
leur devise « je veux m'en sortir par
moi-même »603(*) n'est qu'une illusion ? Nous allons voir
quelles solutions sont aujourd'hui envisagées par le corps
médical pour prendre en charge cette maladie polyfactorielle qu'est
l'anorexie.
Dans une perspective actantielle, cette phase de prise en
charge correspond à l'étape de la sanction ou de la
reconnaissance. C'est au cours de cette phase qu'« il s'agit de
statuer sur la véridiction des états transformés au cours
de la phase de performance ». « Des rôles
caractéristiques » apparaissent puisque des
« acteurs prennent en charge l'interprétation des
états transformés par le sujet
opérateur »604(*). Ils sanctionnent positivement ou
négativement le sujet opérateur de la performance. Dans le cas de
l'anorexie, la sanction ne peut être que négative : la prise
en charge vise à stopper la performance de l'anorexique et lui faire
prendre conscience de sa maladie. La sanction constitue bien une
évaluation des états transformés mais
indépendamment de la volonté de l'anorexique qui cherche à
poursuivre une performance qu'elle considère encore inachevée. La
quête de l'objet n'est pas terminée.
En appliquant ce mode d'analyse à notre objet
étude, nous pouvons expliquer la phase de la prise en charge de
l'anorexie de la façon suivante : le corps médical va tenter
de guérir la malade notamment en l'empêchant de maigrir.
Cependant, il faut distinguer trois possibilités. Soit l'anorexique
décide de son plein gré de se faire hospitaliser, dans ce cas il
n'y a aucun anti-sujet. Les médecins et la famille sont alors des
adjuvants qui vont l'aider à réaliser son second programme
narratif dont l'objet est guérir. Cette première
possibilité est la moins courante. La plupart du temps, le corps
médical est confronté à un cas de figure plus
difficile : quand le pronostic vital est en jeu, l'anorexique doit
être hospitalisée, souvent contre son gré. Dans ce cas,
elle oppose une stratégie de résistance au traitement. Son
objectif est de continuer à maigrir et les médecins sont alors
des anti-sujets. Après un certain laps de temps, elle peut prendre
conscience de sa maladie et accepter les soins. Elle commence alors un second
programme narratif dont l'objet est de guérir. Parfois,
l'anorexique poursuit sa stratégie de résistance et
réussit à sortir de l'hôpital avant que le poids
fixé par le corps médical ne soit atteint. Elle peut aussi
remplir les exigences du contrat de soins dans l'unique but de sortir ;
une fois sortie de l'hôpital, elle recommence à maigrir. La
reprise de poids ne constitue pas un nouveau programme narratif mais juste une
parenthèse au cours de son programme principal. Dans les deux cas,
l'hospitalisation est alors un échec et l'actant sujet ne modifie pas
son programme narratif. Il faut préciser que chaque cas d'anorexie est
différent, en conséquent il existe une multitude de chemins
possibles pour atteindre la guérison. Souvent, plusieurs
hospitalisations seront nécessaires avant de parvenir à une
guérison totale. Enfin, notons que beaucoup d'anorexiques ne sont pas
prises en charge car rappelons-le, la démarche thérapeutique
repose en grande partie sur leur volonté.
Dans un premier temps, nous présenterons les
différentes formes de prise en charge qui existent actuellement ainsi
que les problèmes auxquels sont confrontés les soignants.
Ensuite, les analyses comparées des discours de presse nous permettront
de dégager la représentation que se font les médias de la
prise en charge de l'anorexie.
A. Les enjeux de la démarche thérapeutique
L'objectif de la prise en charge thérapeutique de
l'anorexique est de remédier en premier lieu aux
« conséquences physiques et psychiques de la
dénutrition » mais aussi aux
« difficultés psychologiques »,
aux « interactions familiales autour de l'anorexie
»605(*). Il
existe aujourd'hui une diversité de traitements thérapeutiques
qui permettent d'atteindre cet objectif cependant, quel que soit le mode prise
en charge la réussite dépend en grande partie des relations entre
le médecin et sa patiente et de la place accordée aux parents au
cours de la démarche thérapeutique.
1. Les différentes
modalités de prises en charge
a) L'isolement, un mode de traitement
qui fait débat
Pendant près d'un siècle, l'isolement a
été le traitement thérapeutique privilégié
pour soigner l'anorexie. Même si aucune étude n'a mesuré
ses impacts réels606(*), les détracteurs sont aujourd'hui plus
nombreux que les partisans. D. Rigaud démontre que les arguments
invoqués par les médecins qui utilisent cette thérapie ne
sont pas valables607(*).
D'abord, l'isolement repose sur l'idée que la famille est un milieu
pathogène or, ce n'est pas en séparant l'adolescente de son
entourage que les problèmes familiaux peuvent se résoudre. Les
médecins qui recourent à l'isolement semblent oublier qu'une fois
l'hospitalisation terminée, la patiente doit retourner vivre dans sa
famille. Ensuite, les partisans de l'isolement considèrent que la malade
refuse de se soigner, il faut donc l'y contraindre. Cette démarche a
pour risque d'entraîner un rapport de force entre la patiente et les
soignants au lieu d'instaurer un climat de confiance. De plus, la peur de
grossir panique la malade qui essaie de perdre du poids (ou au moins de ne pas
en prendre), ce qui la conduit à adopter des stratégies de
dissimulations, et de manipulation. Enfin, les partisans de l'isolement
prétendent que sans contrat de poids, la malade ne peut pas atteindre un
objectif pondéral satisfaisant puisqu'elle refuse de grossir. Ce contrat
va de pair avec l'isolement : si la patiente respecte les objectifs de
poids fixés, elle obtient le droit de téléphoner, de
recevoir une visite... D. Rigaud pense que cette « méthode
[est] vide de sens »608(*) car la plupart des malades se
résignent à manger afin d'obtenir le droit de sortir mais
rechutent peu de temps après. La reprise de poids est illusoire et
n'entraîne aucune amélioration psychique alors que l'anorexie est
avant tout une maladie mentale (cf. Annexe n°7, témoignage
n°6). Il s'insurge contre cette pratique qui coupe la patiente du monde
extérieur. En effet, au cours de la maladie, la jeune fille s'isole
jusqu'à perdre toute vie sociale. Un des objectifs de la guérison
est de lui apprendre à renouer des liens avec les autres. En ce sens,
l'isolement est une aberration totale : il prive la malade de contacts
alors que ce sont justement les liens avec les autres qui lui font
défaut. T. Vincent pointe un dernier inconvénient posé par
l'isolement : les parents peuvent vivre cette séparation comme
une sanction, pour ne pas avoir réussi à sortir leur enfant de la
maladie, voire à ne pas l'avoir soupçonnée609(*) (cf. Annexe n°7,
témoignage n°5).
Une anorexique témoigne de l'isolement qu'elle a
vécu :
« Je suis enfermée [...]. Le médecin
est passé, je ne sais pas à qui il s'adressait. Je n'entendais
qu'à peine : `Mademoiselle, ici, vos contacts avec vos parents
seront coupés. Pas de visite, pas de permissions, pas de lettres ni
coups de téléphone. Vous n'aurez pas le droit de sortir de la
chambre. Pour vous protéger contre vous-même, la porte sera
fermée à clé, les toilettes aussi, afin que vous ne
puissiez pas vomir. Tant que vous n'aurez pas repris du poids, pas question de
thérapie, de psychologue ni de visites' »610(*).
Suivait l'énumération de ce à quoi elle
avait droit quand elle prenait du poids. Ce n'est qu'un exemple parmi d'autres
mais nombreux sont les livres de jeunes anorexiques qui témoignent d'un
traitement similaire. La littérature scientifique diverge sur la
question de la pratique de l'isolement : certains médecins comme D.
Rigaud affirment que ce mode de prise en charge existe encore tandis que
d'autres prétendent que ce traitement est maintenant
dépassé et qu'il est très rarement utilisé dans les
hôpitaux.
Cependant, quand il est encore pratiqué, l'isolement
n'est plus conçu comme une fin mais comme un moyen. Il s'inscrit dans
une prise en charge plus globale comme en témoigne P. Jeammet :
« Les conditions de l'hospitalisation pour
anorexie mentale à l'adolescence sont actuellement le centre d'une
polémique médiatique considérable sur laquelle nous ne
pouvons rester silencieux. Nous hospitalisons les sujets anorexiques avec un
contrat de poids incluant une période de séparation d'avec leur
milieu habituel de vie, ce qui est actuellement bruyamment décrié
et, à tort, qualifié « d'isolement » ou de
« parentectomie » par les détracteurs de cette
méthode »611(*).
Le professeur P. Jeammet explique qu'historiquement
l'isolement était un isolement « familial et
sensoriel » de la malade, alors qu'aujourd'hui il s'agit
plutôt d'une séparation. La patiente n'est pas enfermée
dans sa chambre mais participe à des « activités de
médiation » animées par des
ergothérapeutes, des psychologues, des psychomotriciens... Une prise en
charge au plan « psychique, somatique et
nutritionnel » est mise en place, ce qui diffère de
l'isolement tel qu'il était pratiqué au XIXème
siècle. P. Jeammet utilise le terme de « contrat de
soins » pour qualifier cette séparation, un terme qui met
en évidence que l'objectif recherché n'est plus uniquement
une reprise de poids. Selon lui, « ce type de
soins » serait « la pratique de
référence en France, même s'il est contesté par
certains »612(*).
b) L'hospitalisation et la prise en
charge en ambulatoire : des thérapies pluridisciplinaires
La prise en charge de l'anorexie est subordonnée
à la volonté de la malade et « la majorité
des patients atteints d'anorexie mentale ne sera jamais
hospitalisée »613(*). A l'inverse, si la malade décide ou est
contrainte d'être prise en charge, deux cas de figure s'offrent à
elle : soit le suivi se fait en ambulatoire, soit elle est
hospitalisée. Excepté la dissension sur la pratique de
l'isolement, les soignants s'accordent sur la nécessité d'une
prise en charge de l'anorexie « globale, pluridisciplinaire,
longue et complexe »614(*). Très souvent, elle se fait en ambulatoire
dans un service spécifiquement dédié aux troubles des
comportements alimentaires ou dans un service plus généraliste
destiné aux adolescents. Dans ce cas, la malade n'est pas
hospitalisée mais suivie régulièrement par un
médecin référent et un psychologue, l'un prenant en charge
les complications physiologiques, l'autre l'aspect psychique de la maladie. Les
spécialistes des troubles du comportement alimentaire insistent sur la
qualité de ce suivi qui dure souvent des années. Le choix de la
structure ou du médecin référent dépend fortement
« des ressources thérapeutiques disponibles à
proximité du domicile du sujet, des orientations théoriques des
équipes impliquées, ou encore du symptôme ayant
déclenché la première consultation, que de schémas
thérapeutiques validés
scientifiquement »615(*). Aujourd'hui, le nombre de structures aptes à
prendre en charge les patientes anorexiques est insuffisant en France, ce qui
explique la variété des prises en charge possibles. Le
problème est accru quand il s'agit de malades majeures car c'est
à elles que revient la décision de se faire soigner.
L'hospitalisation est jugée nécessaire
uniquement si le pronostic vital est en jeu, si des troubles dépressifs
ou un risque suicidaire existent. C'est au corps médical de prendre la
décision de l'hospitalisation avec l'accord de la patiente et des
parents. P. Jeammet explique que l'hospitalisation est relativement rare et n'a
concerné que 7% des anorexiques vues en consultation dans son service.
Lorsqu'une patiente est hospitalisée pour dénutrition importante,
les médecins recourent à la nutrition assistée (par sonde
gastrique) pour que la malade atteigne un « poids de
sécurité » qui permette ensuite de poursuivre les
soins en ambulatoire et d'envisager un suivi psychologique. Dans la plupart des
cas, la pose de la sonde ne pose pas de problème cependant, les
soignants sont parfois confrontés à une résistance de la
patiente qui assimile cette renutrition à un gavage. Des médecins
témoignent : « le refus de la prise pondérale
conduit certaines anorexiques à des tentatives de mise en échec
des soins (arrêt de la pompe, vidange des poches de nutrition dans les
toilettes, par la fenêtre ou dans le
matelas...) »616(*). Cette citation illustre bien les cas où
l'actant sujet décide de poursuivre son programme narratif, les
médecins ont alors le rôle d'anti-sujet.
Quel que soit le mode de prise en charge dont
bénéficie l'anorexique, l'objectif est toujours de l'aider
à atteindre un poids normal avant de comprendre les raisons qui ont
conduit au déclenchement de l'anorexie. Ainsi, H. Bruch écrit qu'
« une psychothérapie individuelle n'est que l'un des
aspects du traitement dont l'anorexique a besoin [...] un certain
rétablissement nutritionnel est indispensable avant qu'on puisse
procéder à une exploration psychothérapeutique
valable »617(*).
Le corps médical souligne aujourd'hui la
nécessité d'une prise en charge psychologique dont les
modalités sont très variées. Il est important
d'évoquer ces différentes thérapies afin de souligner leur
diversité mais aussi leurs spécificités. La
« démarche de type analytique »618(*) ou psychothérapie est
considérée par certains médecins comme le meilleur
traitement mais relativement difficile à mettre en place. L'anorexique
consulte un médecin (psychiatre) ou un psychothérapeute
(psychologue, psychanalyste...) qui cherchera à comprendre les raisons
inconscientes ou non qui ont déclenché le processus anorexique.
Nous n'entrerons pas plus dans les détails mais il faut savoir que la
démarche analytique varie selon si la personne consultée est un
psychanalyste ou un psychiatre, chacun ayant en outre des méthodes
différentes. Quelque soit la solution choisie, les
bénéfices ne sont pas immédiats et la
psychothérapie doit durer au moins deux ans619(*). La malade peut
également participer à un groupe de parole qui consiste à
réunir des patientes au même stade de la maladie, et qui sont
déjà dans une optique de guérison. Elles peuvent ainsi
échanger leurs expériences et mieux comprendre leur trouble. Les
résultats de cette thérapie sont mitigés et la mise en
place d'un groupe de parole dépend pour beaucoup de la
personnalité des patientes620(*). Enfin, l'approche cognitivo-comportementale
constitue une dernière possibilité qui s'offre aux patientes. Ce
type de thérapie vise à « corriger les
raisonnements erronés liés aux principaux symptômes du
trouble »621(*). Le thérapeute cherche à identifier
les raisons qui ont conduit l'anorexique à adopter un tel comportement
pour ensuite modifier « ses comportements mal
adaptés » mais contrairement à la thérapie
analytique, il n'aborde pas « les conflits psychiques
sous-jacents ni la vie fantasmatique »622(*). Il existe peu
d'études prouvant l'efficacité de ces thérapies, notre
objectif n'étant pas de toutes façons de trancher entre les
différentes possibilités existantes. Une étude de P.
Jeammet révèle que sur la population étudiée,
« 24% des anorexiques n'ont pas suivi de psychothérapie et
29% l'ont interrompu avant un an »623(*).
c) La guérison : une
étape longue et difficile
D. Rigaud écrit que « guérir n'est
jamais simple. C'est un voyage, une quête où l'on perd quelqu'un
et où l'on va, dans le brouillard, élaborer, construire quelqu'un
d'autre »624(*). Il double cette quête d'une métaphore
très pertinente pour évoquer la guérison : celle de
la guerre, et plus spécifiquement la guerre de tranchées. Une
guerre peut-être perdue ou gagnée, l'anorexique peut guérir
ou mourir. Une guerre de tranchées « n'est jamais une
guerre éclair »625(*), il peut y avoir des victoires puis des
défaites ; l'anorexique peut reprendre du poids puis rechuter. Une
guerre ne se fait pas seul, il faut des alliés ; l'anorexique ne
peut pas guérir isolée, elle doit être aidée.
L'hôpital ne constitue qu'une étape vers la guérison et
« pensez qu'on sort guéri de l'hôpital est une erreur,
qui peut même invalider tous les efforts mis en oeuvre à
l'hôpital par le malade tout autant que l'équipe soignante.
L'hôpital doit être envisagé comme un lieu
d'entraînement, où l'on apprend à combattre et où on
se donne les moyens de le faire, là d'abord, puis dehors
»626(*).
Les rechutes sont très fréquentes et concernent 50% des cas
mais ne signifient en aucun cas que la malade ne guérira pas. Elles sont
au contraire considérées comme une étape normale dans la
guérison. P. Jeammet estime qu'entre 7 et 10% des anorexiques meurent et
que dans 20% des cas l'anorexie se chronicise. « Environ 70% des
anorexiques retrouvent un poids et une alimentation
`normaux' »627(*) mais la moitié peut continuer à
souffrir de troubles psychologiques plus ou moins importants.
Malgré le risque de mortalité qu'il ne faut pas occulter,
l'évolution de l'anorexie est globalement favorable. En outre, il faut
préciser que les statistiques ne se fondent que sur les patientes
hospitalisées et sont donc en partie erronées. Les
spécialistes des troubles du comportement alimentaire estiment
qu'au-delà de quatre à cinq ans de poids normal et sans crise ni
vomissement, la guérison est établie628(*).
Sur le plan médical, la disparition de
l'aménorrhée est considérée comme le signe de la
fin du trouble anorexique. C'est le dernier symptôme qui disparaît
des mois, voire des années après la reprise d'un poids normal et
le rétablissement de l'équilibre alimentaire. Pour ce qui est des
complications survenues au cours de la maladie, les troubles corporels
disparaissent quand le comportement redevient normal excepté
l'ostéoporose et la chute des cheveux629(*). Contrairement à l'opinion commune, il n'y a
aucun risque d'infertilité une fois que l'anorexique est guérie
et le « comportement antérieur n'a pas de
conséquences sur le bébé »630(*).
2. Les enjeux relationnels
a) De bons rapports entre patiente et
soignant : une condition nécessaire à la guérison
La relation qui s'établit entre le médecin et la
patiente est primordiale dans le processus de guérison quel que soit le
mode de prise en charge. Souvent, elle est difficile à établir et
l'anorexique nie sa maladie, refuse de coopérer. Il est important que le
médecin sache repérer ces mécanismes de déni et de
refus pour réussir à les contourner. En effet, ce n'est qu'une
fois le déni levé que la prise en charge peut réellement
débuter. Dans son ouvrage La jeune fille et la mort : soigner
les anorexies graves, T. Vincent explique qu'un changement s'est
opéré dans la façon de considérer ce type de
patientes, une évolution qui a entraîné une modification
des positions soignantes par rapport aux patientes631(*). Les médecins
prêtent plus attention à la personnalité de chacune et se
détachent de l'image stéréotypée qui
prévalait avant. Cette modification dans les rapports entre soignants et
patientes est généralement datée des années
soixante-dix. H. Bruch est considérée comme
« l'artisan majeur de ce changement de
conception »632(*) car elle invitait les thérapeutes à se
défaire d'une représentation négative des anorexiques et
à écouter leur malade. En effet, auparavant, les psychanalystes
mais aussi les médecins méprisaient souvent la parole de leur
patiente qu'ils assimilaient à une menteuse, une manipulatrice. En
écoutant ses patientes, H. Bruch a apporté « une
dignité nouvelle tant aux paroles des anorexiques qu'au traitement
qu'elle leur propos[ait] »633(*). Aujourd'hui, c'est à partir d'un engagement
réciproque de la part du médecin et de la patiente que s'organise
la démarche thérapeutique. Toutefois, il ne faut pas oublier que
la « prise en charge [est] longue, difficile et parfois
décourageante mais essentielle »634(*).
En effet, cette évolution ne doit pas masquer les
difficultés auxquelles sont confrontées les soignants, surtout
dans le cas de l'hospitalisation. Il est rare que les patientes anorexiques
acceptent la prise en charge immédiatement sans résister. La
plupart du temps, elles tentent de sauvegarder les pratiques mises en place au
cours de la maladie à travers des dissimulations, des manipulations...
Les médecins doivent souvent faire face aux stratégies de
résistance de la patiente. M. Darmon en distingue quatre : la
malade peut « résister à la transformation des
pratiques exigée par l'institution
hospitalière »635(*), injurier les médecins, remettre en cause
leurs compétences ou se retrancher derrière un silence totale.
Cette dernière stratégie étant considérée
comme la forme de résistance la plus extrême puisque le dialogue
avec les médecins est indispensable à la guérison. Les
soignants, qui sont alors dans le rôle de l'anti-sujet, tentent de
transformer les dispositions acquises par l'actant sujet au cours de sa
maladie, en faisant preuve de patience et de fermeté sans instaurer un
rapport de forces qui risquerait de mener à l'échec. Aujourd'hui,
les médecins privilégient une démarche qui s'appuie sur la
collaboration avec la patiente.
b) La nécessité d'associer
les parents à la prise en charge thérapeutique
Aujourd'hui, le rôle des parents dans la prise en charge
thérapeutique est considéré comme indispensable que leur
fille soit hospitalisée ou suivie en ambulatoire. Ils sont les
alliés du traitement et doivent aider leur enfant à
guérir. En cas de prise en charge ambulatoire, les parents sont
reçus par le médecin en présence de leur fille. C'est le
moment où s'établit « l'alliance
thérapheutique »636(*) autour du suivi de la malade. Même en cas de
séparation, P. Jeammet explique que « les parents sont
largement impliqués par l'équipe soignante dans les soins pour
leur enfant pendant toute l'hospitalisation, et tout particulièrement
pendant la période de séparation d'avec
eux »637(*). Les parents ont des contacts réguliers avec
les médecins afin de mieux comprendre les objectifs du traitement et de
partager leurs inquiétudes avec le personnel. Le traitement
thérapeutique repose sur une relation de coopération entre les
parents et le personnel médical. Cependant, dans certains cas, la
famille peut intervenir pour soutenir leur fille et la faire sortir de
l'hôpital. Les parents sont alors dans le rôle de l'anti-sujet par
rapport au programme narratif des médecins. En effet, il faut rappeler
que la plupart du temps les parents prennent conscience assez tardivement de la
maladie de leur enfant, et ont souvent du mal à l'admettre. Le
médecin doit alors convaincre à la fois la malade et sa famille
de la nécessité d'une prise en charge.
Outre leur participation à la démarche
thérapeutique, les parents peuvent également demander à
être suivis. Cette prise en charge a pour objectif de les
déculpabiliser et de ne pas les stigmatiser comme étant la
« cause » de la maladie de leur enfant. En effet,
« bien souvent, les parents se sentent culpabilisés par le
corps médical, et revaloriser leur position est indispensable, sinon
leur ambivalence face aux soignants risque d'être dommageable aux
soins »638(*). Le groupe de paroles constitue la forme de prise en
charge la plus courante. Il est encadré par un professionnel de
santé et composé uniquement de parents d'adolescentes anorexiques
qui peuvent échanger leurs expériences. La naissance de ce type
de structure reflète une évolution fondamentale :
l'anorexique n'est pas la seule victime de la maladie, les parents en souffrent
aussi.
Historiquement, ils sont donc passés du rôle de
destinateur de la maladie à celui d'adjuvant, un déplacement qui
a modifié en profondeur le traitement thérapeutique de l'anorexie
mentale. L'isolement, qui était la sanction infligée aux parents
responsables, a progressivement disparu pour laisser place à une
participation active des parents dans la démarche thérapeutique.
Notons également l'importance de plus en plus grande que les
médecins accordent à la thérapie familiale, une
démarche dans laquelle sont inclus les frères et soeurs, qui vise
à comprendre les dysfonctionnements de la famille. Nous voyons donc que
l'implication de la famille dans le traitement est devenue indispensable
cependant, elle est difficile à obtenir quand la patiente anorexique est
majeure ou ne vit plus au domicile familial.
3. La prévention, une
démarche indispensable
Actuellement, de plus en plus
d'initiatives sont prises par le corps médical afin de prévenir
la maladie. La prévention ne concerne pas uniquement les adolescentes,
elle s'adresse également aux parents et aux médecins.
a) La formation des médecins
De plus en plus de médecins généralistes
connaissent l'existence de la maladie et sont capables d'orienter une
adolescente anorexique vers un spécialiste ou une structure
adaptée. Cependant, il n'est pas rare que certains médecins
confondent les symptômes de l'anorexie avec une autre maladie. Leur
tâche est d'autant plus difficile que l'adolescente a tendance à
nier son état et affirmer que tout va bien. C'est pourquoi, il est
nécessaire de former les médecins pour qu'ils puissent
détecter les signes d'une anorexie mentale mais également qu'ils
aient connaissance des enjeux psychiques de la maladie. Ainsi, il leur sera
plus facile de repérer les mécanismes de déni et de refus
de prise en charge de l'adolescente. Aujourd'hui, des structures proposent de
former les médecins en leur fournissent des indications quant aux
différentes formes de traitements, en leur apprenant à
repérer les symptômes de la maladie... Ils sont ainsi mieux
armés pour orienter les patientes mais aussi les parents. La position
des médecins généralistes n'est pas simple puisque c'est
à eux qu'il revient, le plus souvent, de diagnostiquer la maladie.
Cependant, ils doivent faire attention à ne pas tomber dans
l'excès inverse et s'alarmer au moindre signe. Ainsi, H. Pennachio
écrit qu'« il faut éviter de traiter dans l'urgence
un surpoids modéré, sans tenir compte des
spécificités de l'adolescent et de son environnement
génétique et familial, à cette période de la vie
où le corps change et parfois s'enrobe un peu (notamment chez la fille),
avant la poussée de la croissance »639(*).
b) L'information des parents
La prévention concerne également les parents,
qui, comme nous l'avons souligné, sont souvent les derniers à
prendre conscience que leur fille souffre d'anorexie. Il est plus difficile
d'informer les familles sur l'existence de l'anorexie et de ses enjeux que les
médecins. En effet, de par leur position médicale, les soignants
ne peuvent se désintéresser de cette pathologie alors que les
parents n'ont a priori « aucune » raison de s'informer sur
ce qu'est l'anorexie. En ce sens, la prévention vise surtout à
leur apprendre à reconnaître les symptômes de la maladie
pour que leur fille soit prise en charge le plus tôt possible.
c) La sensibilisation des
adolescentes
Enfin, les adolescentes sont les
« premières » concernées par la
prévention. L'anorexie n'est plus une maladie inconnue mais il est
fondamental d'informer les jeunes filles sur l'existence et les
conséquences de cette pathologie. La prévention peut
également prendre la forme de conseils diététiques puisque
le plus souvent l'anorexie débute par un simple régime. Il n'est
pas négligeable d'insister sur l'hygiène alimentaire, sur
l'équilibre des repas... C'est alors au médecin
généraliste de dialoguer avec l'adolescente pour lui faire
comprendre dans quels cas un régime est indispensable.
Pour conclure, H. Pennachio souligne que
« même si aucune étude n'a
été menée en terme de prévention des troubles du
comportement alimentaire »640(*), il existe quatre pistes à ne pas
négliger. Il faut savoir reconnaître et dépister un
éventuel trouble du comportement alimentaire quand une jeune fille
évoque le souhait de maigrir ; ne pas considérer le
régime entrepris comme anodin ; si un régime est vraiment
nécessaire, le médecin doit éviter de le prescrire sans
effectuer de contrôle ou éviter de faire une mauvaise
prescription et enfin, les parents doivent être attentifs aux signes
de mal-être de son enfant. Malgré l'augmentation du nombre
d'associations et de structures qui visent à informer sur cette
pathologie, l'auteur souligne que la prévention est relativement
difficile dans une société paradoxale « où
l'abondance ordonne aux femmes la restriction »641(*). Cette citation
révèle toute la complexité de prévenir une maladie
que l'influence des facteurs socioculturels semble favoriser
La prise en charge de l'anorexie est une étape
difficile tant pour les patientes que pour le corps médical, pourtant
elle est essentielle à la guérison. Les différents
traitements thérapeutiques ont beaucoup évolué depuis la
fin du XIXème siècle, accordant une place
prépondérante au rôle des parents et une attention
grandissante à la patiente. Comme nous l'avons montré il n'existe
pas de traitement univoque de l'anorexie, il est donc intéressant
d'observer maintenant ce que nous disent les discours de presse de cette phase
de la sanction.
B. La phase de la sanction dans les discours de presse
L'anorexie est une maladie polyfactorielle qui rend impossible
un traitement unique. A partir des éléments que nous venons de
mettre au jour dans la partie précédente, il est
intéressant d'observer comment la presse présente la prise en
charge de l'anorexie, une démarche qui implique trois questions :
- Qui est pris en charge ? Si à première
vue la réponse peut sembler évidente, nous venons de montrer que
les parents sont aujourd'hui considérés comme des
« victimes » de la maladie et sont appelés en
conséquent à bénéficier d'une prise en charge.
- Qu'est-ce qui est pris en charge ? Le corps
médical insiste sur la nécessité d'une thérapie
à la fois nutritionnelle et psychologique, nous allons donc observer si
les quotidiens nous décrivent une « thérapie
`bifocale' » ou s'ils se contentent d'évoquer l'aspect
nutritionnel.
- Quel type de traitement thérapeutique est
privilégié par les médias ?
- En quels termes sont décrits les rapports entre
soignant et patiente ?
- Quels sont les pronostics concernant la
guérison ?
- Les discours des journaux ont-ils une visée
préventive ?
En répondant à ces questions, nous essaierons
également de voir si les évolutions qui ont affecté la
prise en charge de l'anorexique au XXème siècle, se
retrouvent dans les discours médiatiques.
1. La Croix refuse l'isolement
thérapeutique et accorde une place privilégiée aux
parents
a) L'isolement, une pratique
refusée
La Croix reconnaît la nécessité
d'allier un traitement psychologique avec une prise en charge
nutritionnelle642(*).
Cinq articles dans le dossier sont consacrés à la question de la
séparation familiale, un mode de prise en charge que rejette le
quotidien. Le fait de publier autant d'articles sur la question du traitement
thérapeutique de l'anorexie reflète l'importance que cette
étape revêt pour le quotidien, nous allons rapidement en
comprendre les raisons. Il est partagé entre laisser l'anorexique dans
sa famille et l'exigence médicale de séparation, d'autant plus
justifiée si les parents sont responsables de la maladie. En effet,
La Croix accorde une place importante à la famille, et retirer
une anorexique de sa famille c'est en quelque sorte considérer que les
parents ne sont pas capables d'aider et de soigner leur fille, c'est briser la
communauté familiale et les dessaisir de leur rôle. Malgré
la modération terminologique du quotidien quand il évoque la
séparation, différents indices révèlent qu'il est
favorable à des hospitalisations sans séparation.
Avant de consacrer un dossier entier à cette question,
le journal avait déjà soulevé le problème dans un
article précédent. Ainsi, il écrivait
qu' « il y a des divergences quant au traitement et à
la prise en charge », que « la question de
l'hospitalisation fait l'objet d'une âpre discussion ». Le
terme « âpre » indique que la question ne
concerne pas uniquement le corps médical mais que le quotidien est
également impliqué. Au premier abord le discours semble
relativement neutre, le quotidien présente successivement les arguments
respectifs des partisans et des opposants de l'isolement :
« pour certains [...], pour d'autres... ».
Cependant, le quotidien conclut en disant que pour certains « au
contraire, les relations familiales difficiles ne sont que la traduction des
troubles internes du malade : il ne faut donc pas aggraver les choses en
l'extrayant de son milieu familial »643(*). Présenter en dernier
l'argument des opposants à l'isolement est une façon de montrer
c'est dans ce camp que se range La Croix, ce que confirment les
articles du corpus.
La Croix écrit que l'anorexie
« pose, entre autres multiples questions [...] celle de la place des
parents dans les soins à donner à leurs enfants, presque
adultes » ce qui indique d'emblée que la phase de prise
en charge constitue l'étape la plus importante pour le quotidien. En
effet, nous avions souligné dans les analyses précédentes
que le quotidien s'intéressait peu aux pratiques anorexiques par
exemple. Cette citation rappelle la spécificité du traitement
thérapeutique de l'anorexie. Pour d'autres maladies, le patient est pris
en charge par un médecin, il s'agit donc d'une relation
bilatérale. Dans le cas de l'anorexie, les parents ne peuvent être
exclus de la démarche thérapeutique car ils sont eux aussi
victimes de la maladie.
C'est essentiellement par le recours aux témoignages
que le quotidien laisse entendre qu'il rejette l'isolement comme mode de prise
en charge thérapeutique. Lorsque le journal écrit que
« des parents célèbres ont exprimé leur
désaccord à l'égard d'une pratique médicale qu'ont
vécue leurs filles » c'est-à-dire
« des périodes d'isolement d'avec leur
famille », c'est en fait son propre désaccord qu'il formule.
Le journal ne critique pas l'isolement d'un point de vue médical comme
le fait D. Rigaud mais d'un point de vue affectif. La séparation est
jugée « cruelle » et assimilée
à une « forme de chantage ». En
précisant que « certains soignants, même, la
refusent », La Croix met en évidence que si des
professionnels rejettent ce mode de soins, il peut légitimement s'y
opposer. En dernier lieu, il consent qu'« elle n'a
d'efficacité que si les parents et le jeune en comprennent et en
acceptent le sens », ce qui est peu probable.
Un second article644(*) est entièrement consacré à
l'hospitalisation avec « séparation
familiale », « une pratique qui fait
débat », ce qui mérite que nous nous y
intéressions de manière plus approfondie afin de comprendre
pourquoi et par quels procédés le journal rejette-t-il ce mode de
traitement, qui est pourtant parfois indispensable. L'article s'ouvre avec les
témoignages de B. Chirac et P. Poivre d'Arvor qui qualifient le
séjour dans un hôpital de « prison »,
une pratique « barbare » car l'adolescente
« est enfermée dans sa chambre ». La
connotation péjorative de ces termes est révélatrice. La
référence à la prison comme aux Barbares renvoient
à l'exclusion, à une sorte de déshumanisation que La
Croix ne peut tolérer. Comment légitimer l'isolement d'une
malade qui n'est en rien responsable de sa maladie et doit au contraire
être soutenue ? Afin d'accentuer la cruauté de ce mode
d'hospitalisation, le quotidien donne la parole à P. Poivre d'Arvor qui
décrit l'isolement qu'a subi sa fille et qui était imposé
aux anorexiques graves à une certaine époque : «
[elles] étaient empêchés de voir leurs parents, de leur
téléphoner, de leur écrire parfois pendant plusieurs
semaines ou plusieurs mois ». Le recours à
l'énumération, les indications temporelles mettent en valeur
l'absence de communication qu'impose ce mode de traitement. Le quotidien ne se
contente pas de pointer du doigt ce mode d'hospitalisation, il souligne
également la souffrance des parents. C'est « la douleur
d'un père » dont la « blessure [est]
toujours à vif, dix ans après » que le reportage
nous montre. Le journal ajoute que cette douleur est même
« impossible à cicatriser ». Plus loin,
nous trouvons le terme « souffrance », et
l'expression « douleur chevillée au coeur »
qui décrivent les sentiments de B. Chirac et P. Poivre d'Arvor. En
utilisant ces termes, le quotidien fait appelle à la sensibilité
du lecteur qui ne peut légitimer une telle pratique face à la
souffrance des parents. Notons que La Croix utilisait aussi le terme
de « souffrance » pour parler de l'anorexique. En
employant le même mot pour désigner les sentiments des parents, il
nous rappelle que si la malade est la première victime de l'anorexie,
les parents le sont aussi.
Nous avons relevé plusieurs questions dans l'article
qui traduisent l'incompréhension de La Croix :
« Pourquoi les hôpitaux séparent-ils ainsi les
anorexiques de leurs proches ? Ces établissements seraient-ils des
lieux totalement déshumanisés où l'on pratiquerait une
sorte de chantage affectif à la reprise de poids ? [...] Mais
pourquoi aller jusqu'à cette séparation totale avec la
famille ? ». A ces interrogations qui sont aussi celles des
parents, des médecins répondent et relativisent le recours
à l'isolement aujourd'hui qui « ne concerne qu'une
minorité de patients anorexiques », la majorité de
la prise en charge s'effectuant en ambulatoire. Le quotidien
délègue la parole à un expert qui retrace un rapide
historique de l'isolement et qui confirme que dans les années 70, ce
mode de prise en charge existait encore en France. Pratiqué dans des
situations « très exceptionnelles »,
« l'isolement a aujourd'hui disparu des
hôpitaux ». Toutefois, le quotidien apporte une
nuance : « Mais pas celle de la séparation
familiale » qui, précise-t-il, « reste
encore utilisée par une majorité des équipes
spécialisées », une façon de sous-entendre
que c'est encore trop. Ces deux pratiques ont en commun l'absence de
communication totale d'avec la famille. C'est pourquoi, même si dans le
cadre d'une séparation familiale la patiente est « libre
de ses mouvements dans le service », La Croix ne peut
pas non plus tolérer ce mode d'hospitalisation qui rompt le lien
familial. A la question du journal « Mais pourquoi aller
jusqu'à la séparation totale avec la
famille ? » répondent plusieurs experts, partisans
de ce mode de prise en charge. Ils
« argumente[nt] »,
« explique[nt] »,
« renchérisse[nt] » mais leurs propos ne
peuvent convaincre un quotidien pour qui la famille est une valeur
fondamentale. Ainsi, « sans nier la nécessité
d'aménager un `temps thérapeutique' en dehors de la
présence des parents », le journal souligne que
« certains services se refusent à pratiquer ces
séparations totales ». Un autre expert nous fait part de
son expérience et estime que « ce n'est pas très
humain », que la psychiatrie « par le
passé, a beaucoup fait souffrir les parents
d'anorexiques ». Ces propos constituent en quelque sorte la
« preuve » médicale que la séparation
familiale n'est pas utilisée par tous les médecins et qu'elle
n'est pas un obstacle à la guérison de l'anorexie. Un dernier
exemple vient compléter l'argumentation : « la Maison
des Adolescents [...] ne pratiquera pas, elle non plus, la
séparation ». Qu'une nouvelle structure ne recourt pas
à la séparation familiale signifie en quelque sorte
qu'après l'abandon de l'isolement, c'est la séparation familiale
qui doit être délaissée. Une phrase a retenu notre
attention : « couper tout contact, c'est quand même
une manière de stigmatiser les parents d'une certaine façon, de
les rendre responsables de la pathologie de leur enfant ». En
laissant un expert tenir de tels propos, le quotidien souligne que le corps
médical partage sa position. De plus, cette phrase révèle
le basculement que nous avions mentionné dans l'analyse de la figure du
destinateur : les parents ne sont plus considérés comme
responsables de l'anorexie de leur enfant, la séparation n'a plus lieu
d'être. Le quotidien insiste sur cette idée puisqu'il laisse un
autre expert souligner que « non seulement les parents ne sont
pas responsables de ce qui arrive à leur enfant, mais ce sont des
alliés thérapeutiques précieux ». Les
propos de ces deux experts viennent légitimer, renforcer la position du
quotidien. Cependant, malgré le rejet la séparation, nous avons
noté que le dernier expert que convoque La Croix est favorable
à cette séparation familiale. Toutefois, il insiste sur la
collaboration entre le corps médical et les parents qui s'effectue par
le biais « d'entretiens très
réguliers », « les parents ne sont pas
seuls dans la nature », alors qu'avant « on
faisait des séparations en ignorant les parents ». Nous
pouvons penser que malgré l'opposition du journal à ce mode de
prise en charge, il ne peut nier que dans certains cas la séparation est
inévitable. Ainsi, il ne peut contredire cet expert qui toutefois
accorde une place importante aux parents dans la démarche
thérapeutique, un objectif qui est aussi celui du journal. Enfin, notons
que la structure de l'article est relativement équilibré :
le quotidien laisse successivement la parole aux partisans de la
séparation puis à ces opposants, ce qui témoigne d'un
souci de rigueur et d'une certaine neutralité, neutralité qui se
révèle illusoire.
b) Des parents témoignent :
l'isolement est une « épreuve »
Nous avons choisi de consacrer une partie spécifique
à la figure des parents qui occupe une large place dans les articles de
La Croix. Plusieurs discours nous font part des témoignages de
parents qui ont vécu la séparation familiale.
Dans le premier article de la période, un
médecin explique qu'« il convient donc de soutenir les
familles sans culpabiliser les parents »645(*). Si les parents ne
sont pas encore désignés comme victimes, le verbe
« soutenir » révèle
déjà qu'ils sont dans une situation difficile.
Afin de mettre l'accent sur la souffrance des parents, La
Croix laisse la parole le temps d'un article à une mère qui
nous raconte son « épreuve »646(*). Nous pouvons formuler
plusieurs remarques par rapport à ce témoignage. La
première concerne le rôle actantiel des parents : dès
le départ, le récit les désigne comme adjuvants. En effet,
ce sont eux qui sont allés voir avec leur fille un psychiatre, lequel
« l'a orienté vers un médecin
généraliste ». Les parents ont pour objet la
guérison de leur fille mais aucun détail ne précise si la
malade a aussi pour objet la guérison. Leur rôle d'adjuvant permet
de comprendre pourquoi, ils souffrent de la séparation. Ensuite, nous
avons remarqué que l'article est construit autour de deux thèmes
principaux : la mère insiste sur la souffrance et l'épreuve
qu'elle a vécue mais elle souligne aussi le soutien et l'aide dont elle
a bénéficiés. Emma raconte que la séparation a
été un « moment atroce », ces
périodes étaient « terribles à
vivre », « c'était
déchirant », elle et son mari étaient
« minés par le chagrin ». Les termes
qu'elle emploie sont relativement fort et met en valeur la douleur qu'ils ont
éprouvée. Outre cette souffrance, cette mère met l'accent
sur son impuissance qui était « totale »,
« on ne peut rien faire ». Notons ici que le
« ne pas pouvoir faire » est un obstacle auquel sont
confrontés tous les parents et qui tend à renforcer leur
sentiment de culpabilité. Une phrase est assez révélatrice
du dilemme qui anime La Croix : « On sait que son
enfant va mal, qu'il a besoin d'être soutenu, entouré, mais on ne
peut plus aller le voir, lui parler ». Même si cette
phrase n'est pas celle du quotidien, nous pouvons dire qu'elle reflète
son opinion. « Il » exprime ce qu'il considère
être le rôle que les parents et le problème que pose la
séparation familiale. En effet, il n'est pas acceptable de choisir un
mode d'hospitalisation qui prive la malade du soutien parental. Cependant, en
dépit de cette souffrance et de
« l'épreuve » que représente la
séparation, Emma insiste sur « deux choses [qui les] ont
beaucoup aidés », qui leur ont été
« d'un grand secours » et « d'un
grand soutien » : les rencontres avec l'équipe
médicale et les échanges au sein des groupes de parents. Notons
que la place accordée aux relations parents-soignants était
déjà évoquée dans un article
précédent par un médecin. Pour terminer, nous remarquerons
que cet article est destiné aux familles qui sont confrontées
à la même épreuve mais « c'est difficile de
donner des conseils à d'autres parents ». La
tonalité de l'article est optimiste car c'est sur le mot de
« confiance » que conclut Emma. La
« confiance à l'équipe soignante »
et la confiance dans les « ressources de son
enfant ». La Croix est le seul quotidien a
souligné que la confiance est essentielle pour surmonter cette
« épreuve » ce qui semble un peu optimiste.
Si les anorexiques ont des « ressources », nous
avons expliqué le cercle vicieux que constituait la maladie,
l'aveuglement dans lequel se trouvaient les malades qui rend peu probable une
prise de conscience soudaine. Le quotidien sous-entend que l'anorexique veut
s'en sortir et ne s'oppose pas à la prise en charge, un cas qui est en
général très rare.
Il faut préciser que malgré la souffrance qu'ont
éprouvée ces parents, la mère avoue que la
séparation procure un « sentiment de
soulagement », que c'est un moment qui permet de
« souffler un peu » car « c'est
l'enfer de voir son enfant dépérir sous ses yeux sans rien
pouvoir faire ». Ainsi, même si le quotidien s'oppose
à la séparation familiale, les propos de cette mère
soulignent la difficulté de vivre au quotidien avec une anorexique, une
réalité que ne peut pas nier le journal. Enfin, une
dernière remarque concerne la place de la fratrie dans la prise en
charge de l'anorexie. Emma explique que « [sa] fille cadette a
beaucoup souffert pendant cette épreuve », et qu'elle
regrette qu'elle n'ait pas pu bénéficier d'un soutien. A travers
ces propos, le quotidien souligne que ce ne sont pas uniquement les parents qui
souffrent de la séparation mais que toute la famille est
affectée.
c) L'hospitalisation, une question
importante même dans la rubrique Littérature
Il est intéressant de noter qu'à deux reprises
La Croix utilise cette rubrique pour présenter un livre sur
l'anorexie, ce qui en soi n'est pas particulièrement original puisque
d'autres quotidiens le font également. Ce qui est plus
spécifique, c'est que les livres présentés sont
destinés aux parents et ont pour thème l'hospitalisation. Par
exemple, dans l'article consacré au livre de P. Jeammet, Anorexie,
boulimie, les paradoxes de l'adolescence, le journal centre son attention
sur le « chapitre consacré au traitement »
et précise que l'auteur aborde « longuement le rôle
des parents, ces `alliés du traitement' et tout l'intérêt
des groupes de parents qu'il a mis en place, dans son service il y a 25
ans ». Le quotidien précise que P. Jeammet
« s'explique sur la nécessité, parfois, de
séparer l'anorexique de sa famille lors de
l'hospitalisation »647(*). Nous pouvons noter que cette critique insiste sur
la collaboration des parents dans la démarche thérapeutique et
minimise le recours à la séparation familiale qui est
« parfois » nécessaire. Or, P. Jeammet est
un fervent défenseur de la séparation d'avec la famille qu'il
pratique dans son service, ce qui n'exclut pas l'association des parents au
traitement.
Dans cette même rubrique, le quotidien mentionne de la
parution d'un livre intitulé Comment vivre avec une
anorexique ? et le présente comme un ouvrage destiné
à répondre aux questions des parents. « Comment
identifier la maladie ? Quels soins existent-ils ? Que faire pour
l'aider ? Faut-il l'hospitaliser ? »648(*) : toutes ces
interrogations sont celles des parents qui sont confrontés à la
maladie mais ce sont aussi les préoccupations du journal auxquelles il
essaie d'apporter des solutions dans les articles qu'il publie.
d) La guérison et la
prévention
Les discours donnent peu d'indications sur l'espoir de
guérison. Un expert affirme que « les deux tiers des
patientes anorexiques guérissent de façon
satisfaisante »649(*) et un autre souligne qu' « il
apparaît nettement en tout cas que la probabilité de
guérison est plus élevée lorsque le trouble est
détecté précocement »650(*). Nous pouvons souligner que
le journal ne parle pas du taux de mortalité de l'anorexie mais se veut
optimiste, un discours cohérent avec les propos qu'il tenait sur la
capacité des enfants à surmonter leur maladie. Pour La
Croix, il est plus important de prévenir la maladie. Un expert
conseille qu'« une jeune fille [qui veut] commencer un
régime [doit] être suivie par un
médecin »651(*), c'est donc en partie au corps médical que
revient la responsabilité de prévenir la maladie mais aussi de
façon implicite aux parents qui doivent conduire leur enfant chez le
médecin.
Outre ces experts que le journal sollicite pour formuler des
conseils, nous pouvons considérer les livres conseillés par
La Croix dans sa rubrique Littérature participe
à cette démarche de prévention. Par exemple, un article
débute par la question suivante : « Quels sont les
signes de l'anorexie mentale ? » et poursuit en disant
« Comment ne pas en arriver
là ? »652(*). En posant ces questions, le quotidien
considère l'anorexie peut être décelée et ainsi
évitée.
L'analyse des articles du corpus de La Croix nous
permet de pointer différents éléments. Au premier abord,
le quotidien semble se ranger du côté du corps médical en
évoquant la nécessité d'une prise en charge nutritionnelle
et psychique. L'étude des articles ne remet pas en cause cette position
mais permet de la nuancer. En réalité, le journal ne dit rien des
différentes modalités de prise en charge qui existent pour
soigner l'anorexie. Il inscrit ses propos dans le débat médical
autour de la séparation familiale et se montre clairement contre cette
pratique. C'est bien la question de la séparation qui est au centre des
préoccupations du journal. En conséquent, ce n'est pas aux
relations entre le corps médical et l'anorexique ni aux
éventuelles stratégies de résistance de la malade que le
quotidien s'intéresse. Ce sont les parents et leur souffrance qui sont
au coeur des propos du journal. Notons que La Croix est le seul
quotidien à accorder une telle place aux parents dans ses discours.
Etant donné la valeur que revêt la famille pour le quotidien, la
façon dont il aborde la question de la prise en charge de l'anorexie
n'est pas surprenante. Cette analyse nous a également permis de
confirmer l'évolution de la figure des parents : le destinateur est
devenu adjuvant, un adjuvant victime qui doit aussi être pris en charge
par la corps médical. Sur ce dernier point, le discours de La Croix
ne fait que refléter l'évolution de la prise en charge de la
maladie qui englobe aujourd'hui les parents.
2. Le Monde : des propos qui
semblent contradictoires
En 1989, Le Monde fait un rapide historique des
traitements utilisés depuis C. Lasègue pour guérir
l'anorexie afin de souligner la « multitude de traitements
proposés »653(*). Il écarte l'isolement comme mode de prise en
charge et insiste sur la nécessité d'un suivi
psychothérapeutique. Il précise également que
« l'hospitalisation est souvent
nécessaire » et « les rechutes
fréquentes »654(*). Parmi les articles étudiés, seuls
trois abordent la question de la prise en charge de façon plutôt
contradictoire. Nous les étudierons séparément car leur
analyse respective n'a pas permis de dégager des points communs ou des
idées forces qui seraient communes aux à ces trois discours.
a) Des parents exclus de la prise en
charge
En 1992, Le Monde écrit que
« Séverine a été admise d'urgence à
l'hôpital de Nancy-Brabois dans un état de maigreur
extrême ». Avec l'adjectif
« extrême », le journal insiste sur la
gravité de l'état de santé de l'enfant. Or, quand le
pronostic vital est en jeu, l'hospitalisation est nécessaire. Le champ
lexical de la mort présent dans ce discours témoigne de l'urgence
de la situation. Le journal fournit également des indications
médicales sur l'état de santé de Séverine :
elle pèse « 19 kilos » et sa
« tension artérielle » est à 5. Une
fois entrée à l'hôpital, elle va sera « prise
en charge par des médecins qui vont la réalimenter et tenter de
trouver avec elle l'origine de cette terrible rupture d'équilibre qui
l'a amenée au bord de la mort ». Le discours ne donne pas
d'autres détails mais le terme « ensemble »
laisse penser que la démarche thérapeutique est basée sur
une relation de coopération entre la patiente et le médecin,
celui-ci remplissant un rôle d'adjuvant. Aucun indice ne permet de dire
si la fillette s'oppose à l'hospitalisation cependant, nous avions
précisé qu'il s'agit d'une anorexie prépubère et
dans ce cas la prise en charge est moins conflictuelle. C'est pourquoi, nous
pouvons supposer que l'objectif de Séverine est de guérir, le
corps médical jouant le rôle d'adjuvant.
Les parents sont ici dans une situation
particulière : ils ne sont pas considérés comme des
alliés du traitement, des adjuvants, mais sont sanctionnés. Cette
sanction est à la fois narrative et légale : ils sont
« interpellé[s] » par la police,
« inculpé[s] » par le juge d'instruction
pour « défaut de soins » et ont
l' « interdiction formelle » d'aller voir
leur fille hospitalisée. Considérés comme
« adultes responsables », ils sont punis
par la loi pour n'avoir pas fait hospitaliser leur enfant, mineure. Cependant,
ils ne sont pas les seuls à être mis en cause et le récit
fait état d'une « lutte » pour assigner la
responsabilité de ce défaut de soins....En effet, l'avocat des
parents a déposé « une plainte contre le
médecin traitant qui soignait leur fille pour non-assistance à
personne en danger ». Toutefois, Le Monde
précise que c'est lui qui a diagnostiqué l'anorexie
mentale, ce qui suffit à écarter la sanction. Ce premier cas
de figure est assez particulier puisque Séverine est encore une enfant.
Son anorexie s'est déclarée suite aux régimes
« draconiens » imposés par la danse et les
exigences que sa mère faisait peser sur elle. Nous avions montré
que le journal désignait la mère comme le destinateur de
l'anorexie, c'est donc logiquement elle qui est sanctionnée ici.
b) Des relations conflictuelles entre
patiente et soignant
Un deuxième article évoque la question de la
prise en charge d'une façon tout à fait différente et
relativement succincte. La journaliste, qui résume le livre de G.
Brisac, raconte que la protagoniste du livre est enfermée dans une
clinique où « on lui fait violence, on veut la
`dompter' ». Le mot « dompter »
suggère que la jeune fille oppose une certaine résistance au
traitement, ce qui est confirmé juste après :
« elle résiste ». Le texte mentionne
également la lutte « avec les
médecins ». Nous pouvons penser qu'il s'agit d'une
hospitalisation avec isolement comme le suggère le mot
« enferme ». Le quotidien ne s'attarde pas sur les
différentes modalités de prise en charge de l'anorexie et se
contente de donner une image conflictuelle des rapports patient-soignant, ce
qui n'est en rien représentatif de la réalité.
« La lente remontée » révèle
que la guérison est longue et nécessite des adjuvants qui sont
ici les « amis »,
« l'amour » et le
« grand-père ». La présence des
adjuvants sous-entend qu'après une phase de résistance, la jeune
fille a accepté de se faire soigner, l'actant sujet a changé de
programme narratif.
c) La nécessité d'une
prise en charge impliquant les parents
Un dernier article655(*) aborde la question de la prise en charge sous un
angle encore différent. Le titre « Venir en aide aux
jeunes anorexiques et à leur famille » nous
suggère d'emblée que la prise en charge est double : elle
concerne bien sûr l'anorexique mais aussi sa famille. Le Monde
présente comme une évidence l'opposition de l'anorexique au
traitement mais ne détaille pas les stratégies de
résistance qu'elle peut mettre en oeuvre. Ainsi, il écrit :
« bien sûr, il faudra parfois batailler ferme pour
réussir à emmener l'intéressée chez le
médecin ». En ce qui concerne la modalité de la
prise en charge, le quotidien se contente de formuler des conseils. Il
recommande d'aller voir « un spécialiste
pédopsychiatre » ou de se rendre dans « un
service hospitalier de médecine pour adolescents » car
les généralistes sont parfois « insuffisamment
avertis » et peuvent ne pas diagnostiquer la maladie. Le
quotidien précise que « le traitement n'est pas simple et
univoque ». Les possibilités sont donc ouvertes et le
journal délègue la parole à un expert pour tenter
d'avancer des solutions plus précises. Ainsi, c'est le professeur, P.
Jeammet qui « préconise » le recours aux
thérapies familiales, lesquelles « impliquent souvent
l'ensemble de la fratrie ». Le verbe introducteur employé
laisse penser que derrière les paroles du professeur, c'est de l'opinion
du quotidien dont il s'agit. Nous pouvons noter qu'ici la prise en charge ne
concerne pas uniquement les parents mais aussi les frères et soeurs. Le
recours à la thérapie familiale est considéré comme
un outil « précieux », afin de sortir les
parents de leurs « difficultés » et de leur
« isolement ». L'adjectif mélioratif
« précieux » indique que le quotidien
privilégie fortement ce type de prise en charge. Si les parents doivent
bénéficier d'une aide, ils sont aussi considérés
comme des alliés thérapeutiques de la guérison de leur
fille. Le Monde estime que leur « collaboration au
projet thérapeutique » est « bien sûr
indispensable ». Le qualificatif
« indispensable » souligne ici la
nécessité d'une implication des parents dans la démarche
thérapeutique, une nécessité que renforce la locution
« bien sûr ». Le journal appelle donc les
parents à s'investir dans la guérison de leur enfant, comme le
préconise le corps médical aujourd'hui. La position du journal
est identique à celle de La Croix cependant, des
différences peuvent être notées. Les termes employés
par Le Monde sont plus neutres. Par exemple, il parle de
« difficultés » là où La
Croix insiste sur la souffrance. Le récit est moins
détaillé, ce qui nous permet de dire que le quotidien s'implique
moins que La Croix qui soutient explicitement les parents.
La position du quotidien dans cet article peut sembler
contradictoire avec la sanction qu'il faisait porter sur la mère de
Séverine ; en effet, comment demander à des parents qui sont
responsables de la maladie de leur fille, d'être aussi les alliés
de son traitement ? En d'autres termes, comment demander au destinateur de
devenir adjuvant ? La contradiction devient encore plus nette quand Le
Monde aborde la question de l'isolement, qui rappelons-le interdit aux
parents tout contact avec leur fille, leur signifiant ainsi qu'ils sont les
destinateurs de la maladie. L'isolement est présenté comme une
éventualité si « la gravité de [l']
amaigrissement et/ou de [la] dépression l'exige ». Le
Monde semble ne pas prendre position puisqu'il renvoie la décision
au médecin cependant, il nous livre le témoignage d'Anne qui
« se souvient [de l'isolement] comme une période `de
réflexion et d'introspection, un long
mûrissement' qui lui a permis grâce à une
psychothérapie, de trouver son chemin ». Le recours au
témoignage, malgré la neutralité du verbe introducteur,
laisse penser que le journal cautionne l'isolement ou du moins montre par le
biais d'un exemple authentique que dans certains cas il peut être
bénéfique. Là aussi, nous pouvons noter une dissonance par
rapport au discours que nous avons analysé dans lequel l'isolement se
résumait au mot « violence ». Quoiqu'il en
soit, le journal privilégie une thérapie nutritionnelle mais
aussi psychologique puisqu'il précise que le médecin
« doit assurer le suivi rigoureux et régulier de
l'état physique et psychologique de la jeune fille » et
parle plus loin de la nécessité d'« un
accompagnement psychothérapeutique individuel » sans
lequel le risque est de « s'enferrer dans une
dépressivité chronique ». Au regard de ces
citations, nous pouvons faire deux remarques : les mots
« régulier » et
« rigoureux » soulignent l'importance de la prise
en charge qui doit reposer sur une relation solide entre la patiente et le
médecin ; le journal insiste sur la nécessité d'un
traitement à la fois au plan somatique et psychique. Le Monde
ne fait que reprendre les conseils formulés par le corps
médical aujourd'hui, une façon de ne pas trop s'impliquer. Le
terme « guérison » ne figure dans aucun
discours cependant, le journal nous donne une indication en précisant
qu'Anne est « à l'aube d'une quarantaine
épanouie » ce qui sous-entend qu'elle est
entièrement guérie de son anorexie.
d) Un manque de structures pour prendre
en charge les anorexiques
Enfin, Le Monde dénonce le manque de
structures destinées à accueillir les adolescentes
anorexiques656(*) en
nous faisant le récit du « combat » de
Bernadette Chirac « contre l'anorexie » de sa
fille. Le quotidien précise qu'elle et son époux ont
frappé « à toutes les portes, dans les
hôpitaux publics et les cliniques privés, à Paris, en
province, en Europe et même aux Etats-Unis » mais
qu' « il n'y avait rien ».
L'énumération produit un effet d'accumulation qui met en valeur
l'absence d'établissements spécialisés dans la prise en
charge de l'anorexie mentale, en particulier pour les adolescentes de plus de
dix-huit ans. La difficulté du combat qu'a mené B. Chirac est
accentuée par « l'isolement presque total »
qu'elle mentionne, la durée du combat qui s'est poursuivi
« pendant plusieurs années » et le fait que
même sa notoriété n'a pas permis de faire avancer les
choses. Une nouvelle fois, Le Monde a recours au témoignage
pour nous faire par de son opinion.
Contrairement à La Croix qui prend position
contre la séparation familiale, Le Monde s'implique peu et se
contente de souligner l'importance d'une prise en charge à la fois
nutritionnelle et psychologique, une évidence aujourd'hui aux yeux des
spécialistes. Il délègue souvent la parole à un
expert ce qui lui permet de prendre ses distances. De plus, certains
éléments que nous avons mis au jour ne permettent pas de cerner
la façon dont le quotidien se représente la prise en charge de
l'anorexie. Par exemple, l'histoire de Séverine est un cas particulier
qui ne peut être généralisé ; les quelques
propos tenus sur l'isolement s'opposent au témoignage d'une
anorexique... Le Monde reste donc plutôt silencieux sur cette
phase de la prise en charge. Enfin, nous pouvons souligner qu'il ne dit
quasiment rien de la guérison et s'abstient sur la question de la
prévention, pourtant essentielle.
3. Le Figaro : la prise en charge
de l'anorexie, une étape peu détaillée
a) Une seule modalité de prise en
charge : la séparation familiale
La prise en charge thérapeutique de l'anorexie ne
fait l'objet d'aucun article en particulier dans le corpus du Figaro.
Un seul discours de presse657(*) propose comme traitement de la maladie
« la séparation d'avec le milieu familial »
qui est « déterminante ». L'objectif de
cette séparation est double : permettre à la malade de
manger sans qu'elle culpabilise et rompre « le lien ambivalent
développé avec la famille ». Il faut
préciser que c'est encore aux dires de P. Jeammet que recourt le
quotidien pour aborder cette phase de la maladie. Cependant, si ces propos ne
sont pas ceux du quotidien lui-même, la façon dont il les
introduit est relativement neutre, ce qui peut laisser penser que Le Figaro
acquiesce. La séparation d'avec le milieu familial est la seule
modalité de traitement « évoqué » dans
les articles du corpus. Dans un second article, le journal se contente de faire
allusion à « une hospitalisation et une prise en charge
globale ». Le terme de « globale »
renvoie à l'association d'une prise en charge nutritionnelle et
psychologique. Ces propos amènent deux remarques : la phase de la
prise en charge de l'anorexie est évoquée de manière
succincte et partielle puisque la séparation à laquelle le
journal fait allusion ne représente qu'une possibilité parmi
d'autres. Contrairement à Santé Magazine qui s'attache
à présenter toutes les possibilités offertes aux malades,
Le Figaro propose une vision très réductrice de la
façon dont les anorexiques sont prises en charge.
b) L'anorexie, une maladie difficile
à soigner
A deux reprises, le quotidien suggère que l'anorexie
est une maladie difficile à soigner. Une première fois elle est
qualifiée de « mal-être psychologique si complexe
à analyser et difficile à combattre »658(*), ce qui peut expliquer la
« démission » du journal qui préfère
ne pas se prononcer et occulter la phase de la sanction. La difficulté
à prendre en charge cette maladie l'empêche de proposer un
discours argumenté et de nous dire quel traitement thérapeutique
il privilégie. Nous avons trouvé deux autres phrases dans le
corps des articles qui permettent de mieux comprendre le
« silence » du journal. L'anorexie est « un
mal face auquel [notre] société n'est pas assez armée pour
lutter »659(*) et « le personnel de l'Education
nationale est souvent désarmé pour déceler ce genre de
trouble »660(*). Nous pouvons faire deux remarques : d'une
part, les termes « armée »,
« lutter », et
« désarmé » renvoie au combat et
donc à la difficulté de soigner et de dépister cette
maladie. D'autre part, c'est ici l'impuissance de nouvelles figures qui nous
est signifiée. Le ne pas pouvoir narratif de la société et
de l'Education nationale résulte d'un manque de compétence, qui
les empêche de mettre un terme au programme narratif de l'anorexique.
Evoquer leur impossibilité à agir est une façon de dire
que l'anorexie est une maladie grave contre laquelle tout le monde doit se
mobiliser, aussi bien la société civile et que les acteurs
institutionnels. Le Figaro n'en appelle pas explicitement au
gouvernement comme le fait L'Humanité mais salue l'initiative
du Ministre de la Santé qui a lancé « une
série de mesures destinées à renforcer la médecine
scolaire »661(*), parmi lesquelles se trouve le
« dépistage » de l'anorexie. Enfin, en insistant sur
la difficulté de soigner cette maladie, le Figaro justifie en
quelque sorte son silence. Si la société n'est pas assez
armée pour lutter contre l'anorexie, il ne peut guère fournir une
représentation de la prise en charge.
Un des articles du corpus a retenu notre attention car il met
en valeur la résistance d'une anorexique à la prise en
charge662(*). Plusieurs
termes soulignent l'impuissance des acteurs du corps médical et de la
société civile. Ainsi, les services sociaux ont
« vainement tenté de [...] porter secours
» à Malika ; l'une de ses visites à
l'hôpital s'est « soldée par un
échec » car les deux soeurs ont refusé l'aide
proposée. C'est à nouveau un ne pas pouvoir faire narratif qui
est souligné, et explicitement dit : « conscients du
danger, mais impuissants à lutter contre ces velléités
autodestructrices », les médecins n'avaient finalement pu
que leur adresser une lettre de mise en garde. Cet épisode nous met en
présence de l'un des programmes narratifs évoqués, celui
d'une anorexique qui refuse les soins et poursuit son objet : maigrir. Les
termes « conscients » et
« impuissants » soulignent la difficulté
à laquelle est confronté le corps médical : ne pas
réussir à soigner des anorexiques qui refusent les soins et
mettent ainsi leur vie en danger, un problème que Libération
qualifie de « déontologique ». Ce
récit est le seul à nous fournir quelques éléments
sur la relation patients-soignant, une relation spécifique puisque
justement elle ne parvient pas à s'établir. C'est donc encore la
difficulté que souligne le quotidien et qui peut expliquer qu'il
n'aborde quasiment pas la question de la diversité des traitements
thérapeutiques.
c) Un nouvel
« allié » : les médicaments
Le Figaro est le seul quotidien à
évoquer le rôle que peuvent jouer les médicaments dans la
guérison de l'anorexie. L'article663(*) nous raconte que des chercheurs ont
expérimenté l'effet des anti-dépresseurs sur les
comportements boulimiques, lesquels auraient « une action
positive » sur un « état d'esprit
transitoirement négatif » mais pas sur « la
sensation de faim ». La question est de savoir s'ils pourraient
également contribuer à « soigner »
l'anorexie. Même si le quotidien fait état des recherches en
cours, il doute de l'efficacité d'une telle solution et nuance l'impact
de ces études. Le discours nous révèle que ce sont
seulement « quelques études » qui
« commencent à montrer que [les anti-dépresseurs]
diminueraient les rechutes » fréquentes au début
de la guérison. Par l'emploi du conditionnel, le terme
« commencer », et terme
« quelques », le journal suggère qu'il ne
faut pas accorder trop d'importance à ces recherches, les données
étant « encore très fragmentaires »
dans « un domaine si complexe ». En outre, Le
Figaro conclut en disant qu'« on est loin d'avoir
découvert le médicament miracle de l'anorexie »,
une conclusion qui relativise d'autant plus l'efficacité des
anti-dépresseurs et des médicaments en général.
Rappelons, que l'anorexie n'est pas une maladie uniquement somatique et qu'elle
concerne tout autant le psychisme, ce qui rend peu probable la guérison
par la seule voie médicamenteuse. Si certains médecins recourent
effectivement aux anti-dépresseurs, ils le font dans des cas bien
précis et ces médicaments ne permettent en rien de guérir
une anorexique.
d) La guérison et les pronostics
de l'anorexie
L'un des articles du Figaro nous fait par de l'impact
de l'anorexie sur une éventuelle maternité. Si les conclusions du
professeur Gerald Russel font « froid dans le
dos », elles sont rapidement minimisées par le journal.
En effet, d'après cet expert, les enfants d'anciennes anorexiques
seraient, pour la majeure partie, mal alimentés. Cependant, le quotidien
lui oppose les conclusions d'un autre expert : P. Jeammet explique que
« la grossesse chez des femmes anorectiques »
n'est pas « exceptionnelle » et les complications
ont « un caractère exceptionnel ». Ses
constations s'appuient sur une étude Inserm, « une des
plus grandes séries suivies », ce qui renforce d'autant
leur légitimité et contribue à discréditer les
paroles de l'expert anglais. Une adolescente anorexique peut avoir une
maternité tout à fait normale.
Le quotidien évoque les pronostics de guérison
en recourant aux propos de P. Jeammet. « L'évolution
à moyen et long terme est très variable » et peut
aller de « la guérison définitive et
complète au passage à la chronicité, voire,
exceptionnellement à la mort ». Le quotidien n'exclut
donc pas une guérison totale même s'il ne précise pas le
nombre d'années nécessaires à cette guérison. Nous
pouvons remarquer qu'ici la mort est présentée comme
exceptionnelle alors qu'un autre article semblait, au contraire, mettre
l'accent sur le taux assez élevé de mortalité664(*). Nous pouvons
interpréter cette discordance comme le signe d'une polyphonie du
discours. Ici, c'est à un expert qu'est donnée la parole alors
que dans l'article précédemment mentionné, c'est le
quotidien qui parle. Le Figaro évoque les différents cas
de figure même s'il ne les accompagne d'aucune indication
chiffrée : certaines anorexiques conservent « une conduite
anorectique à minima », d'autres alternent des phase
« d'anorexie et de boulimie » et enfin les
« tendances dépressives » peuvent
s'observer malgré la « `guérison' »
(la guérison n'est alors pas totale d'où l'usage des guillemets).
L'analyse des discours de presse du Figaro
révèle la « démission » du
journal qui ne dit quasiment rien de la problématique de la prise en
charge de l'anorexie, pourtant fondamentale. Cette démission contraste
avec la gravité de la maladie que le quotidien soulignait. Il se
contente de mentionner la nécessité d'une prise en charge globale
et n'évoque qu'un seul mode de traitement : la séparation
familiale. Nous ne pouvons guère conclure sur la question des relations
entre soignant et patiente puisque le seul exemple que nous fournit le
quotidien concerne une anorexique qui refuse d'être prise en charge.
Enfin, la guérison semble possible mais dépend des chaque cas et
aucune donnée chiffrée ne nous est donnée. Les
informations que nous venons de mentionner permettent de penser que le journal
ne se refuse pas à parler de la maladie mais qu'il n'y parvient pas
celle-ci étant trop complexe.
4. L'Humanité : une prise en
charge qui s'écarte du schéma classique
Le quotidien ne consacre aucun article entier au
problème de la prise en charge thérapeutique de l'anorexie mais
trois discours nous fournissent quelques indications quant à la
façon dont le quotidien se représente la démarche
thérapeutique. Comme pour Le Monde nous analyserons ces trois
articles séparément puisqu'ils présentent des perspectives
différentes.
a) Les médias comme
anti-sujets
Dans Le poids de l'argent665(*), Samantha, une jeune
anorexique, doit être hospitalisée dans une clinique canadienne
spécialisée dans les troubles du comportement alimentaire.
Cependant, son entrée dans la clinique ne dépend ni de sa
volonté, ni de celle des médecins mais des médias. En
effet, le traitement est si cher que la jeune fille est obligée de leur
vendre son image pour récolter les fonds nécessaires. L'image de
Samantha fait l'objet d'une lutte dans laquelle les « deux
géants des médias britanniques » sont en
compétition. Contrairement au « schéma
classique », les anti-sujets ne sont ni les médecins ni les
parents mais les médias « américains et
britanniques » désignés par les termes
suivants : « pas très catholiques »,
« avides », « aux dents
longues ». Ces adjectifs péjoratifs montre que
L'Humanité sanctionne les médias, les rend responsable
de l'éventuelle mort de la jeune fille. Le quotidien accuse
également le gouvernement « qui ne fournit pas ce type de
soins gratuitement » et la clinique qui « attend
[elle] aussi la réponse des magnas [...] avant d'investir dans la
guérison de Samantha ». Ici, l'enjeu de la prise en
charge thérapeutique n'est pas de convaincre la malade de se faire
soigner mais de trouver la somme nécessaire pour payer
l'hospitalisation. La thématique de l'article révèle cet
enjeu puisqu'il est construit autour de deux champs lexicaux : celui de la
mort et celui de l'argent. La survie de Samantha n'est qu'une question
financière, qui oppose des médias tout puissants et une jeune
anorexique, faible. Elle signe de « petits
contrats » avec des « géants des
médias britanniques ». La sanction du quotidien tombe tel
un verdict à la fin de l'article : « Alors, qui va
tuer Samantha ? L'anorexie ? Le cynisme des médias et celui de
la clinique ? Les gouvernements qui n'offrent pas ce type de soins
gratuitement ? ». La dernière question indique que
c'est au gouvernement que L'Humanité fait appel, il l'enjoint
à agir. Quelques années plus tard, le quotidien
réitère cet appel dans un autre article :
« les politiques publiques prennent à prendre de front la
question »666(*). L'hypothèse que nous avions
émise dans notre première analyse est donc confirmée, face
au « fléau social » qu'est l'anorexie, le
gouvernement doit prendre des mesures. Ce premier discours nous met en
présence d'un cas de figure atypique qui n'a aucun point commun avec la
prise en charge de l'anorexie telle que la décrivent les
spécialistes. Cependant, la position du journal est cohérente
avec ce que nous avons mis au jour dans les autres discours : les
médias étaient désignés comme le destinateur de
l'anorexie, ce sont donc logiquement aux qui viennent sanctionner la
performance de l'anorexique.
b) Une prise en charge volontaire
A travers le témoignage de Clara, la question de la
prise en charge est abordée d'une toute autre façon. La jeune
fille a décidé elle-même « d'aller voir un
psy » puis « d'aller dans les Alpes dans un centre
spécialisé pour les comportements anormaux ». En
conséquent, aucun anti-sujet n'est mentionné et aucune indication
ne révèle une résistance quelconque une fois à
l'hôpital. Clara relate brièvement son hospitalisation et la
phrase « j'étais coupée du stress d'ici, de la
famille » laisse penser qu'elle a été
isolée. Toutefois, cet isolement n'est pas décrit en termes
péjoratifs, bien au contraire. Le personnel médical est
présenté dans le rôle d'adjuvant :
« grâce à la
psy »667(*). Ce modèle de prise en charge
thérapeutique correspond à l'un des programmes narratifs que nous
avons identifié (cf. supra partie 2, IV.) mais c'est celui qui est le
moins courant. Nous pouvons supposer que L'Humanité a voulu
mettre en valeur la volonté de la malade. Même si nous sommes en
présence d'un témoignage qui rend
« impossible » l'intervention du journal, aucun indice
linguistique péjoratif ne vient discréditer, disqualifier les
propos de Clara. Enfin, notons que c'est surtout la prise en charge
psychologique qui est mise en avant dans les propos de Clara, même si
l'aspect nutritionnel est implicitement suggéré quand elle
évoque le centre spécialisé pour les comportements
anormaux.
c) L'isolement, un mode de prise en
charge rejeté
Un dernier article668(*) nous présente en quelques lignes l'isolement
thérapeutique qui est donc la seule modalité de prise en charge
évoquée dans les discours de L'Humanité669(*). Le terme
d' « isolement » n'est pas employé par le
journal qui indique juste que l'entrée à l'hôpital
« se fait sur la base d'un contrat de poids ».
Cependant, le récit qu'il fait de cette hospitalisation nous permet de
dire qu'il s'agit de l'isolement. La description est assez schématique
comme l'indique les termes suivants : « contrat de
poids », « ingurgiter »,
« chambres, avec toilettes, fermées à
clé », « les glaces sont en
hauteur »... Nous pouvons d'ores et déjà souligner
le manque de rigueur du quotidien dans la façon dont il décrit
cette prise en charge. En effet, comme nous l'avons dit, l'isolement n'est
quasiment plus pratiqué aujourd'hui, la séparation familiale
étant privilégiée. L'Humanité choisit donc
de décrire un traitement thérapeutique qui nous donne une
représentation erronée de la prise en charge telle qu'elle
s'effectue aujourd'hui. Tous les détails que nous donnent le
récit servent à dénoncer ce mode de prise en charge dans
lequel la vie des anorexiques semble être réduite au néant.
Le terme d' « internées » met en
valeur l'isolement des malades. Les patientes sont ingénieuses et
mettent en place des stratégies de résistance, elles
« planquent des laxatifs dans leurs chaussettes ou boivent deux
litres d'eau juste avant la pesée du médecin pour
augmenter leur poids ». Aucun adjuvant et aucun anti-sujet
n'apparaissent dans ces quelques lignes cependant, le médecin est
désigné de façon implicite comme anti-sujet puisque les
malades boivent avant « la pesée du
médecin ». De plus, les stratégies de
résistance des anorexiques sont bien destinées à mettre en
échec le protocole de guérison,
« l'arsenal » mis en place par les
médecins. Cette description de l'isolement thérapeutique est en
réalité extraite du témoignage d'une ancienne anorexique
que L'Humanité reprend à son compte. Cette
stratégie discursive qui consiste à s'approprier les propos d'un
autre sans les présenter comme un discours rapporté, nous indique
que le journal fait siennes les paroles de cette anorexique.
d) Une guérison
possible ?
L'Humanité aborde le thème de la
guérison essentiellement à travers le témoignage de
Clara670(*). Des
indications temporelles mettent l'accent sur la durée de cette
étape : ce fut « cinq années de
lutte », une « bataille [...] a
livrer pendant cinq ans », qui « a pris cinq ans,
c'est long ». A ces indices temporels s'ajoutent des termes tels
que « bataille » ou
« lutte » qui renvoient à la
difficulté qu'ont les anorexiques à se débarrasser des
pratiques qu'elles se sont forgées. Nous pouvons noter que les
« cinq ans » dont parle Clara, correspondent
à la durée moyenne que les médecins estime
nécessaire pour guérir. Le terme de
« bataille » n'est pas non plus sans rappeler la
métaphore de D. Rigaud sur la guerre (voir supra partie 2, IV. A). Les
risques de rechute sont également mentionnés :
« je croyais que c'en était fini de l'anorexie. Mais je me
suis retrouvée dans un autre système de comparaison, ambiance
concours. Ca a été un échec total et la chute du poids qui
va avec ». Cependant, la rechute est considérée
comme une étape normale vers la guérison, ce dont témoigne
le récit de Clara puisqu'elle réussit à guérir. A
travers les propos de cette jeune fille, le quotidien met en valeur le double
objectif de la prise en charge qui doit être à la fois
nutritionnelle et psychologique. Par exemple, elle explique que
« reprendre du poids, ce n'est pas guérir »
et l'expression « grâce à la psy »
met en évidence le rôle de la psychothérapie. La
guérison est présentée comme une renaissance :
« j'en suis sortie beaucoup plus forte », une
renaissance qui débouche sur une nouvelle identité, une
identité propre : « j'ai mes propres amis, je sais ce
que je veux. J'ai des projets de vie pour moi ». Dans ce
témoignage, le quotidien semble dire que l'anorexie est une maladie
curable qui dépend de la volonté de la malade.
Cependant, la même année, le quotidien publie un
autre article671(*) dans
lequel il est beaucoup plus pessimiste. La guérison n'est plus qu'une
éventualité : « si elles s'en sortent, les
séquelles n'en restent pas moins considérables :
l'espérance de vie est réduite, les carences sont à
vie ». Force est de constater que ce pronostic est
particulièrement pessimiste et erroné. En effet, le corps
médical estime qu'environ 70% des patientes guérissent
complètement. L'espérance de vie peut effectivement être
réduite mais cela ne concerne que les anorexiques chroniques. Les
spécialistes des troubles du comportement alimentaire insistent sur la
réversibilité des complications engendrées par la
maladie : aucune carence n'est à vie excepté
l'ostéoporose. L'Humanité ajoute que
« beaucoup de femmes rechutent en sortant »
lorsqu'elles ont été isolées, ce qui est véridique.
De cette façon, il met l'accent sur l'inefficacité d'un tel mode
de prise en charge, ce qui contribue encore à disqualifier cette
pratique.
Les discours propres du journal tendent à dramatiser
l'évolution de l'anorexie et la guérison reste très
hypothétique ; à l'inverse, le témoignage de Clara
révèle que la guérison est longue mais possible. Il y a
donc une dissonance entre ces deux récits comme nous l'avions
pointée mais le journal n'infirme pas les propos de la jeune fille.
Enfin, L'Humanité, en évoquant le suicide de la fille de
Patrick Poivre d'Arvor montre que l'anorexie peut être fatale. Solenn
« s'est donnée la mort » causée par
la souffrance672(*). Le
discours du quotidien met donc en avant la gravité de la maladie qui
peut déboucher sur la mort.
e) La prévention : un seul
conseil, ne pas lire les magazines
Pour L'Humanité, prévenir l'anorexie ne
consiste pas à informer les parents comme le fait La Croix mais
à mettre en garde les lectrices/lecteurs de magazine. En effet, les
médias, de par les normes corporelles qu'ils imposent aux femmes et aux
hommes, sont responsables du déclenchement de la maladie. Cela nous
permet de comprendre pourquoi le seul conseil que donne le journal en
matière de prévention est de ne pas lire les magazines
féminins673(*).
Ainsi, il s'adresse directement au destinataire du journal en leur
disant : « ne lisez pas les magazines féminins
messieurs »674(*).
L'analyse de ces trois articles nous a montré que la
représentation de la prise en charge de l'anorexie telle que la
décrit l'Humanité s'éloigne des
« schémas traditionnels »675(*) excepté le
témoignage de Clara qui établit une rupture par rapport au reste
du corpus. Chacun des discours met en avant un aspect particulier de la prise
en charge qui ne permet pas de répondre aux questions que nous avions
posées. En effet, dans les discours propres du journal, aucune
indication ne nous est donnée concernant le type de prise en charge
excepté le fait que L'Humanité dénonce la
pratique de l'isolement, le journal ne dit rien non plus d'un éventuel
soutien aux parents, il nous suggère que les rapports entre patiente et
soignant sont plutôt conflictuels et la guérison de l'anorexie
reste une éventualité. A l'inverse, dans son témoignage,
Clara nous suggère la nécessité d'une prise en charge
psychologique est nutritionnelle. Volontairement hospitalisée, elle
semble avoir des rapports pacifiques avec le personnel médical. Elle ne
nous dit rien d'une éventuelle prise en charge dont aurait
bénéficié ses parents. Enfin, son témoignage
illustre sa guérison.
Les discours propres du quotidien diffèrent donc
sensiblement de la représentation médicale de la prise en charge
et les propos erronés que tient le journal nous rappellent que s'il
considère bien l'anorexie comme une maladie, il n'aborde pas le
sujet dans une perspective médicale. Il vise plutôt à
dénoncer le rôle des médias dans la phase de la prise en
charge comme dans le déclenchement de la maladie. Toutefois, nous avons
pu noter une constante : la malade n'est jamais sanctionnée. En effet,
dans l'article qui évoque l'isolement, les stratégies de
résistance sont plutôt présentées comme des
réactions compréhensibles face aux privations qui sont
imposées aux patientes et L'Humanité semble accuser les
médecins plus que dénoncer les anorexiques.
5. Libération : la prise en
charge occultée
Le quotidien ne parle pas réellement de la prise en
charge et de ses enjeux, aucun article n'y étant entièrement
consacré. Nous trouvons quelques allusions qui ne font l'objet que de
quelques lignes dans quatre articles mais elles ne nous permettent pas de
définir précisément la position du journal. Par exemple,
Libération écrit que l'anorexie « est une
maladie psychique qui doit être suivie
médicalement »676(*) cependant, il ne détaille pas la façon
dont la patiente doit être prise en charge.
a) L'anorexique comme anti-sujet
Dans un premier article, le quotidien délègue la
parole à une psychiatre qui reconnaît que « la
médecine a pu faire des erreurs dans le traitement de ces pathologies,
mais aujourd'hui les aspects psychiatriques aussi bien que somatiques sont pris
en charge »677(*). Ici, les « erreurs »
font sans doute référence aux traitements endocriniens
utilisés au début du XXème siècle qui
ont entraîné la mort d'un certain nombre de malades, ou encore
à l'isolement qui s'est révélé être
inefficace dans le traitement de l'anorexie. Cet expert préconise un
mode de prise en charge globale comme la plupart des médecins
aujourd'hui. Elle ajoute que l'anorexie leur pose « un
problème déontologique : soigner des gens qui ne le veulent
pas ». Elle présente donc de façon implicite les
rapports entre soignants et patients comme des rapports conflictuels, une lutte
entre d'un côté un devoir faire et un vouloir faire (celui de
médecins) et de l'autre un ne pas vouloir faire (l'actant sujet refuse
d'être pris en charge). Autrement dit, le programme narratif du corps
médical s'oppose au programme narratif de l'anorexique. Enfin, elle
termine en disant que « c'est long, on stagne, mais on ne les
laisse pas tomber. Ce serait de la non-assistance à personne en
danger ». Elle met en valeur à la fois la
difficulté de la prise en charge des anorexiques mais aussi la
détermination des soignants qui juridiquement mais aussi moralement
doivent agir. Il est intéressant de noter qu'ici la prise en charge ne
dépend pas des compétences du corps médical puisqu'ils ont
à la fois le savoir faire, le devoir faire et le vouloir faire mais du
vouloir faire de l'actant sujet. Par le biais de cette psychiatre,
Libération nous livre une vision assez réductrice de la
prise en charge des anorexiques qui ne correspond qu'à l'un des trois
programmes narratifs possibles : la patiente refuse les soins. Cependant,
le discours est ambiguë car aucun indice ne nous dit si la malade refuse
d'être prise en charge ou résiste aux soins une fois
hospitalisée. L'exemple des créateurs de sites pro-anorexiques
vient renforcer l'idée d'une anorexique comme anti-sujet (par rapport au
programme narratif des médecins). En effet, la psychiatre les qualifie
d'« électrons libres » et de
« personnes en souffrance qui refusent les
soins ». Ces paroles d'un expert clôturent l'article, ce
qui peut laisser penser que derrière l'avis d'une psychiatre c'est son
opinion que leur journal nous donne. Nous avons remarqué que dans ces
deux articles, la parole est donnée aux médecins qui
témoignent de la difficulté de soigner des patientes anorexiques
mais les discours ne nous livrent aucun témoignage de malades. Cette
conception de la prise en charge se poursuit dans le reste du corpus.
Dans un second article l'anorexie est présentée
comme un « véritable défi pour les
spécialistes (pédopsychiatres et psychanalystes
principalement) » qui doivent « comprendre le
fonctionnement psychique de ces patientes qui `meurent de
plaisir' ». Cette citation est empruntée à P.
Jeammet qui insiste sur la difficulté et parfois l'incapacité des
médecins à comprendre l'anorexie. Cependant, là ne
réside pas toute la difficulté de la prise en charge. Si l'aspect
psychique est effectivement un enjeu majeur pour le corps médical, la
prise en charge nutritionnelle avec toutes les stratégies de
résistance que peut opposer la malade est tout aussi importante.
Libération fait allusion à la structure
hospitalière du service de P. Jeammet, que présente le livre, et
mentionne les parents, considérés comme
« `alliés du traitement' » notamment
grâce à la mise en place de « groupes de parole dans
lesquels ils s'écoutent et s'aident entre eux ». Il est
difficile de dire si l'usage des guillemets traduit une mise à distance
ou s'il signifie simplement que cette expression est celle de P. Jeammet.
L'étude des articles du corpus nous permet de faire
deux autres remarques par rapport à la façon dont
Libération aborde la prise en charge. Un journaliste
écrit que Caroline n'« est pas prête à
reprendre du poids »678(*). Par cette courte phrase, le journal rappelle que la
prise en charge thérapeutique dépend en grande partie du malade
et qu'elle n'est bénéfique que si la patiente collabore au projet
de soins. Accepter de manger à nouveau marque le début de la
guérison. Alors que dans ce récit l'anorexique semble dans une
attitude de refus de la prise en charge (cela n'est pas dit explicitement mais
nous pouvons supposer que si elle refuse de reprendre du poids, elle s'oppose
également à la prise en charge), un autre article nous
présente le cas de figure inverse. Libération
écrit que « Katja a décidé de se
soigner, pour dit-elle, `sauver [sa] fille' et ensuite pour [se] `sauver
[elle]-même' »679(*). La malade prend la décision
d'être hospitalisée, autrement dit l'actant sujet change de
programme narratif puisque son objet n'est plus de maigrir mais de
guérir. Il faut préciser que nous sommes face à un cas de
figure particulier puisque cette anorexique n'est pas adolescente mais adulte.
Ces deux exemples n'occupent que quelques lignes dans
l'ensemble du corpus cependant, il nous a semblé intéressant de
les mentionner parce que le quotidien n'aborde quasiment pas la phase de la
prise en charge de l'anorexie ; les rares indications dont nous disposons
sont à cet égard relativement importantes.
b) La guérison semble peu
probable
Libération considère que l'anorexie
« n'est pas incurable mais peut-être mortelle
»680(*). Nous
pouvons d'ores et déjà noter que le
« mais » contribue ici à insister sur le
risque de mortalité, reléguant ainsi l'éventualité
de la guérison au second plan. De plus, le quotidien parle de la
guérison sur le mode de la négation contrairement à
Santé Magazine qui affirme que l' « on en
guérit ». Le recours à la négation tend
à effacer l'aspect positif de la guérison. La suite de l'article
confirme que le quotidien attache plus d'importance au risque de
mortalité car il ajoute que « 7 à 10% des ados
meurent [de l'anorexie]. Soit par arrêt cardiaque à cause de la
dénutrition, soit par suicide. 70% des anorexiques retrouvent un poids
normal et une alimentation équilibrée, mais la moitié
conserve toutefois des difficultés psychologiques (dépression,
phobie, hypersensibilité, paranoïa..). Cette citation appelle
plusieurs remarques. Tout d'abord, cet article est très court, obligeant
donc le journaliste à concentrer les informations qu'il souhaite nous
donner. Nous devons donc noter qu'ici Libération choisit de
nous livrer plus de précisions sur la mortalité que sur la
guérison en elle-même. Ensuite, la structure de la phrase,
l'utilisation du « mais » contribue une fois
encore à mettre l'accent sur les conséquences négatives de
l'anorexie. Enfin, il est important de souligner que Libération
emprunte ces chiffres à P. Jeammet dans son livre Anorexie,
boulimie, les paradoxes de l'adolescence, nous avons donc comparé
les propos de cet auteur avec l'article de journal. Il en ressort que le
quotidien a délibérément supprimé des indications.
En effet, P. Jeammet précise que le suicide concerne
« presque exclusivement les anorexiques ayant des excès de
boulimie »681(*), que dans 20% des cas l'anorexie se chronicise et
que les difficultés psychologiques sont plus ou moins importantes et
durables. Quant à la dépression, il signale que ce sont
plutôt « des troubles d'ordre dépressifs se
rattachant à une `déprime' de fond plus qu'à un syndrome
dépressif majeur qui reste relativement rare (5 à 10% des
cas) ». « [La] dépression, [la] phobie et
[la] sensitivité » sont « plus ou moins
associés »682(*). Ainsi, la reprise des propos de P. Jeammet au
discours indirect libre, permet au quotidien d'éluder certaines
informations. Nous pouvons y voir une volonté de dramatiser la maladie
en donnant l'impression au lecteur que les chances de guérison sont
infimes au regard de toutes les complications qui peuvent subsister.
Il est intéressant de noter que dans la même
édition, Libération consacre un article entier au livre
de P. Jeammet que nous venons d'évoquer. Cette fois-ci, le quotidien se
réfère à l'ouvrage du médecin de façon plus
rigoureuse et prend en compte les éléments
précédemment « oubliés ». Cependant,
ce sont toujours les aspects négatifs de la maladie qui sont mis en
valeur. Par exemple, il mentionne que dans 20% des cas l'anorexie peut devenir
chronique, « ces patientes étant toutes leur vie en proie
à de très grandes difficultés psychiques ».
Ces précisions sont exactes et formulées par P. Jeammet en ces
termes cependant, le journal occulte des éléments pourtant
essentiels. D'une part, l'auteur précise que la chronicité de
l'anorexie ne dépend pas de la durée de la maladie mais de
l'état psychique de la malade. Une anorexique, malade depuis plusieurs
années, mais qui accepte d'être hospitalisée n'est pas
considérée comme une anorexique chronique. En outre, l'anorexie
chronique n'est pas irréversible, des personnes touchées par la
maladie depuis plus de dix ans peuvent un jour guérir. Enfin,
grâce à l'amélioration des traitements l'anorexie chronique
est en train de diminuer683(*). D'autres détails ont retenu notre attention
dans cet article : le quotidien écrit que « sans
compter le fait qu'une proportion importante de celles qui s'en sortent fait
des rechutes... ». Il met encore une fois l'accent les aspects
négatifs de la guérison et de façon erronée. En
effet, les rechutes font partie intégrante de la guérison et ne
signifient en aucun cas que l'adolescente ne va pas guérir. Un dernier
détail est tout aussi frappant. Le quotidien énumère les
symptômes qui persistent même quand les anorexiques retrouvent un
poids normal, et écrit : « sans compter l'alcoolisme
et parfois une pratique toxicomaniaque ». Le livre de P. Jeammet
(dont il est toujours question) ne dit rien de tel et nous n'avons
trouvé dans la littérature médicale aucune trace de la
tendance à l'alcoolisme des anorexiques.
c) Les destinateurs doivent prendre en
charge la prévention
Le thème de la prévention apparaît
à plusieurs endroits dans les discours de presse. Seulement elle n'est
pas le fait du corps médical mais de figures plutôt
surprenantes : c'est le destinateur qui doit prendre en charge la
prévention, c'est-à-dire empêcher que la maladie ne
survienne. Rappelons nous des destinateurs que désignait
Libération : la mode, les organisateurs de concours de
beauté et les sites pro-anorexiques : ce sont eux, qui, de
façon plus ou moins direct doivent prévenir la maladie. Par
exemple, un docteur a demandé aux organisateurs de concours de
beauté « de refuser dorénavant les candidatures de
jeunes filles trop maigres » « afin de promouvoir
un message de santé »684(*), c'est donc le destinateur de la maladie qui est
appelé à prendre des mesures. Dans un autre discours la
prévention semble venir de la télévision :
Libération annonce une émission sur l'anorexie et la
boulimie, une initiative qu'il qualifie de « bonne
idée »685(*). Ce serait donc à la télévision
qu'échouerait le rôle d'informer les téléspectateurs
de ce qu'est l'anorexie. Enfin, le quotidien souligne l'existence de
sites Internet qui remplissent un rôle d'information et de
prévention sur l'anorexie686(*). La posture du quotidien est assez étrange
puisqu'il renvoie à d'autres médias le rôle de
prévention alors même que l'anorexie est considérée
comme un problème de santé publique, dont la presse quotidienne
devrait se soucier.
Comme L'Humanité et Le Figaro, les
indications sur le mode de prise en charge que privilégie le quotidien
sont peu nombreuses. La nécessité d'une prise en charge somatique
et psychique de l'anorexique n'est évoquée qu'une seule fois. De
même, dans un discours, un expert mentionne les thérapies
familiales ce qui suggère que les parents doivent
bénéficier d'une prise en charge. Comme Le Figaro,
Libération nous décrit une anorexique qui refuse les
soins, il n'y a donc pas de relation qui puisse s'établir entre la
patiente et les soignants. Le journal se montre plutôt pessimiste quant
à la guérison et insiste sur les risques de mortalité.
Enfin, la prévention n'est pas très classique puisque c'est aux
destinateurs de s'en charger.
6. Santé Magazine : une
description de la prise en charge qui reflète les évolutions qui
ont marqué le traitement thérapeutique de l'anorexie
a) L'importance accordée à
la phase de la sanction
Santé Magazine est sans aucun doute celui qui
aborde la question de la prise en charge de l'anorexie de la façon la
plus détaillée et rigoureuse. Quasiment tous les articles
consacrent un voire plusieurs paragraphes à cette étape majeure
que représente la guérison. Cependant, si cela contribue à
établir un clivage avec les autres quotidiens de notre corpus, le
traitement médiatique de la prise en charge de l'anorexie n'est pas
surprenant dans un magazine de santé. Il aurait même
été étonnant que Santé Magazine occulte
cet aspect. Il est donc intéressant de voir si le traitement
thérapeutique préconisé évolue au cours de la
période, reflète les évolutions médicales que nous
avons mentionnées dans la partie précédente. En 1985, la
guérison de l'anorexie reste encore de l'ordre de l'hypothèse
puisque Santé Magazine titre Peut-on guérir
l'anorexie ?687(*). Cependant, cela ne signifie pas que la question de
la prise en charge est absente de l'article. Les experts convoqués
insistent déjà sur la nécessité d'un traitement
nutritionnel et psychothérapeutique. L'auteur, un médecin,
s'appuie sur son expérience professionnelle pour nous relater deux cas
de prise en charge totalement différents : dans le premier,
l'anorexique entretient des relations difficiles avec les médecins et
refusent le traitement, alors que dans le second, la malade décide de se
faire hospitaliser. L'anorexique n'est donc pas réduite au rôle
d'anti-sujet par rapport au programme narratif des médecins. Nous
n'irons pas plus loin dans l'analyse puisque cet article ne fait pas partie de
notre période d'étude mais il faut d'ores et déjà
souligner les nuances que proposent les discours du magazine. Nous devons
également évoquer quelques propos d'un article publié en
1988688(*), qui sont
ceux aussi assez révélateur de la façon dont
Santé Magazine aborde la question de la prise en charge.
L'hospitalisation avec isolement est décrétée
« indispensable » si la patiente ne reprend pas de
poids avec un suivi en ambulatoire. Le magazine précise que la reprise
de poids « ne signifie pas que l'adolescente est
guérie », un détail qui fait preuve d'une certaine
précision médicale. L'auteur conclut en disant que la maladie est
« parfaitement guérissable si elle prise
à temps », une façon de mettre en garde parents et
médecins, de les appeler à être vigilants. Les quelques
traits saillants des discours que nous venons de dégager se retrouvent
dans quasiment tous les articles suivants. Cependant, au-delà de ces
points communs, les récits médiatiques que nous propose le
journal témoignent d'une évolution similaire aux avancées
thérapeutiques.
L'étude des articles du corpus nous a permis de
distinguer quatre aspects dans la façon dont Santé Magazine
évoque la prise en charge de l'anorexie.
b) La prise en charge de l'anorexie, un
parcours en plusieurs étapes
Les articles publiés dans Santé Magazine
distinguent clairement les différentes étapes de la prise en
charge qui doit être à la fois nutritionnelle et psychique. Le
magazine souligne l'individualisation du traitement qui « varie
en fonction de la gravité de la maladie »689(*). Elle peut se
résorber en quelques jours dans le cas d'une anorexie passagère
ou nécessiter plusieurs hospitalisations, « c'est donc
individuellement que sera adapté le
traitement »690(*). Les discours répètent à
plusieurs reprises que la prise en charge doit se faire sur deux fronts. Quand
le journaliste écrit qu'« il est préférable
de proposer [...] une prise en charge psychologique en même temps qu'un
suivi médical `classique' », il donne ensuite la parole
à un médecin qui « insiste » sur le
fait que « cette thérapie `bifocale' est très
importante »691(*). La citation vient ici renforcer les propos du
journal. D'un côté, le « médecin
référent » contrôle le poids de la patiente
et prend en charge l'aspect somatique de la maladie ; de l'autre, le
psychothérapeute a « un rôle
d'écoute » et s'occupe de l'aspect psychique de
l'anorexie. Un autre article précise que « le suivi
médical et la prise en charge psychologique sont
indissociables »692(*).
Presque tous les articles présentent, de façon
plus ou moins détaillé, la prise en charge comme un processus en
plusieurs étapes. Santé Magazine préconise de
« montrer à un
généraliste »693(*) l'adolescente malade afin de diagnostiquer ou non
une anorexie mentale cependant « il n'est pas rare qu'elle vienne
consulter spontanément »694(*) car elle ne veut pas mourir.
Une précision qui nous rappelle l'aspect paradoxal de cette
maladie : l'anorexique risque sa vie mais n'a aucune intention suicidaire.
Le contrat de poids constitue la seconde étape identifiée par le
magazine : afin de renutrir la patiente, « le médecin
établit avec elle un `contrat' auquel elle s'engage à se
tenir »695(*). Contrairement à certains médecins qui
considèrent le contrat comme quelque chose de rigide, imposé par
le thérapeute, Santé Magazine met l'accent sur la
collaboration de l'anorexique à cette démarche. Ainsi, nous
trouvons les termes « avec elle » et
«ensemble »696(*) qui illustrent cette coopération, une
coopération qui « implique une relation de confiance entre
médecin et patiente »697(*). L'hospitalisation n'est envisagée que dans
un troisième temps, si le contrat de poids de donne pas de
résultats probants. Santé Magazine ne semble pas
être favorable à ce mode prise mais « il faut s'[y]
résigner »698(*) si l'adolescente de reprend pas de poids et que le
pronostic vital est en jeu. Dans les articles suivants la terminologie est plus
neutre et c'est le champ lexical de la nécessité qui
domine : l'hospitalisation est
« nécessaire »699(*),
« inévitable »,
« indispensable »,
« s'impose »700(*). Nous pouvons noter que les propos du magazine font
écho aux préconisations médicales, ce qui illustre
l'adéquation d'avec les discours scientifiques.
La prise en charge par étapes dont parle
Santé Magazine est une constante sur toute la période
cependant, nous avons décelé des évolutions notamment par
rapport à la question de l'isolement. Les premiers articles
décrivent l'hospitalisation avec isolement tel qu'il était
pratiqué au XIXème siècle mais peu à peu
le journal abandonne cette représentation. En 1991, le témoignage
d'une ancienne anorexique sous-entend qu'elle a été isolée
puisque le « médecin [lui] avait confisqué tous
[ses] objets personnels et [lui] faisait du chantage »701(*). Cependant, le terme
« isolement » ne figure pas dans l'article et le magazine
ne décrit pas le déroulement de l'hospitalisation. Dans
l'article suivant le discours est explicite : « la patiente
[reste] isolée de son entourage familial pour instaurer une
distance » et « chaque progrès de
l'anorexique est récompensé »702(*). Aucun indice ne permet de
dire que le magazine rejette ce mode prise en charge, les termes sont
plutôt neutres et aucun expert n'est convoqué pour contredire
cette thérapie. En 1997703(*), Santé Magazine signale que
« l'isolement du jeune anorexique de son entourage familial [...]
est toujours de mise ». Le magazine semble parler au nom des
parents quand il se pose la question : « Pourquoi cette
séparation ? ». A la différence de La
Croix qui pose une question identique pour mieux critiquer ce mode de
prise en charge, Santé Magazine laisse la parole à deux
experts qui viennent argumenter cette pratique. P. Jeammet
« explique » que la séparation du milieu
familial permet à la malade de devenir plus autonome, et le docteur
Bochereau « confirme » que dans un premier temps
« la séparation avec la famille est
catégorique ». Le droit aux visites est une
récompense qui sanctionne la reprise de poids. En convoquant ces deux
experts, le magazine nous donne son opinion, il légitime l'isolement.
Cependant, l'isolement dont il est question dans cet article n'est pas
l'isolement tel qu'il était pratiqué au XIXème
siècle et jusque dans les années soixante-dix. La description
qu'en fait le docteur Bochereau laisse plutôt penser à une
séparation familiale au sens où la définit P. Jeammet (cf.
supra partie 2, IV) A) 1)) car la malade n'est pas enfermée dans sa
chambre mais participe à des activités de groupe. A partir de
l'article suivant, une évolution est perceptible puisque l'isolement et
plus largement l'hospitalisation ne sont pas mentionnés. Le basculement
se produit en 2003704(*)
quand Santé Magazine interviewe un expert qui qualifie
l'isolement de « trop rigide » parce
qu'« il crée une rupture, alors que l'objectif est que
chacun retrouve sa place dans la famille ». L'enjeu est de
« dénouer les conflits familiaux et [de] rétablir
le dialogue » ce que ne permet pas l'isolement. Cette critique
est celle d'une psychiatre spécialisée dans la psychopathologie
de l'enfant et de l'adolescent, ce qui renforce d'autant plus les propos. Il
faut noter que l'argument principal qu'elle invoque est identique à
celui que D. Rigaud oppose aux partisans de l'isolement. Le refus de cette
thérapie est donc assez répandu dans la sphère
médicale. Le dernier article semble confirmer le basculement de la
position du magazine puisque le journaliste précise que
l'hospitalisation est nécessaire quand l'état de santé
générale est mauvais mais ne dit rien d'une éventuelle
séparation familiale. Il faut ajouter qu'en plus d'une prise en charge
nutritionnelle et psychologique, Santé Magazine évoque
la « thérapie cognitive [qui] complète les
stratégies comportementales » et qui permet d'identifier
« les croyances erronées »705(*) qui ont conduit
l'adolescente à la maladie. Ce détail révèle le
souci de précision du magazine qui aborde la question de la prise en
charge de façon rigoureuse, en informant le lecteur de toutes les
possibilités existantes. Il précise également qu'en cas
d'angoisses, des antidépresseurs peuvent être prescrits. Ces
informations sont exactes d'un point de vue médical et rappellent que le
rôle de ce type de magazine est d'informer ses lecteurs sur des
problèmes médicaux.
Nous pouvons remarquer que dans l'un des articles706(*), l'isolement est
attribué à C. Lasègue et aurait été repris
par Charcot. D'après ce que nous avons pu lire, il semble que ces propos
sont erronés et reflètent peut être un manque d'information
de la part du magazine ou une confusion quant à l'origine de cette
pratique.
c) L'anorexique face aux
médecins
Nous avons vu qu'au cours du XXème
siècle, les relations entre le corps médical et les anorexiques
ont peu à peu évolué pour aboutir à des rapports
moins conflictuels. Les discours de Santé Magazine
témoignent de ses évolutions. Dans les articles
publiés avant 1990, l'anorexique est décrite comme
résistante et menteuse, elle nie
« obstinément » sa maladie707(*). Plusieurs termes ou
expressions connotent la fermeté du médecin. Par exemple,
« il ne [...] tutoie jamais » sa
patiente », et prend la décision de l'hospitaliser
« sans faiblesse »708(*). Dans les discours suivants,
la confiance et la collaboration remplacent la rigidité des rapports
médecin/patiente. Le psychiatre « tente d'instaurer un
dialogue »709(*), établit « le contrat avec
elle »710(*). L'article publié en 1997 est sans doute
celui qui met le plus en valeur cette évolution dans les rapports entre
le soignant et la malade car Santé Magazine donne la parole au
docteur Archambeaud, un médecin généraliste, qui explique
comment il procède avec ses patientes. Il reçoit les jeunes
filles en leur « consacrant du temps » et les
aident « à réfléchir à ce qui lui
arrive »711(*). Ce témoignage illustre l'attention
portée à la malade, et la position d'écoute dans laquelle
se place le thérapeute. Même dans la description de
l'hospitalisation, Santé Magazine emploie des termes qui
révèlent cette prise en compte du patient :
« on lui propose de prendre ses repas en
commun [...] en offrant des menus variés »,
la sonde gastrique qui n'est utilisée qu'en dernier recours est
qualifiée de « forcing alimentaire »,
l'hôpital étant conçu comme « un nouvel
espace dont l'anorexique a besoin pour se `restaurer' ».
L'article suivant712(*)
confirme que la relation entre la patiente et le médecin n'est plus
basée sur l'autorité et la supériorité mais sur
l'égalité. Ainsi, Santé Magazine écrit que
qu' « aujourd'hui, les médecins semblent s'accorder
à dire qu'ils ne faut pas user de la force : elle ne fait que
renforcer l'anorexique dans ses positions ». Cet abandon de
l'autorité laisse place à l'impuissance :
« même le médecin ne peut imposer la
vérité médicale, il doit donner à l'anorexique les
connaissances suffisantes pour assurer sa propre surveillance ».
Dans cet article, c'est l'impuissance du corps médical qui est mise en
valeur dont les compétences professionnelles ne suffisent pas à
guérir les anorexiques. Il doit se limiter à
« donner les armes, les connaissances » qui
permettront à l'adolescente de comprendre qu'elle est malade, une
démarche qui suppose « beaucoup de temps, d'écoute
et de patience ». La représentation de la prise en charge
dans les discours de Santé Magazine est similaire à ce
que la plupart des spécialistes recommandent aujourd'hui en terme de
thérapie pour l'anorexie. Pour le magazine, le traitement
thérapeutique se base donc sur une relation de coopération dans
laquelle la patience et l'écoute sont primordiales. C'est pourquoi,
aucun discours n'évoque les stratégies de résistance de
l'anorexique qui « n'est pas un opposant, mais dans le refus
d'une maladie puisqu'il ne la voit pas »713(*).
d) Les parents, des alliés
thérapeutiques à ne pas négliger
La figure des parents est présente dès les
premiers articles de Santé Magazine mais là aussi une
évolution est perceptible. En effet, dans les années quatre
vingt, la mère d'une patiente est pointée du doigt car elle a
refusé que sa fille ne suive une psychothérapie pourtant
indispensable à sa guérison714(*). Dans un autre article, le magazine affirme que la
guérison dépend « du changement d'attitude [des]
parents »715(*). Les parents représentent donc un handicap
pour la guérison. Toutefois, dans les articles suivants publiés
dans les années 90, ces propos accusateurs disparaissent. Au
début, le magazine écrit juste que la prise en charge est
vécue par les parents, « en particulier la
mère » comme une « situation
douloureuse »716(*). Il faut préciser que dans les deux articles
qui suivent les parents n'occupent aucun rôle dans la prise en charge.
Nous pouvons mettre en rapport ce silence avec la thérapie
proposée par Santé Magazine. En effet, il est difficile
d'être favorable à l'isolement et en même temps de
considérer les parents comme des alliés thérapeutiques.
Cependant, le journal résout cette « tension » en
1997, date à laquelle le rôle des parents est explicitement
présenté comme « énorme dans la
guérison ». il précise que la séparation
familiale ne signifie pas le désinvestissement des parents avec lesquels
« toutes les décisions sont prises ». Outre
leur participation à la démarche thérapeutique, les
discours insistent sur l'aide à apporter aux parents. Santé
Magazine sous-titre par exemple : « il faut aider
aussi les parents »717(*) et répète donc le corps de l'article
qu' « il est important de les aider ». Ils ne
doivent pas « culpabiliser » mais
« lutter ensemble contre cette maladie ». Pour les
aider, « des entretiens avec des
psychothérapeutes » mais aussi « des
rencontres avec d'autres parents sont proposés
régulièrement ». Afin de mettre en valeur les
difficultés auxquelles sont confrontées les familles, il donne la
parole aux parents d'une malade qui racontent leur
« enfer ». Un expert renchérit :
« en plus de se sentir coupables, les parents souffrent de cette
séparation ». Cet article peut sembler original puisqu'il
recommande la séparation familiale comme mode de prise en charge tout en
insistant sur le rôle des parents dans la thérapie de leur enfant.
En réalité, il révèle que la séparation
familiale telle qu'elle est pratiquée aujourd'hui est bien loin de
l'isolement, un mode de prise en charge qui excluait totalement les parents.
Cet article fait figure de rupture, les parents sont désormais
considérés comme des alliés thérapeutiques et
« il est essentiel de [les] associer [...] à la
thérapie, à travers des `entretiens familiaux', pour les rassurer
et les déculpabiliser »718(*). Dans le dernier article de notre corpus, le
magazine sous-titre « soutenir le jeune et sa
famille » ce qui met bien en évidence la
nécessité d'accompagner les parents. De plus, la
« psychothérapie familiale » y est
présentée comme faisant partie intégrante de la prise en
charge alors qu'en réalité elle n'est pas indispensable. Cela
révèle que le magazine y est favorable, elle doit permettre
d'aider les parents « souvent
désespérés ». Nous pouvons donc dire que
les discours de Santé Magazine ne sont le reflet de
l'évolution de la place des parents dans la prise en charge de
l'anorexie au cours du XXème siècle.
Pour Santé Magazine, le rôle des parents
ne se limite pas seulement à la participation active à la
démarche thérapeutique. A plusieurs reprises le magazine
interpelle les parents qui doivent surveiller leur enfant, le conduire chez le
médecin si besoin il y a. Des conseils sont formulés tels
que : « dans l'absolu, il faut savoir qu'une adolescente qui
commence à perdre plusieurs kilos rapidement est à surveiller. La
solution la plus sage consiste à la montrer à un
généraliste »719(*). Si l'interpellation n'est pas directe, c'est
pourtant bien aux parents que le magazine s'adresse. Il adopte également
une posture préventive en décrivant
Dans plusieurs articles, le système énonciatif
est modifié suggérant un « dialogue » avec
les parents. Par exemple, Santé magazine fournit des
recommandations : « si vous avez du mal à dialoguer avec
votre enfant, surtout ne baissez pas les bras »720(*), ou « si vous
parents, avez l'impression que votre fille mange de moins en moins ou devient
obsédée par la minceur et les calories [...] il est important de
ne pas négliger ce qui ressemble fort à l'un des signes
d'alerte »721(*). Il revient donc aux parents de faire attention afin
de déceler un éventuel signe de l'anorexie. Dans cette
perspective, Santé Magazine informe les parents des
symptômes de l'anorexie et adopte une démarche didactique. Ainsi,
nous trouvons des encarts intitulés : L'avis médical,
retenez bien ceci qui explique comment repérer les signes de
l'anorexie mentale722(*)
ou encore « les signes que les parents doivent apprendre à
détecter », « retenez bien ceci [...] il
est relativement simple de constater les signes
d'anorexie »723(*), « Comment détecter chez un ado
les premiers signes au plus vite »724(*), « parents
soyez attentifs si... »725(*)... La démarche de prévention vise
uniquement à informer les parents afin qu'ils soient capables de
repérer éventuellement le trouble de leur enfant.
e) Une guérison de plus en plus
certaine
Le thème de la guérison est sans doute celui qui
permet de mesurer le mieux l'évolution des discours du magazine, une
évolution qui reflète les progrès thérapeutiques.
En effet, comme nous l'avons évoqué la guérison est
présentée au milieu des années 80 comme une incertitude.
Peu à peu, cette incertitude va laisser place à
l'affirmation et les propos du magazine se font plus optimistes :
« On peut en guérir » nous dit
Santé Magazine faisant ainsi écho à la question
posée dans les années 80, à une période où
la maladie était encore mal connue. Nous avons également
remarqué que les pronostics concernant la guérison
évoluaient. Dans les années 80 ce sont seulement un tiers des
anorexiques qui « évoluent favorablement »
ce qui « signifie que l'aménorrhée disparaît,
les conduites alimentaires se normalisent et l'insertion sociale
réapparaît de manière favorable », un tiers
qui « présente une amélioration
incomplète » et le dernier tiers qui peut
« évoluer soit vers la chronicité avec risque de
mort, soit vers la dissociation psychotique
schizophrénique ». Dans les articles publiés en
1988 et en 1991, la répartition reste identique cependant, le magazine
ne se montre pas pour autant pessimiste. Il affirme que
« malgré ce sombre tableau, il faut savoir que l'anorexie
mentale est une maladie parfaitement guérissable si elle est prise
à temps »726(*), que « surtout on peut en
guérir »727(*). En 1996, « on considère que 70
à 80% des anorexiques `guérissent' »
néanmoins « des troubles psychologiques
persistent souvent » mais le magazine indique que
« des aides existent. Il ne faut pas attendre pour
consulter »728(*). Enfin, en 1997, Santé Magazine ne
mentionne plus que les « deux tiers des
anorexiques » qui sont rétablies sur le plan physique
même si chez certaines « on retrouve des séquelles,
des difficultés psychologiques [...] d'où l'importance de
poursuivre une psychothérapie »729(*). Nous pouvons noter que non
seulement les chiffres ont évolué mais aussi que le magazine ne
mentionne plus la part d'anorexiques qui ne guérit pas, ce que nous
pouvons interpréter comme une volonté de se montrer optimiste par
rapport à l'évolution de la maladie. A ce titre, nous avons
remarqué que peu de discours nous fournissent le taux de
mortalité de l'anorexie : en 1996, ce sont 5% qui en meurent et en
2001 « 10% en meurent, à ce qu'il
paraît »730(*).
Enfin, la guérison est longue et
« nécessite plusieurs
années »731(*) c'est pourquoi Santé Magazine
répète à plusieurs reprises que les parents
« doivent donc s'armer de patience et de
persévérance »732(*), il « faut beaucoup de patience et de
compréhension »733(*) aux anorexiques. Les différents
éléments que nous avons mentionnés nous permettent de dire
que les parents sont non seulement des alliés indispensables pour la
guérison de leur enfant mais qu'ils doivent aussi prévenir la
maladie en apprenant à en détecter les symptômes.
Les discours de Santé Magazine se rangent
indiscutablement du côté du corps médical et tous les
éléments que l'analyse des articles de presse nous a
révélés sont le reflet des évolutions qui ont
affecté la prise en charge de l'anorexique au cours du
XXème siècle. Le magazine insiste sans surprise sur la
nécessité d'une prise en charge nutritionnelle et psychique de la
malade. Dans les années 80, c'est l'isolement qui est
privilégié comme modalité de traitement, puis il est
progressivement abandonné pour laisser la place à la
séparation familiale. En 2003, un expert condamne définitivement
cette pratique, une condamnation qui symbolise le rejet de cette
thérapie par le corps médical. La séparation familiale
disparaît elle aussi des discours du magazine. Les relations entre
l'anorexique et les médecins témoignent eux aussi de
l'évolution qui s'est fait jour dans la seconde moitié du
XXème siècle. La fermeté du médecin
laisse place à une relation de collaboration sur un pied
d'égalité. Enfin, les parents, qui étaient pointés
du doigt dans les premiers discours sont progressivement
considérés comme des alliés thérapeutiques
indispensables qui doivent néanmoins bénéficier d'une
prise en charge.
Dans ce dernier volet de notre analyse, nous avons
montré que le clivage subsistait entre d'un côté la presse
magazine de santé, de l'autre la presse quotidienne en ce qui concerne
la précision des discours. Comme Santé Magazine, tous
les quotidiens affirment la nécessité d'allier une prise en
charge nutritionnelle à une prise en charge psychologique de
façon plus ou moins détaillée, c'est le seul
élément qui fasse consensus. En ce qui concerne le traitement
thérapeutique privilégié nous pouvons distinguer ceux qui
se prononcent sur le mode du refus de ceux qui optent pour une prise en charge
précise. Ainsi, La Croix rejette l'isolement et la
séparation familiale et L'Humanité dénonce
également l'isolement. La position de Le Monde par rapport
à l'isolement est ambiguë mais il affirme qu'il n'y a pas de
traitement simple et univoque. Le Figaro délègue la
parole à un expert qui nous parle de la séparation familiale
tandis que Libération se contente de présenter
l'anorexique comme refusant les soins.
Les évolutions qui ont marqué les relations
entre le corps médical et les patientes anorexiques ne sont
évoquées dans aucun des quotidiens. La Croix n'y fait
aucune allusion, Le Figaro et Libération nous
racontent l'histoire d'anorexiques qui refusent d'être
hospitalisées tandis que L'Humanité et Le Monde
nous décrivent les stratégies de résistance des
patientes face au corps médical. Ces éléments ne figurent
souvent que dans un seul et même article, ce qui ne permet pas de
déceler une évolution sur notre période d'étude. A
l'inverse, les discours de Santé Magazine sont le reflet des
évolutions qui ont affecté la prise en charge de l'anorexie au
XXème siècle, il y a donc adéquation avec les
discours médicaux.
Santé Magazine et La Croix insiste
sur la prise en charge des parents qui sont également
considérés comme des alliés thérapeutiques, une
position qui est aussi celle de Le Monde si nous faisons abstraction
du cas particulier que représente l'histoire de Séverine. Par
contre, L'Humanité et Le Figaro ne font aucune
allusion à la prise en charge des parents. Enfin, nous avons
mentionné l'ambiguïté de la position de
Libération.
La question de la guérison de l'anorexie ne fait pas
non plus l'unanimité : La Croix se veut optimiste alors
que Libération et L'Humanité envisagent
plutôt les aspects négatifs notamment le risque de
mortalité ; Le Monde suggère implicitement qu'une
guérison complète est possible et Le Figaro laisse
croire à une guérison d'un degré variable selon les cas.
Les discours de Santé Magazine soulignent quant à eux
l'amélioration du pronostic de guérison de l'anorexie.
Enfin, la prévention est absente des discours de Le
Monde et du Figaro tandis qu'elle revêt des formes
atypiques dans les discours de L'Humanité et de
Libération : pour l'un il suffit d'arrêter de lire
la presse magazine, pour l'autre c'est aux destinateurs de prendre en charge la
prévention. Enfin, en ce qui concerne Santé Magazine
nous avons souligné la démarche préventive qu'il
adoptait, une prévention essentiellement destinée aux parents.
CONCLUSION
L'objectif de ce travail était de comparer les
représentations de l'anorexie véhiculées par la presse
d'information générale et par la presse magazine de santé
afin de mettre au jour des similitudes et/ou des divergences dans le traitement
médiatique dont cette pathologie fait l'objet. Notre première
hypothèse était que la presse magazine de santé valorise
un idéal de minceur et véhicule des normes corporelles, ce qui la
place dans une posture différente de la presse quotidienne. Nous
pensions que cette différence induirait des divergences dans la
représentation de l'anorexie notamment en ce qui concerne le facteur
déclencheur de la maladie. Nos analyses nous permettent en partie de
confirmer cette hypothèse : il y a bien un clivage entre la
représentation de l'anorexie mentale que véhicule la presse
magazine et celle que véhicule la presse d'information
générale, que nous avons souligné dans chaque volet de
notre étude. Les discours de la presse magazine de santé se
calquent sur les discours médicaux pour nous fournir une
représentation de l'anorexie précise tandis que la plupart des
quotidiens n'abordent pas vraiment la maladie et tiennent parfois des propos
erronés. Cependant, il nous faut nuancer cette conclusion puisque
nous avons relevé des clivages au sein même de la presse
quotidienne. Les discours de La Croix par exemple sont souvent
similaires à ceux de Santé Magazine, ceux de Le
Monde font preuve d'une certaine rigueur. Ce sont essentiellement les
articles publiés par Le Figaro, Libération et
L'Humanité qui présentent des erreurs, des
imprécisions quant à la représentation de la maladie
qu'ils véhiculent. En ce qui concerne le facteur déclencheur de
la maladie, le clivage ne s'établit pas entre la presse magazine de
santé et la presse quotidienne. En effet, si Santé Magazine
rejette le facteur socioculturel comme facteur déclencheur de
l'anorexie, cette position est aussi celle de La Croix et leur
position s'appuient sur des discours d'experts. Nous pouvons souligner que le
type de presse influence bien les représentations
véhiculées puisque les discours de Santé Magazine
sont les seuls à être si précis et à fournir
une information de type médicale, ce qui en soi n'est pas
étonnant. Le magazine remplit bien le rôle qui lui est
dévolu : informer et prévenir. De même, l'absence ou
la faiblesse des données médicales dans les discours de presse
d'information générale est à imputer à leur
position : leur mission est essentiellement d'informer des
événements politiques, économiques et sociaux. Même
si un quotidien comme Le Monde dispose d'une rubrique
Médecine, les sujets médicaux ne relèvent pas de
leurs compétences. En outre, nous avons souligné que Le
Figaro mais aussi Libération assimilaient l'anorexie
à une maladie complexe ce qui peut également expliquer leur
« silence » sur la maladie.
Notre deuxième hypothèse concernait
l'évolution des termes employés pour désigner l'anorexique
qui serait passée du statut de responsable de sa maladie à la
position de victime. Nos analyses ne permettent pas de confirmer qu'au
début de la période l'anorexique était
considérée comme responsable de sa maladie par contre plusieurs
quotidiens la qualifient explicitement de victime. Libération
considère que les anorexiques sont victimes de l'idéologie
de la minceur et Santé Magazine déclare également
que les anorexiques sont des victimes. Les autres discours de presse
suggèrent également que l'anorexique est une victime en
évoquant les conséquences physiques de la maladie et souvent le
risque de mort.
Enfin notre dernière hypothèse était
liée à l'évolution des rôles attribués aux
parents, aux professionnels de santé et à la sphère
politique. Seuls les discours de La Croix et Santé Magazine
permettent de confirmer qu'il y a bien eu un déplacement de la
figure des parents et de celle des médecins entre la fin des
années 80 et aujourd'hui. Les parents sont passés du statut de
destinateur de la maladie à celui d'alliés thérapeutiques,
c'est-à-dire d'adjuvants dans la guérison de leur fille. Cette
évolution reflète les modifications qui ont affecté la
prise en charge de l'anorexie. De même, le rôle du corps
médical a évolué comme nous l'ont
révélé les discours de presse ou plus exactement les
rapports entre soignants et patiente. La collaboration et la confiance se sont
substituées aux rapports de force et d'autorité, une
évolution dans les discours qui ne fait que refléter ce qui s'est
réellement joué dans la sphère médicale.
La représentation de l'anorexie n'a donc pas
réellement évolué au cours de notre période
d'étude excepté en ce qui concerne les rôles
attribués aux parents et aux médecins. De plus, il faut souligner
que ces représentations ont été particulièrement
influencées par les représentations du XIXème
siècle et que la plupart des idées évoquées dans
les discours avaient déjà été émises au
siècle précédent.
Afin d'affiner nos analyses, il aurait été
intéressant d'utiliser également des discours de la presse
magazine féminine comme Elle, Marie-Claire... Cependant, nous
avons mentionné les raisons pour lesquelles nous n'avons pas pu inclure
dans notre corpus ce type de magazine. Nous aurions pu également
procéder à une analyse synchronique d'un événement
afin de voir si les similitudes et les divergences que nous avons
pointées se confirmaient.
Enfin, nous avons souligné l'écart entre le
discours médical qui considère l'anorexie comme un
problème de santé publique et le traitement médiatique
dont fait l'objet cette pathologie dans la presse. Un écart qui nous
permet de dire comme le souligne E. Neveu qu' « il n'existe
pas de lien mécanique entre l'importance
« objective » d'un fait social et sa percée en tant
que problème ». Il s'interroge sur la question de la
médiatisation et pose les questions suivantes :
« pourquoi certains problèmes réussissent-ils mieux
que d'autres ? Comment expliquer les différences de
médiatisation et d'accès à l'espace public ? Pourquoi
les distorsions observables entre la façon dont un problème donne
lieu (ou non) à un débat public et à une action publique
(ou pas)... la seconde pouvant être déconnectée de la
première et réciproquement ? »734(*). En ce qui concerne la
question de l'anorexie comme « problème public »,
les analyses auxquelles nous avons procédées nous permettent
d'apporter quelques éléments de réponse : nous
pensons pouvoir dire que contrairement à d'autres faits scientifiques
telles que l'ESB ou les OGM, l'anorexie n'a pas suscité une
médiatisation particulière parce qu'elle concerne qu'un nombre
limité de personnes et n'a pas un impact direct sur la
société. En effet, les OGM par exemple posent des questions de
sécurité alimentaire qui peuvent potentiellement affecter
l'ensemble de la société tandis que l'anorexie mentale de
l'adolescente ne peut pas s'étendre au-delà d'un cercle bien
limité. Ensuite nous pouvons dire qu'il y a une légère
distorsion entre le « débat public » dont fait
l'objet l'anorexie et l'action publique. En effet, nous pouvons
considérer que toutes les émissions
télévisées participent d'un débat public sur
l'anorexie alors qu'elle ne fait pas encore ou peu l'objet d'action publique.
Nous pouvons avancer une autre raison qui pourrait expliquer
l'absence de médiatisation de l'anorexie : certains
événements ou faits scientifiques sont étroitement
liés à la sphère politique. Par exemple, l'affaire du sang
contaminé qui relève bien de la sphère médicale,
est devenue un scandale parce que liée à la sphère
politique. Cette remarque n'est pas spécifique aux faits scientifiques,
tout événement qui se trouve avoir un lien avec la sphère
politique fait l'objet d'une médiatisation importante. Or, l'anorexie
est un problème de santé publique mais reste l'objet de la
sphère médicale et n'a a priori pas de liens particuliers avec la
sphère politique, ce qui peut-être également l'une des
raisons de l'absence de médiatisation, de la non-existence de l'anorexie
comme problème public. D'ailleurs nous avons noté que dans
plusieurs discours de presse que B. Chirac présentait sa
notoriété comme un handicap pour sa lutte contre la maladie de sa
fille, ce qui illustre bien l'absence de lien entre anorexie et sphère
politique. De plus, si Patrick Poivre d'Arvor et Bernadette Chirac sont bien
des personnes issues de la sphère politico-journalistique, lorsque leurs
propos sont rapportés par les quotidiens, ce n'est pas en tant qu'acteur
politique mais en tant que parents au même titre que n'importe quel
parent d'adolescente anorexique. Enfin nous avons pu remarquer la
spécificité des experts convoqués. Outre le clivage entre
les quotidiens qui recourent souvent aux experts et ceux dont les récits
donnent peu la parole à un tiers ; les experts sont presque
exclusivement des experts scientifiques. Aucun acteur institutionnel ou
politique ne participe à l'élaboration du récit, ce qui
indique bien que l'anorexie n'est pas encore un problème public dont se
seraient saisis les hommes politiques.
La transformation d'un fait social en problème public
nécessite « un travail de construction symbolique du
problème »735(*) auquel participent les discours de presse, un
travail qui reste encore à faire afin que cette pathologie grave
devienne un problème public.
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Le site de La Croix : www.la-croix.com
Le site de l'Humanité :
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Le site des Editions Masson : www.masson.fr
Corpus :
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- « Ces femmes qui veulent à tout prix
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- « "Je suis anorexique, mais tout va très
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- « Dossier. Anorexie. Les anorexiques doivent-ils
être séparés de leur famille ? Le rôle des
parents », 18 janvier 2005, p. 13.
- « Dossier. Anorexie. Les anorexiques doivent-ils
être séparés de leur famille ? Face à des anorexies
graves, certains services spécialisés ont parfois recours
à des hospitalisations avec séparation familiale, une pratique
qui fait débat », 18 janvier 2005, p. 13.
- « Dossier. Anorexie. Les anorexiques doivent-ils
être séparés de leur famille ? Une maladie qui reste
mystérieuse. L'anorexie mentale est liée à des facteurs
d'ordre génétique, social, familial, psychologique et
environnemental », 18 janvier 2005, p. 14.
- « Dossier. Anorexie. Les anorexiques doivent-ils
être séparés de leur famille ? Pour comprendre et faire
face à l'anorexie », 18 janvier 2005, p. 15.
- « Dossier. Anorexie. Les anorexiques doivent-ils
être séparés de leur famille ? "Il faut croire dans les
ressources de son enfant". La fille d'Emma et Philippe (1) a été
soignée pour une très grave anorexie. Sa mère raconte
cette épreuve. Témoignage », 18 janvier 2005, p. 15.
Le Monde :
- « La tragédie bouffe », 22 mars
1989, p. 20.
- « Le contrat de poids », 22 mars 1989,
p. 20.
- « Danse avec la mort. Sa mère avait report
sur elle ses rêves de danseuse toile Séverine, douze ans, a failli
en mourir », 25 juillet 1992, p. 9.
- « Une volonté de fille de fer »,
4 février 1994, p. 3.
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- « Télévision : l'une des filles de
Patrick Poivre d'Arvor, Solenn, atteinte d'anorexie mentale, s'est
suicide », 31 janvier 1995, p. 21.
- « Venir en aide aux jeunes anorexiques et à
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- « Le combat personnel de Bernadette Chirac contre
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s'inquiètent de la dictature de la minceur. Quatre parcours conduisant
vers la petite anorexie », 22 novembre 2003, p. 26.
- « Maux d'adolescents, Plonge dans la nouvelle
structure de soins dirige par Marcel Rufo », 25 avril 2005, p. 12.
Le Figaro :
- « Un colloque à Londres sur les
désordres alimentaires ; les batailles de l'anorexie », 25
avril 1997,
- « Congrès de la psychiatrie biologique
à Nice ; boulimie et anorexie sous l'influence de la
sérotonine », 25 juin 1997
- « XIVe Arr. - Enfermées dans la
misère, l'isolement, le chagrin et la folie ; deux soeurs au bout de la
faim », 21 novembre 1998
- « TF1, Bernadette Chirac chez Courbet »,
15 avril 2000
- « France 2, Mourir de faim » ; 27
mai 2000
- « XIVe Arr. L'établissement sera
spécialisé dans la lutte contre l'anorexie ; La
première Maison des adolescents ouvrira en 2003 », 07 juillet
2001
- « France 2, Savoir plus
santé » ; 01 juin 2002
- « Jacqueline Kelen, `L'anorexie n'est pas une
maladie' », 01 novembre 2002
- « Face à la progression de
l'anorexie, de l'obésité et de la
dépression, Xavier Darcos lance aujourd'hui une série de mesures
destinées à renforcer la médecine scolaire ;
Santé des enfants : des signaux alarmants », 26
février 2003
- « Bernadette Chirac évoque la maladie de sa
fille, Anorexie », 06 décembre 2004
- « Boulimie et anorexie : `La télé a
des effets pervers sur les ados' ; M 6 Toujours plus d'émissions sur
les troubles alimentaires du comportement. L'avis du professeur
Jeammet », 29 mars 2005
- « La Maison de verre, France 5 », 26
avril 2005
- « La Maison de Solenn a déjà
reçu 15 000 adolescents perturbés, SANTÉ
Inaugurée il y a six mois, la structure traite le mal-être des
jeunes », 10 juin 2005
L'Humanité :
- « Attention à l'anorexie », 7
avril 1993
- Brève, 18 février 1994
- « Le poids de l'argent », 27 mai 1994
- « Suicide de l'une des filles de Patrick Poivre
d'Arvor » ; 30 janvier 1995
- « Régimes : la chair est
triste », 1er avril 1999
- « Clara, une jeune anorexique reprend goût
à la vie », 27 juin 2000
- « La chronique de Clémentine Autain :
la rentrée des glaces », 7 septembre 2000
- « Soulager le mal-être à la Maison
des Adolescents de Cochin, à Paris, une équipe aide et soigne,
autrement », 23 avril 2005
Libération :
- « Une histoire. Miss Anorexie America »,
23 mars 2000
- « Les fans de l'anorexie servent leur soupe sur le
Web », 20 août 2001
- « Une question de poids ; magazine /
En neuf reportages, les régimes dans la mire d'E=M6 », 9 avril
2002
- « Depuis les années 60, la France
est lipophobe » ; Jean-Pierre Corbeau, sociologue, sur le
rapport des femmes au gras », 5 novembre 2003
- « Tourments sans faim, Geneviève
Delaisi », 3 février 2005
- « Philippe de Tonnac. Anorexia. Enquête sur
l'expérience de la faim. Psychanalyse. Vient de
paraître », 3 février 2005
- « 5 à 13 % des adolescents
atteints », 3 février 2005
- « A Berlin, le couvert est mis pour les
sans-appétit ; restau. Unique en Europe, le SehnSucht est
dédié aux anorexiques », 3 février 2005
- « La mère. Après coup »,
28 avril 2005
Santé Magazine :
- « Peut-on guérir de l'anorexie
mentale ? », n°112, avril 1985, p. 42-44.
- « Anorexie : la haine de
l'assiette », n°152, août 1988, p. 54-55.
- « L'anorexie des jeunes filles »,
n°182, février 1991, p. 54-55.
- « Anorexie, boulimie, pourquoi ? »,
n°238, octobre 1995, p. 108-109.
- « Portrait d'anorexique », n°244,
avril 1996, p. 70-72.
- « Anorexique, il faut l'aider ! »,
n°263, novembre 1997, p. 64-65.
- « Anorexie : le drame
alimentaire », n°311, novembre 2001, p. 100-105.
- « De plus en plus d'enfants
anorexiques », n°336, décembre 2003, p. 92.
- « Anorexie, les garçons aussi en
souffrent ! », n°360, décembre 2005, p. 140-142.
TABLE DES MATIERES
SOMMAIRE 3
INTRODUCTION 4
PREMIERE PARTIE 10
I. DU MOYEN
ÂGE AU XVIIIÈME SIÈCLE : DES PRATIQUES
« ANOREXIQUES » FORTEMENT LIÉES À LA
RELIGION
10
A. Une société sous l'emprise
de la religion
10
1. Des pratiques
médicales peu évoluées
11
a) L'inexistence de la médecine comme
science pendant la période médiévale
11
b) Quelques progrès à partir
de la Renaissance
11
2. La représentation du
corps féminin dans la peinture
12
a) La femme : une tentatrice et une
pécheresse
12
b) La femme séductrice et belle
14
3. L'évolution des
canons de beauté du Moyen Âge au XVIIIème
siècle
14
a) De la minceur à l'embonpoint
15
b) Une beauté qui s'entretient
15
B. La littérature théologique
atteste de comportements « anorexiques »
16
1. Au 9ème
siècle, Friderada von Treuchtlingen
16
2. Au XVIIème
siècle, une adolescente anglaise jeûne
17
3. La première
description clinique de l'anorexie par Richard Morton
18
C. Le cas particulier de l'anorexie
sainte
20
1. Une conduite anorexique qui
relève de l'élection divine
20
a) Une enfance banale
20
b) L'adolescence : le moment de
l'engagement dans la religion
21
c) Un dévouement sans limite au
Christ
22
2. Le jugement de la
société civile et des autorités ecclésiastiques
23
a) La suspicion de l'Eglise
23
b) La sanction des autorités
religieuses
24
c) Le déclin de l'anorexie sainte
24
3. Les points communs avec une
jeune fille anorexique aujourd'hui
25
II. LE
XIXÈME SIÈCLE : QUAND L'ANOREXIE DEVIENT UNE
ENTITÉ CLINIQUE
27
A. Le contexte artistique et médical
de l'apparition de l'anorexie
27
1. L'essor de la
médecine comme science
27
a) Les grandes découvertes
27
b) Le siècle des maladies
mentales
28
2. Les représentations
du corps féminin dans l'art
29
a) Les courants principaux du
XIXème siècle
29
b) La femme dans les tableaux de
Jean-Auguste Dominique Ingres
30
B. Les pères
« fondateurs » de l'anorexie
31
1. Charles
Lasègue : fondateur d'une conception psychique de l'anorexie
32
a) Quelques éléments
biographiques
32
b) Une description de l'anorexie en trois
phases
33
c) Le traitement thérapeutique est
« occulté »
35
2. William Gull : le
fondateur d'une conception organiciste de l'anorexie
37
a) Une description évolutive de la
maladie
37
b) Le conflit entre W. Gull/ C.
Lasègue
38
C. Les tentatives thérapeutiques de
la fin du XIXème siècle : des tentatives pas
toujours fructueuses
39
1. Une multitude
d'hypothèses et de traitements thérapeutiques
40
a) De nombreux termes pour désigner
une seule pathologie
40
b) Quelques exemples de traitements
thérapeutiques
41
2. Jean-Martin Charcot,
l'initiateur de l'isolement
42
a) Un tableau clinique de l'anorexie
42
b) L'isolement dans un établissement
hydrothérapique
43
3. Avec S. Freud, de nouvelles
hypothèses étiologiques
46
a) Une tentative de guérison par
l'hypnose
46
b) L'anorexie : un trouble dû
à des problèmes inconscients
46
c) L'anorexie : une forme de
mélancolie ?
47
DEUXIEME PARTIE 51
I. QUI EST
ANOREXIQUE ?
51
A. Une définition médica le de
l'anorexie et les caractéristiques des anorexiques
52
1. L'anorexie, une maladie
grave qui touche principalement des filles
52
a) La définition médicale de
l'anorexie
52
b) L'anorexie : un problème de
santé publique dont se seraient saisis les médias
54
c) Une prévalence de l'anorexie
mentale dans la population féminine
55
2. Une répartition
géographique et socioculturelle qui évolue
56
a) Les pays développés et
industrialisés sont les plus touchés
56
b) Une maladie qui s'étend à
tous les milieux sociaux
57
3. Les caractéristiques
mentales des jeunes filles anorexiques
57
B. L'anorexique, un actant sujet dans les
discours médiatiques
58
1. La Croix : l'anorexie
est une maladie grave
59
a) Un dossier spécial consacré
à l'anorexie
59
b) L'anorexie, une maladie
« très grave »
60
c) L'anorexie, une maladie de
l'adolescence
62
d) Les caractéristiques mentales des
anorexiques
62
e) Les aspects spécifiques
63
f) Le passage de la sphère
privée à la sphère publique
63
2. Le Monde : l'anorexie
est une maladie grave qu'il faut distinguer de la petite anorexie
64
a) L'anorexie, une préoccupation du
journal depuis les années 80
64
b) L'anorexie, une maladie grave qui traduit
un refus de la féminité
65
c) Une pathologie qui affecte filles et
garçons
66
d) L'anorexique, une jeune fille
brillante
66
3. Le Figaro : l'anorexie
est une maladie grave mais peu abordée
67
a) Un traitement médiatique quasi
inexistant
67
b) L'anorexie, une maladie grave
67
c) Un actant sujet essentiellement
féminin
69
3. L'Humanité :
l'anorexie une maladie qui touche les femmes et les hommes
70
a) L'anorexie, une maladie qui
apparaît au printemps
71
b) L'actant sujet, une femme ou un homme
72
c) Clara, le portrait d'une anorexique
73
4. Libération :
l'anorexie est une maladie dont le journal parle très peu
74
a) Un traitement quasi inexistant du
sujet
74
b) L'anorexie est une maladie
75
c) L'anorexique n'est pas toujours une
adolescente
77
6) Santé Magazine : une approche
médicale de l'anorexie
78
a) Un traitement médiatique rigoureux
et précis
78
b) Le recours à une terminologie
médicale
79
II. LES
DIFFÉRENTS FACTEURS DÉCLENCHEURS DE L'ANOREXIE MENTALE
86
A. Les hypothèses médicales
sur l'étiologie de l'anorexie
86
1. Récapitulatif des
différentes hypothèses médicales émises depuis le
début du XXème siècle
87
a) Pierre Janet et la clinique
psychologique
87
b) De 1914 à 1937, l'ère
endocrinienne de l'anorexie
87
c) La naissance de la conception
psychanalytique dans les années soixante-dix
88
2. Des facteurs individuels
à l'origine de l'anorexie
89
a) L'anorexie ou l'expression d'une
problématique narcissique
89
b) Les hypothèses d'une origine
génétique de la maladie
90
3. Des facteurs
environnementaux à ne pas négliger
90
a) La famille, un milieu
pathogène ?
90
b) L'influence du facteur socioculturel, un
facteur controversé
92
B. Le destinateur de l'actant sujet dans les
discours de presse
94
1. La Croix rejette
l'hypothèse d'une famille comme milieu pathogène
95
a) L'anorexie, une maladie
mystérieuse
95
b) Le facteur génétique de
l'anorexie, une fausse piste
96
c) Le rejet du facteur socioculturel
96
d) Le facteur familial, un destinateur qui
s'efface
97
2. Le Monde oscille entre
la famille comme milieu pathogène et un facteur psychologique de
l'anorexie
99
a) Un facteur familial suggéré
à plusieurs reprises
99
b) Un facteur psychologique
100
3. Le Figaro : entre le
facteur socioculturel et le facteur psychologique
101
a) Les facteurs génétique et
organique : deux destinateurs écartés
101
b) Le facteur socioculturel : un
destinateur ambiguë
103
c) Le facteur familial : un destinateur
implicite
103
d) Un facteur psychologique incertain
104
4. L'Humanité : des
facteurs socioculturel, individuel et environnemental
104
a) Les médias, destinateur de
l'anorexie
104
b) L'anorexie résulte aussi de
facteurs psychologique et environnemental
106
5. Libération : le
culte de la minceur est le facteur déclencheur de l'anorexie mentale
108
a) L''hypothèse d'un facteur
socioculturel est privilégiée
108
b) La famille est également
accusée de déclencher la maladie
110
c) Le facteur psychologique, un facteur
éventuel de l'anorexie
112
6. Santé Magazine :
la figure du destinateur, une figure qui évolue
112
a) La famille passe du rôle de
destinateur à celui d'adjuvant
113
b) Une nouvelle définition du
« facteur socioculturel »
114
c) L'hypothèse d'une origine
psychologique
115
III. LES PRATIQUES
ANOREXIQUES OU COMMENT L'ANOREXIQUE DEVIENT ANOREXIQUE
117
A. Les pratiques anorexiques : une
élaboration progressive
118
1. Le commencement et le
maintien de l'engagement
118
a) Les différentes modalités
de commencement
118
b) La « prise en
main »
119
c) Le « maintien de
l'engagement »
120
2. Quand l'anorexique devient
anorexique ou l'étiquetage de la déviance
121
a) L'apparition des anti-sujets
121
b) Des pratiques qui deviennent plus
discrètes
122
3. Les conséquences de
ces pratiques sur la malade et son entourage
123
a) Les conséquences
physiologiques
123
b) Les conséquences psychiques
125
c) L'impact sur la famille
126
B. La performance de l'anorexique dans les
discours de presse
127
1. La Croix : des discours
qui s'organisent autour de la figure de la victime
127
a) Une performance quasi absente
127
b) Une large place accordée aux
victimes
129
2. Le Monde : une
performance peu détaillée
130
a) Quelques indices quant aux pratiques
anorexiques
130
b) Une volonté sans faille
131
c) Les conséquences physiques de
l'anorexie
132
d) Des parents qui culpabilisent
133
3. Le Figaro n'évoque
pas directement la performance de l'anorexique
133
a) Un discours délégué
à un expert
133
b) La figure des victimes, une figure assez
floue
134
4. L'Humanité :
entre le discours propre et le témoignage de Clara
135
a) Un premier mode de commencement : le
régime
135
b) Le témoignage de Clara, une
illustration des pratiques anorexiques
136
c) Des complications à la fois
physiologiques et psychiques
137
5. Libération : la
performance de l'anorexique, une performance insensée
138
a) Internet, un adjuvant de l'anorexique
138
b) Un seul indice : la restriction
alimentaire
139
c) Le déni de l'actant sujet peut
l'entraîner vers la mort
140
d) L'actant sujet est victime de sa propre
performance
140
6. Santé Magazine :
un discours sur la performance similaire au discours médical
141
a) Le commencement de l'anorexie, le plus
souvent un régime
141
b) Les phases de prise en main et de
maintien de l'engagement
142
c) Des anti-sujets implicites qui finissent
par disparaître
143
d) Le mécanisme de déni :
l'actant-sujet n'est pas conscient de sa maladie
144
e) L'anorexie, une maladie qui
entraîne « un cortège de pathologies
associées »
145
IV. LA PRISE EN
CHARGE THÉRAPEUTIQUE DE L'ANOREXIE : UNE ÉTAPE VERS LA
GUÉRISON
147
A. Les enjeux de la démarche
thérapeutique
148
1. Les différentes
modalités de prises en charge
148
a) L'isolement, un mode de traitement qui
fait débat
149
b) L'hospitalisation et la prise en charge
en ambulatoire : des thérapies pluridisciplinaires
150
c) La guérison : une
étape longue et difficile
152
2. Les enjeux relationnels
153
a) De bons rapports entre patiente et
soignant : une condition nécessaire à la guérison
153
b) La nécessité d'associer les
parents à la prise en charge thérapeutique
154
3. La prévention, une
démarche indispensable
155
a) La formation des médecins
155
b) L'information des parents
156
c) La sensibilisation des adolescentes
156
B. La phase de la sanction dans les discours
de presse
157
1. La Croix refuse l'isolement
thérapeutique et accorde une place privilégiée aux
parents
157
a) L'isolement, une pratique
refusée
157
b) Des parents témoignent :
l'isolement est une « épreuve »
160
c) L'hospitalisation, une question
importante même dans la rubrique Littérature
162
d) La guérison et la
prévention
162
2. Le Monde : des propos
qui semblent contradictoires
163
a) Des parents exclus de la prise en
charge
164
b) Des relations conflictuelles entre
patiente et soignant
164
c) La nécessité d'une prise en
charge impliquant les parents
165
d) Un manque de structures pour prendre en
charge les anorexiques
166
3. Le Figaro : la prise en
charge de l'anorexie, une étape peu détaillée
167
a) Une seule modalité de prise en
charge : la séparation familiale
167
b) L'anorexie, une maladie difficile
à soigner
167
c) Un nouvel
« allié » : les médicaments
168
d) La guérison et les pronostics de
l'anorexie
169
4. L'Humanité : une
prise en charge qui s'écarte du schéma classique
170
a) Les médias comme anti-sujets
170
b) Une prise en charge volontaire
171
c) L'isolement, un mode de prise en charge
rejeté
171
d) Une guérison possible ?
172
e) La prévention : un seul
conseil, ne pas lire les magazines
173
5. Libération : la
prise en charge occultée
174
a) L'anorexique comme anti-sujet
174
b) La guérison semble peu
probable
176
c) Les destinateurs doivent prendre en
charge la prévention
177
6. Santé Magazine :
une description de la prise en charge qui reflète les évolutions
qui ont marqué le traitement thérapeutique de l'anorexie
178
a) L'importance accordée à la
phase de la sanction
178
b) La prise en charge de l'anorexie, un
parcours en plusieurs étapes
179
c) L'anorexique face aux médecins
181
d) Les parents, des alliés
thérapeutiques à ne pas négliger
182
e) Une guérison de plus en plus
certaine
184
CONCLUSION 189
BIBLIOGRAPHIE 190
TABLE DES MATIERES 196
ARNOULT Audrey 2005-2006
POCO 4ème année
ANNEXES
Le traitement médiatique de l'anorexie, entre
presse d'information générale et presse magazine de
santé
* 1 RIGAUD, Daniel,
Anorexie, boulimie et compulsions - Les troubles du comportement
alimentaire, Editions Marabout 2003, p. 47.
* 2 Larousse
médical, Paris, 2003, p. 70.
* 3 VINCENT, Thierry, La
jeune fille et la mort : soigner les anorexies graves, Toulouse,
Editions Arcanes, Collection « Les Cahiers d'Arcanes »,
2000, p. 16.
* 4 VIGARELLO, Georges,
« De la `médecine du peuple' aux magazines de
santé », Esprit, « Quelle culture
défendre ? », mars-avril 2002, p. 224.
* 5 GREIMAS, Algirdas Julien,
Du sens II, Paris, Editions du Seuil, 1983, p. 49.
* 6 Nous mettons entre
guillemets le terme « anorexique » et
« anorexie » puisque le terme n'existait pas encore
à cette époque.
* 7 CHASTEL, Claude, Une
petite histoire de la médecine, Paris, Editions Ellipses,
Collection « L'esprit des Sciences », 2004, p. 18.
* 8 HALIOUA, Bruno,
Histoire de la médecine, Paris, Editions Masson, 2001, p.
78.
* 9 CHASTEL, [2004],
p. 26.
* 10 JANAS, Henry Edouard,
Aspects historiques et évolutifs de la notion d'anorexie mentale et
de ses stratégies thérapeutiques - revue de la littérature
et analyse, thèse présentée à
l'Université Claude Bernard - Lyon 1 et soutenue publiquement le 22
décembre 1994 pour obtenir le grade de Docteur en médecine, p.
32.
* 11 Nous entendons ici par
représentations essentiellement les photos dans la presse
magazine, les publicités à la télé...
* 12 A cette époque
la représentation relève principalement de la peinture et de la
sculpture, nous restreindrons notre étude à la peinture, art le
plus développé.
* 13 DUBY, Georges et
PERROT, Michelle, Histoire des femmes en Occident, Tome 2 : Le Moyen
Âge, Paris, Editions Perrin, Collection
« Tempus », 2002, p. 422.
* 14 Idem,
p. 441.
* 15 DUBY et PERROT,
[2002], p. 465.
* 16 Idem,
p. 461.
* 17 Idem, p. 489-490.
* 18 Le
néo-classicisme est un mouvement né au milieu du
XVIIIème siècle.
* 19 CREPALDI, Gabriele,
L'art au XIXème siècle, Paris, Editions
Hazan, 2005, p. 8.
* 20 HOURTICQ, Louis, La
peinture française au XVIIIème siècle,
Paris, 1939, p. 59.
* 21 Idem, p. 59.
* 22 Idem, p. 68.
* 23 DUBY, Georges et
PERROT, Michelle, Histoire des femmes en Occident, Tome 3 :
XVIème - XVIIIème siècle,
Paris, Editions Perrin, Collection « Tempus », 2002, p.
76.
* 24 Idem, p. 78.
* 25 Idem, p.
79.
* 26 Idem, p. 80.
* 27 Idem, p.
80.
* 28 Le blanc était
associé à la pureté et à la chasteté.
* 29 Idem, p.
85.
* 30 Idem, p. 85.
* 31 GUILLEMOT, Anne et
LAXENAIRE, Michel, Anorexie mentale et boulimie, le poids de la
culture, Paris, Editions Masson, Collection « Médecine et
Psychothérapie », 1997, p. 40.
* 32 JANAS, [1994], p.
10.
* 33 JANAS, [1994], p.
11.
* 34 Cet épisode est
relaté par Habermas T. dans Friderada : a case of miraculous
fasting, [1986] cité par JANAS, [1994], p. 10-11.
* 35 GUILLEMOT et LAXENAIRE,
[1997], p. 3.
* 36 Il est rapporté
par Silverman en 1986, GUILLEMOT et LAXENAIRE, [1997], p. 4.
* 37 JANAS, [1994], p.
10.
* 38 GUILLEMOT et LAXENAIRE,
[1997], p. 4.
* 39 JANAS, [1994], p.
25.
* 40 Idem, p. 25.
* 41 Idem, p. 26.
* 42 MORTON cité par
JANAS, [1994], p. 26.
* 43 JANAS, [1994], p.
26.
* 44 Le Petit Larousse
Compact, Editions Larousse, [1993], p. 222.
* 45 GUILLEMOT et LAXENAIRE,
[1997], p. 6.
* 46 JANAS, [1994], p.
20.
* 47 Nous entendons ici par
littérature scientifique l'ensemble des livres écrits par les
médecins. La médecine étant encore peu
développée, il n'existe pas de revues scientifiques.
* 48 JANAS, [1994], p.
12.
* 49 Nous verrons dans la
deuxième partie que la perte d'appétit est à nuancer
* 50 BELL, Rudolph,
L'anorexie sainte - Jeûne et mysticisme du Moyen Âge à
nos jours, Paris, Editions Presses Universitaires de France, Collection
« Le Fil Rouge », 1994, p. XI.
* 51 Idem, p. IX.
* 52 Le Petit Larousse
Compact, [1993], p. 96.
* 53 BELL, [1994], p. 36.
* 54 Idem, p. 36.
* 55 BELL, [1994, p. 45.
* 56 RAIMBAULT, Ginette et
ELIACHEFF, Caroline, Les indomptables - figures de l'anorexie, Paris,
Editions Odile Jacob, 1989, p. 243
* 57 Idem, p. 242.
* 58 BELL, [1994], p. 63.
* 59 Idem, p. 36.
* 60 CAPOUE (DE) cité
par BELL, [1994], p. 37.
* 61 CAPOUE (DE) cité
par BELL, [1994], p. 37.
* 62 RAIMBAULT, et
ELIACHEFF, [1989], p. 250.
* 63 BELL, [1994], p. 33.
* 64 Idem, p. 20.
* 65 CAPOUE (DE), Raymond,
Legenda, p. 413. cité par BELL, [1994], p. 37.
* 66 RAIMBAULT, et
ELIACHEFF, [1989], p. 245.
* 67 Luc 10, 7 cité
par BELL, [1994], p. 38.
* 68 Idem, p. 244.
* 69 BELL, [1994]. p.
252.
* 70 Idem, p. 38.
* 71 Idem, p. 42.
* 72 Idem, p. 41.
* 73 Le Petit Larousse
Compact, [1993], p. 697.
* 74 Idem, p. 528.
* 75 BONDUELLE,
Michel ; GELFAND, Toby ; GOETZ, Christopher, Charcot un grand
médecin dans son siècle, Paris, Editions Michalon, 1996, p.
182.
* 76 THUILLIER, Jacques,
Histoire de l'art, Paris, Editions Flammarion, 2002, p. 449.
* 77 Cela signifie qui sort
des eaux«
* 78 Le miroir est un
symbole de la beauté et de la séduction
* 79 CREPALDI, Gabriele,
L'art au XIXème siècle, Paris, Editions
Hazan, 2005, p. 247.
* 80 Il fut portraitiste de
la haute société.
* 81 CREPALDI, [205], p.
247.
* 82 BALZAC cité par
GUILLEMOT et LAXENAIRE, [1997], p. 48.
* 83 GUILLEMOT et LAXENAIRE,
[1997], p. 33.
* 84 JANAS, [1994], p.
47.
* 85 Idem, p. 52.
* 86 RAIMBAULT, et
ELIACHEFF, [1989], p. 14.
* 87 Idem, p. 15.
* 88 Idem, p. 17.
* 89 Idem, p. 17.
* 90 BONDUELLE, GELFAND,
GOETZ, [1996], p. 153.
* 91 RAIMBAULT, et
ELIACHEFF, [1989], p. 20.
* 92 LASEGUE cité par
JANAS, [1994], p. 59.
* 93 LASEGUE cité par
JANAS, [1994], p. 59.
* 94 Idem, p. 60.
* 95 GUILLEMOT et LAXENAIRE,
[1997], p. 8.
* 96 LASEGUE cité par
RAIMBAULT, et ELIACHEFF, [1989], p. 26.
* 97 Idem, p. 62.
* 98 LASEGUE cité par
RAIMBAULT, et ELIACHEFF, [1989], p. 30.
* 99 JANAS, [1994], p.
61.
* 100 LASEGUE cité
par JANAS, [1994], p. 62.
* 101 GULL cité par
JANAS, [1994], p. 53.
* 102 Idem, p. 53.
* 103 Idem, p. 65.
* 104 Idem, p. 65.
* 105 JANAS, [1994], p.
89.
* 106 Idem, p. 92.
* 107 Peut-être
s'agit-il du Lancet mais nous ne disposons pas du titre de cette
revue.
* 108 GULL cité par
JANAS, [1994], p. 67.
* 109 JANAS, [1994], p.
63.
* 110 HUCHARD cité
par JANAS, [1994], p. 76.
* 111 DENIAU cité
par JANAS, [1994], p. 77.
* 112 JANAS, [1994], p.
77.
* 113 Idem, p. 77.
* 114 Idem, p. 102.
* 115 Idem, p. 103.
* 116 Idem, p. 77.
* 117 JANAS, [1994], p.
95.
* 118 Idem, p. 96.
* 119 BABIN, Pierre,
Sigmund Freud - un tragique à l'âge de la science,
Editions Gallimard, Collection « Découvertes
Gallimard », 1990, p. 38.
* 120 Idem, p.
218.
* 121 JANAS, [1994], p.
78.
* 122 JANAS, [1994], p.
104.
* 123 JANAS, [1994], p.
39.
* 124 JANAS, [1994], p.
87.
* 125 CHARCOT cité
par JANAS, [1994], p. 79.
* 126 JANAS, [1994], p.
87.
* 127 CHARCOT cité
par RAIMBAULT, et ELIACHEFF, [1989], p. 20.
* 128 Idem, p. 81.
* 129 CHARCOT cité
par JANAS, [1994], p. 81.
* 130 Idem, p. 84.
* 131 JANAS, [1994], p.
84.
* 132 BONDUELLE, GELFAND,
GOEZ, [1996], p. 225.
* 133 JANAS, [1994], p.
87.
* 134 Idem, p. 86.
* 135 CHARTIER,
Jean-Pierre, Introduction à la pensée freudienne, Paris,
Editions Payot et Rivages, Collection « Petite Bibliothèque
Payot », 2001, p. 20.
* 136 RAIMBAULT, et
ELIACHEFF, [1989], p. 33.
* 137 FREUD, Sigmund et
BREUER, Joseph, Etudes sur l'hystérie, Paris, Editions Presses
Universitaires de France, Bibliothèque de Psychanalyse dirigée
par Jean Laplanche, 1956, p. 64.
* 138 FREUD cité par
JANAS, [1994], p. 102.
* 139 FREUD et BREUER,
[1956], p. 75.
* 140 CHARTIER, [2001], p.
32.
* 141 FREUD cité par
JANAS, [1994], p. 103.
* 142 JANAS, [1994], p.
106.
* 143 Il faut distinguer le
symptôme qui est la manifestation d'un trouble, du syndrome qui est
l'affection en elle-même. L'anorexie mentale est un syndrome dont l'un
des symptômes est l'anorexie.
* 144 DSM = Diagnostical
and Statistical Manual of Mental Disorders. C'est une classification
psychiatrique américaine. Le DSM I date de 1952, le DSM II de 1968, le
DSM III de 1980, le DSM III-R (revised) de 1987 et la version la plus
récente, le DSM IV de 1994.
* 145 CHABROL, Henri,
L'anorexie et la boulimie de l'adolescence, Paris, Editions Presses
Universitaires de France, Collection « Que
sais-je ? », 1991, p. 8.
* 146 ALVIN, Patrick,
Anorexies et boulimies à l'adolescence, Paris, Doin Editeurs,
Collection « Conduites », 2001, p. 13.
* 147 ALVIN, Patrick, revue
Soins, « Anorexie mentale et boulimie nerveuse à
l'adolescence », p 33-36 dans le dossier Les
troubles du comportement alimentaire, p. 31-52, revue Soins
n°694, avril 2005.
* 148 JEAMMET, Philippe,
Anorexie, boulimie, les paradoxes de l'adolescence, Paris, Editions
Hachette Littératures, 2004, p. 11.
* 149 CHABROL, [1991], p.
5.
* 150 MAÎTRE
cité par TONNAC (DE), Jean-Philippe, Anorexia, une enquête sur
l'expérience de la faim, Paris, Editions Albin Michel, 2005, p.
144.
* 151 TONNAC, [2005], p.
96.
* 152 GODART cité
par VINCENT, Thierry, L'anorexie, Paris, Editions Odile Jacob, 2000,
p. 327.
* 153 BOURDEUX, Christian,
« Les troubles des conduites alimentaires », dans
la revue Soins Psychiatrie, n°227, juillet/août
2003, p. 17.
* 154 TONNAC, [2005], p.
335.
* 155 VINCENT, [2000], p.
30.
* 156 BONNAFOUS, Simone,
« La médiatisation de la question immigrée :
état des recherches » dans Etudes de Communication,
La médiatisation des problèmes publics, n°22, 1999, p.
60.
* 157 ALVIN, [2005], p.
36.
* 158 TRABACCHI, Ghislaine,
Dossier « Les troubles du comportement alimentaire » dans
la revue Soins, n°694, avril 2005, p. 31.
* 159 TONNAC, [2005],
quatrième de couverture.
* 160 CHAMBRY, Jean ; CORCOS, Maurice ;
GUBAUD, Olivier ; JEAMMET, Philippe, « L'anorexie mentale
masculine : réalités et perspectives », dans
Annales de Médecine Interne, Vol 153 - N° SUP 3 - Mai 2002
* 161 TONNAC, [2005],
p. 20.
* 162 TINAT, Karine, «
L'anorexie et la féminité à Mexico : des
représentations du corps à l'influence des facteurs
socioculturels », colloque Sciences, Médias et
Société, 15-17 juin 2004, Lyon, ENS-LSH,
http://sciences-medias.ens-lsh.fr/article.php3 ?id_article=69.
* 163 GUILLEMOT et
LAXENAIRE, [1997], p. 31.
* 164 Idem, p.
32.
* 165 Idem, p. 33.
* 166 Selon les auteurs,
l'anorexie mentale n'apparaîtrait que dans les pays ayant un certain de
niveau de développement économique et dans les couches les plus
aisées des pays en voie de développement.
* 167 TRABACCHI, Ghislaine,
Dossier « Les troubles du comportement
alimentaire », revue Soins n°694, avril 2005,
p. 31.
* 168 Nous entendons ici
par « risque », la probabilité de devenir
anorexique.
* 169 RIGAUD, Daniel,
Dossier « Les troubles du comportement alimentaire »,
Caractéristiques mentales des malades atteints de TCA, dans la revue
Soins, n°694, avril 2005, p. 39.
* 170 PERILLAT, Audrey,
Mémoire de psychologie, Les dimensions narcissiques et identitaires
dans l'anorexie mentale, 2004, p. 20.
* 171 RIGAUD, [2005], p.
40.
* 172 ALVIN, [2005], p.
36.
* 173 La Croix,
« Dossier. Anorexie. Les anorexiques doivent-elles être
séparées de leur famille ? Le rôle des
parents », 18 janvier 2005, p. 13. ; « Face à
des anorexiques graves, certains services spécialisés ont parfois
recours à des hospitalisations avec séparation familiale, une
pratique qui fait débat », 18 janvier 2005, p. 13. ;
« Une maladie qui reste mystérieuse. L'anorexie mentale est
liée à des facteurs d'ordre génétique, social,
familial, psychologique et environnemental », 18 janvier 2005, p.
14. ; « Pour comprendre et faire face à
l'anorexie », 18 janvier 2005, p. 15.
* 174 La Croix,
« `L'anorexie est une maladie sérieuse' », 27
septembre 1997, p. 28. ; « Mieux comprendre l'anorexie et
l'anxiété », 14 mai 1999, p. 11. ; « `Je
suis anorexique mais tout va très bien' », 30 septembre 2003,
p. 6. ; 18 janvier 2005, p. 13. ; 18 janvier 2005, p. 14. ;
« `Il faut croire dans les ressources de son enfant' », 18
janvier 2005, p. 15.
* 175 La Croix, 18
janvier 2005, p. 14.
* 176 La Croix, 27
septembre 1997, p. 28. ; 18 janvier 2005, p. 13. ; 18 janvier 2005,
p. 14.
* 177 La Croix, 30
septembre 2003, p. 6.
* 178 La Croix, Ces
femmes qui veulent à tout prix dominer leur corps. Anorexies
religieuses, anorexie mentale, 4 mars 2000, p. 14.
* 179 La Croix, 27
septembre 1997, p. 28.
* 180 La Croix, 18
janvier 2005, p. 14.
* 181 La Croix, 18
janvier 2005, p. 13.
* 182 La Croix, 18
janvier 2005, p. 13.
* 183 La Croix, 27
septembre 1997, p. 28.
* 184 La Croix, 27
septembre 1997, p. 28.
* 185 La Croix, 18
janvier 2005, p. 13.
* 186 La Croix, 16
novembre 2004.
* 187 La Croix, 18
janvier 2005, p. 13.
* 188 La Croix, 18
janvier 2005, p. 15.
* 189 La Croix, 30
septembre 2003, p. 6.
* 190 La Croix, 18
janvier 2005, p. 13.
* 191 La Croix, 27
septembre 1997, p. 28.
* 192 La Croix, 27
septembre 1997, p. 28. ; 18 janvier 2005, p. 13.
* 193 La Croix, 14
mai 1999, p. 11.
* 194 La Croix, 18
janvier 2005, p. 15.
* 195 La Croix, 27
septembre 1997, p. 28.
* 196 La Croix, 18
janvier 2005, p. 13.
* 197 La Croix, 18
janvier 2005, p. 13.
* 198 La Croix, 18
janvier 2005, p. 13.
* 199 La Croix, 27
septembre 1997, p. 28.
* 200 La Croix, 18
janvier 2005, p. 13.
* 201 La Croix, 18
janvier 2005, p. 14.
* 202 La Croix, 18
janvier 2005, p. 14.
* 203 La Croix, 27
septembre 1997, p. 28.
* 204 La Croix, 18
janvier 2005, p. 13.
* 205 La Croix, 18
janvier 2005, p. 14.
* 206 La Croix, 30
septembre 2003, p. 6.
* 207 La Croix, 27
septembre 1997, p. 28.
* 208 La Croix, 18
janvier 2005, p. 13.
* 209 Il y a trois articles
pour lesquels nous ne connaissons pas la rubrique.
* 210 Le Monde, Le
contrat de poids, 22 mars 1989, p. 20.
* 211 Le Monde, La
tragédie bouffe, 22 mars 1989, p. 20.
* 212 Idem.
* 213 Le Monde,
Danse avec la mort. Sa mère avait reporté sur elle ses
rêves de danseuse étoile. Séverine, douze ans, a failli en
mourir, 25 juillet 1992, p. 9. ; L'une des filles de Patrick Poivre
d'Arvor, Solenn, atteinte d'anorexie mentale, s'est suicidée, 31 janvier
1995, p. 21. ; Le combat personnel de Bernadette Chirac contre l'anorexie,
17 avril 2000, p. 7. ; Sociologues et nutritionnistes s'inquiètent
de la dictature de la minceur - Quatre parcours conduisant vers la petite
anorexie, 22 novembre 2003, p. 26.
* 214 Le Monde, 25
juillet 1992, p. 9. ; Venir en aide aux jeunes anorexiques et à
leur famille, 2 avril 1998, p. 30.
* 215 Le Monde, 2
avril 1998, p. 30.
* 216 Le Monde,
Maux d'adolescents plonge dans la nouvelle structure de soins dirigée
par Marcel Rufo, 25 avril 2005, p. 12.
* 217 Le Monde, 22
novembre 2003, p. 26.
* 218 Le Monde, 25
juillet 1992, p. 9.
* 219 Le Monde, 17
avril 2000, p. 7.
* 220 Le Monde, 2
avril 1998, p. 30.
* 221 Le Monde, 25
juillet 1992, p. 9.
* 222 Le Monde, 2
avril 1998, p. 30.
* 223 Le Monde, 2
avril 1998, p. 30.
* 224 Le Monde, 25
juillet 1992, p. 9.
* 225 Le Monde, 25
juillet 1992, p. 9.
* 226 Le Monde, 2
avril 1998, p. 30.
* 227 Le Monde,
`Une volonté de fille de fer', 4 février 1994, p. 3. ; 2
avril 1998, p. 30.
* 228 Le Monde, 2
avril 1998, p. 30. ; 25 avril 2005, p. 12.
* 229 Le Monde, 2
avril 1998, p. 30.
* 230 Le Monde, 25
juillet 1992, p. 9.
* 231 Le Monde, 4
février 1994, p. 3.
* 232 Le Monde, 2
avril 1998, p. 30.
* 233 Le Figaro,
Congrès de la psychiatrie biologique à Nice ; boulimie et
anorexie sous l'influence de la sérotonine, 25 juin 1997 ; Un
colloque à Londres sur les désordres alimentaires ; les
batailles de l'anorexie, 25 avril 1997.
* 234 Le Figaro,
France 2 ; `Savoir plus santé', 1er juin 2000 ;
Bernadette Chirac évoque la maladie de sa fille, 6 décembre
2004.
* 235 Le Figaro,
1er juin 2000.
* 236 Le Figaro,
25 juin 1997.
* 237 Le Figaro,
25 avril 1997.
* 238 Le Figaro,
France 2 ; `Mourir de faim', 27 mai 2000.
* 239 Le Figaro,
1er juin 2000 ;
* 240 Le Figaro,
25 avril 1997.
* 241 Le Figaro,
25 avril 1997.
* 242 Le Figaro,
25 juin 1997 ; 6 décembre 2004.
* 243 Le Figaro,
Face à la progression de l'anorexie, de l'obésité et de la
dépression, Xavier Darcos lance aujourd'hui une série de mesures
destinées à renforcer la médecine scolaire, 26
février 2003.
* 244 Le Figaro,
27 mai 2000.
* 245 Le Figaro,
Jacqueline Kelen : `L'anorexie n'est pas une maladie', 1er
novembre 2002.
* 246 Le Figaro,
XIVème Arr - Enfermées dans la misère, l'isolement, le
chagrin et la folie ; deux soeurs au bout de la faim, 21 novembre 1998.
* 247 Le Figaro,
25 avril 1997.
* 248 Le Figaro,
25 juin 1997.
* 249 Le Figaro,
25 avril 1997.
* 250 Le Figaro,
25 avril 1997.
* 251 Le Figaro,
26 février 2003.
* 252 ALVIN, [2001], p.
30.
* 253 Idem.
* 254 Le Figaro,
25 juin 1997.
* 255
L'Humanité, Suicide de l'une des filles de Patrick Poivre
d'Arvor, 30 janvier 1995 ; Clara une jeune anorexique reprend
goût à la vie, 27 juin 2000 ; La chronique de
Clémence Autain la rentrée des glaces, 7 septembre
2000.
* 256
L'Humanité, 27 juin 2000.
* 257
L'Humanité, brève, 18 février 1994.
* 258 Idem.
* 259
L'Humanité, Le poids de l'argent, 27 mai 1994.
* 260
L'Humanité, Attention à l'anorexie, 7 avril 1993.
* 261
L'Humanité, 30 janvier 1995.
* 262
L'Humanité, Régimes : la chair est triste,
1er avril 1999.
* 263
L'Humanité, 7 avril 1993.
* 264
L'Humanité, 1er avril 1999.
* 265
L'Humanité, 7 septembre 2000.
* 266
L'Humanité, 7 avril 1993.
* 267
L'Humanité, 7 avril 1993 ; 7 septembre 2000.
* 268
L'Humanité, 27 mai 1994.
* 269
L'Humanité, 30 janvier 1995 ; 1er avril
1999.
* 270
L'Humanité, 1er avril 1999.
* 271
L'Humanité, 27 mai 1994.
* 272
L'Humanité, 30 janvier 1995.
* 273
L'Humanité, 27 juin 2000.
* 274
L'Humanité, 7 avril 1993.
* 275
L'Humanité, 1er avril 1999.
* 276
L'Humanité, 7 septembre 2000.
* 277 Idem.
* 278 Le Petit Larousse
Compact, [1993], p. 443.
* 279
L'Humanité, 27 juin 2000.
* 280
Libération, « Une histoire. Miss Anorexie
America», 23 mars 2000, p. 12.
* 281
Libération, « `Depuis les années 60, la France
est lipophobe' ; Jean-Pierre Corbeau, sociologue, sur le rapport des
femmes au gras, », 5 novembre 2003, p. 31.
* 282
Libération ; « 5 à 13% des adolescents
atteints », 3 février 2005, p. 27. ; « A
Berlin, le couvert est mis pour les sans-appétit ; restau. Unique
en Europe, le Sehnsucht est dédié aux anorexiques », 3
février 2005, p. 27. ; « Tourments sans faim ;
psychanalyse », 3 février 2005, p. 10.
* 283
Libération, « A Berlin, le couvert est mis pour les
sans-appétit ; restau. Unique en Europe, le Sehnsucht est
dédié aux anorexiques », 3 février 2005, p.
27.
* 284
Libération, « Tourments sans faim ;
psychanalyse », 3 février 2005, p. 10.
* 285
Libération, 23 mars 2000, p. 12.
* 286
Libération, « Les fans de l'anorexie servent leur
soupe sur le Web », 20 août 2001, p. 15.
* 287
Libération, 20 août 2001, p.
15. ; « 5 à 13% des adolescents
atteints », 3 février 2005, p. 27.
* 288
Libération, « A Berlin, le couvert est mis pour les
sans-appétit ; restau. Unique en Europe, le Sehnsucht est
dédié aux anorexiques », 3 février 2005, p.
27.
* 289
Libération, 3 février 2005, p. 10-11.
* 290
Libération, 20 août 2001, p. 15.
* 291
Libération, 5 novembre 2003, p. 31.
* 292
Libération, « Tourments sans faim ;
psychanalyse », 3 février 2005, p. 10.
* 293
Libération, « Jean-Philippe de Tonnac. Anorexia.
Enquête sur l'expérience de la faim ; psychanalyse. Vient de
paraître », 3 février 2005, p. 10.
* 294
Libération , 20 août 2001, p. 15.
* 295
Libération, 5 à 13% des adolescents atteints, 3
février 2005, p. 27.
* 296
Libération, 5 à 13% des adolescents atteints, 3
février 2005, p. 27.
* 297
Libération, 5 novembre 2003, p. 31.
* 298
Libération, 5 novembre 2003, p. 31.
* 299
Libération, 8 mai 2000, p. 30.
* 300
Libération, 9 avril 2002, p. 42.
* 301
Libération, « A Berlin, le couvert est mis pour les
sans-appétit ; restau. Unique en Europe, le Sehnsucht est
dédié aux anorexiques », 3 février 2005, p.
27.
* 302
Libération, 23 mars 2000, p. 12.
* 303
Libération, 5 novembre 2003, p. 31.
* 304 Santé
Magazine, « Peut-on guérir de l'anorexie
mentale ? », n°112, avril 1985, p. 42-44.
* 305 Santé
Magazine, « Anorexie, la haine de l'assiette »,
n°152, août 1988, p. 54-55.
* 306 La manipulation, la
performance et la sanction.
* 307 Santé
Magazine, avril 1985, p. 42-44. ; août 1988, p. 54-55.
* 308 Santé
Magazine, « L'anorexie des jeunes filles »,
n°182, février 1991, p. 54-55.
* 309 Santé
Magazine, « Portrait d'anorexique », n° 244,
avril 1996, p. 70-72. ; « Anorexique, il faut
l'aider ! », n° 263, novembre 1997, p. 64-65.
* 310 Santé
Magazine, n°182, février 1991, p. 54-55.
* 311 Santé
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* 312 Santé
Magazine, n°182, février 1991, p. 54-55. ; n°244,
avril 1996, p. 70-72. ; n°263, novembre 1997, p. 64-65. ;
« Anorexie : le drame alimentaire », n° 311,
novembre 2001, p. 100-105. ; « De plus en plus d'enfants
anorexiques », n° 336, décembre 2003, p. 92. ;
« Anorexie, les garçons en souffrent aussi »,
n° 360, décembre 2005, p. 140-142.
* 313 Santé
Magazine, n°263, novembre 1997, p. 64-65.
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1997, p. 64-65.
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* 320 Santé
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* 321 Santé
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* 324 Santé
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décembre 2003, p. 92.
* 330 Santé
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* 331 Santé
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* 334 La Croix, 18
janvier 2005, p. 15.
* 335 Santé
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* 337 Santé
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1997, p. 64-65.
* 338 Santé
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* 339 Santé
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* 341 Santé
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* 342 Santé
Magazine, n° 182, février 1991, p. 54-55. ; Anorexie,
boulimie, pourquoi ?, n°238, octobre 1995, p. 108-109. ;
n°244, avril 1996, p. 70-72. ; n°263, novembre 1997, p.
64-65. ; n°311, novembre 2001, p. 100-105.
* 343 Santé
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avril 1996, p. 70-72.
* 344 Santé
Magazine, n°244, avril 1996, p. 70-72. ; n°238, octobre
1995, p. 108-109. ; n°263, novembre 1997, p. 64-65.
* 345 Santé
Magazine, n° 182, février 1991, p. 54-55. ; n°238,
octobre 1995, p. 108-109.
* 346 Santé
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* 347 Santé
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* 348 Santé
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* 349 Santé
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* 350 Santé
Magazine, n°263, novembre 1997, p. 64-65.
* 351 Par rapport aux
caractéristiques mentales telles que nous les avons définies dans
la première partie.
* 352 NEVEU, Erik,
« L'approche constructiviste des `problèmes publics'. Un
aperçu des travaux anglo-saxons », Études de
Communication, n°22, « La médiatisation des
problèmes publics », Lille, Université
Charles-de-Gaulle - Lille 3, décembre 1999, p. 42.
* 353 GUILLEMOT et
LAXENAIRE, |1997], p. 1
* 354 VINCENT, Thierry,
La jeune fille et la mort : soigner les anorexies graves,
Toulouse, Editions Arcanes, Collection « Les Cahiers
d'Arcanes », 2000, p. 9.
* 355 ALVIN, [2005], p.
35.
* 356 Nous pouvons
remarquer que cette division de la maladie ressemble fortement à celle
que C. Lasègue a établie dans sa description de l'anorexie.
* 357 JANET, cité
par JANAS, [1994], p. 114.
* 358 JANAS, [1994], p.
114.
* 359 RAIMBAULT et
ELIACHEFF, [1989], p. 42.
* 360 GUILLEMOT et
LAXENAIRE, [1997], p.11.
* 361 CHABROL, [1991], p.
103.
* 362 BRUCH, Hilde,
Conversations avec des anorexiques, Paris, Editions Payot, Collection
« Petite Bibliothèque Payot », 1990, p. 8.
* 363 Idem, p. 9.
* 364 PERILLAT, [2004], p.
24.
* 365 Idem, p. 24.
* 366 RIGAUD, [2003], p.
161.
* 367 « Origine
génétique de la boulimie et l'anorexie »,
revue Vigie Médecine-Pharmacie, www. vigies.com
* 368 JEAMMET, [2004], p.
46.
* 369 GODART, Nathalie ; PERDEREAU,
Fabienne ; FLAMENT, Martine et JEAMMET, Philippe, « La
famille des patients souffrant d'anorexie mentale ou de boulimie »
dans Revue de la littérature des données cliniques et
implications thérapeutiques, Paris, Editions Masson, vol. 153, n°6,
octobre 2002, www.masson.fr.
* 370 VINCENT, La jeune
fille et la mort : soigner les anorexies graves, Toulouse, Editions
Arcanes, Collection « Les Cahiers d'Arcanes », 2000, p.
155.
* 371 ALVIN, [2005], p. 36.
* 372 PERILLAT, [2004], p.
37.
* 373 COMBE, Colette,
Soigner l'anorexie, Paris, Editions Dunod, 2002, p. 34.
* 374 BRUSSET, cité
par PERILLAT, [2004], p. 49.
* 375 TINAT, [2004].
* 376 Des études ont
montré que depuis une cinquantaine d'années les mensurations des
mannequins diminuent.
* 377 RAIMBAULT et
ELIACHEFF, [1989], p. 57.
* 378 DARMON, [2003], p.
72.
* 379 GUILLEMOT et
LAXENAIRE, [1997], p. 52.
* 380 Idem, p. 2.
* 381 Idem, p. 103.
* 382 BYNUM cité par
TONNAC, [2005], p. 105.
* 383 GUILLEMOT et
LAXENAIRE, [1997], p. 73.
* 384 CHABROL, [1991], p.
76.
* 385 La Croix, 18
janvier 2005, p. 14.
* 386 La Croix, 30
septembre 2003, p. 6.
* 387 La Croix, 30
septembre 2003, p. 6.
* 388 La Croix, 30
septembre 2003, p. 6.
* 389 La Croix, 18
janvier 2005, p. 14.
* 390 La Croix, 27
septembre 1997, p. 28.
* 391 Il est psychiatre de
l'enfant et du jeune adulte à l'Institut mutualiste Montsouris à
Paris
* 392 La Croix, 30
septembre 2003, p. 6.
* 393 Elle est
médecin thérapeute au groupe d'études françaises
sur l'anorexie et la boulimie (Gefab)
* 394 La Croix, 27
septembre 1997, p. 28.
* 395 La Croix, 18
janvier 2005, p. 14.
* 396 La Croix, 18
janvier 2005, p. 14.
* 397 Le Dr Renaud de
Tournemire, pédiatre dans le service de médecine des adolescents
de l'hôpital Bicêtre
* 398 Le Dr Patrick Alvin,
responsable du service de médecine des adolescents de l'hôpital
Bicêtre
* 399 La Croix, 18
janvier 2005, p. 15.
* 400 La Croix, 27
septembre 1997, p. 28.
* 401 La Croix, 30
septembre 2003, p. 6.
* 402 La Croix, 18
janvier 2005, p. 13.
* 403 Le professeur
Venisse
* 404 La Croix, 18
janvier 2005, p. 14.
* 405 La Croix, 18
janvier 2005, p. 14.
* 406 La Croix, 18
janvier 2005, p. 14.
* 407 La Croix, 18
janvier 2005, p. 15.
* 408 Le Monde, Le
contrat de poids, 22 mars 1989, p. 20.
* 409 Le Monde, La
tragédie bouffe, 22 mars 1989, p. 20.
* 410 Le Monde, 25
juillet 1992, p. 9.
* 411 Le Monde, 4
février 1994, p. 3.
* 412 Le Monde, 2
avril 1998, p. 30.
* 413 Le Monde, 22
novembre 2003, p. 26.
* 414 Le Figaro,
27 mai 2000.
* 415 Le Figaro,
1er juin 2002.
* 416 Le Petit Larousse
Compact, [1993], p. 572.
* 417 Le Figaro,
25 juin 1997.
* 418 Le Figaro,
25 avril 1997.
* 419 Le Figaro,
25 juin 1997.
* 420 Le Petit Larousse
Compact, [2003], p. 383.
* 421 Le Figaro,
25 juin 1997.
* 422
L'Humanité, 7 avril 1993.
* 423 Idem.
* 424
L'Humanité, 1er avril 1999.
* 425 Idem.
* 426 Idem.
* 427
L'Humanité, 7 septembre 2000.
* 428 Idem.
* 429
L'Humanité, 1er avril 1999.
* 430
L'Humanité, 7 septembre 2000.
* 431
L'Humanité, 27 juin 2000.
* 432 SARFATI,
Georges-Elia, Eléments d'analyse du discours, Paris, Editions
Nathan, Collection 128, 1997, p. 44.
* 433
Libération, 23 mars 2000, p. 12.
* 434
Libération, 20 août 2001, p. 15.
* 435
Libération, 9 avril 2002, p. 42.
* 436
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* 437
Libération, 3 février 2005, p. 10-11.
* 438
Libération, A Berlin, le couvert est mis pour les
sans-appétit ; restau. Unique en Europe, le Sehnsucht est
dédié aux anorexiques, 3 février 2005, p. 27.
* 439
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* 455 RIGAUD, [2003], p.
21.
* 456 GROUPE D'ENTREVERNES,
Analyse sémiotique des textes, Lyon, Presses universitaires de
Lyon, 1979, p. 16.
* 457 Idem, p. 21.
* 458 Santé
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* 459 Elle s'appuie
elle-même sur H. Becker et E. Goffman
* 460 DARMON, Muriel,
Devenir anorexique, une approche sociologique, Paris, Editions La
Découverte - textes à l'appui / laboratoire des sciences
sociales, 2003, p. 87.
* 461 Idem, p.
108.
* 462 CHABROL, Henri,
L'anorexie et la boulimie de l'adolescente, Paris, Editions Presses
Universitaires de France, Collection « Que
sais-je ? », 1991, p. 12.
* 463 DARMON, [2003], p.
124. et p. 130.
* 464 Idem, p. 112.
* 465 Idem, p. 121.
* 466 Idem, p. 122.
* 467 Idem, p. 121.
* 468 Idem, p. 124.
* 469 Idem, p. 131.
* 470 Nous empruntons ce
terme à M. Darmon.
* 471 Idem, p. 133.
* 472 BRUCH citée
par GUILLEMOT et LAXENAIRE, [1997], p. 66.
* 473 RIGAUD, Daniel,
Anorexie, boulimie et compulsions - Les troubles du comportement
alimentaire, Paris, Editions Marabout, 2003, p. 32.
* 474 DARMON, [2003], p.
143.
* 475 Idem, p. 143.
* 476 Idem, p. 154.
* 477 Idem, p. 156.
* 478 Idem, p. 165.
* 479 Idem, p. 166.
* 480 PERILLAT, Audrey,
Les dimensions narcissiques et identitaires dans l'anorexie mentale,
mémoire de fin d'études de psychologie, Ecole de psychologues
praticiens, Lyon, 2004, p. 19.
* 481 DARMON, [2003], p.
95.
* 482 Idem, p. 174.
* 483 Nous employons le
terme « guérir » car les anti-sujets en
l'empêchant de continuer à maigrir, lui permettent
d'échapper à la mort.
* 484 DARMON, [2003], p.
178.
* 485 La maigreur peut
être stigmatisée mais aussi certaines pratiques.
* 486 DARMON, [2003], p.
179.
* 487 Idem, p. 185.
* 488 Idem, p. 186.
* 489 Idem, p. 210.
* 490 Idem, p. 210.
* 491 HORNBACHER
citée par TONNAC, [2005], p. 32.
* 492 ALVIN, Patrick,
Anorexies et boulimies à l'adolescence, Paris, Editions Doin,
Collection « Conduites », 2001, p. 35-36.
* 493 Médicalement,
on estime qu'il y a dénutrition quand l'indice de masse corporelle (IMC)
est < 18,5kg/m2. En dessous de 14, le pronostic vital est en
jeu.
* 494 JEAMMET, [2004], p.
16.
* 495 RIGAUD, Daniel,
Anorexie, boulimie et compulsions - Les troubles du comportement
alimentaire, Paris, Editions Marabout, 2003, p. 170.
* 496 Idem, p. 171.
* 497 Idem, p. 172.
* 498 Des
témoignages d'anorexiques mais aussi de parents nous ont
révélé que cette comparaison était
fréquente.
* 499 VINCENT, Thierry,
L'anorexie, Paris, Editions Odile Jacob, 2000, p. 167.
* 500 JEAMMET, Philippe,
Anorexie et boulimie, les paradoxes de l'adolescence, Paris, Editions
Hachette Littératures, 2004, p. 170.
* 501 RIGAUD, [2003], p.
190-196.
* 502 Idem, p. 133.
* 503 JEAMMET, [2004], p.
81.
* 504 Idem, p. 83.
* 505 RIGAUD, [2003], p.
116.
* 506 RIGAUD, [2003], p.
117.
* 507 GORDON cité
par TONNAC, [2005].
* 508 DARMON, [2003], p.
18.
* 509 La Croix, 18
janvier 2005, p. 14.
* 510 La Croix, 18
janvier 2005, p. 15.
* 511 La Croix, 27
septembre 1997, p. 28.
* 512 La Croix, 30
septembre 2003, p. 6.
* 513 Idem.
* 514 Idem.
* 515 La Croix, 18
janvier 2005, p. 15.
* 516 La Croix, 30
septembre 2003, p. 6.
* 517 La Croix, 18
janvier 2005, p. 15.
* 518 Le Monde, 4
février 1994, p. 3.
* 519 Le Monde, 25
juillet 1992, p. 9.
* 520 Nous avons
déjà évoque cet article dans lequel Séverine, douze
ans, devient anorexique suite aux exigences maternelles et la pratique de la
danse classique.
* 521 Le Monde, 4
février 1994, p. 3.
* 522 Idem.
* 523 Le Monde, 2
avril 1998, p. 30.
* 524 Le Monde, 2
avril 1998, p. 30.
* 525 Le Monde, 4
février 1994, p. 3.
* 526 Le Monde, 25
avril 2005, p. 12.
* 527 Le Monde, 4
février 1994, p. 3.
* 528 Le Monde, 2
avril 1998, p. 30.
* 529 Le Monde, 2
avril 1998, p. 30.
* 530 Le Monde, 4
février 1994, p. 3.
* 531 Le Monde, 25
avril 2005, p. 12.
* 532 Le Monde, 2
avril 1998, p. 30.
* 533 Le Monde, 4
février 1994, p. 3.
* 534 Le Monde, 2
avril 1998, p. 30.
* 535 Le Monde, 25
juillet 1992, p. 9.
* 536 Le Monde, 25
juillet 1992, p. 9.
* 537 Le Monde, 25
avril 2005, p. 12.
* 538 Le Monde, 25
juillet 1992, p. 9.
* 539 Le Monde, 4
février 1994, p. 3.
* 540 Le Monde, 25
avril 2005, p. 12.
* 541 Le Monde, 31
janvier 1995, p. 21.
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* 606 Idem, p. 44.
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* 608 RIGAUD, [2003], p.
215.
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* 610 RIGAUD, [2003], p.
215.
* 611 GODART, PERDEREAU,
AGMAN et JEAMMET, [2005], p. 43.
* 612 Idem, p. 44.
* 613 ALVIN, [2001], p.
80.
* 614 GODART, PERDEREAU,
AGMAN et JEAMMET, [2005], p. 42.
* 615 Idem, p. 42.
* 616 TOURNEMIRE (DE),
Renaud ; ENNIL, Amina ; AUTRET, Dominique ; HARAT, Omar, Dossier
sur « Les troubles du comportement alimentaire »,
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* 617 BRUCH, [1990], p. 11.
* 618 Idem, p. 229.
* 619 Idem, p. 230.
* 620 TAESCH, Caroline,
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parole » dans la revue Soins psychiatrie, n°230,
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* 621 MOREL,
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cognitivo-comportementaliste » dans la revue Soins
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* 622 ALVIN, [2001], p.
105.
* 623 CHABROL, [1991], p.
119.
* 624 RIGAUD, [2003], p.
260.
* 625 Idem, p. 260.
* 626 RIGAUD, [2003], p.
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* 627 JEAMMET, [2004], p.
173.
* 628 RIGAUD, [2003], p.
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* 629 JEAMMET, [2004], p.
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* 630 JEAMMET, [2004], p.
175.
* 631 VINCENT, [2000], p.
84.
* 632 TONNAC, [2005], p.
212.
* 633 RAIMBAULT et
ELIACHEFF, [1989], p. 44.
* 634 ALVIN, [2001], p.
79.
* 635 DARMON, [2003], p.
318.
* 636 ALVIN, [2001], p.
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* 637 GODART, PERDEREAU,
AGMAN, et JEAMMET, [2005], p. 43.
* 638 GODART,
Nathalie ; PERDEREAU, Fabienne ; FLAMENT, Martine ; JEAMMET,
Philippe, « La famille des patients souffrant d'anorexie mentale ou
de boulimie » dans la revue de la Littérature des
données cliniques et implications thérapeutiques, Paris,
Editions Masson, vol. n°153, n°6, octobre 2002, www.masson.fr
* 639 PENNACHIO,
Hélène, « Peut-on prévenir les troubles du
comportement alimentaire ? » dans la revue Soins,
n°694, avril 2005, p.51.
* 640 Idem, p. 51.
* 641 Idem, p. 51.
* 642 La Croix, 27
septembre 1997, p. 28.
* 643 La Croix, 30
septembre 2003, p. 6.
* 644 La Croix, 18
janvier 2005, p. 13.
* 645 La Croix, 27
septembre 1997, p. 28.
* 646 La Croix, 18
janvier 2005, p. 15.
* 647 La Croix, 18
janvier 2005, p. 15.
* 648 La Croix, 14
mai 1999, p. 11.
* 649 La Croix, 27
septembre 1997, p. 28.
* 650 La Croix, 30
septembre 2003, p. 6.
* 651 La Croix, 27
septembre 1997, p. 28.
* 652 La Croix, 18
janvier 2005, p. 15.
* 653 Le Monde, Le
contrat de poids, 22 mars 1989, p. 20.
* 654 Le Monde, La
tragédie bouffe, 22 mars 1989, p. 20.
* 655 Le Monde, 2
avril 1998, p. 30.
* 656 Le Monde, 17
avril 2000, p. 7.
* 657 Le Figaro,
25 avril 1997.
* 658 Le Figaro,
27 mai 2000.
* 659 Le Figaro,
1er juin 2002.
* 660 Le Figaro,
26 février 2003.
* 661 Le Figaro,
28 février 2003.
* 662 Le Figaro,
21 novembre 1998.
* 663 Le Figaro,
25 juin 1997.
* 664 Le Figaro,
26 février 2003.
* 665
L'Humanité, 27 mai 1994.
* 666
L'Humanité, 7 septembre 2000.
* 667
L'Humanité, 27 juin 2000.
* 668
L'Humanité, 7 septembre 2000.
* 669 Nous parlons ici des
discours propres du journal et non des discours rapportés comme le
témoignage de Clara.
* 670 Clara une jeune
anorexique reprend goût à la vie, 27 juin 2000.
* 671 La chronique de
Clémence Autain, la rentrée des glaces, 7 septembre 2000.
*
672L'Humanité, 30 janvier 1995.
* 673
L'Humanité, 7 avril 1993.
* 674
L'Humanité, 7 avril 1993.
* 675 Nous entendons par
schémas traditionnels, les trois programmes narratifs que nous avons
détaillé dans le IV. A.
* 676
Libération, A Berlin, le couvert est mis pour les
sans-appétit ; restau. Unique en Europe, le Sehnsucht est
dédié aux anorexiques, 3 février 2005, p. 27.
* 677
Libération, 20 août 2001, p. 15.
* 678
Libération, 28 avril 2005, p. 30.
* 679
Libération, A Berlin, le couvert est mis pour les
sans-appétit ; restau. Unique en Europe, le Sehnsucht est
dédié aux anorexiques, 3 février 2005, p. 27.
* 680
Libération, 5 à 13% des adolescents atteints, 3
février 2005, p. 27.
* 681 JEAMMET, [2004], p.
170.
* 682 Idem, p. 173.
* 683 Idem, p. 170.
* 684
Libération, 23 mars 2000, p. 12.
* 685
Libération, 9 avril 2002, p. 42.
* 686
Libération, 20 août 2001, p. 15.
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