-1.2.3) Processus de création dans ce temps
d'expression :
Parler
de soi et de ses émotions revient à montrer sa fragilité,
sa vulnérabilité et à se mettre en danger : chose
insupportable. Parler est aussi un moyen de se séparer, d'introduire un
tiers, entrée dans le langage comme prémisses de la
subjectivation, en ce qu'il permet de se séparer de l'autre
maternel.
En
même temps, le théâtre est une façon
intéressante et distanciée de travailler sur soi en ce que le
personnage offre comme proximité avec la personne qui joue. Cette
situation d'improvisation permet de livrer quelque chose de soi sans prendre
trop de risque. Cette activité n'est pas menaçante tant elle
invite de parler d'un autre subjectif, celui du personnage. Cette convocation
de soi-même, via le personnage suscite une vive mobilisation psychique,
permettant ainsi un décentrage de soi pour se tourner vers l'autre, vers
l'extérieur. En effet, les participants sont assujettis à de
nombreux symptômes ayant un effet d'attraction vers leur être, se
coupant ainsi des autres. L'atelier théâtre peut devenir une sorte
de liguant entre le soi et l'autre, ce qui est habituellement coupé par
les ciseaux du symptôme. Il y a là un processus de très
subjectivant, faisant défaut chez ces adolescents hospitalisés.
Processus subjectivant et une dialectique où peuvent se
réaménager quelque chose de la relation à l'autre.
Martine
a beaucoup de difficultés à investir une médiation, mais
dès lors qu'elle bénéficie d'un étayage suffisant,
elle peut poser son « manteau symptôme » pour prendre
celui d'un autre, celui d'un personnage de scène. Ceci serait un
« double » permettant l'expression fantasmatique en
prémisse d'une véritable subjectivation.
L'atelier
théâtre peut être un sas, un relais d'une pensée
amorcée dans le service venant se rejouer. Il offre une mise en forme
par le créer s'opérant comme une surface de liaison de l'angoisse
et du détournement des pulsions auto et hétéro
agressives.9(*)
Son
implication serait-elle permise par la fonction de tampon que peut joue ce
moment de création ? Tampon qui permet d'emmagasiner de
l'énergie pulsionnelle en dehors du dedans et de parer d'un retournement
de pulsions agressives contre elle-même10(*) (retournement que Martine connait trop bien).
La
situation de représentation permet aux participants d'éprouver du
plaisir à être autre, souvent différent de celui qu'il
revendique être.
Martine,
lors des improvisations arrive à représenter cet autre là
si lointain de ce qu'elle est : cet être envahi par une marée
de symptômes. Comprend elle qu'investir un autre n'est pas une source de
perte de soi ? La situation de représentation relance
inéluctablement le processus identitaire.
Dans
l'atelier théâtre pratiqué dans cet établissement
où est prise en charge Martine, l'improvisation est de rigueur, ainsi
elle permet de ne pas tomber dans du « prêt à
penser ». Elle autorise une certaine évasion, une
rêverie poétique formant une promenade dans l'espace
imaginaire.
Ce
va et vient rendu possible par le théâtre permet d'aller et venir
entre le soi et le personnage, offrant la possibilité d'intégrer,
pour les participants, leur propres limites. Limites qui font défaut
chez Martine et dont elle recherche les contours à travers l'autre,
allant parfois jusqu'au corps à corps.
Le
jeu théâtral confronte les participants à la règle
du jeu (énoncée en début de séance et
déroulé tout au long de celle-ci) leur permettant ainsi de
renégocier leur rapport à la loi symbolique en partant de soi
pour aller vers les autres, vers l'autre. Le « faire
semblant » est une règle dictée pour protéger et
respecter le joueur et son partenaire de scène. En même temps,
dans ce « faire-semblant » il y a une authenticité
du jeu des participants qui est permise par le cadre énoncé, par
la règle qui unit et protège. Le Moi se trouve du
côté de l'imaginaire (très sollicité dans le jeu
théâtral) alors que le Je se range du côté du
symbolique, de l'éthique. Le Moi serait la clef de voute entre ce qui
existe du participant et du personnage.
Il
n'y a pas de scène sans acteur et pas de théâtre sans
publique. Le publique implique la notion de regard. Comme l'explique
Céline Masson11(*)
le regard permet de se sentir exister. Ce regard, peut donner une consistance,
un plein nourricier en ce sens qu'être regardé signifie :
exister.
Le
regard peut faire tiers dans le processus de création en se sens que le
spectateur tient une place dans le processus de création qu'il regarde.
Ce même regard peut être générateur d'un vécu
persécutif ou dépressif : être jugé par le
spectateur12(*). Chez
Martine, ce regard « jugeur » elle y est très
attentive au moment de la fin de l'improvisation qui est un moment où le
public fait un retour sur ce qui vient d'être jouer. Martine semble
très friande ce moment qui semble lui restituer un bout
d'elle-même qu'elle vient d'exposer. Le regard de l'autre comme un miroir
de ce qu'elle vient de montrer. Quand elle écoute, elle semble
écouter avec ses yeux se mettant en chasse de tout ce qui pourrait
être dit autrement que par les mots : ne pas en rater une
« miette », elle semble dévorer ce retour, s'en
remplir.
Le
jeu et l'humour issus de la confrontation entre soi et le personnage offrent un
espace libre de penser et une appropriation des processus psychiques. Le jeu
crée une sphère potentielle d'expérience en
continuité avec le jeu chez l'enfant13(*). Les participants étant dans l'univers du
jeu, du « faire sans risque », du côté de
l'intersubjectivité d'appartenance à un groupe peuvent se lancer
dans ce jeu.
L'art
n'est pas une thérapie mais un moyen d'expression14(*), moyen que Martine manie avec
talent et plaisir. Ceci invite à réfléchir sur la notion
de soin dans l'avant et l'après coup, pour ensuite s'interroger sur la
place du transfert dans un tel dispositif.
* 9 .MASSON.C :
L'angoisse et la création, essai sur la
matière. L'Harmattan, 2005
* 10 Ibid
* 11C. MASSON. L'angoisse
et la création. Paris, L'Harmattan, 2005 P83
* 12ibid
* 13 0. COUDER. La
création artistique facteur d'épanouissement des personnes
handicapées, in La revue Sésame N° 152, 2004)
* 14 C.MASSON :
« séminaire de Master I » du 22/10/2007
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