WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Les limites de la vision occidentale du vivant

( Télécharger le fichier original )
par Mathieu Néhémie
Université Blaise Pascal - Master 2 Philosophie 2007
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

Langage et abstraction

Il est alors possible d'invoquer le formalisme dont est susceptible l'homme, qui non seulement calcule mais sait énoncer les règles qui servent à son calcul. C'est donc davantage le langage qui sert alors à soutenir l'originalité humaine puisque, avant de juger des capacités de formalisation d'une espèce animal, il faudrait que celle-ci puisse nous communiquer comment les choses se présentent à elle ; bref il faudrait déjà avoir admis sa subjectivité, son aptitude à transmettre du sens et avoir résolu le problème d'une communication entre humain et non-humain.

Au-delà de la rationalité ou du langage, c'est l'abstraction qui est parfois considérée comme le propre de l'homme. On estime alors que la psyché humaine est seule capable d'isoler par la pensée les qualités d'un objet concret et de se former à partir de là une représentation intellectuelle. Ces capacités sont généralement considérées comme des conditions nécessaires pour accéder à la sphère du langage.

En ce qui concerne les hominidés, les éthologues ont déjà bien montré les capacités d'apprentissage linguistique de certaines espèces. Pour ce qui est du domaine expérimental, le cas de Washoe, une jeune chimpanzé élevée par Allen et Béatrice Gardner et étudiée par Deborah et Roger Fouts, fut la première tentative couronnée de succès d'enseigner le langage des signes à un singe. Avec les trois cent cinquante signes qu'elle a pu apprendre, Washoe est capable de se désigner elle-même et utilise la forme sujet-verbe neuf fois sur dix. Le plus remarquable est que son bébé adopté commence à apprendre le même langage sans l'intervention de l'homme. Le vocabulaire du gorille Koko, dans le langage des signes américain, dépasse les cinq cent mots. La chimpanzé Sarah repère les ''menteurs'' et le bonobo Kanzi communique, via un clavier, par un lexigramme de près de mille symboles. Ceux-ci se trouvent alors même capables de reproduire les trois modes dont la combinatoire est à l'origine de tous les symboles humains, à savoir synecdoque, métonymie et métaphore. Ils sont également capables de suivre les grandes lignes de la grammaire et de transmettre ce langage à leur progéniture.

Il est toujours possible de distinguer le langage humain du langage animal par son contenu. Notamment il est courant de considérer le langage animal comme une simple communication, car il consiste en général en des signaux d'alarmes ou des parades amoureuses, alors que le langage humain sert à transmettre des états internes. Ainsi peut-on toujours considérer que les animaux à qui l'on a enseigné des langages en laboratoire n'y parviennent que par l'imitation et association de souvenirs concrets sans jamais créer de nouveaux symboles. Pourtant les métaphores, métonymies et synecdoques dont sont capables certains grands singes peuvent difficilement être considérées comme de simples comportements mimétiques car s'agit alors d'isoler la couleur ou la forme d'un objet puis de s'en servir pour en décrire d'autres. Jane Goodall, dans La vie chimpanzé, évoque notamment le cas d'une chimpanzé qui appelle un concombre ''banane verte''. Il arrive même aux primates sujets de ces expériences de mentir à leur entraîneur lorsque cela est à leur avantage, et même parfois aussi de repérer les menteurs.

On pourrait toujours soutenir que toutes les notions abstraites dont témoignent les animaux ont été enseignées par l'homme et que ce sont donc les facultés d'abstraction de l'homme qui sont singées par l'animal. Aussi les animaux peuvent alors éventuellement être considérés comme capables d'user de concepts abstraits mais pas d'en forger. Il est possible de répondre à cela que tous les concepts abstraits enseignés aux animaux sont des concepts abstraits humains et que bien entendu ils ne peuvent être qu'appris car aucun animal ne forgera un concept abstrait humain. Le lien entre langage et abstraction est très fort et il n'est donc guère étonnant que la plupart des expériences menées pour dégager l'un se fasse à partir de l'autre. Il est alors tout à fait envisageable que certains animaux forment des concepts abstraits en milieu naturel mais qu'il soit quasiment impossible pour l'observateur de les isoler en analysant leur comportement.

Ainsi, dans leur milieu naturel, les groupes de chimpanzés possèdent toujours des mâle et femelle dominants. Ceux-ci ne sont pas forcément plus gros et n'ont pas besoin d'exercer une pression physique constante sur leurs subalternes, mais ils sont simplement parvenus à asseoir leur domination lors d'évènements précis, ce qui leur assure un respect général et constant du reste de la communauté. Comme Frans de Waal le rapporte dans La politique du chimpanzé, il arrive souvent que ces dominants, une fois leur position assise, fassent preuve de clémence et soient prompts à aider les plus faibles. Comment expliquer alors le phénomène de domination dans les communautés de chimpanzé à partir de la réminiscence de souvenirs concrets sans produire un raisonnement ad hoc, alors que le dominant est parfois violent et d'autres fois généreux. Il semble bien plus cohérent de considérer le chimpanzé comme usant d'un concept abstrait similaire à ''dominant'' ou ''chef''.

Mais l'argument en question n'est de toute façon pas recevable puisqu'il reviendrait à poser un argument circulaire. Si l'originalité du langage de l'homme est de lui permettre de communiquer le contenu de sa conscience, il ne peut être pris comme argument pour appuyer l'exclusivité humaine de cette conscience. En effet, à partir du moment où on refuse à l'animal la capacité de communiquer ses états internes, cette incapacité pratique ne signifie nullement l'inexistence de cette conscience mais plutôt l'impossibilité de traiter de son existence à partir du langage. De toute façon, si l'on accordait à l'animal une subjectivité qui serait le théâtre de ses perceptions, un signal d'alarme serait bien alors la transmission d'un état interne.

Si les prédispositions linguistiques des primates, et surtout des chimpanzés, sont le plus souvent étudiées et utilisées pour réfuter l'exclusivité humaine du langage, il ne s'agit pas des seuls animaux à montrer ce type de facultés. Ainsi, si on a longtemps pensé que le chant des oiseaux était tout aussi programmé génétiquement que la forme de leur ailes. On sait maintenant que la forme aboutie du chant de toutes les espèces d'oiseaux chanteurs étudiés est le fruit d'un enseignement et reste perfectible au cours de la vie de l'individu. De plus, de nombreuses espèces apprennent leur chant et celui-ci peut témoigner de différences entre communautés d'oiseaux éloignées géographiquement.

Alex est également un cas exceptionnel très intéressant. Il s'agit d'un perroquet élevé en laboratoire par Irene Pepperberg, qui a appris à compter jusqu'à six, à reconnaître et à nommer plus de cent objets, qu'il peut identifier, regrouper et différencier par leur couleur, forme, taille ou texture. Ce perroquet parvient aussi à exprimer ses désirs. Alex peut certes décrire les objets qu'on lui présente en isolant divers attributs comme le nombre et la couleur mais le fait le plus intéressant est qu'il soit parvenu à manier le zéro.

Les cétacés sont beaucoup plus difficiles à étudier mais de nombreux travaux convergent pour leur attribuer quelque forme de langage acquis et présentant des divergences culturelles régionales. Des études en laboratoire menées sur des dauphins à gros nez ont montré leur compréhension symbolique des choses, leurs capacités à se représenter eux-mêmes, à appréhender le comportement de leurs congénères et ont également mis en lumière leur mémoire exceptionnelle. Les dauphins se montrent capables d'apprendre des règles abstraites et les chercheurs sont même parvenus à enseigner à certains des langages acoustiques et gestuels imposés. Ils montrent des capacités d'apprentissage par mimétisme supérieures aux primates aussi bien au niveau gestuel que vocal. Leurs facultés d'imitation, malgré les différences anatomiques, s'étendent même aux attitudes humaines. Les ''langages'' des cétacés sont particulièrement complexes, associant gestuelles, contacts, sons, écholocalisation et, sûrement aussi, signaux chimiques. Cela explique les difficultés techniques que présente l'étude des phénomènes linguistiques chez les cétacés.

L'originalité du langage humain n'est donc plus aussi évidente qu'elle l'était pour Descartes. On peut toujours soutenir les meilleures performances des langues humaines mais d'autres mammifères manient manifestement eux-aussi des concepts abstraits via des constructions symboliques. Les animaux supérieurs ne sont cependant pas les seuls à manier des concepts abstraits, certains semblent y parvenir sans l'intermédiaire du langage.

Une simple expérience sur les abeilles qui est en phase de devenir une canon de la cognition chez l'insecte, consiste à entraîner un spécimen dans un labyrinthe en Y. L'abeille doit choisir au carrefour le bon embranchement où l'attend une récompense sucrée. La même marque de couleur est placée à l'entrée du labyrinthe et sur le bon embranchement du labyrinthe. Les abeilles comprennent très rapidement qu'elles doivent suivre au carrefour la même couleur qu'à l'entrée du labyrinthe mais, lorsque les couleurs sont remplacées par des symboles sans couleur, comme des traits horizontaux et des traits verticaux, les spécimens entraînés avec les couleurs choisissent spontanément le même symbole qu'ils ont pu détecter à l'entrée. Certaines expériences mettent également en lumière que des abeilles entraînées à reconnaître la similarité entre odeurs pourront reproduire cela avec des signaux visuels. Ces études semblent prouver la capacité de ces insectes à saisir le concept abstrait de ''même''. Si les abeilles témoignent bien d'un comportement assez mécanique, c'est à des règles abstraites qu'elles arrivent à obéir lorsqu'on les leur enseigne. On ne peut pas sérieusement considérer que ces abeilles ont appris ce concept abstrait de l'homme puisque ce sont toujours les mêmes fleurs et les mêmes couleurs qu'elles cherchent à butiner dans leur habitat naturel, l'entraînement en laboratoire a seulement permis de changer l'usage qu'elles en faisaient et que nous considérions alors comme un simple automatisme inné.

Finalement les biologistes parlent de manière récurrente de communication entre toutes les formes de vie, que ce soient les plantes ou les bactéries. Ces dernières se transmettent continuellement des informations, notamment elles se comptent pour savoir si elles sont suffisamment nombreuses pour envahir un hôte malgré son système immunitaire ; avant cela elles demeurent hors de portée de détection pour éviter que les anticorps de la cible se mettent en branle. Bonnie Bassler rapporte comment les différents types de bactéries de notre bouches sont agencés dans une organisation si précise qu'il est impossible qu'elles parviennent toujours à reproduire le même positionnement sans une incessante communication.

Les cellules des entités pluricellulaires sont tout aussi bavardes. Un complexe réseau de signaux chimiques intracellulaires permet la coordination de l'action de toutes les cellules et l'efficacité globale de l'organisme. Certaines détectent intrusion, carence ou excès et en informent leurs collaboratrices pour qu'elles se mettent au travail. La quantité de signaux chimiques qui parcourent un organisme est très importante mais une cellule possède des récepteurs stéréospécifiques qui lui permettent de ne réagir qu'à certains messages précis et de répondre à chacun par la réaction correspondante. Cette communication peut cependant faire l'objet d'une falsification, comme la bactérie salmonella qui envoie des protéines infiltrer la cellule cible. L'une d'elles active les régulateurs qui déterminent la forme de la cellule et les convulsions provoquées permettent à la salmonella d'être absorbée par sa cible.

Concernant l'échelle moléculaire, que l'on soit partisan de la contingence comme Monod ou finaliste, force est de constater que l'ADN présente toutes les caractéristiques d'un langage, un langage chimique certes mais à la syntaxe très précise. Si l'on peut rejeter comme Chandebois le concept d'un programme génétique qui serait responsable de toute l'ontogenèse, il demeure que la structure logique des briques qui composent un organisme vivant est contenue dans ses gènes. C'est un processus de traduction via les ARN messager qui permet de coder les protéines. C'est à partir de ce fonctionnement logique de l'ADN que peuvent être construits les systèmes de calcul que sont les ordinateurs à ADN.

Certes ces modalités de communication sont davantage déterminées que les langages évolués et culturels des cétacés, que ce soit génétiquement ou selon des constantes embryologiques, mais on peut considérer comme Chomsky que la grammaire des langages humains est tout autant déterminée par des principes généraux et innés. Qui plus est, nombre de nos réactions pulsionnelles, bien que pouvant être considérées comme ne relevant d'aucun langage, ni même d'aucun comportement culturel, mais simplement d'un automatisme biologique, correspondent tout de même à des états de conscience déterminés.

Ainsi la malléabilité et les potentialités énormes du langage humain peuvent suffire pour le considérer comme un des plus puissants outils à notre disposition mais ne semblent pas appropriés pour traiter de l'exclusivité de la conscience humaine. On peut envisager que le langage soit une des rares preuves de la subjectivité d'un individu, et même la seule pour certains, ce qui explique que l'on ait souvent accordé conscience qu'aux individus doués de parole. Pourtant si langage signifie conscience, rien n'indique que l'absence de langage équivaut à l'absence de subjectivité.

Se faire une représentation mentale d'une propriété n'est pas un élément décisif ni recevable pour débattre de l'exclusivité de la subjectivité humaine car disposer d'une subjectivité est une condition, et pas une conséquence, de l'abstraction. Ainsi on peut éventuellement prouver la subjectivité de certaines espèces animales à partir de leur capacité à l'abstraction mais l'incapacité d'abstraire ne signifie pas pour autant absence de subjectivité. De plus, lorsque l'on constate l'aspect logique des règles qui gouvernent les réactions des entités les plus simples du vivant, on peut douter qu'une frontière nette entre concret et abstrait, puisse être trouvée dans le comportement du vivant.

Enfin, puisque nous avons communément l'expérience pleinement consciente d'objets entièrement concrets, l'abstraction ne semble pas tout à fait appropriée pour limiter la conscience à seulement certains animaux.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault