La République tchèque : analyse de son "retour à l'Europe"( Télécharger le fichier original )par Audrey Arnoult Université Lyon 2 - Master 2 en Sciences de l'Information et de la Communication 2007 |
4. Libération : S. Gross, un homme politique compétentL'ascension de S. Gross fait l'objet d'un article entier251(*) dans Libération. Ce discours fournit différentes indications qui permettent de conclure sur la façon dont le quotidien aborde le thème de la corruption et plus généralement des pratiques démocratiques en République tchèque. Contrairement à ce que suggère l'encart, le discours de Libération ne se focalise pas sur la viabilité de la coalition gouvernementale dont S. Gross prend la tête mais sur son ascension en politique. Cette ascension est qualifiée d' « irrésistible ». Contrairement à La Croix, le quotidien ne s'attarde pas sur la corruption comme le suggère la phrase suivante : « malgré son implication dans diverses affaires financières mineures, ce jeune père de deux petites filles est l'homme politique le plus populaire du pays ». Comme Le Figaro, Libération minimise la compromission du futur Premier ministre et se focalise sur son parcours professionnel. Nous pouvons faire plusieurs remarques sur ce portrait. Les expressions temporelles qui rythment la description de cette carrière politique produisent un effet d'accumulation qui met en valeur les nombreux postes occupés par S. Gross. Par exemple nous trouvons les expressions suivantes : « au milieu des années 90 », « dès le début de sa carrière politique », « en avril 2000 », « le mois dernier »... L'énumération de toutes les étapes de sa carrière politique ne fait que refléter « l'irrésistible ascension » dont parle Libération. Les deux phrases qui ouvrent et closent le portrait participent aussi de cette mise en valeur : « il finit son service militaire après une formation de cheminot » / « il dirige une coalition ». Cette ascension dans le monde politique se double d'une ascension sociale. En effet, plusieurs indications nous révèlent que S. Gross n'était pas issu d'un milieu aisé : « formation de cheminot », « jeune conducteur de locomotive ». Tout au long de ce portrait, le quotidien met en avant les compétences de cet homme politique. Des compétences à la fois relationnelles : « il a su se faire des amis », de négociation : « talents de négociateurs et de communicateur que personne aujourd'hui ne lui conteste ». Il est également habile (« il a su tirer son épingle du jeu ») et ambitieux (« jeune homme ambitieux »). Le quotidien conclut : c'est un « surdoué de la politique ». Enfin, sa jeunesse est à plusieurs reprises soulignée. Finalement, sa compromission dans des scandales financiers évoquée au début de l'article s'efface derrière l'énumération de ses qualités et de ses compétences. A travers ce portrait, Libération donne une image particulière de la vie politique tchèque : peu importe la compromission, le talent et les compétences suffisent à gravir les échelons. Pour être reconnu, il suffit d'être populaire. La corruption n'est donc pas un élément sur lequel Libération juge utile de s'attarder. Cela permet de comprendre pourquoi il ne mentionne pas les scandales financiers liés au gouvernement de l'ODS. De même, il attribue la démission de V. ipdla au manque de soutien de son parti sans rien dire de sa lutte contre la corruption qui ne faisait pas l'unanimité. L'Humanité est le seul quotidien que nous n'avons pas évoqué car il ne dit rien de la vie politique tchèque et de la formation du nouveau gouvernement suite à la démission de V. ipdla. La thématique de la corruption apparaît de façon plus ou moins précise dans tous les discours consacrés à la formation du gouvernement de S. Gross. Seul La Croix semble s'indigner de l'éligibilité d'un parti corrompu aux élections européennes, une position qui s'explique par l'orientation catholique du journal. Contraire à l'éthique et à l'honnêteté, la compromission d'un homme politique ne peut être tolérée. Le Figaro et Libération relativisent le phénomène de la corruption pourtant tangible et insistent sur la popularité de S. Gross. Le portrait que ces deux journaux brossent de cet homme politique nous renvoie aux pratiques politiques en République tchèque. La popularité qui peut être définie comme le « fait d'être connu, aimé du plus grand nombre »252(*) semble être au coeur du système démocratique. Dans un ouvrage consacré à l'histoire des pays de l'Est, Jean-François Soulet rappelle effectivement que l'opinion est-européenne a longtemps été soumise au culte de la personnalité. Selon lui, cela explique pourquoi elle se montre sensible au charisme des hommes politiques253(*). Plus critique, un journaliste du Lidové Noviny écrivait en 1998 que les hauts dignitaires de l'Etat sont souvent perçus comme des « dirigeant[s] de la nation, [des] prophète[s] ou dans le meilleur des cas, comme [des] monarque[s] paternaliste[s] ». Il qualifie cette « perception [de] primaire, prédémocratique et immature »254(*). Sans aller aussi loin et reléguer la République tchèque à une ère prédémocratique, nous pouvons interpréter les articles du Figaro et de Libération comme un constat : les pratiques démocratiques résultent d'un apprentissage que le peuple tchèque n'a pas encore terminé. Le Monde se veut plus optimiste. Il souligne que la popularité de S. Gross ne fait pas l'objet d'un consensus, une façon de dire qu'une partie du peuple tchèque dispose d'une culture politique suffisante pour se forger une opinion qui ne dépend pas uniquement du charisme d'un homme politique. Il est difficile d'expliquer pourquoi les quotidiens relativisent la corruption, un phénomène pourtant pointé du doigt à plusieurs reprises par la Commission européenne. Ancrée dans les comportements, elle rappelle que les pratiques démocratiques ne peuvent s'enraciner dans la société que dans le temps long. Au moment où la République tchèque entre dans l'UE, il est sûrement délicat de le présenter comme un pays corrompu. III. La dimension économique et sociale Le dernier volet de nos analyses est consacré à la dimension économique et sociale de la République tchèque, un aspect qui s'est révélé être majoritaire dans les discours. La transition à une économie de marché viable était l'une des exigences à satisfaire pour intégrer l'UE. Au cours du processus d'adhésion, des rapports annuels de la Commission européenne ont sanctionné les avancées du pays et les défis à relever. En 2001, la Commission a reconnu que la République tchèque était « une économie de marché viable »255(*). Parmi les derniers rapports rédigés, celui de la délégation de l'assemblée nationale pour l'UE sur l'adhésion à la République tchèque a considéré que ce pays était l' « un des [...] mieux armés pour entrer dans l'UE »256(*). Les conditions économiques étaient donc jugées favorables pour permettre l'intégration de la République tchèque dans l'UE. L'entrée officielle dans l'UE symbolise la fin de la transition post-communiste, plus précisément, elle constitue une sanction257(*) positive des réformes économiques menées au cours du processus d'adhésion. C'est pourquoi, nous pouvons interpréter les discours médiatiques abordant la situation économique et sociale de la République tchèque comme une sanction de la transition économique et sociale. Les indicateurs économiques du pays sont-ils assez performants pour que la République tchèque soit capable de faire face à la concurrence et à la compétitivité des autres pays membres ? Le système de protection sociale est-il assez solide pour garantir un niveau de vie décent aux citoyens tchèques ? L'analyse nous permettra de comprendre comment les quotidiens jugent la situation économique et sociale de ce pays, au moment de son entrée dans l'UE. En outre, il faudra s'interroger sur la signification de la sanction opérée par les journaux. * 251 Libération, « La République tchèque se donne à un jeune premier ministre », 27 juillet 2004, p. 9 * 252 Le Petit Larousse, [1993], p. 805 * 253 SOULET, Jean-François, Histoire de l'Europe de l'Est de la Seconde Guerre mondiale à nos jours, Paris, Editions Armand Colin, 2006, p. 228 * 254 Idem, p. 229 * 255 Rapport d'information déposé par la délégation de l'Assemblée nationale pour l'UE sur l'adhésion de la République tchèque à l'UE, présenté par M. Nicolas DUPONT-AIGNAN, 8 avril 2003, p. 8, www.ladocumentationfrancaise.fr * 256 Idem, p. 7 * 257 Nous employons ici le terme de sanction tel qu'il est utilisé par A. J. Greimas dans la grille du schéma narratif. Au cours de la phase de sanction, il s'agit « de statuer sur la véridiction des états transformés au cours de la phase de performance », GROUPE D'ENTREVERNES, Analyse sémiotique des textes : introduction, théorie, pratique, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1979, p. 49. |
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