La République tchèque : analyse de son "retour à l'Europe"( Télécharger le fichier original )par Audrey Arnoult Université Lyon 2 - Master 2 en Sciences de l'Information et de la Communication 2007 |
3. L'opinion publique française : une opinion publique de plus en plus « réticente »Nous avons trouvé intéressant d'étudier la façon dont l'opinion publique française percevait l'élargissement de l'UE aux pays d'Europe centrale dans la mesure où notre corpus sera composé d'articles issus de la presse quotidienne française ; l'analyse de l'opinion publique française peut nous fournir des éléments qui nous permettront de comprendre ce qui se joue dans les discours médiatiques. a) L'opinion publique française : une opinion réticenteSi globalement les pays membres de l'UE étaient favorables à l'élargissement, cet enthousiasme doit être nuancé. En effet, tout au long du processus d'adhésion, cinq pays sont restés assez hostiles à l'intégration des dix nouveaux pays candidats, dont la France. A la veille de l'élargissement, 55% des Français sont favorables à la nouvelle Europe, 34% y sont opposés113(*). Une position que J. Rupnik qualifie de « frileuse » et qui, selon lui, a eu un impact sur la perception des élites et des opinions publiques en Europe centrale. En effet, au début des années 90, certains hommes politiques français se sont montrés assez maladroits en abordant le thème de l'élargissement, et la France a dès lors été assimilée à un pays réticent à l'entrée des ex-pays communistes dans l'UE114(*). Même si elle a su revenir sur ses positions115(*), une image négative s'est ancrée dans les esprits à l'Est. Enfin, J. Rupnik signale que cet élargissement a suscité moins de débat que dans le cas de l'Espagne ou de la Turquie, les pays d'Europe centrale étant moins connus de la société française et considérés comme lointains. Cela étant, l'élargissement suscite tout de même des craintes parmi l'opinion publique française. b) Des craintes principalement économiquesSelon C. Lequesne et J. Rupnik, les principales craintes de l'opinion publique française sont au nombre de trois : l'ouverture des frontières « qui rendra plus difficile le contrôle de l'immigration clandestine, la lutte contre la criminalité et le trafic de drogue »116(*), le coût de l'élargissement qui se traduirait par l'augmentation de la contribution des citoyens au budget de l'UE, et la difficulté de la prise de décision dans les institutions communautaires. Cependant, Marie-Luise Herschtel évoque des peurs quelque peu différentes : « relocalisation d'entreprises à l'Est avec son cortège de chômeurs à l'Ouest, afflux massif d'émigrants à la recherche de rémunération et de conditions de travail plus favorables, augmentation de la criminalité et des trafics de toutes sortes »117(*). J. Rupnik et C. Lequesne n'abordent pas du tout la question des délocalisations et nuancent celle de l'immigration qui serait faiblement associée à l'élargissement. « Les Français ne semblent pas associer fortement dans leur imaginaire immigration et élargissement à l'Est »118(*), l'immigration étant plutôt associée aux pays du Sud. Il y a donc une divergence entre ces auteurs que nous ne sommes pas en mesure d'expliquer puisque tous s'appuient sur des sondages ou des études économiques réalisés avant l'élargissement de mai 2004. Cependant, la plupart des auteurs s'accordent pour expliquer ces craintes par un manque d'information et l'absence de débat dans la société française. C'est pourquoi, « pour qualifier la situation de la société française à l'égard de l'élargissement aux PECO, il convient moins de parler d'une réelle réticence que d'une indifférence résignée »119(*). Outre cette indifférence, plusieurs sondages ont révélé que l'opinion publique française connaissait peu de choses de l'Europe centrale. Ainsi, en novembre 2002, seulement 40% des citoyens de l'UE étaient capables de citer le nom de trois pays candidats et 40% étaient incapables d'en citer au moins un120(*) ; la France étant l'un des pays où le taux était le plus élevé. Ces chiffres montrent bien que l'opinion publique française a peu de connaissances concernant les pays d'Europe centrale, une méconnaissance qui s'explique en partie par l'absence de proximité avec cette région. Enfin, contrairement à l'opinion publique tchèque, les variables socio-démographiques et notamment les variables de l'âge et du niveau d'études ne sont pas pertinentes pour expliquer l'indifférence des Français face à l'élargissement. J. Rupnik tente de comprendre cette « exception française »121(*) et émet l'hypothèse que l'attitude des citoyens français par rapport à la question de l'élargissement est due essentiellement « au manque de travail politique de conviction et de mobilisation des élites pro-européennes »122(*), ce qui a permis à la propagande anti-européenne d'occuper le devant de la scène et de convaincre une partie de la population que l'élargissement allait accroître le chômage et l'immigration. La confrontation des craintes des opinions publiques tchèque et française nous permet donc de remarquer qu'il y a une certaine convergence entre les pays membres et les pays candidats. Il sera intéressant dans notre analyse de voir si cette convergence se retrouve dans les discours médiatiques, comment les médias représentent ou non ces craintes et s'ils les légitiment. Enfin, il faut préciser que la plupart des auteurs ayant étudié l'attitude de l'opinion publique tchèque face à l'élargissement a mis l'accent sur les craintes qu'il fait surgir. Il ne faut cependant pas oublier les bénéfices, les espoirs et les attentes que nourrissent les Tchèques. * 113 RUPNIK, Jacques, « Elites et opinions publiques européennes face à un moment historique pour l'Europe » dans Rupnik, [2004], p. 28 * 114 Par exemple, au début des années 90, F. Mitterrand affirme qu'il n'y aura pas d'élargissement avant une dizaine d'années. * 115 En 1995, Jacques Chirac se rend dans les pays candidats et affirme que l'élargissement aura lieu en 2000. * 116 LEQUESNE et RUPNIK, [2004], p. 59 et RUPNIK, [2004], p. 33 * 117 HERSCHTEL, Marie-Luise, L'Europe élargie : enjeux économiques, Paris, Editions des Presses de la fondation nationale de sciences politiques, 2004, p. 11 * 118 RUPNIK, [2004], p. 60 * 119 Idem, p. 49 * 120 LEQUESNE et RUPNIK, [2004], p. 57 * 121 RUPNIK, [2004], p. 55 * 122 Idem, p. 55 |
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