Le bouddhisme theravada, la violence et l'état. Principes et réalités( Télécharger le fichier original )par Jacques Huynen Université de Liège - DEA Histoire des religions 2007 |
L'Indochine après la décolonisation et la guerre américaineÀ la veille de la colonisation le Laos et le Cambodge étaient en voie de disparition sous la double pression s'exerçant à partir du Siam et du Vietnam. Ils doivent peut-être à la France d'exister encore. Le contexte international après les guerres d'Indochine ne permettait plus le retour d'un expansionisme aussi brutal de la part du Vietnam et de la Thaïlande. Mais ces deux pays demeuraient les acteurs principaux sur la péninsule et la pression resurgit, donnant lieu à l'inféodation des partis communistes lao et cambodgiens au parti vietnamien, à l'invasion du Cambodge des Khmères rouges par le Vietnam en 1979 et, du côté thaï, à différents incidents. En Thaïlande, dès 1940, suite à la capitulation de la France devant le Reich, le Premier ministre thaï Phibun Songkhram réaffirme au gouvernement de Vichy la suzeraineté de la Thaïlande sur le Cambodge et le Laos190(*). Cette prétention devait mener à un bref conflit entre la Thaïlande et la France (bataille de Sisophon) au terme duquel le Cambodge perdit un quart de son territoire, essentiellement la province de Battambang, et 12 % de sa population (Traité de Tokyo, 9 mai 1941) qui lui seront rendus en 1946. La querelle fut ranimée en 1988 par l'affaire de Preah Vihear, temple khmère angkorien du IXe EC, édifié sur la frontière nord du Cambodge, que se disputaient les deux pays. En général « contestations et conflits sont récurrents relativement à la frontière terrestre et fluviale entre le Laos et la Thaïlande [...] en 1987, des combats éclatèrent dans la partie méridionale de Luang Prabang » à propos d'un tracé de frontière tel que défini par le Traité du 25 mars 1907 entre la France et le Siam191(*). Mais ce sont les troubles dans les trois provinces du Sud192(*), à majorité musulmane, qui depuis 1990 occupent en Thaïlande le devant de la scène. Ils ont fait depuis 2004 quelque 2 100 victimes et la violence augmente depuis le coup d'état de 2006 dont une des justifications était pourtant d'y mettre un terme. Retraçons les origines et différentes phases du conflit. Les sultanats malais de Kedah, Kelantan, Pattani, Perlis et Terengganu jouissaient depuis le XVIe siècle d'une quasi-souveraineté lorsqu'en 1909 les Britanniques qui occupaient la Malaisie exigèrent leur retour, à l'exception de Pattani que la Thaïlande annexa et subdivisa en trois provinces : Pattani, Yala et Narathiwat. Les Malais des trois provinces de l'ancien Pattani ayant peu en commun avec ceux de la Malaisie moderne, ils s'intègrent d'abord relativement bien à l'Etat siamois qui mena dès lors une politique assimilatrice. Dans les années trente des mouvements séparatistes émergent et sont réprimés. Après la IIe Guerre mondiale, le fils du dernier râja de Pattani, Tengu Mahmud Mahyuddin--qui avait pris le parti des Britanniques alors que le régime thaï de Phibunsongkram s'était d'abord rangé du côté des Japonais--échoue à faire reconnaître ses droits. Une politique de « thaïsation » est alors mise en oeuvre. En 1952, Hajj Sulong Takmina qui prône une autonomie culturelle est tué par la police. Les années quatre-vingt inaugurent cependant une politique de libéralisation qui permet le développement du Barisan Revolusi Nasional (BRN : Front de Révolution Nationale). La dernière décennie du XXe siècle voit un renouveau de l'agitation sous l'influence de mouvements islamistes du Moyen-Orient. Le BRN éclate en factions dont l'émulation alimente l'insurrection. Actuellement le PULO (Pattani United Liberation Organisation) tente de coordonner l'action de ces factions dont certaines ont des liens avec des organisations étrangères telles que le Moro Islamic Liberation Front, le Free Aceh Movement indonésien, le Jemaah Islamiya et Al Quaeda. Le PULO vise la création d'un Etat islamiste indépendant de langue malaisienne, le Pattani Darul Makrik, et non l'intégration à la Malaisie. Suite à l'augmentation en 2004 du nombre des attentats visant l'armée, la police, les fonctionnaires mais aussi la population civile tant bouddhiste que musulmane, le précédent Premier ministre, Thaksin Shinawatra, les considérant comme de simples phénomènes de banditisme organisé à grande échelle, déclare l'état d'urgence en 2005. La répression, brutale autant qu'inefficace ne fait qu'alimenter la violence. Le coup d'état de septembre 2006--le premier depuis 15 ans--mené avec l'accord du roi par un officier musulman, le général Sonthi Boonyaratkalin, avec comme programme entre autres l'aménagement dans les trois provinces d'un droit personnel pour les musulmans (prescriptions de la sharia en matière de mariage et d'héritage) n'arrive pas à réduire les attentats qui se poursuivent au moment où nous écrivons ces lignes. En Birmanie après la non-reconnaissance par le SLORC du résultat des élections de 1990 gagnées par Aung San Suu Kyi, suivie de la déroute de l'opposition193(*), champs libre est laissé à la junte pour la poursuite d'une politique de répression des minorités et d'affairisme. Le commerce frontalier entre Chine et Birmanie étant passé de 7 millions de dollars US en 1984 à 192 millions en 1990, la junte est soutenue en ce sens par les autorités chinoises désireuses de « conforter l'influence croissante de leurs commerçants sur tout le plateau chan et jusqu'à la ville de Mandalay et poursuivre leurs objectifs stratégiques qui pourraient faire de Rangoon un débouché portuaire sur l'Océan indien »194(*). L'heure est désormais aux gigantesques investissements chinois dans le Triangle d'Or. De cette complicité les premières victimes sont les minorités : 60 000 réfugiés karène, karenni et môns en territoire thaï, 40 000 réfugiés musulmans au Bangladesh195(*)vers 1993. Les musulmans, communauté prospère et active dans le commerce semblent faire l'objet d'une méfiance particulière de la part des autorités. Un juriste birman, chef de la magistrature sous U Nu et Ne Win, interviewé par Richard Sola196(*) bien qu'admettant que U Nu « mélangeait trop la religion à la politique », déclare que « pour lui, la doctrine du Bouddha était totalement pure et ne nécessitait aucune actualisation » et ajoute : Malgré sa faiblesse numérique, en Birmanie, la communauté musulmane n'en possède pas moins une importance majeure dans les circuits économiques. D'autre part cette philosophie (musulmane) s'oppose absolument aux croyances bouddhistes dans un pays où plus de 80% de la population est de religion bouddhiste. Et nous voulons mettre un terme aux sacrifices rituels de vaches, nous voudrions aussi arrêter la propagation de l'idéologie musulmane. * 190 Charles MEYER, « Le Cambodge et ses frontières » in Pierre BROCHEUX, op.cit., p. 161. * 191 Xavier ROZE, op.cit., p. 94 * 192 Pattani, Yala, Narathiwat et la province de Songkhla, à majorité bouddhiste mais confinant aux trois premières. * 193 Richard SOLA, op. cit., p. 183. * 194 Évitant ainsi le détour par les détroits de Malacca ou de la Sonde. Ibidem, p. 174. * 195 Ibidem, pp 175 et 148. * 196 Ibidem, p. 255. |
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