La faillite de l'ONU devant le génocide des Tutsi du Rwanda : Des causes de l'échec et des leçons à en tirer( Télécharger le fichier original )par Jean-Bosco Iyakaremye Université du Québec à Montréal - Maîtrise en droit international (LLM) 2001 |
8. Les questions qui se posent alors sont de savoir pourquoi l'ONU est restée les bras croisés devant le génocide contre les Tutsi du Rwanda, alors que le Droit International lui donnait l'obligation d'agir, lui indiquait l'action à mener ainsi que les moyens à utiliser.Le cadre conceptuel de notre étude sera principalement axé sur les questions suivantes : quelles ont été les causes de la défaillance de l'ONU devant le génocide au Rwanda ? Cette Organisation mondiale est-elle morte comme l'affirment certains91(*)? L'ONU est-elle outillée pour prévenir ou arrêter un génocide, tant sur le plan institutionnel qu'opérationnel ? Les défaillances constatées devant le génocide au Rwanda seraient-elles structurelles à cette Organisation internationale, ou ne seraient-elles que conjoncturelles et partant, momentanées ? Quelles leçons en tirer ? Cette organisation mondiale ayant connu tout au long de son existence beaucoup d'échecs comme la SDN en son temps, devrait-elle subir le même sort ? Faudrait-il plutôt la maintenir et la revitaliser, en lui donnant, pour l'avenir, les moyens adéquats pour s'acquitter de ses obligations originaires, sans oublier celles issues des circonstances postérieures ? Ce sont essentiellement autant de questions auxquelles nous allons essayer de répondre dans la suite de notre étude. Aussi, verrons-nous dans cette première partie ce que prévoit le système des Nations Unies en matière des droits de la personne, soit la Charte des Nations Unies et la Charte internationale des droits de l'homme (chapitre I) ainsi que la Convention internationale pour la prévention et la répression du crime de génocide (chapitre II). 9. PARTIE I10. LE SYSTÈME DES NATIONS UNIES EN MATIÈRE DES DROITS DE LA PERSONNEL'Organisation des Nations Unies a été créée immédiatement après les deux catastrophes humanitaires concomitantes du début des années quarante, à savoir la Deuxième Guerre mondiale et le génocide contre les juifs. Les pères fondateurs de cette Organisation entendaient mettre sur pied une Institution capable de prévenir ou du moins éviter de tels drames pour l'avenir. Même si le respect des droits de l'homme n'a pas pris une place importante dans la Charte de l'ONU, les concepteurs de celle-ci croyaient en l'idée que la sauvegarde de la paix et la sécurité internationales était la principale garante pour atteindre cet idéal. En effet, il semble qu'ils ne pouvaient imaginer la survenance d'horreurs semblables à celles que le monde venait de connaître, si la paix et la sécurité internationales étaient garanties. À ce propos, il est à signaler d'emblée que l'ONU n'a pas été originairement créée pour empêcher des conflits internes, ni spécifiquement pour lutter contre un génocide, mais essentiellement pour éviter des conflits internationaux. Ceci est d'ailleurs singulier, si l'on sait que le "plus jamais ça" prononcé par les alliés à cette époque, concernait aussi bien la terrible guerre que l'horrible génocide qui venaient de bouleverser la conscience humaine. En outre, ayant pour objectif premier la préservation de la paix et de la sécurité internationales, l'ONU ne pouvait penser atteindre ce but en ignorant des drames internes. La Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide du 9 décembre 1948 viendra combler, dans une certaine mesure, les lacunes de la Charte de l'ONU en cette matière. Cependant, quoi qu'il n'y ait plus eu d'autres guerres mondiales, le génocide contre les Tutsi du Rwanda en 1994 vient sans nul doute démontrer les failles du système des Nations Unies dans la protection des droits fondamentaux de la personne. Dans ce titre, nous allons examiner des dispositions autorisant l'ONU à prévenir et/ou arrêter les violations des droits de la personne. Nous analyserons les obligations de celle-ci en vertu de la Charte de l'ONU et de la Charte internationale des droits de l'homme (chapitre I) ainsi qu'en vertu de la Convention sur le génocide (chapitre II). CHAPITRE I LE SYSTÈME DE PROTECTION DES DROITS DE LA PERSONNE EN VERTU DE LA CHARTE DES NATIONS UNIES ET DE LA CHARTE INTERNATIONALE DES DROITS DE L'HOMME Le système onusien est né avec l'adoption de la Charte des Nations Unies92(*) du 26 juin 1945. Depuis lors, d'autres textes juridiques y subséquents visant la protection des droits de l'homme ont vu le jour pour compléter les lacunes de la Charte en ce domaine. Il s'agit notamment de la Convention internationale pour la prévention et la répression du crime de génocide du 9 décembre 1948, la Déclaration universelle des droits de l'homme (DUDH)93(*) du 10 décembre 1948, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP)94(*) du 19 décembre 1966 et le Pacte international relatif aux droits économiques sociaux et culturels (PIDESC)95(*) de la même date, ainsi que les deux Protocoles facultatifs96(*) relatifs au premier Pacte. Les cinq derniers composent ce qui est communément appelé la "Charte internationale des Droits de l'homme"97(*). Section I. La Charte des Nations Unies L'Organisation des Nations Unies a été créée le 26 juin 1945 à San Francisco (États-Unis d'Amérique), lors de la signature de la Charte des Nations Unies. Cette Organisation mondiale a vu le jour pour remplacer la Société des Nations (SDN) et combler les lacunes de celle-ci dont le grand échec fut la Deuxième Guerre mondiale et le génocide des Juifs qui ont eu lieu sous son empire. Avant d'aborder la Charte de l'ONU, voyons d'abord ses antécédents. 1. Les antécédents de la Charte des Nations Unies Au fil des siècles, les individus ne sont que des sujets de droit interne. Leur sort est entièrement soumis à leurs gouvernants. Exception faite de rares interventions ponctuelles dites "humanitaires"98(*), chaque État peut faire ce qu'il veut de ses propres citoyens sans en rendre compte à personne.
Au niveau des textes internes, l'empire babylonien a connu, dans l'antiquité, le Code Hammourabi, du nom du fondateur de cet empire. Celui-ci "voulait faire éclater la justice pour empêcher le puissant de faire tort aux faibles"99(*). Le Moyen-âge voit éclore lentement le domaine des droits de l'homme. Depuis l'adoption de la Magna Carta (Grande Charte) en Angleterre en 1215 où apparaissent diverses garanties juridiques, la protection des droits et libertés de la personne fait son bonhomme de chemin pour faire des avancées significatives avec le Bill of Rights britannique de 1689 et la Déclaration française des droits de l'homme et du citoyen de 1789, ainsi que le Bill of Rights des États-Unis de la même année. Au niveau des textes internationaux, la protection des individus fait pour la première fois son apparition lors des Traités de Westphalie en 1648. Ces derniers, qui ont marqué la fin de la guerre de trente ans en Europe, accordent une totale liberté religieuse aux peuples européens et apparaissent "comme un moment saillant dans le long processus d'émergence d'une communauté internationale fondée sur le droit"100(*). L'évolution va encore prendre quelques siècles pour atteindre son aboutissement avec la Charte des Nations Unies, la Convention internationale pour la prévention et la répression du crime de génocide, et la Charte internationale des droits de l'homme. Bien avant celles-ci, un pas important avait été franchi par la Société des Nations (SDN), comme première tentative de grande envergure d'organisation d'États souverains.
Née à Versailles (France) avec le Traité du même lieu juste à la fin de la Première Guerre mondiale, curieusement la SDN restreint mais n'interdit pas encore la compétence de guerre comme moyen de règlement des conflits entre États101(*) et ne prescrit aucune disposition autorisant l'intervention d'humanité. Toutefois, elle subordonne l'utilisation de la force à l'échec des procédures pacifiques. En outre, certaines garanties étaient demandées aux États requérants de respecter les droits des minorités102(*). Cependant, l'article 15 paragraphe 8 du Pacte de la SDN consacre le principe de la souveraineté étatique comme base de tout lien international, dont le sacro-saint principe de non-intervention dans les affaires intérieures d'un État en est le principal corollaire. Ces deux principes ne souffrant d'aucun bémol, ils l'empêcheront d'atteindre l'essentiel des objectifs pour lesquels elle avait été créée. La règle de l'unanimité dans la prise de décision ainsi que l'absence d'un organe de coercition en son sein seront autant d'éléments qui conduiront la SDN à connaître une série d'échecs dans sa mission principale, soit le règlement de conflits interétatiques. Comme organe coercitif, le Pacte se limitait à "recommander aux gouvernements les effectifs militaires, navals ou aériens, par lesquels les membres de la Société devaient contribuer respectivement aux forces armées destinées à faire respecter les engagements de la Société"103(*). Il n'en fut rien. Jamais pareils dispositifs ne furent rassemblés pour épauler la SDN dans sa mission. Les garanties pour la protection des minorités ne pourront pas non plus être effectives, et aucun contrôle ne pourra être effectué car ceci était considéré comme un domaine réservé de l'État. L'affaire Bernheim en est une parfaite illustration. En septembre 1933, a lieu dans la grande salle du Palais des Nations à Genève où siège la SDN, un événement qui créera un précédent lourd de conséquences pour l'avenir de cette dernière et des droits de l'homme, voire du monde entier. Comme le rapporte René Cassin qui était présent à cette audience : Un homme apparaît. Il est Juif de Haute Silésie et s'appelle Bernheim. Il a porté plainte contre les pratiques odieuses et barbares des hitlériens à l'égard de leurs propres compatriotes [...], au mépris de la convention germano-polonaise de 1922 établissant la protection des minorités104(*). L'Allemagne est représentée par son ministre de la propagande et de l'information, Joseph Goebbels. Dans une brève allocution où il est cité que "charbonnier est maître chez soi", Goebbels balaya l'accusation du revers de la main et bloqua toute tentative d'examen de la question par le Conseil. L'incident fut aussitôt clos sans autre forme de procès. Selon les propres mots de René Cassin, "l'Allemagne venait de recevoir de la SDN un blanc-seing pour traiter ses minorités à son gré. Hitler pouvait mettre en oeuvre la politique définie dans Mein Kampf"105(*).
Cette manifestation éloquente d'absence de solidarité internationale va encourager Hitler dans sa folie de grandeur, qui va le conduire à l'innommable. Effectivement, le génocide des Juifs et des Tziganes sera exécuté et consommé sans un seul mot de condamnation de la Société des Nations. Le rêve de Versailles venait de s'évanouir. Certes, la SDN eut le mérite de mettre sur pied un ensemble d'institutions imposantes dont notamment la Cour Permanente de Justice Internationale (qui joua un rôle important), elle échoua cependant en raison de son manque de fermeté et son illusion de "considérer que l'on peut bâtir un droit international fondé sur la seule norme "Pacta sunt servanda"106(*). 2. La Charte des Nations Unies et les espoirs mis dans celle-ci La Charte de l'Atlantique du 14 août 1941 entre la Grande Bretagne et les États-Unis est considérée comme l'ancêtre direct de la Charte de l'ONU. Elle énumérait en huit points les principes démocratiques qui devaient prédominer après la guerre, en ce qui concerne les relations internationales. Ces points avaient surtout trait à la souveraineté des États, la paix et la sécurité internationales ainsi que la coopération économique et sociale. Cependant, cette Charte ne créait aucune organisation internationale bien précise. Le 1er janvier 1942 fut signé à Washington une Déclaration des Nations Unies. Celle-ci ne fait que rappeler les principes de la Charte de l'Atlantique et affirme solennellement la solidarité des Nations Unies contre l'Axe. Plus tard, la Déclaration de Moscou du 30 Octobre 1943, rendue publique à la clôture d'une conférence anglo-américano-russe, proclama "la nécessité d'établir, aussitôt que possible, une organisation internationale fondée sur le principe d'une égale souveraineté de tous les États pacifiques, grands et petits, afin d'assurer le maintien de la paix et de la sécurité internationales"107(*). Les grandes lignes de l'Organisation à créer furent clairement définies à la Conférence de Dumbarton Oaks (Washington) en Octobre 1944, mais c'est enfin à l'issue de la Conférence de San Francisco de juin 1945 que la Charte de l'ONU fut élaborée définitivement par les délégués des 50 pays en guerre contre les pays de l'Axe. Selon un auteur, "la nouvelle institution internationale fut conçue et établie à travers un processus sans lien direct avec la fin de la Seconde Guerre mondiale"108(*). Pourtant, la genèse de l'ONU témoigne clairement du contexte dans lequel sa Charte a été pensée et écrite, à savoir celui d'une guerre mondiale qu'il fallait exorciser pour toujours. Des visées hégémoniques comme celles de l'Allemagne nazie seront également un autre danger qu'il fallait désormais combattre et contre lequel il était impératif de construire un rempart. Ceci est caractérisé par le souci constant dans les discussions des pères-fondateurs, de la première à la dernière conférence, de garantir la paix et la sécurité internationales, dans le strict respect de la souveraineté de chaque État. Il est surprenant de constater que rien dans la Charte ne sera prévu pour "réaliser" la protection ou la sauvegarde des droits de l'homme. Il sera tout simplement question de "favoriser" le respect universel et effectif des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour tous (art. 55.c). Les autres dispositions de la Charte consacrées aux droits de l'homme ne sont pas plus contraignantes. Il s'agit de "développer" (art.1.3.), de "faciliter" (art. 13.b) et "d'encourager" (art. 76.c) le respect ou la jouissance des droits de l'homme. Même la commission que la Charte prévoit en ce domaine (art. 68) concerne, non "la protection", mais "le progrès" des droits de l'homme. Autant de dispositions que l'on pourrait qualifier de "soft", selon la terminologie aujourd'hui consacrée. L'on pourrait penser que cette faiblesse n'est pas le résultat d'un oubli, mais bien d'une volonté délibérée. En effet, il semble que dans le souci de rester forts et unis devant la menace d'une guerre aussi dévastatrice, les puissances victorieuses ont entendu ménager la susceptibilité de certains pays qui n'étaient pas alors champions du respect des droits de l'homme, et ont sciemment évité d'inclure du champ de compétence de l'Organisation, la protection des violations internes des droits de l'homme. En revanche, le principe de non-intervention dans les affaires intérieures (art. 2§7) y sera proclamé, principe corollaire à celui de la souveraineté étatique. Cependant, aucune définition précise ne sera donnée à ces deux concepts. Au niveau universel, la Charte des Nations Unies fait quand même oeuvre de pionnier dans la protection des droits de l'homme, même si fondamentalement il n'y est fait allusion que de façon générale, en de passages épars dans un texte qui a une autre portée. Des ambitions plus larges avaient été exprimées par l'un des principaux pays promoteurs de la Charte. En effet, le Département d'État américain avait envisagé dans un premier temps,
de faire précéder la future Constitution des Nations Unies d'une Déclaration des droits (Bill of Rights). Mais il apparut rapidement que cette idée, combattue par le Royaume-Uni et l'URSS, était excessivement ambitieuse et elle fut abandonnée au point que les propositions de Dumbarton Oaks étaient fort discrètes sur les droits de l'homme109(*). La préoccupation dominante des rédacteurs de la Charte apparaît dès son article premier. Celui-ci stipule comme but initial de maintenir la paix et la sécurité internationales, en prenant des mesures collectives efficaces en vue de prévenir et d'écarter les menaces à la paix, de réprimer tout acte d'agression ou autre rupture de la paix, et réaliser, par des moyens pacifiques, conformément aux principes de la justice et du droit international, l'ajustement ou le règlement des différends ou de situations, de caractère international, susceptibles de mener à une rupture de la paix. Par ce libellé, l'ONU se fixe deux conditions pour son intervention : primo, le différend ou la situation doit avoir un caractère international et menacer la paix et la sécurité internationales; secundo, le règlement doit se faire par des moyens pacifiques. Ces moyens sont précisés dans le Chapitre VI de la Charte, et comprennent notamment la négociation, l'enquête, la médiation, la conciliation, l'arbitrage ou le règlement judiciaire. Cependant, pour la première fois, la Charte crée une brèche dans la forteresse de la souveraineté étatique en introduisant un nouveau concept, soit l'utilisation de la force (Chapitre VII). Ce n'est pas encore une porte ouverte dans ce domaine, car cela ne reste qu'un dernier recours et de surcroît seulement autorisé par le Conseil de sécurité. En effet, c'est dans ce sens que la Charte stipule que l'emploi de la force peut être autorisé, lorsque les moyens pacifiques ont échoué ou s'avèrent inadéquats, et si le Conseil de Sécurité détermine qu'une menace contre la paix existe. C'est donc une première, la paix et la sécurité internationales ont désormais priorité sur la souveraineté étatique. Contrairement au Pacte de la SDN, la Charte dispose que même après l'échec des négociations et autres moyens pacifiques (en dehors de la légitime défense, individuelle ou collective), seule l'ONU dispose du monopole d'utiliser la force. Ce sont alors les "mesures coercitives", qui vont des sanctions politiques et économiques à l'action militaire internationale. Au niveau des fonctions, la Charte crée six organes principaux que sont : une Assemblée générale, un Conseil de sécurité, un Conseil économique et social, un Conseil de tutelle, une Cour internationale de justice, et un Secrétariat. Quoique tous ces organes aient un rôle à jouer dans la protection des droits de la personne, nous n'en étudierons que les plus impliqués.
L'Assemblée générale est le seul des organes de l'ONU qui regroupe tous les États membres de l'Organisation. Elle est aussi l'organe le plus représentatif dans ce sens que chaque État membre y dispose d'une voix. Elle dispose de pouvoirs non négligeables en matière de paix et de sécurité, mais elle n'a pas de pouvoirs d'action. Toute question lui soumise qui nécessite une action est renvoyée au Conseil de sécurité (art. 11). Quoique le terme "action" ne soit pas précisé dans la Charte, la doctrine considère que ceci ne vise que les mesures coercitives du Chapitre VII110(*). Le rôle de l'Assemblée ne se limite qu'à faire des études et des recommandations (art. 11, paragraphe 3) qui n'ont pas de force obligatoire. De plus, l'Assemblée ne doit faire aucune recommandation à l'égard d'un différend ou d'une situation, lorsque le Conseil de sécurité en est saisi, à moins que ce dernier ne le lui demande (art. 12). "L'hégémonie des grandes puissances se marquait très précisément dans l'octroi au Conseil de sécurité de prérogatives exorbitantes du droit commun"111(*). Cependant, l'Assemblée générale a considéré que le respect des droits de l'homme constitue "une obligation internationale découlant de la Charte et qu'il relève par conséquent de sa compétence conformément à l'article 10"112(*). Par ailleurs, la pratique révèle une évolution qui est loin de confiner l'Assemblée dans les prescriptions de la Charte. Nous retrouvons le premier précédent dans ce qui a été appelé "l'Union pour le maintien de la paix" ou la Résolution Dean ACHESON. En juin 1950, les forces nord-coréennes envahissent la Corée du Sud en franchissant le 38è parallèle. Saisi de la question, le Conseil de sécurité adopte (en l'absence du délégué de l'URSS113(*) qui avait momentanément quitté le Conseil pour protester contre la présence du représentant de la Chine nationaliste) trois Résolutions. La première lançait un appel à la Corée du Nord pour retirer ses troupes (Rés. S/1499 du 25 juin 1950). Devant le refus de celle-ci, la seconde Résolution recommandait aux membres des Nations Unies, "d'apporter à la République de Corée toute l'aide nécessaire pour repousser les assaillants et rétablir dans cette région, la paix et la sécurité internationales" (Rés. 1511 du 27 juin 1950). La dernière décidait de créer une force sous commandement unifié confié aux États-Unis mais agissant sous le drapeau Onusien (Rés. 1588 du 7 juillet 1950). Le Conseil de sécurité ne pouvant plus prendre dans la même lignée des Résolutions pour la poursuite des opérations en vertu du veto soviétique (le délégué de l'URSS avait entre-temps regagné sa place au Conseil de sécurité), l'Assemblée générale adopte, sur proposition du délégué américain, la Résolution 377 V, connue sous l'appellation "Union pour le maintien de la paix" ou "Résolution Acheson". L'Assemblée s'était alors trouvée compétente pour prendre, à la place du Conseil bloqué, des recommandations dans un domaine réservé aux pouvoirs de ce dernier. Il s'agit ici d'une interprétation extensive de l'article 12.1 de la Charte, qui stipule que tant que le Conseil de sécurité remplit à l'égard d'un différend ou une situation, les fonctions qui lui sont attribuées, l'Assemblée générale doit s'abstenir, à moins que le Conseil ne le lui demande. Le Conseil de sécurité étant bloqué sur cette question, l'Assemblée générale a jugé que le Conseil ne remplissait pas ses fonctions, et que par conséquent elle était autorisée à agir. Selon un auteur, "l'Assemblée générale a donc la possibilité de se substituer au Conseil de sécurité lorsque ce dernier n'est plus en mesure d'exercer ses fonctions"114(*).
Malgré le concept de l'égalité souveraine des États reconnu dans les principes de la Charte, certains États apparaissent tout à coup "plus égaux" que d'autres. En effet, le Conseil de sécurité se taille la part du lion dans ses fonctions et pouvoirs. Au niveau des fonctions, les membres de l'ONU confèrent au Conseil de sécurité le rôle principal du maintien de la paix et de la sécurité internationales. Celui-ci agira pour le compte de tous membres (art.24). Or, ce conseil comportera deux catégories de membres, à savoir les membres permanents et les non-permanents. Les membres permanents seront les cinq grands de l'époque que sont la Chine, la France, le Royaume-Uni, l'URSS et les États-Unis d'Amérique (art. 23). Pour ce qui est des pouvoirs, tous les membres s'engagent d'ores et déjà à accepter et appliquer les décisions du Conseil (art. 25). Il s'agit donc d'un blanc-seing que signent au Conseil de sécurité les autres membres de l'ONU, qui donne à celui-ci des pouvoirs exorbitants en matière de paix et de sécurité. Non seulement les membres lui confient pleins pouvoirs en matière de paix et de sécurité internationales, mais en outre le Conseil n'aura aucun compte à leur rendre. En effet, le Conseil dispose d'un pouvoir de libre appréciation, de qualification et d'action, face à toute situation en matière de paix et de sécurité internationales. Qui plus est, seul chacun des membres permanents dispose d'un droit de veto (art.27). Comme le note un auteur, il revient de ce qui précède que "la responsabilité principale du maintien de la paix incombe non au Conseil mais aux cinq puissances mondiales"115(*). Comme souligné plus haut, le Conseil de sécurité est investi de tous les pouvoirs en matière de paix et de sécurité. Il dispose donc seul du pouvoir de déclencher une action coercitive, en cas d'échec des moyens pacifiques ou lorsque le Conseil trouve que ceux-ci seraient vains, et si la situation est de nature à compromettre la paix et la sécurité internationales. L'action coercitive consiste en "l'utilisation de la force par un État, un groupe d'États ou une organisation internationale contre un État ou un groupe d'États. Ces mesures vont des sanctions économiques à l'action militaire internationale"116(*). Outre que le Conseil peut se saisir lui-même d'un tel différend ou d'une telle situation, son attention peut également être attirée sur la question par un État membre ou non de l'ONU (art. 35) ou par le Secrétaire général (art. 99), ou alors par les parties (art. 37). L'action du Conseil de sécurité en cas de menace contre la paix a suscité pas mal de controverses. Selon l'esprit et la lettre de la Charte, pour que pareille action puisse être envisagée, il faut qu'il y ait non seulement l'existence d'une menace contre la paix et la sécurité internationales, mais aussi que le différend ait un caractère international. Cependant, la pratique nous montre que ce second critère a été battu en brèche depuis les premières années de l'ONU. Comme le souligne un auteur, "même dans le cas où un conflit est parfaitement maintenu à l'intérieur d'un État visé, et où les efforts de justification par la tension internationale sont loin d'être convaincants, rien n'empêche la majorité du Conseil d'estimer qu'il y a menace contre la paix"117(*). Les exemples ci-après nous donnent quelques illustrations de ce point de vue. Il s'agit des Résolutions prises par le Conseil de sécurité, notamment dans le conflit coréen comme mentionné plus haut (Rés. 83 et 84 respectivement du 27 juin et 7 juillet 1950), le problème de la politique coloniale du Portugal en Angola et au Mozambique (Rés. 180 et 218 respectivement du 3 juillet 1963 et 23 novembre 1965), la situation d'apartheid en Afrique du Sud (Rés. 181 du 7 août 1963), la déclaration unilatérale d'indépendance de la Rhodésie du Sud par des colons britanniques (Rés. 217 du 20 novembre 1965), ainsi que la situation des kurdes en Irak (Rés. 688 du 5 avril 1991). Il convient de nous attarder sur cette dernière Résolution, étant donné qu'elle constitue l'une des rares actions et la première, où le Conseil de sécurité est intervenu en faveur de populations civiles faisant l'objet de massacres et autres mauvais traitements, de la part de leur propre gouvernement. Au lendemain de la défaite de l'Irak au Koweït en 1991, l'armée irakienne aurait bombardé des villages kurdes irakiens à l'arme chimique. Fuyant cette zone, des dizaines de milliers d'hommes, de femmes, d'enfants et de vieillards se dirigèrent vers la frontière turque. Les Turcs fermèrent leur frontière aux réfugiés. Devant l'imminence d'une catastrophe humanitaire due aux bombardements des avions irakiens et à l'absence d'infrastructures humanitaires, des voix se firent entendre auprès de l'ONU. Le Conseil de sécurité vota rapidement, sur proposition française, la Résolution 688 du 5 avril 1991, condamnant cette attaque de populations civiles par l'armée irakienne. La Résolution exigeait aussi à l'Irak de mettre fin sans délai à cette répression, pour "contribuer à éliminer la menace à la paix et à la sécurité internationales dans la région". Dans cette Résolution, le Conseil priait également le Secrétaire général de l'ONU de poursuivre ses efforts humanitaires en Irak, et de lui faire rapport d'urgence, sur le sort des populations civiles irakiennes, en particulier des populations kurdes, menacées par la répression des autorités irakiennes. Enfin, le Conseil lançait un appel à tous les États membres et à toutes les organisations humanitaires, de participer aux efforts d'assistance humanitaire. Des corridors humanitaires furent aussitôt ouverts dans un élan de solidarité pour les victimes, sous la couverture aérienne des alliés, et une zone d'exclusion pour l'armée irakienne fut créée. Les Kurdes ont pu regagner leurs villages et leurs villes. Comme le dit Bernard Kouchner de l'organisation Médecins sans frontières, "la Résolution 688 des Nations Unies avait codifié l'ingérence : pour la première fois, on avait signifié à un dictateur qu'il n'avait aucun droit de massacrer ses propres populations, même chez lui"118(*). Bien que la Résolution 688 du Conseil de sécurité sur l'Irak ne précisait pas sur quelle base elle était adoptée et n'autorisait pas de mesures coercitives comme telles, les alliés qui ont lancé l'opération Provide Comfort se sont fondé sur ladite Résolution. Un pas important venait d'être franchi dans ce qui allait être perçu comme un droit d'ingérence. De plus, pour la première fois, le Conseil de sécurité autorisait une opération d'assistance humanitaire en s'appuyant sur une menace à la paix et à la sécurité internationales. Des initiatives plus timides suivront par la suite. Il est important de souligner que le Conseil de sécurité n'use pas de ses prérogatives en matière de contrainte chaque fois que celui-ci constate qu'il y a menace contre la paix et la sécurité internationales. En effet, l'expérience montre que ces mesures ont été utilisées avec parcimonie au cours du passé. Il peut d'abord édicter des mesures provisoires qu'il juge nécessaires ou souhaitables, afin d'empêcher la situation de s'aggraver (art. 40 de la Charte). Ce faisant, les circonstances peuvent devenir telles que les mesures de contrainte ne soient même pas nécessaires. En outre, ces actions coercitives n'impliquent pas toujours l'emploi de la force armée. En effet, la Charte autorise le Conseil de sécurité à prendre des mesures diplomatiques, économiques ou autres, lorsqu'il constate que la situation est susceptible de menacer la paix et la sécurité internationales (art. 41). Cependant, le Conseil de sécurité n'est pas obligé d'observer une gradation dans la prise de sanctions, en commençant par les moins contraignantes pour en arriver aux plus draconiennes, au cas où les résultats escomptés ne sont pas atteints. Ainsi, le Conseil de sécurité pourrait décider l'utilisation des moyens militaires comme première et dernière mesure dès lors qu'il jugerait cette action plus recommandée à la situation. Mais comme le souligne un auteur, "hormis des situations exceptionnelles dans lesquelles la force doit répondre à la force, c'est le recours à des mesures non militaires qui politiquement s'imposent en premier lieu"119(*). À l'instar de l'exercice de qualification de situations comme étant une menace contre la paix et la sécurité internationales, celui de l'instauration de sanctions obligatoires s'est souvent heurté au veto des grandes puissances. Ceci fait dire à un auteur que : "rarement employées, mal respectées et peu efficaces, les sanctions coercitives de l'article 41 n'ont pas répondu à l'attente - peut-être excessive - des rédacteurs de la Charte"120(*). La Charte prévoit l'utilisation d'actions coercitives militaires lorsque le "Conseil estime que les mesures prévues à l'article 41 seraient inadéquates ou qu'elles se sont révélées comme telles" (art. 42). Cette opération devrait être exécutée par des contingents des forces armées mis à la disposition du Conseil de sécurité par des pays membres de l'ONU, conformément aux accords spéciaux à conclure (sans tarder !) entre ces deux parties (art. 43). La direction de l'opération devrait être assurée par le Conseil de Sécurité avec l'aide du Comité d'État-major (art. 46). Ce Comité d'État-major devrait se composer "des Chefs d'État-major des membres permanents du Conseil de Sécurité ou de leurs représentants" (art. 47.2.). Notons que pour des raisons liées à la guerre froide121(*) entre les deux supergrands (USA et URSS), toute cette structure n'est restée que sur papier. Ainsi, le système de sécurité collective imaginé par les rédacteurs de la Charte n'aura pas vu le jour. Dans le même ordre d'idées, cette mission, pourtant transitoirement assignée aux cinq membres permanents du Conseil de sécurité en attendant la signature et la ratification des accords spéciaux, n'a pas pu être remplie (art. 106). En effet, cet article assigne de manière transitoire aux membres permanents du Conseil de sécurité, en leur qualité de grandes puissances et de parties à la Déclaration de Moscou, les responsabilités en matière de paix et de sécurité internationales. Pourtant, selon un auteur, même si cette disposition est restée "jusqu'à ce jour lettre morte, il serait néanmoins hasardeux d'en déduire la désuétude"122(*). Selon celui-ci, "en droit strict, ces responsabilités continuent à exister étant donné que la non-conclusion des accords spéciaux n'a pas permis la constatation formelle de la fin de la période intérimaire"123(*). Le dégel que connaissent actuellement les relations Est-Ouest permettra-t-il d'espérer que le dossier relatif aux accords spéciaux sortira un jour des tiroirs de l'ONU ? Nous verrons plus loin si cette disposition reste toujours indispensable.
Le Secrétariat est l'organe exécutif des Nations Unies. Il est dirigé par un Secrétaire général. À côté des fonctions administratives traditionnelles du Secrétaire Général, beaucoup s'accordent à lui trouver des fonctions politiques et diplomatiques. Les fonctions politiques du Secrétaire général lui sont reconnues par l'article 99 de la Charte qui dispose que, celui-ci "peut attirer l'attention du Conseil de sécurité sur toute affaire qui à son avis, pourrait mettre en danger le maintien de la paix et de la sécurité internationales". Dans la pratique, le Secrétaire général va au-delà de cette disposition. Non seulement il peut demander au Conseil de sécurité d'inscrire urgemment une question à l'ordre du jour, mais en plus il a le pouvoir de prendre position dans une affaire, voire influencer le Conseil de sécurité. Tout dépend en fait de la personnalité propre du Secrétaire général. Ce qui est appelé "l'affaire congolaise"124(*) nous en fournit un exemple très illustratif. L'affaire en question fut déclenchée par le Secrétaire général par sa lettre du 13 juillet 1960 au Conseil de sécurité. Comme le note un auteur, "seul élément figurant à l'ordre du jour du Conseil, cette lettre du Secrétaire général correspond exactement aux termes visés par l'article 99"125(*). Au cours de la séance, le Secrétaire général fit un exposé magistral au Conseil, dans lequel il analysait les événements survenus au Congo dans les jours précédents et indiquait avoir donné une réponse positive à la demande du gouvernement congolais d'une assistance militaire. En même temps, il soumettait au Conseil un plan complet d'intervention comprenant les principes à respecter ainsi que l'objectif à atteindre. Le Secrétaire général insistait sur le fait que l'objectif visé était la restauration de la paix et la sécurité au Congo. Il précisait que cela n'était nullement une intervention dans les affaires intérieures, du moment qu'il répondait à un appel lancé par le gouvernement légitime du pays et que l'utilisation des armes était interdite, sauf en cas de légitime défense. Comme le précise un auteur, "on est loin ici de l'acte procédural (simple convocation du conseil)"126(*), et de poursuivre que "cette interprétation n'a d'ailleurs soulevé aucune objection de la part des membres du Conseil127(*). Aussi, la Résolution y relative reprendra presque mot à mot la position du Secrétaire général. Il faut préciser que cela n'était d'ailleurs pas une première, car l'opération de Suez avait démontré les pouvoirs réels du Secrétaire général des Nations Unies. Dans l'affaire de Suez, quoique la création de la Force d'urgence des Nations Unies (FUNU) en 1956 soit une initiative de la délégation canadienne128(*) à l'Assemblée générale, le rôle du Secrétaire général des Nations Unies a été déterminant. En juillet 1956, l'Égypte nationalise la Compagnie du Canal de Suez. En octobre 1956, les forces israéliennes pénètrent à Suez. Aussitôt les forces françaises et britanniques entrent dans le conflit. L'on se rappelle que le Conseil de sécurité n'ayant pas réussi à prendre une décision unanime sur la situation grave créée par cette action entreprise contre l'Égypte, il a, par sa Résolution 119 (1956) du 31 octobre 1956, décidé de convoquer une session extraordinaire d'urgence de l'Assemblée générale, afin de faire des recommandations appropriées. L'Assemblée générale demanda alors au Secrétaire général de lui soumettre un plan pour l'établissement de la Force. Celui-ci présenta à l'Assemblée deux rapports sur la question. Ces rapports furent entérinés par l'Assemblée générale dans ses Résolutions 1000 (ES-1) et 1001 (ES-1) du 5 et 6 novembre 1956 respectivement. Outre que le plan de cette force avait été établi par le Secrétaire général, tous les aspects logistiques relatifs à cette opération lui furent confiés. Quoique ces deux affaires présentent beaucoup d'analogies qui consacrent les pouvoirs exorbitants du Secrétaire général des Nations Unies, l'affaire du Congo constitue beaucoup plus une usurpation flagrante par ce dernier, des pouvoirs relevant d'autres organes de l'ONU, puisque le Conseil n'a été informé que pour entériner les décisions du Secrétaire général.
En effet, si la décision de la création d'une Force des Nations Unies en 1956 avait été prise par l'Assemblée générale des Nations Unies et exécutée par le Secrétaire général, il n'en est pas de même en ce qui concerne la création de la force de l'ONUC. L'on sait que la Résolution 143 du 14 juillet 1960 décidait seulement de "fournir au Gouvernement du Congo l'assistance militaire dont il a besoin" et que c'est seule une interprétation de cette Résolution qui autorisera le Secrétaire général de créer l'ONUC. Ainsi, le Secrétaire général créera la force, en déterminera la composition et en dirigera les activités, en donnant seul les instructions au commandant militaire nommé par lui. Chose étrange, ni l'Assemblée générale, ni le Conseil de sécurité ne feront objection. De ce qui précède, nous remarquons que la personnalité propre du Secrétaire général des Nations Unies joue, dans la pratique, un rôle plus important dans le maintien de la paix et la sécurité internationales, que celui dont il est investi par la Charte. Dans la même veine, ce même Secrétaire général, en la personne de Dag HAMMARSKJOLD, n'a-t-il pas obtenu gain de cause dans l'affaire du Liban en 1958 lorsqu'il a menacé, lors de son exposé au Conseil de sécurité en sa séance du 22 juillet, de démissionner "au cas où le Conseil ne le suivrait pas"129(*)? Les lacunes constatées au niveau de la Charte des Nations Unies en matière de protection des droits fondamentaux de l'homme auraient pu être comblées lors de l'élaboration et l'adoption des instruments spécifiques qui ont suivi la Charte. En a-t-il été ainsi ? C'est ce que nous allons voir par l'examen de la Charte internationale des droits de l'homme. Section 2. La Charte internationale des droits de l'homme Trois ans après l'adoption de la Charte des Nations Unies, il est vite apparu que celle-ci n'avait pas insisté sur la protection des droits de l'individu. Il fallait alors combler la lacune. Mais il a fallu tout d'abord adopter un texte qui aurait dû s'imposer lors de l'institution de la Charte, soit la Convention internationale pour la prévention et la répression du crime de génocide. Le lendemain, la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme était adoptée dans le cadre des Nations Unies. Ces deux textes seront les premiers à portée spécifique de protection des droits de l'homme à voir le jour. Cette dernière sera complétée par les deux Pactes de l'ONU et les deux Protocoles additionnels. À l'exception de la Convention sur le génocide, les autres textes précités composent ce qui est communément appelé la Charte internationale des droits de l'homme. L'allusion à la Charte internationale des droits de l'homme dans la présente étude a surtout pour but de souligner qu'outre la Charte de l'ONU, d'autres instruments auraient pu être utilisés pour faire échec au génocide contre les Tutsi du Rwanda, surtout à titre préventif.
1. La Déclaration Universelle des Droits de l'Homme Adoptée le 10 décembre 1948 par l'Assemblée générale des Nations Unies, la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme (Rés.A.G.217A(III)) énonce des droits généraux de la personne comme "l'idéal commun à atteindre par tous les peuples et toutes les nations" (Préambule). Tous les droits de la personne, tant civils, politiques, économiques, sociaux que culturels se retrouvent sans distinction dans la Déclaration.
Comme son nom l'indique, la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme n'est pas en soi un instrument juridique contraignant. Proclamée par l'Assemblée générale des Nations Unies, ce texte n'a que valeur de recommandation et ne dispose par conséquent pas de force obligatoire. Une déclaration ne crée pas d'obligations pour les États et n'est pas source directe du droit. Cependant, pour ce qui est de la Déclaration du 10 décembre 1948, il convient de faire une distinction entre l'instrumentum et le negotium. Il est vrai que comme instrumentum son texte n'a jamais été intégré comme tel dans l'ordre juridique interne des États, mais du fait que les principes de base (negotium) figurant dans la Déclaration ont été par la suite repris dans plusieurs instruments juridiques contraignants tels que les traités, les constitutions nationales de certains pays ainsi que des Chartes130(*), l'on pourrait affirmer sans ambages que son contenu a acquit valeur coutumière, et que partant, il s'impose aussi bien que les Pactes, sinon plus, selon le courant non-volontariste131(*). 2. Les Pactes des Nations Unies Les Pactes des Nations Unies sont un complément logique et nécessaire de la Déclaration Universelle des Droits de l'homme. En l'absence du caractère contraignant de cette dernière (par sa forme), il était impératif de la compléter avec des textes pouvant lier des États en matière des droits de l'homme. Ces Pactes sont également des compléments, quoique incomplets de la Charte en matière de protection des droits de l'homme. Il s'agit du Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques (PIDCP) (Rés.A.G.2200A(XXI) et son Protocole facultatif (Rés.A.G.2200A(XXI) (créant un droit de communication individuelle pour les particuliers relevant de la juridiction d'un État partie au Pacte) et le Pacte International relatif aux Droits Économiques, Sociaux et Culturels (PIDESC) (Rés.A.G.2200A(XXI), tous deux adoptés par l'Assemblée générale des Nations Unies le 19 décembre 1966, et entrés en vigueur le 23 mars 1976 pour les premiers et le 3 janvier 1976 pour le second. Un deuxième Protocole facultatif au PIDCP (Rés.A.G.44/128) visant l'abolition de la peine de mort a été adopté le 15 décembre 1989 par l'Assemblée générale des Nations Unies. Il est entré en vigueur en 1991. Bien que ces deux Pactes s'inscrivent dans le cadre de la Déclaration Universelle, les préoccupations traduites dans les deux textes ne sont plus les mêmes. Alors que pour cette dernière les droits de l'homme sont d'abord les droits de l'individu auquel s'adresse d'ailleurs la Déclaration, ceux consacrés par les Pactes sont des droits collectifs et s'adressent aux États. Signe des temps, on remarque un recul de taille dans l'approche utilisée dans la rédaction des deux textes, en 18 ans d'intervalle. En outre, les droits se scindent en deux catégories au moment de la rédaction des Pactes. Ainsi, il y aura des droits de la première génération (PIDCP), qui s'imposent obligatoirement aux parties contractantes, et les droits de la deuxième génération (PIDESC), dont le respect par les États se fait progressivement. Pour les besoins de notre étude, notre intérêt se limitera sur le Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques et son premier Protocole facultatif. En effet, les dispositions du PIDESC apparaissent comme des "dispositions-programmes", et la mise en oeuvre des droits (dits "droits-créances") est conçue très progressivement et laissent aux États une grande latitude (art. 2.1). Quelle est la portée juridique réelle du PIDCP ? Étant une convention, il est clair que ce Pacte a une valeur obligatoire, dans ce sens que même son article 28 crée un organe de suivi, le Comité des droits de l'homme (CDH), à travers lequel ce Pacte trouve sa raison d'être. Nous allons voir de quoi il s'agit. 2.1. Le Comité des droits de l'homme Organe non permanent, ce Comité a pour qualité de connaître, par le biais de communications individuelles et étatiques, des violations précises aux droits énoncés dans le Pacte. Il est à noter que le recours individuel devant le CDH n'est pas prévu par le PIDCP mais plutôt par un traité autonome, le Protocole facultatif au PIDCP. Selon un auteur, "les rédacteurs du Pacte et de son premier Protocole ont résisté à la tentation de faire qualifier cet organe de mise en oeuvre de tribunal international"132(*). L'instance devant le comité se fait en deux phases : d'abord l'examen de la recevabilité, ensuite du bien-fondé. Pour être recevable, la communication (et non requête) ne doit pas être anonyme et doit être envoyée par le particulier qui prétend être victime d'une violation de la part d'un État partie, des droits que lui reconnaît le PIDCP. Lorsque la victime est dans l'incapacité de présenter la communication elle-même, le Comité peut accepter d'examiner une communication faite en son nom par une autre personne. Toutefois, celle-ci doit avoir un lien apparent avec la victime.
Le Comité applique aussi le principe de l'épuisement préalable des voies de recours internes, même si le fardeau de la preuve repose sur l'État défendeur et non sur l'individu133(*). La plainte doit se rapporter à une violation du Pacte et ses Protocoles, et elle ne peut être reçue si la même question est déjà pendante devant une autre instance internationale d'enquête ou de règlement134(*). Lorsqu'une communication est déclarée recevable, l'État défendeur est sommé d'y répondre dans un délai de six mois, en fournissant des explications ou des éclaircissements sur le problème indiquant s'il a déjà pris des mesures pour y remédier. Le plaignant aura alors droit de réagir à la réponse de l'État. Pendant toute la procédure, chaque partie a la possibilité de commenter les arguments de l'autre. Le Comité prend alors ses conclusions (et non décisions), qu'il communique aux deux parties. Ses conclusions sont toujours publiques. Le Comité des droits de l'homme n'étant pas un organe réellement judiciaire, ses recommandations sont privées de toute force exécutoire, dès lors qu'aucun organe n'est prévu pour veiller à leur application, même si dans la pratique la plupart des États font un acquiescement et agissent en conséquence. Comme le souligne un auteur, "les États doivent appliquer de bonne foi les "constatations" du Comité puisqu'ils ont accepté les obligations découlant de leur adhésion au Protocole facultatif "135(*). Malgré cette dernière faiblesse, sa jurisprudence est beaucoup plus importante que celle du Comité contre la torture. 2.2. Le Comité contre la torture Un autre instrument de protection des droits de l'homme à l'échelle universelle est la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants136(*). Adoptée par l'Assemblée générale des Nations Unies dans sa Résolution 39/46 du 10 décembre 1984, cette convention est entrée en vigueur le 26 juin 1987. Selon l'article 2.1. de la Convention, "tout État partie prend des mesures législatives, administratives, judiciaires et autres mesures efficaces pour empêcher que des actes de torture soient commis dans tout territoire sous sa juridiction". L'article 2.3. stipule que "l'ordre d'un supérieur ou d'une autorité publique ne peut être invoqué pour justifier la torture". L'article 3.1. interdit l'expulsion, le refoulement, et l'extradition d'une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu'elle risque d'être soumise à la torture, tandis que l'article 5 accorde à l'État partie la compétence universelle pour connaître d'un crime relevant de la violation de la Convention. La Convention établit un Comité contre la torture (art. 17) à la caricature du Comité des droits de l'homme. Un État partie à la Convention peut, par une déclaration facultative, reconnaître la juridiction du Comité pour recevoir des pétitions individuelles. La procédure devant le Comité contre la torture est la même que devant le Comité des droits de l'homme, à l'exception de l'interdiction pour le Comité contre la torture de se saisir d'un dossier qui a déjà été étudiée par une autre instance internationale. À l'instar du Comité des droits de l'homme, les recommandations du Comité contre la torture n'ont pas l'autorité de la chose jugée et partant, sont soumises au bon vouloir et à la bonne foi des États. Toutefois, le principe de bonne foi obligerait les États parties à la Convention, à respecter les recommandations faites par un organe dont ceux-ci ont librement reconnu la compétence. La situation est tout autre en ce qui concerne les États non-parties à la Convention ou ceux qui n'auraient pas reconnu la juridiction du Comité contre la torture. Il ressort des développements précédents que même si la Charte internationale des droits de l'homme a eu le mérite de créer des organes de contrôle a posteriori des violations des droits de l'homme, il n'en demeure pas moins vrai que des mesures de prévention contre ces violations n'ont pas trouvé de place dans les textes qui composent cette Charte. La Convention internationale sur la prévention et la répression du crime de génocide a-t-elle, en vertu de son caractère spécifique et comme son intitulé l'indique, prévu de telles mesures ? C'est ce que nous allons voir dans le chapitre qui suit.
* 91 O. Rusbach, ONU contre ONU, Le droit international confisqué, Paris, Éditions La Découverte, 1994, à la p. 9. * 92 C.N.U.O.I., vol. 15, p. 365 (texte original); [1945] R.T. Can. n 7, telle qu'amendée par (1963) 557 R.T.N.U. 143, (1965) 638 R.T.N.U. 306, [1973] R.Can. n4. * 93 A.G. Rés.217 A (III), Doc. N.U. A/810 1948. * 94 (1976) 999 R.T.N.U. 171, [1976] R.T.Can. n 47, R.E.I.Q. (1984-89), n 1976 (5), à la p. 817. * 95 (1976) 993 R.T.N.U. 3, [1976] R.T.Can. n 46, R.E.I.Q. (1984-89) n 1976 (3), à la p. 808. * 96 Voir supra, note 94 * 97 W. Schabas, Précis du droit international des droits de la personne, Cowansville, éditions Yvon Blais, 1997, à la p. 52. * 98 Ibid., à la p. 9. * 99 Amnesty international, Au-delà de l'État, "le droit international et la défense des droits de l'homme", Paris, Éditions francophones d'Amnesty international, 1985, à la p. 17. * 100 L'Europe des traités de Westphalie, Esprit de la diplomatie et diplomatie de l'esprit. Colloque de Paris, du 24-26 septembre 1998, en ligne : France - Ministère des affaires étrangères <http://www.France.diplomatie.fr/archives/westphalie/infos/collocs.html> (date d'accès : 20.01.2001). * 101 C'est le Pacte Briand-Kellogg du 28 août 1928 qui va prohiber la guerre comme moyen de règlement des conflits internationaux. Subsistera seulement le droit de faire la guerre pour la légitime défense et le maintien de la paix publique. Il s'agit quand même ici d'une étape importante dans le domaine du "jus ad bellum". * 102 P. GERBET, Les organisations internationales, Paris, P.U.F., 1972, à la p. 18. * 103 Article 16§2. * 104 M. Bettati, Le droit d'ingérence. Mutation de l'ordre international, Paris, Éditions Odile Jacob, 1995, à la p. 18. * 105 Ibid. * 106 G. Scelle, Droit international public, Paris, Éditions Domat-Montcrestien, 1944, à la p. 47. * 107 P. Gerbet, supra, note 102, à la p. 58. * 108 V-Y. Ghebali, art. 106 de la Charte, dans J.P. Cot et A.Pellet, (dir.) La Charte des Nations Unies, Commentaires article par article, 2è éd., Paris, Economica, 1991, à la p. 1410. * 109 Ibid., à la p. 13. * 110 H. Kelsen, The law of the United Nations, London, Stevens and Sons, 1951, à la p. 200 et suivantes. * 111 J. Ballaloud, L'ONU et les opérations de maintien de la paix, Paris, Pédone, 1971, à la p. 20. * 112 R. Daoudi, art. 35 de la Charte, dans J.P. Cot et A. Pellet, supra, note 108, à la p. 599. * 113 Contrairement au prescrit de l'article 27.3 de la Charte des Nations Unies qui stipule que les décisions du Conseil de sécurité requièrent un vote affirmatif de tous ses membres permanents, une pratique qui aura plus tard valeur de coutume est née depuis lors pour signifier qu'en l'absence d'un veto, la décision du Conseil est valablement prise. Cette interprétation s'étendra aux abstentions. Il ne s'agit donc plus d'un vote affirmatif de tous les membres permanents du Conseil, il suffit qu'il n'y ait pas eu de veto. * 114 J. Ballaloud, supra, note 111, à la p. 29. * 115 R. Degni-Segui, art. 24 de la Charte, dans J.P. Cot et A.Pellet, supra, note 108, à la p. 464. * 116 Nations Unies, A B C des Nations Unies, New York, Publications des Nations Unies, 1998, à la p. 83. * 117 G. Cohen Jonathan, art. 39 de la Charte, dans J.P. Cot et A. Pellet, supra, note 108, à la p. 655. * 118 Le Monde diplomatique, De la naissance d'un État, à la crise d'un régime : <http://www.monde-diplomatique.fr/cahier/irak/ONU688> (date d'accès : 15 février 2001). * 119 P.M. Eisemann, art. 41 de la Charte, dans J.P. Cot et A. Pellet, supra, note 108, à la p. 696. * 120 Ibid., à la p. 702. * 121 J.F. Muracciole, L'ONU depuis 1945, Poitiers, Aubin, 1996, à la p. 24. * 122 V-Y. Ghebali, art. 106 de la Charte, dans J.P. Cot et A. Pellet, supra, note 108, à la p. 1416. * 123 Ibid. * 124 Pour de plus amples informations à ce sujet, voir l'étude de M. Virally, Les Nations Unies et l'affaire du Congo, AFDI, 1961, aux pages 562 et suivantes. * 125 J. Ballaloud, supra, note 111, à la p. 49. * 126 Ibid. * 127 Ibid. * 128 C'est le représentant du Canada aux Nations Unies, M.LESTER B. PEARSON, qui suggéra la création d'une force internationale pour s'interposer entre les parties belligérantes, en attendant qu'elles parviennent à un règlement politique. * 129 J. Ballaloud, supra, note 111, à la p. 56
* 130 Pour de plus amples précisions à ce sujet, voir W. Schabas, supra, note 97, à la p. 56. * 131 À ce propos, il convient de noter que la plupart des traités ne sont valables qu'entre parties contractantes, alors qu'une règle d'origine coutumière s'impose à tous ceux qu'elle est en mesure de toucher, sans tenir compte de leur volonté, à l'exception de ceux qui auraient explicitement marqué leur désaccord avec celle-ci. * 132 W.A. Schabas, supra, note 97, à la p. 64. * 133 F. Sudre, Droit International et européen des droits de l'homme, Paris, P.U.F., 1989, à la p. 267. * 134 Ibid. * 135 J.M. Arbour, Droit International Public, 3è édition, Cowansville, Éditions Yvon Blais inc., 1997, à la p.371. * 136 Doc. N.U. A/39/51, p. 197 (1984), [1987] R.T. Can. N°36. |
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