Troisième Partie
--- Un regard sur Radio libre et les
séquences retranscrites
Architecture de la skysolidarité
D'un peu plus près, techniquement, comment ça
marche, la skysolidarité ?
A l'écoute des séquences et au regard de ces
retranscriptions, nous pouvons noter d'ores et déjà une
première logique fonctionnelle.
Une première phase de chaque cas traités dans
l'émission consiste à l'exposé du problème
de l'auditeur appelant, selon une injonction simple de l'animateur
principal (interventions N°1 dans chaque séquence : pour les sujets
ayant trait au racisme « Alors, qu'est-ce qui t'arrive,
Séréna, toi ? », « [...] toi tu te poses la question de
savoir si ça vient pas de l'influence des parents, c'est ça, hein
? », « Oui, Shirley ? » ; pour ceux concernant l'homophobie
« T'appelais pour quoi, toi, d'abord ? », « Alors, qu'est-ce qui
t'arrives ? », « Sois le bienvenu, t'as 22 ans, c'est ça ?
» ; et s'agissant de l'intolérance du fait de la religion/tradition
« Bon, alors, Isis, Qu'est-ce qui t'arrives ? » et « Bon, alors,
je vous parlais de Karine, là, qui nous a passé un coup de fil,
il faudrait un coup de main[...] »). Il est clairement rappelé,
dès le début et ponctuellement par la suite, que les auditeurs
sont là, avec l'équipe de l'émission, pour que soit
sollicitée leur aide.
Vient ensuite le temps de partager les expériences, en
faisant appel aux témoignages des auditeurs qui peuvent
appeler un numéro téléphone (01.53.40.30.20) ou laisser
des messages sur la partie consacrée à l'émission en bonne
place sur la page d'accueil du site de la station (
www.skyrock.com) ou encore envoyer
des SMS au 41759 (plus souvent nommé à l'antenne « 41 SKY
» du fait de la combinaison des lettres sur un clavier de
téléphone portable). La plupart des adolescents ont leur propre
portable voire une connexion à internet dans leur chambre et peuvent
donc entrer en contact depuis leur espace propre, leur chambre. Certains
auditeurs, sélectionnés par les standardistes, sont
rappelés pour discuter à l'antenne et une sélection de
messages de nombreux autres est distillée par Difool pour
développer la conversation. L'appel aux témoignages est
très fréquemment relancé par Difool à l'antenne et
rythme le
temps de la radio : entre chaque sujet (d'autant plus qu'ils se
chevauchent bien souvent), avant et après les séquences
publicitaires, footballistiques ou les jeux...
Avec les points de vue de l'équipe de
l'émission Radio libre (Difool, Marie, Romano le
réalisateur, Cédric, Momo et Samy les standardistes) auxquels
Difool fait appel opportunément, les témoignages des
auditeurs, à l'antenne ou par messages, s'imbriquent pour
construire une conversation entre des émetteurs variés.
Il en ressortira une construction qui, si elle est
médiée (on peut penser notamment que certains messages ne sont
pas lus car ils ne rentreraient pas dans la couleur de l'antenne ou
s'opposeraient violemment aux valeurs fondamentales du discours que nous
interrogerons plus loin, notamment précisément s'agissant de la
tolérance), n'en est pas moins le résultat de la participation
des membres d'une équipe et des auditeurs.
Difool fait la plupart du temps, en conclusion, une
synthèse des expériences et des conseils, et
n'oublie jamais de remercier les auditeurs pour leurs messages. Nous noterons
que pour beaucoup des cas que nous étudions, souvent graves, Difool
promet de « prendre des nouvelles » (« Et puis on prendra des
nouvelles si tu veux bien, Séréna », « Ok, on te
rappellera, de toute façon, et puis si t'as besoin de nous, tu nous
appelle sans problème », racisme, sujet 1, interventions 320 et
322). Promesse d'un suivi, dont on a parfois « in » quelques jours
plus tard, des traces de sa réalité « off ». Il s'agit
aussi de donner (hors antenne aussi) le relais aux acteurs sociaux qui peuvent
venir en aide, vers lesquels l'équipe de Radio libre oriente
les auditeurs après avoir finalement assuré un rôle de
transition entre des auditeurs et des institutions qui existent mais qui leur
sont parfois inconnues, du planning familial au centre pour jeune mère
sans abri, en passant par des lignes téléphoniques de soutien,
des services sociaux administratifs... On retiendra particulièrement le
dernier sujet de notre corpus où une jeune femme se trouvait à la
rue, enceinte de six mois, après avoir quitté sa famille qui
n'aurait pas accepté sa grossesse. La consigne a été
donnée aux auditrices qui l'hébergeront dans l'urgence de lui
indiquer les services sociaux
auxquels elle pouvait s'adresser. Il arrive aussi que des
auditeurs soient mis en relation entre eux (« On peut même vous
mettre en contact toutes les deux, les filles, si vous voulez », racisme,
sujet 3, intervention 146 »)
Il s'agit donc pour le dispositif de la
skysolidarité d'apprécier le soutien que l'auditeur peut
trouver dans son entourage de la vie dite réelle ou l'isolement qu'il y
connaît, et se positionner ensuite en alternative à la gestion de
la crise. Avant qu'il ne s'agisse d'une médiation (on notera que
l'équipe s'interdit d'appeler les parents ou les amis de l'auditeur), le
principe est de parler, de faire parler l'auditeur, de l'écouter alors
qu'il ne trouvait pas nécessairement d'oreilles confidentes, ni à
plus forte raison complices (nous allons le voir, le discours de la
skysolidarité bannit toute forme de racisme ou d'autres
intolérances et accepte sans jugement l'homosexualité). Il va
être confronté à d'autres jeunes gens qui lui manifesterons
leur simple soutien ou qui partageront leur expérience similaire, de
différents points de vue (celui, identique, de la victime, ou celui d'un
frère, d'une soeur, d'un ami...) et des différentes attitudes
qu'ils ont pu adopter. Partager et confronter les expériences pour
proposer des solutions et, à tout le moins, dédramatiser une
situation vécue comme tragique pour l'auditeur.
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