Introduction
--- Entrée en matière
Les radios libres épanouies au cours de années
1980 sont souvent aujourd'hui érigées en légende d'un
souffle de liberté sur des ondes jusque-là réduites
à quelques grandes stations généralistes. Un vent de
cultures musicales et de libres antennes imposa une nouvelle donne pour un
nouveau paysage radiophonique dont la jeunesse est incontestablement une grande
bénéficiaire. Les petites antennes éparses sont parfois
devenues de grandes stations nationales. Dès la fin des années
1980, trois d'entre elles, principalement, se partagent le public jeune,
très courtisé des annonceurs. NRJ, Skyrock et Fun Radio se
mènent une guerre depuis lors autour de la cible des 15-25 ans en
développant leurs identités par leurs programmations musicales et
un foisonnement d'émissions originales -encore peu
étudiées- auxquelles un public de plus en plus fidèle
s'identifie.
Le concept de libre antenne a toujours été
présent dans ces années où de nombreuses émissions
lui ont fait prendre différentes formes. Celle qui remporte la mise,
tant en terme d'audience que d'image, est aujourd'hui Radio libre
diffusée chaque soir depuis huit ans sur Skyrock de 21 heures
à minuit et dans laquelle l'animateur Difool et ses acolytes s'occupent
des problèmes quotidiens des auditeurs qui viennent y partager leurs
expériences, leurs joies, leurs peurs, leurs tracas. Souvent amoureux,
parfois sexuels, familiaux ou scolaires... ils ne sont pas toujours dans la
futilité de l'image réductrice que l'on se fait souvent des
libres antennes. Après tout, il ne s'agit là que d'un ref let des
préoccupations de jeunes adultes, en émancipation, parfois
tourmentés par les angoisses d'un âge, d'une époque, de
mutations personnelles et sociétales, au milieu de confrontations de
différentes cultures, dans une société où
l'itinéraire de l'épanouissement est souvent semé
d'obstacles.
Chez Difool à la radio, on s'y confesse, on
espère y être aidé. On y joue, on y blague aussi, mais
l'essence même de la libre antenne, l'ouverture de l'antenne aux appels
à l'aide, ne se prête pas toujours à la gaudriole. Et la
solidarité gouvernant le contrat de communication est parfois mise
à rude épreuve.
C'est ce à quoi nous allons nous intéresser :
comment fonctionne, dans Radio libre, la solidarité entre
auditeurs (et avec l'équipe) pour des sujets aussi graves que le
racisme, l'homophobie ou les intolérances que connaissent parfois ces
jeunes adultes. Souvent de la part de leur propre famille, qui plus est, et a
l'égard de celui ou celle qu'ils aiment, de leur propre identité
ou de leurs choix de vie en inadéquation avec des esprits très
traditionnels.
Nous essaierons de comprendre comment se construit le discours
de l'émission sur ces sujets lourds, quelles sont les valeurs qui
semblent le gouverner.
Les auditeurs de Skyrock, comme plus largement la
génération actuelle d'adolescents et de jeunes adultes,
s'inscrivent dans différentes cultures, origines sociales ou ethniques,
religions... Ils ou elles sont lycéen(ne)s, étudiant(e)s,
actif(ve)s. A l'image de notre société, ils ont un point commun,
l'insatiable besoin de se sentir libre, le refus de se laisser dicter leurs
comportements. A l'image de notre société, et même souvent
en première ligne, ils sont parfois dans l'étau que serrent les
tensions issues de ce multiculturalisme et des communautarismes. La plupart du
temps vivant sous le toit de leurs parents, ils sont confrontés à
leur regard et leur jugement alors qu'ils quittent l'adolescence pour devenir
des ad u ltes.
Au croisement du brassage des cultures et de la phase
d'émancipation et d'affirmation de l'identité du jeune adulte,
ils se confrontent à de nombreuses préoccupations quotidiennes,
et sont touchés par le racisme, l'homophobie, par l'intolérance
au sens large. Victimes parfois de celle de leurs propres parents.
Quand le dialogue est difficile alors que le besoin de parler
est grand, quand le lien social est corrompu alors que l'obsession de la
liberté individuelle ne saurait s'affranchir du besoin des autres,
Radio libre est un refuge de dialogue où se construit un
discours par des animateurs enclins à la confidence et des auditeurs qui
y trouvent un espace social alternatif pour y déverser leurs
états d'âme et faire appel à l'aide des autres. Parfois
à propos de problèmes difficiles comme cela sera le cas de ceux
traités dans cette étude.
Nous allons ainsi porter notre regard sur la façon dont se
construit le discours de l'émission Radio libre pour les sujets
graves ayant trait à l'intolérance.
Dans un premier temps, nous contextualiserons notre propos en
nous attardant notamment sur la situation et le fonctionnement de
l'émission, sur l'opportunité du sujet pour le jeune chercheur.
Nous exposerons les outils et les notions que nous aborderons pour notre
étude tout en délimitant, peu à peu, notre corpus, plus
précisément vers les questions liées à
l'intolérance en justifiant une pertinence dans un itinéraire qui
légitimera les choix d'analyse.
Puis, nous procéderons au traitement méthodique
des données des retranscriptions écrites du corpus pour en
dégager enfin les résultats du regard que nous y aurons
porté.
Notre étude pour appréhender le discours
développé dans l'émission Radio libre empruntera
à différentes approches : linguistique, lexicologique,
sémiotique, ethnométhodologie, l'analyse du discours, l'analyse
de contenu... pour s'ouvrir ensuite à des considérations
sociologiques.
Il va s'agir de s'appuyer sur l'écoute et les
retranscriptions des séquences sélectionnées pour
élaborer un matériel de travail rigoureux qui permettra
d'interroger le corpus, tout d'abord pour développer le processus de
solidarité qui s'établit à l'antenne selon les termes du
contrat de communication, pour ensuite impliquer notre étude dans le
champ social. Et découvrir au-delà du fonctionnement d'un
discours radiophonique quelles sont les valeurs qu'il déploie et quelle
peut alors être sa portée.
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