La présente étude a été
entreprise dans le but de cerner la portée des NTIC et
d'examiner leur apport à l'éducation des adolescents dans le
contexte socioculturel béninois. Elle est orientée dans le
domaine informel de l'éducation. L'hypothèse de recherche
est : « Les nouvelles technologies de l'information et de
la communication - NTIC - une invention moderne
contrôlée essentiellement par les sociétés du Nord -
introduisent des normes de déréglementation morale des
sociétés béninoises ».
La démarche mise en oeuvre pour vérifier cette
hypothèse a consisté à recueillir, à l'aide de
l'entretien, des avis des parents et / ou tuteurs -d'adolescents - internautes
d'une part puis ceux des gérants ou promoteurs de cybercafés
d'autre part. Des interviews ont été aussi
réalisées auprès d'adolescents internautes. Par ailleurs,
le recours à l'observation directe nous a permis de compléter les
informations recueillies à l'aide de l'entretien.
Suite à l'analyse des différentes
informations, se dégagent certaines observations ou conclusions qui
peuvent se répartir en deux grands ensembles : les atouts des
NTIC dans l'éducation informelle des adolescents d'un
côté et la perversité dans les NTIC de
l'autre côté.
L'usage des NTIC par les adolescents peut
également suivre cette répartition selon qu'il est jugé
positif ou négatif.
Pour ce qui concerne la première tendance, on a la
contribution des NTIC à l'ouverture d'esprit de
l'adolescent, au développement des échanges entre adolescents,
à l'amélioration des rapports Parents / Adolescents, à la
lutte contre la timidité. A cette liste s'ajoutent aussi le
développement de l'intelligence, l'amélioration du rendement
scolaire, l'enrichissement de l'expression française et la distraction.
Les NTIC peuvent servir aussi à sensibiliser les
adolescents.
L'ouverture d'esprit de l'adolescent sera fonction de son
aptitude et de son sens à rechercher des informations sur la toile.
BONJAWO (2002, 27) affirmait : « Internet
va, inéluctablement, libérer les esprits en
Afrique » car il donne à l'individu une liberté
sans précédent. Ceci est rendu possible grâce aux sources
intarissables d'informations et sans cesse renouvelées sur l'internet,
informations contenues dans les banques de données, les
encyclopédies, les bibliothèques virtuelles etc., sur
différents thèmes et sur différents pays. Ces informations
sont souvent accessibles gratuitement ou par le paiement d'une modique somme.
En d'autres termes, internet est un excellent outil d'information et de culture
qui donne accès à des millions de documents sur les pays et les
cultures du monde. Cette démocratisation du savoir par le médium
des technologies nouvelles offre à quiconque, et dans le cas
d'espèce à l'adolescent, d'élargir son horizon de
connaissances dans un domaine ou des domaines de son choix. Par ricochet une
exploitation judicieuse de ce savoir aura une incidence positive sur son
rendement scolaire, son expression langagière et sur le
développement de son intelligence. Kent P. (2001, 218)
confirme ceci : « l'internet permet aux enfants
d'améliorer leur technique de lecture et de
communication ». Cependant, l'élément
déterminant n'est pas les NTIC en elles-mêmes
mais plutôt la manière de s'en servir.
Dans le cas de nos recherches, peu d'enquêtés
issus du rang des adolescents - seulement 2 sujets sur 40 - exploitent ces
potentialités. Nous pouvons donc conclure dans ce domaine que l'internet
ne sert qu'à une infime partie des adolescents. L'ignorance des
internautes peut expliquer cet état de choses comme l'a souligné
un promoteur de cybercafés lors de nos enquêtes :
« la plupart des internautes, jeunes comme adultes, ignorent les
potentialités didactiques et pédagogiques de
l'internet ». Ainsi l'internet est toujours réduit, en
majeure partie, à la communication -écrire et recevoir des
messages- après environ une décennie d'existence au Bénin
(1995 - 2004) : 92,5 % de nos sujets adolescents s'adonnent
fréquemment aux courriels et 70 % d'eux se livrent au chat
contre seulement 5 % pour les recherches académiques. Ces
résultats rejoignent ceux d'une étude menée par
Ken Lohento (2000, 295) : « le service
Internet le plus utilisé est comme il fallait s'y attendre le courrier
électronique ». Mais ce résultat diffère
quelque peu des nôtres par le fait qu'il est restreint au courrier
électronique alors qu'en plus de celui-ci nous nous sommes
intéressé aussi au chat comme mode de communication. Le
potentiel communicationnel largement exploité peut être lié
aux commodités qu'offre l'internet : rapidité,
facilité et moindre coût.
Le développement de la communication peut par ailleurs
induire celui de la sociabilité et lutter contre la timidité. La
communication sociale permet de maintenir les liens entre les personnes
même quand celles-ci sont séparées par des distances
géographiques. Les NTIC facilitent cette
communication ; ce qui prouve qu'elles peuvent jouer ou jouent
déjà un rôle essentiellement qualitatif dans le
développement social au Bénin.
Dans un autre registre, les technologies nouvelles sont, comme
l'a exprimé un sujet, « un outil de sensibilisation aux
maux qui minent notre pays ». Un point de vue similaire fut
émis par Ramata M. Thioune (2003, 56) :
« les jeunes peuvent s'informer sans intermédiaires et
donc sentent moins les pesanteurs sociales et culturelles entourant toutes les
questions liées au sexe et aux maladies sexuellement transmissibles dont
le SIDA ». L'esprit qui a inspiré cet auteur a sans doute
aussi animé un des nos sujets cité en sus :
« les NTIC peuvent permettre aux jeunes de donner leurs points de
vue sur des sujets jusqu'ici considérés comme tabous par les
parents ». Ceci pourrait quelque peu contribuer quelque part
à l'amélioration ou au changement des rapports Parents /
Adolescents (ou enfants en général).
L'égoïsme, pour ce qui le concerne,
résulterait de la fracture sociale entre adolescents internautes et
adolescents « analphabètes du 21è
siècle ». L'on peut a cet effet se référer
à ces propos de L. Fabus
(2000) : « on ne peut oublier que toute
technologie nouvelle porte en elle le risque de créer ou de consolider
des inégalités6(*) ».
Enfin, quant à la distraction, cela va de soi au regard
du potentiel des NTIC en matière de loisir : 27,5
% de nos sujets affirment jouer sur l'internet.
La deuxième grande tendance, quant à elle, est
relative aux dérives dans les NTIC. La
désapprobation porte essentiellement sur les sites pornographiques, la
violence sexuelle, les sites aux images obscènes tels le meurtre
on-line, la criminalité, les sites incitant à la
dépravation des moeurs, à la prostitution ou encore ceux aux
propos à caractère racial, haineux, hargneux... Bref sont
cloués au pilori tous les sites faisant fi l'éthique des
valeurs.
En effet, ces genres de sites n'apportent rien de positif
à l'éducation morale des adolescents. Si l'éducation est
la socialisation de l'individu, si éduquer c'est développer les
facultés morales, physiques et intellectuelles, en quoi alors ces sites
permettent de former moralement, physiquement et intellectuellement
l'adolescent ? En rien ! Il est à craindre que certains
adolescents veuillent imiter, voire « faire tout ce qu'ils voient
sur l'internet » comme un de nos sujets l'a dit, car il est
admis de tous que l'enfant, l'adolescent apprend par imitation. Or l'influence
des médias audio-visuels est très déterminante sur la
conduite des individus. Selon l'UNESCO (1997) :
« la télévision est mise en cause lorsque se
produisent dans le monde des meurtres, des suicides ou des accidents impliquant
enfants et jeunes gens qui semblent reproduire des actes déjà vus
à la télévision ou au cinéma ».
Comme ces médias, l'internet peut être aussi de nos jours mis en
cause car il est un point de convergence de la radio et de la
télévision, une application multimédia où s'allient
des images, des textes et des sons. Néanmoins l'environnement de
l'adolescent sera déterminant dans l'imitation de ce qu'il voit. Celui
qui vit dans un milieu de moeurs légères, où le
relâchement des valeurs morales est toléré sera beaucoup
plus enclin à une vie sexuelle pervertie, à une sexualité
précoce dans sa forme génitale, contrairement à un autre
qui vit dans un environnement sain, entouré de bons modèles de
référence et où les déviances sont -
sévèrement - réprimées. Or de nos jours dans nos
sociétés, il y a une démission des parents, une
édulcoration des valeurs, une déchéance des normes
créant un vide que comblent la radio, la télévision,
l'internet etc., tous au service des valeurs culturelles occidentales. Il y a
une « situation de rupture » selon l'expression du
sociologue A. Attolou. La déduction en est que les
adolescents, à la faveur d'un tel environnement, pourraient être
tentés d'imiter certains cas de perversions qu'ils apprennent par le
biais des NTIC. La crainte de certains parents est donc
légitime. Mais il y a aussi deux autres éléments non
négligeables que sont le milieu familial qui se rapproche de ce que nous
avons dit sur l'environnement de l'adolescent et la personnalité de ce
dernier. Cela dit, l'adolescent sera porté vers tel ou tel comportement
selon son propre système de valeurs qui vont déterminer le genre
de vie auquel il aspire.
Dans un autre volet, l'adolescent qui a eu des
antécédents psychologiques peut être fortement
troublé devant des scènes de criminalité ou de meurtre on
line (du sang). Il pourrait avoir une résurgence qui résulterait
en une fixation qu'il risquerait de colporter toute sa vie durant si rien ne se
fait. De la même façon le degré d'influence qu'auront les
propos haineux, hargneux ou autres comme l'incitation à la violence sera
fonction des prédispositions du sujet. On pourrait rapprocher de ceci,
les résultats de notre enquête où les adolescents qui
visualisent des vidéos sur le karaté sont avant
tout les pratiquants de cet art et qui déclarent agir ainsi en vue
d'élever leur niveau de maîtrise dans cet art.
Tels sont les dérapages signalés par nos sujets
de la catégorie des parents et promoteurs de cybercafés. Les
risques liés au chat et à l'e-commerce n'ont pas
été relevés par eux. Or, ils existent effectivement. S'ils
n'ont pas été évoqués, c'est sans doute parce que
ceux qui le sont, sont beaucoup plus perceptibles et se rattachent assez
directement à notre objet d'étude. Ces risques non
évoqués ne sont pas moindres. Pour le chat comme pour
l'e-commerce, il y a dans la communauté virtuelle la crainte
d'être trompé. P. Kent (2000, 262) partage ce
point de vue avec nous : « Le cyberespace n'est pas un monde
réel : les personnes que vous y rencontrerez ne sont pas
forcément identiques sur le Net et dans la vie
réelle ». Par rapport aux propos licencieux, un de nos
enquêtés déclarent ceci : « Par exemple
lorsqu'un Européen, un Belge dialogue avec une Africaine sur le chat, il
lui envoie parfois : viens, on va faire l'amour au
tél. ». Ce qui pose le problème de la
moralité des `'peuples'' de la communauté virtuelle.
Bref, la portée éducative des
NTIC est comparable à une médaille qui a son
revers. Aussi à l'état actuel de leurs contenus, ces technologies
dites nouvelles sont un instrument pour la promotion de la culture occidentale
dont les normes et valeurs s'opposent parfois à celles
béninoises. Par rapport au rôle qu'elles jouent dans la
déchéance de ces dernières valeurs et normes, si elles ne
peuvent pas en être rendues entièrement responsables, ces
technologies y occupent une place prépondérante. Enfin leur
pertinence est tributaire de comment elles sont utilisées.
Au demeurant, notre hypothèse est partiellement
vérifiée car même si les effets pervers des
NTIC sur un individu -ici un adolescent- dépendent de
l'usage que celui-ci en fait, cela n'enlève rien à leurs contenus
intrinsèques.