Eléments pour une clinique différentielle de l'anorexie à travers le stade du miroir( Télécharger le fichier original )par Serafino Malaguarnera Université Libre de Bruxelles - DEA en Sciences Psychologiques et de l'Education 2006 |
2. HistoriqueBien que le mot anorexie3(*) fasse son apparition dans le domaine médical en 1584, les premières descriptions cliniques de l'anorexie mentale commencent à partir du XVIIème siècle. Nous avons en 1669 la description de la « consomption nerveuse » de R. Morton4(*), et en 1789 celle de la « maladie nerveuse avec dégoût des aliments » de Nadaud5(*). Les descriptions de R. Morton6(*) nous donne déjà un tableau clinique détaillé de l'anorexie mentale: manque apparent d'appétit, refus de nourriture, aménorrhée, hyperactivité, constipation et cachexie. Cependant, l'anorexie mentale comme entité clinique se constitue seulement à partir des travaux de Ch. Lasègue7(*) en 1873 et W. Gull8(*) en 1874. Lassègue propose le terme de « Inanition hystérique » pour nommer cette pathologie qu'il considère comme une anomalie intellectuelle, un trouble centrale et héréditaire avec refoulement d'un souhait plus ou moins conscient. Gull9(*) est le premier à proposer le terme « Anorexie nervosa » décrit comme un état morbide causé par des troubles centraux et héréditaires. Quelques années plus tard, le terme « Anorexie mentale » est proposé pour la première fois par Ch. Huchard10(*) qui pose, en outre, une distinction entre anorexie gastrique et anorexie mentale. En 1895, Freud se penche aussi sur l'anorexie et propose un rapprochement entre mélancolie et anorexie 11(*). En 1908, Gille de La Tourette12(*) et P. Janet13(*) soulignent l'importance de la perception du corps chez les anorexiques. La Tourette soutient que les patientes souffrent d'un refus d'appétit plutôt que d'un manque d'appétit. De plus, il souligne la présence d'un trouble de la perception du corps et de la nourriture. Il pose, en outre, une distinction entre le refus de nourriture de l'anorexie mentale, qui serait relatif, et le refus de nourriture du psychotique, qui serait absolu. Dans l'observation du cas Nadia, Janet relève une obsession de la honte du corps, d'où l'origine névropathique du trouble de l'alimentation dans l'anorexie mentale, et soutient l'idée que la crainte de l'embonpoint est liée à la honte du corps. Jusqu'en 1914, la plupart des cliniciens partage l'idée qu'il y aurait des causes psychologiques à l'origine de l'anorexie. Mais suite à la publication de Simmonds14(*) en 1914, qui explique que les détériorations de la glande pituitaire antérieure sont liées à la cachexie, l'anorexie est considérée en termes endocriniens par la plupart des médecins au cours des deux ou trois décennies suivantes. Cette publication engendre un débat entre l'organogenèse et la psychogenèse qui s'estompe avec la description de Sheehan15(*) de la nécrose hypophysaire du post-partum en 1937. Aujourd'hui, ce débat a été repris par certaines conceptions psychosomatiques sous des termes différents. Dans les années cinquante, il y a un retour massif des conceptions psychologiques de l'anorexie mentale. Les différentes formes de méthodes psychothérapeutiques, telles que la phénoménologie, la psychanalyse, l'approche comportementale et l'approche systémique apportent leurs contributions à l'échafaudage théorique concernant l'anorexie mentale. Avant les années soixante, l'histoire nosographique de cette pathologie est marquée par le développement d'études psychopathologiques restées sous l'influence du modèle de la névrose et, à un moindre degré, de la psychose. A partir des années soixante, il y a un développement des critères de diagnostic de l'anorexie au niveau de la présentation clinique et des études de l'organisation structurale de cette pathologie. Les critères d'évaluation ne prennent plus seulement en compte l'évolution des symptômes mais aussi les facteurs relationnels et de la personnalité. En 1965, à Göttingen se tient le symposium sous la direction de J. E. Meyer et H. Feldmann qui représente une occasion pour d'importantes contributions16(*) de H. Bliss, C. Branch, H. Thoma, S. Palazzoli, H. Bruch. Ce symposium est considéré comme un tournant dans la conception psychopathologie de l'anorexie mentale. Indépendamment de la diversité des conceptions psychopathologiques des participants, il y a trois conclusions communes partagées par les participants qui sont les suivantes : - l'anorexie mentale a une structure spécifique ; - le conflit essentiel se situe au niveau du corps et non pas au niveau des fonctions alimentaires sexuellement investies ; - elle exprime une incapacité d'assumer le rôle génital et les transformations corporelles propres à la puberté. De ce bref parcours historique, nous retiendrons l'importance de la problématique de l'image du corps chez les anorexiques mise en évidence par plusieurs auteurs. Deux décennies seulement après l'apparition de l'anorexie comme entité clinique, Gille de La Tourette ne se limite plus à mettre uniquement l'accent sur l'appétit, mais aussi sur le corps, en soutenant que l'anorexique présente un trouble de la perception de leur corps. Dans cette même lignée de la compréhension de l'anorexie, P. Janet rattache la crainte de l'embonpoint avec une obsession de la honte du corps. Malgré ces tentatives d'amener des notions concernant le corps au profit de la compréhension de l'anorexie, la nourriture restera encore au centre des recherches. Cependant, à partir des conclusions du symposium de Göttingen de 1965, il y aura un déplacement de l'intérêt de la recherche vers les phénomènes concernant les relations avec le corps. A partir de ce que nous venons de relever de ce bref parcours historique, il nous semble pertinent de poursuivre d'une manière plus ciblée une enquête sur d'autres apports théoriques qui ont mis en évidence la problématique de l'image du corps chez les anorexiques. * 3 Du grec « anorexia », `an' priv., gr. Orexis appétit, manque d'appétit. * 4 Kestemberg E., Kestemberg J., Decobert S. (1972) La faim et le corps. Une étude psychanalytique de l'anorexie mentale. Paris : PUF, 1983, p. 14. * 5 Op. Cit., p. 14. * 6 Cf. Brusset B. « L'anorexie mentale des adolescents » in Lebovici S., Diatkine R., Soulé M. Nouveau traité de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent. Volume 2, Paris : PUF, 2004, p.1693-1711. * 7 Decourt J. « L'anorexie mentale au temps de Ch. Lassègue et de W. Gull ». Presse Méd., 1954, 62, 16, p. 355-358. * 8 Ibid. * 9 Kestemberg E., Kestemberg J., Decobert S. (1972) La faim et le corps. Une étude psychanalytique de l'anorexie mentale. Paris : PUF, 1983, p. 14. * 10 Ibid.p. 14. * 11 Freud S. La naissance de la psychanalyse. Paris : PUF, 1956, p. 93. * 12 Cf. Jeammet Ph. L'anorexie mentale. Paris : Doin Editeurs, 1985, p. 3. * 13 Cf. Brusset B. Psychopathologie de l'anorexie mentale. Paris : Dunod, 1998, p.2. * 14 Cf. Jeammet Ph. L'anorexie mentale. Paris : Doin Editeurs, 1985, p. 3. * 15 Ibid., p. 3. * 16 Kestemberg E., Kestemberg J., Decobert S. (1972) La faim et le corps. Une étude psychanalytique de l'anorexie mentale. Paris : PUF, 1983, p. 14. 17 Ibid., p. 32. |
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