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L'identité en débat - Représentations et idéologies dans les discours sur l'immigration au sein de l'espace public

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par Jean-Marie GIRIER
Université Lyon II - Université Lyon III - ENS-Lsh Lyon - Master 2 recherche en Sciences de l'information et de la communication 2007
  

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Quand l'opinion fait l'argument

Comme le souligne Patrick Champagne23(*), le jeux politique se réorganise aujourd'hui et se structure autour de l'opinion publique. Nous avons effectivement constaté, à travers l'étude de notre corpus, un emploi important des sondages. Il nous semble ainsi intéressant de développer ce point. Lors de la publication des résultats d'enquêtes diverses, nous assistons à un renversement des identités au cours duquel les médias dépassent le cadre de l'information traditionnelle pour produire et mettre en débat une opinion.

Dans son récent ouvrage24(*), François Héran fait part de son questionnement quant à l'emploi des « révélateurs » d'opinion publique dans le débat politique. En effet, au cours du débat houleux autour de la loi CESEDA, la majorité s'était appuyée sur un sondage de la SOFRES publié en 2005 par Le Monde selon lequel 63% des Français approuvent l'idée qu'« il y a trop d'immigrés en France ». Ce sondage dont l'objectif consistait à évaluer la percée des idées du Front national était formulé à travers un questionnaire fermé et ne proposait pas toujours de contrepartie symétrique aux réponses proposées. A partir de là, nous souhaitons investir la problématique du poids de l'opinion publique dans l'argumentation de la confrontation. Quelle est l'influence des sondages dans l'évolution des représentations ? En quoi ce recours à des valeurs numériques permet de conforter des éléments préétablis par une construction engagée ? Héran soulève une remarque juste, et un rapide panorama de notre corpus nous confirme la forte présence des batailles statistiques, occultant en partie la confrontation brute des représentations de la société. Alors que ce démographe se penche sur la composition des sondages, nous proposons pour notre part de nous interroger sur leurs emplois.

Le rôle de diffusion des idées politiques par les médias en fait un réel acteur à part entière du débat politique puisqu'il s'engage en publiant tel ou tel sondage. De surcroît, son objet d'information tend à dériver. Alors que la publicité traditionnelle consistait à informer des identités exprimées par les partis politiques, puis plus tard par des individualités politiques qu'incarnent les nouveaux leaders, nous voyons aujourd'hui la formulation de l'identité de « citoyens imaginaires », le réel du citoyen que sanctionne le vote étant occulté.

C'est à partir de là que l'opinion publique entre dans les débats et que les médias font entrer leurs voix en instaurant certains éléments de discussion dans l'Assemblée nationale. Pour ces raisons, le débat sur des éléments quantitatifs tend parfois à supplanter le débat d'idée. Les identités politiques constituées à partir d'une idéologie tendent à laisser leurs représentations politiques imaginaires de côté.

Nous avons retrouvé l'utilisation du sondage publié par Le Monde en 2005. Lors de sa première intervention au sein de l'hémicycle, le ministre de l'Intérieur, afin de justifier l'existence même de ce projet de loi et pour répondre aux attaques de l'opposition le qualifiant de xénophobe, s'appuie sur celui-ci :

« Les Français nous demandent de regarder cette réalité en face. Jamais le fossé n'a été aussi grand entre le discours de certaines élites et la réalité, telle qu'elle est perçue par nos compatriotes.

Selon un sondage de la SOFRES publié par Le Monde en décembre 2005, 63 % des Français estiment qu'il y a trop d'immigrés en France. Parmi ces 63 % de Français, 50 % sont des électeurs de gauche. Plutôt que de leur reprocher de penser ce qu'ils pensent, il me semble plus utile d'essayer de comprendre pourquoi ils pensent ainsi et de leur apporter des réponses.

Je suis convaincu que l'immense majorité de nos compatriotes n'est ni raciste ni xénophobe, qu'ils exècrent le racisme et la xénophobie. Mais reconnaissons les choses telles qu'elles sont : pour beaucoup de Français, l'immigration est une source d'inquiétude qu'il nous faut prendre en compte.»

Cet emploi est particulièrement révélateur de la véritable contamination du débat politique par les sondages. L'effet de vérité est puissant, et on peut constater que ce genre d'outil s'invite sous le sceau d'une évidence déconcertante dans les interviews télévisées. Le chiffre transporte dès lors une doxa, il impose aux masses un argument comme la voix de la raison collective.

La thématique des sondages nous permet également de souligner le lien direct entre médias et institution parlementaire, véritable médiation. Seuls ces deux espaces politiques fondent une communication à partir de ces données, alors que les autres acteurs institués dans l'espace public (monde associatif, syndicats, cultes...) se refusent traditionnellement à entrer dans l'arbitraire.

Or nous constatons qu'une argumentation statistique n'est attaquée par l'opposition parlementaire que par un recours à d'autres éléments chiffrés. Bien que certains critiquent l'utilisation abusive des études d'instituts dont il faut rappeler que la première préoccupation est marchande, la réaction de Patrick Braouezec (PCF) sur le sondage de 2005 fut la suivante :

« Vous estimez et basez votre politique sur le rendement, sur des chiffres - au point même d'utiliser des sondages de décembre 2005 comme arguments d'autorité. Permettez-moi de citer d'autres sondages, comme celui qu'a réalisé l'institut Louis Harris les 28 et 29 avril et selon lequel 54 % des Français pensent que la France doit être un pays d'accueil pour l'immigration, 46 %, soit près d'un Français sur deux, qu'elle est un atout général pour la France et 76 %, dont je fais partie, sont favorables à la régularisation des sans-papiers présents depuis cinq ans sur notre territoire. Vous utilisez, quant à vous, le sondage de décembre pour justifier la réduction du nombre de migrants. »

Nous assistons dès lors à une confrontation sondage contre sondage, représentations contre représentations. Signalons ici que l'enjeu repose sur la représentation de l'électorat proposée dans la construction des sondages. Ceux-ci formulent des représentations d'identités politiques, et on construit quantitativement à partir d'une addition de points de vue singuliers la représentation d'une identité collective, qui est d'ailleurs une identité indistincte. De là, les ministres et députés construisent la justification de leurs arguments à partir d'un imaginaire construit par les médias.

Puisque nous venons de montrer comment se construit l'espace public et de quelle manière s'instaurent les acteurs, il nous faut désormais prendre en compte le débat dans sa valeur d'évènement et le replacer dans un cadre contextuel et temporel.

* 23 CHAMPAGNE, Patrick, Faire l'opinion : le nouveau jeu du politique, 1990.

* 24 HÉRAN, François, Le temps des immigrés : essai sur le destin de la population française, 2007.

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