Acteurs institués et acteurs réels
Dans cet espace public médiaté du débat
sur l'immigration, il est important d'analyser quels acteurs ont
été institué en tant que moteurs de la lutte contre ce
projet. Dans l'espace « légitimé » par les
médias, les actions des collectifs issus du champ de l'économie
sociale ont été très largement amplifiées. Ainsi,
le collectif « Uni(e)s contre une immigration jetable »,
grâce à une stratégie d'actions politiques à haute
portée symbolique, a été institué par les
médias comme l'acteur incontournable d'opposition, avant même
l'opposition des partis politiques. Dès les prémisses du
débat public, Le Monde met en avant le « tollé
des associations contre le projet Sarkozy » en insistant sur la
multiplicité des acteurs qui s'accordent autour d'une lutte commune :
« Selon Act Up, la Cimade (service
oecuménique d'entraide), la Fasti (la Fédération des
associations de solidarité avec les travailleurs immigrés), le
Gisti (Groupe d'intervention et de soutien aux travailleurs immigrés),
la LDH (Ligue des droits de l'Homme), le MRAP (Mouvement contre le racisme et
pour l'amitié entre les peuples) et le 9ème Collectif des
sans-papiers, ce projet "annonce une nouvelle étape dans la guerre
aux étrangers menée par le gouvernement". »
Les journaux quotidiens comme les médias audiovisuels
se feront l'écho des grandes manifestations
populaires « contre l'immigration jetable », si bien
que notre corpus contient seulement deux entretiens avec des membres du
gouvernement ou de la majorité, contre treize pour les leaders
associatifs et trois pour les responsables socialistes.
Au contraire, le discours des Églises
chrétiennes et de leurs branches associatives n'est que très peu
repris. Le Monde relayera leurs actions seulement à travers
deux brefs articles, l'un avant le débat pour faire part de leur
« l'inquiétude », l'autre après le vote pour
retranscrire le synode de l'Eglise réformée durant lequel elle
s'est « alarmée » de la situation des sans-papiers.
Libération évoquera rapidement la nouvelle
« croisade contre la loi Sarkozy » de cinquante
associations chrétiennes.
Selon les acteurs associatifs et politiques que nous avons pu
rencontrer, cette construction de l'espace public ne serait pas
représentative du réel de la mobilisation de terrain. En effet,
les parlementaires de droite, et ceux de gauche dans une moindre mesure, ont
été très fortement sollicités par les
représentants des Églises qui ont entrepris un important travail
de lobbying. D'ailleurs, on peut constater qu'au cours du débat
parlementaire, il a davantage été question de la position de
l'Eglise catholique que des associations, ce qui ne transparaît pas du
tout dans le traitement journalistique des débats. Sur la question des
sans-papiers, beaucoup regrettent que le travail de fond entrepris depuis des
dizaines d'années par certaines organisations ait été
occulté. On voit clairement, dans cette circonstance, la capacité
des médias à faire naître des acteurs nouveaux. Le travail
de réinterprétation journalistique a institué des acteurs
collectifs comme références de la réalité au
détriment de militants réels auxquels on a barré
l'accès au statut d'acteur dans l'espace public.
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