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L'identité en débat - Représentations et idéologies dans les discours sur l'immigration au sein de l'espace public

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par Jean-Marie GIRIER
Université Lyon II - Université Lyon III - ENS-Lsh Lyon - Master 2 recherche en Sciences de l'information et de la communication 2007
  

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III. Les représentations de l'immigré du XXIème siècle : entre fraude et terrorisme

Dans le dernier développement de ce chapitre, nous allons étudier deux points spécifiques de ce débat sur l'immigration dans l'espace public. Il s'agira ainsi d'esquisser une « trace » d'évolution des représentations au regard de la temporalité que nous appréhendons ici.

L'immigré fraudeur et clandestin

Le projet de loi « immigration et intégration » prend pour objet le règlement des situations de fraude. Il semblerait dès lors que tout immigré soit soupçonné de venir frauder. Le terme de fraude est employé pour désigner une modalité irrégulière dans le rapport à la loi. Ce vocable prend son étymologie à partir du terme latin fraus, que l'on pourrait rapprocher de tromperie. Dès lors, l'emploi du mot fraude le rapporte nécessairement à la parole trompée, ici la loi de la République. C'est ainsi que le député du Nord Patrick Delnatte (UMP) impute à la fraude une action négative sur les valeurs françaises :

« Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pays d'immigration.

En France, trop de familles d'immigrés, voire de familles françaises d'origine immigrée, ont des conditions de vie déplorables : pauvreté, exclusion de l'emploi, précarité du logement, sentiment d'ostracisme avec des risques de racisme et de xénophobie.

Par ailleurs, laisser la fraude et le détournement de procédure se développer comme mode opératoire de l'immigration, c'est conduire au délitement du lien social et à la perte de valeurs qui fondent la citoyenneté républicaine ».

Pour mieux comprendre, revenons sur le message délivré dans le texte. Dès la première phrase de l'exposé des motifs du projet de loi, Nicolas Sarkozy expose que « depuis 2002, la maîtrise de l'immigration est redevenue une priorité essentielle dans l'action conduite par le gouvernement. [...] La lutte contre l'immigration clandestine est déterminée ». Le chapitre 3 du projet de loi réforme le régime de séjour des étrangers. Ainsi, l'article 8 modifie les conditions d'acquisition de la carte de « visiteur » afin de s'assurer de l'absence d'installation sur le territoire de certains étrangers qui contournent ce processus. L'article 15 impose à un donneur d'ordre de demander à son cocontractant s'il emploi des étrangers, auquel cas il doit vérifier qu'ils ne sont pas en situation irrégulière. L'article 24 supprime une quelconque obtention de la carte de séjour à l'étranger résidant depuis plus d'une dizaine d'années en France au titre qu'il ne faut pas « récompenser une violation prolongée de la loi de la République ».

Le projet de loi réforme également les critères d'acquisition de la nationalité au titre du mariage afin de « lutter contre le détournement du mariage à des fins migratoires ». Pour s'opposer à un art-de-faire, l'Etat supprime la délivrance de la carte de résident de pleins droits après deux ans de mariage et augmente de deux à quatre ans le délai de communauté de vie nécessaire pour souscrire la déclaration de nationalité française. De plus le gouvernement s'accorde une année supplémentaire pour s'opposer à l'acquisition de la nationalité par le conjoint étranger.

Concernant le regroupement familial, un nouveau calcul exige qu'un étranger démontre qu'il peut subvenir aux besoins de sa famille en excluant « les minima sociaux ». Enfin, un élément inédit apparaît concernant Mayotte où la « dation du nom, qui emporte filiation dans le statut civil de droit local », impose que les deux parents relèvent du statut civil de droit local, ceci afin de « contribuer à la lutte contre la fraude des reconnaissances de paternité ».

Cette longue énumération de quelques nouveautés législatives vient confirmer un message de lutte contre les fraudeurs potentiels, mais il nous apparaît étonnant qu'un tel texte relève du ministère de l'Intérieur. En effet, pour reprendre les mots de Christiane Taubira (PRG) « cette ardeur à traquer le délinquant et à le sanctionner a priori » aurait paru mieux fondée en émanant du ministère de la Justice. De même, le dernier chapitre concernant Mayotte aurait pu faire l'objet d'une discussion séparée sous l'égide du ministre de l'outre-mer. Mais le choix stratégique du gouvernement a consisté à mêler la lutte contre l'immigration irrégulière à la volonté d'intégration des étrangers dans l'État français ainsi qu'au traitement du cas spécifique des territoires d'outre-mer.

Le rôle de la loi est important car elle est constitutive de l'identité. En effet, la loi ordonne une partie du réel par des normes, des codes afin de réguler les pratiques sociales. Elle dit aussi son identité politique, elle donne du sens à des pratiques. Dans le cas de la loi CESEDA, on voit bien que le symbolique de celle-ci essaye de recouvrir le réel des situations irrégulières que nul n'a réussi à contrôler jusqu'à présent. D'ailleurs, la loi prête à des oppositions importantes en termes de vérité :

« - M. Patrick Braouezec (PCF). Il n'y pas plus d'étrangers dans notre pays qu'il y a trente ans.

- M. Jérôme Rivière (UMP). Ce n'est pas vrai !

- M. Patrick Braouezec. Arrêtez de brandir le fantasme de l'invasion !

- M. Jérôme Rivière. C'est vous qui parlez d'invasion ! Mais il est vrai que le nombre de clandestins augmente ! »

Le message de cette loi, puisqu'elle est collective, s'impose aussi à chaque sujet d'une manière identique. Elle signale à l'étranger empli du désir d'émigrer, par la matérialité des signifiants, que le symbolique du texte de loi durcissant les conditions de séjour s'inscrit désormais dans le réel. La loi instaure donc un rapport à l'individu singulier en lui prescrivant certaines modalités.

Pour poursuivre, nous allons dresser rapidement une analyse lexicologique de l'entourage textuel du vocable « immigration » : de l'immigration choisie à l'immigration jetable, nous avons comptabilisé un certain nombre de qualificatifs. Grâce à l'outil des segments répétés, nous avons pu obtenir l'entourage textuel du vocable immigration. De plus l'outil des spécificités a pu nous faciliter le repérage de certains suremplois. Dans la mesure où notre corpus n'est pas équilibré, nous n'allons pas donner de valeurs numériques car les écarts ne seraient pas significatifs. En effet, lorsque le PCF dispose de cinq minutes pour son temps de parole, le PS intervient deux fois plus et la majorité trois fois plus. Cependant, nous représenterons sur des graphiques des données en fréquence relative.

Tout d'abord, il existe une concurrence sémantique entre le vocable « immigration clandestine » et ses parallèles juridiques « immigration irrégulière » et « immigration illégale ». Le terme « clandestin » est principalement employé par les députés de l'UMP. Il rappelle d'ailleurs le titre du rapport parlementaire du sénateur Buffet (2006). A l'inverse des vocables « illégale » ou « irrégulier » qui procèdent par une opposition littérale par rapport au respect de la loi, l'emploi du terme « clandestin » porte tout l'imaginaire de l'itinéraire d'un l'étranger arrivé avec des passeurs, vivant dans l'ombre d'une société auprès de laquelle il sait pertinemment qu'on ne l'autorise pas à être présent. Il rappelle le sort des dizaines d'africains qui s'échouent chaque année sur les terres ibériques et qui font le bonheur des marchands de sommeil dans les grandes agglomérations. Les discours employant cette formule désignent donc une catégorie particulière d'immigrés. Le tableau ci-après représente l'emploi des vocables associés à « immigration » en fréquences relatives. La valeur importante de l'emploi de la forme « immigration clandestine » pour les socialistes et l'UDF relève d'un sur-emploi destiné à dénoncer les effets que provoquerait selon eux cette nouvelle législation.

Graphique des fréquences relatives des vocables « immigration irrégulière » et « immigration clandestine » par partis politiques.

Il en va de même pour les vocables « fraude » et « suspicion » qui sont d'un côté imputés à l'immigré et de l'autre employés comme des critiques du projet de loi. Le caractère de suspicion se trouve dans des interventions comme celle que nous avons déjà cité plus haut :

« - Muguette Jacquaint (PCF). M. le ministre de l'Intérieur reprend un slogan véhiculé par l'extrême droite : « La France, aimez-la ou quittez-la ». Or précisément, ces étrangers aiment la France.

- M. Jérôme Rivière (UMP). Non, ils aiment son système social. »

Le vocable « suspicion » fait parti du vocabulaire employé par le Parti socialiste pour dénoncer les procédés d'argumentation de l'UMP. L'opposition souhaite ainsi mettre à jour ce qu'elle définit comme une « essence », une « idéologie cachée » derrière la loi, le caractère de suspicion lui permet également de défendre les populations discriminées. On retiendra ces quelques interventions de Bernard Roman (PS) :

« Arrêtez de jeter la suspicion sur eux ! » 

« Le mariage est parfois un moyen de contourner la réglementation du séjour en France, nous ne le nions pas, mais il n'existe pas une fraude massive comme vous le sous-entendez. On retrouvait déjà cette suspicion dans le rapport de M. Mariani ».

« Deuxième illustration de droits bafoués : celui au regroupement familial. Les restrictions que vous introduisez en ce domaine montrent que suspicion et précarisation sont les piliers de votre projet de loi ».

Graphique des fréquences absolues des vocables « fraudeur » et « suspicion » par partis politiques.

Le gouvernement et la majorité se défendent alors en reprenant les vocables incriminés : « il ne s'agit pas de suspicion, mais de faits » dit Thierry Mariani, rapporteur de la commission des lois, ou encore « Il ne s'agit pas que de suspicion. Je voudrais rappeler à l'ensemble des députés présents les chiffres... ».

Pour terminer, nous voulons revenir un instant sur le discours journalistique et le discours associatif pour montrer à quel point la bataille sémantique intègre le discours écrit. C'est l'emploi des guillemets autour d'un certain nombre de termes qui nous interroge. En effet, des vocables tels « immigré », « jetable », « choisie », « subie », « inutiles », ou encore « étranger » sont parfois placés entre guillemets. Ce procédé nous permet de mettre en avant la double dimension de ce signe typographique de ponctuation. Tout d'abord, les guillemets permettent d'encadrer l'espace insécable de la citation. Ainsi lorsque Nathalie Ferré, présidente du GISTI, écrit dans une tribune de L'Humanité, les guillemets lui permettent de citer le gouvernement ou plutôt l'idée qu'il développe :

« Il faut mettre un terme à l'immigration subie et promouvoir une immigration choisie. » Tel est le nouveau credo gouvernemental.

Or il existe un second usage des guillemets, moins équivoque, qui consiste à mettre en avant des mots qui ne nous appartiennent pas, mais aussi dont on accepte pas l'insertion dans le fil du discours. Par conséquent, le conseil des Églises chrétiennes de France affirme dans sa lettre au Premier ministre que « l'existence des « sans-papiers » est une réalité incontournable » et émet des réserves sur la liste des pays dits « d'origine sûrs ». Le secours catholique écrit aussi le terme « sans-papiers » entre guillemets. Le signe retrouve dans cette situation la signification qui lui était attribuée au Moyen-âge lorsqu'il servait à encadrer un mot d'orthographe ou de sens douteux pour le signaler au lecteur.

Aujourd'hui, les guillemets participent pleinement à l'énonciation journalistique. Nous pensons même que leur rôle est primordial dans l'appréciation d'une information par le lecteur. D'ailleurs, c'est un outil qui permet au journaliste de dépasser le cadre informatif pour diffuser une opinion. Dans le cadre du débat public sur l'immigration, c'est le désaccord avec les qualificatifs de « choisie » et « subie » qui feront l'objet d'une mise en avant interpellant le lecteur sur la valeur du jugement.

Le 4 janvier 2006, les guillemets apparaissent en titre dans Le Monde : « Nicolas Sarkozy veut « choisir » les immigrés et durcir le regroupement familial ». Il s'agit ici d'une décision délibérée de la rédaction qui souhaite insister sur la notion de sélection des étrangers. Quelques jours plus tard, Libération ironise sur les « bons » immigrés de Sarkozy. Sur l'ensemble de notre corpus d'articles de presse, ce sort sera réservé presque systématiquement aux adjectifs « subie » et « choisie ».

Dans le discours associatif, le choix de l'énonciation est différent, et c'est la notion d'intégration qui est mise entre guillemets afin de souligner l'arbitraire de cette notion. Uni(e)s contre une immigration jetable dénonce la « répression à l'égard d'un étranger - pourtant « intégré » selon les critères de la loi sur l'immigration et l'intégration ». Le collectif regrette la quasi-disparition de cet outil d'« intégration » qu'était la carte de résident et souligne selon elle l'absurdité de la procédure qui requiert des étrangers qu'ils montrent des preuves pour affirmer qu'ils sont « bien intégrés ». On en déduit que l'accent est mis sur l'intégration et son incompatibilité avec la nouvelle loi sur l'immigration. Il permet de saisir l'intention des associations qui dénoncent le raccourci établi entre immigration et intégration.

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