L'identité en débat - Représentations et idéologies dans les discours sur l'immigration au sein de l'espace public( Télécharger le fichier original )par Jean-Marie GIRIER Université Lyon II - Université Lyon III - ENS-Lsh Lyon - Master 2 recherche en Sciences de l'information et de la communication 2007 |
L'immigré noirDans la photo de presse, à l'image de la caricature, nous avons constaté un consensus sur la représentation des acteurs de l'immigration : ceux-ci sont toujours noirs. La photographie n'est pas toujours en lien direct avec l'article, mais elle vient apporter un supplément de sens. Nous constatons que l'énonciation esthétique médiatique se construit sur une imagerie populaire et vient renforcer le rôle du stéréotype. Par exemple, dans un numéro paru durant le débat, l'hebdomadaire Marianne titre « Pour en finir avec la politique de l'autruche. IMMIGRATION, cette réalité qu'il faut oser regarder en face ». Cette accroche est accompagnée de trois vignettes : sur la première, on voit un jeune homme de couleur noir nous regardant et joignant ses mains dans une position entre imploration et prière. La seconde photographie montre des hommes de couleur noire embarqués à bord d'une embarcation sommaire dont nous assistons à l'immersion dans la dernière vignette. L'articulation entre le texte et les images donne à l'énonciation journalistique une valeur de réalité. Comme le souligne Roland Barthes, la photographie est « invisible, ce n'est pas elle qu'on voit ». A propos des photos sur l'immigration, on constate un réel travail sur le regard et sur la mise en forme de la pauvreté, du désespoir. L'esthétique de cette représentation se formule sous le mode d'un « masque » à la fois nécessaire pour transmettre une information primaire et pour éveiller un début de prise de conscience sociale, comme si l'on imposait au regard une réalité à constater. La photographie est présentée comme un fragment de réel capté par l'objectif et elle tire ça forme d'un « ça-a-été »69(*). En fait, il ne s'agit pas d'une « mimesis parfaite du réel » mais de l'émanation du réel qui, comme le souligne Martine Joly70(*), alimente « la confusion entre visible-réel-réalité et vérité ». La couleur de peau comme identifiant politiqueL'énonciation esthétique institue une identité politique à partir de la pigmentation de la peau. Le noir devient un identifiant politique attaché à l'Autre, ce qui explique son emploi important dans le cadre de l'immigration. Finalement, « le noir » est devenu le symbole de ce qui serait « par nature » différent d'une identité française. Nous percevons ici un processus de désignation d'identité sur la seule base de théories raciales. Le rappel symbolique à une seule couleur mobilise un ensemble de constructions qui ont donné lieu à la production d'un imaginaire fécond. C'est bien évidemment le temps long de l'esclavagisme, des premières colonisations qui s'inscrit dans ces formes esthétiques rappelant la mémoire d'une France paternaliste missionnée pour civiliser l'Afrique. Ce traitement nous conduit à formuler deux remarques. Tout d'abord, ces représentations intégrées dans un inconscient partagé renvoient un message particulièrement inquiétant aux populations de couleur noire. Si « le noir c'est l'autre », si la pigmentation fonctionne comme un élément de distinction, la représentation devient performative et assigne au porteur de ce signifiant une altérité. Ensuite, nous nous interrogeons sur le contraste entre l'iconographie (« le noir ») et le stéréotype (« l'arabe »). Il n'existe aucune concordance entre une représentation politique et une représentation esthétique, ce qui nous mène à conclure qu'il pourrait exister un décalage dans le temps long entre les deux formes de signifiants, le code de l'image évoluant moins rapidement que les formes du discours. * 69 BARTHES, Roland, La chambre claire : note sur la photographie, 1980. * 70 JOLY, Martine, L'image et les signes : approche sémiologique de l'image fixe, 1994. |
|