L'individualisation dans le combat politique
électoral
Suite à la « mort politique » de
Dominique de Villepin après l'échec du CPE, le ministre de
l'Intérieur a été institué comme l'unique candidat
potentiel de la droite pour les élections présidentielles. Comme
nous l'avons montré plus haut, l'énonciation journalistique a
entamé un cycle de dénigrement de la personnalité par un
rapprochement avec Jean-Marie Le Pen. Dès lors, les attaques de
l'opposition s'effectuant auparavant à l'encontre de
l' « Etat-UMP » se sont concentrées sur la
seule personne de Nicolas Sarkozy. On assiste ici à une
individualisation du fait politique au service d'une stratégie à
long terme. Nicolas Sarkozy se voit institué par ces attaques comme un
leader et il se défend dès lors d'un projet de loi
électoraliste en se positionnant comme garant des institutions :
« À ceux qui me déconseillaient de déposer un
projet de loi sur l'immigration en raison de la proximité des
élections, je réponds que, bien au contraire, dans la
démocratie, c'est par le débat qu'on tire la réflexion
vers le haut ». L'opposition réinvestie pour sa part
l'énonciation journalistique, ce qui introduit les médias au
coeur du débat parlementaire. Dans un premier temps, le discours
parlementaire associe les critiques envers l'immigration choisie à la
seule personnalité de Nicolas Sarkozy avec un recours important à
la seconde personne du pluriel lors d'interpellations dans l'hémicycle.
Ainsi Bernard Roman (PS) effectue une attaque sur la personne avant d'aborder
le projet de loi :
« - M. Bernard Roman. Nous
dénonçons cette confusion des genres : vous utilisez vos
responsabilités ministérielles pour vous tracer des perspectives
électorales.
- M. Serge Blisko. Eh oui !
- M. Bernard Roman. Cela ne facilitera pas,
l'année prochaine, votre argumentation sur la rupture. Vous aurez du mal
à convaincre l'opinion...
- M. Marcel Bonnot. Et vous ?
- M. Bernard Roman. ...que vous êtes vierge du
bilan de ce gouvernement, après avoir autant contribué à
sa boulimie législative !
- M. Bernard Roman. Vous vous inscrivez dans une
remarquable continuité. Il y a vingt ans, votre ami Charles Pasqua
affirmait que les valeurs de la droite étaient les mêmes que
celles de l'extrême droite.
- M. Bernard Roman. Nous sommes là dans un
domaine nauséabond, mais aussi dans l'inflation des lois d'affichage,
dénoncée récemment par le président du Conseil
constitutionnel.
« Oui, je cherche à séduire les
électeurs du Front national, j'irai même les chercher un à
un, cela ne me gêne pas », annonciez-vous dans Le
Parisien du 29 mars. Et vous avez ouvertement repris devant vos
admirateurs, le 22 avril dernier à Paris, ces slogans de
l'extrême droite et de son leader, eux-mêmes transposition
d'anathèmes venant tout droit des États-Unis lors de la guerre du
Vietnam. Pour un homme qui se veut l'incarnation de la rupture, vous n'innovez
pas ! »
Dans notre mode d'application de la démocratie, celui
de la représentation, le peuple s'incarne dans des sujets, mais il y a
une surdétermination de l'individuel par le collectif. Les sujets qui
représentent symboliquement les citoyens au Parlement doivent agir dans
une logique d'identité collective. Ils sont investis par leurs pairs
pour représenter le réel de la société dans le
symbolique du champ politique. Mais la stratégie socialiste consiste
à renverser ce phénomène pour attribuer des faits
politiques construits par le collectif à un individu singulier, en
l'occurrence Nicolas Sarkozy. Finalement, c'est la délibération
politique collégiale qui est assimilée par la stratégie
discursive de l'opposition au processus de décision. Ce dernier repose
sur une distinction des autres acteurs par la mise en oeuvre de la
singularité dans le processus de passage du symbolique au réel.
En outre, cette charge discursive concentrée sur une
individualité trouvera un écho dans les mouvements associatifs et
libertaires « anti-Sarko » apparus lors de la crise des
banlieues. Ceux-ci prendront leur essor et se cristalliseront dans la lutte
contre ce projet de loi. On constate alors que ces mouvements de confrontation
radicale ne peuvent se constituer qu'à partir de l'individualisation du
fait politique, à laquelle leur existence est liée. Ils
présentent des caractéristiques qu'il serait intéressant
d'étudier, en particulier la manière avec laquelle leur immense
production sémantique sert la diffusion d'un imaginaire.
Ces deux exemples très détaillés nous ont
donc permis de montrer l'importance de
l'inter-évènementialité dans la construction
sémiotique du débat sur la loi CESEDA. Le débat aurait
été bien différent sans la crise du CPE, peut-être
n'aurait-on pas abordé autant la composante de l'appartenance
professionnelle de l'identité politique, et si les élections
présidentielles n'avaient pas été aussi proches, ce
débat n'aurait peut-être simplement pas eu lieu.
Les autres exemples sont nombreux, et nous aurions
également pu faire un dernier développement concernant la crise
des banlieues, autre crise sociale de la fin de l'année 2005. Dans ce
cas, il aurait été intéressant d'envisager l'amalgame
produit entre immigration et violence urbaine. Une intervention du ministre
Christian Estrosi résume à elle seule la tonalité du
propos : « Quand on a l'honneur de détenir une carte de
résident ou une carte de séjour, on n'a pas à brûler
des voitures dans les rues ! ».
Le débat doit donc être analysé
conjointement à des évènements qui l'entourent dans le
temps ou lui ressemble dans la forme. Cette dimension est un fondement d'une
meilleure approche de l'espace public. Ainsi, c'est en partant de
l'énonciation médiatique, véritable rouage instigateur de
ce lieu symbolique, que l'on appréhende le mieux une construction.
Après la description du déroulement et de
l'espace de ce débat, nous allons aborder dans une seconde partie le
contenu symbolique et esthétique investi dans les discours en nous
attachant à définir les contours actuels des
représentations de l'immigration.
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