5.4 L'aménagement des stations de sports d'hiver
La remontée à pied avant la descente en ski
faisait partie de la pratique du ski jusque dans les années 30. Faire du
ski, c'était d'abord monter la montagne et puis profiter de la vitesse
en descendant. Quand Léon
12 Bosso A., et al. (1994), p.36 13cf. Dettling S.
(2005), p.135
14 Avec les skis nordiques anciens la seule manière de
s'arrêter en descente est de se jeter par terre.
Zwingelstein revient de son voyage dans les Alpes hivernales en
1933 il écrit dans son journal:
«Ce n'est plus la montagne, mais seulement du sport en
plein air qui se déroule dans un cadre ne jouant qu'un rôle
secondaire, même inutile. Eprouvent-ils véritablement du plaisir?
Pour ma part, j'ai l'impression de pas avoir gagné ma descente, il est
vrai que
j'ai une compréhension du ski différentes de celle
des ces sportsmen. »15
Cependant, les installations d'équipements de
remontées mécaniques devenaient de plus en plus importants dans
l'Arc Alpin. Les premières téléphériques ont
été construit à partir de 1866. Ils servaient d'abord pour
les touristes d'été qui voulait profiter d'un panorama sans faire
d'effort physique - donc ceux qui voulaient exercer le « tourisme de belle
vue ». La Suisse comptait vingt-six téléphériques en
1900.16 La création et l'installation des premiers
téléskis (en 1932)17 et des premiers
télésièges (en 1937)17 marquent le début
d'une pratique de ski fortement répandue. Les premières stations
de sports d'hiver se créent entre la fin du 19e siècle
et la deuxième guerre mondiale dans les villages dynamiques de basse
altitude (Morzine, Villard-de-Lans, la Clusaz) qui connaissait
déjà un tourisme d'été et qui pouvait donc offrir
des aménagements touristiques existants. C'étaient souvent des
initiatives locales diffuses et nombreuses de la part d'une
société essentiellement paysanne. L'agriculture de montage ne
connaissait pas encore de forte régression, mais d'autres
activités comme le colportage, l'industrie rurale et l'artisanat
étaient déjà en baisse. Mais l'aménagement de la
montagne française avec des remontées mécaniques se
passait d'une manière non contrôlée et non dirigée.
En 1938, ils existent dix remontées mécaniques en France
détenues par dix exploitants différents. Cependant, une part des
premiers skieurs ne voulait pas descendre en basse altitude pour y passer la
nuit. Ils étaient hébergés chez des
15cf. Bosso, A. (1994), p.88 16cf.
Güthler A. (2003), p.2 17cf. Débarbieux B. (1995),
p.50
habitants des petits villages d'altitude. Mais vu la taille de
ces villages il n'y avait pas de la place pour le nombre de nouveaux
pratiquants qui augmentait sans cesse. Donc, la mise à disposition
d'environ dix chambres par village d'altitude n'a plus était suffisante
rapidement.18 Des grands plans d'aménagement de la montagne
ont commencé à voir le jour ainsi mais ont été
stoppés par la deuxième guerre mondiale. C'est après le
conflit que l'idée s'exprime d'
«ouvrir la montagne à la jeunesse française
grâce à une exploitation à caractère social de son
équipement et favoriser la pratique sportive du plus grand nombre.
»19
Laurent Chappis dessine le plan d'urbanisme de la station des
Tovets (qui va devenir «Courchevel 1850 ») en 1946. Dans son plan de
création, il repartit les différentes fonctions touristiques
selon les nécessités. Au centre de la station on trouve le point
de convergence des pistes de ski et plus loin les zones d'habitation desservies
chaque une par une piste de ski. Les parkings et garages couverts sont
placés à l'entrée de la station.
Des projets d'équipement des sites vierges au dessus
des petits villages élevés et sans tourisme d'été
se lancent partout en France. Au contraire, dans les Alpes orientales ce sont
surtout les villages de basse altitude qui connaissent déjà le
tourisme d'été et qui ont été équipé
et aménagé pour le tourisme d'hiver. L'automobile joue un facteur
important dans la massification du tourisme d'hiver. Les endroits qui ne sont
pas desservis par le chemin ferroviaire deviennent accessibles pour les
touristes et le temps de déplacement se réduit progressivement.
De concert avec cette évolution de la mobilité dans les
années cinquante et soixante, des aménagements importants de la
montagne sont lancés. Dans les seules années cinquante,
soixante-huit stations sont créées en
18cf. Perret J. (1994), p.77-84
19 Bosso A., et al. (1994), p.93; exprimé par Pierre Cot
dès la première réunion du Conseil Général
Savoie du 30 octobre 1945.
France, dont presque la moitié des villages (29
stations) sans tradition touristique. En Suisse, ce sont deux tiers des
stations de sports d'hiver actuelles qui ont été
aménagées entre 1950 et 1975.
En France, le plan neige des années soixante incite une
grande vague d'aménagements ex nihilo comme par exemple Les Arc 1950.
Débarbieux (1995) constate:
«Seul pays où l'on voit apparaître une
station nouvelle chaque année, la France est en train de devenir l'un
des plus grands pays de sports d'hiver. Cinquante millions de francs ont
été investis par l'État entre 1963 et 1965 dans les
équipements collectifs des stations. Tous les champs de neige skiables
sont ainsi appelés à devenir, au même titre que les plages,
des centres d'attraction touristique, c'est-à-dire des centres de
richesse et d'expansion régionale».
C'est le temps des conceptions fonctionnalistes des grandes
stations balnéaires et de montagne pour pouvoir participer à la
croissance du tourisme mondiale et pour suivre l'idéologie
démocratique et la société de masse.
Dans les années soixante-dix, les critiques concernant
le « bétonnage » de la montagne commencent à
s'exprimer. Jusque là, l'aménagement des stations de sports
d'hiver se passaient là où on considérait le terrain
approprié. On ne demandait pas son accord à la population locale.
Des termes comme la «montagne colonisée»
apparaissent.20 C'est en 1976 que la loi relative à la
protection de la nature est votée. Cette loi instaure la
nécessité de réalisation des études d'impact pour
tous les travaux de remontées mécaniques et pour les travaux
d'aménagement de pistes pour la pratique des sports d'hiver lorsque le
coût total des travaux est supérieur à 950 000 €HT. A
partir de 1977 l'état français instaure un contrôle
systématique des principales opérations immobilières et
mécaniques (unités touristiques nouvelles) avec l'institution
de
20 cf. par exemple Débarbieux et Perret
la directive montagne, ce qu'interdit les nouveaux
aménagements en site vierge dans les périmètres
perçus comme sensibles. Mais cependant, les extensions des stations sont
toujours possibles.21
Enfin, la loi montagne 1985 a donné un fort espoir
à ceux qui voyait la biodiversité et la culture des
régions montagnardes menacées par les grands projets
d'aménagement. Le premier article marque que
«la montagne constitue une entité
géographique, économique et sociale dont le relief, le climat, le
patrimoine naturel et culturel nécessitent la définition et la
mise en oeuvre d'une politique spécifique de développement,
d'aménagement et de protection. L'identité et les
spécificités de la montagne sont reconnues par la nation et
prises en
compte par l'Etat,... ».22
Donc, pour une première fois une loi reconnaît la
spécificité des espaces montagnards et constitue ainsi la base
pour un aménagement contrôlé. Mais son application ne se
fait pas comme ses fondateurs auraient voulu. L'Union Mondiale pour la Nature
constate dans leur bilan 2005 que
«un déséquilibre fondamental marque
l'application de la loi Montagne : alors que les procédures relatives
à l'aménagement touristique et urbain ont été
largement utilisées, les outils développés par la loi
Montagne pour permettre une protection du patrimoine naturel n'ont pas
été appliqués. »23
Ce constat après vingt ans d'application montre bien les
problèmes toujours existants par rapport à la protection de la
montagne.
21 cf. Sauzay, 2006
22cf. loi n° 85830 du 9 janvier 1985 relative au
développement et à la protection de la montagne, Art. 1
23cf. sans auteur (UICN), 2005
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