L'engagement francais dans le processus d'internationalisation des droits de l'hommepar Aurelia Kergueno epouse Peuch Université Pierre Mendes France de Grenoble - DEA "histoire, droit, droits de l'homme" 1996 |
CHAPITRE IIL'ETABLISSEMENT D'UNE CHARTE INTERNATIONALE DES DROITS DE L'HOMMEOn sait aujourd'hui que Déclaration et Pactes forment un ensemble cohérent nommé Charte internationale. La première manifeste la volonté de la Communauté internationale, les seconds traduisent cette volonté en dispositions conventionnelles. Après la seconde guerre mondiale, ceux qui pensèrent la Charte dûrent d'abord s'entendre sur sa forme, sur son agencement et sur la méthode avec laquelle serait élaboré son texte. Les Etats trouveront ensuite assez vite un terrain d'entente sur le contenu de la Déclaration, mais il fallu attendre beaucoup plus longtemps pour qu'ils s'accordent sur un texte contraignant comprenant les mesures d'application et de contrôle des droits proclamée dans la Déclaration. Ils y parvinrent cependant, près de vingt ans après l'adoption de la Déclaration universelle. La France, représentée par son délégué René CASSIN, prit une part importante dans la rédaction de la Déclaration ainsi que dans les débats concernant les Pactes. SECTION I: LES ETAPES PREPARATOIRESOn peut distinguer plusieurs stades dans le travail de préparation de la Charte des droits de l'homme159(*). Ils s'échelonnèrent entre le 27 janvier 1947 et le 10 décembre 1948. A- Les différentes conceptions de la future Charte des droits de l'hommeEn 1946, l'Assemblée générale des Nations Unies manifeste sa volonté de discuter de l'élaboration de la Charte des droits de l'homme dès la session de 1947. Le projet de Charte est donc le sujet de débat le plus important que rencontre la Commission des droits de l'homme à l'époque160(*). L'édiction d'une norme internationale partait d'une idée ambitieuse. Elle visait à concevoir un outil de protection des droits de l'homme valable partout dans le monde, à édicter une norme mondiale qui énonce les droits fondamentaux de l'ensemble du genre humain. La forme de l'instrument à élaborer devait se montrer à la hauteur de ces aspirations. C'est pourquoi avant même la création de l'Organisation des Nations Unies, le Département d'Etat américain avait en effet envisagé d'intégrer une Déclaration des droits dans le corps même de la Charte161(*). Devant l'opposition du Royaume Uni et de l'U.R.S.S., l'idée fut cependant abandonée. Il avait ensuite été imaginé que la future Charte pourrait être adoptée par l'Assemblée générale des Nations Unies, en tant qu'amendement à la Charte de San Francisco à peine entrée en vigueur. Mais cette option, si elle était juridiquement possible, s'avérait politiquement impraticable. Une pensée de René CASSIN nous éclaire sur ce point162(*): "L'idée qu'on pût porter la moindre atteinte à l'article 2 paragraphe 7 déniant aux Nations Unies toute qualité pour intervenir dans les affaires relevant essentiellement de la compétence d'un Etat, n'aurait eu , en cette période, vraiment aucune chance de succès." Les associations civiques internationales avaient quant à elles pensé que la Charte pourrait revêtir la forme d'une Déclaration, manifeste constitutionnel. Elle aurait été incorporée dans la Constitution nationale, ou, à défaut de l'existence de celle-ci (comme au Royaume-Uni par exemple), dans la législation de chaque Etat membre, après un vote solennel des Nations Unies. Cette solution s'est révélée irréalisable pour les mêmes raisons que la formule énoncée plus haut. René CASSIN lui trouvait pourtant une "grande élévation morale". Lord DUKESTON, membre britannique de la Commission, avait suggéré de soumettre à l'Assemblée, dans un ensemble de résolutions, un projet de Convention destinée à être signée et ratifiée par chacun des Etats membres. Ce projet suscita les résistances des délégations qui redoutaient d'assumer des engagements juridiques précis. Il rencontra aussi l'hostilité des délégations qui jugeaient impossible, dans le court délai imparti, d'improviser une oeuvre trop technique. De son côté, la représentante des Etats Unis proposa à la Commission dès le 28 janvier 1947 de préparer une Déclaration-manifeste. Le délégué français explique le succès de cette idée163(*): "Comme elle était plus simple, d'effet moral plus assuré, qu'elle n'impliquait aucune réduction immédiate de souveraineté des Etats et que sa réalisation dans un délai très étroit semblait possible, elle a rallié l'ensemble des membres de notre organisme préparatoire." Cependant plusieurs membres de la Commission, dont René CASSIN, ont estimé que l'abandon de la proposition britannique, sérieuse et précise, constituerait une erreur. Il a donc été admis que la Déclaration internationale proclamant les principes des droits de l'homme devrait être conjuguée avec des dispositions conventionnelles. L'ensemble constituerait la Charte internationale. Ce fut pour apaiser les appréhensions des délégations gouvernementales qui ne purent obtenir, dès San Francisco, l'annexion d'une Déclaration internationale des droits de l'homme à la Charte des Nations Unies, que le Président des Etats Unis TRUMAN promit, lors de la clôture de cette Conférence, que serait adopté, dans le plus court délai, un international Bill of Human Rights, c'est-à-dire une Charte spéciale des droits de l'homme, digne de l'attente des peuples164(*). * 159 René CASSIN.op.cit., pp. 273 à 276. * 160 René CASSIN, La pensée et l'action, pp.103 à 117, reproduisant un article paru dans la Revue de droit contemporain, numéro 1-1968, Bruxelles, intitulé Historique de la Déclaration universelle de 1948. * 161 Jean-pierre COT et Alain PELLET, La Charte des Nations Unies, commentaire article par article, p. 13. * 162 René CASSIN, La pensée et l'action, p.106. * 163 René CASSIN, La pensée et l'action, p. 106. * 164 René CASSIN, Recueil des cours de l'Académie de droit international, 1951, p. 258. |
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