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Analyse hétérodoxe de la monnaie appliquée à  l'euro : l'originalité et le pari d'une monnaie pionnière en son genre, produit de la rationalité économique


par Grégory Ode
Université de Paris I Panthéon - Sorbonne - Master d'économie 2005
  

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L'euro : un ensemble de principes contraignants à consistance libérale

Comme on vient de le voir, la BCE mène une politique monétaire attachée aux principes monétaristes. Centrée sur l'objectif premier de stabilité des prix, la politique monétaire européenne peut être qualifiée de rigide, voire austère :

« Au total, la politique monétaire suivie par la BCE apparaît comme très contraignante, peu accommodante et entièrement tournée vers la recherche de crédibilité »148(*).

En outre, à y réfléchir de plus près, une analyse de l'union monétaire ne peut se limiter à une approche trop restreinte de l'euro. En effet, la monnaie unique européenne doit être appréhendée comme un ensemble de principes contraignants, d'inspiration libérale, instaurés avec l'objectif initial de réaliser une convergence entre les pays membres de l'Union européenne. Ces critères de convergence ont dans un premier temps été établis par le traité de Maastricht, traité programmant l'instauration de l'union monétaire au plus tard le 1er janvier 1999. Puis, dans un second temps, le pacte de stabilité et de croissance, adopté lors du Conseil européen d'Amsterdam en juin 1997, est venu renforcer la rigueur en terme de politique budgétaire en engageant tous les pays de l'Union à tout mettre en oeuvre afin d'équilibrer leurs budgets149(*). Le pacte de stabilité oblige, d'une part, chaque pays à présenter annuellement un « programme de stabilité à moyen terme », et, d'autre part, il instaure un mécanisme d'avertissement et de sanction en cas de non respect des règles. A l'initial, le but principal du pacte de stabilité consistait, en premier lieu, en une réduction de la dette publique des Etats membres qui était devenue trop conséquente. Au-delà, sa finalité consistait à faire de la zone euro, à terme, une zone économique et monétaire qui tende vers l'homogénéité et qui puisse faire l'objet d'une politique monétaire centralisée qui s'accorde avec les situations budgétaires particulières des Etats membres. En ce sens, le pacte de stabilité est une conséquence de l'objectif final de stabilité des prix assigné à la BCE dans la mesure où la rigueur monétaire imposée par la BCE sur l'ensemble de la zone appelait logiquement à un assainissement des finances publiques étatiques150(*). Ainsi, comme le souligne Arcangelo Figliuzzi, la BCE s'est dès le départ imposée en instance directrice de la politique économique européenne :

« Le pivot de policy-mix (dosage macroéconomique défini comme l'articulation optimale entre politique monétaire et budgétaire dans un but de régulation conjoncturelle) est la BCE : toutes les règles ont été définies de façon à assurer la prééminence de ses arbitrages : le pacte de stabilité place les politiques budgétaires sous tutelle de la politique monétaire »151(*).

Adossées à une politique monétaire européenne centralisée, les politiques budgétaires des Etats membres se trouvent strictement encadrées par le pacte de stabilité. De la sorte, l'euro instaure de fortes contraintes pour les pays membres de l'eurosystème. Privés de toute régulation macroéconomique par modification du taux change, ceux-ci se voient également extrêmement limités en matière de politique budgétaire alors même que leur a échappé leur souveraineté monétaire. De surcroît, étant donné la faiblesse du budget de l'Union européenne (équivalent approximativement à 1 % du PIB des Etats membres), une régulation budgétaire à l'échelle européenne semble difficile152(*). Dès lors, il ne reste plus aux Etats membres que la possibilité de réguler les fluctuations économiques en procédant à des ajustements sur le marché des biens et services, ou/et, en flexibilisant le marché du travail. Le risque imminent engendré par cette configuration d'ensemble serait alors d'aboutir à une remise en cause progressive des acquis et systèmes sociaux européens, produits de l'histoire153(*). C'est pourquoi, étant donné le cadre macroéconomique contraignant instauré par l'euro, Egidius Berns parle de « charge libérale » de l'euro :

« La capacité politique d'un pays de parer à une détérioration relative de sa position concurrentielle par une dévaluation est supprimée au bénéfice de ces mécanismes de marché. C'est dans ce sens que je parle du contenu libéral de l'euro. Le statut de la Banque centrale européenne renforce encore cette charge libérale. Sa tâche est de veiller à la stabilité des prix [...] Sans doutes sur ses gardes quant à la discipline budgétaire des Etats du sud de l'Europe, l'Union européenne a voulu donner son indépendance à la BCE [...] Mais elle a en même temps reculé devant le transfert hors du ressort politique de la responsabilité touchant la croissance économique [...] Le caractère restrictif de la BCE témoigne d'une conception purement instrumentale et neutre de la monnaie » ; « Je conclut donc que l'euro, malgré son origine et son but politiques, installe surtout un mécanisme économique à la place du politique. C'est ce que j'ai appelé sa charge libérale »154(*).

Cette prédominance de l'économique sur le politique, au détriment d'une régulation politique de l'économie, conduit à une « économisation » de la société selon l'expression d'Egidius Berns. Cette « économisation » de la société amène à assujettir l'ensemble de la vie sociale à des principes propres au libéralisme, ce qui engendre inéluctablement des conséquences fortes pour les pays membres. Ce faisant, en l'absence d'une cohésion politique et sociale solide à l'échelle européenne, cette prééminence de l'économique tend à étouffer le processus d'intégration européen.

En somme, si l'on considère que l'économique façonne le social, ou du moins le détermine en grande partie, alors l'euro s'apparente à un ensemble de principes contraignants qui influent incontestablement sur les sociétés européennes. Joint aux politiques d'accompagnement du marché unique155(*), l'union monétaire s'érige en une véritable « libéralisation » de la société :

« La nécessité de la convergence est intuitivement acceptée comme une évidence. On ne conçoit pas qu'une même monnaie, et par voie de conséquence une même politique monétaire, puissent convenir également à des pays où différeraient sensiblement soit le taux d'inflation, soit les politiques non monétaires et en particulier la politique budgétaire. Il est en outre préférable que les structures économiques et sociales présentent des similitudes suffisantes [...] Le projet européen était donc indissociable d'un engagement politique fort d'adhérer à une architecture commune englobant, outre la monnaie et le réglage des taux d'intérêt, tout ce qui touche à l'exercice d'une saine concurrence, dans des conditions satisfaisantes de transparence, ainsi qu'avec une même conception des règles du jeu, comme les limites d'intervention de l'Etat et, en particulier, il faut bien le dire la taxation »156(*).

Appelant au partage de valeurs économiques collectives, l'euro contient et établit un projet de société commun. Dans cette optique, il implique des rigidités pour les pays membres en ce que ces derniers sont insérés dans un processus d'intégration astreignant dont il paraît très difficile d'en sortir. En effet, l'unification de l'Europe s'est essentiellement réalisée par la voie économique. Abandonner l'euro reviendrait à rejeter la coopération d'ensemble qui s'est réalisée sur près d'un demi-siècle. Ainsi, toutes les peines consenties et les fruits de l'intégration sont liés dans un seul et même « bloc ». Par ailleurs, en l'absence d'une unification politique juridiquement souveraine et politiquement efficiente, l'aménagement et la modulation de ces principes paraissent compliqués :

« Les pays qui sont entrés dans la zone euro n'en sortiront très probablement pas, pour deux raisons. L'une est juridique. En l'absence de clause de sortie, il faudrait dénoncer l'ensemble du traité et quitter l'union [...] L'autre est monétaire. D'une part recréer une monnaie nationale serait très malaisé. D'autre part un pays qui regagnerait le camp des isolés aurait quelque peine à maîtriser son taux de change et ferait courir à ses partenaires économiques un risque de change particulier »157(*).

Au final, on peut déduire de cette vision d'ensemble que le risque d'implosion de l'union monétaire n'est pas à écarter. Plusieurs facteurs pourraient en effet amener à un tel événement et battre ainsi en brèche la souveraineté de l'euro. Premièrement, on peut penser aux changements politiques qui peuvent survenir dans les pays et desquels peuvent naître, du fait de l'absence d'une union politique européenne, des décalages entre l'orientation politique d'un pays en particulier et celle qui sous-tend la dynamique européenne. D'ailleurs, la montée des extrêmes politiques, grands représentants des mouvements et des opinions contestataires, semble mettre en exergue ce danger. Deuxièmement, l'absence d'Europe sociale, qui aurait permis de souder les citoyens européens autour d'un « autre chose », étranger à l'économique, fait défaut. A ce titre, il semble important et pertinent de rappeler que, seul, l'économique est insuffisant pour fédérer les peuples et générer une cohésion européenne. Enfin, troisièmement, la vision unilatérale à essence libérale qui sous-tend la construction économique et monétaire de l'Europe n'est pas sujette à un réel débat démocratique. Or, la démocratie représente une « soupape de sécurité » nécessaire qui permet de prendre en compte le ressenti de l'opinion publique.

A la lumière de ces propos, ce serait d'ailleurs la perte d'autonomie globale liée à l'acceptation d'un « bloc » trop contraignant et rigide qui aurait provoqué la réticence de certains pays à adhérer à l'eurosystème :

« Quant aux pays réticents, ils le sont parfois en raison de réserves sur les mérites de la zone euro, mais plus souvent par crainte d'être dominés hors même du champ monétaire par un plus grand ensemble. Ils sont animés par un souci de protection de leur identité qui peut évoluer avec le temps »158(*).

Quoi qu'il en soit, l'euro implique un ensemble de mécanismes qui, au regard de la confiance éthique qui fonde la monnaie européenne, doivent permettre de faire de la zone euro une zone de croissance et de prospérité. Le cas échéant, la légitimité de l'euro risquerait d'être discutée car, comme on l'a dit, ce dernier ne repose que sur des critères qui renvoient à l'économique et à la prospérité.

* 148 Arcangelo Figliuzzi, L'économie européenne (précédemment cité) : p. 91.

* 149 Les Etats membres, conformément au traité de Maastricht, ont tout de même conservé une marge de battement équivalente à 3% du PIB national. De même, dans des circonstances exceptionnelles, tels les attentas du 11 septembre 2001, ils disposent d'une autorisation provisoire de dépassement.

* 150 La politique budgétaire peut, en effet, être utilisée pour contracter la demande et réduire l'inflation. En outre, dans le cas de la zone euro, des politiques budgétaires trop expansionnistes seraient venues contredire le principe de stabilité des prix. C'est pourquoi, la situation des finances publiques était une composante importante de la convergence.

* 151 Idem, p. 95.

* 152 En fait, le budget européen connaît deux principales limites. D'une part, il semble confronté aux divergences entre pays membres, divergences concernant le prélèvement des recettes et l'affectation des dépenses, chaque pays essayant d'avoir un maximum de retour sur investissement. Arcangelo Figliuzzi assimile ces divergences à une « véritable négation de l'esprit communautaire ». D'autre part, conséquence de la première limite, le budget européen paraît insuffisant pour pouvoir s'imposer en budget intégrateur, régulateur et fédérateur des intérêts communautaires.

* 153 Les problèmes de politique économique au sein de la zone euro seront largement développés par la suite. Pour l'instant, il s'agit juste de démontrer que l'euro doit également être compris comme un « bloc » de principes économiques contraignants, imprimant une vision libérale de la société.

* 154 Egidius Berns, L'euro et le politique in L'argent (précédemment cité) : p. 256 ; 257. Egidius Berns est économiste et philosophe à l'Université de Tilburg aux Pays-Bas.

* 155 On peut penser notamment à la politique de la concurrence qui a impulsé un grand mouvement de dérégulation.

* 156 Robert Raymond, L'euro et l'unité de l'Europe (précédemment cité) : p. 30, 31.

* 157 Idem, p. 126.

* 158 Ibid. p. 126.

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"Il ne faut pas de tout pour faire un monde. Il faut du bonheur et rien d'autre"   Paul Eluard