La protection sécuritaire des personnes déplacées à l'intérieur de leur propre pays en R.D.C.: cas des camps de déplacés de Lushagala et Bulengo dans la province du Nord-Kivupar Alvine HADJI USSENI Université de Kisangani - Licence 2023 |
AVANT PROPOS Dans plus de 50 pays du monde entier, quelque 24 millions de personnes sont déracinées et déplacées dans leur propre pays suite à un conflit ou à des violations des droits de l'homme. Les déplacés internes, « DI », font partie de la population civile qui a besoin de protection et d'assistance en raison d'un conflit et de violations des droits de l'homme1(*). Contraints de quitter leur foyer, les déplacés internes sont aussi victimes de formes de privations spécifiques, comme la perte de leur logement, et sont souvent exposés à des risques en matière de protection particuliers ou accrus. Ces risques peuvent être des attaques armées et des abus pendant leur fuite; la séparation familiale, avec une augmentation du nombre d'enfants séparés ou non accompagnés; un risque plus grand de violence sexuelle et liée au genre, notamment pour les femmes et les enfants; la privation arbitraire de leur terre, de leur maison et d'autres biens; et le déplacement dans des zones inhospitalières, où ils font l'objet d'exclusions, de marginalisations, de discriminations ou de harcèlements. Face à de tels risques, les femmes, les hommes, les filles et les garçons déplacés internes doivent faire preuve d'une résilience et d'une force remarquables, puisant dans leurs propres capacités à développer des mécanismes de soutien de base et à chercher une protection. La prévention du déplacement et la protection des DI et autres populations touchées dans leur propre pays relèvent de la responsabilité des autorités nationales. Dans les situations de conflit armé notamment, les déplacés internes peuvent se trouver dans des territoires sur lesquels l'autorité de l'Etat est absente ou difficile à faire respecter. Dans de telles situations, la prévention du déplacement et la protection des DI relèvent aussi de la responsabilité des acteurs non étatiques. Dans les situations où les Etats ont besoin d'appui ou lorsque la protection nationale n'est pas assurée, un rôle de protection décisif incombe à la communauté internationale. Il a été difficile de combler cette « lacune de la protection » non seulement à cause du caractère sensible du sujet dans le pays concerné, mais aussi en raison de diverses lacunes du cadre international2(*). Des efforts concertés sont aussi faits pour pallier les lacunes institutionnelles de la réponse humanitaire, y compris dans les situations de déplacement interne. La réforme du système humanitaire lancée en 2005 a révélé que la protection était une lacune persistante et a créé des mécanismes institutionnels pour veiller à ce qu'elle soit une composante majeure et un élément transversal de la réponse humanitaire. Le mécanisme clé introduit pour aider à combler cette lacune est connue sous le nom d'approche de responsabilité sectorielle (« cluster approach »). INTRODUCTION1. CONTEXTE DE L'ETUDELe Nord-Kivu est une province de la République Démocratique du Congo (RDC) située à l'est du pays à la frontière avec la République de l'Ouganda et la République du Rwanda. Cette région est le théâtre des conflits armes récurrents depuis la fin des années 903(*). Une multitude de groupes armés locaux et étrangers ainsi que les forces gouvernementales y ont élu domicile. Les violences intercommunautaires, les luttes pour le contrôle des ressources naturelles notamment les minerais précieux et les rivalités politiques ont contribués à l'instabilité qui règne dans cette province. La situation des conflits armés et d'instabilité politique qui sévissent dans cette partie du pays depuis des nombreuses années font que cette province soit particulièrement touchée par des violences intercommunautaires, les attaques des groupes armés et les déplacements massifs des populations4(*). Les sites de Lushagala et de Bulengo sur lesquels reposent notre recherche abritent des milliers de déplacés internes qui ont fui les violences et les exactions dans leurs villages d'origine. Ces populations vulnérables sont exposées à des nombreux risques sur le plan sécuritaire, tels que les violences sexuelles, les enlèvements, les vols, les extorsions et les recrutements forcés par les groupes armés ainsi que les groupes rebelles. Survivre pour les milliers de personnes déplacés réfugiés dans les camps aux alentours de Goma, est une lutte quotidienne, surtout pour les femmes et enfants. Chaque jour, environ quelques dizaines des femmes, selon les données de CARE INTERNATIONAL, sont victimes d'agressions sexuelles, de la part d'autres déplacés, des hommes en uniformes et même des personnes étrangères. Ce qui est une situation inacceptable, non seulement aux yeux du juriste que nous sommes mais également à ceux de toute personne éprise du sens humain et humanitaire5(*). Au regard de leur vulnérabilité exacerbée à cause notamment des conditions précaires dans lesquelles elles vivent dans les camps, où l'accès à la nourriture et à d'autres biens des premières nécessités sont extrêmement limités. Il est urgent que le gouvernement, les acteurs humanitaires et autres partenaires se mobilisent d'avantage pour améliorer durablement les conditions de vie des déplacés internes plus particulièrement des femmes et enfants, pouvant ainsi permettre de réduire les risques d'agression. La constitution de la République Démocratique du Congo du 18 février 2006 telle que modifiée et complétée à ce jour, en ses articles 15 et 53 dispose de la manière suivant, en ce qui concerne les agressions6(*) : · Article 15 : « les pouvoirs publics veillent à l'élimination des violences sexuelles. Sans préjudice des traites et accords internationaux, toute violence sexuelle faite sur toute personne, dans l'intention de déstabiliser, de disloquer une famille et de faire disparaître tout un peuple est érigée en crime contre l'humanité puni par la loi ». · Article 53 : « Toute personne a droit à un environnement sain et propre à son épanouissement intégral. Elle a le devoir de la défendre. L'Etat veille à la protection de l'environnement et à la santé des populations ». * 1 Groupe sectoriel global chargé de la protection, HCR-Manuel pour la protection des déplacés internes, Genève 2008, P7-8. * 2 Dans le contexte du déplacement interne, les « populations touchées » ont été définies comme « [traduction] les communautés d'accueil où vivent les DI; les communautés d'accueil des zones de retour des DI; et les personnes ou communautés exposées au déplacement si leurs problèmes de protection ne sont pas pris en compte » (Progress Report of the Cluster Working Group on Protection to the IASC Principals, 12 Décembre 2005). Peuvent également faire partie des populations touchées les personnes qui ne peuvent fuir (p. ex. celles qui sont prises au piège par les combats, celles qui ne peuvent se rendre dans la « zone de déplacement » à cause de tensions ethniques ou autres, ou d'une maladie, de blessures, d'un handicap, etc.). Tout au long de ce Manuel, les orientations opérationnelles qui se réfèrent aux DI doivent s'entendre comme incluant aussi les populations touchées * 3 UNHCR et REFWORLD/Global Law and Policy Database: Nord-Kivu: Contexte historique du conflit dans la province du Nord-Kivu, à l'est de la RDC., publié en 2012, consulté le 22 mars 2024 sur le site refworld.org. * 4 OCHA, République Démocratique du Congo : Nord-Kivu, Sud-Kivu et Ituri : Personnes déplacés internes et retournés, disponible depuis octobre 2023 sur le site https://www.unocha.org, consulté en mars 2024. * 5 ONG CARE INTERNATIONAL DRC : Assistance humanitaire aux déplacés en RDC, publié en 2023 sur https://www.carefrance.org, consulté en mars 2024. * 6 RDC, Constitution de la République Démocratique du Congo , modifiée par la loi N° 11/002 du 20 Janvier 2011 portant révision de certains articles de la Constitution de la République Démocratique du Congo du 18 Février 2006 (Textes coordonnés), Articles 15 et 53, LEGANET.CD. Consulté en mars 2024 |
|