UNIVERSITE MARIEN NGOUABI
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Travail-Progrès-Humanité
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ECOLE NATIONALE D'ADMINISTRATION ET DE MAGISTRATURE
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DIRECTION ADJOINTE
DEPARTEMENT DES CARRIERES JUDICIAIRES
LE REGIME JURIDIQUE DU CLASSEMENT SANS
SUITE EN PROCEDURE PENALE CONGOLAISE
MEMOIRE
De fin de cycle pour l'obtention du Diplôme de
Master professionnel de l'Ecole Nationale d'Administration et de
Magistrature
Cycle : II
Filière : Magistrature
Présenté et soutenu publiquement par : Sous la
direction de :
Darchy ELIONTA Cyprien GANZINO-NGOUNGA
Magistrat,
Avocat général près la Cour suprême
Année Académique : 2023-2024
Promotion 2022-2024
DEDICACE
Je dédie ce mémoire à ma tendre
mère NKOA Eveline pour ses soins et son amour
indéfectible dont elle a toujours fait montre à mon égard,
en tout temps et en toutes circonstances.
Je dédie aussi ce travail à mon père
NKABA-OMBA pour son accompagnement multiforme et
à mon oncle OKOUO Nazaire Blaise pour son
soutien moral, matériel et financier.
II
REMERCIEMENTS
Mes remerciements s'adressent en tout premier lieu à
mon auguste directeur de mémoire, monsieur l'Avocat
général près la Cour suprême, Cyprien
GANZINO-NGOUNGA qui a accepté volontiers de me faire
le grand honneur de diriger mes travaux de recherche. Je lui dois donc un lourd
tribut de respect et de reconnaissance.
Je souhaite également remercier tout l'ensemble du
corps professoral et administratif de l'Ecole Nationale d'Administration et de
Magistrature pour m'avoir accompagné le long de mon parcours par leurs
enseignements et conseils.
Mes remerciements vont ensuite à ma famille : mon
épouse ELIONTA Rebecca, mes enfants
ELIONTA Vertu, ELIONTA Consacrée, ELIONTA Vaillant, mes
tantes, mes oncles, mes frères et soeurs pour leur assistance sans
faille.
Je tiens à exprimer également ma gratitude
à mes très chaleureux frères et soeurs en Christ, de la
grande communauté chrétienne des Assemblées de Dieu de
Pentecôte Eglise Restaurée (DPER), dans son ensemble pour leurs
encouragements et prières en ma faveur, et en particulier à mon
pasteur BONZENE Raymond et son épouse, et mon
bien-aimé WAWA Juvey pour leur attention
particulière à mon égard.
Je voudrais aussi remercier mes chers collègues de
lutte avec lesquels nous avons composé une équipe dynamique et
forte de travail pour aboutir aux résultats que nous savourons
aujourd'hui.
Mes remerciements vont enfin au Grand et Incomparable Roi
Immortel qui règne à jamais et à qui je dois tout de ma
vie : JESUS-CHRIST DE NAZARETH.
III
ABREVIATIONS
Al. Alinéa
Art. Article
Bull. Bulletin des arrêts des chambres civiles de la Cour
de
cassation
CPCCAF Code de procédure civile, commerciale,
administrative et financière
CPP Code de procédure pénale
Cass. Crim. Chambre criminelle de la Cour de cassation
éd. Édition
Gaz. Pal. La Gazette du Palais
L.G.D.J. Librairie générale de droit et de
jurisprudence
n° Numéro
Obs. Observations
Op. cit. Ouvrage précité ultérieurement
p. Page
PP Pages
PUF Presses universitaires de France
Rev. dr. Pén Revue de droit pénal
s. et suivants
Vol. Volume
iv
SOMMAIRE
INTRODUCTION 1
PREMIERE PARTIE : LES LACUNES DU REGIME JURIDIQUE DU
CLASSEMENT
SANS SUITE 12 CHAPITRE I : L'ABSENCE D'ENCADREMENT DU
POUVOIR DE CLASSEMENT
SANS SUITE DU PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE 14
Section 1 : Le classement sans suite : une
décision relevant du pouvoir
discrétionnaire du Procureur de la République
14
Section 2 : Les implications pratiques du
pouvoir discrétionnaire du Procureur de la
République lié au classement sans suite
28 CHPITRE II : LE MANQUE DE LISIBILITE DES OBLIGATIONS DE L'AUTEUR
DU
CLASSEMENT ET DES DROITS DU PLAIGNANT 40
Section 1 : Le non-assujettissement du
classement sans suite à l'obligation de
motivation et de notification 40
Section 2 : L'inexistence du droit de recours pour le
plaignant
du classement sans suite 52
DEUXIEME PARTIE : LES PERSPECTIVES D'AMELIORATION DU
REGIME
JURIDIQUE DU CLASSEMENT SANS SUITE 61
CHAPITRE I : LA REDEFINITION DE L'AUTORITE INCARNANT LE
POUVOIR DE
L'OPPORTUNITE DES POURSUITES 63
Section 1 : L'instauration d'un juge
d'opportunité des poursuites 63
Section 2 : La relégation du Procureur de
la République à la fonction de poursuite 73
CHAPITRE II : LE RENFORCEMENT D'EFFICACITE DES
PROCEDURES
ALTERNATIVES AU CLASSEMENT SANS SUITE 86
Section 1 : L'aperçu des
procédures alternatives au classement sans suite 86
Section 2 : Les aspects à prendre en
compte pour l'efficacité des procédures
alternatives au classement sans suite 98
CONCLUSION 111
BIBLIOGRAPHIE 116
TABLE DES MATIERES 122
1
INTRODUCTION
1- Le contexte général
Il n'y a pas aujourd'hui de question, touchant de près
ou de loin la justice pénale, pour laquelle un rôle ne soit pas
réservé au Procureur de la République.
Considéré comme la véritable cheville ouvrière dans
la réaction opposée par la société à la
commission d'une infraction pénale1, cet acteur judiciaire
incarne le pouvoir d'opportunité des poursuites.
L'article 28-1 du code de procédure pénale
dispose : « Le Procureur de la République
reçoit les plaintes et les dénonciations et apprécie la
suite à leur donner ». Apprécier2 la suite
à donner aux plaintes et dénonciations, c'est jouir de
l'opportunité des poursuites3, perçue comme «
la reine des attributions »4 du Procureur de la
République. Cette attribution lui permet de centraliser les plaintes qui
lui sont adressées directement ou qui sont préalablement
déposées auprès des services de police ou de gendarmerie.
Sur la base des informations reçues ou complétées, le cas
échéant, par les actes d'enquête effectués par les
services compétents à leur initiative ou sur instruction du
Procureur, ce magistrat va devoir prendre une décision adaptée
compte tenu des exigences légales, de l'état du dossier de la
procédure et de la finalité envisagée en appréciant
la consistance et la pertinence des preuves recueillies ainsi que les
possibilités légales qu'il offre sous l'angle de la
poursuite5.
1DECHEPY-TELLIER (J), La procédure
pénale en schémas, Paris, 2e édition,
Ellipses, 2017, p.446
2 Selon un auteur, la légalité et
l'opportunité constituent les éléments de base
d'appréciation de la décision tant de poursuite que de classement
sans suite. Une fois qu'il a apprécié la légalité
et l'opportunité d'une poursuite éventuelle, le Procureur de la
République est libre de fixer sa décision dans le sens qui
correspond à son sentiment personnel. Il se décide aussi
librement en ce qui concerne la légalité qu'en ce qui concerne
l'opportunité. Voir en ce sens BOULOC (B), Procédure
pénale, Paris, 23e édition, Dalloz, 2012,
p.580
3GANZINO-NGOUNGA (C), L'audience
pénale, Porto-Novo, 1e édition, Protic, 2021,
p.50
4DE NAUW (A), La décision de poursuivre -
Instruments et mesures, Rev. dr. pén., 1976-1977, p. 449.
5GUINCHARD (S), Procédure pénale, Paris,
Litec, 2000, p.962
2
Ainsi, en vertu du pouvoir d'opportunité des
poursuites, le Procureur de la République peut décider soit
d'actionner, sur le clavier de l'action publique, la touche de la poursuite,
soit d'activer la touche verte absolutoire du classement sans
suite6.
La poursuite consiste à mettre en mouvement l'action
publique en saisissant une juridiction d'instruction ou, directement, une
juridiction de jugement. Le classement sans suite constitue une décision
qui, à l'inverse, met fin à la procédure qui avait pu
être initiée et entraîne le non-exercice de l'action
publique, sous réserve du droit reconnu à la
victime et à certaines administrations de mettre en mouvement l'action
publique.
Contrairement au système légaliste7
qui impose au ministère public de poursuivre toute infraction parvenue
à sa connaissance, quelles qu'en soient la gravité ou les
circonstances8, le système d'opportunité donne toute
la liberté au ministère public de ne pas
déclencher9 des poursuites pour un fait pénalement
qualifiable10 par une décision de classement sans suite.
Généralement, le classement sans suite peut
être dicté par le défaut de la caractérisation de
l'infraction, l'existence d'une cause d'impunité, l'extinction de
l'action publique, le caractère mineur du trouble causé à
l'ordre public et bien d'autres motifs non spécifiés par la loi.
Cette décision ne signifie pas nécessairement que le Procureur
6VIOUT (J.O) en collaboration avec TALEB (A),
La défense pénale devant le ministère public : les
alternatives à la poursuite, in La Défense pénale,
Actes du XIXe congrès de l'Association française de droit
pénal, RPDP n° spécial 2010, p. 135. L'exercice du pouvoir
d'appréciation de l'opportunité des poursuites par le procureur
se réduit à un choix binaire. Soit il poursuit, soit il classe
sans suite. Il s'agit d'une alternative légale : un magistrat du parquet
ne peut sans outre-passer ses prérogatives, sortir des frontières
délimitées par les deux seules options : classer ou poursuivre.
Cependant, si la poursuite implique un mineur, le parquet peut user de
médiation en toute discrétion en sortant de l'impératif
binaire de poursuite. « On s'attachera, dans toute mesure possible,
à traiter le cas des délinquants juvéniles en
évitant le recours à une procédure judiciaire devant
l'autorité compétente...Le parquet ou les autres services
chargés de la délinquance juvénile ont le pouvoir de
régler ces cas à leur discrétion, sans appliquer la
procédure pénale officielle.
Tout recours a des moyens extrajudiciaires exige le
consentement de l'intéressé ou de ses parents ou de son tuteur.
Il faut assurer la restitution des biens et l'indemnisation des victimes
». Art. 75alinéa 1-4 de la loi n°4-2010 du 14 juin portant
protection de l'enfant en République Congo
7D'une manière plus générale, la
distinction entre opportunité et légalité repose sur le
présupposé que la décision en opportunité
résulte d'un choix discrétionnaire, tandis que
l'appréciation de la légalité serait une simple
application d'une norme préexistante à une situation de fait,
mais on sait bien qu'il faut au moins déterminer le texte applicable,
puis l'interpréter et que ces opérations ne peuvent être
accomplies sans un choix discrétionnaire. 8MERLE (R) et VITU
(A), Traité de droit criminel, Paris, 4e
édition, Tome II, Éditions Cujas, 1989, p.331 n°278
9 La plainte de la victime n'oblige pas le procureur de la
République à poursuivre que l'absence ou le retrait de plainte ne
le contraint à rester inactif et à ne pas poursuivre.
10GANZINO-NGOUNGA (C), Audience
pénale, op. cit. p.50, définit l'opportunité des
poursuites comme « le principe en vertu duquel le procureur de la
République est libre de ne pas déclencher des poursuites pour un
fait pénalement qualifiable ».
3
de la République n'envisage pas à terme de
poursuivre le présumé auteur, d'autant plus qu'une telle
décision n'implique pas l'abandon des poursuites, dès lors que le
ministère public peut à tout moment, pendant le délai de
prescription, revenir sur sa position pour engager les poursuites. C'est dans
cette perspective que Serge GUINCHARD et Jacques BOUISSON
préfèrent l'expression « poursuite
différée » à celle de classement sans suite, car
le classement sans suite laisse place à une suite11.
2- La définition des concepts
clés
Pour bien cerner notre sujet, nous allons procéder
à la clarification des expressions suivantes : le classement sans suite,
la procédure pénale et le régime juridique.
Le classement sans suite : le lexique des
termes juridiques le définit comme une décision prise par le
ministère public en vertu du principe de l'opportunité des
poursuites, écartant momentanément la mise en mouvement de
l'action publique12. Selon Jacques LEROY, « le classement
sans suite est la décision du Procureur dans le cas où les
poursuites ne sont pas engagées pour des raisons de
légalité ou d'opportunité13». Serge
GUINCHARD et Jacques BOUISSON l'appréhendent comme étant
« la décision par laquelle le Procureur de la
République, décidant de ne pas poursuivre, classe le dossier dans
les archives de son parquet14 ». D'après d'autres
auteurs, le classement sans suite est une « mesure administrative
prise par l'officier du ministère public lorsque l'instruction ouverte
à charge d'une personne ne semble pas soutenue par des preuves
suffisantes pouvant lui permettre de fixer l'affaire. En ce cas, le
Ministère public ne se dessaisit pas de l'affaire. Il la démet
tout simplement de ses préoccupations actuelles en attendant que soient
fournies des preuves complémentaires lui permettant de parachever son
travail15 ».
11GUNICHARD (S) et BOUISSON (J),
Procédure pénale, Paris, 9e édition,
LexisNexis, P. 969. Ces auteurs définissent la poursuite
différée comme « la décision du ministère
public de ne pas poursuivre immédiatement, pour bien marquer qu'une
telle décision, quelle qu'elle soit, n'implique pas l'abandon des
poursuites, dès lors que le ministère public a, à tout
moment pendant le délai de prescription, la faculté de revenir
sur sa position pour engager la poursuite », p.965
12GUINCHARD (S) et DEBARD (T), Lexiques des
termes juridiques, Paris, 25e édition, Dalloz,
2017-2018, p.156. Voir aussi PUIGELIER (C), Dictionnaire juridique,
Bruxelles, 2e édition, Larcier, 2015. Cet auteur
définit le classement sans suite comme « une absence de
poursuite d'une affaire décidée par le ministère public
après le dépôt d'une plainte ».
13LE ROY (J), procédure
pénale, Paris, Lextenso, 2013, p. 311
14GUINCHARD (S) BOUISSON (J), Procédure
pénale, op. cit. p.966
15LUZOLO BAMBI LESSA (E) et BAYONA BA MEYA (N.A),
Manuel de procédure pénale, Kinshasa, PUC, 2011, p.
383
4
En dépit de leur mérite, ces différentes
approches définitionnelles ne permettent pas d'appréhender les
contours de la notion de classement sans suite. C'est sur la base de ces
considérations que nous pensons la définir comme une
décision administrative prise par le Procureur de la République,
suite à une plainte ou une dénonciation, en vertu de son pouvoir
d'opportunité des poursuites, d'abandonner provisoirement ou
définitivement les poursuites, pour des considérations objectives
ou subjectives de légalité ou d'opportunité. Cette
définition parait plausible en donnant un aperçu sur la nature de
la décision, le moment auquel elle peut être prise et les
éléments de son soubassement.
La procédure pénale : celle-ci
est conçue comme l'ensemble « des règles qui
définissent la manière de procéder pour la constatation
des infractions, l'instruction préparatoire, la poursuite et le jugement
des délinquants16 ».
Le régime juridique : il s'entend
comme l'ensemble des lois, des règles, des procédures et des
principes applicables à une notion. En réalité, il
n'existe pas, à proprement parler, de régime juridique
définissant les règles juridiques applicables en matière
de classement sans suite en droit positif congolais ; sinon que
l'énoncé du principe de l'opportunité des
poursuites17. Chaque parquetier reste libre d'appliquer les
règles de son choix18 dans la prise, la
matérialisation et la communication de ladite décision ; ce qui
alimente le risque d'arbitraire. Il n'est pas à nier que la raison
d'être de l'organisation procédurale en matière de
prévention et de répression des infractions à la loi
pénale est d'éviter l'arbitraire19. Cependant,
l'exercice du pouvoir d'opportunité des poursuites, par ricochet de
classement sans suite, n'est pas encadré et laisse une brèche
à l'orchestration des abus par le détenteur dudit pouvoir.
3- L'historique du sujet
Le système de poursuite adopté par le
législateur congolais, puise ses racines du droit colonial
français. En effet, n'étant pas consacré par le code
d'instruction criminelle de 1807, dont le système de poursuite
était, selon toute apparence légaliste, il a fallu
16GUINCHARD (S) et DEBARD (T), Lexiques des termes
juridiques, op. cit. p.687
17Voir dans ce sens l'article 28 du code de
procédure pénale
18Les pratiques en matière de classement ne
correspondent pas à un traitement standardisé mais à des
habitudes
propres à chaque parquet.
19BAMBA (S.L), Le déroulement du
procès pénal : Essai de droit comparé Congo/France,
Paris, L'Harmattan, 2019, p.5
5
attendre l'adoption du code de procédure pénale
de 1958, dont le choix de poursuite s'était orienté vers le
modèle de l'opportunité des poursuites20. Trois ans
juste après son accession à l'indépendance, la
République du Congo adopte par la loi n°1-63 du 13 janvier 1963 le
code de procédure pénale calqué sur le modèle
français dans lequel il consacre le principe de l'opportunité des
poursuites en son article 28-121, reprenant littéralement
l'article 40 du code de procédure pénale français.
Dans le souci d'encadrer les pouvoirs du ministère
public, éviter le risque d'arbitraire, protéger les droits des
victimes et lutter contre l'impunité des auteurs d'infractions,
plusieurs reformes ont été initiées au fil des
années sous l'influence de différentes lois par le
législateur français22, encadrant la pratique du
classement sans suite. Au Congo, par contre, la pratique du classement sans
suite, courante dans le cadre d'une procédure pénale, n'a connu
aucune évolution de nature à la doter d'un régime
juridique qui lui est propre pour l'encadrer, à l'instar du droit
français.
Le texte23 fondateur, reconnaissant la
possibilité au Procureur de la République de classer sans suite
une plainte, doit être mis à jour à cause des lacunes
critiquables qu'il comporte et qui constituent le revers de la médaille
du système répressif dont la vocation tend à garantir un
Etat de droit.
En effet, ce texte de référence ne
définit nullement les critères susceptibles de guider le
Procureur de la République dans ses décisions de classement, ne
l'oblige pas à les motiver, les communiquer et à orienter la
victime qui n'a pas le droit de recours, à
20Article 40 du code de procédure
pénale français. Ce système offre au ministère
public toute la latitude de décider d'engager ou non les poursuites
après avoir apprécié les plaintes et les
dénonciations reçues.
21« Le Procureur de la République reçoit
les plaintes et les dénonciations et apprécie la suite à
leur donner ».
22La première évolution significative
du régime du classement sans suite a été introduite par la
loi sur la modernisation de la justice du 27 mai 2014. Celle-ci a
consacré d'une part un droit de recours devant le procureur
général pour les victimes qui estiment que leur plainte a
été classée sans suite à tort. Elle a introduit
d'autre part la notion de classement avec orientation vers une alternative aux
poursuites. Ce nouveau régime permet au parquet, lorsqu'il estime que
les faits sont établis mais que des poursuites ne sont pas
nécessaires, de proposer à l'intéressé une
alternative aux poursuites, telle qu'une médiation pénale. En
août 2018, la loi renforçant la lutte contre les violences
sexuelles et sexistes a modifié le régime juridique du classement
sans suite pour ces affaires. Ainsi, le parquet ne peut plus classer sans suite
les affaires de violences sexuelles et sexistes sans avoir préalablement
rencontré la victime. Cette disposition vise à mieux prendre en
compte les victimes, à favoriser leur accompagnement,
l'efficacité de la justice et à lutter contre l'impunité
des auteurs des violences sexuelles et sexistes. En 2020, la loi de
programmation par la justice a élargi le champ d'application du
classement sans suite avec orientation à toutes les infractions
punissables d'une peine d'emprisonnement, y compris les crimes. En outre, la
loi a introduit la possibilité pour le parquet de renvoyer l'auteur
présumé des faits devant le juge d'instruction même en cas
de classement sans suite, si des éléments le justifient.
23 Art. 28-1 du CPP
6
d'autres démarches. En réalité, cette
disposition légale reconnait au ministère public une très
large manoeuvre de choisir sans pouvoir se justifier, le motif de classement,
le moment de prendre sa décision, la forme de la décision
(implicite ou explicite), la communication ou non de la décision, bref,
de faire ce qu'il veut. Dans une très large mesure, c'est sur
l'intégrité personnelle du Procureur de la République
qu'il faudra compter, pour que son pouvoir de classer les affaires
pénales soit exercé avec toute la rectitude
nécessaire24, dans le respect des droits de la victime. Or,
il ne fait l'ombre d'aucun doute que « tout homme qui a du pouvoir est
porté à en abuser, il va jusqu'à trouver des
limites.25». Autrement, tout pouvoir non
encadré est enclin aux abus.
4- La motivation sur le choix du sujet
Le choix de cette thématique n'est pas anodin, ni moins
encore le fruit d'une génération spontanée. L'exercice non
encadré du pouvoir de classement sans suite, placé entre les
mains des magistrats dépourvus d'éthique et
d'indépendance, devient souvent « un rouleau compresseur des droits
de certaines victimes ». Il constitue, en effet, une
insécurité juridique pour les victimes, en les exposant aux abus
et caprices du Procureur de la République et offre une certaine garantie
d'impunité à certains présumés auteurs
d'infractions impliqués dans la procédure.
Favorisé par l'absence très remarquée de
l'encadrement de la pratique de classement sans suite, la dépendance du
ministère public au pouvoir politique, l'érosion des vertus
éthiques de la part de certains magistrats et l'absence de
consécration des garanties solides pour la victime, le spectacle des
abus observés lors de notre stage au parquet, en qualité
d'auditeur de justice a éveillé notre curiosité et nous a
poussé à placer le curseur de notre champ de recherche sur cette
question cruciale en procédure pénale.
En principe, la faculté de classement accordée
au Procureur de la République se doit d'être utilisée
« avec réflexion et prudence et exige de sa part des
références éthiques et morales lui évitant de
tomber dans l'arbitraire ou la faiblesse, de donner libre cours à ses
préjugés, voire même de se laisser emporter par la crainte
ou l'amitié. Il importe qu'en toute circonstance, le Procureur de la
République évite de donner le sentiment d'impunité au
délinquant, le sentiment d'abandon à la victime et l'impression
de
24Commission de réforme du droit du Canada,
Document de travail 62 Poursuites pénales : les pouvoirs du
Procureur Général et des Procureurs de la couronne, 1990
25MONTESQUIEU, De l'esprit des lois, (1748),
Paris, Garnier frères, 1973, (contrib. R. DERATHE), p. 142.
7
laxisme à ses
concitoyens26 ».
Malheureusement, le tableau que la pratique nous présente est
loin d'atteindre cet idéal.
L'objectif visé par cette étude est d'adresser
un réquisitoire contre le système actuel et de faire un plaidoyer
pour son remodelage, en proposant un nouveau cadre légal, qui consacrera
d'une part les droits de la victime et d'autre part un juge incarnant les
garanties d'indépendance, investi du pouvoir d'opportunité des
poursuites, soumis aux obligations légales clairement définies et
à un contrôle, afin d'éviter tout risque d'arbitraire.
5- L'intérêt du sujet
Au regard, sans doute, des lacunes évidentes
observées dans le régime juridique du classement sans suite, avec
les abus qui s'ensuivent, cette thématique suscite un
intérêt significatif d'ordre théorique, pratique,
législatif, social, économique et politique.
Théoriquement, la thématique du régime
juridique du classement sans suite n'a pas laissé la doctrine
indifférente. Jacques LEROY affirme que le classement sans suite est une
décision non revêtue de l'autorité de la chose
jugée. Il est toujours provisoire, et la poursuite demeure possible
jusqu'à l'expiration du délai de prescription. Il n'empêche
pas à la victime de déclencher elle-même les
poursuites27. Philipe CONTE pense que « le classement sans
suite est un mode controversé de clôture de l'enquête, qui
peut laisser penser que la justice n'a pas été rendue ou que
l'auteur de l'infraction a bénéficié d'une impunité
déguisée28 ». Selon Marc Robert, « le
classement sans suite est souvent perçue comme une victoire pour les
auteurs d'infraction, mais il peut également être une victoire
pour les victimes si celles-ci ont obtenu réparation de leur
préjudice en dehors de la voie pénale29 ».
Pratiquement, conscient des dérives qu'entraine
l'exercice du pouvoir de classement sans suite, et de l'absence des garanties
solides reconnues aux victimes de classement sans suite, cette étude
contribuera à doter la pratique de classement sans suite d'un
régime juridique propre, qui placera en son sein un acteur judiciaire
indépendant et impartial, avec des pouvoirs et des obligations
strictement encadrés,
26DROPET(O), Les infractions sans suite ou la
délinquance mal traitée, disponible sur
https:/
www.senat.fr/rap/r97-513/r97-513-mono.html
27LE ROY (Jacques), procédure
pénale, Paris, Lextenso, 2013, p.311
28CONTE (Ph), auteur de « L'enquête
pénale » Editions Dalloz, 2021
29Robert (M), ancien président de la
conférence nationale des procureurs de la République.
8
et garantira les droits de la victime, éloignera le
risque d'arbitraire et l'éventuelle protection accordée à
certains présumés coupables. En connaissant ses obligations, les
motifs de classement, les droits de la victime, la procédure à
suivre et les éléments à prendre en compte avant et
après la décision de classement, la tâche du magistrat sera
simplifiée.
Sur le plan législatif, cette étude tend
à inciter le législateur à corriger les insuffisances du
dispositif actuel de classement sans suite pour le rendre équitable
à trois niveaux : confier d'abord le pouvoir d'opportunité des
poursuites à un acteur judiciaire indépendant, qui rendra les
décisions de classement sans suite motivées, transparentes,
justes et susceptibles de voie de recours ; améliorer ensuite le
fonctionnement des procédures pouvant servir d'alternative et de
contrepoids au classement pour garantir un meilleur accès au juge
pénal et reconnaitre, enfin, à la victime le droit à
l'information, à une décision dans les plus brefs délais
avec la possibilité de la contester devant une juridiction.
Socialement, il faut reconnaitre que le système
répressif congolais n'inspire pas confiance à l'égard de
la société qui le traite de tous les maux30, au regard
des abus qui ternissent son image31, créent une justice
à double vitesse et confortent les propos du Président de la
République qui dénonce la présence du « ver dans
le fruit32 » de la magistrature. En redéfinissant
le régime juridique de classement sans suite, ce travail contribuera
à modifier le sentiment d'incompréhension, de méfiance et
d'exaspération croissante de l'opinion publique vis-à-vis de la
justice.
Economiquement, le fait de savoir que les autorités
judiciaires prennent des décisions de classement de manière
objective et respectueuse des droits des personnes aura des effets positifs sur
l'économie, en réduisant l'incertitude juridique pour les
30La crédibilité de tout
système de justice réside dans sa capacité réelle
à convaincre les justiciables de son indépendance et de son
impartialité susceptible de leur garantir leurs droits. En l'absence de
telles garanties, le système ne peut nullement inspirer confiance au
public duquel dépend pourtant sa légitimité.
31MAKOSSO (A.C), Les nouvelles figures de la
délinquance mal saisies par le droit pénal des mineurs,
Annales de l'Université Marien Ngouabi, 2019 ; 19 (2) ; 33-59,
Sciences juridiques et politiques, p.53
32Extrait de l'allocution du Président de la
République Denis SASSOU NGUESSO prononcée le 27 mars 2023 lors de
la réunion du conseil supérieur de la Magistrature disponible sur
https/www. Rfi.fr
9
entreprises et les particuliers, et contribuera à
renforcer la confiance des acteurs économiques dans le cadre
légal et institutionnel33.
Sur le plan politique, l'autorité incarnant le pouvoir
d'opportunité des poursuites est regardée souvent comme une
caisse de résonnance ou le bras judiciaire du pouvoir politique par sa
subordination au ministre de la justice.
En confiant, d'un côté, le pouvoir
d'opportunité des poursuites à un juge indépendant qui
n'est soumis qu'à l'autorité de la loi, ce sujet contribuera
à empêcher l'intrusion du gouvernement dans les affaires
judiciaires individuelles et imposera le respect de la séparation des
pouvoirs. En renforçant, de l'autre côté,
l'indépendance des procédures alternatives au classement sans
suite vis-à-vis du ministère public, cela empêcherait
à l'exécutif d'instrumentaliser le ministère public pour
faire échec aux démarches initiées par la victime en vue
de porter son action devant le juge34.
6- Revue de la littérature
Ce sujet, tel que formulé, n'a pas fait l'objet d'une
étude particulière. Néanmoins, plusieurs de ses aspects
ont été abordés par quelques auteurs comme :
- Cyprien GANZINO-NGOUNGA35 qui,
traite la question de l'opportunité des poursuites, comme un pouvoir
reconnu au procureur de la République de classer une affaire
pénalement qualifiable.
- Serge GUINCHARD et Jacques BOUISSON36 qui
assimilent le classement sans suite, à un archivage du dossier dans les
archives du parquet. Le dossier classé peut à tout moment, dans
le délai de prescription, être soumis à une juridiction par
le ministère public.
- DELMAS-MARTY Mireille37 qui affirme qu'en vertu
de l'opportunité des poursuites, le Procureur de la République
peut « classer les affaires à son gré pour des raisons
qu'il
33 Car, nul entrepreneur averti et rationnel, fût-il
natif du pays, ne courra le risque d'investir son capital dans une
société au sein de laquelle le système de justice n'est
pas crédible.
34 Cette thématique donnera un coup
d'accélérateur aux procédures pouvant servir d'alternative
à la décision de classement sans suite et garantira leur
dénouement heureux. Elle va permettre aux procureurs de la
République de s'affranchir des pressions hiérarchiques et de
travailler sous l'autorité de la loi, sans crainte d'une mauvaise
notation, d'une lourde sanction disciplinaire qui affecterait leur
carrière.
35GANZINO-NGOUNGA (C), L'audience
pénale, op. cit. p.50
36GUNICHARD (S) et BOUISSON (J), Procédure
pénale, op. cit. P. 967
37DELMAS-MARTY (M), les chemins de la
répression, Paris, PUF, 1980, p263
10
n'a pas à indiquer, qu'elles soient d'ordre
juridique, matériel, économique,
d'équité, ou même de politique ».
- Jean-Marie SHANGO OKOMA38 qui souligne que dans
bien des circonstances, le classement sans suite est devenu un moyen pour les
magistrats du ministère public d'abuser de leur pouvoir.
- HAENEL Hubert qui évoque39 la
nécessité de clarifier les décisions de classement sans
suite pour permettre leur compréhension par les victimes.
- Ernest NILLES, Martine SOLOVIEFF et Georges
OSWALD40 qui mentionnent les correctifs aux décisions de
classement sans suite abusives aux nombres desquels le recours
hiérarchique devant le Procureur Général et le droit de la
victime de mettre elle-même en mouvement l'action publique.
- Anatole Collinet MAKOSSO41qui affirme que le
classement sans suite est un moyen permettant au Procureur de la
République d'affirmer son autorité sur l'opportunité des
poursuites. Cette décision signifie un abandon des poursuites, qui
n'honore pas toujours le pouvoir judiciaire, souvent accusé de laxisme,
de complicité ou de complaisance.
Eu égard aux divers aspects évoqués par
lesdits auteurs, la présente étude ne s'attèlera pas
à dresser le portrait du régime juridique du classement sans
suite qui, d'ailleurs, n'existe pas. Elle ne traitera pas, non plus, la
question des droits pour la victime d'obtenir réparation après le
classement sans suite. Elle se propose plutôt d'analyser de
manière très critique, les différentes lacunes
légales du régime juridique du classement sans suite y compris
les abus qui en résultent dans la pratique et les pistes de solution
pour le parfaire.
7- Problématique
Le caractère peu perceptible et lisible dans le code de
procédure pénale et l'application à
géométrie variable par le ministère public du
régime juridique du classement sans
38SHANGO OKOMA (J.M), Le classement sans suite
en droit procédural Congolais, disponible sur
www.iosrjournals.org
39Rapport du sénat français «
Les infractions sans suite ou la délinquance mal traitée »
disponible sur https:/
www.senat.fr/rap/r97-513/r97-513-mono.html
40NILLES (Ernest), SOLOVIEFF (Martine) et OSWALD
(Georges), Avis commun du parquet général et des parquets
près les tribunaux d'arrondissement de Luxembourg et de Diekirch,
2020, p. p.23-26
41MAKOSSO (A.C), Les nouvelles figures de la
délinquance mal saisies par le droit pénal des mineurs, op.
cit. p.53
11
suite sont évocateurs de la problématique de ses
lacunes et de la nécessité d'envisager leur mise à jour.
Cela nous conduit alors à nous poser les questions suivantes : quelles
lacunes peut-on relever dans le cadre juridique régissant le classement
sans suite ? Quelles sont les perspectives d'amélioration envisageables
pour combler ces dites lacunes, afin d'ériger un système
répressif efficace ? évocateur
8- Les hypothèses de recherche
La réponse à ces préoccupations commande
à ce qu'on jette une lumière sur les différentes lacunes
caractérisant le régime juridique du classement sans suite, en
évaluant leur impact sur les droits des plaignants.
L'amélioration du système actuellement
défaillant passe par la création d'un juge indépendant,
chargé d'évaluer l'opportunité des poursuites et le
renforcement de l'efficacité des procédures alternatives au
classement sans suite.
9- Les méthodes de recherche
Les méthodes utilisées pour parvenir aux
objectifs définis dans le cadre de cette recherche incluent trois
approches différentes : la fouille documentaire, les entretiens et
l'analyse prospective. L'étude fouillée de la documentation
dédiée aux différents éléments touchant
notre thématique nous a permis de recueillir des informations utiles au
traitement de cette question à travers les textes de lois, les livres,
les rapports, les thèses, les mémoires, les articles de revues et
les sites web. Les entretiens avec les praticiens nous ont permis de se faire
l'idée sur la pratique du classement grâce à leurs
expériences et leurs opinions. L'analyse prospective a porté sur
la pratique courante du classement sans suite par le ministère public,
les différents textes légaux relatifs au pouvoir
d'opportunité des poursuites et ceux consacrant la possibilité
pour la victime de mettre en mouvement l'action publique, afin déceler
les lacunes et de proposer les solutions.
10- L'annonce du plan
Nos travaux de recherche, ayant pour centre de gravité
le régime juridique du classement sans suite, vont explorer avec un
regard critique les lacunes observées dans le système actuel de
classement sans suite (Première partie), avant de les
orienter vers les perspectives de son amélioration
(Deuxième partie).
12
PREMIERE PARTIE
LES LACUNES DU REGIME JURIDIQUE DU CLASSEMENT
SANS SUITE
13
Le refus de l'impunité des infractions s'inscrit dans
la consécration assumée d'une galaxie d'institutions judiciaires
au service d'une obligation de les poursuivre. Le centre de gravité de
cet ordonnancement juridique est le Procureur de la République en ce
qu'il conduit et engage les poursuites42. Il n'est pas cependant
obligé d'agir quand une infraction est portée à sa
connaissance, par une décision de classement sans suite.
Toutefois, beaucoup de questions demeurent sans
réponses : sur quel critère doit-il le faire ? Sous quelle forme
(écrite, orale, explicite ou implicite) et quand ? Quelle est la valeur
de cette décision ? Qui doit contrôler sa légitimité
? Quelles sont les obligations qui pèsent sur l'auteur du classement
à l'égard de la victime ? Doit-il l'informer ou un simple silence
prolongé suffit à justifier le classement ? Que doit faire la
victime face à un classement sans suite ? Dispose-t-elle d'un droit de
le contester ou d'une alternative efficace pour le contourner ? Ces questions
pertinentes, nécessitant des réponses claires du
législateur, sont finalement sans réponse et constituent par
conséquent les lacunes du système de classement sans suite.
La décision de classement sans suite prise par le
ministère public à l'occasion de l'enquête
préliminaire est caractérisée en droit congolais par une
absence totale des règles transparentes liant l'autorité
compétente chargée de la prendre, et l'absence de garanties pour
les plaignants. L'article 28-1 du code de procédure pénale ne se
contente que d'énoncer le principe d'opportunité des poursuites
sans dégager les règles applicables, si jamais le
ministère public décide d'un classement sans suite. Sa pratique
relève du choix discrétionnaire du procureur de la
République d'abandonner les poursuites s'il estime qu'elles sont
inopportunes.
Ce vide juridique attaché à une décision
mettant fin à la procédure engagée par le plaignant met
à nu les faiblesses de ce dispositif juridique qu'il convient de
scruter. Deux aspects majeurs révèlent les insuffisances
décriées : l'absence d'encadrement du pouvoir de
l'autorité chargée de prendre une telle décision notamment
le Procureur de la République (Chapitre I) et le manque
de lisibilité de ses obligations et des droits du plaignant
(Chapitre II).
42 LE GALL (E), L'opportunité des
poursuites du Procureur international : Du pouvoir arbitraire au contrôle
insuffisant, Revue internationale de droit pénal, 2013/3 vol.84/pp.
495-514
14
CHAPITRE I : L'ABSENCE D'ENCADREMENT DU POUVOIR DE
CLASSEMENT SANS SUITE DU PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE
L'application du principe de l'opportunité des
poursuites rend le Procureur de la République titulaire d'un pouvoir
discrétionnaire dans le choix des poursuites43. Son pouvoir
absolu se caractérise par la possibilité qui lui est reconnu de
mettre fin à une procédure engagée en appliquant justement
son pouvoir discrétionnaire44. Ce pouvoir reconnu au
Procureur de la République de classer sans suite une plainte fera
l'objet de la première section (Section 1), avant
d'envisager ses implications pratiques (Section 2).
SECTION 1 : Le classement sans suite : une
décision relevant du pouvoir discrétionnaire du Procureur de la
République
Le classement sans suite est une décision traduisant le
pouvoir discrétionnaire du Procureur de la République. La notion
du pouvoir discrétionnaire est inconnue à la procédure
pénale. Elle relève plutôt du droit administratif où
elle est opposée aux cas dans lesquels l'administration est en situation
de compétence liée. Celle-ci est comme l'écrit le
professeur René CHAPUS, « le pouvoir de choisir entre deux
décisions ou deux comportements (deux au moins) conformes à la
légalité45».
En procédure pénale, la doctrine l'utilise pour
appréhender le pouvoir d'appréciation reconnu au Procureur de la
République au stade de la décision sur l'engagement ou non des
poursuites46. La compréhension du pouvoir
discrétionnaire du Procureur de la République en matière
de classement sans suite passe par son analyse (Paragraphe 1)
avant de montrer ses limites (Paragraphe 2).
43 LE GALL (Elise), L'opportunité des
poursuites du Procureur international : Du pouvoir arbitraire au contrôle
insuffisant, Revue internationale de droit pénal, 2013/3 vol.84/p.p
495-514
44VILLARD, Katia Anne. Opportunité des
poursuites et conflits de compétences : notes sur les articles 8 al. 2
let. c et 8 al. 3 CPP. In: Dodécaphonie pénale : Liber
discipulorum en l'honneur du Professeur Robert Roth. Genève :
Schulthess, 2017. p. 131-144 disponible sur
https://archive-ouverte.unige.ch//unige:102745
45CHAPUS (R), Droit administratif
général, Paris, 15e édition, Lgdj, 2001,
p.119
46GIRAUD (P), Le pouvoir discrétionnaire
du procureur de la cour pénale internationale, rapport de recherche
pour l'obtention du certificat de recherche approfondie (2012), p. 13
15
PARAGRAPHE 1 : L'analyse du pouvoir
discrétionnaire du Procureur de la République
L'analyse du pouvoir de discrétion du Procureur de la
République commande qu'on examine cette notion (A) et
sa portée (B).
A- La notion du pouvoir discrétionnaire du procureur
de la République
Le pouvoir discrétionnaire du Procureur de la
République est une notion juridique qui désigne la
capacité qu'à le procureur de décider de
l'opportunité et de l'orientation des poursuites pénales. Il peut
décider de poursuivre les auteurs présumés des
infractions, mais également décider de ne pas le faire,
décider d'engager des poursuites à l'égard de certains
auteurs de façon plus sévère que pour d'autres. En
réalité, les décisions du Procureur de la
République sont prises au cas par cas, en fonction des
éléments recueillis durant l'enquête préliminaire,
des critères d'opportunité tels que l'intérêt
général et les orientations de la politique pénale.
Certains auteurs considèrent que le pouvoir discrétionnaire du
procureur se manifeste surtout dans ses décisions
négatives47 c'est-à-dire de classement sans suite
alors que l'infraction est constituée et l'auteur identifié.
La notion du pouvoir discrétionnaire peut être
entendue de trois manières : le pouvoir d'appréciation, de
décider en dernier ressort et sans être lié par les normes
préexistantes.
Le pouvoir d'appréciation renvoie à la
nécessité de faire appel, dans l'application d'une norme, au
jugement du ministère public plutôt que de pouvoir se contenter de
son application mécanique48. Il n'est pas inutile de
préciser que cette application peut porter aussi bien sur l'existence
des faits auxquels cette norme s'applique y compris les problèmes
juridiques de preuve que cette question soulève que sur la signification
des normes elles-mêmes, et leur importance
respective49lorsque, pour des raisons de droit ou de fait, un choix
s'impose entre plusieurs normes au niveau de leur application.
47En ce sens, STITH (K), The arc of the
Pendulum ; Judges, Prosecutors and the Exercise of Discretion, Yale Law
Journal 2008 ; pp 1420 à 1422 « In the context of the criminal law,
to exercise discretion means, most simply, to decide not to investigate,
prosecute, or punish to the full extent avalable under the law »,
cité par VAN DE KERCHOVE (M) : fondement et limites du pouvoir
discrétionnaire du ministère public. Aux fins de la
légalité, disponible sur
https:// doi.org./10.7202/001384
48DWORKIN (Ronald), Taking Rights, Cambrige,
Mass, Harvard University Press, 1978, p.31
49RAZ (Joseph), Legal principle and the limits of
law, dans yale law journal, Vol.81, 1972, p.846
16
Le pouvoir discrétionnaire au niveau de l'engagement
des poursuites ne peut se faire de manière purement mécanique et
fait donc appel au jugement du Procureur de la République. Une
administration enchainée par la loi, sans aucune marge de liberté
dans l'appréciation des faits et dans la prise des décisions
entrainerait une sorte de robotisation de l'action du ministère
public.
Ce jugement consistera pour lui dans l'examen de la
réalité des faits délictueux commis dans leur
qualification juridique et dans l'interprétation de la loi
pénale. En cela, ses fonctions s'apparentent manifestement à
celles du juge, car il est appelé aussi à connaitre de l'affaire
au fond, exactement comme le ferait le juge de jugement et à prendre une
décision qui s'apparente à celle que rend ce dernier. C'est en ce
sens, d'ailleurs, que l'on dit parfois que « le parquet est le premier
juge de l'affaire50 ».
Même si, une telle appréciation peut amener le
ministère public à classer l'affaire sans suite, il importe
cependant de noter qu'elle ne porte pas, dans ce cas, sur l'opportunité
proprement dite des poursuites, mais bien sur leur
légalité51. Il convient de souligner que
l'appréciation porte aussi bien sur la légalité que sur
l'opportunité avant que le Procureur de la République fixe sa
décision dans le sens qui correspond à son sentiment personnel.
Il se décide aussi librement en ce qui concerne la
légalité qu'en ce qui concerne
l'opportunité52.
Quant au pouvoir de décider en dernier ressort, il se
traduit par le fait que la décision prise par le Procureur de la
République n'est pas susceptible de faire l'objet d'un recours et
d'être contrôlé ou modifié par une instance. C'est un
pouvoir reconnu au ministère public d'apprécier sans
contrôle du juge l'adéquation du fait à la règle de
droit. Il constitue le domaine réservé qui échappe au
contrôle juridictionnel qui se fait dans un cadre bien défini,
sinon il ne relèverait plus du domaine de l'opportunité mais de
celui de la légalité.
50FRANCHIMONT (A), cours de procédure
pénale, t.I, Liège, 1984, p.40
51L'opportunité des poursuites ne veut pas
dire que le procureur n'a pas à se préoccuper de la loi ; ce qui
serait gravement inexact. Avant de prendre la décision de poursuivre ou
de classer sans suite, le procureur de la République, souvent par le
moyen d'une enquête préliminaire, vérifie si
légalement l'infraction semble constituée. Cependant, le
procureur de la République, même si les éléments
constitutifs de l'infraction paraissent réunis, dispose encore de la
faculté de classer sans suite. Voir Roger Perrot, Le rôle du
Ministère Public dans les domaines pénal, civil et commercial,
dans Conseil de l'Europe, dir., Le rôle du ministère public
dans une société démocratique, Strasbourg, Editions du
Conseil de l'Europe, 1997, 167 167. p. 174.
52BOULOC (B), Procédure
pénale, Paris, 23e édition, Dalloz, 2012, p.
595.
17
Sans doute faut-il rappeler que l'autorité de cette
décision doit être entendue, dans un sens très
différent de l'autorité de la chose jugée qui s'attache
à un acte juridictionnel, étant donné que le parquet peut
revenir sur un classement effectué et mettre en mouvement l'action
publique, même en l'absence de charges nouvelles53. Il
apparait, par contre, que, dans les limites du pouvoir d'appréciation en
opportunité à tout le moins, l'exercice de ce pouvoir ne peut en
principe faire l'objet d'aucun recours et n'est donc pas susceptible
d'être remis en question par une autre instance. En droit congolais,
cette décision est sans appel, car insusceptible de voie de recours
administratif (recours gracieux ou hiérarchique) et juridictionnel
(devant un juge).
Enfin, le pouvoir discrétionnaire désigne le
fait que le Procureur de la République prend la décision sans
être lié à des normes préexistantes54. Il
y a pouvoir discrétionnaire toutefois qu'une autorité agit
librement sans que la conduite à tenir soit dictée à
l'avance par une règle de droit55. Ce pouvoir est
conçu comme affranchi de toute régulation juridique
préexistante, et son exercice est caractérisé par
l'absence d'un encadrement juridique, des normes sur lesquelles le
ministère public doit se référer pour pouvoir
décider.
Le monopole d'appréciation du ministère public
ne consiste pas seulement à apprécier l'existence de l'infraction
au regard de la loi, mais le pouvoir, une fois acquise, la conviction qu'une
infraction a été commise et qu'aucun obstacle juridique
n'empêche de la poursuivre, de classer sans suite les documents relatifs
à des infractions réelles mais dont la poursuite lui parait
inopportune. Il s'agit de ce pouvoir qui, alors que la condamnation parait
devoir être certaine, permet au ministère public de décider
néanmoins de ne pas poursuivre, estimant que la poursuite est
inopportune56. Or selon une opinion largement partagée, une
telle appréciation ne repose sur aucun critère proposé par
le législateur et fait exclusivement appel à la conscience,
à la prudence et au jugement du magistrat lui-même. Ce pouvoir
discrétionnaire peut être mis en parallèle avec la mission
qui revient au juge répressif d'individualiser la peine entre le minimum
et le maximum fixés par la loi. L'exercice d'un tel pouvoir fait appel
à une conviction subjective, que l'on qualifie parfois d'intime «
conviction » parce qu'elle
53 Merle (R) et Vitu (A), op. cit. p.344
54DWORKIN(R), Taking rights seriously, op.
cit. pp. 31 et s.
55 MOUBANGAT MOUKONZI (A.D), Le juge congolais
face au pouvoir discrétionnaire de l'administration,
Mémoire pour l'obtention du Diplôme de l'E.N.A.M
(filière Magistrature) Brazzaville 1988 p.58
56Raymond Charles, Du Ministère
public, dans le journal des tribunaux, né 5218, 1992, p.553
18
repose sur des éléments en partie rebelles
à toute tentative de transmission logique et à une
expérience objectivement incommunicable dans sa totalité. Or,
« pour qu'un système judiciaire soit marqué au coin de
l'équité, l'engagement des poursuites doit dans une certaine
mesure obéir à des critères », l'antidote contre
l'arbitraire.
En conséquence, la liberté de choix qu'implique
l'existence du pouvoir discrétionnaire peut être compris comme une
absence d'automatisme de la décision, une absence de contrôle et
une absence de régulation. Le pouvoir discrétionnaire commence
où le droit s'arrête.
B- La portée du pouvoir discrétionnaire du
Procureur de la République
Le pouvoir discrétionnaire du Procureur de la
République dans le choix des poursuites demeure indispensable dans le
système répressif congolais. Il « constitue
l'indispensable soupape du système général de la
poursuite, sans quoi on aboutirait à un automatisme aveugle et sans
nuances, à un écrasement de l'individu par l'implacable
mécanique de la lo57 ». Il se fonde non seulement
sur l'idée qu'il n'est pas possible pour une société de
tout poursuivre, mais encore sur l'idée que cela n'est pas souhaitable.
Il traduit non seulement une nécessité, mais aussi un
idéal58.
Il n'est plus sûr que le voeu de la loi et
l'exécution de la loi soient l'exercice de l'action publique par la
poursuite intentée toujours, en toute circonstance et à tout
prix. Si le principe de légalité reflète une conception
implicite selon laquelle l'intérêt général exige des
poursuites, le principe de l'opportunité des poursuites reflète
dès lors la conception opposée qui laisse aux autorités de
poursuite le soin d'apprécier l'utilité concrète de la
répression et l'intérêt de la société
à voir punir l'infraction commise59.
L'intérêt pratique de ce pouvoir est
d'éviter de poursuivre sans discernement toute infraction
constituée sans évaluer la gravité, les circonstances de
sa commission ou les traits de personnalité de son auteur. Il
remédie aux lenteurs de la justice pénale, non seulement par les
ressources qui lui sont attribuées et par la façon dont ces
57Conférence des procureurs
généraux d'Europe 5e session organisée par le
conseil de l'Europe en coopération avec le procureur
général de Celle, Basse-Saxe sur : Les pouvoirs
d'appréciation du ministère public : le principe
d'opportunité ou de légalité, avantages et
inconvénients, p.2
58Idem
59Idem
19
ressources sont utilisées, mais aussi par une meilleure
définition des priorités dans la conduite de la politique
criminelle60.
Le pouvoir de discrétion permet au procureur
d'opérer un filtre en ne soumettant au Juge61 que les
affaires les plus graves. « L'intérêt public n'exige
nécessairement pas que l'on poursuive tout le menu fretin
impliqué dans une infraction ; l'important, c'est que le gros gibier
soit traduit en justice62 ». Cet argumentaire reste tout
de même discutable :« L'expérience prouve qu'une affaire
se modifie parfois d'une façon considérable entre l'ouverture des
poursuites et le jugement qui sera rendu : tel dossier se gonfle
d'éléments nouveaux qui traduisent progressivement la
gravité réelle de l'affaire ; dans tel autre, l'infraction
commise prend des dimensions sensiblement plus
modestes63».
Néanmoins, ce pouvoir reste inévitable dans le
cadre de notre système judiciaire caractérisé dans les
grandes villes par une véritable inflation pénale et dont le
fonctionnement est devenu impossible sans ce mécanisme
d'auto-régulation.64 Dans cette perspective, le classement
sans suite est devenu en quelque sorte, « la mesure de
l'inapplicabilité de la loi65» garantissant une
certaine flexibilité dans le traitement des affaires et
désengorgeant les tribunaux, en adaptant la part des poursuites à
la capacité des juridictions de jugement66.
Notons tout de même que la disparité dans le taux
de classement remet en cause l'égalité des citoyens devant la
loi67, puisqu'une affaire similaire aura plus de chance d'être
classée dans une grande juridiction que dans une plus petite, alors que
la loi doit s'appliquer à toutes les personnes, à toutes les
situations et sur tout le territoire
60La Recommandation n°R (87) 18 sur la
simplification de la justice pénale adoptée par le Comité
des ministres du conseil de l'Europe, le 17 septembre 1987
61L'on peut soutenir incontestablement que le
dispositif du classement sans suite n'est plus un mécanisme sommaire qui
corrige la rigidité excessive du principe de la légalité
des poursuites appliqué dans sa conception la plus pure. Il devient un
véritable mécanisme de régulation, filtrant le nombre de
dossiers arrivant devant la juridiction répressive.
62Commission de réforme du droit du Canada,
Document de travail 62 Poursuites pénales : les pouvoirs du
Procureur Général et des Procureurs de la couronne, 1990
63MERLE (R), VITU (A), Traité de droit
criminel, op. cit. p.331
64DU JARDIN (J), La politique criminelle du
ministère public, 1983, p.450
65MICHAUX (J), Chronique du parquet et de
l'instruction, Revue de science criminelle, 1977, p.906
66SIMMAT-DURAND (L), Orientation et sélection des
affaires pénales : une approche quantitative de l'action du
parquet, Thèse, Université de PARIS-I, 1994, p. 342
67 L'art. 2 de la loi n°19-99 du 15 août 1999
modifiant et complétant certaines dispositions de la loi n°022-92
du 20 août 1992 portant organisation du pouvoir judiciaire consacre
l'égalité des citoyens devant la loi et devant les juridictions :
« Les citoyens congolais sont égaux devant la loi et devant les
juridictions ».
20
de manière égalitaire68. C'est dans
ce sens que le système de l'opportunité des poursuites
paraît contredire le principe de l'égalité devant la loi.
Il conduit à l'application à géométrie variable de
la loi. Or la garantie d'égalité constitue l'un des piliers de la
procédure pénale ainsi que l'un des fondements de sa
crédibilité pour le justiciable69.
Le pouvoir discrétionnaire, en dépit de ses
vertus, n'est pas à l'abri des critiques en raison des abus qui
accompagnent son exercice. En portant un regard appuyé sur son centre de
gravité qu'est le Procureur de la République, il ne fait pas de
doute qu'il soit pointé du doigt en classant certaines affaires pour
obéir aux injonctions du gouvernement, pour favoriser certains coupables
haut placés, pour recevoir en échange les pots-de-vin, alors
qu'il existe les soupçons sérieux de commission d'une
infraction.
Or, le classement sans suite n'est qu'un pouvoir
réaliste d'adaptation à certaines situations bien ciblées,
utilisé de manière très marginale. Le pouvoir de
classement, « confié à la conscience des magistrats, par
fonction indépendants et impartiaux70 », et tel
qu'il est présenté dans les textes ne devrait pas reposer sur des
appréciations arbitraires, purement subjectives et personnelles, mais
sur des données objectives. Le maniement éclairé du
pouvoir d'opportunité va de pair avec la qualité de magistrat
reconnue aux procureurs71.
Le recours constant au classement pour inopportunité
des poursuites, apparaît comme un facteur criminogène
prédisposant ceux bénéficiant de son application à
la perpétration de la délinquance avec une garantie, non la
moindre, d'échapper à la poursuite, parce qu'ils trouveront
souvent en elle une sorte de cause légale de non- imputabilité ou
une immunité légale implicite. Toute action ou idée de
prévention et de lutte efficace contre la criminalité par
conséquent se révèle impossible dans le système
judiciaire congolais actuel où le classement pour inopportunité
des poursuites est souvent décidé sur ordre de la
hiérarchie politique ou judiciaire ou dicté par les
considérations partisanes et pécuniaires du magistrat.
68Rapport du sénat français, Les
infractions sans suite ou la délinquance mal traitée, op.
cit.
69Bertrand de LAMY. « L'égalité
devant la justice pénale dans la jurisprudence du Conseil
constitutionnel : à propos, notamment, de la nécessaire courbure
d'un principe essentiel », Titre VII [en ligne], n° 4, Le
principe d'égalité, avril 2020. URL complète :
https://www.conseilconstitutionnel.fr/publications/titre-vii/l-egalite-devant-la-justice-penale-dans-la-jurisprudence-du-conseil-constitutionnel-a-propos
70SEGAUD (J), ESSAI SUR L'ACTION PUBLIC,
Thèse, UNIVERSITE DE REIMS CHAMPAGNE-ARDENNE UFR Droit et Sciences
Politiques, 2010, p.121
71Rapport du sénat français, Les
infractions sans suite ou la délinquance mal traitée, op.
cit.
21
Le mauvais maniement du pouvoir de classement est une
situation nuisible et dangereuse. Il donne l'impression que le système
judiciaire est trop laxiste envers les uns et trop punitif envers d'autres. Il
encourage les auteurs d'infractions à persévérer dans la
voie délictueuse, développe le sentiment
d'insécurité et de méfiance à l'égard de la
justice et démobilise les services de police et de gendarmerie, qui
constatent que leur action n'est pas vraiment relayée par celle de la
justice72. Cette situation pousse à porter voix
à un plaidoyer pour que l'exercice de ce pouvoir soit suffisamment
encadré et limité afin d'éviter toute apparence
d'injustice et d'impartialité73.
La légitimité d'un choix de poursuite ne doit
occulter qu'il faut restituer à la justice sa vocation première.
Cette vocation est de rendre justice, qui, dans sa dimension la plus noble,
peut être assimilée au propos de Cesare BECCARIA en 1764 :
« Le châtiment ne doit pas forcément être
sévère mais il doit nécessairement être
inéluctable74 ».
Le pouvoir discrétionnaire reconnu au ministère
public en matière de poursuite ne lui donne pas un chèque en
blanc pour poursuivre qui il veut, ni choisir les infractions qu'il veut
poursuivre et laisser de côté certaines infractions et certaines
personnes. L'intérêt de son pouvoir est de lui permettre de mieux
traiter les affaires pénales en fonction de leur nature, de leur
gravité et des circonstances particulières de chaque cas. Ainsi,
il doit concilier les objectifs de l'action publique, tels que la
prévention de la criminalité, la protection des droits des
victimes et la répression des auteurs d'infractions, avec les exigences
de la justice et du respect des droits de l'auteur présumé des
faits en préservant la présomption d'innocence, et garantissant
que les poursuites ne sont engagées que lorsque cela est justifié
par les preuves et les circonstances de l'affaire.
En réalité, ce n'est pas le système qui
est mauvais, mais les hommes qui en font l'usage. Il ne fait aucun
doute que ce qui importe au premier chef dans un système de poursuite,
ce sont les qualités du titulaire de la charge de poursuite : force de
caractère, intégrité personnelle, respect des principes de
l'indépendance et de la représentation impartiale de
l'intérêt public75.
72DROPET (O),
Les infractions sans suite ou la délinquance mal
traitée, op. cit.
73LE GALL (E), L'opportunité des
poursuites du Procureur international : Du pouvoir arbitraire au contrôle
insuffisant, op. cit. p.500
74 BECCARIA (C), Des délits et des
peines, Dei delitti e delle pene, ENS, France, 2009, p. 446
75 Commission de réforme du droit du Canada,
Document de travail 62 Poursuites pénales : les pouvoirs du
Procureur Général et des Procureurs de la couronne, 1990
22
PARAGRAPHE 2 : Les limites du pouvoir
discrétionnaire du Procureur de la République
Le pouvoir discrétionnaire du Procureur de la
République en matière de classement sans suite n'est pas absolu.
Il peut être limité par l'injonction venant du supérieur
hiérarchique ordonnant le déclenchent des
poursuites76. Toutefois, nous n'allons pas nous attarder sur cette
hypothèse moins solide puisque le Procureur de la République peut
passer outre l'instruction reçue77. Les limites du pouvoir de
discrétion qui nous intéressent sont liées aux
privilèges de juridiction dont jouit certaines personnalités
publiques (A) empêchant ainsi au Procureur de la
République d'exercer sa liberté d'apprécier
l'opportunité des poursuites, et l'indisponibilité de l'exercice
de l'opportunité des poursuites après la mise en mouvement de
l'action publique (B).
A- L'empêchement de classement d'une plainte
dirigée contre une personne jouissant des privilèges de
juridiction
Un prévenu doit normalement être jugé
devant la juridiction territorialement compétente. Toutefois, sous
certaines conditions, il est possible d'être jugé par une autre
juridiction au titre du privilège de juridiction.
Le privilège de juridiction peut se comprendre comme un
droit accordé à certains dignitaires ou fonctionnaires au regard
des fonctions qu'ils assument de comparaitre devant une autre juridiction que
celle normalement territorialement compétente78. Le
privilège de juridiction est aussi appelé immunité de
juridiction ou délocalisation.
Comme on peut le constater, le privilège de juridiction
n'est pas synonyme de l'immunité des poursuites. Si le privilège
de juridiction se rapporte aux règles de compétence personnelles
des juridictions répressives, l'immunité des poursuites est
liée aux règles de procédure pénale ou des
poursuites des auteurs présumés des infractions devant ces
juridictions pénales. Néanmoins, faut-il le souligner, le
privilège de juridiction viole le principe de l'égalité
devant la justice qui exige que tous les
76 LE ROY (J), procédure
pénale, op. cit. p.209. Cet auteur affirme que la liberté du
procureur est limitée par la subordination hiérarchique
77 BOULOC (B), Procédure
pénale, op. cit. p. 576. Le procureur de la République est
libre de prendre les décisions en matière de poursuite. Il peut
cependant recevoir des instructions de ses supérieurs
hiérarchiques, lesquels ne peuvent pourtant pas se substituer à
lui pour déclencher l'action publique, ni arrêter une action qu'il
aurait mise en mouvement.
78KAPINGA NKASHAMA (Symphorien),
Privilège de juridiction et lutte contre l'impunité en
République Démocratique du Congo, disponible sur
www. Creeda-rdc.org
23
justiciables se trouvant dans la même situation soient
jugés par les mêmes tribunaux selon les mêmes règles
de procédure et de fond.
En présence donc d'une personnalité jouissant
des privilèges de juridiction notamment les officiers de police
judicaire79, les élus locaux80et
les magistrats81, la loi commande au Procureur de la
République de s'abstenir d'activer l'opportunité des poursuites,
susceptible de le conduire au classement ou aux poursuites de l'affaire
portée à sa connaissance. Cette interdiction tient du fait que le
pouvoir de statuer, en matière de règlement de juge, est
exclusivement confié au bureau de la Cour suprême82. Ce
dernier est habilité à désigner la juridiction
d'instruction ou de jugement chargée de connaître de l'affaire. Il
s'agit là d'une question préjudicielle au déclenchement de
l'action publique, cause de nullité de l'acte de saisine. Celle-ci se
distingue bien d'une exception préjudicielle au jugement, sur laquelle
une autre juridiction doit statuer.
Néanmoins, le Procureur de la République joue un
rôle essentiel dans la préparation de la décision. C'est
lui qui transmet au bureau de la Cour suprême les renseignements
nécessaires, car c'est lui qui les a reçus tout d'abord,
étant donné que c'est vers lui que convergent toutes les
indications relatives à la commission d'une infraction83.
79L'article 608 du code de procédure
pénale dispose : « Lorsqu'un officier de police judiciaire est
susceptible d'être inculpé d'un crime ou d'un délit, qui
aurait été commis dans la circonscription où il est
territorialement compétent, hors ou dans l'exercice de ses fonctions, le
procureur de la République saisi de l'affaire est tenu d'adresser
immédiatement une requête à la chambre judiciaire de la
cour suprême. Sous huitaine, celle-ci procède et statue comme en
matière de règlement de juge et désigne la juridiction
chargée de l'instruction et du jugement de cette affaire ».
80L'article 42 de la loi n°7-2003 du 6
février 2003 portant organisation et fonctionnement des
collectivités locales dispose : « Lorsqu'un conseiller est
susceptible d'être poursuivi pour un crime ou un délit commis hors
ou dans l'exercice de ses fonctions, le procureur de la République,
saisi de l'affaire présente sans délai une requête à
la chambre pénale de la cour suprême qui procède et statue
comme en matière de règlement de juge et désigne la
juridiction chargée de l'instruction ou du jugement ».
81L'article 601-1 code de procédure
pénale dispose : « Lorsqu'un membre de la cour suprême ou
un magistrat de l'ordre judiciaire, est susceptible d'être inculpé
d'un crime ou d'un délit commis hors l'exercice de ses fonctions, le
procureur de la République saisi de l'affaire, présente
requête à la cour suprême qui procède et statue comme
en matière de règlement de juge et désigne la juridiction
de l'instruction et du jugement de l'affaire, si le bureau de la cour
suprême estime qu'il y a lieu à poursuite Lorsqu'une des personnes
énumérées à l'article 601 est susceptible
d'être inculpée d'un crime ou d'un délit commis dans
l'exercice de ses fonctions, le procureur de la République saisi
transmet sans délai le dossier au procureur général
près la cour suprême qui engage et exerce l'action publique devant
la cour suprême ». L'article 603 alinéa 1 et 2 du CPP
précise les pouvoirs du bureau de la cour suprême après la
réception du dossier : « Si le bureau de la cour suprême
estime qu'il y a lieu à poursuite, le procureur général
requiert l'ouverture d'une information ».
82Selon l'article 17 de la loi n°17-99 du 15
avril 1999 modifiant et complétant certaines dispositions de la loi
n°025-92 du 20 août 1992 et de la loi n°30-94 du 18 octobre
1994 portant organisation et fonctionnement de la cour suprême, le bureau
de la cour suprême comprend : le premier président, le procureur
général, le vice-président, le premier avocat
général, des présidents de chambre et les cinq avocats
généraux.
83 BOULOC (B), Procédure
pénale, Paris, 23e édition, Dalloz, 2012,
p.576
24
Dès lors qu'il est saisi d'une plainte impliquant les
bénéficiaires des privilèges de juridiction, le Procureur
de la République saisit immédiatement et sans délai la
Cour suprême. L'emploi par le législateur des expressions
« transmet sans délai le dossier ; présente
requête ; présente sans délai une requête, tenu
d'adresser immédiatement la requête » illustre sans
doute, l'interdiction faite au procureur d'apprécier le dossier, de
décider de la suite à donner et son obligation de saisir
immédiatement la Cour suprême.
Il faut relever tout de même, qu'au regard des articles
601 et 603 combinés du code de procédure pénale, le
rôle du bureau de la Cour suprême saisie de l'affaire concernant un
magistrat n'a pas pour impératif la désignation de la juridiction
d'instruction ou de jugement. Il reste seul compétent pour
poursuivre84, instruire85 et juger86 l'affaire
en premier et dernier ressort87, en violation du principe du double
degré de juridiction.
Son intervention consiste à apprécier
l'opportunité des poursuites et non à désigner la
juridiction à connaitre de l'affaire. La décision de poursuivre
un magistrat, présumé auteur d'un crime ou délit commis
hors ou pendant l'exercice de ses fonctions ne peut venir que de la Cour
suprême. Lorsqu'elle juge qu'il n'y a pas lieu à poursuite, la
procédure s'arrête. Dans le cas contraire, lorsqu'elle estime
opportune d'engager les poursuites, elle instruit et juge.
Il n'est pas inutile de signaler que le pouvoir
d'opportunité des poursuites du bureau de la Cour suprême n'a pas
de contrepoids comme celui du procureur de la République. En effet,
lorsque le Procureur de la République classe sans suite une plainte, la
victime peut mettre en mouvement l'action publique par voie de citation directe
ou de constitution de partie civile devant le juge d'instruction. Par contre,
quand le classement est effectué par la Cour suprême, la loi
n'offre pas à la victime la possibilité de contester cette
décision, ni la possibilité de mettre en mouvement l'action
publique. La voie civile demeure la seule option pour la victime. Ce dispositif
considéré
84Article 603 alinéa 1 du CPP
85Article 604 alinéa 1 du CPP
86Article 5 de la loi n°17-99 du 15 avril 1999
modifiant et complétant certaines dispositions de la loi n°025-92
du 20 août 1992 et de la loi n°30-94 du 18 octobre 1994 portant
organisation et fonctionnement de la cour suprême 87Article
25-2 de la même loi dispose : « Elle (la chambre pénale
de la cour suprême) juge en premier et dernier ressort les crimes et
délits commis par les magistrats non justiciables de la haute cour de
justice ».
25
comme protecteur de la fonction du magistrat empiète
aussi sur ses propres droits et à ceux des victimes.
En conclusion, les privilèges de juridiction
constituent un obstacle pour le procureur de la République d'activer son
pouvoir discrétionnaire d'appréciation, et par conséquent,
de classer sans suite une plainte. La mise en mouvement de l'action publique
paralyse ou empêche tout de même l'activation par le procureur de
la République de son pouvoir discrétionnaire
d'appréciation.
B- L'empêchement de classement après la
mise en mouvement de l'action publique
La décision de classement sans suite relève des
prérogatives du ministère public. Cependant, elle ne peut pas
être prise à n'importe quel niveau de la procédure
pénale. Elle ne peut intervenir qu'au stade préliminaire de
l'enquête, c'est-à-dire avant la mise en mouvement de l'action
publique. C'est à ce stade que le procureur de la République
exercice son pouvoir d'opportunité des poursuites, en appréciant
les plaintes et en décidant de la suite à donner : la poursuite
ou le classement sans suite. Son pouvoir d'initiative est alors très
restreint à ce stade88.
La règle s'applique par le souci de respecter
l'indépendance des juridictions d'instruction et de jugement.
Au-delà de cette phase, le ministère public ne peut plus se
questionner sur son pouvoir d'opportunité des poursuites. Il ne peut
plus faire marche arrière c'est-à-dire revenir sur sa
décision ou renoncer aux poursuites. La saisine d'une juridiction a pour
effet de rendre indisponible l'action publique. «
L'indisponibilité de l'action (publique) a pour pendant non
seulement que le choix de ne pas poursuivre est révocable, mais
également que celui de poursuivre devient
irrémédiable89 »
Le ministère public devient définitivement
partie principale au procès qu'il a ainsi engagé, sans disposer
du pouvoir de dessaisir la juridiction saisie. La mise en mouvement de l'action
publique interdit au ministère public soit d'opérer un
classement
88GIRAUD (P), Le pouvoir discrétionnaire
du procureur de la cour pénale internationale, rapport de recherche
pour l'obtention du certificat de recherche approfondie (2012), p. 10
89 Anne-Sophie CHAVENT-LECLÈRE,
Désistement, Répertoire de droit pénal et de
procédure pénale Dalloz, 2010 (actualisation : avril 2015),
n°13
26
sans suite, soit de choisir une autre voie de
poursuite90. Il n'a pas la disposition de l'action publique dans le
cadre de l'exercice des poursuites.
Le classement est une décision provisoire qui peut
être révisée aussi longtemps que les faits sont couverts
par la prescription. La poursuite par contre est une décision sans
appel91, irrévocable et définitive lorsqu'elle s'est
manifestée par un acte mettant l'action publique en mouvement.
Dès qu'une juridiction est saisie, le ministère
public est sans pouvoir pour retirer l'action : il demeure partie au
procès ; il va de soi que si, en cours de procédure, il
apparaissait au ministère public que son action est mal dirigée
ou mal fondée, il devrait requérir le renvoi des poursuites. Il
n'a plus de pouvoir de solliciter l'appréciation une fois que les
poursuites sont engagées : il ne peut pas demander l'acquittement pour
des raisons d'opportunité, alors que les faits infractionnels sont
établis92. Il est tenu de prendre des réquisitions et
d'exercer l'action publique jusqu'à la clôture de l'affaire.
Quand une juridiction d'instruction est saisie, elle ne peut
plus être dessaisie jusqu'à la clôture de l'information. Sa
seule option reste la voie d'appel devant la chambre d'accusation, s'il estime
que les charges retenues contre l'inculpé ne sont pas suffisantes pour
qu'il soit renvoyé devant le tribunal ou la cour d'appel.
Si le ministère public saisit une juridiction de
jugement, il doit soutenir l'accusation. S'il estime que les faits
reprochés contre le prévenu ne sont pas délictueux, il ne
peut que requérir la relaxe. Ce dispositif consacre
l'immutabilité du procès pénal.
Il est vrai que dans certains systèmes pénaux,
le pouvoir d'opportunité des poursuites du ministère public
s'exerce à tous les niveaux, en fonction de l'évolution de la vie
de l'affaire. Il ne s'exerce pas seulement au niveau de la mise en mouvement de
l'action publique mais aussi de l'exercice de celle-ci. Cela signifie qu'une
fois les poursuites commencées, il peut abandonner l'accusation et
arrêter le cours du procès, malgré la saisine des
juridictions d'instruction et de jugement compétentes. La liberté
du
90GUINCHARD (S) et BOUISSON (J), Procédure
pénale, op. cit. P.984
91 Jl n'y a pas de recours possible contre la
décision de mise en mouvement de l'action publique. Elle n'a pas
l'autorité de la chose jugée et n'établit
évidemment pas la culpabilité de la personne poursuivie, qui
continue de bénéficier de la présomption d'innocence.
L'appréciation que le procureur de la République avait
porté sur la légalité de la poursuite et sa
recevabilité sera d'ailleurs révisée par les juridictions
d'instruction ou de jugement qui auront examiné l'affaire.
92RUBBENS (A), Le droit judicaire congolais :
L'instruction criminelle et la procédure pénale, op. cit. p.
117118
27
ministère public est donc entière, aussi bien
pour la mise en mouvement que pour l'exercice des poursuites. Elle permet de
tenir compte des évolutions survenues dans les affaires. Certains
auteurs relèvent en effet que « l'expérience prouve
qu'une affaire se modifie parfois d'une façon considérable entre
l'ouverture des poursuites et le jugement qui sera rendu : tel dossier se
gonfle d'éléments nouveaux qui traduisent progressivement la
gravité réelle de l'affaire ; dans tel autre, l'infraction
commise prend des dimensions sensiblement plus modestes. En reconnaissant au
ministère public la possibilité d'arrêter le cours de
l'action répressive, on renonce à l'idée d'une
immutabilité du procès jusqu'à la décision
juridictionnelle, mais on accorde plus d'importance à la « vie
» de l'affaire et à ses transformations93».
En droit positif congolais, cette possibilité reconnue
au ministère public de renoncer aux poursuites n'existe pas. Certes, le
ministère public a la faculté d'abandonner les poursuites, mais
cet abandon n'a aucun effet sur l'action publique dont l'extinction ne peut
provenir que des juridictions. Une fois lancée, l'action publique ne
peut prendre fin que par une décision juridictionnelle (non-lieu de la
juridiction d'instruction, jugement de relaxe ou de condamnation de la
juridiction de jugement)94. En effet, malgré l'abandon du
ministère public, la juridiction répressive est tenue de se
prononcer sur l'action publique ; cet abandon ne lie pas le juge, qui peut
prononcer une condamnation malgré le changement de position
adopté par le ministère public à l'audience. L'abandon de
l'action publique par le ministère public peut se traduire par le fait
que celui-ci requiert à l'audience la relaxe ou l'acquittement,
malgré un acte de poursuite contraire à ses réquisitions
orales.
En un mot, la décision de classement ne peut être
prise que lors du déclenchement des poursuites. Elle peut être
revue en raison de son caractère provisoire et non juridictionnel.
Dès lors que le ministère public ou la victime décide
d'engager les poursuites, le ministère public ne peut plus revenir sur
sa décision ou sur celle de la victime pour la convertir en classement
sans suite. La mise en mouvement de l'action publique présente un
caractère irréversible, irrévocable et définitif.
Donc, le Procureur (ni personne d'autre) ne peut exercer son pouvoir
discrétionnaire en arrêtant le
93MERLE (R), VITU (A), Traité de droit
criminel, op. cit. p.331
94 PRADEL (Jean), procédure
pénale, Paris, 17e édition revue et
augmentée à jour au 15 juillet 2013, Cujas,
2013, P.538
28
mécanisme de la répression, ni renoncer aux
recours que la loi ouvre, ni se désister de ceux qu'il aurait
formés.
Apres avoir cerné le pouvoir discrétionnaire
reconnu au ministère public et ses limitations en matière de
classement sans suite, il est nécessaire d'étudier ses
implications pratiques dans notre système répressif.
SECTION 2 : Les implications pratiques du pouvoir
discrétionnaire du Procureur de la République lié au
classement sans suite
Le pouvoir discrétionnaire du ministère public
échappe à toute réglementation. Il implique la
liberté pour le procureur de la République de choisir un motif de
classement sans avoir à se justifier (Paragraphe 1), et
celle de choisir la forme et le délai qu'il veut de la décision
de classement sans suite (Paragraphe 2).
PARAGRAPHE 1 : La liberté de choix du motif de
classement sans suite
Le Procureur de la République ne dispose pas des lignes
directrices rédigées sur lesquelles il doit se
référer pour conclure sur un classement sans suite. La loi ne
donne pas les indications précises et claires sur les motifs de
classement sans suite. Il est donc du devoir du ministère public de se
livrer à l'opération d'appréciation des plaintes
reçues pour conclure sur un classement. N'étant pas
cantonné dans un cadre légal, le ministère public reste
libre d'opérer le classement suivant les éléments du
dossier (A) ou selon d'autres facteurs
(B).
A- La liberté de choix dicté par les
éléments du dossier
Le législateur a consacré le principe de
l'opportunité des poursuites qui permet au ministère public, de
classement sans suite une plainte, pour un motif qu'il juge judicieux
après s'être prêté à l'exercice de
l'appréciation de la plainte. Si les raisons de poursuite sont connues,
il n'en est pas de même pour le classement sans suite. Pratiquement, les
raisons soulevées à l'appui du classement sans suite sont dans la
pratique contenues dans un imprimé dénommé « avis
de classement sans suite », lequel contient plusieurs raisons pouvant
être à l'origine d'un classement. Il revient donc aux magistrats
du parquet de cocher une case préétablie dans cet imprimé
indiquant les raisons l'ayant amené à classer l'affaire. Rien ne
les empêche cependant pas à avoir
29
des raisons autres que celles préétablies dans
ledit avis de classement sans suite. La décision de classement sans
suite se repose généralement sur les éléments
objectifs dictés par le dossier et impose au magistrat de le classer. Il
s'agit entre autres :
- l'absence d'infraction si les faits portés à
la connaissance du ministère public ne constituent pas une infraction
c'est-à-dire n'ont pas violé la loi pénale en vertu du
principe de la légalité95. Il s'agit d'un
problème de qualification juridique des faits. En pratique, l'on
trouvera souvent la considération selon laquelle il s'agit d'un litige
civil et que la justice répressive n'a donc pas vocation à
être saisie. Le parquet peut également considérer que les
faits sont erronés.
- L'infraction n'est pas suffisamment
caractérisée. Toute infraction pénale doit être
caractérisée dans son élément légal,
matériel et moral. Si l'une des composantes fait défaut, il ne
sera pas possible de caractériser cette infraction. Par exemple, si
l'intention frauduleuse ne peut être démontrée en
matière de vol96, l'infraction ne sera pas
caractérisée. Dès lors, si les circonstances de
l'infraction sont indéterminées, la poursuite ne sera pas
possible.
- Le défaut d'identification de l'auteur de
l'infraction. Sont visés ici les cas dans lesquels l'auteur de
l'infraction est introuvable. Encore dans ce dernier cas, l'action publique
pourra être mise en mouvement par une information ouverte contre x.
- Le défaut d'élucidation. Le Procureur ne peut
pas poursuivre une personne, s'il n'existe suffisamment
d'éléments pour prouver l'infraction et entrainer une
condamnation devant le juge, en vertu du principe de présomption
d'innocence. Dans un souci d'économie de procédure, il est
à même de décider de classer le dossier.
- L'existence d'une immunité prévue par la loi
empêche que l'auteur d'une infraction soit poursuivi. Il s'agit par
exemple de l'immunité familiale, diplomatique ou du président de
la République97.
- L'irresponsabilité pénale résultant
soit d'une cause subjective (trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli le
discernement ou le contrôle de l'auteur de l'infraction,
95 Art. 4 du Code pénal
96Article 379 du code pénal présente le
vol comme « la soustraction frauduleuse de la chose d'autrui »
97Article 96 de la constitution du 25 octobre 2015
dispose : « Aucune poursuite pour des faits qualifiés crime ou
délit ou pour manquement grave à ses devoirs commis à
l'occasion de l'exercice de sa fonction ne peut plus être exercée
contre le Président de la République après la cessation de
ses fonctions. La violation des dispositions ci-dessus constitue le crime de
forfaiture ou de haute trahison conformément à la loi
».
30
l'âge du délinquant98), soit les
causes objectives (légitime défense, état de
nécessité, commandement de l'autorité légitime,
autorisation de la loi).
- L'extinction de l'action publique. Les causes de
l'extinction de l'action publique sont visées à l'article 6-1 du
Code de procédure pénale : « L'action publique pour
l'application de la peine s'éteint par la mort du prévenu, la
prescription, l'amnistie, l'abrogation de la loi pénale, la transaction
lorsque la loi en dispose spécialement et le retrait de la plainte
lorsque celle-ci est une condition nécessaire de la poursuite
».
En dehors des raisons évoquées ci-dessous, le
classement peut être motivé par d'autres facteurs.
B- La liberté de choix dicté par d'autres
facteurs
Le principe de l'opportunité des poursuites laisse
toute latitude au ministère public de décider de ne pas
déclencher les poursuites alors même que l'infraction est
avérée, l'auteur identifié et aucun empêchement
juridique n'existe99. Il s'agit probablement de l'un des motifs de
classement les plus subjectifs, celui dans lequel l'opportunité des
poursuites pourrait être ressenti comme un choix
arbitraire100, alors qu'elle trouve sa vraie logique et sa
complète expression que lorsqu'apparait constituée une infraction
dont l'auteur présumé est identifié. Une telle
décision est source de suspicion puisqu'aucun critère certain ne
peut alors être avéré qui soit susceptible de
démontrer d'emblée qu'il ne consacre aucune
inégalité devant la justice101. « Une
situation de cette sorte est perverse, nuisible et dangereuse. La
possibilité de passer à travers les mailles du filet de la
répression ne peut qu'encourager les auteurs d'infractions à
persévérer dans la voie délictueuse, les personnes et les
biens de nos concitoyens ne sont plus suffisamment protégés, le
sentiment d'insécurité se développe en se nourrissant
d'exemples concrets, les services de police et de gendarmerie,
constatant
98L'art. 73 alinéa 2 et 1 de la
loin°4-2010 du 14 juin portant protection de l'enfant en République
Congo dispose que l'enfant de moins de treize ans ne peut faire l'objet des
poursuites pénales, car il est présumé n'avoir pas la
capacité d'enfreindre la loi pénale. Les dommages infractionnels
occasionnés par les enfants de moins de treize ans ne peuvent faire
l'objet que de réparations civiles.
99« Le poursuivant n'est pas tenu de porter toutes les
accusations que la preuve pourrait étayer. Il peut dans certaines
circonstances, et pour des motifs sérieux, conformes à
l'intérêt public, s'abstenir d'intenter des poursuites, alors
même qu'il existe une preuve suffisante pour entrainer une
déclaration de culpabilité ». Voir Commission de
réforme du droit du Canada, Document de travail 62 Poursuites
pénales : les pouvoirs du Procureur Général et
des Procureurs de la couronne, 1990
100GAUTIER (J), Quelles sont les raisons d'un
classement sans suite ? disponible sur
www. Qualiplainte.fr
101GUINCHARD (S) et BOUISSON (J), Procédure
pénale, op. cit. P.967
31
que leur action n'est pas vraiment relayée par
celle de la justice risquent de se démobiliser, enfin un terreau
favorable est fourni à des idéologies malsaines102
».
En réalité, «
les classements décidés sur la notion
d'inopportunité des poursuites posent problème en
empiétant sur la règle, c'est-à-dire l'exercice des
poursuites pénales contre le délinquant ; ils donnent
l'impression que la justice ne défend pas suffisamment
l'intérêt général et l'ordre social, en un mot,
qu'elle n'accomplit pas convenablement sa
mission103». Les
parquetiers ne sauraient oublier que le principe reste tout de même la
poursuite, même si la loi ne le dit pas
expressément104. Le ministère public a l'obligation de
poursuivre l'exécution de la loi, la faculté de ne pas le faire
pour des raisons d'inopportunité n'étant que
l'exception105.
Dès lors, il est nécessaire de se questionner
sur les raisons pour lesquelles le ministère public peut décider
de classer une affaire remplissant toutes les conditions légales
requises pour être poursuivie. Il peut s'agir de plusieurs motifs faute
d'une liste fournie par la loi :
- Le préjudice causé par l'infraction n'est pas
assez important et doté d'un certain degré de gravité ; le
prévenu a déjà réparé le dommage ; la
victime a contribué à la commission de l'infraction ; les
conséquences financières et logistiques pour le système
judiciaire106 sont énormes ; la répression serait plus
punissable qu'utile à l'ordre public. «
Aucun système ne saurait permettre de traduire en
justice toutes les personnes qui sont bel et bien coupables d'infraction.
L'objectif, au regard de l'équité, ne consiste donc pas
simplement à poursuivre les coupables et à ne pas poursuivre les
innocents, mais à faire en sorte que des poursuites soient
intentées seulement dans le cas où la preuve est adéquate
et où l'intérêt public le justifie. Lorsque les
102Rapport du sénat français, Les
infractions sans suite ou la délinquance mal traitée, op.
cit.
103Rapport du sénat français, Les
infractions sans suite ou la délinquance mal traitée, op.
cit.
104 PRADEL (J), procédure pénale, op.
cit. P.545-546.
105RAYMOND (C), Du Ministère
public, op. cit. P.55.
106Il doit être admis que certaines
infractions qui pourraient donner lieu à poursuites n'en font pas
l'objet, notamment parce que les Parquets savent que les tribunaux
correctionnels ne sont pas en mesure de traiter plus d'affaires que celles dont
ils sont déjà saisis ou à cause de surpeuplement des
maisons d'arrêt. Faute de moyens suffisants, ils sont obligés
d'établir des priorités dans les poursuites et de mettre de
côté certaines affaires. Ces classements sont
doublement critiquables. D'une part, ils ne sont pas
justifiés par l'opportunité, mais par la nécessité
de tenir compte de la gestion des flux et de la capacité de jugement des
juridictions. On assiste alors à un véritable détournement
du rôle du ministère public. D'autre part, la
détermination du seuil de déclenchement des poursuites en
fonction de l'encombrement du tribunal conduit à d'importantes
disparités dans le traitement pénal contraires au principe
d'égalité devant la loi. Selon les lieux
où ils commettent leurs méfaits, les délinquants
bénéficieront d'une impunité plus ou moins grande. Une
menace réelle semble peser sur la réalité de l'Etat de
droit.
32
autorités engagent des poursuites dans de tels cas,
c'est que l'intérêt public parait l'exiger. Mais le plus souvent,
la prise en compte de celui-ci les invitera à conclure qu'il vaut mieux
renoncer à poursuivre, bien que les chances d'obtenir une condamnation
soient excellentes107 ».
- L'instruction hiérarchique. Le parquetier au nom du
principe de la subordination hiérarchique régissant le
ministère public n'est pas toujours libre de décider en
matière de poursuites. Apres l'analyse du dossier, il peut être
convaincu d'engager les poursuites. Cependant, il peut recevoir une instruction
de classement venant du supérieur hiérarchique dont il est tenu
de s'y conformer sous peine de sanctions disciplinaires, pour insubordination
hiérarchique. Cette instruction vient souvent pour protéger un
ami, une personnalité politique ou un parent. De tels classements
creusent le fossé d'égalité des citoyens devant la loi, et
constituent un facteur criminogène prédisposant ceux
bénéficiant de son application à la perpétration de
la délinquance avec une garantie d'échapper à la
poursuite. Le classement est utilisé comme une mesure d'inapplication de
la loi, d'injustice et donne « souvent le sentiment que la
règle commune, celle qui garantit la sécurité des
personnes et des biens n'est plus respectée, qu'une infraction
dûment constatée, alors même que l'auteur
présumé a été identifié, n'a pas de suite
judiciaire. Un sentiment d'inégalité, d'impunité et
d'insécurité s'ensuit inévitablement108 »
;
- La subjectivité du Procureur de la République
: le pouvoir discrétionnaire reconnu au procureur de la
République est souvent vecteur d'abus. Généralement, dans
l'appréciation des éléments constitutifs de l'infraction,
le procureur n'est pas objectif, il ne prend pas en compte tous les
éléments qui pourraient être pertinents dans la
décision de poursuivre l'auteur présumé de l'infraction,
ou il falsifie la vérité des faits en dressant des
procès-verbaux dans un sens orienté vers le classement sans
suite, ou encore il prend en compte des considérations qui ne sont pas
liées aux faits ou aux principes juridiques, telles que des
considérations personnelles, économiques, politiques, de conflit
d'intérêts ou d'influence extérieures.
Nous remarquons dans bien des cas, le motif du classement est
invoqué de façon parfois étrange par rapport au contenu du
dossier. Il est devenu le moyen utilisé pour
107Royal commission on criminal procedure, Report,
Londres, HMSO, 1981 (Cmnd 8092), pp 144-145 108Idem
33
en sauver des amis, des membres de famille, des personnes
jouissant des appuis politiques, financiers et pour se faire de l'argent. C'est
une source de revenus pour beaucoup de magistrats qui n'ont pas de conscience
professionnelle. Or, « Cette faculté de classement
accordée au Procureur devrait être utilisée avec
réflexion et prudence et exige de sa part des références
éthiques et morales lui évitant de tomber dans l'arbitraire ou la
faiblesse, de donner libre cours à ses préjugés, voire
même de se laisser emporter par la crainte ou l'amitié. Il importe
qu'en toute circonstance, le procureur de la République évite de
donner le sentiment d'impunité au délinquant, le sentiment
d'abandon à la victime et l'impression de laxisme à ses
concitoyens109 ». Le poursuivant ne doit pas mettre en
cause, suivant ses inclinaisons personnelles, partisanes, politiques ou
tribales, la loi de la Nation.
Pour conclure, législateur doit ériger une liste
des critères de classement que le parquet est amené à
utiliser pour chaque décision de classement. L'objectif étant
premièrement d'éviter l'arbitraire, en l'absence de règles
clairement définies. « Une loi préalable ne constitue
une véritable garantie contre l'arbitraire et ne satisfait ainsi
à l'exigence de prééminence du droit que si elle
émane des règles claires et précises110
».
Il faut rendre l'exercice du pouvoir discrétionnaire
public au point que les critères de classement appliqués par le
poursuivant soient connus de tous pour les raisons de transparence et de
pédagogie111. Leur connaissance par le public permettra de
comprendre les raisons pour lesquelles certaines poursuites ne sont pas
exercées. Le fondement de la décision ne doit pas demeurer
cachée. La loi doit être accessible, elle doit indiquer au citoyen
de manière suffisante en quelles circonstances et sous quelles
conditions elle habilite les autorités de poursuite à
décider de poursuivre ou de classer sans suite. Le citoyen doit disposer
de renseignements suffisants sur les normes juridiques applicables à un
cas donné112.
La définition claire des critères de classement
garantit l'égalité de traitement et met le ministère
public à l'abri des accusations de favoritisme.
109Rapport du sénat français, Les
infractions sans suite ou la délinquance mal traitée, op.
cit.
110DESPORTES LAURENCE (F) et LAZERGERS-COUSQUER,
Traité de procédure pénale, Paris, 3e
édition, Economica, 2013, p.154
111Commission de réforme du droit du Canada,
Document de travail 62 Poursuites pénales : les pouvoirs du
Procureur Général et des Procureurs de la couronne, 1990
112 Idem
34
Deuxièmement, cette liste va évidemment
permettre au magistrat d'épingler le plus rapidement possible le motif
adéquat de classement qu'il retient pour justifier sa décision,
et d'uniformiser les pratiques disparates des parquets. Ces motifs vont
traduire, lorsqu'ils sont mobilisés par le ministère public, un
obstacle à la mise en mouvement de l'action publique. Ils doivent
être étrangers à tout jugement subjectif, en ne faisant que
rapporter une réalité juridique objective. Cela éviterait
de tomber dans les classements douteux et problématiques.
PARAGRAPHE 2 : La liberté de choix de la forme et
du délai de classement sans
suite
Il est du pouvoir du ministère public de décider
sous quelle forme sa décision de classement doit être prise
(A) et quand elle doit intervenir (B).
A- Le choix de la forme de classement sans suite
Le pouvoir discrétionnaire reconnu au ministère
public de classer sans suite une plainte le conduit à choisir en toute
liberté de quelle manière traduire son refus de poursuite. Il
exprime son refus de poursuivre de deux manières : par un acte
appelé « avis de classement sans suite » (classement
explicite) ou par un silence (classement implicite).
Le classement explicite est une décision
matérialisée par un écrit, un acte, un imprimé
d'avis de classement sans suite qui énumère les motifs sommaires
non exhaustifs de classement que le parquet peut retenir en le cochant
simplement, et une phrase d'orientation pour la victime qui souhaite
elle-même mettre en mouvement l'action public : « Toutefois,
vous conservez la possibilité d'engager vous-même des poursuites
pénales, soit par voie de citation directe, soit en vous constituant
partie civile devant le juge d'instruction qui fixera le montant de la somme
que vous aurez à consigner113 ». Cette pratique
peut être considérée comme une solution de facilité
car il suffit de cocher un motif pour se débarrasser de l'affaire.
Le classement implicite par contre est traduit par l'absence
d'une réponse, d'une décision en bonne et due forme d'avis de
classement sans suite malgré la plainte
113Cette formule se trouve dans l'imprimé
utilisé par le parquet du Tribunal de Grande Instance de Brazzaville
35
reçue. Il s'agit justement de l'inaction du parquet qui
s'estime dans ses droits de ne pas donner suite à une plainte. Cette
attitude que le ministère public adopte sur certaines affaires nous
laisse dans un questionnement sur les motifs pouvant la légitimer et sur
l'égalité de traitement devant la loi. Elle peut être
interprétée comme quoi, la plainte déposée par le
plaignant n'a pas été traitée, prise en compte et que le
service de la justice ne fait pas suffisamment son travail de lutte contre
l'impunité et ne défend pas assez les intérêts de la
société. Le traitement différentiel signifie que certains
citoyens ont droit à ce que leur cause soit entendue par la justice, et
que d'autres soient marginalisés.
On peut admettre qu'en sa qualité d'administration, le
ministère public a le droit de décider de manière tacite.
Toutefois, il serait difficile de concilier cette réponse silencieuse
avec les dispositions de l'article 28-1 du code de procédure, qui font
obligation au Procureur de la République d'apprécier la suite
à donner à une plainte. La suite à donner est une
réponse à une plainte ou une dénonciation que le
ministère public est tenu de communiquer. L'opportunité des
poursuites ne donne au ministère public que deux options : poursuivre ou
classer sans suite. La décision de poursuite ou de classement doit
être matérialisée par un acte de poursuite ou de
classement.
Quand il décide de poursuivre, le ministère
public matérialise sa poursuite par un acte entre autres le
réquisitoire introductif saisissant le juge d'instruction ou la citation
directe saisissant la formation de jugement. Par contre, lorsqu'il classe sans
suite, il doit normalement matérialiser sa décision par un avis
de classement sans suite. Ne pas le faire est un abus de pouvoir qui
mérite d'être sanctionné. Malheureusement, en pratique, le
ministère public use d'une liberté qui ne trouve son fondement
dans aucun texte de classer une plainte de manière silencieuse au
mépris de l'obligation qui lui est faite de donner une suite. L'inertie
coupable du parquet de répondre à une plainte n'est pas seulement
illégale, mais aussi dangereuse et suspecte.
Tout d'abord, elle laisse la victime dans une expectative
prolongée qui pourrait affecter ses droits d'engager les poursuites ou
l'action civile en raison du risque de prescription qui pourrait frapper son
action. Celle-ci ne dispose pas de voies légales pour contraindre le
ministère public à décider sur sa plainte, sinon que
d'attendre ou d'opter pour d'autres solutions. Le ministère public doit
se garder de victimiser doublement la victime, car cela ne relève pas de
ses attributions.
36
Ensuite, le refus de répondre à une plainte
alimente généralement le sentiment de suspicion de corruption, de
favoritisme dans le chef du ministère public. Il n'y a rien qui justifie
que le parquet brille par une inertie pour remplir un petit imprimé de
classement sans suite, s'il n'existe pas des motifs inavoués et
cachés justifiant son silence. Le magistrat en charge du dossier aurait
du mal peut-être à prendre une décision dont il serait tenu
de cocher un motif fantaisiste qui l'embarrasserait et trahirait son manque
d'impartialité et ses abus.
Enfin, elle peut constituer un déni de
justice114. L'absence de réponse formelle de la part du
parquet tenu de donner suite à une plainte ne saurait s'analyser
à une simple décision d'abandon des poursuites. Selon toute vraie
semblance, il est question de déni de justice de la part du Procureur de
la République, qui refuse d'accomplir un acte relevant de sa fonction,
et empêchant par conséquent, que la cause de la victime soit
entendue par une juridiction qui dira si elle est fondée ou non. Le
ministère public qui joue le rôle de pont entre le plaignant et le
juge est devenu un mur entre le juge et le plaignant.
Dans tous les cas, le problème vient du fait que la loi
n'indique pas sous quelle forme cette décision doit être prise et
rien ne dit si le régime des actes administratifs est applicable en
matière de classement, pour assimiler l'inaction du parquet au refus
d'exercer les poursuites. Cette difficulté soulève en même
temps la question de la liberté reconnue au ministère public de
choisir le moment pour classer sans suite la plainte reçue.
B- Le choix du délai de classement sans suite
La notion du délai de classement renvoie au temps que
le Procureur de la République se donne pour prendre sa décision.
Le parquet n'a pas l'obligation de répondre immédiatement
après le dépôt d'une plainte et la loi ne lui impose pas un
délai de réponse. Le Procureur de la République tout comme
les autres magistrats de l'ordre judiciaire sauf exception prévue par la
loi est soumis à l'exigence du délai raisonnable dans le
traitement des plaintes, qui fait appel à sa conscience professionnelle.
En effet, en vertu de la liberté de décision reconnue au
Procureur de la République, ce dernier
114Le dictionnaire LE ROBERT
définit le déni de justice comme le « refus de la
part d'un magistrat de remplir un acte de sa fonction, de statuer sur un
litige, d'accorder un droit à quelqu'un ».
37
est libre de décider souverainement à quel
moment prendre sa décision. Il peut décider de classer la plainte
sans suite ou de poursuivre les investigations.
La disparité du temps de réponse en
matière de classement s'explique par plusieurs facteurs tels que la
complexité de l'affaire, le nombre de dossiers en attente, les
priorités du tribunal, l'insuffisance du personnel et le besoin
d'enquêtes supplémentaires. Cependant, toutes ces raisons ne
doivent pas justifier le rallongement criant des délais de
décision de classement que nous observons dans certaines affaires ou
l'abstention du législateur d'imposer au ministère public un
délai relativement court pour pouvoir décider.
Il n'est pas équitable d'abandonner au ministère
public l'opportunité de décider quand il veut décider.
L'enquête préliminaire ne doit pas se transformer en instruction
préparatoire ou à la barre qui peut prendre des années, ce
qui est tout à fait normal. Le ministère public ne doit pas se
transformer en juge d'instruction pour chercher à aller au fond des
investigations au mépris de la séparation des fonctions. Le
raisonnement juridique voudrait que, si le dossier parait complexe ou flou, que
le ministère public saisisse le juge d'instruction, spécialiste
en matière de recherche de la vérité. Il est le juge
investigateur qui éclaire les faits paraissant peu claires, complexes ou
insuffisant. Si les faits infractionnels sont clairs et simples et qu'il
n'existe aucun empêchement de poursuite, qu'il saisisse le tribunal par
voie de citation directe. En cas d'infraction récente avec les indices
et les preuves, qu'il opte pour la procédure de flagrant délit.
Donc, il n'y a aucune raison que la décision de poursuite s'étale
au-delà de trois mois.
En général, le Procureur doit disposer d'un
délai de 3 mois pour prendre une décision concernant le
classement ou moins encore la poursuite. Cependant, si l'affaire est plus
complexe ou nécessite des investigations plus approfondies, il est tenu
de mettre en mouvement l'action publique par un réquisitoire introductif
pour lutter contre l'inaction et les abus derrière cette inaction.
Profitant de ce vide juridique, certains parquetiers ne répondent pas
à certaines plaintes pour les raisons que seuls eux connaissent et
surtout qu'il n'existe pas un moyen de pression, ni de contrôle sur eux
pour combattre les mauvaises habitudes jugées déshonorantes pour
la justice.
L'enjeu derrière le voeu de fixer un délai de
trois (3) mois pour étudier la plainte est d'éviter la
prescription de l'affaire dans le bureau du Procureur de la République
qui,
38
en réalité, a décidé de ne rien
faire, en attendant simplement la prescription, et afin de permettre à
la victime d'envisager d'autres voies à sa disposition si elle le
souhaite. Or, le plus souvent, les magistrats véreux et
malhonnêtes s'assoient sur certains dossiers pour exiger une motivation
financière à la victime pour qu'ils fassent leur travail ou pour
les prescrire et empêcher la victime de déclencher elle-même
l'action publique, en la rassurant que sa plainte est en cours de traitement
alors qu'ils sont en conflit d'intérêts.
Nombreux sont des dossiers qui ne reçoivent pas une
suite, le plaignant ou la victime se fatigue après une longue attente et
conclut que la justice est corrompue. Pour remédier à cette
situation honteuse, il est souhaitable que le législateur fixe un
délai de trois (3) mois auquel le ministère public doit
décider sur l'opportunité des poursuites en prenant une
décision formelle de classement s'il y a lieu. S'il ne le fait pas
au-delà de ce délai, une sanction doit être
envisagée. Pour une bonne applicabilité de cette discipline,
chaque dossier doit porter le nom du parquetier qui en a la charge du
traitement, du suivi et de répondre en cas d'un dysfonctionnement.
D'ailleurs, le classement sans suite est une décision
administrative, mais paradoxalement, le ministère public, agissant comme
une autorité administrative n'est pas soumis aux règles
juridiques relatives aux décisions administratives. Il convient de
rappeler qu'en matière administrative, le délai pendant lequel
l'administration est tenue de répondre à un administré se
confond avec le délai du recours pour excès de pouvoir, qui est
de deux mois. En effet, lorsque l'administration est saisie de la demande d'un
administré, celle-ci est tenue de répondre, et le délai
qui lui est imparti pour le faire est de deux mois à compter de la
réception de la demande. Toutefois, le silence gardé par
l'administration pendant quatre mois vaut décision implicite de rejet,
en l'absence de textes contraires115. Cette exception tend à
sanctionner l'inaction de l'administration, au cas où celle-ci
s'abstiendrait à répondre à la sollicitation de
l'administré.
Par analogie avec la procédure administrative, on peut
suggérer que le délai pendant lequel le ministère public
devrait prendre sa décision de classement sans suite ne soit
115Article 407 du code de procédure civile,
commerciale, administrative et financière : « Le silence
gardé pendant quatre mois sur une réclamation par
l'autorité administrative compétente vaut décision de
rejet. En ce cas, le délai de recours commence à recourir
à l'expiration de cette période de quatre mois. Au cas de rejet
explicite de la réclamation le délai court du jour de la
notification de la décision de rejet ».
39
pas de deux mois mais de trois mois à compter de la
réception de la plainte. Mais une question peut se poser, celle de
savoir, quel est le moment qui doit être pris en compte pour
considérer que la plainte a été reçue par le
ministère public, entendu que la plainte peut être
déposée soit à la police ou à la gendarmerie, soit
directement à secrétariat du parquet ? Il faut dire que, peu
importe le lieu où la plainte serait déposée, pourvu que
la victime soit munie d'un récépissé justifiant le
dépôt d'une plainte, si dans les trois mois la victime n'est pas
en possession d'une décision du ministère public, il devra se
prévaloir d'une décision de classement sans suite, car le silence
du ministère public équivaudrait, dans ce cas, à un refus
de poursuivre. Cette mesure serait une véritable limite au pouvoir du
Procureur de la République.
L'imposition du délai de décision est
nécessaire pour empêcher à ce que la victime impatiente
engage plusieurs actions à la fois. Déjà la loi ne fait
pas obligation à la victime de saisir en amont le Procureur de la
République avant de saisir le juge d'instruction ou le juge de jugement.
Il n'existe pas un ordre de priorité d'action, ni l'interdiction
d'exercer de manière simultanée les différentes actions ou
de manière alternée. La nécessité est de permettre
au plaignant qui a déposé la plainte de savoir quand elle peut
envisager d'autres actions.
L'étude de l'absence d'encadrement du pouvoir de
classement sans suite du Procureur de la République et de ses
implications pratiques ayant été épuisée, force est
d'envisager le manque de lisibilité des obligations qui incombent au
ministère public après avoir décidé d'un classement
sans suite et les droits du plaignant de cette décision.
40
CHAPITRE II : LE MANQUE DE LISIBILITE DES OBLIGATIONS
DE L'AUTEUR DU CLASSEMENT SANS SUITE ET DES DROITS DU PLAIGNANT
L'absence de lisibilité des obligations du
ministère public après la décision d'abandon des
poursuites, se traduit par le non-assujettissent de sa décision à
l'obligation de motivation et de notification (Section 1).
Quant à l'absence liée aux droits du plaignant, elle se
lit par l'inexistence du droit de contester la décision de classement
sans suite (Section 2).
SECTION 1 : Le non-assujettissement du classement sans
suite à l'obligation de motivation et de notification
Les décisions de classement sans ne sont pas
assujetties à l'obligation de motivation (Paragraphe 1)
et paradoxalement aussi à celle de notification
(Paragraphe 2).
PARAGRAPHE 1 : L'absence de l'obligation de motivation
du classement sans suite
En l'absence de l'obligation légale de motiver la
décision de classement sans suite, nous allons étudier de quelle
manière le ministère public observe l'exigence de la motivation
(A) avant de s'attarder sur sa nécessité
(B).
A- La pratique liée à l'absence de
motivation dans la décision de classement sans suite
Une des garanties historiques les plus notables face à
l'arbitraire d'une autorité chargée de rendre des
décisions contraignantes, est celle, au côté d'autres, de
l'obligation de motivation. Cette exigence introduit une certaine transparence
dans la décision et empêche que l'autorité adopte une
attitude qui répond exclusivement à ses propres
intérêts. Jean PRADEL souligne : « L'exigence de
motivation conduit à donner plus de transparence à la justice et
réduit le nombre des classements car une motivation pouvant
s'avérer malaisée, une réponse systématique sera
plus fréquente116 ».De ce fait, l'absence
d'exigence de la motivation fait à ce que le
116PRADEL (J), procédure
pénale, op. cit. P.545-546
41
ministère public agisse en fonction de plusieurs
paramètres : les éléments du dossier, les
intérêts en présence, sa subjectivité, ses humeurs
ou des pressions hiérarchiques.
La motivation au sens juridique, constitue l'exposé de
l'ensemble des motifs, c'est-à-dire de l'ensemble des raisons de fait ou
de droit, sur lequel repose une décision. Mais la motivation, c'est
aussi le fait d'exposer les raisons de fait et de droit qui ont conduit le juge
à décider. Autrement dit, la motivation correspond à la
fois à l'exposé des motifs et au fait d'exposer ces motifs : elle
est à la fois action et résultat de cette action117.
La motivation est la marque extérieure de l'opération
intellectuelle à laquelle se livre le juge pour fonder en droit une
décision118. C'est par la motivation de ses décisions
que le juge développe son raisonnement, explique le pourquoi, et donne
les raisons qui l'ont amené à prendre telle ou telle solution.
Pratiquement, en matière de classement sans suite, le
ministère public ne motive pas ses décisions. Elles sont
caractérisées par l'absence de motivation que nous nous trouvons
dans les décisions de justice pour quelques raisons.
Tout d'abord, le Procureur de la République n'est pas
un juge et le classement sans suite n'est pas une décision de justice.
Par conséquent, il ne saurait être soumis à l'exigence
d'une motivation que doit contenir toute décision de
justice119.
Ensuite, le classement sans suite est une décision
relevant du pouvoir discrétionnaire du ministère public qui
signifie absence de contrôle. Néanmoins, pour la transparence
d'une telle pratique souvent sujette aux critiques, le ministère public
devrait se donner la peine de motiver en fait et en droit ses décisions
pour permettre leur compréhension par les intéressés, le
public et barrer la voie à tout soupçon de favoritisme et de
corruption.
L'absence d'observation de cette exigence suscite des
interrogations et des doutes quant à sa légitimité du
classement. L'action publique appartient à la société, et
non pas au ministère public (bien qu'il représente notre
société), il est essentiel que cette prérogative s'exerce
de manière transparente et non opaque.
117GIUDICELLI-DELAGE (G), La motivation des
décisions de justice, Thèse Potiers, 1979, 2 tomes, T.1,
pp.3 et s.
118GIUDICELLI-DELAGE (G), op. cit. p.136
119Art. 53-3 du CPCCAF
42
De plus, d'après certains professionnels, ils ne sont
pas tenus de justifier leurs décisions. Si le plaignant n'est pas
d'accord avec le motif mentionné dans la décision, il peut user
de son droit de mettre en mouvement l'action publique. Cette raison
évoquée reste sujette à débat. Le droit de la
victime d'intenter les poursuites ne devrait pas empêcher au
ministère public de bien remplir correctement sa tâche et de
prendre des décisions convaincantes. Si, parallèlement, le juge
de première instance statuait avec légèreté parce
que la victime disposerait du droit de faire appel de sa décision, le
travail du magistrat serait douteux, bâclé et manquerait de
crédibilité. La capacité d'un bon parquetier doit
être évaluée en fonction de la pertinence de ses
décisions de classement sans suite.
D'ailleurs, la loi n'oblige pas au ministère public de
motiver ses décisions, si bien que le défaut de motivation ou une
motivation erronée n'invalide pas la décision de classement sans
suite. La liberté est donc reconnue aux magistrats du ministère
public, de choisir un motif de manière souveraine, avec tous les risques
d'arbitraire que cette pratique peut entrainer, sans avoir à justifier
les bases de leur décision. Certes, la loi ne fait pas de la motivation
une exigence, il n'en demeure pas moins vrai que la loi ne l'interdit pas non
plus. En tenant compte de la portée de cette décision, qui porte
atteinte au droit d'accès à la justice, au moins du
côté de l'autorité de poursuite, une motivation
s'avère nécessaire pour justifier son refus et expliquer qu'il
n'est pas dicté par les mobiles injustes.
Enfin, si une motivation plus concrète, telle
qu'envisagée lors d'un jugement, est imposée, le ministère
public serait confronté à un accroissement important de travail
difficilement gérable. Ce qui reste contestable aussi puisque les
magistrats du siège sont soumis à cette obligation sans faillir
à leur mission. Manifestement, le ministère public dans ses
décisions de classement se contente simplement d'une motivation formelle
contenue dans un imprimé pour laquelle il n'entend pas engager les
poursuites. Par exemple, l'absence d'infraction, l'impossibilité
d'identifier l'auteur des faits, l'insuffisance de charge, l'obstacle à
la poursuite sans tenir compte de la clarté de l'explication au
plaignant de ses droits, de la précision sur le motif du classement.
Le motif indiqué dans l'avis de classement sans suite
supplée la motivation au sens juridique. Pourtant, le classement sans
suite devrait comporter une véritable
43
motivation. Au lieu de se contenter d'indiquer que le
classement est prononcé pour absence d'infraction, impossibilité
de poursuite, le ministère public devrait préciser les raisons
caractérisant cette absence d'infraction ou l'impossibilité de
poursuite. Cette pratique constituera un contrepoids nécessaire au
pouvoir de classement du Parquet, et participera à
l'idée que, si aucune suite judiciaire n'est apportée par le
Parquet, celui-ci donne cependant une réponse véritable à
la plainte de la victime120.
B- La nécessité de la motivation dans la
décision de classement sans suite
Nul ne saurait contester aujourd'hui la portée de la
motivation et ses nécessités dans un Etat de droit. Si tout
jugement doit rendre compte de la solution donnée au litige et la
justifier en exposant les raisons qui l'ont soutenue, sous la forme de
motivation, il ne doit pas être autrement pour une décision de
classement sans suite où le risque d'arbitraire est élevé
voire décrié. La motivation est une garantie indéniable
attachée au classement sans suite121. Le ministère
public doit justifier pourquoi il a choisi de ne pas poursuivre alors qu'une
infraction a été signalée par une plainte. Cette
justification aura une vertu pédagogique pour la
justice122.
Sans prétendre à l'exhaustivité, la
motivation est d'abord un élément d'information à la fois
pour les parties au litige qui peuvent ainsi apprécier les chances de
succès d'une éventuelle voie de recours mais aussi pour le public
et les autres magistrats. Elle traduit, comme le rappelle le professeur
René Chapus, « une exigence de la démocratie
»123. En agissant au nom de la société, les
parquetiers doivent rendre compte des raisons par lesquelles ils se sont
déterminés pour ne pas poursuivre. La motivation des
décisions apparait comme une nécessité sociologique.
La motivation est identifiée comme un
élément de compréhension en direction des justiciables.
Ils disposent d'un droit de comprendre la décision qui est
rendue124. Une décision de justice est d'autant mieux
acceptée qu'elle est comprise par ceux à qui elle
s'adresse125. La motivation a une dimension pédagogique
à l'égard des justiciables qui veulent comprendre le sens de la
décision. Elle permet au juge de démontrer et de
120Rapport du sénat français, Les
infractions sans suite ou la délinquance mal traitée, op. cit.
121SHANGO OKOMA (J.M), Le classement sans suite en droit
procédural Congolais, op. cit. 122GUILLERMET (C.J),
La motivation des décisions de justice. La vertu
pédagogique de la justice, Paris, L'Harmatan, 2006, p.106.
123CHAPUS (R), Droit du contentieux administratif,
Paris, Montchrestien, 13eme éd., 2008, p. 1062 124OBERDORFF
(H), L'émergence d'un droit de comprendre, EDCE 1992,
n°43, pp.217 et s. 125SAUVEL (T), Histoire du jugement
motivé, RDP 1955, pp. 5-53, spé.p.5
44
prouver126, mais aussi de persuader ou de
convaincre le justiciable qu'il doit finalement accepter la décision
rendue. Elle assure alors une fonction de légitimité qui donne
une force morale aux décisions de justice. Au vue de ses
différentes finalités, la motivation se présente comme un
impératif, un principe obligatoire de bonne justice, un de ces grands
principes dont on dit volontiers qu'il domine le droit127.
L'objectif rationnel de la motivation est de permettre au
magistrat de prouver qu'il applique rigoureusement la lettre de droit,
renforçant par là même l'idée de son entière
neutralité en évitant une justice dominée par une justice
casuistique, partiale et arbitraire. La motivation est nécessaire car
nous avons besoin de croire en une justice impartiale et nier un quelconque
pouvoir créateur de celui qui la rend.
Le magistrat, détaché de toutes les passions,
tentations et autres sentiments humains, est avant tout au service du droit
qu'il applique en toute neutralité, au cas par cas. A une même
situation donnée, la même règle de droit sera
appliquée, assurant ainsi la sécurité juridique des
citoyens. Afin de prouver à ses destinataires que la décision
qu'il rend l'est de manière objective, le magistrat explique la solution
retenue et justifie la décision en la motivant. Ainsi, en motivant sa
décision, le ministère public éloigne tout
arbitraire128.
La motivation est aussi perçue comme un
élément de contrôle. Elle permet le contrôle de la
décision par les parties qui sont en droit d'attendre que la justice
soit rendue mais aussi par les instances supérieures qui doivent
être en mesure d'apprécier le bien-fondé des
décisions. Elle permet de remplir une fonction sociale ainsi qu'une
bonne administration et un bon fonctionnement de la justice129.
Selon un auteur, « la motivation ne peut être conçue
seulement comme un moyen de contrôle institutionnel, mais aussi et
surtout comme un instrument destiné à rendre possible un
contrôle généralisé et diffus sur la manière
dont le magistrat administre la justice. En d'autres termes, cela implique que
les destinataires de la motivation ne soient pas uniquement
126HEGEL (G.W.F), Principes de la philosophie
du droit ou droit naturel et science de l'Etat en abrégé,
Librairie philosophique J. VRIN, 1998, § 222, p.240.
127SAUVEL (T), Histoire du jugement
motivé, op. cit., p.5
128WANDA (M), Essai sur la motivation des
décisions de justice. Pour une lecture simplifiée des
décisions des cours constitutionnels, Revue Annuaire International
de justice constitutionnelle, année 2000/15-1999/pp.35-63
129TARUFFO (M), La motivazione delle sentenze civili,
Padoue, C.E.D.A.M., 1975, pp.406-407.
45
les parties, les avocats et le juge d'appel, mais
également l'opinion publique comprise soit dans son ensemble soit comme
l'opinion de l'un de ses membres130 ».
La motivation de la décision est un principe essentiel
de la procédure. Elle apparait comme un élément de l'Etat
de droit et une garantie de bonne administration de la justice131.
Elle permet de vérifier la qualité du raisonnement du magistrat,
protégeant le justiciable du risque d'arbitraire. « Tout homme
qui a du pouvoir est porté à en
abuser132».
L'exigence d'une motivation suffisante comme gage d'une
décision digne de confiance mérite d'être envisagée
par le législateur congolais, qui est resté muet en abandonnant
aux parquetiers le soin de faire ce qu'ils croient être utiles pour la
bonne administration de la justice, et en exposant les victimes à une
insécurité juridique.
L'obligation de motiver la décision de classement sans
suite va répondre à deux exigences.
La première vise à répondre à la
volonté de transparence de la décision. Il est devenu
indispensable de pouvoir éclairer la décision de classement au
regard de sa motivation et d'ainsi apprécier si le motif est
légitime et bien pensé. Mais aussi d'évaluer si la
décision de classement sans suite répond ou non aux directives de
politique criminelle.
Une autre considération tend à renforcer
l'information de la victime d'une infraction pénale. Le
législateur doit permettre à celle-ci de prendre connaissance des
informations relatives au classement sans suite, non seulement en étant
informée de la décision de classement mais aussi en obtenant le
motif de classement. Ce faisant, la personne ayant déposé sa
plainte pourra adopter une opinion quant à la décision du parquet
de classer le dossier sans suite et, au besoin, décider d'envisager une
démarche devant les tribunaux.
Le parquet doit persuader au mieux le tiers lésé
que, malgré l'intérêt personnel du plaignant de voir
l'infraction être poursuivie, sa poursuite n'est pas opportune compte
tenu de la répercussion sociale ou d'autres considérations. La
décision de classement,
130Ibidem
131PETIT (E), La motivation des décisions
judicaires et l'autorité du juge, disponible sur Cainrn. info
132MONTESQUIEU, De l'esprit des lois, (1748), Paris,
Garnier frères, 1973, (contrib. R. D2RATHE), p. 142.
46
en un mot, doit être en mesure de toujours convaincre au
moins de s'expliquer133. Par ailleurs, l'exigence de la motivation
va de pair avec celle de la notification.
PARAGRAPHE 2 : L'obligation de notification de la
décision de classement sans suite
L'exigence de la notification des décisions de
classement n'est pas observée en pratique de manière rigoureuse
par le ministère public (A), alors qu'elle
présente un intérêt majeur (B).
A- L'observation facultative de l'obligation de
notification en matière de classement sans suite
Par définition, la notification est la formalité
par laquelle on tient officiellement une personne informée, du contenu
d'un acte auquel elle n'a pas été partie, ou par lequel on lui
donne un préavis, on la cite à comparaitre devant un tribunal ou
on lui donne connaissance du contenu d'une décision de justice.
Dans le cadre de notre étude, la notification doit
s'entendre comme la communication de la décision de classement prise par
le ministère public au plaignant. Elle peut être effectuée
par le secrétariat du parquet, en principe par lettre recommandée
avec demande d'avis de réception.
Selon toute vraie semblance, la loi n'oblige pas le
ministère public à communiquer sa décision de classement
sans suite. Cette formalité est pratiquée de manière
facultative. La difficulté résulte parfois du fait que le
ministère public ne matérialise pas toujours son refus de
poursuivre. Il serait incohérent de notifier au plaignant une
décision qui n'existe pas. Cette pratique est dangereuse car elle
démontre à suffisance
133Le législateur doit illustrer la synergie
entre le ministère public et la victime. Dans l'hypothèse
où un délit est classé pour des motifs juridiques et
techniques, le parquet en communique la raison précise au plaignant. Le
législateur escompte, ce faisant, que le tiers lésé
comprenne le bien fondé du classement ; le parquet n'ayant pas d'autre
choix que d'y procéder. Dans l'autre hypothèse, où un
délit est classé pour des motifs d'opportunités,
recueillir l'assentiment du tiers lésé est un peu plus
délicat. Le parquet doit être amené à se prononcer
sur l'opportunité de l'engagement de l'action publique et le plaignant
risque, en effet, d'avoir plus de difficulté à comprendre cette
décision. Il est du devoir du parquet de combler le fossé entre
le citoyen et la Justice par la communication de la décision de
classement et de sa motivation.
47
que le ministère public ne traite pas certaines
plaintes qu'il reçoit, laissant les victimes dans une
incompréhension totale et soif de justice.
La notification signifie que la plainte a été
traitée, la cause de la victime a été entendue et qu'une
décision a été prise par l'autorité
compétente. Le contraire signifie que la plainte a été
classée sans examen, la cause de la victime n'a pas été
entendue par le garant de l'ordre public et par conséquent, elle n'a pas
droit à la justice. Tel est le sentiment que la victime ressent en cas
d'absence de réponse. La notification est en réalité la
réponse du parquet à la plainte déposée par la
victime. En l'absence d'une décision matérielle, c'est difficile
de s'attendre à une notification. Certaines victimes souffrent, se
lassent ou optent pour d'autres solutions, en faisant des allers-retours au
parquet pour s'enquérir de la décision du ministère public
sans suite car aucune décision n'est prise et ne sera prise.
Dans certains cas, une décision peut être prise
sans que la victime en soit informée. Elle reste alors à la
maison, attendant un éventuel appel ou une notification qui ne vient
pas. D'après les informations que nous avons recueillies sur le terrain,
le parquet estime souvent que c'est à la victime de suivre l'avancement
de son dossier plutôt que d'attendre passivement à la maison. Bien
sûr, les victimes doivent être tenues informées de
l'évolution de leurs dossiers, mais certaines se fatiguent après
une longue attente de la décision du ministère public. Cette
situation découle du fait que le ministère public n'est pas tenu
de notifier systématiquement ses décisions et qu'il refuse
d'offrir aux justiciables la transparence nécessaire sur son action.
Cette pratique nuit aux droits de la victime d'être informée des
suites judiciaires données à sa plainte.
D'ailleurs, les obstacles à l'information de la
victime, quant à l'évolution de sa plainte découlent du
fait qu'aucun délai légal n'est défini pour que le
ministère public rende sa décision. Si ce délai
était connu, la victime pourrait se présenter au parquet au
moment fixé par le législateur afin d'exiger une réponse
concernant sa plainte.
Il est en effet curieux de constater que le problème de
communication ne se pose que dans les décisions de classement sans suite
et non dans celles de poursuite. La justification de ce traitement
différentiel réservé à ces deux décisions du
parquet est difficile à établir. Parfois, le manque
d'intérêt du ministère public se manifeste davantage dans
les décisions de classement que dans celles de poursuite. Étant
exempt de toute obligation de notification, le parquetier ne prend pas la peine
de
48
notifier sa décision de classement. Ce manque de
volonté de communiquer la décision pourrait s'expliquer en
partie, surtout lorsque le motif retenu pour le classement est arbitraire,
fantaisiste et dicté par des intérêts personnels
plutôt que juridiques.
Le caractère facultatif de la notification n'est pas
toujours dû à la seule volonté du ministère public.
Il y a bien d'autres raisons qui justifient cette attitude du parquet à
savoir : l'absence des canaux de communication efficaces établis entre
le secrétariat du parquet et les victimes ; le manque de personnel
administratif formé et qualifié pour la notification des
décisions du parquet ; le manque de suivi du dossier par la victime
après une longue attente. Il faut ajouter à ces raisons l'absence
de décision formelle prise par le parquet ; de l'obligation
légale de notification dans les délais bien précis ; de la
conscience professionnelle de certains magistrats chargés de traiter les
plaintes.
La situation décrite illustre l'urgence d'une
réforme pour remédier à l'opacité et aux abus dans
le traitement des plaintes. Il est impératif de rendre la notification
légale, avec un délai maximal de dix (10) jours après la
décision de classement, en utilisant à la fois les canaux
traditionnels et les moyens modernes que la technologie nous offre ( les
réseaux sociaux, l'e-mail et la consultation d'un site web
répertoriant les décisions du ministère public). La
notification doit parvenir à la victime, voire au présumé
auteur, au plus tard quatre mois après le dépôt de la
plainte, étant donné qu'il est nécessaire, que le
ministère public prenne sa décision, dans un délai maximal
de trois mois après le dépôt de la plainte.
B- L'intérêt d'observation de
l'obligation de notification en matière de classement sans
suite
Si nous comprenons que la notification est la communication de
la décision qui a été prise par le ministère
public, il y a lieu de cerner l'intérêt d'observer cette exigence
tant pour le plaignant que pour la victime. L'absence de notification traduit
bel et bien qu'aucune décision n'a été prise, et par
conséquent, les droits de la victime ont été
bafoués par les autorités judiciaires. Il résulte
incontestablement de ce système une insécurité juridique,
car il laisse le prévenu dans l'ignorance de l'issue de la
procédure, dans l'impasse et la reprise de la procédure au
gré du ministère public134.
134LUZOLO BAMBI LESSA (E) et BAYONA BA MEYA (N.A),
Manuel de procédure pénale, op. cit. P.382
49
La nécessité de la communication de la
décision de classement au plaignant répond à l'exigence de
transparence et de clarification des décisions du ministère
public. Elle est importante pour la transparence de la justice, car elle permet
à la victime et à la population de connaitre et comprendre les
raisons pour lesquelles l'affaire a été classée sans
suite. Cela va aider à renforcer la confiance dans le système
judiciaire en montrant que les décisions sont prises avec transparence
et impartialité. L'absence d'obligation de rendre publique la
décision de classement nuit aux intérêts de la victime.
Celle-ci a le droit d'être informée par le procureur de la
République de sa décision de classement sans suite, ainsi que des
motifs l'ayant conduit à prendre une telle décision.
Il doit également l'informer de ses droits pour la
suite éventuelle de la procédure, notamment celui de contester la
décision de classement, de se constituer partie civile devant le
magistrat instructeur, si elle souhaite poursuivre l'affaire devant un
tribunal, de saisir directement la formation de jugement par voie de citation
directe, de saisir le tribunal civil s'il le souhaite pour obtenir
indemnisation pour le préjudice subi en raison de l'infraction ;
même si l'auteur présumé de l'infraction n'a pas
été poursuivi. L'information peut aider la victime à
préparer sa défense si elle décide de poursuivre l'auteur
présumé de l'infraction en justice.
La notification fait courir les délais de recours et
permet à la victime d'accomplir le plus vite possible les diligences
nécessaires pour d'autres actions envisagées. Sans la
notification, aucune action ne pourrait être envisagée.
Néanmoins, compte tenu du silence de la loi, en l'absence d'une
notification, la victime peut saisir une juridiction répressive pour
mettre en mouvement l'action publique d'autant plus que la décision du
parquet n'est pas un préalable à la saisine du juge d'instruction
ou de jugement. L'action de la victime de saisir une juridiction
répressive est indépendante de la décision ou l'attitude
adoptée par le ministère public.
L'absence de notification paralyse la victime et la laisse
dans l'incertitude, surtout dans le contexte pénal où les
infractions peuvent s'éteindre en raison du principe de prescription. Ce
dernier constitue un mécanisme de perte du droit d'agir en justice : un
an pour les contraventions, trois ans pour les délits et dix ans pour
les crimes, sans tenir compte des infractions bénéficiant de
délais d'exception. La loi devrait imposer au procureur l'obligation de
fournir une réponse pénale suite à une plainte,
plutôt que de rester silencieux, ce qui serait préjudiciable
à la victime. Le Procureur devrait
50
informer les plaignants et les prévenus, s'ils sont
identifiés, en précisant les raisons juridiques ou
d'opportunité justifiant sa décision, à l'instar de la
pratique en France135.
Il serait hautement souhaitable de modifier les pratiques du
classement pour permettre une plus grande clarification des décisions de
classement, de leur motivation et des formes de leur notification aux victimes.
Il va falloir que ces décisions soient plus personnalisées, plus
complètes et qu'elles orientent la victime, le cas
échéant, vers d'autres démarches. La question du droit de
recours se doit d'être prise en compte en raison de son inexistence en
dispositif.
SECTION 2 : L'inexistence du droit de recours pour le
plaignant du classement sans suite
Le classement sans suite est une décision insusceptible
de voie de recours de la part du plaignant. Ni la loi, ni la pratique n'admet
la remise en cause de la décision de classement sans suite par voie de
recours administratif ou juridictionnel. Il est essentiel de
s'intéresser au fondement de la méconnaissance de ce droit
(Paragraphe 1) et de tenter par la suite de montrer une
possible discussion face à ce refus (Paragraphe 2).
PARAGRAPHE 1 : Le fondement de l'inexistence du droit
de recours contre le classement sans suite
Deux justificatifs sont avancés pour soutenir la
méconnaissance du droit de recours contre un classement sans suite : son
caractère administratif (A) et provisoire
(B).
A- Le classement sans suite : une décision
administrative
Le caractère administratif de la décision de
classement sans suite est l'une des raisons évoquées pour
justifier l'absence d'admission de voie de recours juridictionnel voire
administratif. Il est admis que le classement n'est pas un acte juridictionnel
mais administratif136. Il n'est donc pas revêtu de
l'autorité de la chose jugée137, si bien qu'il n'est
jamais passé en force de chose jugée.
135Art. 40-2 nouveau du CPP
136Crim., 6 juin. 1952, B.C., n°142 ; 5
Déc 1972, BC., n°375, RSC, 1973, 716, obs J.M- Robert
137Idem
51
Le classement sans suite est une mesure d'administration
judiciaire ne tranchant pas au fond sur les condamnations, pour qu'il fasse
l'objet de contestation devant les tribunaux. Contrairement à une
décision juridictionnelle qui met un terme à un litige, le
classement sans suite ne tranche pas une question juridique, ne crée pas
des droits pour les parties et n'établit pas l'innocence de la personne
poursuivie, ni l'abus de droit du plaignant. Il ne fait que constater l'absence
d'éléments suffisants ou l'inutilité d'engager les
poursuites138 et met fin à l'enquête
préliminaire. Il est hors de question de contester une telle
décision ni devant les tribunaux, ni devant les autorités
administratives.
Il convient néanmoins de nuancer cette approche, au
regard des conséquences que le classement sans suite peut avoir sur le
plaignant, notamment quand il cherche à obtenir réparation du
préjudice subi. Cette décision met fin aux poursuites, du moins
du point de vue du ministère public, au point que si le plaignant n'est
pas informé de ses droits, il peut penser qu'il a reçu une
réponse pénale définitive à sa plainte. De
même, ayant été informé de ses droits, s'il ne
dispose pas des ressources nécessaires pour engager elle-même les
poursuites, et que le ministère public ne revient pas sur sa
décision, le classement prendrait les allures d'une décision
définitive, établissant ainsi l'innocence du
présumé prévenu, au détriment des droits de la
victime.
En absence de garanties légales, le classement serait
une décision fatale pour le plaignant et réconfortante pour le
prévenu. Le dispositif actuel expose en réalité, le
plaignant aux abus irrémédiables du ministère public.
Alors qu'il est toujours possible de remédier, tout au moins dans une
certaine mesure, à la partialité du juge avec les moyens normaux
d'opposition, il n'existe aucune solution contre les déviations du
ministère public qui sont non seulement possibles mais
fréquentes139
D'ailleurs, le classement sans suite ne peut fait l'objet de
contestation car le Procureur de la République n'est pas un juge, mais
plutôt une autorité de poursuite, qui décide en toute
discrétion sur l'engagement des poursuites. La décision de
classement ne peut être remise en cause par une autre autorité
judiciaire. Il revient au ministère public seul le pouvoir de
réviser sa décision prise en toute discrétion. Le
caractère
138L'utilité de l'action publique n'est pas
toujours évidente. Il peut en effet être conforme au bien commun
que le Ministère public n'engage pas de poursuites dans certains cas,
même si la preuve est patente.
139 GIUSEPPE (C), Dépendance ou
indépendance du Ministère Public, dans Conseil de l'Europe,
dir., Le rôle du ministère public dans une société
démocratique, Strasbourg, Editions du Conseil de l'Europe, 1997, 13
à la p. 17.
52
discrétionnaire de la décision signifie
l'absence de contrôle qui s'exerce par voie de recours
hiérarchique ou juridictionnel. Exercer un contrôle transformerait
le pouvoir d'opportunité en un contrôle de
légalité.
Or, il faut souligner tout de même que, le
caractère administratif du classement sans suite ne saurait justifier le
refus de voie de recours. La nature administrative de la décision fait
qu'elle soit soumise au régime des actes administratifs
unilatéraux, sujets aux recours administratifs et juridictionnels. Ce
n'est pas parce que la décision est prise par le ministère public
qui n'endosse pas la casquette de juge, qu'elle ne peut souffrir d'aucune
contestation, alors que les droits des victimes sont en jeu.
B- Le classement sans suite : une décision
provisoire
L'un des attributs de la décision de classement sans
suite c'est son caractère provisoire. Il n'est pas un acte
définitif et irrévocable à la différence d'un acte
de poursuite. Cela signifie qu'il est tout à fait possible pour le
procureur de revenir sur sa décision première et d'exercer des
poursuites, sans avoir à justifier de la survenance de faits nouveaux.
Il ne peut pas être invoqué devant le juge, ni devant une autre
autorité administrative, car il n'est pas une décision
définitive concernant l'innocence du suspect et le mal fondé de
la plainte de la victime.
D'un côté, le prévenu n'a pas à
penser qu'il est mis à l'abri des poursuites car l'action publique peut
être relancée à tout moment au gré du parquet. Son
seul rempart pour noyer ses inquiétudes reste le délai de
prescription. De l'autre côté, la victime ne doit pas se
décourager en pensant que sa plainte n'est pas prise en compte et par
conséquent, qu'elle est jetée dans les oubliettes du parquet,
puisque, à tout moment, le ministère public peut réviser
sa décision. Il n'y a donc aucune raison justifiant une voie de recours
contre une décision précaire, révocable, ne mettant pas
fin à l'action publique, qui peut être rouverte à tout
moment si de nouveaux éléments viennent modifier
l'appréciation initiale du Procureur de la République. «
Le classement sans suite est une décision qui met fin à
l'enquête ou à l'instruction, mais qui n'est pas
nécessairement définitive. Si de nouveaux éléments
sont découverts, l'affaire peut être rouverte, et une nouvelle
enquête ou instruction peut être lancée140
».
140PRADEL (J), Droit pénal
comparé, Paris, 4e édition, Dalloz, 2016,
p.1116
53
Lorsque le parquet décide du classement d'une affaire,
il prend une mesure unilatérale, mais il ne se lie nullement ; Il ne
poursuit pas, mais il garde le pouvoir de poursuivre. C'est si vrai que
lorsqu'il poursuit, il ne doit pas au préalable l'annoncer à
l'inculpé, le seul fait de le citer établit à suffisance
qu'il a décidé de poursuivre.
Le classement sans suite n'est pas un acte juridictionnel qui
dessaisit l'autorité qui l'a pris. C'est une simple mesure
d'administration sur laquelle le parquetier peut revenir à tout moment
proprio motu ou sur ordre du supérieur hiérarchique, soit qu'il
possède des éléments nouveaux éclairant sa
conscience ou susceptible d'entraîner la conviction des juges, soit que
les motifs d'opportunité qui avaient suspendu son action aient
cessé d'exister.
Rappelons que l'action publique appartenant au parquet, organe
hiérarchisé de la puissance publique, tout supérieur du
magistrat traitant le dossier peut, sans ou contre son avis, décider des
poursuites, et ce sans aucune limitation de délai, sauf la prescription
de droit commun. Le classement ne devient définitif que par
l'écoulement du temps de la prescription (interrompu d'ailleurs par les
actes d'instruction)141. L'intervention de la prescription constitue
un coup de grâce contre la poursuite et garantit de la sorte le
caractère irrévocable du classement.
Le caractère provisoire tient également au fait
que la victime peut s'opposer au classement, en mettant elle-même
l'action publique en mouvement142. Le classement sans suite n'est
pas une cause d'extinction de l'action publique et n'interdit pas à la
victime d'engager elle-même les poursuites tant avant la décision
de classement qu'après. Il n'est qu'un acte précaire.
Cependant, la validité d'un classement sans suite peut
varier en fonction des affaires et des éléments en
présence. Dans certains cas, il peut être définitif,
notamment si une expertise ou une enquête complémentaire ont
été réalisées et ont confirmé l'absence
d'infraction pénale, ou si le motif évoqué est d'ordre
juridique (l'extinction de l'action publique, un fait justificatif, une
immunité, l'irresponsable pénale de l'auteur de l'infraction. En
dehors de ces cas, la durée court jusqu'à la prescription de
l'action publique. Le dossier sera donc classé, de façon à
pouvoir éventuellement être ressorti
141RUBBENS (A), Le droit judicaire congolais :
L'instruction criminelle et la procédure pénale, Bruxelles,
1e édition, Tomme III, Larcier,1965, p.357
142Dictionnaire permanant sécurité et
conditions de travail-Poursuites et procédures, février 2021 :
73. Classement « sec » et classement « sous condition »
disponible sur Dalloz Avocats.
soit si le Parquet revient sur sa décision, par exemple
au vu d'éléments nouveaux, soit si la victime se constitue partie
civile143 devant le juge d'instruction ou saisit la formation de
jugement par voie de citation directe.
Bien que soutenu que cette décision n'est pas
définitive, et peut toujours être rapportée, il y a lieu de
noter qu'en pratique, le ministère public ne revient pas souvent sur ses
décisions de classement. Combien même l'affaire peut connaitre un
rebondissement, par exemple l'identification du présumé auteur,
la caractérisation de l'infraction, la constitution des preuves, les
faits reçoivent une qualification pénale, le ministère
public reste toujours libre d'engager ou non la poursuite. Le classement ne
retire pas au ministère public son pouvoir d'opportunité des
poursuites car l'affaire est encore au stade préjudictionnel. Tout
comme, sans que l'affaire ait des éléments nouveaux, il peut
décider de poursuivre. De la même manière que le classement
relève du pouvoir discrétionnaire du Procureur de la
République, de même la relance de poursuite reste à son
pouvoir sauf une injonction venant d'un supérieur hiérarchique.
Dans ces conditions, c'est clair que le classement pourrait se
révéler irréversible.
En considération de ce qui précède, nous
serions tentés de penser que toutes les fois que ce sont les titulaires
d'influences de différentes natures qui sont mis en cause, c'est la
donnée prescription qui est visée par le recours au classement
sous prétexte des raisons d'opportunité, étant entendu que
ces genres de classement sont, pour la plupart des cas, initiés ou
ordonnés par les supérieurs hiérarchiques des magistrats
en charge du dossier ou par l'autorité politique. Donc, le
caractère provisoire n'est pas une raison suffisante pour priver la
victime du droit de contester une décision prise souvent en toute
opacité. En comptant sur la bonne foi du ministère public, c'est
un risque dont on saurait mesurer son ampleur, alors même que la
méconnaissance du droit de recours reste discutable.
54
143BARRICAND (J) et SIMON (A-M), Droit
pénal procédure pénale, Paris, 6e
édition, Dalloz, 2018, P.257
55
PARAGRAPHE 2 : La méconnaissance discutable du
droit de recours contre le classement sans suite
Le refus de reconnaitre à la victime le droit d'exercer
un recours contre un classement ne se justifie pas toujours au regard de la
nature administrative de la décision (A) et de ses
effets (B).
A- Un possible recours en vertu de la nature
administrative de la décision de classement sans suite
Le rejet de voie de recours contre la décision de
classement n'a aucun fondement légal. Tout d'abord, le code de
procédure pénale est muet sur la question, c'est-à-dire ne
l'autorise pas et ne l'interdit pas. En droit, on dit souvent que ce qui n'est
pas interdit est permis. Dans le silence de la loi, étant donné
que la voie de recours est une garantie contre les décisions prises par
les autorités judiciaires, elle ne doit pas être exclue. Ni le
caractère provisoire, ni le caractère discrétionnaire du
classement comme souligné ci-haut ne saurait justifier le rejet de voie
de recours contre cette décision. Sa nature administrative et
unilatérale suffit à reconnaitre à la victime le droit de
la contester légalement.
La question qui vaut la peine d'être posée est de
savoir : quelle est la nature du recours recevable contre un classement sans
suite ? Faut-il admettre un recours juridictionnel ou un recours administratif
? Il est généralement admis que le classement sans suite n'est
pas un acte juridictionnel pour qu'il soit soumis à
l'appréciation d'un juge. Le refus du recours juridictionnel permet
d'éviter l'immixtion du juge dans les fonctions de poursuites en vertu
du principe de la séparation des fonctions judiciaires. Les tribunaux
répressifs n'ont pas qualité d'apprécier la
légalité ou l'opportunité des actes posés par le
parquet.
Au regard de la nature administrative de la décision,
il est de bon aloi que le classement sans suite soit soumis au régime
juridique des actes administratifs unilatéraux notamment le recours
administratif (le recours gracieux ou hiérarchique). Le recours
juridictionnel cependant n'est pas plausible puisque le juge administratif
n'est pas compétent pour contrôler la légalité des
actes pris par le ministère public. Comparativement à la France,
la seule voie de recours à admettre reste hiérarchique devant le
procureur général. Ce dernier reste libre de prendre des
réquisitions aux fins de poursuites « sans que puisse y faire
échec une décision antérieure de classement
56
sans suite144 ». En présence d'un tel
recours, peut-on parler encore d'appréciation de l'opportunité
des poursuites qui par définition échappe à tout
encadrement ? Le contrôle de l'opportunité ne risque -t-il pas de
se fondre dans un contrôle de légalité145?
Le contrôle d'appréciation devrait se faire
à l'égard de son but d'intérêt
général, de ses motifs de droit et de fait, en vérifiant
si l'activité administrative n'a pas commis une erreur manifeste dans
l'appréciation de l'opportunité de ne pas donner une suite
judiciaire à une infraction qui lui a été
révélée146.
Donc, toute personne dont sa plainte a été
classée sans suite devrait former un recours auprès du Procureur
Général contre la décision de classement sans suite prise
à la suite d'une plainte. L'objectif du recours est de contrôler,
d'évaluer l'activité du parquet, le bien-fondé de sa
décision, de redresser les abus. Le Procureur Général, en
recevant le recours, doit apprécier l'opportunité des poursuites
pour infirmer la décision prise en enjoignant le Procureur de la
République par instructions écrites, d'engager les poursuites
sans délai, ou le rejeter dans le cas contraire.
L'admission de cette voie soulève deux problèmes
liés au principe de la subordination hiérarchique qui gouverne le
ministère public et à la cartographie judiciaire congolaise.
Le principe de la subordination hiérarchique veut que
le magistrat inférieur soit soumis à son chef hiérarchique
tel le Procureur de la République est soumis au procureur
général. Ce principe se traduit par deux composantes :
l'obligation de rendre compte et l'obligation de se conformer aux instructions
reçues. Le Procureur de la République travaille sous le
contrôle et la surveillance de son supérieur hiérarchique
à qui il rend compte, reçoit les instructions et s'y conforme. Il
est simple à comprendre que si l'instruction de classer une affaire
venait du procureur général pour des raisons personnelles, le
recours formé contre une telle décision est voué à
l'échec. Il n'y a aucune garantie qu'une décision prise par le
ministère public soit remis en cause par le ministère public qui
est régi par le principe de l'indivisibilité pour ne pas dire de
la solidarité. Il n'est pas sûr que cette mesure réponde
à la crainte des ordres de classement sans suite147.
144 Cass. Crim., 12 mai 1992, Bull. Crim. N°186, D.1992
p.426, note Mayer
145 LE ROY (J), procédure pénale, op. cit.
p. 210
146 THOUROUDE (J), Vers un déclin du principe de
l'opportunité des poursuites, dans Gazette du Palais, 1981,
Doctrine.P.496
147 Ibidem
57
La deuxième préoccupation est liée
à la situation géographique des cours et tribunaux. Pour les
localités qui réunissent à la fois le tribunal de grande
instance et la cour d'appel, cette voie de recours peut être
exercée sans obstacle géographique. Qu'en est-il des
départements qui n'ont pas de cours d'appel comme Impfondo ? Combien le
plaignant faudrait-il payer et quelle distance devrait-il parcourir pour user
de son droit de recours ? Cet obstacle géographique ne faciliterait pas
cette démarche. D'où la nécessité de prendre en
ligne de compte les droits du plaignant en instaurant au sein même de
chaque Tribunal de grande instance une autorité incarnant
l'opportunité des poursuites autre que le ministère public qui
traitera cette question.
B- L'admission de voie de recours en vertu des effets
de la décision de classement sans suite
Lorsqu'une procédure pénale aboutit à un
classement sans suite, cela signifie que le Procureur de la République,
après avoir examiné les éléments de
l'enquête, a décidé de ne pas poursuivre l'auteur
présumé des faits. Il n'existe aucun recours possible pour la
victime contre la décision du Procureur de la République de ne
pas mettre en mouvement l'appareil répressif, alors même que des
éléments de preuve attestent que le suspect a commis une
infraction. La perspective de justice pour certaines victimes se trouve ainsi
assombrie puisqu'elles font rarement recours aux procédés mis
à leur disposition pour enclencher les poursuites. Face au silence du
ministère public ou à sa décision de classement, les
victimes perdent espoir et n'envisagent pas souvent d'initier d'autres
démarches. Généralement, la position du ministère
public est considérée par les victimes comme une décision
fatale qui verrouille l'accès à la justice pénale.
Il est essentiel qu'une telle décision, à
caractère dissuasif et produisant des effets à l'égard des
parties en fonction de la situation qui se présente, soit
attaquée.
Lorsqu'une personne poursuivie n'a pas été
placée en détention préventive pendant l'enquête,
après le classement sans suite, elle devient libre de ses mouvements et
n'aura pas de casier judiciaire mentionnant les faits pour lesquels elle
était soupçonnée. Par contre, quand une personne mise en
cause a été incarcérée pendant l'enquête,
elle sera libérée, sauf si elle doit être maintenue en
détention pour une autre affaire. Dans l'hypothèse où il y
avait des objets saisis, ils doivent être restitués à leur
propriétaire. Cette procédure pose également un
problème si jamais la victime décide
58
de mettre en mouvement l'action publique alors que les objets
saisis pouvant servir d'éléments essentiels de preuves sont
restitués au suspect ; il y a une forte probabilité que le
prévenu prenne la fuite et les objets saisis soient distraits ou
détruits par le suspect ou ses complices. Une telle situation
soulève une inquiétude si le plaignant décide d'engager
les poursuites alors que le prévenu n'incarne pas les garanties de
représentativité et les objets saisis sont déjà
restitués. La liberté devrait être conditionné par
l'épuisement de voie de recours engagée par le plaignant devant
le Procureur Général et la juridiction répressive sous
réserve du respect des droits de la défense.
Pour la victime présumée des faits, le
classement peut être difficile à accepter si elle considère
que les faits ont bel et bien eu lieu, qu'elle n'a pas eu de suite judiciaire,
et le prévenu est mis en liberté. Quand bien même la
victime dispose des garanties légales pour contourner la décision
du ministère public, il est aussi vrai que cette possibilité
n'est pas toujours envisageable en raison du coût financier et des
exigences légales à observer. La plainte déposée au
parquet est une procédure moins formaliste et moins couteuse pour avoir
accès à un juge parce que le ministère public est l'organe
étatique de poursuite qui exerce sa mission avec les ressources
allouées par le gouvernement, pour l'accomplissement de cette
tâche. Par contre, engager une démarche personnelle en se
constituant partie civile devant le juge d'instruction ou saisir directement le
juge de jugement, reste un casse-tête.
Le droit de recours face au classement sans suite reste
nécessaire pour pouvoir obtenir la révision de la décision
prise par le premier magistrat si c'est possible, de vérifier la
transparence dans laquelle, elle a été prise et de respecter le
principe du double degré de juridiction mis en musique par le
mécanisme d'appel. Il constitue une garantie fondamentale des droits des
justiciables, non seulement à l'occasion des déclenchements de
poursuite, mais aussi en cas de classement sans suite, en veillant à ce
que les décisions rendues par le ministère public, qui peuvent
être entachées d'insuffisances, d'erreurs, d'abus, d'arbitraire et
d'injustice, fassent l'objet d'un second examen.
De même, du seul fait de savoir que sa décision
pourrait être reformée par le procureur général, le
Procureur de la République serait incité à redoubler de
zèle et de conscience professionnelle. En plus de son rôle
réformateur, le Procureur Général joue directement un
rôle de surveillance et d'appréciation de la compétence
technique
59
et morale des parquetiers placés sous son
autorité. Ces décisions vont servir d'éléments
d'appréciation des qualités morales et techniques du Procureur de
la République pour sa notation.
Tant que le Procureur de la République disposera seul
du pouvoir de classement sans suite, sans recours possible offert à la
victime pour contrer son silence ou son refus de poursuivre, le spectre du
manque d'impartialité dans le choix des poursuites restera dans les
esprits et hypothéquera toujours l'oeuvre de la justice
pénale148. Néanmoins, la victime dispose de la
possibilité de mettre en mouvement l'action publique, par le
procédé de constitution de partie civile devant le juge
d'instruction ou la citation directe devant la formation de jugement,
forçant ainsi la main au Procureur de la République. Cependant,
cette option ne doit diluer le droit pour la victime de contester la
décision du ministère public et empêcher de réaliser
que ces différents procédés placés entre les mains
de la victime restent tout de même inefficaces pour assurer
l'aboutissement de l'action initiée.
Eu égard à ce qui précède, il
convient de souligner que l'objet du dépôt de plainte par la
victime d'une infraction aux services du parquet de la République vise
avant tout, à d'obtenir le déclenchement des poursuites, la tenue
du procès, le prononcé de la décision, bref une
réponse pénale. Cependant, toutes les plaintes ne conduisent pas
systématiquement à une décision de justice, en raison de
l'opportunité des poursuites dont dispose le ministère public. Il
peut décider d'engager les poursuites ou de classer sans suite.
La décision de classement sans suite relève du
pouvoir discrétionnaire du Procureur de la République. Il
décide en toute liberté du choix du motif, du moment, de la forme
et de la notification de la décision sans pouvoir se justifier alors
que, la motivation permet d'expliquer clairement, précisément et
complètement les raisons pour lesquelles il a décidé de ne
pas poursuivre l'auteur présumé des faits. Bien plus, sa
décision est insusceptible de voie de recours. Ce dispositif permet
certes au ministère public d'agir sans avoir les mains liées, il
ouvre néanmoins une porte aux abus, qui
148 LE GALL (E), L'opportunité des poursuites du
Procureur international : Du pouvoir arbitraire au contrôle
insuffisant, Revue internationale de droit pénal, op. cit.p.504
posent un véritable défi à l'État
de droit et entravent la réalisation des objectifs de prévention
et de répression de la délinquance, qui ne cesse de
croître.
Lorsqu'une affaire est classée sans suite pour des
raisons apparemment arbitraires, floues ou discriminatoires, cela nuit à
la crédibilité du système répressif. Les citoyens
ont le sentiment que la justice pénale est sélective : d'un
côté, il y a ceux qui échappent aux poursuites en raison de
leur pouvoir politique, administratif, économique ou social, et de
l'autre, il y a les victimes du système, qui subissent les
conséquences de la loi pénale de manière implacable.
Enfin, il y a ceux qui ne peuvent obtenir justice parce que le système
judiciaire est débordé, sourd, inaccessible, déroutant,
invisible et illisible149.
Cette situation soulève des questions essentielles sur
l'équité et l'efficacité de notre système
judiciaire. L'exercice du pouvoir discrétionnaire conduisant à
l'abandon des poursuites, loin de toute référence à la
légalité appelle à rechercher une thérapie ou les
pistes pour son amélioration afin de garantir une justice
équitable et transparente pour tous.
60
149Rapport du sénat français «
Les infractions sans suite ou la délinquance mal traitée
» disponible sur https:/
www.senat.fr/rap/r97-513/r97-513-mono.html
61
DEUXIEME PARTIE
LES PERSPECTIVES D'AMELIORATION DU REGIME
JURIDIQUE DU CLASSEMENT SANS SUITE
62
En tenant compte des insuffisances du régime juridique
du classement sans suite qui exposent les plaignants aux abus du
ministère public, et de l'absence des procédures efficaces
pouvant servir d'alternative et de contrepoids au pouvoir de classement du
ministère public, il est nécessaire d'envisager les pistes de
solutions afin de remédier aux faiblesses du système actuel.
Les perspectives envisagées toucheront
l'autorité détentrice du pouvoir d'opportunité des
poursuites et les procédures pouvant servir de rempart contre les
décisions de classement moins convaincantes. Le Procureur de la
république étant un magistrat soumis et défendant les
intérêts d'un pouvoir exécutif, il n'incarne pas les
garanties d'indépendance et d'impartialité150. Par son
pouvoir non règlementé, il peut classer sans suite et sans raison
valable une plainte, et obstrué l'aboutissement des procédures
susceptibles de remettre en cause sa décision par une simple inaction
car elles sont soumises à son empire. Ce qui nous amène à
proposer la redéfinition de l'autorité de l'opportunité
des poursuites jouissant d'une indépendance (Chapitre I)
et le renforcement des procédures susceptibles de servir
d'alternative efficace au classement, en raison de leur inféodation au
pouvoir du ministère public et des faiblesses constatées
(Chapitre II).
150BATONON (C), Etude critique de
l'opportunité des poursuites dans les législations
béninoise et française, Thèse, 2017,
tiré de son résumé
63
CHAPITRE I : LA REDEFINITION DE L'AUTORITE INCARNANT
LE POUVOIR D'OPPORTUNITE DES POURSUITES
Comme souligné ci-haut, le Procureur de la
République ne jouit pas de l'indépendance en raison du principe
de la subordination hiérarchique qui le rattache du pouvoir
exécutif par le biais du ministre de la justice. Pour garantir une bonne
administration de la justice, il sied de mettre sur pied un système dans
lequel le procureur de la République n'a pas la marge de manoeuvre, du
moins, un système où il a une liberté réduite et
limitée. Il reçoit les plaintes et les transmet directement
à un juge indépendant et impartial, qui décide si
l'infraction est constituée ou non151. Ce juge que nous
qualifierons de juge d'opportunité des poursuites appréciera les
plaintes et les dénonciations reçues par le ministère
public et décidera de la suite à donner (Section 1),
alors que le ministère public sera relégué
à sa fonction de poursuite (Section 2).
SECTION 1 : L'instauration d'un juge
d'opportunité des poursuites
Le juge d'opportunité sera une juridiction au sein du
tribunal de grande instance, placée sous le pouvoir de la chambre
d'accusation, qui contrôlera ses actes par voie d'appel. Il aura des
pouvoirs (Paragraphe 1) et des obligations qui tiendront
compte des droits des plaignants (Paragraphe 2).
PARAGRAPHE 1 : Les pouvoirs du juge
d'opportunité des poursuites
Le juge d'opportunité des poursuites exercera ses
pouvoirs qu'après avoir reçu la communication des plaintes de la
part du ministère public. Pratiquement, le ministère public ne se
contentera pas de la transmission des plaintes reçues de la part des
victimes au juge d'opportunité des poursuites, dont les informations
pourraient paraitre insuffisantes. Il sera de son devoir de demander à
la police judiciaire, de lui faire parvenir des renseignements
supplémentaires (la victime, moins bien placée, ne dispose pas
d'une telle possibilité) qu'il juge utile. Apres la réunion des
éléments nécessaires d'appréciation de l'affaire,
il doit procéder à la transmission du dossier
151Idem
64
complet, avec les éléments nécessaires au
juge d'opportunité, qui appréciera la légalité
(A) et l'opportunité (B) des
poursuites.
A- Le pouvoir d'appréciation de la
légalité des poursuites
L'appréciation de la légalité des
poursuites est un exercice qui permet au juge de s'assurer que les poursuites
pénales engagées contre une personne, sont conformes aux lois et
aux règles de procédure en vigueur. Le principe de la
légalité criminelle exige que les crimes et délits soient
légalement définis avec clarté et précision ainsi
que les peines qui leur sont applicables. Au terme de ce principe, l'action
publique ne peut être engagée qu'en vertu d'un texte de loi
existant. En l'absence des dispositions légales qui répriment un
comportement déviant, le juge ne saurait décider de la mise en
mouvement de l'action publique contre une personne152puisqu'il est
tenu de viser le texte de prévention et de répression. Le
classement sans suite demeure la seule option dans cette hypothèse. Le
vide juridique en matière répressive donne des excuses à
l'auteur du fait décrié et paralyse la mise en mouvement de
l'action publique. Une poursuite n'est donc valable que si l'on s'en tient au
principe de la légalité.
L'analyse de la légalité se fait sur des
éléments objectifs. Lorsqu'une infraction sera portée
à la connaissance du juge d'opportunité des poursuites, celui-ci
doit vérifier si toutes les conditions juridiques sont réunies
pour permettre la poursuite de cette infraction. Il doit vérifier
d'abord l'existence de l'infraction, c'est-à-dire rechercher si les
faits qui lui sont présentés comme ayant un caractère
pénal constituent réellement une infraction en les qualifiant
pour voir s'ils tombent bien sous le coup d'une disposition précise de
la loi153. On ne saurait engager une poursuite sans le moindre
soupçon de la commission d'une infraction. Généralement,
les particuliers déposent les plaintes à la police ou au Parquet
pour lui signaler des situations très diverses, dont bon nombre ne
constituent pas des infractions pénales. Ainsi, certains portent plainte
pour solliciter le divorce, d'autres le paiement de leur dette.
Dans le cas où l'analyse juridique des faits
révèle que les éléments constitutifs de
l'infraction ne sont pas réunis, l'ordonnance de classement s'impose,
car toute décision de poursuite conduirait à une décision
de relaxe de la part de la juridiction de jugement
152BAMBA (S.L), Le déroulement du
procès pénal : Essai de droit comparé CONGO/France,
L'Harmatan, 2019, Paris, p.267
153 Crim. 20 janv. 1977, Gaz. Pal. 1977-2-381.
65
qui serait saisie. Il faut éviter d'encombrer le
rôle des tribunaux avec des poursuites que tout magistrat
expérimenté estimerait vouées à l'échec,
parce qu'il existe des éléments de preuve relatifs à
chacun des éléments constitutifs de l'infraction. La
difficulté est que cela suppose qu'il est possible de calculer
mathématiquement les chances de voir la poursuite aboutir, ce qui n'est
pas réaliste. On éviterait malheureusement que certaines
poursuites ne soient pas intentées même si elles devraient
l'être dans l'intérêt public, parce que les chances de
condamnations ne sont pas très grandes. La poursuite doit être
dans une mesure raisonnablement susceptible d'entrainer une condamnation. C'est
dans cette optique que la décision de poursuite ne soulève pas
trop d'inquiétude, du fait qu'elle est prise après avoir cru
qu'il existe des preuves au vu desquelles le juge de jugement pourrait
condamner le prévenu.
La deuxième analyse doit porter sur la
caractérisation de l'infraction. Il ne suffit pas d'alléguer
l'existence d'une infraction. Il faut qu'elle soit suffisamment
caractérisée par ses trois éléments à savoir
légal, matériel et moral. Dans le cas où l'infraction
évoquée est insuffisamment caractérisée et donc
susceptible de conduire à une poursuite débouchant sur une relaxe
ou un acquittement, la règle veut que le doute profite à
l'accusé. S'il apparaît au juge que le délinquant a toutes
les chances d'être relaxé par le tribunal en raison de
l'insuffisance des charges, force est pour lui de classer l'affaire sans
suite.
Dans le cas où les faits constituent une infraction, le
juge doit déterminer s'il n'existe pas des obstacles juridiques
empêchant le déclenchement des poursuites tels qu'une cause
d'extinction de l'action publique, un fait justificatif, une immunité,
l'irresponsabilité pénale de l'auteur, par suite notamment d'un
trouble psychique ou de son état de légitime défense.
Après avoir contrôlé que la situation qui
lui a été signalée constitue une infraction à la
loi pénale et qu'aucun obstacle juridique n'interdit la poursuite, le
juge va devoir décider qui sera poursuivi en qualité d'auteur, de
coauteur ou de complice de l'infraction en question et si les agissements ont
eu lieu avec l'intervention d'une personne morale, il faudra déterminer
si la poursuite s'appliquera aux personnes physiques et à la personne
morale154. En effet, il ne suffit pas d'avoir constaté
l'existence d'une infraction
154 BOULOC (B), Procédure pénale, op. cit.
p.581
66
susceptible d'être poursuivie, il faut également
pouvoir la mettre à la charge de celui qui l'a commise. En cas de
non-identification de l'auteur de l'infraction, la poursuite peut être
considérée comme possible dès l'instant où
l'infraction a été constatée. Il reviendra au juge de
rendre une ordonnance de classement ou de poursuite. En cas d'ordonnance de
poursuite, le ministère public pourrait donc envisager une ouverture
systématique d'information contre x, en espérant que les
investigations menées sur commission rogatoire du juge d'instruction
pourraient conduire à la découverte de l'auteur.
L'appréciation de la légalité peut porter
aussi sur différents aspects de la procédure, par exemple la
compétence du tribunal à connaitre de l'affaire,
c'est-à-dire la compétence d'attribution et la compétence
territoriale en fonction de la qualification retenue ; la
légalité des preuves obtenues dans le cadre de l'enquête ;
la validité de l'acte d'accusation. En cas de constat
d'illégalité, le juge d'opportunité rend une
décision d'irrecevabilité de la poursuite par un classement sans
suite.
L'appréciation de la légalité des
poursuites est une garantie importante pour assurer que les poursuites
pénales sont menées conformément aux lois et aux
règles de procédure. Elle permet de protéger les droits
des personnes accusées et de garantir que la justice est rendue de
manière équitable et impartiale. Apres l'examen de la
légalité de la poursuite, le juge doit se pencher sur la question
d'opportunité des poursuites.
B- Le pouvoir d'appréciation de l'opportunité
des poursuites
L'appréciation de l'opportunité des poursuites
est une garantie importante pour assurer l'équité et
l'efficacité du système judiciaire. Elle permet de concentrer les
ressources judiciaires sur les affaires les plus graves. Toutefois, cette
appréciation doit être effectuée avec prudence et
discernement, afin d'éviter tout abus et partialité. Il sied de
rappeler que le système d'opportunité des poursuites s'oppose
à celui de la légalité de poursuites adopté par
certains pays. Dans ce système, il est organisé une poursuite
systématique de toutes les infractions qui parviennent à la
connaissance du ministère public. Les défenseurs de ce
système lui reconnaissent l'avantage de la certitude de la poursuite et
de l'égalité des particuliers devant la justice sur l'ensemble du
territoire national. Mais à l'opposé du système de
l'opportunité des poursuites, il a à son passif, l'encombrement
des juridictions et, en conséquence, le ralentissement de la
réponse
67
attendue à la suite de l'infraction commise. Or, le
principe de l'opportunité des poursuites donne au magistrat le pouvoir
de classer une procédure sans suite alors même que l'infraction
existe et que son auteur est connu afin de lui permettre d'adapter sa
décision aux situations au cas par cas.
L'appréciation de l'opportunité des poursuites
va permettre au juge de décider s'il est opportun de poursuivre une
personne soupçonnée d'avoir commis une infraction, même si
les preuves sont suffisantes pour justifier la mise en mouvement de l'action
publique. Cette appréciation de l'opportunité
des poursuites doit être basée sur des critères
transparents limitativement énumérés par la loi pour
éviter les abus et faciliter leur utilisation par le juge et leur
contrôle par les citoyens et d'autres autorités judiciaires. En
laissant au juge la latitude de choix d'un motif opportuniste pour justifier
l'abandon des poursuites alors que l'infraction est établie et l'auteur
identifié ne garantit pas la bonne utilisation de son pouvoir. Cela
pourrait accroitre sensiblement le pouvoir du juge parfois au détriment
des victimes d'infractions qu'on condamne dans le système actuel. L'on
voit également le risque d'arbitraire et d'inégalité entre
les particuliers dans la mesure où sur le territoire national, deux
affaires similaires peuvent ne pas recevoir la même réponse en
deux endroits différents pourtant régis par le même
droit.
La faculté de classement en dépit des garanties
qui devraient l'entourer doit être utilisée à bon escient.
Cette faculté de classement qui sera accordée au juge doit
être utilisée avec réflexion et prudence et exige de sa
part des références éthiques et morales lui évitant
de tomber dans l'arbitraire ou la faiblesse, de donner libre cours à ses
préjugés, voire même de se laisser emporter par la crainte
ou l'amitié. Il importe qu'en toute circonstance, le juge évite
de donner le sentiment d'impunité au délinquant, le sentiment
d'abandon à la victime et l'impression de laxisme à ses
concitoyens155. L'appréciation de l'opportunité ne
doit plus être prise comme un pouvoir discrétionnaire mais comme
une compétence liée aux critères définis d'avance
par le législateur. Lorsque la poursuite présente des chances
raisonnables de succès, le juge doit se demander s'il ne serait pas
malgré tout préférable, au regard de
l'intérêt public, de s'abstenir de l'intenter. Les motifs
d'abstention qui nous paraissent raisonnables sont liés à la
gravité de l'infraction, au trouble que la poursuite pourrait
155DROPET (O), Rapport sénat français,
op. cit.
68
entrainer à l'ordre public, la démarche positive
effectuée par le présumé auteur pour les petites
infractions. Autrement, le juge peut classer les infractions de moindre
gravité156, celles dont la poursuite causerait un
préjudice plus considérable, nuisant à la paix sociale que
l'impunité accordée au délinquant157, ou celles
que l'auteur a remboursé la victime.
Attention, de tels classements poseraient des problèmes
s'ils ne sont pas accompagnés des mesures alternatives aux poursuites
sanctionnées par un acte éteignant l'action publique et le droit
de la victime à mettre en mouvement l'action publique. Le classement
n'est pas une solution au litige, mais une mesure administrative provisoire,
révocable, qui n'a pas l'autorité de la chose jugée et
n'empêche pas à la victime d'engager l'action publique, ni au juge
de revenir sur sa décision en cas d'éléments nouveaux
produits par le ministère public. Si le juge ne veut pas que l'ordre
public soit troublé davantage par les poursuites, s'il estime que
l'atteinte portée à l'ordre public est minime, que la
réparation est déjà intervenue, que les faits sont
bénins, il va falloir trouver une solution définitive. Le juge
peut vouloir protéger l'ordre public, mais la victime pour ses
intérêts privés ou le désir de vengeance ne
s'abstiendra pas toujours à engager les poursuites.
Généralement, la victime souhaite d'une part, la
déclaration de culpabilité qui reconnaît la faute de
l'infracteur à son égard et, d'autre part, la condamnation
à une peine par laquelle le coupable sera en mesure de ressentir
à son tour la souffrance qu'il a
généré158.
Il va devoir reconnaitre au juge le pouvoir d'organiser une
médiation159 pour régler la question des dommages
intérêts et éviter que la victime mette en mouvement
l'action
156La gravité de l'infraction pourrait
commander un classement sans suite. Cette considération revêt le
mérite de désengorger les juridictions répressives. Le
juge pénal n'a donc qu'à se consacrer aux affaires qui mettent en
exergue une criminalité d'un niveau assez élevé et qui
appellent une répression exemplaire. En cas de commission d'une
infraction, le juge doit apprécier au regard des éléments
en rapport avec ladite infraction, la valeur positive des poursuites qu'il est
appelé à engager. Ainsi, les infractions qui n'ont pas gravement
troublé l'ordre social peuvent être classées à
l'instar du vol d'un petit biscuit.
157 Il est admis que certaines poursuites pénales
peuvent causer un malaise plus grand et produire un préjudice plus
considérable que le dommage résultant de l'infraction. Il peut
arriver que dans certaines situations, la répression serait plus
nuisible à la paix sociale que l'impunité accordée au
délinquant par le classement. Ainsi, en cas de coups et blessures entre
époux, si les deux antagonistes se sont réconciliés, il
peut être préférable de classer car une poursuite
risquerait de cristalliser le différend et de l'envenimer. Pour
certaines infractions, si l'auteur de l'infraction a spontanément, de
lui-même, remboursé la victime, le juge peut classer. L'exemple de
l'escroquerie au cas où l'escroc a remboursé les choses de
moindre valeur prises.
158YAYA (A), La victime au regard des mutations
contemporaines du procès pénal, disponible sur
www.annalesumng.org
159 En droit français, le procureur de la
République peut préalablement à sa décision sur
l'action publique faire procéder à une action de médiation
entre l'auteur des faits et la victime, si elles donnent leur accord. Si la
69
publique au moment où cela lui semblerait bon. Cette
mesure doit être subordonnée à l'accord de la victime
après une juste et complète réparation. Le juge
appréciera la fourchette de la réparation causée par
l'infraction. Si le juge arrache un accord entre les parties, et que la
réparation a eu lieu, le juge rend une ordonnance de conciliation
éteignant l'action publique. Elle ne peut être remise en cause. Au
cas où l'auteur n'arrive pas à honorer ses engagements dans les
délais, le juge rend une ordonnance de poursuite contre ce dernier. Le
juge d'opportunité n'aura pas que les pouvoirs mais aussi les
obligations qu'il convient d'examiner avec les droits qu'on doit reconnaitre
aux parties impliquées dans la procédure.
PARAGRAPHE 2 : Les obligations du juge
d'opportunité des poursuites et les droits des parties
L'autorité chargée de décider de
l'opportunité des poursuites doit être soumise à certaines
obligations après avoir pris sa décision (A).
Les parties au litige doivent de leur côté
bénéficier de certains droits après la décision de
classement sans suite (B).
A- Les obligations du juge d'opportunité des
poursuites
Le juge d'opportunité des poursuites doit être
une autorité indépendante investie des pouvoirs juridictionnels.
Il sera tenu de traiter les plaintes dans un délai d'un mois
après la réception du dossier venant du ministère public.
La définition du délai de décision permet d'éviter
une lenteur injustifiée qui « érode l'image de la
justice, ronge sa notoriété et peut, si l'on n'y prend garde,
ruiner sa crédibilité160 ». La
décision sur l'action publique doit être prise dans un certain
délai161 pour des raisons de célérité.
Celle-ci est la qualité d'une justice qui ne perd pas inutilement de
temps, et qui se déroule normalement. Elle consiste à avoir un
temps de réaction bref, de nature à faire prendre conscience aux
citoyens victimes, que l'institution judiciaire se préoccupe de leur
sort162.
médiation réussit, procès-verbal est
dressé, dont une copie est remise aux parties. Si l'auteur des faits ne
paye pas à la victime des dommages intérêts prévus
dans la médiation, ce procès-verbal permet à la victime
d'en poursuivre le recouvrement conforment à la procédure
d'injonction de payer. En cas de non-exécution de la mesure, le
procureur de la République engage les poursuites ou met en oeuvre une
autre mesure (Art. 41-1 du CPP).
160Le discours du Président de la
République Denis SASSOU NGUESSO prononcé le 17 janvier 2024
à l'occasion de l'audience solennelle de rentrée judiciaire de la
cour suprême disponible sur
https://gouvernement.cg
161 PRADEL (J), La durée des procédures,
Rev. pénit. avril 2001 ( n° 1 ), p. 148 et s.
162 SEGAUD (J), ESSAI SUR L'ACTION PUBLI, op.cit.
p.109
70
Après l'examen des éléments du dossier,
le juge peut rendre une ordonnance de poursuite ou de classement sans suite. En
cas d'ordonnance de poursuite, il doit la transmettre sans délai au
ministère public qui rédigera l'acte d'accusation et engagera les
poursuites en choisissant l'un des modes de poursuite qui lui parait convenir
dans un délai de dix (10) jours. Cette procédure semble sans
doute la plus juridiquement exacte, puisque le juge ne mettra pas en mouvement
l'action publique. Il reviendra à l'organe de poursuite de le faire en
choisissant la juridiction à saisir.
Le juge sera tenu d'informer la victime de sa décision
de poursuivre y compris du délai imparti au ministère public pour
mettre en mouvement l'action publique. En cas d'inertie du ministère
public, la victime pourrait saisir la chambre d'accusation qui ordonnera les
poursuites immédiates.
Si le juge rend une ordonnance de classement sans suite, il
doit la notifier au ministère public, à la victime et au
prévenu s'il était identifié. Cette ordonnance est
susceptible de recours devant la chambre d'accusation, qui appréciera
son bien-fondé. Seul le ministère public et la victime peuvent la
contester dans un délai de quinze (15) jours après leur
notification. Saisie du recours de l'ordonnance de classement sans suite, la
chambre d'accusation peut confirmer l'ordonnance ou l'annuler. En cas
d'annulation, elle rend une ordonnance de poursuite qui sera
immédiatement transmise au ministère public pour l'engagement des
poursuites. En cas de confirmation, la procédure s'arrête, le
ministère public reprend le dossier qu'il gardera dans ses archives pour
une éventuelle reprise des démarches de poursuite en cas
d'éléments nouveaux jusqu'à la prescription de l'action.
Quant à la victime, elle peut envisager d'autres voies de poursuite ou
la voie civile.
La décision de classement doit être
motivée en droit et en fait pour éclairer la victime et le
ministère public sur les raisons pour lesquelles le juge a
décidé de ne pas poursuivre l'auteur présumé de
l'infraction, et leur permettre d'envisager les voies de recours s'ils le
souhaitent contre ladite décision. L'obligation de motiver les
décisions de justice doit être sacralisée. Nul magistrat ne
peut l'éluder163.
L'adoption de cette obligation répondrait à
l'exigence de transparence. Il est indispensable de pouvoir éclairer la
décision de classement au regard de sa
163 Le discours du Président de la République
Denis SASSOU NGUESSO prononcé le 17 janvier 2024 à l'occasion de
l'audience solennelle de rentrée judiciaire de la cour suprême
disponible sur
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71
motivation. Une autre considération est celle de
renforcer l'information (droit à l'information) des justiciables. Cela
permettra à ces derniers de prendre connaissance des informations
relatives au classement sans suite, non seulement en étant
informés de la décision de classement, mais aussi, en obtenant le
motif de classement. Ce faisant, ils pourront adopter une opinion quant
à la décision du juge et, au besoin, décider d'envisager
de saisir directement les juridictions compétentes164.
La motivation doit être claire, précise et
détaillée, afin de permettre de comprendre les
éléments qui ont été pris en compte par le juge,
dans sa décision de classer l'affaire sans suite, de garantir le respect
des principes de transparence et d'impartialité de la justice, de
montrer que le juge a agi de manière objective et impartiale dans
l'exerce de son pouvoir discrétionnaire.
En outre, pour favoriser l'équité, la
cohérence et l'efficacité de l'action du ministère public,
le législateur doit arrêter des principes et des critères
généraux servant de référence guidant les prises
décisions dans les affaires individuelles afin d'éviter tout
arbitraire et la disparité dans le processus de prise de
décisions. Ces critères éviteront qu'un même genre
d'affaire ne soit pas systématiquement poursuivi dans tel parquet et
classé par tel autre, ou fasse l'objet de types de procédures
dissemblables ou soit encore qualifié différemment. De tels
critères doivent être déterminés de manière
qu'ils puissent jouer effectivement le rôle que l'on en attend, sans
présenter une rigidité telle qu'ils feraient obstacle à la
nécessaire appréciation dans chaque cas d'espèce et en
fonction des situations locales, ou pourraient être utilisés par
les délinquants pour agir impunément en marge du
système.
Pour les classements dictés par les
considérations d'opportunité tels que le caractère
bénin de l'infraction, l'existence d'une réparation faite
déjà par le suspect, la poursuite causerait plus de trouble
à l'ordre public que l'abstention, le juge sera tenu d'organiser une
médiation pour trouver une solution amiable définitive, mettant
fin à l'action publique et civile. Cet accord sera sanctionné par
une ordonnance de conciliation.
Il faut admettre que s'il faut s'en tenir qu'à la
décision de classement sans suite, on oublierait qu'elle ne retire pas
à la victime son droit de mettre en mouvement l'action publique. Il faut
craindre que les considérations prises en compte par le juge ne puissent
pas être du goût de la victime, qui pourrait être
animée par un sentiment de
164SHANGO OKOMA (J.M), Le classement sans suite en
droit procédural Congolais, op. cit.
72
vengeance de voir son adversaire subir la rigueur de la loi.
Donc, si le juge estime que les faits sont bénins, le
présumé auteur a déjà procédé
à la réparation, le délinquant est primaire, il doit
trouver une solution extrajudiciaire, lorsque l'infraction est
constituée et l'auteur identifié.
B- Les droits des parties à la procédure
Les parties qu'il convient de prendre en compte ici c'est le
ministère public, la victime et l'éventuel prévenu. Les
trois parties ont droit d'être informé de la décision
rendue par le juge dans un délai de 15 jours. L'information est un droit
fondamental pour les parties prenantes à une procédure
judiciaire. Elle leur permet de prendre connaissance de la décision qui
a été rendue par le juge. Elles ont un droit à une
décision bien motivée justifiant les poursuites ou le classement
sans suite. L'ordonnance de classement ne doit plus avoir une motivation
formelle épinglant un motif de classement sans aucune justification,
laissant les victimes dans une incompréhension totale, et parfois dans
un questionnement assourdissant. Or, la justice doit, par la pertinence de ses
décisions, convaincre, rassurer, sécuriser, bref, montrer son
utilité165. La garantie et la sécurité
juridique et judiciaire ne peuvent résulter que de la pertinence des
décisions rendues en toute matière166.
En devenant une décision de justice, le classement sans
suite doit expliquer aux parties le motif de classement et les raisons qui le
soutiennent pour qu'elles comprennent. La clarté et la précision
de la motivation vont déterminer la bonne attitude que les parties
doivent adopter, inspireront une confiance en la justice, et il y aura de moins
en moins de recours aux procédures alternatives au classement sans
suite, si les parties comprennent bien la quintessence de la
décision.
La décision de poursuite doit indiquer le délai
durant lequel l'action publique doit être mise en mouvement par le
ministère public, pour aider la victime à se préparer et
le prévenu à préparer sa défense. S'agissant de la
décision de classement, elle doit indiquer le délai d'appel et la
juridiction compétente ; orienter la victime vers d'autres
démarches, notamment la saisine du juge civil si elle souhaite obtenir
uniquement la réparation des dommages subis, ou mettre en mouvement
l'action publique, en se
165 Le discours du Président de la République
Denis SASSOU NGUESSO prononcé le 17 janvier 2024 à l'occasion de
l'audience solennelle de rentrée judiciaire de la cour suprême
disponible sur
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166Idem
73
constituant partie civile devant le juge d'instruction ou en
saisissant directement la formation de jugement par voie de citation
directe.
Les parties ont droit à un appel. Ce droit d'appel sera
réservé au ministère public et à la victime en cas
de classement sans suite dans un délai de quinze (15) jours devant la
chambre d'accusation. La décision de poursuite sera insusceptible de
voie d'appel, étant donné qu'elle est considérée
comme le principe et ne présage pas une condamnation. En cas d'abus dans
la décision, les juridictions de jugement voire de cassation pourraient
la corriger. Par contre, la décision de classement doit faire l'objet
d'appel, car il met fin à une procédure dirigée contre une
personne soupçonnée d'avoir troublé l'ordre public et
violé les droits de la présumée victime. Dans la mesure
où une telle décision est entachée d'erreurs ou d'abus,
elle serait encourageante pour le présumé auteur et
décevante pour la victime.
La victime aura le droit d'obtenir réparation pour des
classements pour inopportunité des poursuites pour la
préservation de l'ordre public et bien d'autres motifs sans pouvoir
saisir une juridiction civile. Elle ne sera pas obligée d'accepter cette
offre qui doit se faire de manière consensuelle.
Le prévenu a le droit d'être libre s'il
était détenu. Il peut rester en détention en cas
d'imminence de la saisine du juge par la victime tout en sachant que la
liberté peut être sollicitée en tout état de cause.
Le juge doit l'informer de la possibilité qu'à la victime de
relancer les poursuites. Il doit rechercher les garanties de
représentativité du prévenu si la victime ambitionne
d'engager elle-même l'action publique. S'il y avait des objets des tiers
saisis, le juge doit les restituer si aucune autre démarche est
envisagée par la victime. Dans le cas contraire, il faut les confisquer
pour éviter qu'ils soient dissimulés ou détruits en cas de
la mise en mouvement de l'action publique par la victime. Le ministère
public qui perd son pouvoir d'opportunité des poursuites ne reste pas en
marge des poursuites. Il sera relégué à ses fonctions de
poursuite.
SECTION 2 : La relégation du Procureur de la
République à la fonction de poursuite
Il n'est pas aisé pour les magistrats du
ministère public de consentir à la perte de leur pouvoir comme
souligne le rapport du sénat français. « Il n'est pas
question, bien entendu, de céder à quiconque la moindre parcelle
de nos attributions légales, ni de
74
transiger avec l'exercice de l'action publique qui ne se
partage pas. Mais nous ne voulons pas pour autant nous priver de la
possibilité d'agir en connaissance de cause dans la plénitude du
pouvoir d'opportunité que nous confère la loi167
». Peu importe l'hostilité affichée par les magistrats
du parquet, cette évolution vaut la peine d'être soutenue, puisque
le Procureur de la République n'incarne pas les garanties d'une justice
indépendante et impartiale dans ses décisions de poursuites.
Dans le souci de protéger l'institution judiciaire
contre tous les comportements pouvant nuire à son image, à son
rayonnement et à sa bonne considération168, il parait
nécessaire de confier les pouvoirs d'opportunité des poursuites
à une autorité judiciaire indépendante, soumise à
l'autorité de la loi169, et de confiner le ministère
public à l'obligation de poursuite (Paragraphe 1), qui
a une portée très significative (Paragraphe
2).
PARAGRAPHE 1 : La soumission du ministère public
à l'obligation de poursuite
La poursuite est un « acte procédural par le
quel une partie à la procédure, exerçant son action,
saisit une juridiction d'instruction ou de jugement, ouvrant ainsi le
procès pénal170 ». Pour mieux remplir sa
mission de poursuite, le ministère public ne doit être soumis
qu'à l'exigence de poursuite en lui retirant la liberté
d'appréciation de poursuite qui est souvent mal utilisée.
L'exécution de cette obligation doit rester tout de même soumise
à certaines conditions (A), pour sa mise en oeuvre
(B).
A- Les conditions d'exécution de l'obligation de
poursuite
Le Procureur de la République en perdant son pouvoir
d'appréciation et d'initiative de poursuite, il garde tout de même
sa posture d'autorité de poursuite conformément à la loi.
L'obligation de poursuite est conforme à la mission naturelle
dévolue au ministère public à la différence des
missions d'instruction et de jugement confiées à d'autres organes
de la justice pénale. Il n'est pas équitable de confier au
ministère public le pouvoir de classer sans suite les affaires
pénales ; ce qui va à l'encontre de ses
167HAENEL (H), Les infractions suites ou la
délinquance mal traitée, disponible sur
https://www.senat.fr
168 Le discours du Président de la République Denis
SASSOU NGUESSO prononcé le 17 janvier 2024 à l'occasion de
l'audience solennelle de rentrée judiciaire de la cour suprême
disponible sur
https://gouvernement.cg
169L'article 168-2 de la constitution du 25 octobre 2015 dispose :
« Les juges ne sont soumis, dans l'exercice de leurs fonctions,
qu'à l'autorité de la loi ».
170GUINCHARD (S) et BOUISSON (J), Procédure
pénale, op. cit. p.961
75
missions entant qu'organe de poursuite et non de jugement.
« Le Procureur de la République procède ou fait
procéder à tous actes nécessaires à la recherche et
à la poursuite des infractions à la loi
pénale171 ».
Comme à l'accoutumée, il recevra les plaintes et
les procès-verbaux relatifs aux infractions172. Apres avoir
réuni les informations nécessaires relatives au dossier de la
procédure, il le transmet dans un délai de deux mois,
après la réception de la plainte, au juge d'opportunité
des poursuites, qui appréciera et décidera de la suite à
donner. Ce mécanisme n'est pas loin de celui prévu pour la
poursuite des magistrats. Quand un magistrat est mis en cause dans une affaire
pénale, le Procureur de la République qui reçoit une
plainte n'a pas à apprécier l'opportunité des poursuites.
Il transmet immédiatement le dossier au bureau de la Cour suprême
qui apprécie l'opportunité des poursuites.
De même, en recevant une plainte, le Procureur de la
République doit transmettre le dossier à un juge qui
décidera des suites judiciaires. Cette attribution reconnue à ce
juge renvoie à l'activité visant à décider de faire
usage ou non de la possibilité juridiquement reconnue de s'adresser
à un organe détenteur de la juridiction pénale pour qu'il
tranche en droit une prétention émanant du droit de punir. S'il
estime que toutes les conditions de recevabilité de l'action publique
sont réunies, qu'elle parait bien fondée et qu'elle est
opportune, il va rendre une ordonnance de poursuite, sans engager
lui-même les poursuites. Il doit renvoyer le dossier au ministère
public qui formule l'acte d'accusation et prend seul la décision sur la
mise en mouvement de l'action publique dans un délai bien circonscrit
par la loi.
Ce dispositif va permettre d'alléger la tâche du
ministère public qui doit se consacrer aux poursuites, et
d'éviter qu'il soit à la fois juge et partie et choisisse les
adversaires avec qui se battre sur le terrain judiciaire et les victimes
à défendre. Cette mission dévolue à un personnage
judiciaire indépendant fera à ce que le ministère public
assume sa mission de partie au procès, en laissant la décision de
poursuite à un autre acteur qui sera neutre et ne prendra pas part au
procès au nom du principe de la séparation des fonctions
judiciaires.
171Article 29-1 du CPP 172Article 28 du
CPP
76
Le juge d'opportunité des poursuites assume la fonction
de décision sur la mise en mouvement et l'exercice de l'action publique,
alors que le Procureur de la République engage les poursuites et exerce
l'action publique devant les tribunaux. Cependant, l'exercice par le
ministère public de sa mission doit rester soumis à deux
conditions : l'ordonnance de poursuite et le respect du délai
imposé par la loi.
Le Procureur de la République ne peut engager les
poursuites qu'après avoir reçu une ordonnance de poursuite. Il
sera tenu d'engager les poursuites sans pouvoir se questionner sur
l'opportunité des poursuites, une fois que l'ordonnance de poursuite est
portée à sa connaissance. L'ordonnance de poursuite rend les
poursuites légales et oblige le ministère public à mettre
l'action publique en mouvement et à l'exercer. En lui retirant le
pouvoir d'apprécier l'opportunité des poursuites, il reste
l'accusateur public qui exerce l'action publique après l'avoir mise en
mouvement.
Il sied de rappeler que le ministère public est le seul
organe chargé d'exercer les poursuites devant les tribunaux et de
requérir l'application de la loi au nom de la société.
« Le ministère public exerce l'action publique et requiert
l'application de la loi173 ». Il ne peut valablement
refuser de le faire. Lorsque le juge rend une ordonnance de poursuite, le sort
réservé au délinquant ne relève plus de
l'appréciation du ministère public, car la décision ne lui
appartient plus. Il lui appartient de saisir une juridiction répressive,
de requérir sans pouvoir arrêter l'action publique, et au juge de
décider. <<De ce que l'action publique appartient à la
société et que le ministère public n'en a que l'exercice
et non la disposition, il ressort que le ministère public n'a pas le
droit d'arrêter les poursuites174»
Le Procureur de la République aura l'obligation de
prendre sa décision relative à la poursuite dans un délai
de dix (10) jours. Cela contribuera à la célérité
procédurale et à la lutte contre l'inaction injustifiée du
ministère public.
B- La mise oeuvre de l'obligation de poursuite
« La poursuite est l'exercice de l'action publique ;
elle consiste à saisir d'un fait la juridiction répressive
compétente ou à requérir un juge d'instruction afin qu'il
instruise ; elle consiste encore à requérir tout au long de la
procédure et éventuellement à
173Article 19 du CPP
174RUBBENS (A), Le droit judicaire
congolais : L'instruction criminelle et la procédure pénale,
op. cit. p.360
77
exercer des voies de recours contre les décisions
rendues175. » La poursuite peut donc être
envisagée ici dans sa dimension matérielle, c'est-à-dire
comme une suite d'actes ordonnés en vue du déclenchement et de
l'aboutissement du procès pénal. « La poursuite n'est
pas autre chose que l'aspect dynamique de l'action publique, envisagée
à la fois dans sa mise en oeuvre et dans son exercice176
»
Le ministère public n'étant plus libre de
déclencher les poursuites sans l'ordonnance du juge d'opportunité
des poursuites, il reste soumis à l'impératif d'engager les
poursuites dans un délai de dix (10) jours. L'ordonnance de poursuite
n'imposera pas au ministère public le procédé de
poursuite. Il reste libre de rédiger l'acte de poursuite qui saisit
nécessairement un juge et de choisir le procédé ou «
le mode de poursuite177 » qui lui parait raisonnable
et le plus adapté à la nature et aux circonstances de l'affaire
pour poursuivre le délinquant. Le choix qu'il effectue est laissé
à sa libre appréciation178. En toute hypothèse,
qu'elle consiste à saisir une juridiction d'instruction ou de jugement,
la poursuite ne peut être opérée sans un acte qui, mettant
en oeuvre l'action publique, comporte mention des faits reprochés
à une personne dénommée ou non, des infractions que ces
faits paraissent constituer, des textes d'incrimination et de répression
qui les prévoient, en jonction du dossier de procédure sur lequel
cette poursuite est fondée179.
Le Procureur de la République peut utiliser deux
procédés pour engager les poursuites. Il peut solliciter
l'ouverture d'une information via un réquisitoire afin d'informer (dit
également réquisitoire introductif d'instance) qu'il adresse au
juge d'instruction. Le réquisitoire décrit les faits
reprochés, précise l'infraction qu'ils semblent constituer et
mentionne, autant que faire se peut, l'identité des personnes
poursuivies, il peut être délivré contre x. Notons que le
procédé de l'information est le seul moyen possible de mettre en
mouvement l'action publique lorsque l'auteur de l'infraction est inconnu.
L'effet essentiel de l'utilisation du procédé de l'information
est de saisir le juge d'instruction et de mettre en mouvement l'action
publique.
Pour les affaires simples et peu importante, elles peuvent
être portées à l'audience par voie de citation directe,
mais les affaires délicates ne peuvent venir utilement devant
175FRANCHIMONT (M), Manuel de procédure
pénale, op. cit. p.59
176 MERLE (R) et VITU (A), Traité de droit criminel.
Procédure pénale, op. cit. n°1051
177 Crim. 27 avril 2011, N° de pourvoi : 11-90011
178 Crim. 26 avr. 1994, Bull. n°149.
179 GUINCHARD (S) et BOUISSON (J), Procédure
pénale, op. cit. P. 984
78
la juridiction de jugement qu'après que la
lumière ait été suffisamment faite sur les circonstances
de l'infraction et sur la personnalité du délinquant.
L'instruction définitive qui se fait à
l'audience même ne saurait suffire à éclairer ces points,
et une « instruction préparatoire » apparait
nécessaire. Grâce à l'instruction préparatoire, la
juridiction de jugement peut se prononcer dans les meilleures conditions tant
sur la culpabilité que sur la peine. Grâce à elle on
évite d'envoyer devant cette juridiction des affaires douteuses qui se
termineraient par un acquittement fâcheux pour le prestige des
autorités publiques ; on évite également le
désagrément d'une comparution en audience publique à des
personnes injustement soupçonnées. En effet, le juge
d'instruction, après une instruction menée de façon
objective, appréciera s'il en résulte contre
l'intéressé des charges suffisantes pour justifier son renvoi
devant la juridiction de jugement.
Le deuxième procédé, c'est la citation
directe qui consiste, comme son nom l'indique, à saisir directement
(sans passer par la phase de l'instruction préparatoire) la juridiction
de jugement. Elle se présente sous la forme d'un exploit d'huissier
délivré à la requête du Procureur de la
République et citant le prévenu à comparaitre devant la
juridiction de jugement pour s'entendre condamner aux peines prévues par
la loi. Cet exploit doit mentionner le détail des faits reprochés
et les dispositions légales sous le coup desquelles ils tombent. La
citation directe a pour effet de saisir la juridiction de jugement.
L'exigence faite au ministère public de poursuivre
automatiquement après l'ordonnance de poursuite, selon un
procédé de poursuite librement choisi, dans un délai de
dix jours, contribuera à la transparence de la procédure et
empêchera au ministère public de faire trainer les dossiers dans
son parquet pour nuire aux victimes. Cette obligation de poursuite a une
portée très significative.
PARAGRAPHE 2 : La portée de la soumission du
ministère public à l'obligation de poursuite
L'obligation de poursuite imposée au Procureur de la
République tend à protéger son indépendance
(A) et la victime face aux immunités du Procureur de la
République (B).
79
A- La protection de l'indépendance du Procureur de
la République
L'obligation de poursuite conditionnée par l'ordonnance
de poursuite représente une garantie pour l'indépendance du
Procureur de la République à l'égard de l'exécutif.
L'indépendance du ministère public du pouvoir exécutif est
certainement la condition essentielle, aux fins d'une administration correcte
de la justice et de l'application pertinente de la loi pénale. Elle
apparaît encore plus nécessaire que celle du juge puisque, alors
qu'il est toujours possible de remédier, tout au moins dans une certaine
mesure, à la partialité du juge avec les moyens normaux
d'opposition, il n'existe aucune solution contre les déviations du
ministère public qui sont non seulement possibles mais fréquentes
s'il est sous la dépendance du pouvoir exécutif180
L'indépendance renvoie à la situation d'un
organe public auquel son statut assure la possibilité de prendre ses
décisions en toute liberté et à l'abri de toutes
instructions et pressions inacceptables, qu'elle implique que le magistrat
n'ait rien à craindre ni à désirer de personne.
L'indépendance du Procureur doit s'entendre comme une
nécessité à l'égard des pressions qui pourraient
s'exercer sur lui.
Or, l'organisation pyramidale du ministère public
traduisant le lien de subordination hiérarchique ne permet pas au
Procureur de la République de travailler en toute indépendance.
Au sommet de la hiérarchie, figure le ministre de la justice qui, s'il
n'appartient pas au parquet, a autorité sur ses membres et
possède le pouvoir de contrôle, de surveillance181 et
leur adresse des injonctions182. « Le ministre de la
justice n'est pas officier du ministère public. Il ne peut effectuer par
lui-même les actes de poursuite ; il ne possède pas la
capacité d'exercer l'action publique ; il se borne à prescrire au
fonctionnaire compétent de la mettre en mouvement. Le ministre n'a qu'un
droit de direction purement administrative, qui n'agit, ni sur la
validité, ni sur l'omission des actes qui sont de la compétence
des agents du parquet. L'action publique, on le répète, ne lui
appartient pas ; il enjoint uniquement à la personne compétente
de faire les diligences nécessaires183». Plus
précisément, le ministre de la justice a autorité
180 GIUSEPPE (C), « Dépendance ou
indépendance du Ministère Public », op. cit. p. 17.
181 L'art. 1 du décret n°99-88 du 19 mai 1999 portant
attributions et organisation du ministère de la justice
182HELIE (F), Traité de l'instruction criminelle ou
théorie du code d'instruction criminelle, Bruxelles, tome II,
Bruylant-Christophe, 1867, p.302, montre qu'« au faîte de
l'institution du ministère public est placé le ministre de la
justice, non pour participer à l'exercice de l'action publique, mais
pour le surveiller ; non pour prendre part aux actes des poursuites, mais pour
les maintenir dans les termes de la loi, et, au besoin, pour les provoquer
». 183 BRAAS (L), Précis de procédure
pénale, Bruxelles, 3e édition, H.
Vaillant-Carmanne, 1956, p.51
80
directe sur le procureur général près la
Cour suprême et sur les procureurs généraux près les
cours d'appels184, et ces derniers ont autorité sur les
procureurs de la République placés sous leur ressort.
Si la pratique nous enseigne le contraire, le Ministre de la
justice n'a pas en principe un droit de veto, consistant à
empêcher l'exercice de l'action publique. L'on estime en effet que
l'ordre de poursuivre ne préjuge rien car l'exercice de l'action
publique peut aboutir à l'acquittement : la justice aura éclairci
la situation. En revanche, les conséquences de l'interdiction des
poursuites sont autrement plus graves car en ce cas, l'autorité qui
interdit se substitue à la fonction Juridictionnelle et absout le
coupable sans qu'aucune garantie ne soit donnée à la vindicte
publique.
Le ministre de la justice peut, pour une affaire
particulière, enjoindre au procureur général d'une cour
d'appel d'engager les poursuites ou de prendre telles ou telles autres
réquisitions185. Toute désobéissance d'un
membre du parquet aux instructions n'entraîne pas
l'irrégularité des actes, mais l'expose à des sanctions
disciplinaires186.
Le Procureur de la République peut se voir
obligé de déclencher l'action publique ou de classer sur l'ordre
d'un supérieur hiérarchique187. Toutefois, la grande
difficulté réside en ce que les supérieurs
hiérarchiques ne peuvent pas se substituer au Procureur de la
République en cas de refus d'obéir. C'est dans ce sens que
GARREAUD fait remarquer : « Les liens qui unissent entre eux les
membres du ministère public ne donnent pas de plein droit à
chaque magistrat supérieur, le droit de faire, par lui-même et en
son nom les actes attribués aux agents immédiatement
placés sous ses ordres188.
Disons cependant que le refus du Procureur de la
République face aux instructions du garde des sceaux par exemple est
sans doute illusoire dans la pratique. Une pareille
184 Art. 24 du CPP dispose : « Le ministre de la
justice peut dénoncer au Procureur général les infractions
à la loi pénale dont il a connaissance, lui enjoindre d'engager
des poursuites ou de saisir la juridiction compétente de telles
réquisitions écrites que le ministre juge opportun
».
185 Les membres du Parquet sont
hiérarchiquement dépendants du pouvoir exécutif, à
ce titre, ils peuvent recevoir des instructions du ministre de la justice et
doit les exécuter. Ils peuvent, par exemple, recevoir du ministre de la
justice, l'ordre d'intenter des poursuites à la suite de certains
agissements. Dans une telle hypothèse, le ministère public qui
dispose de l'opportunité des poursuites n'a pas à
apprécier lui-même l'opportunité des poursuites.
186Art. 28 de la loi 15-99 du 15 avril 1999, modifiant et
complétant certaines dispositions de la loi n°023-92 du 20
août 1992 portant statut de la magistrature
187Art. 24 et 25 du CPP
81
résistance n'est guère vraisemblable et en
admettant même qu'elle se produise, elle n'en serait pas moins
préjudiciable au Procureur de la République. En effet, le
procureur général et le ministre de la justice disposent des
moyens légaux pour faire assurer la discipline hiérarchique : le
premier par le biais de la notation et le second par le biais du conseil
supérieur de la magistrature. A ce conseil, le ministre de la justice
assure la vice-présidence. C'est sur ses propositions que les magistrats
sont nommés, affectés, avancés et sanctionnés. Pour
craindre toutes représailles face à celui qui dispose des
pouvoirs discrétionnaires de mutations et de sanctions, le procureur de
la République ne peut que se conformer aux instructions.
Le Procureur de la République, soumis aux pressions et
injonctions de ses autorités hiérarchiques, le Procureur de la
République n'est pas libre de décider en toute
indépendance et objectivité. Il peut recevoir les instructions
lui ordonnant de poursuivre une affaire où le dossier est vide, contre
ses convictions pour ternir l'image d'un adversaire politique par exemple, le
faire trainer en justice ou le placer injustement en prison, en attendant le
jugement.
Il peut tout de même recevoir les injonctions de classer
une affaire criminelle pour sauver un ami ou un membre de la famille alors que
toutes les conditions de poursuite sont réunies au mépris des
droits de la victime. BOULOC affirme qu'il « est possible que le
Procureur de la République reçoive les instructions tendant au
classement, alors que son sentiment personnel le poussait à prendre une
décision de poursuite. Plus fréquent il peut arriver qu'il se
voie ordonner de déclencher l'action publique alors qu'il estimait la
poursuite peu fondée ou inopportune189 ».
Le Procureur de la République, autorité
chargée de lutter contre l'impunité et de veiller au respect de
l'ordre public est devenu un instrument du pouvoir politique à travers
lequel, il peut s'en servir pour dicter la direction qu'une affaire
pénale doit prendre, en détournant cet acteur judiciaire de sa
mission et de son éthique.
L'actuel système qui a fait et continue de faire
beaucoup de victimes fait honte au système répressif et nuit au
principe de l'indépendance reconnue au magistrat par la
189 BOULOC (B), procédure, op. cit. p.593
82
loi190, et à celui de l'indépendance
du pouvoir judiciaire vis-à-vis du pouvoir
exécutif191. Il est hors de tout doute que les injonctions de
poursuivre ou de ne pas poursuivre deviennent les « manettes du pouvoir
» pour que la trajectoire de l'appareil judiciaire soit plus à
gauche ou plus à droite.
Avec l'obligation de poursuite, les instructions souvent
intéressées visant les affaires individuelles, n'auront plus leur
raison d'être puisque la décision de poursuite ou de classement
relèverait maintenant d'un autre organe. Il ne pourrait que recevoir les
dénonciations de la part de ses supérieurs et non les
instructions de poursuite ou de classement. En retirant au ministère
public le pouvoir de décision sur l'engagement de poursuite, les
antivaleurs vont céder la place à l'équité, en
faisant de lui un instrument entre les mains de la loi qui l'exige simplement
de poursuivre.
B- La protection de la victime contre les
immunités du Procureur de la République
Les immunités sont les prérogatives
accordées à une personne qui exerce une fonction publique pour
lui assurer une certaine protection. Au sujet du Procureur de la
République, cet officier du ministère public jouit d'une double
immunité liée à sa fonction
(l'irrécusabilité) et à ses actes
(l'irresponsabilité).
L'autorité de poursuite bénéficie des
prérogatives exorbitantes dans l'exercice de ses fonctions. Il est clair
que les risques d'abus susceptibles d'entacher l'action d'une telle
autorité sont énormes. En tant que représentant de la
société, le ministère public ne peut jamais être
l'objet d'une récusation192. Cela signifie que le
ministère public ne peut pas être récusé par les
parties à une procédure pénale, alors qu'un juge du
siège, aussi bien en matière pénale qu'en matière
civile, peut être récusé pour des motifs
déterminés193. En d'autres termes, les parties ne
peuvent pas demander le
190L'article 5 de la loi 15-99 du 1999-04-15
modifiant et complétant certaines dispositions de la loi n° 023-92
du 20 août 1992 portant statut de la magistrature dispose : «
Les magistrats sont indépendants vis-à-vis du pouvoir
politique, des groupes de pression et des justiciables.
Ils règlent les affaires dont ils sont saisis en
toute impartialité, selon les faits et conformément à la
loi, à l'abri de toute influence, de toute pression et de toute menace
»,
191L'article 168-1 de la constitution du 25 octobre
2015 dispose : « Le pouvoir judiciaire est indépendant du
pouvoir exécutif... »
192La requête en renvoi pour cause de
suspicion légitime n'est pas recevable contre le ministère public
(crim, 7 avril 19976, D 1976, IR p.139 ; crim.27 janv. 1993.Bull né
49)
193 BOULOC (B), Procédure pénale, op. cit.
p. 156. Cet auteur justifie le caractère irrécusable du
ministère public par le fait qu'il n'est pas juge mais partie. Il agit
au nom de la société à laquelle l'infraction a
porté atteinte. Il a seulement le pouvoir de poursuivre et d'exercer
l'action publique ; mais il n'a ni le droit d'instruire,
83
remplacement du Procureur de la République en charge de
leur affaire même si elles estiment que celui-ci est partial ou qu'il a
un lien d'intérêt avec l'une des parties. Cette garantie est
prévue par la loi194, du fait que le ministère public
est censé être impartial, dans l'exercice de ses fonctions.
L'interdiction faite à tout magistrat de
procéder à un acte de ses fonctions, lorsque sont en jeux ses
intérêts, ceux de ses parents, alliés, représentants
ou mandants, exclut implicitement les magistrats du parquet195. Ce
ne peut être autrement, d'autant plus que la loi n'a prévu les
procédures de récusation que pour les magistrats du
siège196. Cette garantie protège la fonction du
parquetier certes, mais expose le plaignant qui reste sans défense en
cas de soupçon de partialité. Il est injuste d'admettre qu'un
magistrat traite un dossier impliquant un membre de sa famille sans que le
plaignant soit inquiet. Le magistrat n'est pas un ange détaché de
tout sentiment humain. Il n'y aura aucune garantie pour le plaignant qui se
trouverait devant une telle hypothèse. Si nous estimons que le plaignant
n'a pas le droit de refuser de soumettre sa cause à la connaissance et
à la décision d'un magistrat par crainte qu'il soit partial,
l'idéal serait de confier la tâche d'opportunité des
poursuites à un juge récusable, pour garantir les droits du
plaignant, afin que sa cause soit connue d'un magistrat dont il a confiance.
Une autre immunité qui n'arrange pas la victime est
liée au caractère irresponsable des actes posés par les
magistrats du parquet. Cette protection signifie que les actes et les
décisions du procureur ne peuvent être attaqués en justice.
Aucun magistrat du ministère public ne peut voir sa
responsabilité être mise en jeu ou être condamné aux
frais ou à des dommages et intérêts si le prévenu
est relaxé ou poursuivi à tort197, ou
ni celui de juger c'est-à-dire de décider de
l'innocence ou de la culpabilité et de prononcer un acquittement ou
une condamnation à une peine.
194Art. 590-2 du CPP
195Article 12 de la loi n°15-99 du 15 avril
1999 modifiant et complétant certaines dispositions de la loi
n°023-92 du 20 aout 1992 portant statut de la magistrature
196GOUNGA-GANZINO (C), Audience
pénale, op. cit. p.51. Cet auteur cite les articles 589, 590 du
code de procédure pénale, 18, 51 et 86 de la loi n°19-99 du
15 aout 1999 modifiant et complétant certaines dispositions de la loi
n°022-92 du 20 août 1992 portant organisation du pouvoir
judiciaire
197 On fait valoir que cette immunité répond au
souci d'accroître la confiance dans l'impartialité des procureurs,
et que la menace d'une responsabilité individuelle pourrait avoir un
effet « paralysant » sur l'exercice de leurs pouvoirs
discrétionnaires. Le fait d'autoriser les poursuites civiles risquerait
de susciter une avalanche de procès qui nuirait à
l'accomplissement de leurs fonctions normales. Ces arguments cependant ne
tiennent pas. Tout d'abord, c'est l'immunité accordée aux
poursuivants, même en cas de poursuites abusives équivalant
à un abus de pouvoir, qui mine la confiance du public dans le
système judiciaire. L'action pour poursuites abusives ne consiste pas
simplement à mettre en cause le jugement d'un poursuivant : en fait, un
demandeur qui intente une action pour poursuites abusives ne se lance pas dans
une entreprise facile ; ce qu'il faut établir, c'est l'exercice
délibéré et malveillant de ses pouvoirs pour des fins
illégitimes et incompatibles avec le rôle traditionnel du
poursuivant. Dans ces conditions, l'effet « paralysant » est
très peu vraisemblable :
84
si l'inculpé bénéficie d'une
décision de classement sans suite, à la différence de la
partie civile, qui peut en cas de non-lieu, peut être condamné
à des dommages-intérêts envers celui contre qui elle s'est
constituée partie civile.
Cependant, il ne faut pas voir dans le principe de
l'irresponsabilité une immunité absolue accordée aux
représentants du ministère public pour se verser au gré de
leurs fantaisies dans des poursuites ou les classements abusifs contre des
membres du corps social. Si un magistrat commet une faute personnelle, sa
responsabilité civile peut être mise en jeu, comme celle des
magistrats du siège, par la procédure dite de prise à
partie198. Mais la difficulté de prouver une
allégation de poursuites abusives ou de classement abusif constitue un
empêchement de mettre en mouvement ce mécanisme. L'action pour
poursuites abusives ou classement abusif ne consiste pas simplement à
mettre en cause le jugement d'un poursuivant. L'auteur de l'action doit
démontrer que le magistrat en charge du dossier a fait preuve de
l'exercice délibéré et malveillant de ses pouvoirs pour
des fins illégitimes et incompatibles avec le rôle traditionnel du
poursuivant199. Cyprien GANZINO-NGOUNGA, Avocat
Général à la Cour suprême fait remarquer qu'en tant
que magistrat, le Procureur de la République est irresponsable, sauf
prise à partie s'il y a violation des formalités prescrites pour
les mandats de comparution, d'amener, de dépôt et d'arrêt,
puis en cas d'inobservation des mesures protectrices de la liberté
individuelle sanctionnée par le code pénal200. Sauf
ces cas, il ne peut être condamné aux dépens ni à
des dommages intérêts201. S'il a commis une infraction
dans l'exercice de l'action publique, il peut évidemment faire l'objet
de poursuite, mais celle-ci pourrait donner lieu au renvoi devant une autre
juridiction après, éventuellement que le caractère
illégal de l'acte ait été constaté202.
Ainsi donc, les poursuites judiciaires seront ouvertes à sa charge,
donnant ainsi à la partie lésée la possibilité de
se constituer partie civile.
La consécration de l'irresponsabilité des actes
des magistrats du ministère public dans le cadre de la décision
de poursuite nourrit le sentiment d'impunité dans le chef des
198Art. 291 du code de procédure civile,
commerciale, administrative et financière définit la prise
à partie comme une procédure permettant à la victime
« d'obtenir la réparation du préjudice que les
magistrats auront causé en abusant, dans les cas suivants, de
l'autorité que la loi leur reconnait : s'il y a dol, fraude, concussion
ou faute lourde professionnelle commis dans l'instruction ou le jugement d'une
affaire ; s'il y a déni de justice ». 199Commission
de réforme du droit du Canada, Document de travail 62 Poursuites
pénales : les pouvoirs du Procureur Général et
des Procureurs de la couronne, 1990
200GOUNGA-GANZINO (C), Audience
pénale, op. cit. p. 51-52 ; voir l'article 118 du CPP
201Article 291, alinéa 2, du CPCCAF
202LEVASSEUR (G), BOULOC (B), STEFANI (G),
Procédure pénale, Paris, 18e édition, Dalloz,
2000, p.141
85
magistrats. C'est ce qui explique les abus dans l'exercice du
pouvoir de classement sans suite qui mettent à mal les droits de la
victime. Il semble possible d'envisager des mesures disciplinaires non
seulement à l'égard de ceux qui agissent avec trop de mollesse ou
de négligence, mais encore contre ceux qui auraient intenté
l'action publique avec témérité et
partialité203. Tout au moins, en confiant le pouvoir
d'appréciation d'opportunité à un juge indépendant
dont ses actes seront contrôlés et sa responsabilité
engagée en cas de refus de juger, les droits de la victime seront
respectés.
L'instauration d'un juge d'opportunité des poursuites
et la relégation du ministère public à la fonction de
poursuite favorise la bonne administration de la justice, évite la
concentration des pouvoirs d'appréciation d'opportunité des
poursuites et de décision de la mise en mouvement de l'action publique
entre les mains d'un seul organe ne jouissant pas de son indépendance,
et garantit les droits de la victime. La nouvelle configuration des
autorités de la justice pénale ne doit pas diluer les droits
reconnus à la victime de mettre en mouvement l'action publique. En
raison des difficultés et des problèmes observés dans la
mise en jeu de ces procédés, il va devoir renforcer leur
efficacité pour qu'ils deviennent des véritables alternatives aux
classement sans suite.
203VAN DE KERCHOVE (M), Fondement et limites du
pouvoir discrétionnaire du ministère public : aux confins de la
légalité, disponible sur
https://doi.org/10.7202/001384ar
86
CHAPITRE II : LE RENFORCEMENT D'EFFICACITE DES
PROCEDURES ALTERNATIVES AU CLASSEMENT SANS SUITE
Le changement d'autorité d'appréciation
d'opportunité des poursuites ne doit pas compromettre les droits
reconnus à la victime de mettre elle-même en mouvement l'action
publique. Le classement sans suite d'une affaire ne signifie pas pour autant
que la victime perd son droit de saisir les juridictions répressives. Le
code de procédure pénale offre à tout justiciable des
moyens permettant de contrer la décision de classement sans suite et de
faire porter à la connaissance de la justice ses prétentions.
La partie lésée bénéficie donc
d'un pouvoir concurrent de celui du ministère public, de mettre en
mouvement l'action publique, lui permettant de surmonter son éventuelle
passivité voire son désaccord dans le système actuel. Il
est indéniable, que ce mécanisme apporte un correctif juridique
à la faculté reconnue aux autorités pénales de
classer un dossier sans suite.
Ces différents moyens mis à la disposition de la
victime méritent d'être maintenus et leur efficacité
renforcée en dépit de l'instauration d'un juge
d'opportunité des poursuites qui incarnera le même rôle que
le ministère public. L'objectif visé est de garantir les droits
de la victime d'avoir accès à un juge et prévenir les
éventuels abus qui pourraient se perpétuer dans le chef de
nouvelles autorités de la justice pénale. Faisons d'abord un
aperçu de ces différentes procédures alternatives au
classement (Section 1) avant de s'attarder sur les
différents aspects susceptibles d'être renforcés pour les
rendre efficaces (Section 2).
SECTION 1 : L'aperçu des procédures
alternatives au classement sans suite
La victime d'une décision de classement sans suite
dispose de deux procédées pour engager les poursuites devant les
juridictions répressives. Ils ne sont pas conçus au départ
comme les alternatives au classement sans suite, mais comme l'une des voies
mise à la disposition de la victime d'une infraction d'accéder
à la justice pénale. Ils peuvent être utilisés
directement par la victime sans qu'elle essuie un refus de poursuite
après le dépôt d'une plainte. Ils deviennent des
alternatives au classement sans suite si la victime avait en amont saisit les
autorités chargées d'apprécier l'opportunité des
poursuites. Ces procédures garantissent l'accès au juge
pénal
87
(Paragraphe 1) et constituent un contrepoids
au pouvoir de classement du juge d'opportunité des poursuites
(Paragraphe 2).
PARAGRAPHE 1 : Les procédures garantissant le
droit d'accès au juge pénal
Le classement sans suite met un terme à la
procédure et signifie que l'affaire ne sera pas portée devant une
juridiction. Cependant, la loi garantit à la victime d'un classement
sans suite le droit d'accès au juge pénal (A).
Cependant, ce droit reste un chemin incertain pour le succès de
l'action de la victime (B).
A- Le droit d'accès au juge pénal en
dépit de la décision de classement sans suite
Le droit d'accès au juge est une garantie fondamentale
pour la victime. « Toute personne a droit à ce que sa cause
soit entendue. Ce droit comprend : le droit de saisir les juridictions
compétentes de tout acte violant les droits fondamentaux qui lui sont
reconnus et garantis par conventions, lois, règlements et coutume en
vigueur204 ». Il existe indépendamment de la
décision de classement sans suite. Il n'est pas un droit accessoire ou
subordonné à la décision de classement sans suite. Le
classement n'est pas une condition nécessaire de saisine des
juridictions répressives. Contrairement en France, le classement est une
condition nécessaire pour saisir le juge d'instruction. « Toute
personne qui se prétend lésée par un crime ou un
délit peut en portant plainte se constituer partie civile devant le juge
d'instruction compètent en application des dispositions des articles
52,52-1 et 706-42. Toutefois, la plainte avec constitution de partie civile
n'est recevable qu'à condition que la personne justifie soit que le
Procureur de la République lui a fait connaitre, à la suite d'une
plainte déposée devant lui ou un service de police judiciaire,
qu'il n'engagera pas lui-même des poursuites, soit qu'un délai de
trois mois s'est écoulé depuis qu'elle a déposé
plainte devant ce magistrat contre récépissé ou par lettre
recommandée avec demande d'avis de réception, ou depuis qu'elle a
adressé selon les mêmes modalités, copie à ce
magistrat de sa plainte
204Article 9-1 de la Charte des droits et des
libertés adoptée le 29 mai 1991 (Conférence souveraine).
Voir aussi en ce sens l'article 8 de la Déclaration universelle des
droits de l'homme du 10 décembre 1948 qui
dispose : « Toute personne a droit à un
recours effectif devant les juridictions nationales compétentes contre
les actes violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus par la
constitution ou par la loi ».
88
déposée devant un service de police
judiciaire »205. En absence d'une telle décision,
la plainte serait rejetée.
Au Congo par contre, le dépôt d'une plainte
devant le magistrat instructeur n'est pas conditionné par la preuve d'un
classement sans suite. « La possibilité offerte à la
victime d'aller à l'encontre de la décision de classement est
moins ennuyeuse et même souhaitable, dans la mesure où celle-ci
lui assure un accès à la justice pénale206
».
Le droit de saisir le juge d'instruction est plutôt
justifié par un dommage subi et né d'une infraction à la
loi pénale207. Pour cela, la victime n'est pas obligée
de se référer au ministère public en vue de
défendre ses intérêts devant le juge
répressif208.
Si la jurisprudence française autorise la constitution
de partie civile dans l'unique objectif de mettre en mouvement la
répression, ce droit n'existe au Congo que lorsqu'il y a un droit
à réparation résultant d'une infraction. Personne ne peut
se voir refusé ce droit à réparation devant le juge pour
quelque motif que ce soit.
Certains auteurs pensent que la possibilité reconnue
à la victime de mettre en mouvement l'action publique parait comme un
moyen de recours ou un correctif contre une décision de classement sans
suite donnant accès au juge. « Lorsque le Procureur de la
République ne donne pas de suite à la plainte de la victime, soit
qu'il classe sans suite soit qu'il ne donne aucune réponse à
celle-ci, la victime aura la possibilité de déclencher les
poursuites par sa seule volonté. Toutefois, il faut considérer
cette hypothèse comme une faculté de recours contre la
décision du parquet de ne donner aucune réponse pénale aux
faits dénoncés209 ».
Cette approche ignore qu'en matière pénale, il
existe trois portes d'accès au juge pénal : le ministère
public, le juge d'instruction et de jugement. La victime d'une infraction a
donc le choix de passer soit par le parquet, soit par le juge d'instruction, ou
en saisissant le juge de jugement pour faire entendre ses prétentions.
La saisine du parquet n'est pas synonyme de renoncement du droit de saisir une
juridiction.
205Art. 85 du CPP
206YAYA (A), La victime au regard des mutations
contemporaines du procès pénal, disponible sur
www.annalesumng.org
207Art. 70 du CPP
208OSSOMBO (A.K), Le classement sans suite et les
droits de la victime au Congo, Mémoire pour l'obtention du
diplôme de Master, Ecole Nationale d'Administration et de
Magistrature (ENAM), 2013, p.63
209 88PIN (X.), « La privatisation du procès
pénal », RSC 2002, p. 245 et s
89
Le ministère public est une voie d'accès
indirecte au juge pénal, puisqu'il n'est pas obligé de saisir le
juge en vertu de l'alternative légale de poursuite ou de classement sans
suite dont il dispose. Le classement signifie que l'affaire portée
à sa connaissance par la victime ne sera pas examinée par un
juge. Toutefois, cette décision qui n'éteint pas l'action
publique et ne revêt pas l'autorité de la chose jugée
n'entame pas le droit qu'a la victime de saisir le juge. Elle signifie
simplement que le ministère public ne souhaite pas engager les
poursuites pour des raisons qui lui sont propres. Dans cette hypothèse,
la victime est libre de se soumettre à la décision si elle la
trouve justifiée, ou ne souhaite plus poursuivre son adversaire devant
les tribunaux. Dans le cas contraire, elle peut porter son action devant le
juge, puisqu'elle dispose d'un droit d'option qui existe avant et subsiste
après la décision de classement suite. Elle peut opter pour la
réparation civile en saisissant le tribunal civil, elle peut se
constituer partie civile devant le juge d'instruction ou devant la juridiction
de jugement par voie de citation directe. Cette constitution de partie civile
met en mouvement l'action publique et l'action civile.
La faculté pour la victime de mettre l'action publique
en mouvement210, ne doit donc pas être
considérée comme un mécanisme correcteur du classement
sans suite, mais plutôt comme un droit d'accès au juge.
Malgré qu'elle puisse être utilisée comme tel dans
certaines circonstances, ce n'est pas la volonté du législateur
d'en faire une garantie. Notre arsenal juridique ne conçoit pas ce droit
reconnu à la personne lésée comme un correctif à
proprement parler de la prérogative du parquet de classer un dossier
sans suite.
En instaurant une nouvelle autorité chargée du
traitement des plaintes, il est essentiel que le droit reconnu à la
victime de déclencher les poursuites reste inchangé. Toutefois,
le refus de la victime de se conformer à la décision de
classement du juge d'opportunité des poursuites ne signifie pas que son
action devant les juridictions répressives va prospérer. Ce droit
constitue un chemin incertain pour le succès de son action.
210 BOULOC (B), Procédure pénale, Paris,
23e édition, Dalloz, 2012, p. 146. Il définit la mise
en mouvement comme l'acte initial de la poursuite, celui par lequel l'action
publique est déclenchée et qui saisit le juge d'instruction ou de
jugement.
90
B- Le droit d'accès au juge : un chemin
incertain pour le succès de l'action de la victime
Le droit d'accès au juge reste est un chemin incertain
voire risqué pour la victime de classement sans suite. Quand la victime
s'engage à contourner la décision de classement, c'est parce
qu'elle croit au succès de son action devant le juge. Or, l'accès
au juge ne garantit pas que le prévenu sera condamné et la
victime dédommagée. En réalité, l'inverse peut se
produire et la juridiction saisie peut rendre une décision similaire au
classement sans suite avec quelques différences près.
A la différence de la saisine du Procureur de la
République qui se fait par simple dépôt d'une plainte
à faible coût, il en demeure autrement pour la procédure de
constitution de partie civile et de citation directe. Le législateur a
jugé qu'il était préférable de poser un filtre au
droit de mettre en mouvement l'action publique par la victime.
En effet, la constitution de partie civile devant le magistrat
instructeur ne se fait pas sans exigences pour qu'elle soit recevable. Il faut
déposer une plainte qui est à la victime comme le
réquisitoire introductif est au Procureur de la République. Elle
n'obéit pas à un formalisme particulier, autre que la date,
l'adresse et la signature du plaignant. Cette lettre doit néanmoins
comporter la mention des faits reprochés, de leur qualification
pénale, ainsi que la caractérisation du préjudice
allégué et la réclamation d'une
indemnisation211.
La victime doit consigner au greffe une somme
nécessaire aux frais de la procédure dont le juge d'instruction
est tenu d'apprécier souverainement mais de manière
raisonnable212. Contrairement à la situation où la
victime se constitue partie civile alors que l'action publique a
déjà été engagée par le ministère
public et n'avance donc aucun frais, lorsque la victime se constitue par voie
d'action, elle est tenue de consigner au greffe une somme d'argent
destinée à couvrir les frais de procédure213et
sans quoi son action sera vouée à l'échec. Le rôle
de la consignation est donc, avant tout, de couvrir les frais de justice dans
la situation où la partie civile succomberait
211GUINCHARD (S), Procédure
pénale, op.cit. p.544
212BEERNAERT (M.A), BOSLY(H), VANDERMEERSCH (D),
Droit de la procédure pénale, Bruxelles, la Charte,
2014, p. 543.
213L'article 73 du code de procédure
pénale fait de la consignation une condition de recevabilité de
la plainte de la victime. « La partie civile qui met en mouvement
l'action publique doit, si elle n'a obtenu l'assistance judiciaire, et sous
peine de non-recevabilité de sa plainte, consigner au greffe la somme
présumée nécessaire pour les frais de la procédure,
dans le délai imparti par le juge qui en fixe le montant par ordonnance
».
91
dans son action214. On imaginerait mal que les
coûts de cette entreprise retombent sur les justiciables. Cela constitue
un véritable obstacle au droit d'accès au juge pour les
démunis. Ce n'est pourtant pas son unique rôle puisque la
consignation vise aussi à décourager la constitution de partie
civile faite dans le seul but de contrarier son adversaire. La consignation
préalable des frais est un cautionnement imposé à la
partie civile pour garantir qu'elle usera avec modération du droit que
la loi lui a reconnu de mettre l'action publique en mouvement.
Il est à préciser qu'il ne fait pas de doute que
la recevabilité de l'action civile est subordonnée au fait pour
la victime de démontrer que le préjudice qu'elle invoque soit la
conséquence d'une infraction. Le législateur limite, de cette
manière, la faculté pour un citoyen de mettre l'action publique
en mouvement à ce qu'il démontre qu'il ait subi un réel
dommage215 susceptible de donner lieu à constitution de
partie civile, sinon, cette garantie ne peut fonctionner216.
« La personne lésée doit rendre plausible son
allégation relative au dommage qu'elle a subi à cause de
l'infraction ».
Une autre incertitude demeure du fait que la saisine du juge
d'instruction ne donne pas droit à l'ouverture d'un procès. Pour
cause, dès le début de la saisine du juge, ce dernier peut rendre
une ordonnance de non-informer ou de refus d'informer mettant fin à
l'action de la victime si les « faits ne peuvent légalement
comporter une poursuite pénale217 ». Cette
disposition ne dégage pas toutes les raisons pouvant amener le juge
à conclure par une ordonnance de non-informer, qui peut bien aussi
être rendue en cas de prescription, d'amnistie ou d'immunité, s'il
y a chose jugée, en cas d'irrecevabilité de l'action civile faute
de capacité ou d'intérêt de la victime218.
A la fin de l'information, le juge d'instruction peut rendre
une ordonnance de non-lieu si « les faits ne constituent ni crime, ni
délit, ni contravention ou si l'auteur est resté inconnu ou s'il
n'existe pas de charges suffisantes contre l'inculpé219
».
214BEERNAERT (M.A), BOSLY(H), VANDERMEERSCH (D),
Droit de la procédure pénale, op. cit. p. 543
215L'action de la victime peut être déclarée
irrecevable si la présumée victime ne démontre pas le
préjudice subi par l'infraction. Aux termes de l'article 70 du code de
procédure pénale, la saisine du juge d'instruction n'est
réservée qu'à « toute personne qui se
prétend lésée par un crime ou un délit ou une
contravention ».
216 Crim. 8 fevrier.1979, Bull. n°58, obs J.M. Robert, RSC
1980.151
217Art.71-2 du CPP.
218PRADEL (J), procédure
pénale, op. cit. p.612
219Art. 163-1 du CPP
92
S'agissant de la citation directe220, elle est une
procédure rapide qui permet à la victime de saisir directement le
tribunal de police en cas de contravention ou le tribunal correctionnel en cas
de délit sans qu'une enquête soit diligentée221.
L'action que la partie civile peut soutenir devant le tribunal est
essentiellement une prétention aux dommages-intérêts.
Cependant, son action civile devant la juridiction pénale ne sera
recevable que si la citation comporte les mentions exigées par la loi.
« La citation qu'elle qu'en soit la forme énonce le fait
poursuivi et vise le texte de loi qui le réprime. Elle indique le
tribunal saisi, le lieu, l'heure et la date de l'audience, et précise la
qualité du prévenu, de civilement responsable ou de témoin
de la personne citée. Elle mentionne les noms, prénoms,
profession et domicile réel ou élu (de la partie
civile222) ». A défaut de l'un de ces
éléments l'action civile sera irrecevable, et n'aura pas
déclenché les poursuites. En cas de respect de ces
différentes mentions, l'action peut déboucher sur la relaxe du
prévenu.
Finalement, le recours par la victime à ces
procédés après le classement sans suite ne garantit pas le
succès de son action portée devant le juge d'instruction ou de
jugement, qui peut se solder par une décision similaire au classement
sans suite, en dépit de sa volonté de poursuivre le
présumé auteur, et l'expose au paiement des
dommages-intérêts pour dénonciation
calomnieuse223. Ce qui fait de ces procédés, une
entreprise périlleuse pour la victime. Seule la circonstance où
le prévenu serait condamné, ferait glisser, in fine, le poids des
frais de procédure sur les épaules du condamné.
L'échec de l'action portée par la victime devant
le juge signifie simplement que toutes les décisions de classements ne
sont pas toujours fantaisistes. La victime doit user avec modération et
réflexion de ces procédures alternatives au classement sans
suite,
220La citation directe prend la forme d'un exploit
d'huissier informant le prévenu qu'il doit comparaitre à
l'audience. Ainsi, les frais d'huissier pour délivrer la citation sont
à payer par la victime. De plus, devant le tribunal correctionnel, il
peut être demandé à la victime de verser une consignation
afin de garantir le paiement éventuel de l'amende civile en cas de
procédure abusive. L'objet de la citation étant d'avertir qu'une
instance s'ouvre, dans laquelle les cités sont parties, la loi a voulu
leur assurer la possibilité de préparer leur défense en
imposant un délai entre le jour de la citation et le jour de
l'audience.
221Article 491 du CPP. En matière de
délit et de contravention, la partie lésée peut
déclencher l'action publique directement au stade du jugement. La
faculté pour la personne lésée de saisir directement une
juridiction de fond ne se limite qu'aux délits et aux contraventions.
Les préventions criminelles sont donc exclues.
222Art 491-2-3-4 du CPP dispose en substance :
« La citation qu'elle qu'en soit la forme énonce le fait
poursuivi et vise le texte de loi qui le réprime. Elle indique le
tribunal saisi, le lieu, l'heure et la date de l'audience, et précise la
qualité du prévenu, de civilement responsable ou de témoin
de la personne citée. Elle mentionne les noms, prénoms,
profession et domicile réel ou élu de la partie civile
».
223 Art. 76-1
93
afin de ne pas se voir imposer la réparation pour des
actions vexatoires. Toutefois, ces procédures restent indispensables
pour garantir le droit d'accès au juge, après le classement sans
suite, et constituent un contrepoids au pouvoir de classement du juge
d'opportunité des poursuites.
PARAGRAPHE 2 : Les procédures alternatives au
classement sans suite : un contrepoids au pouvoir de classement sans suite du
juge d'opportunité des poursuites
Les procédures palliatives sont des garanties pour la
victime de classement sans suite grâce à leur autonomie face
à la décision de classement sans suite (B), et
en limitant le pouvoir de classement du juge d'opportunité des
poursuites (A).
A- Les procédures alternatives au classement
sans suite: une limite au pouvoir de classement sans suite du juge
d'opportunité des poursuites
Le juge qui incarnera le pouvoir d'opportunité des
poursuites ne détiendra pas un pouvoir absolu, au risque de voir les
victimes être privées du droit d'accès au juge,
après un classement sans suite. Une fois que ce juge rend une ordonnance
de classement sans suite, il est dessaisi de cette affaire et ne peut plus la
connaitre. La prérogative de classer sans suite ne s'exerce que pour
autant que l'action publique n'ait pas encore été mise en
mouvement224.
La victime reste libre avant ou après le classement
sans suite de décider ou non de mettre en mouvement l'action publique
par les procédés mis à sa disposition. Ils constituent
essentiellement une garantie que la loi offre aux justiciables contre les abus
du refus de poursuivre225 de l'autorité des poursuites et
empêchent l'activation du pouvoir de classement. Ces mécanismes
déclenchent l'action publique, forçant la main au
ministère public226 d'exercer l'action publique.
En effet, l'action publique qu'exerce le ministère
public appartient à la société et son déclenchement
l'oblige à agir. « L'action publique
appartient à la société et non au fonctionnaire public ou
au magistrat chargé par la loi de l'exercer227».
224BEERNAERT(M.A),COLETTE-BASECQZ,(N),GUILLAIN(C),MANDOUX(P),PREUMONT(M),
VANDERMEERSCH (D), Introduction à la procédure
pénale, Bruxelles, la Charte, 2012, p. 180. 225RUBBENS
(A), Le droit judicaire congolais : L'instruction criminelle et la
procédure pénale, op. cit. p. 64. 226Idem,
p.122
227Cass. Crim. 11 avr. 1991, Bull. n°174.
94
Une procédure enclenchée par la victime devant
une juridiction pénale ne sera pas communiquée au juge
d'opportunité par le ministère public pour appréciation.
Elle n'est pas destinée à passer au filtre de cette
autorité judiciaire, mais à l'évincer. Elle revêt un
caractère inclassable et contourne son pouvoir régulateur, en
étant destiné au juge d'instruction ou de jugement. L'initiative
des poursuites prise par la victime a comme effet de contraindre le
ministère public à prendre les réquisitions
nécessaires exigées par la loi pour la mise oeuvre de la
procédure engagée. Il n'a pas le pouvoir d'empêcher son
déclenchement mais le droit d'émettre un avis et de l'accompagner
au cas où son avis n'est pas suivi.
Saisi d'une procédure de citation directe
initiée devant le juge de jugement, le ministère public sera
tenu, comme à l'accoutumée, de la viser pour que l'affaire soit
jugée. Apres avoir reçu la communication de la plainte
déposée devant le magistrat instructeur. Il sera tenu de prendre
des réquisitions à fin d'informer ou de non-informer. Cette
exigence est justifiée puisque le juge d'instruction ne peut ouvrir une
information sans les réquisitions du ministère
public228.
Lorsque le ministère public n'a pu obtenir du juge
d'instruction une ordonnance de refus d'informer ou d'irrecevabilité de
la plainte, ou après qu'il ait visé la citation, il est tenu
d'exercer l'action publique aussitôt prise la décision sur la mise
en mouvement de l'action publique. Il est lié par l'action
engagée par la victime. Il doit soutenir l'accusation car il est le seul
organe chargé d'exercer l'action publique devant les tribunaux
répressifs.
L'exercice formel des poursuites et le soutien de l'accusation
devant les tribunaux constitue l'apanage du ministère public. Le droit
de former recours contre les décisions de justice est inséparable
de la mission générale du ministère public puisqu'il
constitue l'un des moyens de veiller à l'application de la loi tout en
participant à la recherche de l'efficacité du système,
notamment de la cohérence de la jurisprudence et donc de la
répression.
La mise en mouvement de l'action publique est une
prérogative partagée entre le ministère public et la
partie civile. Cependant, il en va autrement de l'exercice de celle-ci, qui est
le monopole du ministère public. « Lorsque la poursuite a
été engagée par
228 Art. 64-2 du CPP
95
un simple citoyen, le Procureur a le droit d'intervenir
pour l'exercer lui-même »229. Ainsi, seul le
ministère public peut exercer les recours pénaux et
requérir l'application d'une peine. La partie privée n'exerce
nullement l'action publique ; elle n'a pas qualité pour requérir
une peine, ni pour interjeter appel d'un jugement d'acquittement. Elle peut
seulement réclamer la reconnaissance de la culpabilité du
prévenu et l'octroi d'une indemnité. Le but visé par la
partie civile, en déclenchant l'action publique, c'est de
défendre ses intérêts civils.
Lorsque l'action publique est mise en mouvement, le
ministère public ne peut plus faire obstacle à une
décision émanant d'une juridiction d'instruction ou de jugement.
Il serait, en effet, injustifié que le ministère public dispose
d'un tel pouvoir arbitraire. Il ne peut pas suspendre le cours de l'action
publique déclenchée par la victime. Cette décision devient
irrévocable, appelant à la cause le ministère public.
L'exercice de l'action publique est régi par le
principe d'indisponibilité, qui implique que le ministère public
ne peut renoncer à l'action publique, ni suspendre son cours. «
Le ministère public n'a pas la disposition de l'action publique. Si les
débats établissent l'innocence du prévenu, le
ministère public doit requérir la relaxe et s'en remettre au
tribunal pour mettre fin à l'action publique230. »
A contrario, si les débats établissent la culpabilité
du prévenu, le ministère public doit requérir la
condamnation.
Le ministère public, au sujet d'une procédure
engagée par une victime d'infraction n'est tenu que de l'obligation de
prendre les réquisitions et d'exercer l'action publique une fois qu'elle
est mise en mouvement. Il n'y a aucun moyen qu'une telle procédure se
heurte à l'opposition de l'autorité qui a l'imperium en
matière de décision de poursuite. La juridiction
répressive saisie, ne pourra ainsi se dessaisir qu'après avoir
apprécié juridiquement les faits de la cause y compris la
recevabilité de l'action publique ainsi
déclenchée231.
229Conférence des procureurs
généraux d'Europe 5e session organisée par le
conseil de l'Europe en coopération avec le procureur
général de Celle, Basse-Saxe sur : Les pouvoirs
d'appréciation du ministère public : le principe
d'opportunité ou de légalité, avantages et
inconvénients, p19
230Cass. Crim. 28 sept. 1994, Gaz. Pal. 1994, II, Chr.
714.
231 BOULOC (B), Procédure pénale, op. cit.
p.592
96
B- L'autonomie des procédures alternatives au
classement sans suite à l'égard du classement sans suite
décidé par le parquet
Il est fréquent qu'une personne, estimant avoir
été victime d'une infraction, prévienne les
autorités judiciaires sous la forme d'une plainte et que celles-ci ne
donnent pas une suite. La victime a, dans ce cas, la possibilité de
déclencher elle-même l'action publique de manière autonome
sans qu'elle soit tenu d'apporter au juge saisi la preuve de ses
démarches auprès du premier magistrat et la décision de ce
dernier de ne pas donner suite à sa plainte. Ce statu quo donne une
garantie à ces procédés jugés comme des correctifs
des classements laissés entre les mains de la victime pour en user en
toute liberté, sans qu'elle soit inquiété et tienne compte
de la position du premier magistrat. Leur usage n'est pas subordonné
à la réponse ou l'inaction des autorités des poursuites,
mais à la seule volonté de la victime. Cette autonomie
renforçant leur garantie se justifie à deux niveaux.
D'une part, les procédés de saisine des
juridictions répressives placés entre les mains de la victime ne
sont pas des alternatives au classement selon le dispositif en vigueur que nous
souhaitons son maintien. Ils sont indépendants. Ils peuvent être
utilisés en amont de la décision de classement sans suite ou en
aval. La procédure engagée par la victime devant l'organe de
poursuite n'a aucun lien avec toute autre procédure qu'elle pourrait
engager devant les juridictions d'instruction ou de jugement au nom du principe
de la séparation des fonctions judiciaires.
D'autre part, les juridictions d'instruction et de jugement ne
sont pas des juridictions d'appel des décisions de classement. La
décision de classement ne s'impose pas au juge d'instruction ou de
jugement. Elle n'a pas vocation à être invoquée par l'un ou
l'autre. La formation de jugement ne peut pas fonder sa décision en se
référant à celle de classement sans suite. La Cour de
cassation belge232 avait censuré un arrêt rendu par une
juridiction d'appel qui, pour motiver sa décision d'acquittement,
s'était fondée sur la pratique courante du parquet de ne pas
poursuivre. Cette cour avait rappelé qu'à moins de croire que le
prévenu soit tombé dans l'hypothèse de l'erreur
invincible, le juge ne peut apprécier l'acquittement au seul motif d'une
pratique de classement courante du ministère public. La cour confirme
par conséquent que la compétence d'apprécier
l'opportunité des poursuites du ministère public ne se confond
pas avec la
232Cass., 9 décembre 1981, Pas., 1982, p.
482.
97
compétence des juridictions de jugement. Et que
dès lors, celles-ci ne peuvent se saisir d'un argument faisant
état d'une pratique habituelle du parquet et conclure à un
acquittement. « Le juge doit rester hors de l'arène. Il ne doit
avoir ni sembler avoir aucune responsabilité quant à l'engagement
des poursuites. Il importe d'éviter toute confusion entre la fonction de
procureur et celle de juge. Si le juge jouissait du pouvoir de refuser
d'entendre une affaire parce qu'il estime que la poursuite est mal à
propos, on ne tarderait pas à penser que les affaires qu'il accepte
d'instruire sont celles où il a consenti aux poursuites ou les a
approuvées233 ».
De même, le juge d'instruction ne dispose pas de la
faculté de pouvoir porter un jugement sur l'opportunité des
poursuites234. C'est le principe même de la séparation
entre la poursuite et l'instruction235. La même cour de
cassation belge avait rappelé qu'à moins que le juge
d'instruction estime sa saisine irrégulière, celui-ci est tenu
d'instruire, sans considération de l'opinion du ministère public
sur l'opportunité des poursuites. Le juge d'instruction ne peut refuser
de mener son instruction en avançant l'argument que l'instruction est
inutile, que le résultat de celle-ci serait douteux, ou qu'aucun
délit n'aurait été commis en se basant sur la
décision de classement sans suite.
Le juge d'instruction ne peut refuser d'instruire ni le juge
de jugement refuser de juger en invoquant le classement sans suite. «
Les juges ne doivent pas confondre leur droit de juridiction et l'exercice
des initiatives appartenant au ministère public. Sans doute, si les
juges ont le devoir d'apprécier dans un procès où le
ministère public est partie la légalité, la
régularité de ses actes et le fondement de ses
prétentions, ils n'ont jamais à se prononcer sur
l'opportunité de son action, ni sur l'usage que celui-ci a fait des
pouvoirs que la loi lui attribue, ni sur la manière dont il exerce ses
fonctions »236. Saisi, le juge ne saurait s'arroger le
pouvoir d'apprécier les faits en fonction de cas que le
233Conférence des procureurs
généraux d'Europe 5e session organisée par le
conseil de l'Europe en coopération avec le procureur
général de Celle, Basse-Saxe sur : Les pouvoirs
d'appréciation du ministère public : le principe
d'opportunité ou de légalité, avantages et
inconvénients, p.116
234DE NAUW (A), « La décision de
poursuivre, instruments et mesures », Rev. dr. pén., 1976-1977, p.
455.
235 Cass., 3 octobre 1984, Pas., 1985, p. 171
236 VERHYDEN ( R), procureur général près
la cour d'appel d'Anvers, «De probatie tussen toekomst en verleden »,
mercuriale prononcée à l'audience solennelle de rentrée de
cette cour le 1er sept. 1975, R.W., 1975-1976, col. 513 à 560.
98
ministère public aurait estimé en vertu de ses
prérogatives, ne pas devoir poursuivre237.
Le juge est tenu de juger sous peine de déni de
justice, et le juge d'instruction est tenu d'informer et de rendre une
ordonnance à la fin de son information. Les juges ne sont pas libres de
s'abstenir de juger. Ils sont obligés de remplir les fonctions qu'ils
ont acceptées, de vider les causes dont ils sont saisis238.
Ils ne sont pas liés par la décision de classement prise par le
premier juge. Leur décision permettra de corriger les erreurs ou les
abus s'il y en a eu, ou de confirmer la décision de classement sans
suite sous forme de relaxe ou de non-lieu.
D'ailleurs, le prévenu ne peut pas invoquer son
innocence devant une juridiction sur la base d'une ordonnance de classement
sans suite qui ne tranche pas le litige au fond. Cette décision n'est
pas revêtue de l'autorité de la chose jugée et
n'établit ni l'innocence, ni la culpabilité du
présumé auteur, mais met un terme à la procédure
engagée.
En mot, la décision de ne pas poursuivre n'a pas
d'impact sur les actions judiciaires futures de la victime.
SECTION 2 : Les aspects à prendre en compte
pour l'efficacité des procédures alternatives au classement sans
suite
Le premier impératif procédural est
l'efficacité du système judiciaire239.
L'efficacité de la justice est d'éviter les retards
injustifiés dans les procédures judiciaires, de réduire
leur coût et d'augmenter leur effectivité240.
L'état actuel de notre droit ne permet pas de garantir l'aboutissement
des procédures alternatives au classement, en raison de leur
inféodation au pouvoir du « tout-puissant » ministère
public et des prévisions légales. La meilleure garantie va
consister à renforcer leur indépendance à l'égard
du
237VAN DE KERCHOVE (M), Fondement et limites du
pouvoir discrétionnaire du ministère public : aux confins de la
légalité, disponible sur
https://doi.org/10.7202/001384ar
238 BRAAS (L), Précis de procédure
pénale, op. cit. p.55
239 J.-P. JEAN, De l'efficacité en droit
pénal, in Le droit pénal à l'aube du troisième
millénaire, Mélanges offerts à J. PRADEL, Cujas, 2006, p.
136 - et par le même auteur, Politique criminelle et nouvelle
économie du système pénal, AJ Pénal 2006, p. 475
240 SEGAUD (J), ESSAI SUR L'ACTION PUBLI, op.cit.
p.102
99
ministère public (Paragraphe 1) et
d'envisager leur refonte pour favoriser leur utilisation efficiente par les
victimes (Paragraphe 2).
PARAGRAPHE 1 : Le renforcement de
l'indépendance des procédures alternatives au classement sans
suite
Le renforcement de l'indépendance des procédures
alternatives au classement est nécessaire en raison des
dysfonctionnements observés dans la pratique (A), en
redéfinissant les interventions du ministère public
(B).
A- Le renforcement de l'indépendance des
procédures alternatives au classement sans suite en raison des
dysfonctionnements observés dans la pratique
Le ministère public reste un acteur incontournable en
matière de poursuite. Aucune poursuite ne peut être engagée
sans ses réquisitions, que la procédure vienne d'un cabinet
d'instruction ou de la formation de jugement. Ses interventions conditionnent
leur déclenchement, leur poursuite et leur dénouement.
Malheureusement, les rapports de collaboration et de concertation voulus par le
législateur en dépit de la séparation des fonctions entre
l'organe de poursuite, d'instruction et de jugement se transforment en rapport
de force troublant l'administration et le fonctionnement de la justice. Le
fauteur de troubles ou l'accusé numéro un reste le
ministère public, qui veut dominer et écraser les autres
autorités judiciaires, en voulant malmener toutes les procédures
à ses goûts, en empiétant le principe de la
séparation des fonctions judiciaires, et en causant doublement du tort
aux victimes.
Quand la victime décide de citer le prévenu
devant le tribunal, il dépose le dossier au parquet pour qu'il le vise
avant de l'envoyer devant la formation de jugement choisie pour l'ouverture du
procès. Cette formalité administrative n'a pas vocation à
permettre au ministère public de juger de l'opportunité des
poursuites, ni d'apprécier la régularité de la
procédure. Elle permet au ministère public de prendre
connaissance du dossier pour défendre l'accusation devant le tribunal,
le viser et le renvoyer devant le tribunal pour que l'affaire passe à
l'audience. Pratiquement, le ministère public a souvent tendance
à se comporter dans certains dossiers de citation directe comme juge
d'opportunité des poursuites, qui décide de saisir une
juridiction ou de classer sans suite. Il se permet de décider s'il y a
lieu que la citation passe ou pas à l'audience.
100
Le plus souvent, quand le ministère public ne souhaite
pas que l'affaire soit jugée, il brille par l'inertie en refusant de
viser le dossier ou de le renvoyer devant le tribunal. Le fait de garder le
dossier dans le secrétariat du parquet équivaut implicitement
à un classement sans suite. Une pratique qui n'est permise par aucun
texte.
Finalement, la victime qui pensait vaincre l'inaction du
ministère public, contourner sa décision ou corriger ses abus se
trouve rattraper. Elle va attendre longtemps jusqu'à renoncer à
son action en concluant que la justice ne défend pas les
intérêts des citoyens. Cette inaction conduit souvent à la
prescription de l'affaire qui porte atteinte aux droits de la victime et
n'honorent pas le système judiciaire.
Ces pratiques honteuses et illégales qui font vivre les
magistrats véreux mettent à mal le principe de la
séparation des fonctions judiciaires. Il est inconcevable qu'une
procédure orientée vers la juridiction de jugement soit
bloquée par l'organe de poursuite. Dans cette hypothèse qui n'est
pas rare dans pratique laisse la victime dans la confusion par l'enlisement de
la procédure, puisqu'elle ne dispose pas des moyens légaux pour
obliger le ministère public à renvoyer le dossier devant la
juridiction indiquée. La victime initiant la citation se heurte à
la léthargie du ministère public, sa lenteur, la disparition
inexpliquée du dossier. La seule raison justifiant cet état de
choses c'est l'absence d'indépendance des procédures alternatives
au classement et le comportement irresponsable de certains parquetiers qui se
croient être les « dieux » de la procédure.
Le dysfonctionnement le plus patent est observé dans
les rapports entre le Procureur de la République et le juge
d'instruction. Il n'est pas inopportun de rappeler que le législateur a
posé la règle de séparation des fonctions entre le
ministère public et le juge d'instruction, en établissant entre
les deux acteurs les rapports de collaboration et de concertation qui
devraient, emporter sur toute autre forme de rapport entre les
deux241. Au ministère public la poursuite et les
réquisitions, au juge d'instruction les recherches et l'instruction. Le
juge d'instruction n'est pas subordonné au ministère public. Ce
dernier requiert seulement l'ouverture de l'instruction et fait, au cours de
l'instruction telles demandes qu'il croit utile. Il est partie devant le juge
d'instruction qui est tenu de statuer sur les demandes et conclusions qu'il
reçoit. S'il ne défère pas à la
241 Art. 67 du CPP dispose : « A toute
époque de l'information le procureur de la République peut
demander au magistrat instructeur la communication de la procédure et
requérir tous actes lui paraissant utiles à la manifestation de
la vérité... »
101
demande, il doit la rejeter par ordonnance motivée dans
un délai de cinq jours. Mais dans la pratique, c'est tout le contraire.
Le Procureur de la République a substitué les rapports de
concertation quotidienne, en rapports de subordination et de domination entre
lui et le magistrat instructeur qu'il tente d'apprivoiser242 par les
abus.
Le ministère public s'arroge les pouvoirs du
supérieur hiérarchique du juge d'instruction en l'imposant ce
qu'il doit faire dans telle ou telle affaire. La résistance d'un juge
d'instruction aux injonctions du Procureur de la République qu'il
s'agisse de refuser d'instruire, de décider d'un non-lieu ou de ne pas
accomplir les actes essentiels pour la manifestation de la
vérité, n'est pas sans conséquence. Le juge d'instruction
pourrait se retrouver avec moins de dossiers que ses collègues qui ont
fait allégeance, car c'est lui qui répartit les affaires entre
les différents cabinets d'instruction, créant ainsi un sentiment
de supériorité chez le Procureur de la République et de
redevabilité chez le juge d'instruction. Une telle tâche de
répartition des dossiers devrait être réalisée par
le doyen des juges ou le président du tribunal que par le Procureur de
la République.
Les tensions entre le ministère public et le juge
d'instruction peuvent compromettre les espoirs de la victime de voir son action
aboutir. Ces tensions peuvent être liées à des conflits de
compétence ou d'intérêts, entraînant une
collaboration limitée ou un dialogue de sourds, avec pour
conséquence la lenteur de la procédure ou sa prescription.
Le juge d'instruction peut communiquer le dossier au
ministère public pour ses réquisitions à fin d'informer,
d'une mesure d'instruction, de règlement définitif et autre sans
avoir de réponse dans les meilleurs délais ou pas du tout. En
refusant de prendre des réquisitions utiles pour la poursuite de
l'information, la procédure traine, et parfois se solde par la
prescription. Le manque d'implication du Procureur dans le suivi de
l'instruction porte atteinte aux droits des parties prenantes et à la
qualité de l'enquête.
De son côté, le ministère public peut
demander au juge d'instruction la communication du dossier et de ne pas avoir
de suite. Il peut faire trainer le dossier dans son cabinet sans poser aucun
acte ou refuser de le communiquer au mépris des droits de la victime qui
attend le dénouement de l'information.
242 MILANDOU (A), La lenteur née
des rapports ministère public-juridiction d'instruction,
Mémoire pour l'obtention du diplôme du cycle secondaire,
filière Magistrature de l'ENAM, 1991, p.25
102
Au regard de ce qui vient d'être dit, il est
impérieux de renforcer l'indépendance des différents
procédés mis à la disposition de la victime, en les
soustrayant de la tutelle du Procureur de la République, tout au moins
en redéfinissant ses interventions dans ses rapports avec le juge
d'instruction et le juge de jugement, afin de pallier les dysfonctionnements
relevés.
B- Le renforcement de l'indépendance des
procédures alternatives au classement sans suite en redéfinissant
les interventions du ministère public
Le ministère public a le devoir de s'acquitter de sa
tâche d'une façon efficace, avec un sens profond de la
dignité et de la justice des procédures judiciaires243
Par son pouvoir de réquisitions, il est érigé en acteur
incontournable dans la décision du droit d'accès au juge. S'il
dispose du droit légal de classer sans suite une plainte reçue,
il use du droit de classement implicite et silencieux lors des
procédures venant de l'instruction ou orientées vers la
juridiction de jugement par sa simple inaction qui ne constitue ni une
infraction, ni une faute personnelle. Il est regrettable que l'accès au
juge puisse être entravé pour certains citoyens. En effet, il
n'existe pas de délai spécifique pour acheminer une citation
directe, répondre aux ordonnances du juge d'instruction ou exercer des
voies de recours ou de pression en cas d'inaction prolongée. Cette
situation peut malheureusement conduire à la prescription des affaires,
privant ainsi les victimes de la justice qu'elles méritent.
Une attente interminable pousse la victime à renoncer
à son action et à chercher des moyens d'obtenir une justice
privée. Le Procureur se place au-dessus des droits de la victime en
raison de sa liberté d'action, de l'absence de cadre pour son pouvoir,
de la définition floue de ses obligations et du manque de contrôle
de ses actions, ce qui contribue à l'affaiblissement du système
judiciaire. Cette imprécision permet à de nombreux procureurs de
s'enrichir et d'être courtisés par les justiciables ou leurs
proches. Une solution consisterait à imposer des délais d'action
au Procureur de la République ou le mettre de côté.
243 Boucher c. La Reine, [1955] R.C.S. 16 aux pp. 23-24. Voir
aussi Rex c. Chamandy (1934), 61 C.C.C. 224 (C.A. Ont.) à la p. 227.
« It cannot be made too clear, that in our law, a criminal prosecution is
not a contest between individuals, nor it is a contest between the Crown
endeavouring to convict and the acçused endeavouring to be acquitted;
but it is an investigation that should be conducted without feeling or animus
on the part of the prosecution, With the single view ofdetermining the truth
».
103
L'absence de définition du délai
d'accomplissement de certains actes procéduraux profitent aux magistrats
véreux qui jouissent parfois d'une impunité légendaire.
Cela crée un boulevard à la lenteur, la prescription,
l'orchestration des abus, et à la corruption. Il existe un mythe
ancré dans notre subconscient, selon lequel tout devrait tourner autour
du ministère public, car il est le garant de l'ordre public. Mais qu'en
est-il lorsque ce gardien de l'ordre public se transforme en un
défenseur de l'injustice, en un monstre froid qui piétine et
dévore les droits des citoyens, s'élevant au-dessus de tous,
alors qu'il n'est pas la seule autorité à garantir les droits
individuels ? Il n'y a aucun inconvénient à réduire ses
pouvoirs en renforçant la séparation des fonctions et le
contrôle de ses actions.
Au sujet de la constitution de partie civile devant le juge
d'instruction, les interventions du ministère public doivent cesser
d'être obligatoire. Le système actuel voudrait que le juge
d'instruction n'ouvre244, ne clôture et ne pose certains actes
d'information qu'après avoir communiqué le dossier au
ministère public pour ses réquisitions. Si le ministère
public réagit, le juge d'instruction poursuit son travail, en cas
d'inaction, la procédure s'arrête. Pour pallier ces
difficultés et permettre au juge d'instruction d'accomplir sa
tâche sans subir les caprices du ministère public, il va falloir
définir les délais pour lesquels le ministère public est
tenu de réagir. Au cas où il ne prend pas des réquisitions
au-delà des délais impartis, le juge d'instruction passe outre.
C'est une mesure visant à sanctionner son inaction qui recèle
souvent les manoeuvres occultes. Par exemple, si le juge d'instruction
communique le dossier pour l'ouverture de l'information, son extension ou le
règlement définitif, le ministère public doit disposer de
10 jours pour prendre ses réquisitions. S'il ne le fait pas, le juge
d'instruction ouvre l'information, étend l'information à d'autres
faits non visés par le réquisitoire introductif, clôture
son information et renvoie le dossier devant la juridiction compétente.
Le juge d'instruction en transmettant le dossier au parquet, il doit garder un
exemplaire, en cas de non-retour, il n'aura pas de difficultés de
continuer à poser les actes nécessaires à l'information.
Pareille chose doit être faite quand le procureur demande la
communication du dossier de la procédure. Il y a des dossiers qui sont
gardés dans
244 Art. 64-2 du CPP dispose : « Le juge
d'instruction ne peut informer qu'en vertu d'un réquisitoire du
Procureur de la République ». Le juge d'instruction ne peut se
saisir lui-même. S'il le pouvait, il mettrait lui-même l'action
publique en mouvement en violation du principe de la séparation des
fonctions de poursuite et d'instruction.
104
les parquets sans retour dans les cabinets d'instruction de
provenance jusqu'à leur prescription.
Pour la citation directe, elle doit être
déposée à la formation de jugement qui sera tenue de
communiquer un exemplaire au parquet pour la viser dans un délai de 10
jours. Dépassé ce délai, le tribunal inscrit l'affaire au
rôle pour être jugée. Cette solution va lutter contre les
abus du ministère public et sa toute-puissance. Elle renforcera le
principe de la séparation des fonctions judiciaires. Il est curieux
qu'une procédure déclenchée devant la juridiction de
jugement ou d'instruction, censée pallié le classement traine ou
se prescrive à cause de l'organe de poursuite qui refuse de prendre ses
réquisitions. Le ministère public doit jouer la fonction
protocolaire au sujet des procédures engagés devant les
juridictions répressives, en lui retirant son pouvoir d'impulsion en se
permettant de tout faire en toute impunité.
L'inaction irrémédiable est un pouvoir entre les
mains du Procureur de la République pour enterrer les
procédés correctifs de classement. Il faut créer les
véritables contrepouvoirs sans les subordonner au pouvoir ou aux
caprices du ministère public et en envisageant leur refonte pour
favoriser leur meilleur accès par les victimes. Il est essentiel de
réformer ces aspects du système judiciaire afin de garantir un
accès équitable et rapide à la justice pour tous les
citoyens, sans compromettre leurs droits.
PARAGRAPHE 2 : La refonte des procédures
alternatives au classement sans suite
La refonte consiste à réviser un texte pour
l'améliorer. Il est généralement admis que les textes
régissant les procédures alternatives présentent des
difficultés pratiques, entravant leur bon déroulement et portant
atteinte aux droits des victimes d'infractions. Une révision s'impose
tant pour la procédure de constitution de partie civile devant le juge
d'instruction (A) que celle enclenchée devant le juge
de jugement (B).
A- La refonte de la procédure de constitution
de partie civile devant le juge d'instruction
Le juge d'instruction joue un rôle central dans la
procédure de constitution de partie civile pour une victime de
classement sans suite. Il effectue tous les actes d'information
105
qu'il juge nécessaires pour établir la
vérité245. Plusieurs obligations pèsent sur lui
afin de garantir le bon déroulement de la procédure, notamment
l'obligation d'instruire, de collaborer avec le ministère public et de
rendre des ordonnances à chaque étape du processus. Malgré
ces multiples responsabilités, des lacunes subsistent,
nécessitant une limitation des actions du magistrat instructeur dans un
délai précis, sous peine de sanctions.
Il est déplorable de constater que certains
justiciables voient leurs droits bafoués parce que le juge d'instruction
n'a pas accompli les actes d'instruction nécessaires pour établir
la vérité, ou parce qu'il s'est abstenu de le faire pendant une
période prolongée, entraînant la prescription de l'affaire
sans qu'il en subisse les conséquences. Certains juges d'instruction
fournissent des informations superficielles ou déforment des faits pour
orienter le dossier vers un non-lieu, ou encore s'abstiennent de communiquer le
dossier au ministère public pour réquisitions.
Lors de notre passage en stage dans un tribunal de grande
instance plus précisément dans les bureaux du parquet de la
République, nous étions surpris de voir plus de cent vingt-cinq
(125) dossiers venus des cabinets d'instruction, pour les réquisitions
aux fins de prescription. Malheureusement, après des années
d'attente, les victimes seraient surprises d'apprendre que leurs affaires ne
pourraient pas être traitées par le juge, car il n'a pas
posé les actes nécessaires et conformes à ses devoirs dans
le temps imparti par la loi. Certains dossiers ont fait 5 ans et d'autres plus
de dix (10) sans qu'aucun acte soit posé. On comprend par ce
comportement que le système judiciaire est malade et mérite
d'être soigné en révisant la procédure et en mettant
à la charge du juge d'instruction de nouvelles obligations dont leur
violation entrainerait une sanction pénale et disciplinaire.
Bien qu'existant, il faut réaffirmer l'obligation
d'instruire jusqu'à la clôture du dossier. En cas de prescription
d'un dossier dans son cabinet, il doit être sanctionné
disciplinairement et civilement pour la paresse ou l'abus de pouvoir. Il doit
réparer le dommage subi par la victime à cause de son
comportement et verser une réparation que la victime prétendrait
avoir de la part de l'inculpé.
Sur le plan disciplinaire, il doit être frappé de
l'abaissement d'échelon et de l'affectation d'office. Ces mesures ne
sauraient efficaces que si l'inspection générale des
245 Art.65 du CPP
106
juridictions et des services judiciaires joue pleinement sa
mission d'enquêter et de vérifier au quotidien le respect par les
acteurs judiciaires de leurs obligations statutaires246.
Dans ses rapports avec le ministère public, nous ne
plaidons pas pour la suppression pure et simple des réquisitions du
ministère public dans la procédure d'instruction. Elles restent
nécessaires pour éclairer le juge en charge du dossier. Ce que
nous déplorons et nous souhaitons une refonte, c'est la subordination de
l'instruction aux réquisitions obligatoires du ministère public
sans lesquelles le juge d'instruction n'y peut rien, et n'a aucun moyen de le
forcer pour les provoquer. Cette exigence, souvent à l'origine des
blocages doit être revue.
L'absence d'imposition de délai au juge d'instruction
dans la communication du dossier au ministère public constitue
également un véritable goulet d'étranglement pour cette
procédure. Dès la réception d'une plainte de la part de la
victime, elle doit être communiquée au ministère public
dans un délai de sept (7) jours pour réquisitions afin
d'éclairer le juge d'instruction. Apres l'envoi des réquisitions
ou non dans un intervalle de sept (7) jours, le juge d'instruction doit entamer
son instruction sans une ordonnance motivée pour ne pas alourdir son
travail. Rien ne l'interdit de rendre une ordonnance de refus d'informer s'il
apparait que les faits ne tombent pas sous le coup de la loi pénale ou
que l'action publique est déjà éteinte ou la personne
jouit d'une immunité.
Il peut aussi rendre une ordonnance d'incompétence,
s'il constate qu'au point de vue de la compétence d'attribution ou de la
compétence territoriale l'affaire n'est pas de son ressort. Tout au
moins, le législateur doit indiquer les motifs pour lesquels celui
à qui incombe l'obligation d'instruire peut refuser d'informer,
même si la victime dispose d'une garantie de voie d'appel devant la
chambre d'accusation.
L'obligation d'instruire doit inclure l'obligation
d'étendre l'information à des faits nouveaux sans provoquer les
réquisitions du ministère public et à l'obligation de
rendre une ordonnance de clôture conforme aux éléments
d'investigations recueillis. Certains magistrats dénaturent les
éléments d'enquête pour orienter les résultats de
l'enquête vers un non-lieu.
246 Les articles 6-6 et 8 du décret n°99-87 du 19 mai
1999 portant attributions, organisations et fonctionnement de l'inspection
générale des juridictions et des services judiciaires
107
Le juge d'instruction doit travailler en
collégialité. Pour être plus précis, il faut mettre
fin au caractère de juge unique dans les cabinets
d'instruction247. On ne doit pas abandonner entre les mains d'un
seul juge un travail si complexe et si contraignant. La
collégialité est un moyen de se contrôler et de dissuasion
en cas de sollicitation à la corruption. Elle contribuera à la
célérité dans le traitement des affaires en
répartissant les tâches entre les différents juges. Nous
étions surpris de trouver plus de 700 dossiers dans un seul cabinet
d'instruction lors de notre stage au tribunal de grande instance de Brazzaville
alors que dans une chambre civile nous avons trouvé 22 juges. Nous
concluons que nos lois ne sont pas collées à la
réalité du terrain. Cinq juges par cabinet d'instruction avec un
président coordonnateur à leur tête serait un
système efficace.
Le juge d'instruction doit fixer les frais de procédure
appelés consignation au regard des dispositions légales. La loi
doit prévoir une somme modique que la victime doit consigner au greffe
pour éviter que les magistrats cupides exploitent les victimes et
verrouillent la porte d'accès au juge, surtout que l'assistance
judiciaire n'existe que sur papier. Ne mesurons pas la capacité
financière en fonction des victimes de grandes villes. Il faut
l'évaluer aussi en fonction de celles qui vivent dans les petits
villages. Néanmoins, pour une procédure alternative au
classement, il n'y a aucune raison qu'une consignation soit imposée
à la victime qui a déjà soldé les frais du
dépôt de sa plainte au procureur de la République. S'il
faut l'admettre, il est souhaitable qu'un montant minimum de 5000 frs soit
fixé pour toute la procédure.
La justice est un service public. Il est illogique de faire
payer à la victime les frais de la procédure. Pour un simple
transport sur les lieux, au lieu de demander les frais de transport comme le
nom l'indique, mais on va au-delà. Pour une petite distance on demande
300000 à 500000 mille pour les frais de transport sur les lieux. Si la
victime ne verse pas une telle somme, le juge d'instruction s'assoit sur le
dossier jusqu'à la prescription ou passe outre. Pour le cas de
Brazzaville, il est difficile que les frais de transport sur les lieux soient
inferieurs à 100000 frs. Question de dire que les démunis
n'auront pas droit à la justice.
247 L'art. 78 de la loi n°19-99 du 15 août 1999
modifiant et complétant certaines dispositions de la loi n°022-92
du 20 août 1992 portant organisation du pouvoir judiciaire dispose :
« Le cabinet d'instruction est une juridiction à juge unique
».
108
Le magistrat instructeur doit informer la victime de toutes
les étapes de la procédure, de l'évolution de
l'enquête et des actes d'instruction qu'il compte poser et des
ordonnances qu'il envisage de prendre. Il est curieux que la victime apprenne
que l'inculpé est mis en liberté sans qu'elle soit
informée et reçoive une garantie de la part du juge. La victime
doit avoir les mêmes droits que le procureur de la République de
demander les mesures d'instruction qu'elle juge utiles pour la manifestation de
la vérité.
Le juge d'instruction doit se voir obliger d'émettre un
mandat d'amener si le présumé auteur ne se présente pas ou
le mandat d'arrêt s'il a pris la fuite. Le mandat doit être
gratuit, impératif et non facultatif. Le juge d'instruction ne saurait
se contenter des convocations et s'abstenir d'avancer dans l'instruction parce
que le présumé auteur ne se présente pas. Imaginons
qu'à la fin de l'information, le juge d'instruction rende une ordonnance
de non-lieu, parce que l'auteur ne s'est pas présenté ou reste
introuvable, alors que le juge d'instruction dispose d'un pouvoir de
décerner les mandats contraignants et qu'il n'en n'a pas usé car
la victime n'a pas dégagé la somme exigée pour son
émission. Il faut cesser de faire payer les frais des mandats aux
victimes qui sont déjà en détresse et dont le coût
s'élève à plus de 200000frs. Il ne faut jamais perdre de
vue que l'action publique est exercée au nom de la
société. Elle vise à réprimer le trouble à
l'ordre public. Il n'est pas évident qu'un délinquant se
promène librement parce que sa victime n'a pas dégagé les
fonds nécessaires pour son arrestation et sa comparution alors qu'il
s'agit de l'action publique. Il est crucial de garantir que les victimes ne
subissent pas de préjudice financier supplémentaire lorsqu'elles
cherchent à obtenir justice.
B- La refonte de la procédure de citation
directe
Lorsqu'une personne souhaite engager une procédure
judiciaire par voie de citation directe, elle doit faire appel à un
huissier de justice pour en assurer la signification à la partie
adverse. Les diligences que l'huissier doit réaliser dans la
rédaction d'une citation directe consiste à vérifier la
recevabilité de la demande c'est-à-dire si les conditions de
recevabilité de la demande sont remplies notamment en ce qui concerne
les conditions de fond et de forme ; signifier la citation à la partie
adverse, c'est-à-dire lui notifier officiellement la procédure en
la lui remettant en main propre dans un délai précis ;
établir un procès-verbal de signification qui atteste que la
signification a bien
109
été effectuée et à déposer
la citation directe auprès du tribunal compétent. Cette
procédure parait assez simple, avantageuse et efficace en favorisant la
saisine directe de la juridiction répressive comme on peut le penser
alors que ce n'est pas toujours le cas. En raison de ses contraintes
légales, elle doit être révisée pour permettre aux
victimes d'en faire usage régulièrement.
La première difficulté est liée à
l'exigence d'un agent d'exécution qui sera chargé de sa
rédaction et sa signification. L'exigence de l'intervention d'un
huissier est loin de refléter la cartographie judiciaire des agents
d'exécution et le revenu moyen des citoyens congolais. Il y a plusieurs
juridictions dans le ressort desquels il n'y a pas d'huissier de justice. Les
huissiers sont plus concentrés dans les grandes villes comme Brazzaville
et Pointe-Noire. Il est difficile de trouver un huissier de justice à
Ngomboma par exemple. Il revient à dire que la victime d'une infraction
qui se trouve dans une localité dans laquelle il n'y a pas d'huissier de
justice, ne peut pas saisir directement le juge de jugement. Elle ne peut non
plus saisir une autre juridiction en tenant compte de la notion de
compétence territoriale. Donc cette garantie offerte aux victimes de
classement sans suite ne joue que dans les grandes villes. Dans les petites
localités, les voies d'accès au juge sont réduites. En
s'inspirant du droit français, le législateur congolais n'a pas
tenu compte des réalités locales.
Bien plus, dans les localités où il y a un
huissier de justice, un autre problème se pose : le coût de la
procédure. Elle s'avère réservée aux citoyens qui
ont des assises financières. Au regard du niveau de vie des citoyens
congolais, une telle procédure n'est pas accessible à plusieurs.
Pensez-vous qu'un villageois, un paysan ou un fonctionnaire peut facilement
avoir dans un temps relativement court 150000 pour s'offrir les services d'un
huissier de justice, qui s'occupera de sa citation ? La réponse est
négative alors que l'accès à la justice est un droit
fondamental, qui doit être garanti par les textes, en tenant compte des
difficultés que les citoyens rencontrent.
La suppression de l'intervention d'un huissier dans la
rédaction d'une citation directe pour des raisons financières et
géographiques comme soulignées ci-haut serait la bienvenue. En
permettant à chaque victime de rédiger sa citation, en la rendant
moins formaliste, est une solution raisonnable. Conscient que tous les
justiciables ne connaissent pas la loi, ne savent pas lire et écrire,
l'exigence de viser les textes légaux de prévention et de
répression dans la citation doit être écartée, en
simplifiant sa rédaction sous la forme d'une plainte mentionnant les
faits, indiquant l'identité du
110
présumé auteur et ses références
d'identification. Il reviendra au ministère public de formuler l'acte
d'accusation ou le tribunal.
Dans le cadre de la facilitation du droit d'accès au
juge, l'Etat doit créer les centres d'aide judicaire aux victimes qui
seront composés des professionnels du droit. Ils seront
rémunérés par l'Etat ayant comme mission le conseil,
l'orientation, la rédaction gratuite des plaintes et citations directes
selon les exigences de la loi, si la victime ne souhaite pas le faire
elle-même.
Le dépôt de la citation doit se faire au tribunal
qui doit vérifier le respect des différentes mentions
nécessaires à l'identification du prévenu et de la victime
voire des témoins et demander à la victime de régulariser
sa citation, avant son passage à l'audience, en cas de défaut
d'une mention importante. La notification doit être assurée par
les greffiers, ou un service formé pour cette tâche. Un autre
problème lié à la citation directe qui mérite une
révision est l'interdiction de citer les criminels devant la cour
d'appel. Cette restriction limite les droits des victimes d'accéder au
juge, si jamais leur plainte est classée sans suite. La raison souvent
évoquée est qu'en citation directe, le prévenu doit
comparaitre libre alors qu'un présumé criminel doit être
placé sous mandat de dépôt et jugé lors des sessions
crinelles.
Pour un meilleur accès à la justice, la citation
des criminels doit se faire avec la possibilité de décerner un
mandat de dépôt. Ensuite, il faut supprimer les sessions
criminelles qui ne favorisent pas les victimes avec le temps qu'elles prennent
pour se tenir. Si elles font une année sans se tenir, tous les
présumés criminels vont se retrouver dehors avec la
possibilité de s'enfuir puisque la détention préventive ne
peut dépasser 10 mois. Le mimétisme juridique doit
refléter l'environnement dans lequel il doit s'appliquer. La suppression
des sessions criminelles permettra aux victimes d'obtenir justice dans un temps
relativement court et de mettre de côté les jurés qui ne
connaissent pas le droit, mais se prononcent sur la base de leurs sentiments et
impressions et non de manière objective.
Tout compte fait, le remède contre les
dysfonctionnements relevés dans le système de classement sans
suite réside, dans la création, d'un juge d'opportunité
des poursuites, avec des pouvoirs et des obligations bien définis ; la
prise en compte des droits des victimes et le renforcement de
l'efficacité des procédures alternatives au classement sans
suite.
111
CONCLUSION
Il est inconcevable d'imaginer un système d'application
de la loi pénale où aucune personne ayant autorité ne
serait appelée à décider, si une personne doit être
poursuivie ou non pour une infraction alléguée. En
procédure pénale congolaise248, ce pouvoir est
attribué au Procureur de la République. Contrairement au
système de légalité des poursuites, qui veut que toute
infraction portée à la connaissance du Procureur de la
République soit suivie des poursuites, le système
d'opportunité lui accorde le plein pouvoir de décider du
traitement à réserver à une affaire pénale : il
peut la renvoyer devant un juge ou la classer sans suite.
Le classement sans suite est une décision prise par le
Procureur de la République, lorsqu'il estime qu'il n'y a pas lieu de
poursuivre une affaire pénale, pour des raisons de
légalité ou d'opportunité. Cette décision signifie
que l'affaire ne sera pas portée devant le juge. Elle n'implique
cependant pas l'abandon des poursuites, dès lors que le ministère
public peut à tout moment, pendant le délai de prescription,
revenir sur sa position pour mettre en marche la machine judiciaire.
La décision de classement sans suite n'obéit pas
à un cadre juridiquement défini d'avance. Elle fait appel
exclusivement à la conscience, au jugement, à l'intime conviction
et à l'opinion personnelle du Procureur de la République.
Le mécanisme de classement sans suite est une
expression du pouvoir discrétionnaire reconnu au ministère
public. Ce pouvoir signifie liberté d'appréciation, absence de
régulation et de contrôle. Dans une très large mesure,
c'est sur l'intégrité personnelle du Procureur de la
République qu'il faudra compter, pour que son pouvoir soit exercé
avec toute la rectitude nécessaire.
Positivement, ce pouvoir est un outil indispensable pour la
gestion des affaires pénales. Il permet au ministère public de
trier les affaires que les tribunaux doivent connaitre en raison de leur
importance, des ressources disponibles, des priorités et d'éviter
les poursuites inutiles, inopportunes et injustifiées249.
Toutefois, ce pouvoir
248Art. 28-1 du CPP
249KAVUNDJAN MANENO (T), Procédure
pénale, Paris, Espérance, 2022, pp. 459-460. Cet auteur
affirme que la mise en oeuvre du pouvoir d'appréciation reconnu au
Ministère public permet certains avantages dans le système
judiciaire. Il s'agit d'une part de filtrer les dossiers à soumettre au
juge, d'éviter des poursuites inutiles lorsque les faits sont prescrits,
amnistiés ou lorsqu'il s'avère impossible d'en découvrir
les auteurs, d'éviter aux personnes
112
connait quelques limites. Ainsi, le Procureur de la
République ne peut classer sans suite une plainte mettant en cause une
personne jouissant des privilèges juridictionnels, puisque ce pouvoir
relève de la Cour suprême. Il ne peut non plus classer une affaire
après la décision de poursuite car l'action publique devient
indisponible après sa mise en mouvement.
Négativement, à cause des lacunes légales
qu'il comporte, le pouvoir de discrétion aboutit immanquablement
à une application sélective, discriminatoire, et donc
inégale de la loi, devenant ainsi un vecteur d'abus.
Concrètement, ces lacunes sont traduites tout d'abord,
par la possibilité reconnue au Procureur de la République de
choisir en toute liberté, le motif de classement sans suite. Cette
liberté crée une disparité dans ses décisions,
encourage les abus qui ternissent l'image de la justice, alimentent les
soupçons de la présence du ver dans le fruit de la magistrature
et créent une justice à double vitesse. Une telle situation ne
saurait être remédiée que par la définition des
motifs qui orienteront les décisions du ministère public et
feront barrage à l'arbitraire.
Ensuite, l'absence d'obligation de motiver sa décision,
créant ainsi, une certaine opacité de son action. Ce
système ignore la nécessité de la motivation,
élément de pédagogie et de compréhension de la
décision par les justiciables et gage d'impartialité.
Bien plus, la liberté du choix du délai de
réponse d'une plainte reçue. Pratiquement, beaucoup de plaintes
trainent longtemps dans ses bureaux, laissant les victimes dans une totale
incompréhension et conduisant certaines affaires à la
prescription. L'idéal serait d'imposer un délai de réponse
de trois mois pour pallier ces abus.
En outre, le Procureur de la République
détermine la forme de la réponse à donner à la
victime. En réalité, il est tenu de prendre un acte de classement
sans suite comme il le fait pour les actes de poursuite. Malheureusement, en
pratique, il y a des classements silencieux, laissant la victime dans une
confusion et soif de justice. L'option de classement implicite traduit souvent
la crainte de porter à la connaissance
concernées les inconvénients de poursuites
injustifiées, à la société de troubles inutiles, et
de réduire l'encombrements des juridictions.
113
du plaignant une décision fantaisiste qui alimenterait,
les soupçons de corruption ou de trafic d'influence.
Enfin, le ministère public reste libre d'informer la
victime, oubliant que l'information est cruciale dans une procédure
judiciaire, afin de permettre à la victime d'envisager d'autres
démarches et de savoir que sa plainte a été prise en
compte.
Le comble des lacunes du système actuel se traduit
visiblement par l'absence des voies de recours placées entre les mains
de la victime pour contraindre le ministère public à revoir sa
position ou à sortir de son silence. Or, le recours permet d'assurer le
contrôle de la décision prise et de redresser une situation mal
traitée.
La victime peut néanmoins contourner le refus d'agir du
Procureur de la République, en engageant les poursuites devant les
juridictions répressives.
En un mot, le maniement du pouvoir de classement sans suite
conduit à une application à géométrie variable de
la loi, devient une source de revenus pour les magistrats sans scrupules, un
moyen pour faire passer leurs proches, leurs amis ou les hommes influents de la
société à travers les mailles du filet de la
répression et un facteur criminogène.
L'antidote pour remédier aux dysfonctionnements de la
machine judiciaire au premier regard, résiderait d'une part dans la
définition des pouvoirs et des obligations du Procureur de la
République et d'autre part dans la prise en compte des droits du
plaignant notamment le droit à l'information, à l'orientation
vers d'autres démarches, à une réponse motivée dans
un délai relativement court et le droit de recours devant le procureur
général.
Cette approche a tout de même ses faiblesses qui ne
permettront pas de rendre à notre justice ses lettres de noblesse
à savoir : l'absence d'indépendance du Procureur de la
République vis-à-vis de sa hiérarchie judiciaire et
politique ; son irrécusabilité combien même il existerait
les soupçons d'impartialité ou de corruption, exposant ainsi la
victime à une décision arbitraire et enfin son
irresponsabilité sauf prise à partie dont la preuve n'est pas
toujours aisée à rapporter.
La construction d'un système efficace passe par la
création d'un juge d'opportunité des poursuites.
Indépendant, récusable et responsable de ses actes, ce magistrat
traitera les plaintes reçues par le ministère public dans un
délai d'un mois. Apres
114
examen, il pourra rendre soit une ordonnance de poursuite
communicable au ministère public pour le déclenchement des
poursuites dans un délai de dix (10) jours ; soit une ordonnance de
conciliation pour motif d'opportunité défini d'avance ou soit une
ordonnance de classement sans suite motivée, notifiable et contestable
par le ministère public et la victime devant la chambre d'accusation.
Faute d'une indépendance décisionnelle, le
ministère public se contentera de recevoir les plaintes, d'ordonner une
enquête préliminaire ne pouvant dépasser deux mois et de
soumettre les dossiers au juge d'opportunité des poursuites pour
appréciation.
Dans le souci de garantir le droit d'accès au juge pour
la victime de classement sans suite, il est nécessaire de renforcer
l'efficacité des procédures alternatives au classement sans suite
notamment la constitution de partie civile devant le juge d'instruction et la
citation directe.
Cette efficacité sera assurée par leur
détachement au pouvoir du ministère public qui s'érige
souvent en obstacle pour leur déclenchement et aboutissement par son
inertie à prendre les réquisitions exigées dans les
dossiers pleins d'enjeu ; la définition d'un délai minimum
au-delà duquel si le ministère public ne prend pas les
réquisitions attendues, la juridiction saisie pourra passer outre ; la
réduction de leur coût et l'obligation pour le juge saisi
d'émettre gratuitement les mandats contraignants selon leur usage ; la
simplification de tout acte de saisine du juge en une simple plainte sans
formalisme rigoureux ; l'élargissement de la procédure de
citation directe aux crimes ; la suppression de l'intervention d'un huissier de
justice dans la procédure de citation directe pour réduire son
coût et permettre son effectivité sur tout le territoire national
; l'instauration de la collégialité dans les cabinets
d'instruction, pour la célérité et la lutte contre la
corruption et la création des centres d'aide aux victimes
composés des juristes qui les accompagneront dans leur
démarche.
La question sur le régime juridique du classement des
affaires pénales doit être traitée de manière
générale et pertinente. Il n'est pas rare de voir certains
dossiers dont les poursuites sont portées devant une formation de
jugement, s'ensabler définitivement, alors que ceux ayant donné
lieu à une instruction, se solder par un abandon des poursuites,
jusqu'au constat de la prescription de l'action publique. C'est donc à
tort que cette question reste focalisée uniquement sur le parquet, alors
que celui-ci ne constitue qu'un maillon de la chaine de traitement de la
délinquance.
115
L'élargissement de la notion de classement sans suite
est nécessaire, car elle touche toute la chaine pénale. Chaque
fois que la réponse pénale n'est pas appropriée
après la commission d'une infraction, à cause de l'inaction de
celui qui devrait la dénoncer, porter plainte auprès des
autorités compétentes, autoriser les poursuites, mettre en
accusation le présumé auteur, le poursuivre, le juger et
exécuter la décision rendue, il s'agit sans l'ombre d'aucun doute
d'un classement sans suite.
Le traitement en profondeur de cette question dans tous ses
contours et à tous les niveaux de la chaine pénale contribuera
à éjecter le ver qui ronge le fruit succulent de la justice,
à lutter contre l'arbitraire, à réhabiliter l'image de
l'appareil judiciaire et à éloigner la protection accordée
à certains présumés auteurs d'infractions.
Le magistrat congolais, présenté souvent comme
le plus corrompu de la société par le pouvoir politique ; le
système judicaire, traité de malade sans perspective de
guérison par le peuple, retrouveront leurs lettres de noblesse perdues
en prenant des décisions de classement sans suite claires, impartiales
et respectueuses des droits de la victime.
Finalement, la prise en compte de la recette proposée
constitue la véritable matrice pour l'implémentation et la
promotion d'un système répressif efficace, égalitaire,
équitable, digne de confiance et répondant aux standards d'un
Etat de droit.
116
BIBLIOGRAPHIE
I- TEXTES
A-Textes internationaux
-Déclaration internationale des droits de l'homme du 10
décembre 1948
-Convention européenne de sauvegarde des droits de
l'Homme et des libertés fondamentales
B-Textes nationaux
-Constitution du 25 octobre 2015
-Loi n°1-63 du 13 janvier 1963 portant code de
procédure pénale
-Loi n°51-83 du 21 avril 1983 portant code de
procédure civile, commerciale, administrative et financière
-Loi 15-99 du 1999-04-15 modifiant et complétant
certaines dispositions de la loi n°023-92 du 20 août 1992 portant
statut de la magistrature
-Loi n°17-99 du 15 avril 1999 modifiant et
complétant certaines dispositions de la loi n°025-92 du 20
août 1992 et de la loi n°30-94 du 18 octobre 1994 portant
organisation et fonctionnement de la cour suprême
-Loi n°7-2003 du 6 février 2003 portant
organisation et fonctionnement des collectivités locales
-Charte des droits et des libertés adoptée le 29
mai 1991 (Conférence souveraine). -Loi n°4-2010 du 14 juin portant
protection de l'enfant en République Congo
-Loi n°19-99 du 15 août 1999 modifiant et
complétant certaines dispositions de la loi n°022-92 du 20
août 1992 portant organisation du pouvoir judiciaire
-Décret n°99-87 du 19 mai 1999 portant
attributions, organisation et fonctionnement de l'inspection
générale des juridictions et des services judiciaires
-Décret n°99-88 du 19 mai 1999 portant
attributions et organisation du ministère de la justice
117
II-OUVRAGES
-BAMBA (Saturnin Lovel), Le déroulement du
procès pénal : Essai de droit comparé Congo/France,
Paris, L'Harmattan, 2019, 267 pages
-BORRICAND (Jacques) et SIMON (Anne-Marie), Droit
pénal procédure pénale, Paris, 6e édition,
Dalloz, 2018, 460 pages
-BOULOC (Bernard), Procédure pénale,
Paris, 23e édition, Dalloz, 2012, 1102 pages -BOULOC
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www.annalesumng.org
122
TABLE DES MATIERES
DEDICACE I
REMERCIEMENTS II
ABREVIATIONS III
SOMMAIRE IV
INTRODUCTION 1
PREMIERE PARTIE : LES LACUNES DU REGIME
JURIDIQUE
DU CLASSEMENT SANS SUITE 12
CHAPITRE I : L'ABSENCE D'ENCADREMENT DU POUVOIR DE
CLASSEMENT
SANS SUITE DU PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE 14
Section 1 : Le classement sans suite : une
décision relevant du pouvoir
discrétionnaire du Procureur de la République
15
Paragraphe 1 : L'analyse du pouvoir
discrétionnaire du Procureur de la
République 15
A- La notion du pouvoir discrétionnaire du Procureur de
la République 15
B- La portée du pouvoir discrétionnaire du
Procureur de la République 18
Paragraphe 2 : Les limites du pouvoir
discrétionnaire du Procureur de la
République 22
A- L'empêchement de classement d'une plainte
dirigée contre une personne jouissant
des privilèges de juridiction 22
B- L'empêchement de classement sans suite après la
mise en mouvement
de l'action publique 25
Section 2 : Les implications pratiques du
pouvoir discrétionnaire du Procureur de la
République lié au classement sans suite
28
Paragraphe 1 : La liberté de choix du
motif de classement sans suite 28
A- La liberté de choix dicté par les
éléments du dossier 28
B- La liberté de choix dicté par d'autres facteurs
30 Paragraphe 2 : La liberté de choix du mode et du
délai
de classement sans suite 34
A- Le choix de la forme du classement sans suite
34
123
B- Le choix du délai du classement sans
suite 36
CHPITRE II : LE MANQUE DE LISIBILITE DES OBLIGATIONS DE
L'AUTEUR DU CLASSEMENT SANS SUITE ET DES DROITS DU PLAIGNANT 40
Section 1 : Le non-assujettissement du
classement sans suite à l'obligation de
motivation et de notification 40
Paragraphe 1 : L'absence de l'obligation de
motivation
du classement sans suite 40
A- La pratique liée à l'absence de motivation dans
la décision
de classement sans suite 40
B- La nécessité de la motivation dans la
décision de classement sans suite 43 Paragraphe 2 :
L'obligation de notification de la décision
de classement sans suite 46
A- L'observation facultative de l'obligation de notification en
matière
de classement sans suite 46
B- L'intérêt d'observation de l'obligation de
notification en matière
de classement sans suite 48
Section 2 : L'inexistence du droit de recours
pour le plaignant
du classement sans suite 50 Paragraphe 1 : Le
fondement de l'inexistence du droit de recours contre
le classement sans suite 50
A- Le classement sans suite : une décision administrative
50
B- Le classement sans suite : une décision provisoire
52
Paragraphe 2 : La méconnaissance
discutable du droit de recours contre le
classement sans suite 55
A- Un possible recours en vertu de la nature administrative
de la décision de classement 55
B- L'admission de voie de recours en vertu des effets
de la décision de classement 57
124
DEUXIEME PARTIE : LES PERSPECTIVES D'AMELIORATION DU
REGIME
JURIDIQUE DU CLASSEMENT SANS SUITE 61
CHAPITRE I : LA REDEFINITION DE L'AUTORITE INCARNANT LE
POUVOIR
D'OPPORTUNITE DES POURSUITES 63
Section 1 : L'instauration d'un juge
d'opportunité des poursuites 63
Paragraphe 1 : Les pouvoirs du juge
d'opportunité des poursuites 63
A- Le pouvoir d'appréciation de la légalité
des poursuites 64
B- Le pouvoir d'appréciation de l'opportunité des
poursuites 66 Paragraphe 2 : Les obligations du juge
d'opportunité des poursuites et les droits
des parties 69
A- Les obligations du juge d'opportunité des poursuites
69
B- Les droits des parties à la procédure
72
Section 2 : La relégation du Procureur de
la République à la fonction de poursuite 73
Paragraphe 1 : La soumission du ministère
public à l'obligation de poursuite 74
A- Les conditions d'exécution de l'obligation de
poursuite. 74
B- La mise oeuvre de l'obligation de poursuite
76 Paragraphe 2 : La portée de la soumission du
ministère public
à l'obligation de poursuite 78
A- La protection de l'indépendance du Procureur de la
République 79
B- La protection de la victime contre les immunités du
Procureur de la République 82
CHAPITRE II : LE RENFORCEMENT D'EFFICACITE DES
PROCEDURES
ALTERNATIVES AU CLASSEMENT SANS SUITE 86
Section 1 : L'aperçu des
procédures alternatives au classement sans suite 86
Paragraphe 1 : Les procédures
garantissant le droit d'accès au juge pénal
87
A- Le droit d'accès au juge en dépit de la
décision de classement sans suite 87
B- Le droit d'accès au juge : un chemin incertain pour le
succès
de l'action de la victime 90
Paragraphe 2 : Les procédures
alternatives au classement sans suite: un contrepoids
au pouvoir de classement du juge d'opportunité des
poursuites 93
A- 125
Les procédures alternatives au classement sans suite: une
limite au pouvoir de
classement du juge d'opportunité des poursuites
93
B- L'autonomie des procédures alternatives au classement
sans suite
à l'égard du classement sans suite
décidé par le parquet 96
Section 2 : Les aspects à prendre en
compte pour l'efficacité des procédures alternatives au
classement sans
suite 98
Paragraphe 1 : Le renforcement de
l'indépendance des procédures alternatives au
classement sans suite 99
A- Le renforcement de l'indépendance des
procédures alternatives au classement sans suite en raison des
dysfonctionnements observés dans la
pratique 99
B- Le renforcement de l'indépendance des
procédures alternatives au classement
sans suite en redéfinissant les interventions du
ministère public 102
Paragraphe 2 : La refonte des procédures
alternatives au classement sans suite 104
A- La refonte de la procédure de constitution de partie
civile
devant le juge d'instruction 104
B- La refonte de la procédure de citation directe
108
CONCLUSION 111
BIBLIOGRAPHIE 116
TABLE DES MATIERES 122
RESUME
En vertu du pouvoir discrétionnaire dont il dispose en
matière de poursuites, le Procureur de la République n'est pas
tenu d'agir lorsqu'il a connaissance d'une infraction. Traduit par un
classement sans suite, le refus du procureur de la République d'intenter
les poursuites se fait selon son opinion personnelle, sans être
obligé de motiver ou de notifier sa décision, laquelle
échappe à toute forme de recours, au détriment des droits
du plaignant. La garantie des droits du plaignant contre un classement sans
suite arbitraire et capricieux nécessite la création d'un juge
indépendant, disposant du pouvoir discrétionnaire quant aux
poursuites à engager. Cet acteur judiciaire serait chargé de
traiter les plaintes transmises par le procureur de la République, et
déciderait de la suite à donner, en rendant, dans un délai
relativement court, une ordonnance soit de poursuite, soit de conciliation ou
de classement sans suite motivée, notifiable et susceptible de
contestation. Une victime insatisfaite d'une décision de classement sans
suite pourrait alors recourir à des procédures alternatives,
lesquelles doivent être simplifiées et soustraites du pouvoir du
ministère public, afin de faciliter leur accès par les victimes
et leur dénouement heureux.
Mots clés : classement sans suite,
procédure alternative, procureur de la République
ABSTRACT
By virtue of the discretionary power he has in matters of
prosecution, the Public Prosecutor is not required to act when he becomes aware
of an offense. Translated by a dismissal, the refusal of the public prosecutor
to initiate proceedings is done according to his personal opinion, without
being obliged to motivate or notify his decision, which escapes any form of
appeal, to the detriment of the rights of the complainant. Guaranteeing the
rights of the complainant against arbitrary and capricious dismissal requires
the creation of an independent judge, with discretionary power regarding the
proceedings to be initiated. This judicial actor would be responsible for
processing complaints transmitted by the Public Prosecutor, and would decide on
the action to be taken, by issuing, within a relatively short period of time,
an order either for prosecution, conciliation or dismissal without reasoned
action, notifiable and open to challenge. A victim dissatisfied with a decision
to dismiss the case could then resort to alternative procedures, which must be
simplified and removed from the power of the public prosecutor, in order to
facilitate their access by the victims and their happy outcome.
Keywords :dismissal of the case,
alternative procedure, public prosecutor
|