Crise écologique et mission de l’église évangélique du camerounpar Clément Hervé KUATE DJILO KUATE DJILO Université Protestante d'Afrique centrale - master 2017 |
II.3- Défis missionnaires sur le plan éthique.L'éthique écologique est, la plupart du temps, comprise comme une tentative de protéger les bases de la vie que ce soit la vie en général ou la vie humaine en particulier. Elle se présente comme une réponse rationnelle, logique, intelligente, devant la destruction des différentes formes de vie, une vie constituée d'éléments biochimiques qui ont besoin d'un équilibre pour maintenir leur intégrité. Cette conception est malheureusement un peu réductrice, car elle nous maintient dans une extériorité entre l'humain et son « environnement ». C'est d'ailleurs de cette manière que nous en parlons le plus souvent, l'« environnement », sans réaliser qu'en parlant ainsi nous faisons référence à « ce qui nous environne » à « ce qui nous entoure », donc ce qui est extérieur à l'humain. Or c'est justement cette conception du rapport entre l'humain et la nature, conçus comme deux entités séparées, qui est à l'origine de la crise écologique. Avec Jean Samuel ZOE-OBIANGA, nous pensons que « cette attention portée sur la nature et ses mystères ne vise pas à placer cette dernière au niveau de l'homme. Nous voulons tout simplement mettre en évidence que l'anthropocentrisme outrancier qui dicte une certaine éthique écologique appauvrit la qualité des devoirs à assumer envers la nature. »117(*) Le phénomène de la socialisation dans sa généralité est révélateur d'une vérité négligée, pour ne pas dire niée, par l'homme moderne ; la socialisation, en créant une solidarité de plus en plus étroite entre les hommes (ne serait-ce que la solidarité dans la peur devant le danger de l'arme nucléaire), amène à accepter de nombreuses contraintes. Elle révèle ainsi, par-delà les libertés individuelles ou nationales, qu'il y a des exigences universelles d'ordre éthique qui doivent être respectées. Sinon, c'est l'augmentation des inégalités et des injustices, Avec les oppressions de tous genres, nous avons, dans de nombreux cas, l'apparition du drame de la faim, de la misère et de la mort de millions d'êtres humains. Il s'agit essentiellement d'une exigence de régulation éthique. Que l'on songe simplement à cette aspiration générale vers plus de justice sociale, entre individus, entre classes et entre nations. L'idée même de justice n'a de sens que par une régulation des ressources naturelles. Cet appel à la justice se fonde sur la persuasion que chaque être humain en vaut un autre, et aussi que chaque peuple a un droit strict à se développer et à user des biens naturels qui lui sont nécessaires. Désormais, toutes les ségrégations, toutes les oppressions, et aussi tous les gaspillages et pollutions, sont ressentis par leurs victimes comme la violation de quelque chose de sacré. Et en même temps, cette exigence de régulation éthique, pour plus de justice, apparaît comme rigoureusement nécessaire, contraignante et non facultative ; souvent elle est même vécue comme un idéal politique, soit de libération, soit de respect écologique de la nature, pour lequel on doit se battre, au risque de sa vie si besoin est. Il y a là comme un puissant retour de la loi morale, par-delà tous les subjectivismes et égoïsmes qui voudraient l'évacuer. La crise écologique, comme expression de la socialisation de la Nature, vient préciser cet appel éthique. Elle vient rappeler brutalement que l'homme, tout en étant libre, est soumis à une loi naturelle. Certes, celle-ci, au niveau humain, n'est pas purement d'ordre physique ou biologique, elle s'exprime par l'activité rationnelle, comme besoin de régulation des rapports des hommes entre eux et avec la Nature. Cette régulation n'est alors pas à concevoir comme signifiant que l'homme peut faire ce qu'il veut, en usant de sa liberté sans aucun critère objectif, loin de là. Mais elle signifie que l'homme doit considérer la nature, et l'ensemble des êtres humains, comme des partenaires dont il doit tenir compte dans ses décisions libres, car obligé de vivre en symbiose avec eux. S'il veut se développer harmonieusement, il ne peut le faire qu'en tenant compte de ses semblables et des exigences objectives d'une exploitation rationnelle de la Nature. Là aussi, l'enseignement chrétien classique mérite d'être remis à l'honneur, cet enseignement qui voit dans l'homme, non pas le maître absolu, mais l'intendant et le gérant de cette Nature, don de Dieu qui en est seul le Maître et qui en a établi les lois. C'est parce qu'il s'est cru avoir tout pouvoir sur la Nature, parce qu'il s'est cru comme un dieu face à elle (c'est la tentation même qui a causé la chute du premier homme, selon Genèse, 3,5), que l'homme moderne en est arrivé à comprendre sa propre survie. Certes, on sait que la notion de loi naturelle est fortement contestée de nos jours. Mais à ceux qui ont conscience des risques engendrés par notre civilisation technologique et par l'égoïsme des pays développés, ces discussions sur l'existence ou non d'un droit naturel apparaissent radicalement dépassées, sorte de discussions de salon entre dilettantes que peuvent se payer le luxe d'en débattre. Pour ceux qui souffrent de la faim ou qui savent leur avenir menacé par la crise écologique, spéculer sur le caractère unique de chaque liberté personnelle a pour eux bien moins d'importance que de tenir compte des exigences d'une nature humaine qui tient le devant de la scène mondiale ; car c'est elle qui justifie l'universalité des droits de l'homme et de son droit à user équitablement des biens naturels, sans les voir accaparés par quelques-uns, ou gaspillés ou pollués cyniquement. C'est au nom finalement de cette nature humaine et de son droit naturel que se mènent de nos jours tous les combats pour un monde meilleur et plus juste. Par là nous percevons que toute décision éthique, en réponse à un appel pour plus de justice, se doit de tenir compte de deux données ; d'abord celle fournie par la science positive, physique, biologique ou humaine, qui définit et précise la nature du phénomène en question (par exemple, l'inflation, le chômage et plus particulièrement, ici, l'écologie). Ensuite, pour se décider en vue de telle ou telle décision en une forme de jugement pratique (sur ce qu'il faut faire, à partir de ce qui est), la décision éthique doit se baser sur une échelle de valeurs, elle- même fonction d'une vision globale portant sur la destinée de l'homme et sa relation avec la nature. Au Cameroun, le problème peut être géré si certains fonctionnaires, au lieu de s'enrichir a tout prix et ceci au détriment de la population, songeaient a une répartition équilibrée des biens pour l'épanouissement de tous. Si le souci des gouvernants était le bien de la population à la base, la lutte contre la corruption et autres maux serait un succès et le travail devait être fait dans la crainte de Dieu et selon le respect des normes en vigueur. Ce défi éthique doit devenir un mouvement de pensée très ambitieux qui introduit une dimension spirituelle dans la réflexion en faisant de la nature une sorte de bien ou de valeur morale suprême. Elle cherchera à transformer notre vision du monde et notre conception de la vie et du bonheur. Elle tentera d'effacer la frontière entre l'homme et la nature et de réintégrer l'être humain dans la nature en tant qu'une de ses manifestations. Ici, une vie considérée comme digne et accomplie est une vie vécue en harmonie avec la nature. * 117 Dorcas AKITUNDE, Op. Cit., P.119. |
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