Crise écologique et mission de l’église évangélique du camerounpar Clément Hervé KUATE DJILO KUATE DJILO Université Protestante d'Afrique centrale - master 2017 |
CHAPITRE III : LA CRISE ECOLOGIQUE ENTRE CAUSES, CONSEQUENCES ET RESPONSABILITES.Ce chapitre sera consacré à l'étude des causes, des conséquences et la recherche des responsables de cette crise. III.1- Les causes de la crise écologique actuelle.Les causes de la crise écologique actuelle sont le produit du développement de plusieurs facteurs, dont il est difficile d'établir et de les dater. Il est cependant acquis que l'activité de l'espèce humaine en est la première cause. L'impact a fortement augmenté, d'une part en raison de l'augmentation de la population totale, d'autre part en raison du développement économique et industriel du XXe siècle. D'autres causes peuvent entrer en jeu comme les progrès scientifiques, la révolution technique, la théologie chrétienne et le développement. Ø Les progrès scientifiques La science a permis la connaissance des lois de la nature, au détriment de la cohabitation et la communion originelles. «Le but de la science selon Francis Bacon, «n'est plus la découverte d'arguments, mais des techniques, non de concordance avec les principes, mais des principes eux-mêmes, non d'arguments probables, mais de disposition et d'indications opératoires. C'est pourquoi d'une intention différente suivra un effet différent. Vaincre et convaincre là-bas, un adversaire par la discussion, ici la nature par le travail.»92(*) L'avènement de la méthode expérimentale a occasionné l'émergence d'une médiation contraire au mode de l'immédiateté et l'imminence du sacré des temps prénéolithiques et créé un clivage et une scission entre l'homme et la nature, d'une part, et d'autre part, entre l'habitant et l'habitacle. Son approche de la nature était strictement rationnelle, utilitaire et instrumentaliste. La vérité n'était plus une affaire de spéculation, d'autorité ou de tradition authentique. L'univers était connu de manière essentiellement quantitative. La science a brisé l'unité entre l'homme et la nature, devenue un ensemble d'éléments, dont l'homme devait se servir pour satisfaire ses besoins. Il a vaincu la peur dans laquelle, il avait longtemps été enfermé face à la nature et ses forces pour la mettre à son service. Avec cette méthode, c'était l'affranchissement de la raison humaine de l'emprise de la religion. L'homme est allé au coeur de la nature, qu'il ne connaissait qu'à partir des lois qui régissent les agents et qui agissent en son sein. Dès lors, la vérité n'était plus seulement une affaire de spéculation, de jugement, de tradition authentique ou d'autorité93(*). La terre a cessé d'être la grande puissance mythique et la demeure des divinités pour devenir une réserve des matières premières à exploiter et à transformer selon le besoin. L'homme devait connaître ses lois et expliquer rationnellement ses phénomènes. Tout ce qui est vivant devait être maîtrisé, séparant davantage l'homme et la nature. Dès lors, n'était vrai que ce qui était saisissable par la raison devenue la clef de connaissance du monde, jusqu'en faire le ressort particulier d'un mode de production économique à travers un expansionnisme technique. Dès lors, la nature est devenue juridiquement appropriable et techniquement exploitable ; un auto-processus vivant, oeuvre d'elle-même ; non achevée d'un coup ou figée dans un ordre hiératique, mais évoluant avec et selon le temps, c'est la nature vraiment naturelle94(*). Le progrès scientifique a occasionné la révolution industrielle. Avant l'ère industrielle, l'homme était intégré dans le processus évolutif de la nature, lequel donnait sens à son existence humaine et à l'histoire même de la nature. Il faisait partie intégrante de la nature et un maillon de la chaîne cosmique, qui obéissait à un ordre interne de choses auquel il était soumis. L'homme habitait un univers quelque peu figé et uniforme, sans grandes innovations, avec une économie de subsistance et un mode de production quasi stationnaire95(*). L'impact écologique de son activité était sur la nature était de moindre effet. Avec la révolution technique, le monde est entré dans une nouvelle phase de son histoire. La capacité de l'homme à transformer le monde a tellement accru qu'elle semble avoir atteint le seuil critique de l'équilibre de la biosphère. Elle a mis en place une dynamique destructrice de la nature et inauguré le début de la négation de la valeur propre de la nature. De cette manière, l'homme a acquis le pouvoir de décider de la vie ou de la mort des systèmes vitaux. Ainsi ont été liquidées les bases naturelles de la vie. Tout a changé depuis les habitudes de la vie jusqu'aux systèmes politiques et économiques qui détruisent la nature. Au Cameroun, avec l'utilisation des engrais chimiques, certaines espèces agricoles, qui hier, faisaient la fierté des populations est en voie de disparition si ce n'est pas déjà inexistant. Dans le département du MOUNGO dans la Région du Littoral, par exemple, certains tubercules à l'instar du taro `'MACOMBO'' sont devenus très rares ; pourtant, hier, c'était une variété très réputée dans cette localité. La révolution technique est le point d'aboutissement de la trajectoire historique de l'arrachement de l'homme à la nature. «Considérée en elle-même, la technique est ambivalente. Si, d'un côté, certains tendent aujourd'hui à lui confier la totalité du processus de développement, de l'autre on assiste à la naissance d'idéologies qui nient in toto l'utilité même du développement, qu'elles considèrent comme foncièrement antihumain et exclusivement facteur de dégradation. Aussi, fini-t-on par condamner non seulement l'orientation parfois fausse et injuste que les hommes donnent au progrès mais aussi les découvertes scientifiques elles-mêmes qui, utilisées à bon escient, constituent au contraire une occasion de croissance pour tous. L'idée d'un monde sans développement traduit une défiance à l'égard de l'homme et de Dieu. C'est donc une grave erreur que de mépriser les capacités humaines de contrôler les déséquilibres du développement ou même d'ignorer que l'homme est constitutivement tendu vers l'«être davantage». Absolutiser idéologiquement le progrès technologique ou aspirer à l'utopie d'une humanité revenue à son état premier de nature sont deux manières opposées de séparer le progrès de son évaluation morale et donc de notre responsabilité.»96(*) La science et technique ont certes doté l'homme d'instruments d'une efficacité sans précédent non seulement pour connaître, mais aussi pour dominer et exploiter la nature. Elles ont été intégrées dans les systèmes social et économique dont elles sont devenues le principal instrument de l'évolution et ont instauré un modèle dominant de rationalité, qui les ont menées au-delà du raisonnable. Elles ont produit des effets non souhaités. Elles ont fait de l'homme le maître du monde. Il n'était plus intégré dans la nature, mais se plaçait hors de la nature, devenue à une matière inerte sans valeur propre et un substrat des artifices de la technique voué à la manipulation. Le progrès scientifique et la révolution technique ont certes permis d'élever le niveau de vie et de résoudre certains problèmes, mais elles sont en même temps des dynamiques de prédation des ressources naturelles et la destruction des écosystèmes. Cette démarche a déclenché le processus de destruction de la nature. Il n'est pas question de diaboliser la science ou la technique, mais de les intégrer dans une démarche qui rend l'économie au naturel, selon le principe de coappartenance de l'homme et de la nature97(*). Cela veut dire que la science et la technique ont manqué d'être intégrées dans une démarche qui rend l'économie au naturel, selon le principe de coappartenance de l'homme et de la nature. La science et la technique n'ont pas seulement élevé le niveau de vie, mais elles ont aussi occasionné la baisse de sa qualité en liquidant ses bases naturelles. «Aujourd'hui, il apparaît de plus en plus clairement que les développements de la science, de la technique et de l'industrie sont ambivalents, sans qu'on puisse décider si le pire ou le meilleur d'entre elles l'emportera. Les prodigieuses élucidations qu'a apportées la connaissance scientifique sont accompagnées par les régressions cognitives de la spécialisation qui empêche de percevoir le contextuel et le globale. Les pouvoirs issus de la science sont non seulement bienfaisants, mais aussi destructeurs et manipulateurs. »98(*) Le développement techno-économique, souhaité par et pour l'ensemble du monde, a révélé presque partout ses insuffisances et ses carences. Ø La théologie chrétienne La théologie scolastique a mis en place une anthropologie dualiste qui non seulement séparait, mais encore opposait corps et âme, matière et esprit, matériel et immatériel, etc. Le corps est matière tandis que l'âme est esprit. Elle accordait la primauté aux réalités non matérielles. L'âme fait participer l'homme à la vie divine et le rend capable d'une relation avec Dieu. De là était déduit une conception de l'univers comme une réalité matérielle et mécanique sans dimension intérieure. De cette manière, Dieu a été évacué de l'univers et s'est exilé dans une transcendante inaccessible. Dieu n'habitait plus la création, réduite à une réalité matérielle sans mystère. L'univers n'était plus animé par les mêmes énergies structurantes (ordre du monde) et vivifiantes (vie et mouvement de la création continue) que l'homme. Il a été déshabité et désenchanté. La nature obéissait plus à un ordre et à une harmonie voulue par Dieu. Dépouillée de toute profondeur qualitative et de toute valeur symbolique, la nature était exclue de la rédemption et placée en marge du Salut. De ce fait, la nature, mieux la création aurait cessé d'être l'oikos, la maison ou l'habitacle de Dieu pour devenir un objet à maîtriser et à exploiter, sans référence à la transcendance. Le lien qui unit le monde à Dieu a ainsi été brisé : cette rupture a fini par déraciner aussi l'homme de la terre et, plus fondamentalement, en a appauvri l'identité même. L'être humain en est ainsi venu à se considérer comme étranger au milieu environnemental dans lequel il vit. La conséquence qui en découle est bien claire : C'est le rapport que l'homme a avec Dieu qui détermine le rapport de l'homme avec ses semblables et avec son environnement. Voilà pourquoi la culture chrétienne a toujours reconnu, dans les créatures qui entourent l'homme autant de dons de Dieu à cultiver et à garder avec un sens de gratitude envers le Créateur. En sus, l'homme et la nature étaient désormais pensés en termes d'opposition selon le partage des rôles. N'ayant ni plus personnalité ni valeur propre, la nature est ordonnée au service de l'homme, qui devait connaitre ses lois et expliquer rationnellement ses phénomènes. La nature est tombée sous le mode de l'objet ou de la chose que l'homme devait dominer et exploiter, s'approprier par les brevets. Dépourvue d'intérêt propre, elle était désormais réduite à une réserve des ressources, dont la valeur était économiquement quantifiable. Elle est devenue une marchandise privatisable et commercialisable. L'invisible était réduit au visible, le visible au matériel, le matériel à l'économique. Ø Le développement Nous pouvons, en clair, dire que les pays riches sont responsables du changement climatique. Les pays industrialisés où vivent les quelques 20 % de la population mondiale, ont émis plus de gaz à effet de serre que les pays en voie de développement. Les pays riches doivent donc endosser la plus grande responsabilité et porter le fardeau des actions en faveur de la résolution du changement climatique. Aussi faut-il souligner que les pays les plus pauvres représentent seulement 0,4 % des émissions de dioxyde de carbone. 45 % des émissions mondiales de dioxyde de carbone sont produites par les pays du G8 à eux seuls.99(*) Toujours dans les mêmes sources, nous constatons que le développement est la recherche de l'amélioration des conditions et de la qualité de la vie. Cependant, du point de vue écologique, parce que liée à la croissance économique et matérielle, le développement est une double menace pour les sociétés humaines : l'une, extérieure, vient de la dégradation des milieux de vie ; l'autre, intérieure, vient de la dégradation des qualités de vie. Il est vrai que le développement a eu lieu et qu'il continue d'être un facteur positif qui a tiré de la misère des milliards de personnes et que, récemment encore, il a permis à de nombreux pays de devenir des acteurs réels de la politique internationale. Toutefois, il faut reconnaître que ce même développement économique a été et continue d'être opéré par des déséquilibres et par des problèmes dramatiques, mis encore davantage en relief par l'actuelle situation de crise. Celle-ci nous met, sans délai, face à des choix qui sont toujours plus étroitement liés au destin même de l'homme qui, par ailleurs, ne peut faire abstraction de sa nature. Les forces techniques employées, les échanges planétaires, les effets délétères sur l'économie réelle d'une activité financière mal utilisée et, qui plus est, spéculative, les énormes flux migratoires, souvent provoqués et ensuite gérés de façon inappropriée, l'exploitation anarchique des ressources de la terre, nous conduisent aujourd'hui à réfléchir sur les mesures nécessaires pour résoudre des problèmes qui non seulement sont nouveaux (...). La complexité et la gravité de la situation économique actuelle nous préoccupent à juste titre, mais nous devons assumer avec réalisme, confiance et espérance les nouvelles responsabilités auxquelles nous appelle la situation d'un monde qui a besoin de se renouveler en profondeur au niveau culturel et de redécouvrir les valeurs de fond sur lesquelles construire un avenir meilleur. La crise nous oblige à reconsidérer notre itinéraire, à nous donner de nouvelles règles et à trouver de nouvelles formes d'engagement, à miser sur les expériences positives et à rejeter celles qui sont négatives.100(*) Ces causes ne sont pas toujours sans conséquences sur la vie de la planète. * 92 D. BOURG, Technologie, environnement et spiritualité, in: D. BOURG / P. ROCH (Éditeurs), Crise écologique, crise des valeurs ? Défis pour l'anthropologie et la spiritualité, P.27. * 93 R. BERTHOUZOZ, Pour une éthique de l'environnement. La responsabilité des chrétiens dans la sauvegarde de la création, in: Environnement, Création, Éthique, Le Supplément 169 (1989), P.67-68. * 94 D. FOLSCHEID, Pour une philosophie de l'écologie, in: Écologie. Humanisme ou naturalisme. La vie en question. Éthique n°13(3/1994), P.13. * 95 J-M. AUBERT, Un nouveau champ éthique: L'écologie, in: Revue des sciences religieuses, n°3(1982), P.202. * 96 BENOÎT XVI., Lettre encyclique Caritas in veritate, n°14. * 97 L. BOFF, La théologie de la libération et l'écologie. Alternative, confrontation ou complémentarité?, in: Écologie et pauvreté, Concilium 261(1995), P.100. * 98 E. MORIN, Redresseurs d'espérance pour une planète en détresse, in: Crise éthique, éthique de la crise?, Enthropia, n°6 (2009), P.186. * 99 Informations recueillies de diverses sources notamment: Ecological Spirituality, Eco-justice Notes, Eco-Ministries Newsletter 24/4/09, Justice et équité climatique, Anup Shah 2009, Banque mondiale, Transport Economics and Sector Policy Briefing, quoted in Collision Course: Freetrade's free ride on the global climate, New Economics Foundation 2000, Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, World Resources Institute report 2003, Center for Science and Environment 2002, Christian Aid report 1999, Down to Earth magazine 2007. * 100 BENOÎT XVI, Lettre encyclique Caritas in veritate, n°21. |
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